Monde/13
13
La Société
Après la nature, après l’homme, c’est de la société qu’il est à traiter ; de la société envisagée en elle-même, en sa distribution dans l’espace, en son évolution dans le temps. De la société qui donne lieu aux sciences sociales, à la sociologie.
130 QUESTIONS GÉNÉRALES.
La Société peut être définie par les caractères suivants :
1o L’ensemble constitué et relié ;
2o Des hommes groupés ;
3o Dont les forces et activités ;
4o Organisées en fonctions diverses et toutes solidaires (domaines et réseaux) ;
5o Et ayant pour objet la satisfaction de besoins de divers ordres ;
6o Activités étant également de divers ordres (choses, biens et services) ;
7o Activités donnant lieu chacune à un cycle de production, distribution, répartition, consommation ;
8o Sur la base de la contrainte, de l’échange ou du don ;
9o Cycle s’exerçant dans une structure (idées ou croyance, institutions, choses physiques) ;
10o Au sein de la nature, conditionnée par elle et l’utilisant ;
11o Structure occupant un espace divisé en aires locales, régionales, nationales et internationales ;
12o Ensemble formé au cours du temps selon son mouvement propre : dans le passé par l’hérédité sociale ; dans le présent par les opérations sociales quotidiennes ; dans l’avenir en se conformant à un plan défini, conscient et voulu. La réalité sociale est chose dynamique et non statique Elle n’est pas immuablement identique à elle-même ; elle a évolué, elle est devenue, elle devient et, vraisemblablement, elle deviendra. A l’instar de la masse stellaire, de la masse géologique et comme son prolongement minuscule, mais d’une immense complexité, connaissable et rendue consciente, cette masse vit et se transforme sous l’action des forces qui œuvrent en elle. Aussi, avec des buts divers, des moyens divers et sous des noms divers, partout la société est en transformation.
Le monde a grandi pour nous dans toutes les directions. Une immense sphère, humaine et sociale, est venue se surajouter aux autres sphères dont l’emboîtement constitue le monde. Cette sphère, c’est directement la nôtre. Aussi est-il requis que les détails en soient exposés, quelque disproportion il y ait en soi entre de tels détails et l’immensité des problèmes de la nature traités antérieurement.
Dans toutes les branches des connaissances ayant pour objet la société, il y a lieu de distinguer ; 1° la pensée sociologique ou science et son histoire ; 2° la réalité sociale, les faits et leur histoire ; 3° la critique sociale et ses critères ; 4° le plan social et ses buts objectifs. Les quatre points de vue doivent pouvoir se développer parallèlement pour chacune des branches et pour chacune des questions.
La matière se divise de la manière suivante : Généralités ; la société, les sciences de la société. Parties : le territoire et la population ; les six domaines de la vie en société : l’hygiénique, l’économique, le social, le politique, le culturel, -le religieux.
L’Univers des choses sociales et le Problème mondial. — Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie ; Trois continents, cinq parties de la terre, 60 États, autant de grandes colonies et nationalités, deux milliards d’humains, six ordres de vie pour les populations dans ces vastes territoires entourés d’eaux trois fois plus étendues encore, avec une population animale et végétale innombrable ; partageant l’espace, avec la plongée dans une atmosphère et un milieu de forces chimiques et physiques, entraîné vers des lointains cosmiques parmi tous les astres du ciel, ayant à agir avec l’invisible et l’inconnu. Dans ce cadre, le déploiement des vies individuelles, du moi et du subjectif, conditionné par le non-moi et l’objectif.
Le problème mondial est posé devant nous au sens social et limité du mot. De la solution dépend sinon l’existence humaine, du moins les formes de cette existence. Dans chacun des domaines de la vie sociale, ce n’est que trouble et déséquilibre. Le monde a grandi de telle sorte que sa structure antérieure dans aucun d’eux n’est plus capable d’enserrer ses activités. En conséquence, tous les problèmes sont devenus fonctions les uns dès autres. Pour éviter la guerre (politique), la crise (économique), la révolution (sociale), l’antinomie (intellectuelle), la solution est demandée à une nouvelle structure : un nouvel équilibre, un nouvel ordre, une nouvelle organisation, un nouveau plan, une nouvelle civilisation. Une civilisation qui soit à la fois universelle (tous les domaines), internationale (tous les pays), active (dynamique) et progressive (susceptible d’un développement continu).
Comment d’un coup d’œil embrasser ce complexe universel, le Monde ? Comment être sûr d’en avoir inventorié tout ce qui agit en lui, sur lui, comme facteurs, et de l’avoir inscrit en une totale équation ? Comment être à même de prévoir au moins le proche futur, demain seulement ou fût-ce même dans l’instant qui nous sépare de deux lectures de journaux ? Au milieu des contradictions, des oppositions, des conflits surtout, et alors que la nature, prolongée en la société, nous est hostile, ou tout au moins indifférente, comment nous fixer un but et une fin à nous-mêmes, à nos groupes, à l’Humanité ? Comment travailler selon des plans raisonnés, individuel, local, national, par un Plan mondial ? Voilà les questions ultimes, qu’implique tout examen de la situation du monde, du « quid » en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, en Océanie.
Notion de l’association. — L’association est un phénomène universel dans la nature et non seulement parmi les hommes. Elle se retrouve dans l’univers à tous les degrés de l’échelle, depuis les atomes de la vie inorganique jusqu’aux sociétés beaucoup plus complexes des animaux (familles, troupeaux, bandes)[1]. On ne peut fixer aucune limite à l’association.
Tout ce qui existe vraiment existe en tant que synthèse plus ou moins imparfaite, association plus ou moins discordante. Nous ne connaissons rien de la société à l’atome qui puisse s’affirmer absolument simple. Et ce qui fait l’unité, et par conséquent l’existence de l’atome, de l’individu biologique, de l’âme de la société, c’est l’association.
L’homme vit en société. Comme on ne connaît pas d’hommes vivant avec continuité hors de la société, celle-ci est donc la condition normale de l’homme. Qu’est-ce que la société ? Quelle est sa nature ? Sur quoi se repose-t-elle ? Quelles sont les conditions générales de l’existence et de l’évolution des sociétés ? La réponse à ces questions doit embrasser les associations de tous degrés et fournir les éléments d’une théorie générale de la société sur laquelle puisse s’appuyer à son tour l’édification d’une Société des Nations. Il ne faut pas perdre de vue en effet que les mots de : gouvernement, individu, droit, devoir, arbitraire, loi, justice, liberté, indépendance, coercition, force, etc., sont susceptibles de plusieurs définitions. Ces termes au surplus sont corrélatifs et, pris en fonction l’un de l’autre, ils constituent un système. Toute modification dans la conception de l’un d’eux entraîne des modifications corrélatives dans la notion des autres. Il faut être donc précis et systématique au risque de ne point s’entendre sur les fondements mêmes de ce qu’on veut édifier.
Association implique action réciproque d’un corps sur un autre. Son fait capital c’est qu’elle constitue non seulement une addition à la puissance vitale mais une multiplication de cette puissance. Un homme isolé soulève 30 kilos ; cent individus soulèvent non 3,000 mais 300,000 kilos et plus. Trente ouvriers se partageant la besogne peuvent fabriquer par jour 15,000 cartes à jouer, soit 500 par tête ; travaillant séparément chaque ouvrier pourrait fournir au plus 2 cartes par jour. L’association donne donc dans ce cas une puissance de 250 fois supérieure à la simple addition de forces. (Exemples cités par J.-B. Say.) On peut s’imaginer les immenses forces latentes que peut mettre en œuvre l’association érigée au degré international. L’association s’effectue par un échange de services, autrement dit par une circulation vitale. L’association est un moyen ; la fin est l’intensité vitale de l’individu ; car, il ne faudrait jamais le perdre de vue, l’association comme telle n’est qu’une entité métaphysique sans réalité concrète. Le but vers lequel tendent tous les organismes c’est le maximum d’intensité vitale, en d’autres termes le maximum de conscience. Depuis l’apparition des animaux les plus inférieurs jusqu’à la formation des sociétés humaines les plus parfaites, la direction vers ce but s’accuse de plus en plus. Le progrès se marque par la transformation de l’inconscient vers le conscient. Tout ce qui favorise le mouvement dans cette direction s’appelle le bien ; tout ce qui le contrarie est le mal.
Histoire des doctrines concernant la société. — Les Anciens, après eux les Chrétiens, envisagent la Société comme d’institution divine. Lucrèce cependant esquisse déjà une théorie d’après laquelle la société serait d’invention humaine. Les Pères de l’Église, saint Thomas et les scholastiques développent les bases d’une société dans le cadre de l’Église. Hobbes fait de la société un produit de la raison par opposition à l’état de nature qui est l’état de guerre : par un contrat social d’universel renoncement à tout droit est constitué, en vue de la paix, un monstre, le « Leviathan », despote sans règle ni frein, organisateur du droit civil et de la religion. Locke admet, de même que Hobbes, un état de nature antérieur à la vie en société. Pour Spinosa, la société est un produit de la raison qui doit faire que « l’homme devienne un Dieu pour l’homme ». Jean-Jacques Rousseau suppose un droit naturel auquel succède le droit civil par un contrat social librement consenti. L’École historique fonde la vie politique sur le fait et la tradition. Hegel voit dans la société l’effet d’un processus dialectique et naturel, qui a pour fin la création d’une personnalité morale, l’État. Renouvier et Fouillée modifient la conception du contrat social dans lequel ils voient le fondement idéal de la vie collective. Selon Durkheim, les sociétés humaines prennent naissance au sein de l’État grégaire, dans la « solidarité mécanique qui peu à peu se transforme en « solidarité organique », grâce au progrès de la division du travail social. Elles ont une vie propre, qui est autre chose que la somme des existences individuelles. Cette existence s’affirme dès le début de l’évolution sociale par le dévouement spontané des intérêts collectifs et par le culte du « totem », qui est une partie de la société primitive divinisée. Pour Comte, Spencer, Lilienfeld, Novicow, Schaeffle, De Greef, Worms, la société est un organisme ou hyper-organisme vivant, ayant des fonctions analogues à celles des individus. Pour Tarde elle est le produit de l’invention et de l’imitation. Pour Karl Marx et Loria toute l’évolution sociale est subordonnée à l’évolution économique (matérialisme économique). Pour de nombreux sociologues allemands (Gumplovitz, etc.) les sociétés humaines sont dominées par la « lutte des classes ».
Nature et fondement des sociétés humaines. — Quelle est la nature de la société, le fondement du lien social, ce par quoi les sociétés sont produites et se soutiennent ? On peut dire que les sociétés sont à la fois des organismes, des mécanismes, des unions d’intelligence. Assurément, ce ne sont là que des comparaisons, des analogies, mais elles ont toutes leur valeur. Moins pour ce qu’il faut expliquer peut-être que pour ce qu’il faut créer. En effet, plus nous possédons de types de structure, — par exemple l’organisation animale, la machine, une société savante, une entreprise industrielle, qui met en relation des milliers de travailleurs et des millions de capitaux, — plus notre imagination constructive a de modèles auxquels elle peut emprunter pour ses propres créations. Ceci est d’un intérêt majeur pour le problème qui nous occupe : la structure de la vie internationale.
A. Les sociétés sont des organismes. Un organisme c’est un ensemble de cellules vivantes groupées d’une certaine façon particulière, remplissant des fonctions déterminées mais travaillant toutes au profit du corps entier. Une société est un ensemble de familles groupées d’une certaine façon, remplissant des fonctions déterminées mais travaillant toutes au profit du corps social tout en recherchant leurs propres avantages. Toute individualité vivante résulte d’un complexe inouï d’éléments chimiques, physiques et psychiques. De même les sociétés réalisent une complexité infinie d’éléments de toute nature. Comme les formes les plus hautes de la vie organique individuelle, la vie sociale a deux caractères essentiels : elle est une somme de vies partielles, une combinaison d’organismes. Elle reflète une idée directrice, une tendance à l’exécution d’un plan où tout converge vers l’équilibre. On objecte qu’un organisme vivant est un continu tandis que la société ne l’est pas ; mais qui peut dire en ce moment si nous ne faisons pas partie d’un vaste organisme qui occuperait toute la terre ou presque toute. Entre les cellules de la colonie qui forme notre corps il y a, à l’échelle de grandeurs des cellules, des espaces qui sont au moins aussi grands que ceux qui séparent naturellement un homme d’un autre homme. Et pourtant il ne viendra à l’idée de personne de nier que notre corps soit un continu. La masse humaine au même sens serait un continu et dire qu’elle est un organisme aurait alors un sens précis.
B. En un certain sens les sociétés sont des machines. Leurs institutions sont comme ces dernières formées d’organes, qui, agencés d’une certaine manière, plutôt que d’une autre, obtiennent un rendement différent. Mais les organisations syndicales ne sont pas que des machines. On ne peut arbitrairement les construire d’une pièce. C’est du développement des formes antérieures qu’elles doivent naître. Toute société nouvelle est en germe dans la société antérieure. La méthode de construction sociale peut donc s’inspirer des méthodes de construction technique, mais elle en diffère profondément et par cela reste une méthode propre. D’après l’âge des sociétés les réformes peuvent être plus ou moins profondes. Un homme par un acte volontaire peut donner à sa vie une autre organisation. Ainsi les révolutions qui aboutissent donnent aux sociétés une autre structure.
