Monrose ou le Libertin par fatalité/I/25

Lécrivain et Briard (p. 122-125).
Première partie, chapitre XXV.


CHAPITRE XXV

CONCLUSION DU TRAITÉ DE TRIPLE ALLIANCE


« Vous douteriez-vous, dis-je à mon pupille au bout de quelques jours, que votre récente déconvenue, à cette sortie de l’Opéra, vous a fait un peu de bien dans mon esprit ? En y réfléchissant. j’ai trouvé qu’il était heureux pour vous d’avoir plutôt rôti le balai comme vous avez fait, que si vous vous étiez claquemuré près de deux égrillardes telles que vos belles de la chaussée d’Antin, qu’on dit… — Ah ! quartier pour elles ! interrompit-il avec feu ; ne les confondez pas, je vous prie, avec ces friponnes dont vous m’avez, bien à bon droit, blâmé d’avoir décoré les catalogues. Nous sommes seuls : ayez la complaisance d’entendre ce qu’il me reste à vous dire de mesdames de Belmont, et de Floricourt ; quand vous saurez tout, vous conviendrez que j’ai bien moins à me plaindre d’elles, qu’elles sans doute à se plaindre de moi. — Je vous écoute.

« Je n’eus pas plutôt pris possession de l’attrayante blonde, que, l’enlevant toute pâmée de dessus les genoux de la brune, je marque le plus fougueux dessein d’assurer également mes droits sur celle-ci. Madame de Floricourt, souriant de son danger, veut s’échapper ; mais avant qu’elle n’ait saisi le bouton du verrou, j’enjambe une chaise qu’en badinant elle vient de placer comme un rempart entre nous ; assis et attaquant l’équilibre de ma nouvelle proie, je le lui fais perdre ; elle tombe de ça, de là, sur moi, dans une position décisive, qui ne peut au surplus la désobliger, aux termes où nous en sommes, et à laquelle plutôt il me semble qu’elle sait se prêter fort adroitement. Je trouve pourtant un léger obstacle qui cause entre nous quelque débat. « Belmont est encore dans le néant du bonheur, elle ne voit rien ; il serait cruel de l’arracher aux délices de son extase ; saisirons-nous ce moment pour consommer à son insu ce qu’elle-même n’a souffert qu’avec l’attache de son amie ? » Vain scrupule, vétilleuse objection de la délicatesse de Floricourt, quand déjà ses sens la démentent ; quand je suis absolument le maître ; quand mes baisers passionnés lui coupent la parole ; quand mes téméraires mains et le reste ont mis le feu partout… Nos aimants se joignent, s’attirent, s’unifient… l’univers est oublié !

« Lorsque enfin nous redescendons ici-bas ; lorsque nos yeux à l’unisson se rouvrent à la vulgaire lumière, quel est le premier objet dont ils sont frappés ? C’est de la chère Belmont qui, radieuse de beauté, la paupière battante et demi-close encore, nous presse de ses bras d’albâtre et nous partage les plus indulgents baisers. Ah ! dans notre ivresse ceux que nous lui rendons peuvent-ils être moins brûlants !

« Floricourt se déplace ; elle n’occupe plus qu’un de mes genoux ; l’autre invite Belmont qui s’y poste. Toutes deux tombent dans mes bras et m’enlacent des leurs ; nos yeux, nos bouches, nos cœurs s’entr’électrisent encore ; nous nous jurons, à travers mille baisers, l’éternité de notre transfusion magique. Bientôt, avec moins d’exaltation, bravant la sueur glorieuse dont le cheval de bataille écume encore après son double exploit, chacune des aimables folles daigne étendre sur lui des doigts caressants, lui jurant foi constante et fervent hommage. Une situation telle que la mienne fut sans doute souvent esquissée par le caprice, mais je gagerais que nous venions de fixer, pour la première fois, dans un immortel original, l’intéressante alliance du pur sentiment avec la volupté sublimée.

« Cependant nous étions absents depuis trois quarts d’heure, et la décence exigeait que nous reparussions au salon. Mais quelque chose d’assez plaisant allait nous retarder encore : voici ce que c’est. »