Monrose ou le Libertin par fatalité/I/03

Lécrivain et Briard (p. 10-12).
Première partie, chapitre III.


CHAPITRE III

REVENANT-BON DE LA SAGESSE


Par un effet infiniment heureux de l’ascendant que prend une passion ardente sur toutes les autres dont les germes peuvent se trouver dans le même cœur, Monrose, homme de guerre, avait totalement oublié que la nature l’avait principalement formé pour être un homme de plaisir.

À son retour, il m’offrit, avec une vivacité qui me parut bien sincère, de rentrer dans mes chaînes. Je le remerciai fort, et toujours la même, je l’assurai qu’il n’y avait point de chaînes chez moi ; mais par accommodement j’agréai l’hommage du réveil de ses joyeuses flammes[1].

Pour moi, quelle délicieuse surprise la première fois que je lui permis l’exercice de son ancien privilége ! Pardon, cher d’Aiglemont, si vos brillants services, dont je conservais un reconnaissant souvenir, perdirent tout à coup à mes yeux les trois quarts de leur lustre, comme la plus brillante étoile pâlit au lever du soleil. Six ans d’une abstinence totale, qui ne peut guères être expliquée que par le concours des circonstances stériles pour la volupté dans lesquelles Monrose venait de vivre, l’avaient tellement conservé, mûri, trempé (l’expression n’est point hyperbolique), que je ne concevais pas, moi si familiarisée avec les perfections de l’espèce virile, comment aux traits enchanteurs, aux formes délicates d’Apollon, pouvait s’être adapté, comme exprès pour compléter un chef-d’œuvre, le plus désirable attribut de l’amant d’Omphale, ou plutôt celui qui caractérise le dieu de Lampsaque, cet épouvantail, en un mot, dont tous les monuments antiques nous affirment que notre sexe, si frêle, affrontait volontiers la brutalité, faisant grâce d’ailleurs à la laideur du dieu, pareillement consacrée. Qu’on juge de ce que devait être Monrose, quand mille beautés n’étaient, chez lui, démenties que par une monstruosité de ce mérite.

Lorsqu’il fut question de renouveler connaissance, je me gardais bien de mettre au jour les agréables réflexions que je faisais tout bas sur cet émerveillant phénomène. Heureuse d’une découverte qui, d’après ce que j’avais autrefois connu, trompait excessivement mon attente, je ne portais encore aucun jugement. Ceux qui promettent le plus, tiennent quelquefois si peu ! mais mon preux sut bien me prouver que la fanfaronnade n’était du tout son genre… « À la bonne heure, me dis-je. Il y a mis aujourd’hui de la vanité ; mais laissons le faire, il sera bientôt obligé d’en rabattre : comme, pour lors, je me moquerai de lui ! »


  1. Le lecteur voudra bien me permettre de lui rappeler que, quoique tante de Monrose, je n’ai qu’à peine dix-huit mois de plus que lui. (Note de l’auteur.)