C. Les sociétés sont aussi des unions d’intelligence. L’intelligence consciente est la caractéristique de l’homme. Tout ce qu’il éprouve, tout ce qu’il pense, tout ce qu’il veut tend à se traduire en idées de plus en plus claires, exprimées en un langage de plus en plus adéquat et partant de plus en plus aisément communicable. À mesure que progressent les sociétés il est davantage possible de faire des idées le fondement du lien social, de les asseoir par conséquence sur le libre contrat, sur la coopération volontaire pour des fins élevées, pour un plan (finalisme social).
Personnalité morale des associations. — Les sociétés générales et les sociétés particulières sont des personnes morales. Les moralistes, les politiques, les juristes ont créé la conception de la personne morale. Dans l’association, voire même dans la simple volonté douée d’une manière permanente des moyens de se réaliser (fondation ou but doté d’un patrimoine), ils ont vu une entité distincte des personnes qui la composent et possédant son existence propre. Est-ce là une fiction doctrinale, et purement légale, ou bien est-ce une réalité objective ? Des discussions sans fin ont agité ce problème, qui au moyen âge déjà avait trouvé son expression fondamentale dans la querelle des universalistes et des nominalistes. (Les noms généraux correspondent-ils à des réalités ? L’universel est-il une vue de l’esprit, ou existe-t-il réellement ? Quelle est l’ontologie de la personne morale ?) Mais il en est de ces entités morales, juridiques, politiques, comme des entités qu’avaient créées autrefois la physique, la chimie, la physiologie et jusqu’à la médecine ; toutes les forces étaient matérialisées ; l’électricité était un fluide et la chaleur aussi ; la vie était distincte des êtres vivants (vitalisme) ; chaque maladie était d’une essence distincte. Les fictions légales et morales sont nécessaires, indispensables, pour traduire à l’esprit certaines réalités, certains complexes de forces qui autrement resteraient vagues et fuyants ; mais leur caractère de fiction ne doit jamais être perdu de vue. La conscience collective n’a pas la même réalité que la conscience individuelle. Quand on emploie l’expression « âme collective », on n’entend pas « hypostasier » la conscience collective. Il ne faut pas plus admettre d’âme substantive dans une société que dans l’individu (Durkheim). La volonté de l’État n’est pas autre chose que la volonté des individus désignés pour parler au nom de l’État. En raisonnant autrement, on risquerait fort de tomber dans une métaphysique, juridique et politique, voire dans une mythologie ou théologie qui conduirait directement à de monstrueuses exagérations, celles qui caractérisent aujourd’hui les notions courantes de certains pays sur l’État, érigé en personnalité distincte des individus qui le composent et immolant ceux-ci au néant de sa destinée et de sa gloire.
Éléments généraux des sociétés. — Toute société arrivée à un certain degré de civilisation et continuant à se développer repose sur : a) une autorité ; b) des croyances : conscience des vrais besoins sociaux et doctrines des principes de l’organisation sociale ; c) un programme : buts à réaliser en commun, idéal national ; d) une organisation : agencement des institutions en système de lois ; e) une activité optimiste et impliquant une joie dans l’activité, une confiance dans l’avenir, une atmosphère incitant à l’action, voire un enthousiasme par les fins communes (une mystique à bien distinguer des formes mythologiques. Hors l’Etat, cette mystique peut avoir l’existence de fait d’une Nation ou Nationalité.
Variété et importance du rôle des associations. — Il faut distinguer la société et les associations. La société, ou corps social, est l’ensemble des hommes en tant qu’ils vivent sous des lois communes ; elle a son expression dans l’Etat. Les associations sont des groupements qui ne comprennent qu’une partie de leur activité. La multiplication des associations, confédérations de toutes espèces, capitalistes, ouvrières, politiques, charitables, scientifiques, artistiques, sportives, etc., est un des phénomènes les plus caractéristiques des temps modernes. Le moyen âge aussi fut une époque prodigieuse d’associations. Il créa tout par l’association. À cette époque s’épanouit la plus puissante association que l’Occident ait produite depuis l’antiquité, l’Eglise appuyée de ses associations monastiques. De nos jours, dans les pays libres, il n’est plus guère d’institutions, d’idées ou d’œuvres dont les « amis » ne jugent à propos de se grouper. Le mouvement est spontané, naturel. Tout citoyen fait même partie de plusieurs de ces associations. Et les individualistes, les isolés par tendance ou caractère doivent, bon gré, mal gré, en faire partie, s’ils ne veulent pas laisser aux agités ou aux intrigants la direction de ces innombrables groupements, qui en réalité forment l’opinion publique et contribuent à assurer à lEtat son unité nationale. Citons un chiffre. En 1900, c’est-à-dire à une époque antérieure à la loi du 1er juillet 1901, et où par conséquent toute association non autorisée était illégale ( !) on comptait officiellement en France 45,148 associations sans but lucratif. Les faits se jouent de toutes les théories et la prolifération des associations continue.
Le droit public moderne a dû forcément s’adapter à l’existence de ces puissants groupements, déterminer les règles de leur coordination et leurs rapports avec les gouvernements. Les anciennes théories civilistes de la Révolution, opposées à l’association, ont été impuissantes à s’opposer au mouvement. Quant aux théories collectivistes, elle concluent à l’absorption de tous ces groupements par l’Etat.
Il ne faut pas s’y tromper : entre les associations d’avant guerre, qui n’avaient pas à agir nécessairement par la bureaucratie mais par des corps formant une certaine indépendance et celles d’autrefois, il y a des différences radicales. Au moyen âge l’homme appartenait tout entier à sa corporation. Celle-ci était obligatoire ; elle défendait les intérêts inhérents à son métier ; placée sous le patronage d’un saint, elle était aussi une confrérie dont les membres se réunissaient le dimanche dans la chapelle qui était la leur dans la cathédrale. Et c’était à l’intermédiaire de sa corporation que l’homme avait une influence sur les destinées de la cité, car les assemblées communales étaient composées notamment de représentants des corporations. L’évolution lentement s’est faite. À l’association polyforme du moyen âge, qui suffisait à elle seule à tous les besoins économiques, religieux et politiques de ses membres, se sont substituées plusieurs espèces d’associations différentes. Les ouvriers de nos jours ont leurs syndicats professionnels, mais ceux-ci en général ne s’occupent que de leurs intérêts économiques et sociaux. Ils ont leurs grandes associations politiques, représentant des idéals opposés et contradictoires : celles-ci socialistes, celles-là libérales ou conservatrices. Ils ont leurs organisations religieuses ou philosophiques, leurs paroisses, leurs sodalités ou leurs loges maçonniques. C’est la division des fonctions. C’est la liberté d’association. Un même syndicat professionnel peut comprendre des catholiques, des protestants et des juifs ; un même parti politique enrégimente des ouvriers de toutes les professions et, avec eux, des patrons, des hommes de science et des hommes d’église ; une même paroisse unit des âmes réparties très diversement dans l’action politique ou l’exercice des professions. C’est la liberté, qui favorise toutes les indépendances et facilite tous les groupements, la liberté conciliable avec l’organisation tenant compte de la liberté, de toutes les libertés, de toutes les nuances de la liberté. Rien ne s’est opposé à ce qu’un esprit soit classique en architecture, wagnérien en musique, impressionniste, pointilliste ou cubiste en peinture.
L’association est donc devenue la manifestation d’un mouvement qui s’étend dans toutes les directions et qui réagit sur la structure même de l’Etat. Elle nous conduit à une variété d’organismes aussi contraire à l’uniformité collectiviste qu’à l’émiettement individualiste. Elle réalise non l’égalité absolue, impossible, de tous dans l’Etat, mais l’égalité relative de chacun dans son groupe. L’association moderne est libre et ouverte. Elle se recrute dans toutes les classes, dans tous les partis, dans toutes les professions. Chacun peut à son gré y entrer ou en sortir ; on passe d’un groupe à un autre, on figure simultanément dans plusieurs groupes. Toute association contient un ferment d’unité, la conscience d’un intérêt collectif. Importante au point de vue social et économique, au point de vue politique, elle devient pour le mécanisme gouvernemental de la démocratie contemporaine ce que la corporation fermée était au moyen âge. Elle entreprend de plus en plus ce que faisait l’Etat ; elle rend des services publics et décharge l’autorité centrale d’une mission qui doit être remplie dans tous les cas ; c’est une forme nouvelle de l’idée d’administration. Pour remplir sa mission l’association a ses statuts organiques, ses assemblées générales, ses comités administratifs et ses agents exécutifs, un patrimoine, un budget, des finances, parfois un conseil disciplinaire. Une compagnie de transport qui fait des règlements obligatoires pour ses voyageurs dans les limites de ses attributions est-elle autre chose qu’une collaboratrice de l’Etat, un corps législatif d’un ordre subordonné ? En Angleterre depuis longtemps, en Allemagne depuis le code civil de 1900, en France depuis l’œuvre de Waldeck-Rousseau (1884), les textes législatifs reconnaissent des séries de « trustees », de corporations, d’associations, d’unions.
Ils proclament officiellement leur unité publique ; ils leur procurent plus de force pour le bien en leur fournissant l’armature de la personnification civile[2].
Mais aucune limite ne peut être assignée à la puissance de l’association. Il n’existe ni un moment, ni une ligne de démarcation où l’association cesse de multiplier l’intensité vitale de l’individu, c’est-à-dire cesse d’être bienfaisante. Il s’en suit que « Fédération universelle » et « maximum d’intensité vitale de l’individu » sont des termes identiques (Novicow).
La Communauté Internationale. — Le Monde était formé jusqu’ici d’individus au nombre de 2 milliards, d’associations locales, régionales, nationales au nombre de millions, d’Etats autonomes au nombre d’une soixantaine ayant ensemble environ 6, 000 provinces et 200,000 villes.
Un libre effort de concentration a créé en ces dernières décades : dans le domaine scientifique et social : environ 500 associations internationales ; dans les domaines économique, industriel et financier, 200 trusts internationaux ; dans le domaine du travail : environ une cinquantaine de syndicats et corporations internationales ; dans le domaine politique ; des partis internationalement organisés ; dans le domaine religieux ; cinq grandes religions universelles avec leurs églises.
À ces éléments se superposent de grandes confédérations ou organisations internationales, telles que : Conseil international de Recherches, Union Académique internationale, Union Syndicale internationale, Les Essais d’une Union des Religions pour la Paix, l’Union des Associations Internationales.
Dans l’ordre diplomatique, administratif et officiel, il existe : au premier degré, une Union Internationale des Villes ; au deuxième degré, nombre d’ententes gouvernementales politiques ; au troisième degré, de grandes unions intergouvemementales spécialisées, au nombre d’environ une vingtaine (par ex. : Poste, Télégraphe, Chemin de fer) ; au quatrième degré, des Unions continentales : Panaméricaine, Paneuropéenne en formation, Panasiatique en prospection ; au cinquième degré, une Société des Nations, de principe mondiale et universelle dont font déjà partie 54 États et qui étend son activité dans les domaines politique, économique, hygiénique, intellectuel, humanitaire.
Les Associations internationales. — Ce qui s’est produit à l’intérieur des États, où les besoins les plus divers, les intérêts les plus variés, les aspirations les plus hautes de la pensée comme les nécessités les plus matérielles de l’existence journalière ont provoqué la fondation de sociétés et de ligues, s’est produit également dans le Monde, mais amplifié aux proportions grandioses et vastes du globe terrestre. Cette floraison inattendue est née au premier tiers du XIXe siècle et constitue une caractéristique des débuts du XXe siècle. Les hommes, en dehors de toute préoccupation étroite de nationalité, de secte, de classe, ont éprouvé le besoin de délibérer périodiquement en commun et d’entreprendre des œuvres d’utilité générale. Offices, bureaux, instituts, congrès et conférences se sont multipliés et les individus se sont groupés en de vastes associations internationales. Celles-ci sont devenues, chacune dans un domaine particulier, la plus haute représentation des intérêts universels et humains et les organes centralisateurs du mouvement vers l’organisation internationale.
Dans tous les domaines de la science et de l’action, des organismes internationaux ont été créés. Il en a été relevé plus de cinq cents jusqu’à ce jour. Les nationalités les plus diverses sont représentées dans ces associations qui, en principe, sont ouvertes à tous les pays. Depuis 1840, date du premier congrès international jusqu’à nos jours, il s’est tenu plus de 3,000 réunions internationales. Un siège permanent avait été fixé en Belgique pour 52 associations, en France pour 36, en Angleterre pour 72, en Hollande pour 7. Les associations internationales ont été amenées à constituer entre elles une Union qui a été fondée en 1910.
On a défini l’association internationale celle qui a un but d’intérêt public, mondial, universel, ou susceptible de le devenir ; qui est ouverte aux éléments semblables, particuliers ou collectivités de tous les pays ayant le désir d’y entrer ; qui n’a pas de but lucratif au sens usuel et juridique du mot ; enfin, qui possède une institution permanente, pouvoir exécutif qui vit et fonctionne avec continuité (conseil, comité, commission, bureau, office, institut, secrétariat, etc.). Les congrès internationaux qui ont une commission permanente et un ordre de succession réglé sont de véritables associations internationales. Les associations internationales sont de deux sortes : les unes libres et constituées par l’union d’individus ou de groupes nationaux également libres, les autres officielles et formées par l’association des États eux-mêmes, unis pour réaliser des objets d’intérêt commun.
