Monrose ou le Libertin par fatalité/I/06

Lécrivain et Briard (p. 20-23).
Première partie, chapitre VI.


CHAPITRE VI

QUI C’ÉTAIT. MONROSE EST VENGÉ


Délicieux instant où l’on oublie son être dans l’ivresse du parfait bonheur ! cet endiablé de Monrose (qui n’avait point écrit, ou dont les dépêches avaient été bientôt achevées) vous faisait goûter sous ce feuillage… à qui ? À cette même Rose, rentrée, le matin, chez sa maîtresse si mal à propos.

Rose était un laideron de dix-huit ans, complétement magique, au nez en l’air, aux brillantes couleurs, à l’œil électrique, aux dents parfaites, à la chevelure énorme et tant soit peu crépue, d’un noir d’ébène… ayant, en un mot, tout ce qui peut enlever à la vraie beauté ses plus intéressantes conquêtes.

« Vous me deviez bien cela, mademoiselle, dit le corsaire de Monrose après un de ces baisers qu’une réciproque ardeur fait quelquefois si bien résonner ; c’est pour vous apprendre à me faire, à propos de rien, de mauvaises plaisanteries. — Vous venez de m’en faire une charmante, en vérité ! Je vois bien, M. le chevalier, qu’il n’y a pas moyen de plaisanter avec vous ! — Qu’aviez-vous vu, là ? — Précisément ce que vous venez de me faire si bien sentir. — Eh bien ! fallait-il en tirer une conséquence aussi saugrenue ? Vous vous imagineriez apparemment qu’on peut entrer impunément chez une femme adorable, la savoir, de son propre aveu, presque in naturalibus derrière un simple rideau, voir par le bas des petits pieds d’une tournure unique, et ne pas sentir un voluptueux désir s’allumer à l’excès ? — Ma maîtresse a, j’en conviens, tout ce qu’il faut pour le faire naître ; mais… (Rose riait) vous mettez-vous aussi à votre aise que je vous ai vu, toutes les fois que quelque objet aimable vous monte l’imagination ? — Vous me faites une mauvaise chicane : votre maîtresse ne s’est douté de rien. — Vous me faites un conte absurde. Elle s’est si bien douté de tout, que, me présentant à la porte une première fois, je vous ai vus tous deux… — Vus ! celui-ci est fort ! — Oui, vus, monsieur, et si bien vus, que j’ai cru nécessaire (puisque je devais absolument rentrer) de retourner sur mes pas et de faire assez de bruit pour que vous vous avisassiez enfin que tout était ouvert et que j’allais paraître. — Ah ! vous y avez mis de la finesse, mademoiselle : eh bien, vous allez encore me payer cela. »

Comme nous n’avions aucunement envie que cette explication eût plus de suite, nous passâmes sans affectation devant le cabinet, et je dis presque haut : « Je me trompe fort, ou votre Rose est là-dedans en bonne fortune avec quelqu’un de mes gens. C’est un peu leste ! » Mais, nous ne fîmes pas semblant d’être plus au fait.

À peine avions-nous fait trente pas, que le coupable se montre en face et fredonnant une ariette d’un air fort naturel. Il ne pouvait être déjà là sans avoir fait, excessivement vite, un grand détour. Nous rîmes beaucoup. « J’allais vous chercher, mesdames, dit-il, sans penser d’abord que nous pouvions rire de lui ; je vous supposais au cabinet de charmille… — En effet, interrompis-je, nous avons failli nous y arrêter. » Nous éclatâmes pour le coup : il ne fut plus notre dupe, et ne songea qu’à briser sur les détails de notre promenade. Nous rentrâmes ensemble : ni la baronne ni lui ne parurent à leur aise le reste de la soirée.

À l’heure où l’on se sépara, un serrement de main significatif m’annonça que mon aimable fou me destinait la galanterie de reparaître chez moi dès qu’il aurait reconduit mon amie, qui s’excusait au surplus très-fort (par simagrée sans doute) d’agréer cette politesse. Moi, pour toute réponse, je dis d’un ton malin et tout haut : « Bien obligé, mon cher, je ne veillerai point : vous avez vous-même besoin de repos. » Quoique cela le mystifiât beaucoup, il sourit ; je demeurai seule, on me mit au lit, et jusqu’au lendemain je n’entendis plus parler de mes deux personnages. Mais voici le compte que me rendit Clarisse de la reconduite et de ce qui s’en était suivi.