Monrose ou le Libertin par fatalité/I/26

Lécrivain et Briard (p. 126-132).
Première partie, chapitre XXVI.


CHAPITRE XXVI

CONSULTATION À REBOURS


« J’ai dit qu’à la suite de la pièce où l’on jouait il y en avait une plus petite contiguë ; c’était par celle-ci que nous nous proposions de rentrer, mais il s’y passait d’étranges choses, auxquelles, par respect pour nous-mêmes, nous devions bien nous garder de faire incident. Nous allions ouvrir lorsque : « Malheureux ! dit une voix que nous reconnûmes tous être celle de madame de Moisimont ; ne pouvais-tu pas du moins me faire avertir de ton état déplorable qui m’eût fait connaître le mien ? — Vous savez, lui répondit-on, que je partis brusquement pour Marseille : je ne me doutais de rien alors. Quand je fus sûr de mon malheur, j’écrivis ; mais n’osant confier à la poste une lettre qui aurait pu tomber entre les mains de vos parents, je chargeai mon camarade Saint-Far de vous la remettre en mains propres. — Saint-Far ! Dieux ! que m’apprends-tu ? et quelle faute n’ai-je pas faite ! Il est vrai, Saint-Far parut chez moi. Mais, outrée de me voir apporter mystérieusement, par un homme de sa sorte, des nouvelles qui supposaient que tu t’étais permis d’avoir un confident, je pris l’écrit avec colère, et devant l’émissaire, que je traitai fort mal, le feu me fit raison de ta prétendue témérité. — Tu vois donc, chère Mimi, qu’il n’y eut pas de ma faute ? — Je vois de plus qu’une fois qu’on a sauté le fossé, l’on ferait bien mieux d’être conséquente, et qu’on ne peut-être, avec succès, catin et bégueule à la fois. Un instant de sotte fierté m’a bien porté malheur. Au surplus, puisque toute cette aventure n’est qu’une chaîne de malentendus, il faut bien, bourreau, que je te pardonne ; mais à une condition pourtant. — Ordonne, chère Mimi : je n’ai rien à te refuser. Je te dois, de mon crime involontaire, toutes les réparations imaginables. — La punition sera douce : à genoux, monsieur… à genoux, vous dis-je ! » Pour bien comprendre ce qui suit, ma chère comtesse, ou plutôt pour pouvoir y croire, il est bon de vous souvenir que madame de Moisimont était à peu près grise au sortir de table. « Eh bien ? dit le coupable, sans doute venant d’obéir. — Ah ! tu fais semblant de ne point me deviner ! Un peu plus d’esprit, mon cher. Il s’agit de remettre sur l’heure en commun le revenant bon de nos anciennes prouesses. — Vous n’y pensez pas ! — Demeure. — Mais il y a de la folie ! — Ne crois pas m’échapper… Cela sera !… Je le veux, je l’ordonne ! — Ici ! chez des étrangers ! à peine en sûreté ! — Point de défaite ; tu vas, ne t’en déplaise, t’exécuter d’aussi bonne grâce que moi. Ta conduite, en apparence criminelle, avait bien pu me faire détester ton âme, que je croyais noire comme l’enfer, quand je supposais ton Saint-Far dans notre secret ; mais je n’ai pas été pour cela un seul instant brouillée avec cette sorcière de mine et quelque chose de plus séduisant encore qui m’a fait tant de plaisir… Voyons ! — Mais prenez donc garde !… — Le diable s’en mêlerait que tu ne sortiras pas d’ici sans que je t’aie rendu la monnaie de ta pièce ! — Mais, vous voyez bien que je suis guéri, moi !… — Tu te feras guérir une seconde fois, car je ne t’en ferai pas grâce. Allons, qu’on m’obéisse ; tu sais que ta Mimi, si fidèle à tes leçons, dont elle était si digne, ne badine pas sur l’article : au fait ! — Voilà bien le plus tyrannique caprice… Mais, par bonheur, j’ai sur moi mon eau de Préval[1]. »