Notions. — La science de la société, des hommes vivant en société, est la sociologie. Elle comprend une partie générale, sociologie proprement dite, et une partie spéciale divisée en branches ou sciences sociales particulières.
La sociologie générale tend à établir la théorie générale de la société humaine, c’est-à-dire la recherche des traits communs à toutes les phases historiques parcourues par elle. Elle étudie selon des méthodes positives son organisation et son évolution. L’étude de l’organisation ou structure nous montre ce qu’il y a d’essentiel dans les faits sociaux. Elle nous fait connaître les conditions élémentaires sans lesquelles une société quelconque ne pourait exister, elle nous dévoile la structure fondamentale du corps social (statique, anatomie). L’étude de l’évolution sociale nous montre la vie sociale, produit de l’organisation (dynamique, physiologie) ; elle conduit à la théorie du progrès, de la décadence des sociétés et des possibilités d’une action sociale dirigée.
Autant de relations différentes entre les hommes — rapports avec le territoire et entre les catégories de la population, rapports économiques, politiques, juridiques, intellectuels, moraux, religieux et relations de langage qui servent de véhicule à toutes les autres — autant de sciences sociales distinctes qui s’appellent la géographie humaine, l’ethnographie, la démographie, l’économie, la science et l’hygiène sociale, l’économie dite politique, l’économie dite sociale, la politique, le droit, l’économie intellectuelle et la morale, la science des religions.
La sociologie, la plus complexe des sciences, fait des emprunts aux sciences philosophiques, mathématiques, physiques, biologiques, psychologiques. Les résultats généraux de ces disciplines, qui lui sont antérieures dans la hiérarchie des sciences lui fournissent les principes premiers auxquels elle rattache ses propres explications. Il y a ainsi continuité théorique dans l’explication générale de toutes les réalités existantes. Les études de la sociologie et de toutes ses branches, sont conduites pour elles-mêmes, comme sciences pures, mais à côté de chacune d’elles se développent des études d’applications en vue de mieux diriger notre intervention modificatrice sur la société. La méthode des politiciens consiste à écouter les plaintes des intéressés, de certaines catégories d’intéressés. La méthode des hommes de science consiste à s’appuyer sur des faits permanents ou généraux, attestés par des observateurs désintéressés ou relevés dans des documents soumis à un contrôle sévère et concordant, bien qu’ils émanent de sources différentes. La possibilité d’une science positive des faits sociaux, impliquant l’énoncé de lois propres, repose sur cette double constatation : il y a des faits sociaux et ils ne sont autre chose que la somme des faits psychologiques (phénomènes de l’ordre scientifique immédiatement antécédent) ; il existe un déterminisme historique et sociologique (qui n’exclut pas nécessairement l’idée d’une liberté métaphysique à l’œuvre dans la société humaine, notamment par l’intermédiaire des élites et des hommes de génie, l’idée d’un plan et d’une volonté finaliste).
Il n’y a eu de sociologie générale que le jour où les esprits ont envisagé l’ensemble de la société. Dans les études qui concernent les êtres vivants, on est constamment rappelé à la notion d’ensemble par la cohésion que présentent toutes les parties d’un organisme quelconque d’un ordre un tant soit peu élevé. Le corps social, lui, est formé d’organes qui peuvent concourir ensemble, qui concourent en fait, mais qui jouissent d’une certaine indépendance. La notion de concours est donc moins nette. En outre, il nous faut voir constamment comment tout s’enchaîne et se lie, comment un état social déterminé dérive de ces antécédents et prépare l’état qui doit lui succéder. En vérité tout est germe dans le passé le plus lointain. La continuité, non contestée à l’égard des faits vitaux, ne peut plus l’être maintenant quant aux faits sociaux. Or, il est déjà fort difficile de fixer constamment sa pensée sur toutes les parties d’une société quand on envisage simplement un groupe local ou une nation, à combien plus forte raison la difficulté est-elle grande quand il s’agit d’envisager la communauté humaine tout entière. Il y a là dans d’effort que doit faire l’esprit un degré de plus à gravir. Cette ascension caractérise la sociologie internationale.
Histoire des sciences sociales. — Platon, Aristote, saint Thomas, les Scolastiques, Hobbes, Machiavel, Spinoza, Locke, Montesquieu, Condorcet ont successivement exprimé des vues d’ensemble sur la société. Mais la constitution des sciences sociales est issue des œuvres caractéristiques du XIXe siècle. Des quantités immenses de faits ont été observés, colligés, coordonnés ; des explications ont été présentées, sous forme de théories d’abord, de lois ensuite. Ce travail s’est accompli avec une patience et une persévérance remarquables. Là où l’on ne voyait encore, à la veille de la grande Révolution française, qu’entités abstraites sur lesquelles le raisonnement seul pouvait agir, une sorte de métaphysique de l’Etat, de l’homme, du corps social, voici que l’analyse et l’expérience ont découvert une infinité de forces agissant dans des complexes variés, désormais incompréhensibles en dehors de l’intelligence de ces forces elles-mêmes.
Après qu’eurent œuvré les physiocrates Saint-Simon et Fourrier, Auguste Comte le premier eut l’idée de concevoir les faits sociaux dans leur ensemble, comme matière d’une étude scientifique et positive, la plus compréhensive de toutes, il lui donna le nom de sociologie. Il voulut faire de la société humaine une étude statique, sorte d’anatomie et de physiologie sociales, et une étude dynamique par la loi des trois états ou du passage de l’état théologique à l’état métaphysique et à l’état positif, pour la pensée comme pour les institutions humaines. Avec Espinas la sociologie s’est étendue à l’étude des sociétés animales. Spencer l’a rattachée à son système évolutionniste. Durckheim a posé certaines règles de la méthode sociologique concernant les statistiques, la constitution des concepts et l’étude des « réalités sociales », indépendamment de toute considération psychologique ; il a appliqué ces règles à l’étude des faits économiques, religieux, etc. Tarde, au contraire, a vu dans la psychologie sociale une étude préparatoire indispensable et vraiment féconde. Des sociologues ont ensuite spécialisé les études : phénomènes géographiques, politiques, juridiques, religieux, esthétiques, ethniques, etc. Quelques-uns ont esquissé une sociologie mécanique, réduisant à des rapports quantitatifs les lois les plus générales de l’activité collective. L’étude des classes sociales a donné naissance à une sociologie criminelle.
La République de Platon, la Politique d’Aristote, la Cité de Dieu de saint Augustin, la Cité du soleil de Campanella, le Léviathan de Hobbes, l’Utopie de Thomas Morus, le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, le Grand Œuvre d’Auguste Comte, l’Hyperorganisme de Herbert Spencer, etc., etc., sont autant de conceptions logiques, mystiques, juridiques, biologiques, proposées aux peuples par les plus grands génies.
La sociologie allemande.[3] — On ne saurait comprendre les tendances réalistes de l’Allemagne en sociologie qu’à la lumière de son histoire, car les effets de la Réforme, de l’Aufklärung, aussi bien que du développement du capitalisme, y ont produit des résultats bien différents de ceux de l’Europe occidentale. Peut être que le plus important a été la survivance en Allemagne de certains restes du système féodal, qui engendre une armée de bureaucrates et de professionnels qui ne furent pas des « libéraux », mais des soutiens et des dévoués de l’Etat. C’est à ce fait entre autres que l’on doit la puissance toute particulière du Romantisme en Allemagne. La science nouvelle de la sociologie y prit naissance dans un certain processus dialectique : l’Aufklärung étant la thèse, la contre-révolution intellectuelle exemplifiée par le romantisme, l’antithèse et la sociologie une tentative de synthèse. Sur ce point il y eut divergence entre la pensée de l’occident et celle du centre de l’Europe. La pensée de Stein, par exemple, fut un produit de ces fécondations croisées des cultures et aussi celle de Marx. Celui-ci retourna la doctrine de Hegel. Pour lui la conscience ne détermine pas l’être, mais l’être détermine la conscience : première approche de la doctrine moderne, du déterminisme socio-psychologique. Comme un résultat des courants opposés auxquels la sociologie allemande a été exposée, elle a pris plus de soins que d’autres écoles en posant les fondements philosophiques et en particulier elle s’est gardée d’accepter trop vite et trop complètement les méthodes des sciences naturelles, méthodes qui maintenant dominent beaucoup la sociologie occidentale. Dilthey, Rickert et Husserl ont traité avec profondeur ces problèmes. En dépit et peut être à cause de leur profondeur, le travail de ces logiciens a un côté obscur. Il en est résulté un véritable déluge de recherches logiques et méthodologiques dénuées de bases expérimentales. Néanmoins la tendance allemande de penser les choses jusqu’à leurs dernières simplifications a été féconde, comme le montrent les œuvres de Simmel, Weber, Sombart et Troeltsch.
Depuis et de par la guerre et les grandes crises intérieures, la sociologie allemande a opéré un immense travail d’approfondissement : problème de la totalité sociale et de l’interdépendance de ses parties ; évolution historique des formes de vie ; contact entre la politique, l’histoire littéraire et la sociologie ; subconscient individuel et social ; notion distinctive des sciences naturelles et des sciences culturelles ; interprétation philosophique du monde.
Une science générale de la société. — Une science générale de la société est nécessaire à notre effort vers le mieux. Nous employons à dessein ce terme, parce que les deux autres expressions « sociologie ou science sociale » ont malheureusement été appliquées à des formes et à des synthèses particulières ou comprises dans un sens limité. Il s’agit des généralités communes aux sciences sociales particulières.
La science de la société manque en ce moment comme lien entre les hommes. Elle manque à ces trois degrés ; son élaboration, son étude, son application. Il existe une science générale de la nature, une science générale de l’être humain, une science générale de la technique ; mais il n’y a pas, présenté aux utilisations, une science générale de la société. Par rapport à elle, l’économie politique et le droit sont l’une et l’autre des sciences particulières. Si encore ensemble elles en couvraient le domaine, on résoudrait la difficulté en les étudiant simultanément toutes deux.
Mais ni l’une ni l’autre n’abordent fondamentalement les données générales de la société ; elles ne commencent leurs développement qu’à partir de soi-disant postulats auxquels elles se réfèrent. D’autre part aucune mission ne leur est dévolue de formuler des principes susceptibles de servir de lumière et de guide dans les autres domaines. C’est pourquoi ceux-ci sont abandonnés chacun à eux-mêmes. Ainsi la psychologie sociale, la statisique, l’histoire, l’organisation scientifique des entreprises, la comptabilité, la documentation, la technique du travail intellectuel continuent à exister sans lien les unes avec les autres. Au contraire, que soit formulée, admise et enseignée une science générale de la société, et tout se simplifie, s’intégre, se féconde. Les généralités de chaque discipline se fondent en des généralités communes à toutes ; une base générale est donnée à toutes les démarches de l’esprit. Et, entre tous ceux qui se sont spécialisés dans l’une d’elles, s’établissent des liens intellectuels, précieux, de collaboration utile.
La sociologie est appelée à s’inspirer de toutes les méthodes des autres sciences. Ainsi la mathématique, avec son algorithme, lui montre le chemin des formules et des équations ; la physique, avec la théorie des ondes, l’amène à considérer en ondes les mouvements sociaux ; la biologie et la théorie de l’évolution lui sont inspiration pour la manière de concevoir l’histoire ; la géologie doit retenir son attention par sa tectonique qui travaille à produire l’image de toute une masse en mouvement, provoquant tous les faciès connus.
Mathématique et sociologie. — La crise actuelle montre l’économie de tous les pays profondément affectée. Elle aboutit à cette double conclusion : l’économie est devenue mondiale et universelle, chacune des parties retentissent sur toutes les autres ; livrée à elle-même, 1 économie mondiale ne saurait assurer la « prospérité continue ».
Par conséquent, nous sommes placés devant cette alternative : ou faire retour vers des économies particulières fermées (autarchies économiques) avec les dangers de conflit militaire et de moindre prospérité qui en peuvent être la suite ; ou donner une organisation mondiale à l’économie, selon des mesures d’économie instaurées et dirigées sur le plan universel.
Mais de telles mesures dépendent de la possibilité d’agir effectivement sur les facteurs de l’économie au degré mondial. C’est-à-dire : de connaître l’immense diversité des faits économiques ; de les embrasser d’un coup d’œil et de les soumettre aux raisonnements et déductions nécessaires ; d’agir effectivement sur les facteurs de l’économie au degré mondial.
Ces possibilités étant reconnues, la nécessité s impose : d’instaurer un mécanisme intellectuel central, qui soit capable de coordonner l’action ; de créer une institution chargée de présider à la prospérité économique mondiale en utilisant le mécanisme intellectuel mis à sa disposition.
L’Institution qu’il y a lieu de voir constituer, toutes forces unies, est un organisme économique central sous le nom de Banque Mondiale ou tout autre.
Quant au mécanisme intellectuel, on est conduit à la conclusion suivante : nous avons besoin d’un instrument nouveau ( novissimum organum) qui nous permette d’embrasser l’immense somme des faits qui se passent dans le formidable univers social, dépendant lui-même de l’univers cosmique.
