Monrose ou le Libertin par fatalité/I/05

Lécrivain et Briard (p. 17-19).
Première partie, chapitre V.


CHAPITRE V

SECRET ARRACHÉ. DIVERSION QUI ROMPT LA SÉANCE


Comme je ne voyais pas qu’à travers ses petites plaintes madame de Liesseval marquât beaucoup de colère contre l’extravagant, il me vint soudain à l’esprit que cette Rose aurait fait tout aussi bien, au gré de sa maîtresse, de revenir quelques instants plus tard.

Je me rappelai que, pendant le trajet de Paris à la campagne, la baronne avait eu certain air pensif, sérieux ; je le lui voyais toutes les fois que son cœur commençait à lui dire quelque chose en faveur d’un nouvel amant ; car, chez cette dame, le cœur[1] était toujours de la partie. Singulière dans son genre, Clarisse (c’est un nom que mon amie se donnait volontiers à la mode des romans), Clarisse ne différait en rien des autres femmes galantes, même de celles qui le sont beaucoup, sinon que chaque caprice était pour elle une passion, en avait la marche (toujours fort rapide de la naissance au dénoûment) et le nom, dont elle ennoblissait, fort ridiculement, ses fréquentes faiblesses.

Pour tâcher de découvrir si peut-être il n’y aurait pas eu déjà quelque prévention de sa part en faveur de notre beau jeune homme, je m’avisai de dire avec gaîté : « Si cependant il vous avait violée ? — Eh mais, répondit-elle avec un soupir plus tendre que badin, il faudrait bien que je m’en consolasse ! — Avouez, ma chère, qu’on n’est pas de cette tournure-là ?… — J’avouerai encore, si vous voulez, qu’on ne viole pas avec plus de grâce… — Qu’il est d’une beauté !… d’une folie !… Qu’il aurait les plus grands torts du monde sans qu’on pût s’empêcher de l’aimer ? » Point de réponse ; pour le coup, je fus au fait. « Eh bien, madame la baronne, ajoutai-je, vous êtes folle de lui ! — Mais il l’est de vous, ma chère comtesse[2]… »

Elle s’était en même temps emparée de mes mains, avec un transport assez ordinaire aux êtres agités et gonflés de secrets dont ils brûlent d’exhaler la soulageante confidence. Je n’avais qu’un mot à dire pour guérir Clarisse de sa naissante jalousie : comme j’allais le prononcer… un bruit assez frappant, mêlé de ris, de chut, chut ! et de petits mots coupés, nous apprit qu’à vingt pas de nous quelqu’un escarmouchait vigoureusement avec une femme. Je fis signe à mon amie de ne plus rien dire ; nous nous levâmes… pas à pas, sans faire le moindre bruit, nous nous approchâmes assez pour qu’il n’y eût plus entre nous et les acteurs de la nouvelle scène, que l’épaisseur de la charmille qui formait le cabinet où elle se passait… Déjà régnait dans cet endroit le plus profond silence !… Que pouvait-il signifier ?

Monrose, 1871, Figure Tome 1 page 19
Monrose, 1871, Figure Tome 1 page 19

  1. On n’entend point ici ce que de nos jours, un bel-esprit a mis en possession d’un si beau nom, si plaisamment usurpé. En un mot, il s’agit du cœur honnête. (Note de l’auteur.)
  2. On se souvient que Félicia est veuve d’un comte ? Mais elle ne le nomme ni dans sa propre histoire, ni dans celle-ci. (Note de l’éditeur.)