Monrose ou le Libertin par fatalité/I/07

Lécrivain et Briard (p. 24-28).
Première partie, chapitre VII.


CHAPITRE VII

PASSION CONVERTIE EN IMPROMPTU


« Je vous garde encore un moment, monsieur, et c’est pour vous gronder bien fort ! avait dit madame de Liesseval chez elle, déshabillée, coiffée de nuit et ayant permis à Rose d’aller se coucher ; trouvez bon que je me plaigne très-sérieusement des étranges manières que vous aviez, ce matin, avec moi… — Ne parlons pas de cela, charmante baronne (lui prenant tendrement les mains), ou si tout de bon vous avez envie de quereller, que ce soit du moins pour quelque chose qui en vaille la peine… » En même temps, l’audacieux personnage court vers la porte, comme s’il avait eu le dessein seulement de voir si l’on ne pouvait écouter leur explication, mais en effet pour pousser un verrou. « Cela ne sera pas, par exemple ! avait dit alors très-vivement Clarisse, courant aussi du même côté. — Eh bien ! ne me grondez donc pas. À cette condition je vais ouvrir portes, fenêtres, tout ! » À bon compte, le verrou restait poussé.

Clarisse, peu d’accord avec elle-même, avait eu l’imprudence de fixer ses regards sur cette adorable figure : il se mit à la regarder à son tour avec des yeux si doux ! si touchants ! « Je suis trop bonne, dit-elle en rougissant ; adieu donc : qu’il ne soit plus parlé de vos sottises, mais à l’avenir… — Pardon, trop aimable amie de ce que j’ai de plus cher au monde… » Et en parlant ainsi, au lieu de prendre congé, le matois avait conduit l’offensée à portée d’un fauteuil où s’était à l’instant formé le groupe d’une femme fort émue, qui laisse un jeune homme céleste tomber à ses genoux, l’entourer de ses bras et respirer à deux doigts de sa bouche… Il continua : « Pardon ; mais, sachez, pour ma justification, que je ne vous ai pas vue un moment sans avoir aussitôt conçu pour vous la passion… (Ce mot si cher à la baronne la fit tressaillir de plaisir.) — Passion ! interrompit-elle. Un homme de votre âge et de votre état en est-il bien capable ? — Ah ! oui ! oui ! Clarisse (il s’enflammait), et de la plus violente encore, quand c’est vous qui l’inspirez. — À vous !… à vous, Monrose ! quand je sais que la comtesse… Hélas ! je ne puis m’en formaliser… Elle est votre ancienne conquête, et maintenant vos… soins près d’elle sont un nouveau devoir… — Est-ce à vous, cruelle femme, à me le rappeler, et n’êtes-vous pas aussi coupable que moi envers votre amie !… Sans vous… sans vous, je l’idolâtrerais encore… Ne me faites pas rougir de moi-même… J’ai sans doute des torts irréparables… — Ah ! oui ! chevalier ; car cette rare amie a pour vous un attachement… — N’analysez pas davantage la faute d’un homme qui fait profession d’avoir à la comtesse des obligations dont il est à jamais impossible de s’acquitter. Parlons de vous. — Eh bien ! supposons qu’une femme, assez faible pour vous aimer, pourrait, avec l’aide de l’amitié, n’être point jalouse d’une liaison telle que celle que je vous connais ; supposons encore que cette femme tour à tour faible et forte… Ce serait moi, comment du moins me ferais-je une raison sur… ce qu’avec ma femme de chambre… au jardin… »

Debout à ces mots, et faisant en même temps un bond en arrière, l’étourdi se frappa le front de ses mains avec une expression si vive, que la tendre Clarisse trembla qu’il ne se fût blessé… La voilà donc qui, plus morte que vive, lui saute au cou, l’accuse de folie et tâte d’une main aussi timide que douce cet angélique visage, lequel au surplus n’avait aucun mal. « Elles savent tout ! dit-il comme anéanti. — Oui ; nous savons, chevalier, que vous punissez de prétendues offenses comme d’autres récompensent les meilleurs sentiments. »

Monrose, 1871, Figure Tome 1 page 27
Monrose, 1871, Figure Tome 1 page 27

J’abrége : qu’on suppose une naïve confession (dont au surplus la baronne aurait bien fait grâce), d’humbles excuses, des serments passionnés, d’une part ; de l’autre, quelque irrésolution, quelques scrupules faciles à combattre. Bref, toute controverse cessante, la chère baronne garda jusqu’au lendemain l’adorateur le plus incapable d’attendre qu’il y eût du moins un peu d’amour de filé, comme ç’avait d’abord été le vœu de l’héroïne.

Elle m’assura que qui n’aurait pas su ce qui s’était passé la veille, n’aurait jamais imaginé que Monrose eût fait si récemment, ailleurs, l’essai de ses amoureuses facultés.

Les vives caresses dont la baronne avait accompagné son récit, étaient encore teintes du bonheur dont elle venait d’être comblée. « C’est un dieu ! » disait-elle avec exaltation. Puis, passant aussitôt sans aucune nuance au ton dur et fronçant le sourcil : « Je chasse mademoiselle Rose aujourd’hui ! — Pourquoi ? — L’impudente ! je lui pardonnerais ses soupçons d’hier matin ! — Ils étaient bien un peu fondés. — Ce que du moins je ne lui pardonnerai de ma vie… c’est d’avoir possédé ce rare mortel avant moi. — Eh ! c’est précisément à cause de cela qu’il faut bien vous garder de la renvoyer. Elle a quinze et bisque sur vous ; voulez-vous donc afficher qu’un succès de pur hasard vous blesse et vous irrite ? Ferez-vous l’école de mettre au-dessus de sa maîtresse une fille qui, sans cela, ne pourra songer à lui rien disputer ? Rose vous est attachée ; elle vous sert parfaitement : le feu de paille qui vous échauffe maintenant, ne serait pas plutôt consumé, que vous regretteriez cette utile domestique. »

La baronne entendit raison : Rose, conservée, en fut quitte pour quelques bouffées d’humeur qu’il lui fallut essuyer, mais dont en secret elle était enchantée. Huit jours heureux suffirent pour éteindre le volcan d’amour qui s’était si brusquement allumé dans le cœur de madame de Liesseval : je n’avais pas été moi-même absolument négligée, et je gagerais bien que Rose encore avait eu par-ci par-là quelques rognures des attentions de notre héros.

Nous étions tous très-satisfaits de notre voyage, quand nous rentrâmes dans la capitale.