La vieille méthode d’observation des faits, la vieille documentation qui les enregistre, la vieille logique qui les raisonne, la vieille classification qui leur fait prendre rang dans ses classements sont insuffisantes. D’autant plus que le lien entre ces quatre disciplines est mal défini. D’autre part, la statistique s’est développée jusqu’aux instituts dits de conjoncture, tandis que la comptabilité tant industrielle et financière que publique s’élevait aux réalisations du bilan et du budget. La documentation de son côté a entrevu les possibilités techniques illimitées de répertoires analytiques et de tableaux synthétiques, enregistrant et visualisant les faits. La logique s’est faite mathématique avec la logistique, et l’algèbre de la logique ; la classification a pris les énormes développements qui, en pratique, sont incorporés dans la classification documentaire universelle et les développements théoriques de la taxonomie. Mais tous ces progrès sont encore demeurés sans lien. Nous avons besoin maintenant d’un instrument général de calcul qui fasse bénéficier la sociologie des progrès similaires à ceux acquis en physique, en chimie, à ceux tentés en biologie.
On est amené ainsi à rechercher l’aide que les mathématiques peuvent apporter aux solutions cherchées. Les premières tentatives d’économie mathématique avaient fait naître de grands espoirs. Trop peu de mathématiciens ont été entraînés dans ces recherches. Le moment est venu de les y amener en les saisissant du problème d’ensemble à résoudre.
Au delà de la pluralité et de la diversité des sociétés, il faut reconnaître l’unité de la civilisation et de l’humanité. Cette unité donne lieu aux constatations et considérations suivantes :
1° La communauté se fonde : a) sur les importantes identités de structure et de formation ; b) sur les liens d’interdépendance ; c) sur les intérêts communs.
2° La civilisation ainsi définie s’est constituée lentement au cours des âges. Elle devient chaque jour une plus grande réalité à la fois physique et psychique.
3° La civilisation fut longtemps un fait plus encore que le résultat d’une volonté réfléchie. Profondément atteinte par les événements survenus dans le monde, elle exige une action énergique en faveur de sa conservation. Comme les circonstances nouvelles s’opposent à ce que ces maux soient simplement écartés, une adaptation est rendue nécessaire ; cette adaptation devant être rapide, synergique, volontaire, la réflexion a porté sur le fondement même de la vie commune, elle a entrevu la possibilité non plus d’une action résignée à ce qui est considéré comme l’inéluctable fatalité, mais d’une réorganisation, d’une civilisation tout entière dirigée. Le plus grand, le plus complexe, le plus angoissant et le plus passionnant à la fois des problèmes, puisqu’il y va de la destinée collective toute entière.
4° On peut concevoir que la société totale se fractionne en sous-sociétés ou sociétés particulières.
Les sociétés particulières, séparées à l’origine (ou à partir d’un moment de leur histoire) tendent à se rapprocher en sociétés plus larges selon un des trois principes empire, fédération, unité. Elles tendent à une séparation et à une intégration à base de la division du travail (activité) et des fonctions. Le total social se présente donc sous l’aspect du damier à bandes verticales intersectant les bandes horizontales, chaque casier étant d’aire et de consistance différentes, certains demeurant vides, d’autres en voie de scissiparité ou d’agglomération.
5° En cosmologie (science de la nature), les conclusions varient d’après les postulats auxquels on les rattache ; en sociologie (science de la société), d’après le point de vue dont on parle. Il importe de dégager ce points de vue et de définir par eux les écoles, les systèmes, les partis qui s’en réclament. Par là on accède vraiment à la métaphysique, aux premiers principes.
6° La civilisation se développe : a) dans le « factice » s’éloignant de plus en plus de la nature ; b) dans la division du travail poussée de plus en plus loin en éloignant les hommes de la vision des ensembles ; c) dans l’abstraction ou dissociation des propriétés et des attributs des choses d’avec les objets et les être concrets qui les supportent pour devenir le point de départ de nouvelles créations.
De cette triple tendance, jointe à la croissance de tout, sont nées d’immenses complications — un embouteillage — qui imposent des simplifications, une refonte, un remodelage, une coordination nouvelles des détails en fonction de principes plus généraux.
7° Le problème total de la civilisation se divise en les problèmes propres aux deux facteurs et aux six domaines de la société : faire face aux maux et donner satisfaction aux aspirations, a) Territoire : son appropriation maximum et sa juste répartition entre les hommes, b) Population : sa multiplication et sa distribution, c) Le biologique : épidémie, dégénérescence ou santé, hygiène, eugénisme. d) L’économique : crise ou prospérité. e) Le social : révolution ou justice collective. f) Le politique : guerre ou paix. g) L’intellectualité : antinomie, ignorance ou synthèse, éducation. h) Spiritualité : matérialisme, abrutissement ou élévation.
8° Six grandes civilisations coexistent actuellement dans le monde : latine, anglo-saxonne, germanique, slave, orientale, les civilisations primitives. Coordonner, harmoniser, fondre en un ensemble à la fois divers mais uni et sans heurt, c’est le problème de la civilisation universelle. Par les sciences et les techniques, nos sociétés sont en puissance de renouvellement.
Les grandes civilisations sont de grandes âmes ethniques. L’Inde : profonde méditation métaphysique. La Chine : suprême génie social. L’Occident : activisme occidental avec toutes ses variétés nationales. Il y a eu aussi dans le temps d’autres civilisations, d’autres âmes. La floraison spirituelle du moyen âge. Le retour au monde extérieur qui caractérise la Renaissance.
Chacune de ces civilisations du passé a contribué au présent : la civilisation primitive ; l’héritage culturel de l’ancien monde ; le féodalisme et sa culture ; l’artisanat et le commerce des villes, leur culture ; le capitalisme commercial.
9º La civilisation universelle. La nation, la supernation des mondiaux (Mundaneistes) est en voie de naître, tout homme ayant ses deux patries, la sienne et celle du monde. Des hommes, leur nom est commun ; leur langue bientôt le peut devenir ; leur système d’idées et de sentiments et toute une littérature et tous leurs intérêts. N’est-ce point par de semblables éléments que s’est formée toute nationalité, les éléments qu’en a définis Renan. Ici, vouloir faire de grandes choses dans l’avenir à défaut d’avoir encore pu en faire dans le passé, la tâche de créer une conscience et une civilisation universelle.[4]
Six termes dénommant six facteurs sociaux sont à mettre en corrélation : Bonheur, Progrès, Action, Opinion, Connaissance, Education. D’après Lester Ward (Dynamic Sociology), on peut ainsi en présenter le tableau :
A. Bonheur. — Excès de plaisir ou joie au delà de la peine et de l’inconfort. Le bonheur est la fin ultime des efforts (conation).
B. Progrès. — Succès dans l’harmonie des phénomènes naturels à l’avantage de l’homme. Le progrès est la voie directe vers le bonheur. Il est donc la première fin prochaine des efforts ou le premier moyen vers la fin dernière.
C. Action dynamique. — Emploi de la méthode intellectuellement inventive ou indirecte appliquée aux efforts. L’action dynamique est la voie directe vers le progrès ; elle est par conséquent la deuxième fin prochaine de la conation ou le deuxième moyen de la fin ultime.
D. Opinion dynamique. — Vues exactes sur les relations de l’homme avec l’univers. L’opinion dynamique est la voie directe de l’action dynamique ; c’est donc la troisième fin prochaine des efforts et le troisième moyen de la fin dernière.
E. Connaissance. — Notion du milieu. La connaissance est la voie directe vers une opinion dynamique ; elle est la quatrième fin prochaine des efforts et le quatrième moyen de la fin dernière.
F. Education. — Distribution universelle d’une connaissance étendue. L’éducation est la voie directe vers la connaissance ; elle est par conséquent la cinquième fin prochaine des efforts et la cinquième voie ou voie initiale vers la fin dernière.
La formule suivante résume les propositions précédentes. Le signe mathématique de l’équivalence = est à lire « a pour résultat ».
A La fin dernière.
B = A.
C = B = A.
D = C = B = A.
E = D = C = B = A.
F = E = D = C = B = A.
Cette dernière formule peut aussi s’écrire ainsi en la rendant plus mnémonique par l’adjonction des sigles de chaque terme :
F (e) − E (c) − D (o) − C (a) − B (p) − A (b)
Ce qui se lira explicitement.
L’éducation a pour résultat la connaissance, qui a pour résultat une opinion dynamique, qui a pour résultat une action dynamique, qui a pour résultat le progrès, qui a pour résultat le bonheur.
131 LE TERRITOIRE.
Notion. — Les faits sociaux ont une aire de développement plus ou moins étendue. Ils se passent dans un territoire ; ils mettent en jeu, activement ou passivement, une certaine population. L’aire d’un territoire correspond à un lieu délimité ou physiquement (géographiquement) ou administrativement (politiquement). La population est celle ou bien des habitants quels qu’ils soient d’une aire déterminée, ou bien des hommes appartenant à un même État, à une même nation ou à un même groupe ethnique.
Les territoires sont les parties de la nature enclosent dans des frontières. Les territoires donnent lieu à de nombreuses questions.
Sur les territoires, combien y a-t-il, y a-t-il eu, y aura-t-il probablement d’hommes ? Quelles catégories d’âges, de sexe, de nationalité, de religion, d’occupation ? Quels en sont les mouvements : émigration, immigration, transfert, voyages, déplacements périodiques ? Quelles causes, effets, répercussions sont ici en jeu et dans quelles proportions par rapport au total ?
Le territoire, c’est la partie de la surface terrestre circonscrite par une frontière politique. En dedans, c’est la propriété souveraine de A ; au dehors c’est celle de B.
Le territoire c’est : 1° toute la portion de la nature ainsi délimité. L’étude d’un territoire est donc l’étude de la nature, circonscrite dans un espace déterminé (géographie) ; 2° l’ensemble des transformations que la population occupant ce territoire a fait subir au sol et aux sites naturels (géographie humaine) ; 3° l’ensemble des édifications qu’elle y a réalisé ; 4° par extension, c’est l’ensemble des objets mobiliers y situés et devenant en vertu des lois politiques, des sortes d’ensembles par destination, des richesses ne pouvant sortir du territoire.
Le territoire est soumis aux grands cataclysmes : inondations, éruptions, tremblements de terre, cyclones, sécheresse, érosion, éruption ou retrait des mers.
Le territoire subit aussi des changements physiques au cours des âges. En Belgique, par exemple, l’ensablement du Zwin qui donnait accès au port, ce qui provoqua notamment la décadence de Bruges et l’ouverture naturelle peu après d’un nouveau lit profond de l’Escaut grâce à quoi Anvers put établir son grand port.
Découverte de la Terre. — En trente ans, de 1492 à 1519-1522, de Colomb à Magellan, le monde connu qui se limitait auparavant à une soixantaine de degrés de latitude et à une centaine de degrés de longitude, s’étendit à la terre quasi entière, à la condition d’excepter les pôles et l’Australie. Aujourd’hui la terre est entièrement découverte, y compris le centre des continents et les pôles.
Valeur des territoires. — On peut vouloir le territoire entier avec tout ce qu’il contient. On peut se borner à vouloir l’essentiel d’un territoire, par exemple, les mines ou les ports de transit. La richesse d’une nation dépendit longtemps de la possession des mines d’or et d’argent ou d’un puissant stock de métaux précieux.
Avec l’introduction des machines elle dépend des gisements de houille et de charbon, puis des gisements de pétrole et de son électrification. Périodiquement d’après ces sources de richesses, on assiste à un reclassement de la valeur des peuples. Au siècle du charbon, il y eut des nations privilégiées et des nations sacrifiées ; de nouveaux riches et de nouveaux pauvres, comme il y en aura au siècle du pétrole.
Les frontières sont devenues d’une précision géométrique : un millimètre et on est chez l’étranger. Jadis deux pays voisins déteignaient l’un sur l’autre, langues, coutumes, sentiments. Il y avait une zône intermédiaire, une sorte de no-man’s land, où des gens d’un pays et de l’autre ne se sentaient pas étrangers vis-à-vis l’un de l’autre. Aujourd’hui la frontière est truquée, bétonnée, chausse-trappée, barbelée, rendue inviolable. « Ils sont, dit Pascal, de l’autre côté de l’eau et pour cette raison géographique, ils sont l’ennemi. » Est-ce naturel ? S’il n’y avait, par ailleurs, dans des bureaux, dans des palais lointains, des gens qui menacent l’humanité, les gens de la frontière s’avanceraient de part et d’autre les uns vers les autres. D’ailleurs que de familles frontalières. Par exemple, les deux Brissach, Strasbourg et Kehl, sur le Leman les deux Saint Gingolf, en Silésie les deux parties de Teschen.
Le territoire forme largement l’âme des populations. Pour Keyserling, une culture, une foi ne se jugent ou plutôt ne s’apprécient qu’en fonction des influences telluriques, des impondérables de l’habitat, du sol, du ciel. C’est cela, c’est ce dynamisme élémentaire qui agglomère les individus, qui crée les nations ou plutôt les esprits, les caractères nationaux. Ainsi l’accoutumance, la compréhension, l’amour de certains lieux est une des bases du « patriotisme » local, régional, national. Ainsi peut s’aimer et un continent et la terre et le monde : question d’échelle, question d’accessibilité et de compréhension.
Le territoire de chaque pays a donc été appropriée à son habitat. L’œuvre d’appropriation est plus ou moins avancée ; elle va en se perfectionnant sans cesse. La sociologie, la géographie humaine le constatent et l’expliquent.
La lutte pour l’espace. — Les luttes pour le territoire sont des luttes pour 1 espace. Elles remplissent toute l’histoire.
Des peuples au début nomades se sont fixés ensuite. Des peuples conquérants qui délogent les premiers. Des peuples qui obtiennent le droit de se fixer chez d’autres. Ex. : les Hébreux en Égypte, certaines populations barbares dans l’Empire romain.