« Au silence, au froufrou dont cet étrange colloque fut immédiatement suivi, nous jugeâmes qu’il valait mieux faire le grand tour, que de demeurer là pendant toute une cérémonie dont la durée ne pouvait au juste se calculer. Mes bonnes amies avaient eu d’abord quelque dépit de voir leur hospice ainsi pollué ; cependant n’ayant à rougir que devant moi, avec qui ce n’était plus le cas de faire des façons, elles ne purent s’empêcher de rire du comique bizarre de cette scène. « Il sera piquant, disait madame de Floricourt, de voir qui sortira du cabinet avec cette dessalée de Moisimont. Peste ! quelle luronne ! Il paraît que, dans leurs recoins de province, ces dames reçoivent d’excellentes leçons : les coulisses de Paris auraient peine à fournir le pendant d’autant de luxure et de cynisme… » « — Et vous ne riez pas aussi de cette folle ! interrompis-je, outrée de voir que le conteur mettait à cette citation le dessein de donner à sa Floricourt un vernis de délicatesse. Les réflexions de cette femme étaient vraiment bien de mise après ce qui venait de se passer au boudoir ! » Monrose ne chercha pas à la justifier. Très-attentif à ne point me déplaire, il baissa les yeux et poursuivit ainsi sa narration :

« À peine avions-nous passé quelques minutes autour des joueurs de bouillotte, qu’à travers la porte mystérieusement entr’ouverte, d’Aspergue fut appelé par madame de Moisimont. Il courut : on referma.

« Cependant nous comptions des yeux nos personnages : l’admirateur d’écrans et Saint-Lubin, remplaçant au jeu de madame de Flakbach, et son nouvel esclave, Moisimont, que nous avions trouvés roucoulant nez à nez sur l’ottomane, il ne manquait dans le salon, avant l’éclipse de d’Aspergue, que madame de Moisimont et le docteur. Quoi donc ! serait-ce bien ce grotesque esculape, en dépit de sa bedaine, de ses pots-à-beurre, de sa perruque, etc… Quoi ! ce serait lui qu’une petite-maîtresse de province viendrait de violer ! Quelle apparence pourtant qu’une telle figure eût jamais fait une passion, qu’elle fût encore venue à bout de rallumer à l’instant un voluptueux désir ! D’ailleurs, ces gens-là se connaissent de longue date ; on ne s’est cependant aperçu de rien pendant le repas ! Quel pouvait donc être le secret de cette inconcevable aventure ? quelle convenance avait décidé qu’un très-laid docteur se rencontrerait avec une catin, dans une maison tierce où ni l’un ni l’autre n’avaient encore paru, le tout afin qu’il y eut un éclaircissement dont le résultat fût, pour l’infortuné docteur, la nécessité de reprendre un vilain mal, qu’ailleurs il aurait eu la fortune d’inoculer ? Telles étaient nos réflexions. Il n’y avait que d’Aspergue qui pût fournir le mot de cette confuse énigme.

« Au bout de dix minutes celui-ci reparut, ayant sur le poing Mimi de Moisimont chiffonnée, décoiffée, le regard mi-parti de tempérament et d’ivresse, mais ne paraissant pas s’embarrasser de tout cela. D’Aspergue, d’un ton préparé, nous annonça qu’après une consultation savante, et dont la malade avait lieu d’être pleinement satisfaite, le docteur venait de s’échapper, devant prendre la poste à la pointe du jour pour d’autres consultations à faire en province. Il avait maladroitement imaginé, disait d’Aspergue, que ces dames s’étaient retirées pour ne plus reparaître ; en conséquence, il partait sans avoir eu l’honneur de les saluer, mais il priait qu’on les assurât de son respect et de tout l’empressement qu’il aurait à venir leur faire sa cour dès qu’il rentrerait dans la capitale. »


  1. Ce spécifique, au moyen duquel on devait pouvoir braver tous les dangers du libertinage, était fort à la mode alors. Quand il a pu perdre toute sa réputation, on peut conjecturer combien il a fait de dupes et multiplié les victimes de la fatale contagion.