Monrose ou le Libertin par fatalité/I/04

Lécrivain et Briard (p. 13-16).
Première partie, chapitre IV.


CHAPITRE IV

CONFIDENCES. CONNAISSANCE NOUVELLE


Non pas tout à fait exprès pour cette reprise de possession, mais bien afin d’être un peu plus à nous-mêmes et de pouvoir causer, sans importuns, de tout ce qui nous était arrivé pendant une séparation si longue, nous nous étions rendus à cette délicieuse terre dont on peut se souvenir que milord Sidney m’avait fait don[1]. J’y avais conduit avec nous une seule personne, la baronne de Liesseval, mon intime amie, confidente de mes plus secrètes affections, comme je l’étais alors de toutes les siennes.

Dans le jardin, au clair de la lune, tandis que notre charmant compagnon de voyage était, croyait-on, occupé, dans son appartement, d’écritures qu’il ne pouvait différer, je contais ainsi ma chance.

« Sais-tu bien, ma chère Liesseval, que ce rodomont s’est donné cette nuit les airs de me faire sept chapitres complets de ce qu’il avait à me dire ? — Je le crois fort éloquent, répondit assez tranquillement la petite baronne. — Mais, c’est qu’en vérité ce n’était point du verbiage : on ne peut haranguer plus solidement. — J’en suis certaine, et je sais de plus qu’en vous quittant, il était encore fort en état de haranguer qui aurait eu la complaisance de lui prêter l’oreille, — Que voulez-vous dire ? — Ne m’avez-vous pas fait ce matin la faveur de m’envoyer M. de Kerlandec[2] à l’heure du déjeuner ? — C’était pour vous prier de ma part de venir me joindre : il avait marqué le désir de vous saluer, et de vous offrir la main… Vous me faites penser que ce message n’a pas été bien prompt. — Il l’eût été davantage si j’en avais cru M. votre neveu. Vous étiez, disait-il, très-pressée de me revoir ; cependant, comme par l’étourderie de Rose, qui avait oublié je ne sais quoi d’indispensable, je me trouvais seule (en chemise et sous le rideau de mon lit pour tout rempart), à la merci de votre fringant ambassadeur, il lui a pris soudain une forte tentation, qui, de la manière dont il s’y prenait, ne nous eût pas en effet bien longtemps retardés. — Comment ! de la violence ? — C’est-à-dire… ce qu’on peut en employer, sans être brutal, à l’appui de certain moyen de séduire qui, parfois, arrache aux sens un demi-consentement. Vous conviendrez pourtant, ma bonne amie, qu’avec une femme à qui l’on n’a jamais dit un mot de tendresse, et qui n’est point affichée, de pareils procédés sont le comble de l’impertinence ? — On prend, à ce que je vois, de fort vilaines manières en Amérique. Comment vous êtes-vous tirée de là ? — Bien, par miracle : vous savez que je ne me pique ni d’une grande vigueur de corps, ni de beaucoup de rudesse dans le caractère ? J’avais montré du courage, en me défendant d’aussi bonne guerre qu’on m’attaquait : j’étais donc en règle. — Vous vous êtes rendue ? Mais, il n’y a pas de miracle à cela ! — Vous me comprenez mal : j’avais encore l’avantage ; mais il était au moment de m’échapper, lorsque les talons de Rose, accourant vers nous, ont changé subitement la scène : la chute du rideau m’aura mise probablement à l’abri de tout soupçon, pourvu que mon brillant adversaire ait pu, de son côté, sauver aussi habilement les apparences ; mais il devait y avoir quelque difficulté… Vous concevez, ma chère Félicia, que cette extravagance nous a fait perdre du temps ? »


  1. Voyez le deuxième volume des Fredaines.
  2. Nom de famille de Monrose.