La frontière peut avoir deux finalités : être la muraille de sécurité en deçà de laquelle un peuple organise sa vie, ou bien être une barrière protégeant les intérêts de quelques gros industriels et commerçants en empêchant le libre-échange.
Dans la lutte pour l’espace, pour le territoire, l’homme ne rencontre pas seulement d’autres hommes. Il est constamment aux prises avec les phénomènes physiques, avec les plantes et avec les animaux ; avec les phénomènes physiques, car ceux-ci ont leur propre détermination qui ne concorde pas avec la finalité humaine ; avec les plantes, car dans ses champs aux espèces sélectionnées et voulues, les espèces indésirables, les herbes mauvaises luttent pour l’espace. Et si l’homme a écarté, réduit ou domestiqué la plupart des animaux, il reste à devoir combattre les insectes et, ce qui est autrement difficile, les bactéries.
Diversité des peuples. — Dans la psychologie des peuples réside aussi un élément important du problème de l’unité. L’évolution intellectuelle ne s’est pas opérée unilinéairement ; elle ne s’est pas retrouvée la même dans toutes les Nations. Les vastes systèmes philosophiques, religieux, sociaux, esthétiques ont surgi de-ci de-là, à des moments différents et ont imprégné de manières diverses les mentalités de grands groupes de population.
Voici, par exemple, ce qu’expose le professeur Vermeil, dans un parallèle entre France, Angleterre et Allemagne. Au cours des temps, un fossé s’est créé entre l’Allemagne et l’Occident franco-anglais. Dès le moyen âge, la France et l’Angleterre sont des pays unifiés L’Allemagne au contraire reste morcelée. La réforme luthérienne, restée essentiellement allemande, est très différente de la réforme calviniste qui a exercé son influence en France et en Angleterre, et des contre-réformes catholique et anglicane qui ont donné leur aspect définitif à la France et à l’Angleterre. L’Angleterre au XVIIe siècle, la France au XVIIIe font leur révolution, l’Allemagne ne fait pas la sienne. L’esprit du franco-anglais est rationaliste. Il s’appuie sur la notion stable du droit. Il connaît la mesure. Il est individualiste. L’esprit allemand au contraire est romantique. Il aspire aux grandes choses ; il a la notion de l’évolution. Il ignore la mesure. L’individu pour lui est subordonné à la collectivité.
Conclusion : Les deux esprits ne peuvent se replier sur eux-mêmes. L’esprit franco-anglais deviendrait d’une sécheresse stérile. L’esprit allemand, s’il n’apprenait la modération pourrait à nouveau présenter des dangers pour l’Occident.
Les problèmes coloniaux. — Inégale répartition des terres ; vieux et jeunes empires coloniaux ; industrialisation des colonies et leur autonomie économique. Les peuples de couleur d’Asie, d’Afrique, des deux Amériques prennent conscience non seulement de leur couleur mais de leur misère coloniale et sont prêts à entrer dans l’arène politique. Les gouvernements capitalistes attaqués dans leurs colonies par les forces communistes organisées et soutenues notamment par l’U. R. S. S.
132 POPULATION.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES.
Démographie. — Le facteur le plus fondamental est la population. Les données y relatives sont condensées d’une part dans l’ethnographie, d’autre part dans la démographie. Celle-ci traite de l’aspect statique de la population (chiffres absolus et relatifs, total, race et peuples, sexe et âge) et de l’aspect dynamique de la population (naissance, nuptialité, migration, morbidité, mortalité).
Nombre total. — Aux derniers recensements totalisés le nombre des hommes sur la terre est de 2 milliards. Cette population sur le globe a été presque toujours en croissance. Cependant, le grand nombre dans la population est fait relativement récent. La population de l’Italie sous l’empire romain n’aurait pas dépassé 6 millions d’habitants. Les populations de Germanie n’auraient pas été supérieures à 2 à 4 millions.
Voici, d’après le dernier recensement (Annuaire statistique
de la Société des Nations 1933-34) la superficie
et la population des cinq parties du monde.
Superficie km2 | Population | ||
---|---|---|---|
Afrique | 29,956,000 | 144,300,000 | |
Amérique | 40,541,000 | 259,500,000 | |
Asie | 41,900,000 | 1,113,100,000 | |
Europe | 11,420,000 | 514,720,000 | |
Océanie | 8,550,000 | 10,000,000 | |
Monde | 132,360,000 | 2,041,600,000 |
En gros, en un siècle, la population du globe a doublé, passant à 2 milliards d’habitants. Dans le même temps le taux de la natalité des peuples assurant l’accroissement est descendu au-dessous de la moitié de ce qu’il dut être il y a cent ans. Cet accroissement de population a pu, grâce aux villes, s’intégrer dans l’économie générale. En effet nombre de villes ont décuplé alors que le taux de mortalité s’abaissait au tiers et même au quart de ce qu’il était à l’origine de cette évolution…
En un siècle la population de la terre a plus que doublé. En admettant un accroissement dans les mêmes proportions, il y aurait dans un siècle 12 milliards de Terriens. Une culture intensive comme celle du Japon actuel permettrait de nourrir une telle masse d’hommes.
La natalité. — Des gouvernements encouragent le peuplement, notamment l’Italie, la France, l’Allemagne. La Belgique connaît les faveurs économiques et honorifiques aux familles nombreuses. Parlant de la France, on a dit : « Un pays qui a plus de berceaux vides que de coffres-forts pleins est perdu. »
L’accroissement de la population est formidable dans certains pays. Ainsi la Russie : 2 % par an, donc un doublement en 50 ans, mais un doublement géométrique, si bien que la population de la Russie qui était de 12 millions au XVIIIe siècle était de 180 millions en 1914. En Wallonie, le taux de natalité est inférieur à tous les coefficients européens, mais la Flandre est prolifique.
Morbidité. — Les statistiques commencent à fournir un matériel comparé. Une population malade, inférieure, dégénérée, a moins de signification économique, politique, voire intellectuelle, qu’une autre saine et valide.
La mortalité. — Les taux de mortalité sont différents dans les différents pays. Il y a tendance générale à abaissement du taux. A chaque battement du cœur, à chaque seconde, il meurt un homme sur quelque point de la surface terrestre : 80,000 par jour, 30 millions par an. Toutes choses égales, depuis 3000 ans il y aurait eu 92 milliards d’êtres humains.
Mouvements en masses. — Tout au cours de l’histoire il y a eu de grandes migrations, des transplantations d’hommes en masse : les nomades, les invasions, la réduction en esclavage et les diasporées (les Juifs), les persécutions, les colonisations, l’exode vers les villes, les émigrations, les transferts par convention internationale. C’est par millions que les nègres ont été transportés d’Afrique en Amérique. Vers 1825, les négriers if en transportaient annuellement environ 125,000. L’immigration de blancs aux États-Unis a atteint annuellement 11 environ un million de 1905 à 1914. Les Juifs, originaires de Palestine, sont près de 12 millions dans le monde.
La commission mixte instituée par la S. D. N. pour l’échange des populations grecque et turque a clôturé ses travaux après 11 années de travail. De Grèce en Turquie ont été acheminés 354,647 musulmans et 192,356 grecs-orthodoxes ont été transportés de Turquie en Grèce.
Des Assyriens chrétiens avaient quitté la Turquie pour se réfugier en Irak. Quand celui-ci devint indépendant d’horribles massacres se produisirent. La S.D.N. appelée au secours cherche à transférer ces Assyriens en masse en Guyane britannique. Il faut pour transporter dix mille personnes 120,000 £ et 168,000 $ pour acheter les terres.
Accroissement de la population. — L’économiste Malthus a prétendu que, tandis que la subsistance croissait en progression arithmétique, la population croissait en progression géométrique, c’est-à-dire beaucoup plus vite. De là une rupture d’équilibre à redouter. Cette loi s’est trouvée infirmée par les faits au XIXe siècle et terriblement aujourd’hui par la crise d’abondance.
L’ajustement local des mouvements démographique aux ressources du globe est cependant un problème.
Il y a donc lieu d’établir au dehors une partie du surplus de main-d’œuvre qui encombre l’économie européenne et risque de constituer pour l’Europe un danger social.
En s’accroissant une population augmente le nombre des producteurs, des consommateurs ; le nombre des défenseurs du pays, le nombre des électeurs ayant droit au chapitre, le nombre des esprits capables d’inventer, de créer, d’exprimer.
La population a des rapports avec le territoire, avec l’armée, la défense, la politique, avec la prospérité économique, le travail, avec la culture. La population de la Chine, des Indes, du Japon, de l’Italie et de l’Allemagne s’accroît continuellement et pour elle l’expansion est une question de vie.
75 millions d’Allemands sont compris sur un territoire qui ne peut suffire pour 40 millions ; 40 millions d’Italiens sur une péninsule qui ne peut rationnellement en contenir que 25 ; 80 millions de Japonais sur des îles dont superficie totale est inférieure à la moitié de la France.
Redoutables problèmes politiques en perspective, modification continue des équilibres, situation totalement modifiée après quelques décades, a fortiori après quelques siècles.
Se pose dès lors cette question : Le but est-il l’amélioration de la situation des hommes ou l’augmentation de la population en nombre, ou le perfectionnement et la jouissance de quelques privilégiés ? Qu’un accroissement de bien-être se produise et immédiatement la population accrue se présente au partage.
133 HYGIÈNE. SANTÉ.
Sous l’appellation connue : Hygiène-santé, il y a lieu de grouper tout ce qui peut porter atteinte à la santé, à la sécurité physique des masses, à l’avenir physique de la race.
La médecine préventive et thérapeutique, la culture physique, l’eugénisme, la lutte contre les calamités. Au fond la lutte contre la guerre aurait à prendre place ici ; la lutte contre la mort.
Il faut apporter à gérer la vie humaine, le premier et même l’unique bien, un soin analogue à celui qui, sous le nom de rationalisation, pénètre chaque jour dans l’organisation économique. Pour un peuple la première économie c’est celle de la maladie et de la mort. Le progrès se mesure également dans les nations et dans tous les groupements humains d’après le taux de mortalité qu’on y constate. Il faut développer l’armement sanitaire à l’aide de la science sanitaire. (Pierre Bourdeux)
Médecine. — La médecine se transforme. Elle devient la médecine de la collectivité. Autrefois et jusque maintenant le médecin soignait individuellement des malades isolés ; aujourd’hui ou plutôt demain, des médecins groupés traiteront les collectivités, soit dans des cliniques, soit dans des hôpitaux transformés et rénovés. La médecine préventive doit s’installer aux côtés de la médecine curative pour ne constituer en fait qu’une médecine, la médecine adaptée aux exigences et aux possibilités scientifiques, économiques et sociales modernes. La profession médicale, qui doit viser l’intérêt du malade avant tout, deviendra ainsi un véritable service public.
Un nouveau poison mortel, 5000 fois plus violent que la strychnine et ne laissant pas de trace, a été dégagé des herbes du Transvaal par le Dr Green et a reçu nom Adenis.
L’incinération, mouvement international. Les fours sont établis maintenant à l’électricité. La ville d’Helsingborg a réalisé tout un ensemble funéraire, avec four crématoire, jardin, salle de méditation, chapelle, monument artistique et lui a donné le nom de Temple de la Paix.
La médecine sociale. — La santé publique dispose aujourd’hui de vastes établissements : hôpitaux, cliniques, dispensaires et des relations avec les agglomérations urbaines, les usines et les fermes. La psychiâtrie sociale, les instituts d’hygiène mentale, les asiles d’aliénés.
Dans toutes les colonies, les hygiénistes modernes ont trouvé un magnifique champ d’application.
Un lent travail d’adaptation doit intervenir des peuples colonisés aux exigences d’une vie nouvelle. Avec une hardiesse étonnante, on a voulu y supprimer les maladies endémiques pour n’avoir pas à les soigner.
Les besoins de l’homme physique. — Les besoins de l’homme sont fondés sur son organisme physique (respirer, manger, boire, dormir, se protéger de la chaleur et du froid, donner satisfaction au besoin génésique). L’hygiène privée règle ces besoins à titre personnel ; l’hygiène publique le fait au titre collectif. L’économie met l’homme à même d’y pourvoir. L’éducation et la morale les forme et les discipline. L’intellectualité les raffine, les sublimise, en fait le fondement de fonctions d’un ordre plus élevé.
Alimentation. — La base de notre alimentation repose en principe sur un trépied. 1° Protides (viandes, azotes). 2° Glycides (légumineux, hydrates de carbone).
3° Lipides (graisses). Mais il faut encore pour présider au cycle de la vie et en assurer la régularité, des vitamines : c’est à elles qu’est due la croissance des jeunes, l’équilibre nutritif des adultes et une certaine jeunesse chez les vieillards.
Au cours des âges, l’homme a étendu les possibilités alimentaires. La nourriture est le moteur premier de l’activité chez l’homme comme chez les autres êtres. Partout elle est le fondement de tout le système social : le reste forcément s’y doit plier.
Sexualité. — L’instinct sexuel occupe une place bien plus importante dans les destinées de l’homme que l’on ne pensait naguère.
Certaines écoles de psychologie estiment même, avec une exagération manifeste, que l’instinct sexuel est le pivot sur lequel gravitent nos impulsions et nos pensées et que de lui émanent les mobiles premiers de nos moindres actions et gestes de tous les jours. Consciemment ou inconsciemment, toutes les manifestations de notre vitalité auraient comme point de départ l’impulsion génésique qui en fait constituerait la base du caractère. (Freudisme.)
Problèmes sexuels à l’ordre du jour. — 1. L’égalité des sexes. 2. Le droit à la maternité consciente et la rationalisation de la maternité. 3. La protection de la jeune fille, de la femme mariée et de l’ouvrière enceinte. 4. L’éducation sexuelle des enfants et des adultes. 5. Le traitement et la répression des perversions sexuelles. 6. La réglementation de la prostitution. 7. Le délit de la contamination vénérienne. 8. La réforme des lois du mariage et du divorce.
En Allemagne, on veut protéger la race qui s’enfonce chaque jour dans une déchéance physique et morale plus profonde. On veut prévenir la grossesse ou l’interrompre chez la femme tuberculeuse, l’épouse du syphilitique. On veut éduquer le peuple, lui fournir les moyens de ne procréer que lorsqu’il le désirera et le pourra, socialement et eugéniquement parlant.
On a donc mis en avant la création d’un conseil de réglementation de naissances et d’hygiène sexuelle qui sera chargé d’organiser : a) la distribution gratuite des moyens anti-conceptionnels par les caisses de maladie et autres établissements publics à la disposition des classes pauvres ; b) une éducation sexuelle en vue de diminuer les cas de grossesse non désirée ; c) un service spécial dans les hôpitaux publics où l’avortement serait fait par des médecins spécialistes et où tout intérêt pécuniaire serait écarté.
L’opinion catholique a été exprimée ainsi : « Au point de vue de la finalité profonde et naturelle de l’instinct sexuel, celui-ci, avec tous les sentiments, instincts et passions qui s’y rattachent, est ordonné à la transmission de la vie, à la génération. Celle-ci, pour se consommer d’une manière conforme aux exigences de la nature humaine, ne peut être livrée aux caprices de l’instinct, aux hasards des rencontres, mais elle exige la constitution de couples stables unis précisément dans le but de répondre aux vœux de la nature en acceptant solidairement, sans chercher à les séparer les uns des autres, et les plaisirs et les charges de l’activité procréatrice.
» En transposant ces exigences naturelles sur un plan surnaturel, accessible seulement à la foi, le chrétien va plus loin. Il fait de la pratique de la chasteté une forme de l’amour du Christ ; il concilie par une muraille incompréhensible au monde, la plus rigoureuse abstention de tant de règlements sexuels avec les joies les plus profondes, les affections les plus vives et les plus pures. »
Stupéfiants. — Les stupéfiants procurent des instants d’euphorie. Mais après, le terrible après. Il advient que l’intention droite et la forme du caractère peuvent disparaître comme par enchantement. Le mal est énorme, il existe en tous pays ; il s’étend dans les grandes villes. La Société des Nations a dû s’en occuper, mais elle a rencontré le cartel occulte des intérêts.
« L’âme, a-t-on dit, est maîtresse du corps qu’elle anime ». Chacun sait par expérience, comment la dépression physique est liée à la dépression morale, comment la tristesse, la douleur, diminuent en nous la force vitale, comment la joie au contraire nous donne une sensation physique de bien-être, d’euphorie et semble accélérer dans un rythme de forte ivresse les battements de notre cœur. (Dr Vachet).
Fléaux sociaux. — De bons esprits, cherchant des équivalents à la guerre, disent que l’instinct belliqueux pourrait être dérivé vers la conquête de la nature et la lutte contre les fléaux sociaux.
Eugénisme. — L’eugénisme est l’étude des moyens sous contrôle social qui peuvent améliorer les qualités de race des générations, soit physiquement, soit moralement. (Galton.)
Nos actes peuvent affecter la postérité de deux manières. Par la modification de notre propre milieu : les améliorations que nous apportons au monde constitueront un précieux héritage pour nos descendants. Par l’hérédité naturelle : nous sommes responsables de la production de la prochaine génération et par là de toute l’humanité future. Le bien de la race dépend de la façon dont tous les citoyens réalisent leur responsabilité en matière de mariage.
Organisation internationale. — L’organisation internationale en ce domaine est plus avancée, avec le Bureau international d’Hygiène, l’organisation d’hygiène de la Société des Nations, la Ligue internationale des Croix-Rouge, la Ligue internationale de Secours aux enfants, l’organisation internationale contre les calamités. L’organisation d’hygiène de la S. D. N. a commencé par une œuvre préliminaire : le secours contre les épidémies qui surgirent en Europe orientale de 1920 à 1923. Son œuvre ultérieure a été le contrôle des épidémies. Depuis mars 1926, la station de Singapour radie les conditions sanitaires de 135 ports dans 47 pays. Le Bureau de Genève coordonne tous les rapports (Weekly Health Report). Éducation matérielle des nations en vue de faire progresser la santé (échange des fonctionnaires des services d’hygiène) ; contrôle de la production et du trafic de l’opium et de la cocaïne ; campagne contre la malaria ; standardisation des médicaments, sérums, etc. (antitoxine diphtérique, insuline, extrait tyroïde, adrénaline, digitaline).
Les travaux en préparation concernent l’uniformité plus grande de la statistique et de la terminologie des malades, la campagne contre le cancer, la tuberculose, la maladie du sommeil, la rage et la lèpre. La Fondation Rockefeller apporte sa large coopération financière.
134 L’ÉCONOMIQUE.
Les questions qui entrent dans le cadre économique sont les suivantes ;
1° Corrélation de l’économie avec les autres domaines de la sociologie.
2° L’économie en général. — Évolution économique. Système économique. Méthodes. Organismes économiques.
3° L’organisation économique et les fonctions économiques générales. — Production. Organisation et machinerie. Trust et cartel. Distribution. Prix. Commerce. Douane. Protection. Libre échange. Consommation. Répartition.
4° Branches économiques. — Mines. Agriculture. Pêche. Industrie. Transports. Communication. Travaux publics. Finance. Crédit. Monnaie. Banque. Bourse Réparation. Travail. Chômage. Employement.
5° Matières économiques diverses. — Pétrole. Charbon. Textiles et autres.
6° Situation économique. — Normal. Crise. Réforme.
7° Circonscription économique. — Locale, régionale, nationale, continentale, mondiale.
FORMES | DIFFÉREN- TIATION | INTÉGRATION | Dimension du corps social. (Schmoller) | Coopération. (Sombart) | Facteur prédominant de la production. (Roscher) | ||||
Époques | Phases | Moyen des Échanges (Hildebrand). | Proportion de la production industrielle dans la production totale. (Engels) | Nombre de degrés entre le producteur et le consommateur. (Bücner) | |||||
I. Organi- sation du clan. | a) | 1. Phase primitive du clan. | I. Différentiation entre les sexes. | I. Économie naturelle. | I. Économie individuelle. | I. Économie se suffisant à soi-même. | — | I. Économie individuelle. | I. Nature. |
b) | 2. Phase moyenne du clan. | — | — | II. Troc a) occasi- onnel. |
— | — | — | — | |
II. Organi- sation industrielle. | a) | 3. Phase industrielle primitive. | II. Différentiation des hommes. | I. Monnaie en nature. | b) régulier. | — | I. Économie du village ou du marché. | II. Économie de transition. | — |
b) | 4 Phase industrielle moyenne. | — | II. Économie monétaire. | c) essentiel. | II. Économie urbaine. | II. Économie urbaine. | — | II. Travail. | |
III. Organi- sation capitaliste. | a) | 5. Phase capitaliste primitive. | — | — | — | — | III. Économie territoriale. | — | — |
b) | 6. Phase capitaliste moyenne. | III. Différentiation parmi les femmes. | III. Économie du crédit. | III. Économie capitaliste. | III. Économie nationale. | IV. Économie nationale (économie de l’État). | III. Économie sociale. | III. Capital. | |
IV. . . . | a) | 7. Phase capitaliste récente. | — | — | — | IV. Économie mondiale. | — | — | — |
b) | — | — | — | — | — | — | — | — |
On distingue les stades suivants :
1. Industrie de la collecte : collecte des plantes, animaux et minéraux ; chasse et pêche. (Sauvagerie.)
2. Industrie de production : agriculture et élevage. (Barbarie.)
3. Industrie de transformation : métier, manufacture.
4. Industrie de locomotion : commerce.
Ces deux derniers états sont dits civilisation.
À mesure que la civilisation se développe, les conquêtes faites par le travail humain augmentent, la part de la nature restant à peu près la même. C’est ce qu’on voit en faisant l’histoire du travail à travers les âges ou en comparant dans le monde actuel les peuples à divers degrés de civilisation. Examen géographique.
1er degré. — Les peuples primitifs se contentent de ce que la nature leur donne, lis vivent, comme les animaux, de la chasse, de la pêche et de la cueillette des fruits sauvages.
Tels les hommes des cavernes, les noirs d’Australie et les Peaux-Rouges.
IIe Degré. — Élevage. Vie pastorale. Nomades. Les hommes savent élever et garder les animaux domestiques comme bêtes de somme, pour se nourrir de leur lait. Ex. : Les Hébreux avant la conquête de la Terre Promise. Les Arabes des hauts plateaux et du Sahara algérien.
IIIe degré. — Culture. Sédentaires. L’homme apprend enfin à cultiver la terre. Alors il s’établit sur place et fonde des villages et des villes. L’industrie (fabrication des outils, des vêtements, etc.) se développe chez les sédentaires.
IVe degré. — Industrie. Commerce. Certains peuples deviennent plus industriels que d’autres par suite de l’abondance de matières premières (cuivre, fer, plus tard houille), de la situation géographique, de l’activité de leurs habitants. Ils fabriquent plus d’objets qu’il ne leur en faut et vont les vendre à des peuples agricoles et leur achètent en échange des aliments. Les peuples industriels sont en même temps commerçants. Ex. : Les Phéniciens achetaient aux Gaulois de la côte méditerranéenne.
Au XIXe siècle grand développement de ces deux modes de travail.
Au point de vue de l’extension des aires économiques on distingue :
1. Stade de l’économie domestique fermée. — La production personnelle existe seule. L’économie ne connaît pas l’échange. Les biens sont consommés là où ils sont produits. Toute la circulation s’effectue dans le centre fermé de la maison (de la famille, de la tribu). Les membres de la maison n’ont pas seulement récolté les fruits du sol, ils doivent aussi fabriquer eux-mêmes tous les objets, tous les outils dont ils ont besoin ; ils doivent enfin transformer les matières premières pour les rendre propres à l’utilisation.
2. Stade de l’économie urbaine. — Production pour des clients, ou période de l’échange direct. Les biens passent immédiatement du producteur au consommateur. Transformation qui dure des siècles. Cette économie a trouvé son type caractéristique au moyen âge dans les villes des peuples germaniques et romains. Déjà dans l’antiquité il y a des traces de cette évolution. Plus tard, d’une façon différente, on la constate dans les pays slaves les plus avancés en civilisation. Le droit urbain au moyen âge concerne environ 3,555 localités. Toutes les villes se trouvent éloignées de 4 à 8 lieues ; tout paysan peut s’y rendre et rentrer en un jour.
3. Stade de l’économie nationale. — Production de marchandises ; période de circulation des biens. Les biens passent généralement par une série d’économies avant d’entrer dans la consommation. L’économie nationale procède à la centralisation politique. Elle continue l’œuvre inaugurée au moyen âge par l’établissement des principautés territoriales.
Les réformes réalisées à l’intérieur des nations ont pour but de créer une économie nationale fermée à l’étranger, capable de pourvoir par le travail national, à tous les besoins de l’État et de mettre à la disposition de tous, par une circulation intense à l’intérieur du pays, l’ensemble des ressources naturelles du pays et des forces individuelles de la nation.
4. Stade de l’économie mondiale. — Aussi bien l’économie nationale a succédé à l’économie familiale, l’économie mondiale s’impose comme conséquence obligatoirement nécessaire du développement de l’évolution. L’économie mondiale n’est possible que dans la liberté mondiale, par conséquent par le recul des limites du droit de chacun jusqu’aux frontières du monde. Mais elle implique une organisation.
Il y a nécessité et intérêt à prendre toutes mesures susceptibles de favoriser, dans un sens international, la production, les échanges et la consommation de tous les systèmes d’énergie et de préparer ainsi la fusion de toutes les sociétés particulières dans la société-organisme finale : l’Humanité.
En ce moment toutefois nous assistons à une régression de l’économie mondiale, instauration de l’autarchie et de l’économie dirigée.
Jusqu’à la Révolution française, l’industrie apparaissait discrètement au second plan, comme une annexe de l’agriculture ; au cours du XIXe siècle, elle a pris un essor sans précédent, et sans cesse est devenue plus nombreuse la population vivant du travail industriel. L’origine de l’industrie moderne remonte à cent cinquante ans. Si l’on se reporte jusqu’à ses causes, on reconnaît que le développement du commerce l’a précédée et provoquée. En effet, depuis la fin du XVe siècle, depuis la découverte de l’Amérique et de la route des Indes, tandis que la technique restait à peu près stationnaire, il y avait eu un agrandissement perpétuel du monde connu. Des groupes d’hommes essaimaient partout et leurs colonies provoquaient un mouvement commercial en Espagne, au Portugal, en France, en Angleterre, en Hollande. En même temps, à l’intérieur de ces pays le marché s’élargissait entre les diverses parties de chaque État ; le réseau des routes se créait ; grâce aux banques l’argent acquérait de la mobilité. Pour le marché ainsi triplé, quadruplé, décuplé, même dans son étendue et dans ses facultés d’absorption, bien qu’il demeurât toujours encore national, il fallait produire davantage, et pour produire davantage, il fallait produire autrement. Ne pouvant accroître le nombre des ouvriers, on songea tout naturellement à la production mécanique. Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, grâce aux recherches des professionnels et des savants dans les industries des mines, du coton, du fer, de la papeterie, des transports, de l’éclairage, des produits chimiques, une profonde transformation de l’outillage et de la production s’est ébauchée. Elle est visible surtout en Angleterre, en France, aux États-Unis. La grande industrie, maîtresse de la vapeur (Watt), et désormais liée à la science, s’y est organisée sur un modèle nouveau qui va se propager à travers le monde. D’Angleterre et de France, pays où la grande industrie eut son origine, les courants d’imitation se sont dirigés de l’Ouest à l’Est, traversant le Luxembourg, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, bifurquant de là sur la Russie d’une part, sur les pays balkaniques d’autre part. Ils se sont propagés aussi du Centre au Nord par la Belgique, les Pays-Bas, les Pays Scandinaves, et du Centre au Sud, poussant à travers les Alpes jusqu’en Italie et en Grèce, à travers les Pyrénées jusqu’en Espagne et en Portugal. En Amérique, le courant a commencé à venir du vieux monde. Il a marché de l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord, vers le Canada et, dans la direction contraire, vers le Mexique et l’Amérique du Sud. L’Asie a été entamée par terre et par mer ; deux ondulations marquées par les chemins de fer transcontinentaux vont d’Occident en Orient ; puis venant de toutes les colonies européennes, des Indes en particulier et de l’Australie, l’ébranlement a gagné le Japon et est en train de se faire sentir à la Chine. En Afrique, c’est de toutes les côtes vers le centre que convergent les lignes de pénétration. Pendant la guerre mondiale et après, les colonies et les pays considérés comme secondaires se sont industrialisés à leur tour. Plus un État n’a accepté la position de tributaire économique à l’égard des autres.
Les théories sont une chose, les plans une autre, la réalité une troisième. À aucun moment, aucun des systèmes n’a pu s’imposer à 100 %. Une société, a pu dire A. Schatz, est un phénomène naturel, anormal, soumis à des lois propres de développement sur lesquelles la raison n’a que peu de prise. Le désarroi, qu’il soit dans les faits ou dans les doctrines, est complet. 1° Le capitalisme a changé d’aspect. La libre concurrence qui était jadis la base de l’économie libérale n’existe plus guère. Avec les ententes industrielles, les cartels, on a organisé bien des monopoles de production. Les contingentements, qui sont certes de l’économie dirigée, sont institués non pas à la demande des masses consommatrices, mais de puissants groupements industriels ou bancaires. 2° Les gouvernements rejettent tout système. Invoquant la nécessité de représailles ou la défense contre des maux grandissants, ils interviennent « à la petite semaine » presque partout, disposant de l’autorité : fascisme, pleins pouvoirs ou pouvoirs spéciaux. S’ils se réclament encore d’un but, ils répudient les lisières de tout plan. La monnaie est manipulée, le minimum de salaire imposé, l’entente corporative rendue obligatoire, le sauvetage des banques devenu une tâche, le secours aux chômeurs et aux familles nombreuses incorporé dans les budgets. 3° Les socialistes eux-mêmes, forcés de faire place aux maux immédiats, postposent l’application de leur doctrine et, après le réformisme, proposent des plans devant en réalité avoir pour conséquence de sauver l’argent, le capitalisme.
Dans la réalité, qu’est-ce qui finalement l’emporte ? Une masse d’intérêts et de fonctions de plus en plus solidaires en surface. Les progrès de la mystique nationaliste se sont accomplis au détriment de la mystique marxiste, et cela peut avoir pour résultat une consolidation apparente du capitalisme. Mais il ne saurait point ne pas se plier à une discipline collective et accepter un partage de souveraineté. Et renoncer à la guerre qu’il envisageait froidement alors que ruinant la confiance, elle le prive de ce qui lui est indispensable pour être. Et, aussi, renoncer à l’injustice sociale, à l’exploitation inconditionnée du travail, d’où dérive maintenant cette autre insécurité : la révolution.
a) Les socialistes. — Jules Guesde a souligné l’antinomie entre le mode collectif de production et le mode individuel d’approbation. Ad. Landry voit une contradiction entre la propriété privée et l’intérêt social. Pour Ed. Berth le socialisme serait un progrès moral parce qu’il substitue au travail salarié le travail associé. Andler niait le terme socialisme scientifique : on est socialiste par sentiment et un idéal se propose à nous par sentiment, il demande l’adhésion du cœur. Pour G. Renard l’égalité civile et politique est un leurre tant que subsiste l’inégalité économique. Millerand et Sarrante ont professé le réformisme.
b) Le syndicalisme révolutionnaire vise avec la C.G.T. une action purement économique contre le patronat. Sorel voyait dans le prolétariat un immense réservoir de forces morales ; il l’opposait à la bourgeoisie pervertie par l’esprit de jouissance et de cupidité ; il fit l’apologie de la violence, « seul moyen dont disposent les nations européennes, abruties par l’humanitarisme, pour retrouver leur ancienne énergie » ; poussa le mythe de la grève générale. Jean Jaurès, continué par Léon Blum, réalisa une sorte de synthèse du collectivisme et de l’individualisme, du réformisme et des tendances révolutionnaires. Pour le communiste Berth, la paix internationale est une impossibilité, « car vivre c’est combattre, c’est non seulement résister, mais attaquer et chercher à se répandre, à triompher ; la vie est essentiellement expansion, conquête, impérialisme, annexion et si possible victoire. »
Les néo-socialistes (Marquet, Montagnon, Deat) veulent secouer l’idéologie de Blum tout en restant anticapitalistes.
c) Les individualistes. — Pour eux le libre jeu des lois économiques naturelles avec le minimum d’intervention de l’État réalise l’harmonie sociale. L’intérêt personnel, la concurrence sans entrave sont de puissants moteurs grâce auxquels la technique se perfectionne sans cesse et le bien-être général augmente (Colson, Deschamp). De Molinari s’oppose à tout interventionnisme même dans le monnayage et l’enseignement, mais il s’élève contre la guerre. Pour son disciple Yves Guyot « l’intérêt individuel est le principal agent de la civilisation industrielle ». Les individus travaillent en épargnant, les gouvernements gaspillent et s’endettent. Leroy Beaulieu tempérait un tel libéralisme. Charles Renouvier voulait une synthèse de l’individualisme et de l’esprit social. Le Play défend l’individualisme tempéré par la règle morale, la tradition et les principes de décalogie.
d) Les néo-capitalistes. — Ils demandent la discipline de la profession organisée et les hauts salaires, mais non la participation du personnel à la gestion de l’entreprise.
e) Les catholiques sociaux. — Ils croient que seule une réforme morale pourrait guérir le monde de la crise économique qu’il traverse. Certains ne voient de salut que dans un renouveau spirituel des individus. Les démocrates-chrétiens en Belgique ont un programme faisant place aux revendications des classes moyennes ; ils tendent vers la corporation organisée. Des jeunes catholiques se font les protagonistes de l’Encyclique « Quadragesimo Anno » qui renouvelle et accentue « Rerum Novarum ».
f) L’économie dirigée. — Elle apparaît comme un système qui confie aux pouvoirs publics la tâche de régulariser une activité économique naturellement chaotique et de discipliner des prix naturellement instables. Elle repose sur le principe d’un secteur public et d’un secteur privé. Les premières tentatives partielles ne furent pas des succès : valorisation des cafés du Brésil, plan anglais de réglementation du caoutchouc, pool canadien du blé, ferm board américain. Maintenant l’expérience Roosevelt, Mussolini et Hitler faisant de l’économie dirigée, les plans quinquennaux russes largement réussis ; en Belgique, le Plan du Travail (Plan de Man) élaboré et proposé à l’application par les socialistes dès qu’ils auront la majorité.[5]
Les systèmes et réseaux. — Graduellement s’est constitué un immense système économique formé d’un ensemble de réseaux reliés entre eux. Ainsi : 1. Les transports et communications : routes, chemins de fer, lignes vicinales, tramways, autobus et autocars ; navires, canaux ; avions ; postes, télégraphes, téléphones, radio. 2. L’énergie : hydraulique, gaz, électricité, hydro-électricité. 3. Les usines : chaîne entre toutes les opérations industrielles. Liaison entre les usines : matières premières, produits bruts, demi-finis, finis. Concentration horizontale, longitudinale, transversale. 4. Le commerce de gros, demi-gros, détail ; grands magasins à rayons multiples et à multiples succursales. 5. Finances, banques, système de comptes courants, Bourse, Clearings, système de chèques postaux, système monétaire. 6. Répartition : système des conventions collectives, des assurances sociales. 7. Consommation : système de consommation collective. Tous ces réseaux et systèmes prolongés jusqu’au degré mondial, constituent la trame de l’économie universelle.
1. Économie libérale et individualiste. (Ricardo et les économistes libéraux). — Les lois économiques sont conçues comme des lois naturelles quasi physiques. Toute l’économie est dominée par la nature extérieure. Théorie de la vente, du salaire et du profit.
2. Économie socialiste, y compris le socialisme d’État (Karl Marx). — Elle se révolte contre l’immoralité des lois ; elle admet que l’économie soit dominée par des lois naturelles, mais ces lois sont historiques et elles n’ont pas un caractère universel.
Théorie catastrophique : a) de l’appauvrissement croissant des classes laborieuses ; b) de la concentration progressive et inévitable des moyens de production et d’échange aux mains des capitalistes oppresseurs.
3. Économie corporative. Fascisme. — Elle se révolte contre la conception du naturalisme matérialiste et universaliste. Les lois économiques varient d’après les peuples et l’économie est nationale. La réalité économique est un simple aspect de la vie, et elle est inséparable des autres aspects. La volonté peut la modifier.
Le fait et l’idée capitalistes. — Le capitalisme reste le système sous lequel vivent des centaines de millions d’hommes (les collectivités occidentales et extrêmes-occidentales). C’est là le fait capitaliste. Mais à côté du fait, il y a l’idée du capitalisme. Les défendeurs du capitalisme ont donné les définitions suivantes :
Au point de vue technique. — Le capitalisme exprime la situation créée par les applications de plus en plus nombreuses et complexes des sciences de l’Univers physique à l’économie.
Au point de vue sociologique. — Le capitalisme est le système de l’économie qui favorise la richesse individuelle.
Au point de vue métaphysique. — Le capitalisme est le système de l’économie qui se réalise spontanément sous l’empire d’une conception rationaliste du monde. Le capital, c’est la forme purement quantitative de la richesse. (Jean Denis.)
La finance est le couronnement de tout édifice économique. Le nôtre a reposé jusqu’ici sur la base de la liberté des échanges, le profit personnel, le pas donné à la production sur la consommation. Chacun s’efforçait de reproduire ce qui pouvait lui rapporter le plus, et n’avait pas à s’inquiéter s’il accroissait ou non les utilités réelles ou s’il fabriquait des produits tout à fait superflus, ridicules, dangereux. D’immenses besoins normaux pouvaient demeurer non satisfaits. Comme Louis XIV autrefois avait pu dépenser 700 millions à Versailles sans se préoccuper du sort des paysans de France qui manquaient de pain mais devaient payer leurs tailles, les capitalistes avant la guerre, en toute indépendance, pouvaient par exemple créer des tissages de soie alors qu’il manquait de solides étoffes de laine et nul n’aurait pu s’opposer à ce qu’on préparât des fourrures pour chiens, tandis que des vieux grelottaient encore dans les greniers.
C’étaient les profits qui constituaient le gros de l’épargne, la source du capital. Celui-ci avait fini par s’en remettre aux banques du soin de lui procurer d’avantageux intérêts. Les sociétés anonymes, les trusts, avec les bourses pour coter leurs titres, étaient à même de les offrir. Les assurances et les réassurances venaient garantir certains risques et établir leur compensation, moyennant une part du profit. Pour rendre possibles les transactions de l’industrie qui acquiert les matières, paye les salaires, vend le produit, les transactions du commerce, qui achète pour revendre, les transactions en propriétés, terres et valeurs mobilières, on avait la monnaie. De pays à pays le commerce était libre, sauf les barrières douanières et la concurrence stimulée par l’État favorisait ses nationaux au moyen des tarifs de transport et des primes d’exportation. Les paiements au delà des frontières mettaient en jeu les différences de valeur entre les monnaies et créaient les difficultés du change. La guerre est venue troubler profondément cette organisation ; elle a créé des conditions qu’ici même nous avons essayé de définir.
La finance, aujourd’hui, est vraiment l’algèbre de l’économie. L’algèbre constitue, dans l’abstraction de la quantité, un degré supérieur à l’arithmétique. Elle procède au moyen des signes généraux, lettres ou symboles au lieu de chiffres concrets, et par là elle ouvre la voie à d’immenses développements. La finance laisse au commerce le soin d’agir sur les marchandises, produits naturels ou produits des industries. Elle agit elle-même sur cette abstraction qui est la valeur incorporée dans des signes qui appelle titres ou documents matériels. Partie du droit de propriété ainsi que de la convention, qui sert à transférer les modalités de ce droit, elle a commencé par créer la monnaie, la métallique d’abord, la fiduciaire ensuite. On peut définir l’une et l’autre une créance impersonnelle et au porteur sur la collectivité. En s’inspirant de ce premier modèle, la finance a créé ultérieurement des titres de crédit, effets de commerce, chèques, warrant, connaissements, lettres de voiture, et des titres de propriété cessibles, des cédules hypothécaires, des actions et des obligations de sociétés commerciales, des fonds d’État. Puis, ayant mobilisé ainsi tous les biens réels, ayant donné une représentation aux transactions auxquels ils donnent lieu, la finance s’est mise à agir sur tous ces symboles de la valeur. Pour ses opérations, ses combinaisons, ses spéculations, elle a créé des marchés, les Bourses, et des entrepôts, les Banques. Et de même que l’algèbre n’a pas tardé à passer des conceptions des quantités abstraites, à celles des pures fonctions, de même la finance a toujours davantage, abstrait, généralisé, intellectualisé peut-on dire, l’objet sur lequel elle opérait. Envisageant dans une même formule les valeurs présentes effectives et les valeurs possibles d’avenir, superposant aux diverses représentations particulières une représentation unitaire, elle a créé et perfectionne le « crédit en banque ». La monnaie, ou plus exactement le système monétaire, est réduit au rôle de mesureur et non plus de constituant de la valeur. Pareil crédit est formé par simple écriture d’une somme dans un grand livre. Il porte automatiquement intérêt, il se divise jusqu’à l’ultime fraction, il se transporte en n’importe quel lieu avec la rapidité de la lettre, du télégramme, de la parole téléphonée. Abstrait, mais nullement irréel, le crédit est comparable à la plus subtile des forces de la nature, l’électricité, que des machines extraordinaires, les dynamos, les accumulateurs, les réseaux, sont venues collecter, emmagasiner et distribuer. Le crédit est la plus subtile des forces sociologiques, c’est la confiance de l’homme en l’homme, la confiance qui fait que celui qui donne aujourd’hui pour recevoir demain, libère ainsi des énergies qui autrement demeureraient inoccupées. Captées et condensées par l’appareil financier, la disposition de cette force rappelle le geste du Jupiter Olympien dont le Nutus, le mouvement de tête, suffisait pour orienter différemment le monde. Une simple opération sur les symboles financiers, transfert de crédit, achat ou souscription de titres, peut déplacer vers la droite ou vers la gauche des quantités immenses d’énergie économique, créer ou rompre des équilibres. Sans doute, les forces elles-mêmes se résolvent finalement en déplacement des marchandises et en composition de travail. Il est œuvré dans chaque cas en vue de l’avantage des parties en présence, employeur et travailleurs, acheteurs et vendeurs. Mais l’organisation du crédit, la détention de sa maîtrise peuvent être telles qu’il ne se dispense qu’en imposant à chaque opération une charge disproportionnée, résultant soit d’un bénéfice financier exagéré prélevé par un monopole pur, soit de la multiplication de commissions payées à des intermédiaires inutiles, parce que nul n’a la vision ou le courage des réformes nécessaires.
Évolution de la monnaie. — Depuis longtemps on a fait usage, chez les peuples civilisés, de métaux plus ou moins précieux et malléables, pouvant recevoir et garder une empreinte, facilement divisibles, résistants à l’usage (pièces en fer de dix pfennigs pendant la guerre). Avec le progrès et le développement du crédit on a étendu le pouvoir libératoire de la monnaie à de simples coupures de papier, aux billets de banque, aux mandats-poste, aux bons de virement, aux virements comptables. À cause des monnaies différentes usitées en tous pays, les banques se servirent de bonne heure d’une monnaie idéale (standard), simple unité de compte, en laquelle on convertissait toutes les transactions, elle n’est pas représentée par des pièces métalliques en circulation. Plus tard, la monnaie elle-même a été en se « spiritualisant ». La matérialité des métaux a fait place à la moindre matérialité du papier, puis à l’immatérialité plus grande encore d’un simple « droit » à une somme de monnaie s’écrivant dans un compte de banque après virement ordonné par lettre, câble ou téléphone. Le système des virements, grâce aux services postaux, a acquis un rapide développement et a même déjà été partiellement internationalisé, notamment par les chèques postaux. Maintenant les monnaies sont bloquées (geleés). Par suite, il en coexiste de divers types dans un même pays ; on a créé des clearings obligatoires.
Monnaie universelle. — Par leurs divers aspects les questions monétaires touchent aux questions internationales. La monnaie est l’instrument des paiements, et il y a paiement chaque fois qu’il y a achat ou vente à l’étranger.
Notre temps connaît les manipulations de monnaies et nul ne sait ce qui en sera demain. Cependant, la monnaie dont le monde a besoin est une monnaie universelle. Cette universalité doit s’étendre dans trois directions :
1° Monnaie universelle dans l’espace (monnaie internationale). — Par conséquent, éliminant tout autre système différent avec qui devrait s’établir la conversion et faire naître l’inévitable change. L’économie devenue mondiale, nécessite instrument de paiements mondiaux. L’entente restreinte comme fut l’ancienne Union monétaire latine, comme la refit le Bloc de l’Or, sont dépassés par les faits.
Déjà la France a demandé à la Société des Nations une législation pénale internationale contre les faussaires de la monnaie. À la suite de récentes falsifications de monnaie nationale dans les pays étrangers (en Hongrie notamment), la France lui a demandé de négocier une convention pour combattre ce «crime international».
2° Monnaie universelle dans le temps (perpétuelle). — Les systèmes monétaires actuels impliquent un terme déterminé, une clause de liquidation. Ainsi des Unions monétaires. Ainsi les conventions qui créent les Banques Nationales. La perspective de cette liquidation pèse invisiblement mais lourdement sur toutes les opérations en cours d’existence. Elle est cependant arbitraire. Si la monnaie est nécessaire aux transactions et s’il est absurde d’entrevoir que celles-ci puissent s’arrêter un seul moment sans anéantir la société elle-même, il s’ensuit que la fonction monétaire doit être organisée sur la base de la perpétuité. Un État traite toute chose comme s’il devait être perpétuel ; de même une ville, de même les églises, de mêmes les grandes institutions de l’ordre intellectuel. Tout autre traitement pour la monnaie ne s’explique pas. Or l’élimination de tout terme est de nature à rendre inutiles toutes les conditions qui n’existent que pour la liquidation.
3° Monnaie universelle dans sa substance (monnaie solidaire). — Dans le troc, deux échangistes sont en présence et l’objet livré immédiatement par l’un est tenu pour l’équivalent de celui livré par l’autre. Mais bientôt la nécessité de quelques termes dans la livraison fait naître la créance, et la division dans le travail conduit à attendre l’équivalent espéré de l’objet vendu, non pas du cocontractant, mais de quelque tiers qui pourra être sollicité grâce à l’intervention de la monnaie. Celle-ci représente un actif pendant le temps nécessaire pour l’achèvement du cycle de l’échange. Cependant le marché s’étend. On peut le représenter par un triangle de relations quand trois échangistes sont en présence ; ce sera un polygone ensuite au nombre croissant de côtés ; polygone local, puis régional, puis national. Aujourd’hui le polygone a virtuellement deux milliards de côtés, nombre équivalent aux habitants du globe, car tous par quelques intermédiaires sont en rapport économique avec tous. Le mécanisme évolutif de la monnaie peut bien cacher ce phénomène fondamental de l’échange, il ne le supprime pas. L’or ou l’argent qui circule, sans doute est une marchandise, mais combien peu utile ! L’accepterait-on en paiement si un autre élément n’existait et n’était organisé, qui est la confiance, c’est-à-dire la certitude morale ou légale qu’un autre acceptera à son tour ce même mode de paiement ? L’or est bien plutôt le signe, le symbole d’un droit à une quantité de marchandises déterminée en valeur et non en espèce. Ceci est essentiel au fond de toute monnaie : être le titre représentatif, transmissible au porteur et divisible à volonté d’une créance à terme indéterminé sur une communauté économiquement et juridiquement organisée, et par suite, une créance sur tous les membres de cette communauté, dès qu’il consent à une commercium in concreto. Le billet de banque normal vient donner au signe monétaire un tiers de couverture métallique, deux tiers de couverture en effets de commerce. Immédiatement s’accentue ce caractère de créance. Tout un portefeuille d’effets (traites et promesse avec endos, aval, garantie de bonne fin, etc.) trouve une forme de mobilisation et après avoir été fusionné en une seule masse, devient le gage collectif de la monnaie. Plus s’étend l’aire d’action d’une banque d’émission, plus s’étend l’assiette de la solidarité économique créée entre tous les créanciers particuliers.
Une étape de plus doit être accomplie aujourd’hui et la solidarité devenir universelle par un mécanisme qui lie les uns aux autres en une seule masse, les créances du monde industriel et commercial tout entier. Ainsi serait constituée une monnaie fondée sur les richesses réelles des peuples : le travail, dans son nombre, la technicité et son esprit d’invention, les ressources du sol et du sous-sol, les réservoirs de houille blanche, tous les instruments de production et d’échange. La loi des grands nombres compensant les risques au maximum donnera la meilleure des assurances.
Adam Smith a dit : « Le propriétaire d’un immeuble est attaché au pays où se trouve sa propriété, le propriétaire d’un bien mobilier est citoyen du monde. » Les créances de partout, après avoir été mobilisées dans un organisme à activité continue et y avoir été solidarisées sont susceptibles d’agréger vraiment les hommes en citoyens de l’univers économique et financier.
Troubles monétaires. — La politique monétaire peut prendre diverses directions : déflation, dévaluation, inflation. Elles donnent lieu à de savantes manipulations. La déflation (baisse du prix des marchandises) a pour conséquence une hausse de la monnaie. D’où deux camps dans la population. Dans l’un, les rentiers, propriétaires, créanciers, les monopoles, les salariés (s’ils ne chôment pas). Dans l’autre camp les débiteurs, fermiers, locataires à long bail, entrepreneurs, commerçants, agriculteurs, industriels, chômeurs, toute la jeunesse.
1. — L’industrie est organisée sur des bases individualistes en vue du profit et non de la satisfaction des besoins.
2. — Pour augmenter la marche du profit il faut : réduire le prix de revient ; anéantir les concurrents ; s’emparer des débouchés ; s’emparer des sources d’approvisionnement.
3. — Pour réduire le prix de revient, il faut produire en masse de plus en plus considérable.
4. — Par conséquent procéder à des extensions d’usines (bâtiments, machines) et investir de nouveaux capitaux.
5. — D’où appel à l’épargne en faisant valoir des rendements et plus-values considérables.
6. D’où une multiplication des moyens de produire, un accroissement de potentiel ne répondant à aucun débouché réel.
7. Mais des immobilisations nouvelles doivent être rentées et amorties. D’où aggravation des prix de revient et diminution des dividendes.
8. — D’où les stocks et la baisse des prix.
9. — D’où la crise boursière.
10. — Alors vient la diminution des salaires.
11. — Et la demande d’aide à l’État sous forme de dégrèvement d’impôt, de diminution des charges sociales du travail (assurances) et de droits de douane, suivi bientôt de diverses mesures d’économie plus ou moins dirigée. L’État jusque là strictement politique est subitement obligé de s’imposer « économique ». Empiriquement, il entre dans la voie des interventions, sans plan d’abord, peu à peu avec plan et en empruntant aux adversaires du système une partie de leurs mesures préconçues pour un régime socialiste et même communiste. La révolution économique s’opère ainsi sans révolutionnaires.[6]
Les faits. — C’est au début de l’automne de 1929 que se manifesta le changement décisif d’orientation, quand la période de « boom » prit soudainement fin aux Etats-Unis et fut suivie d’une grave dépression. De ce moment à décembre 1930 (15 mois), la valeur du commerce international de 45 pays est tombé de 5,500 millions de dollars à 3,600. Pourquoi cette dépression si profonde et si générale ? 1° À cause de l’adaptation tardive aux nouvelles conditions organiques qu’il a fallu effectuer. 2° Parce que l’existence même d’un profond défaut d’adaptation organique a rendu la situation instable et réduit le pouvoir de résistance aux tendances désorganisatrices et déprimantes plus ou moins liées au cycle économique.
Après 1925 ou 1926, ce fut le moment d’un certain degré de normalisation, d’équilibre économique. De 1925 à 1928, la production des denrées alimentaires et des matières premières augmenta de 8 %, celle des articles manufacturés 9 % et le commerce d’environ 15 %. En 1928, le montant des prêts consentis à l’étranger par les pays exportateurs de capitaux, (Grande-Bretagne, États-Unis, France, Suède, Suisse, Pays-Bas) a été de 2,300 millions de dollars dont 40 % à destination de l’Allemagne. Des progrès techniques considérables ont été accomplis dans la production des céréales au cours des 20 dernières années (fermiers plus instruits, qualité de semences, engrais, instruments mécaniques). Ainsi on a pu réduire de 130 à 100 jours la période nécessaire à la maturation du blé, permettant au Canada de reporter à 200 mille plus au nord la limite septentrionale de culture du blé. D’autre part, avec un travail musculaire moindre à raison des machines, et la possibilité d’acquérir une nourriture variée, la consommation du blé a été réduite par tête d’habitant, de 5 % en Allemagne et en Angleterre, de 10 % en France, de 14 % en Amérique.
En l’espace de un ou deux ans, les cours de bourse baissèrent de 58 % (France), 36 % (Angleterre), 33 % (France), 47 % (Allemagne), 30 % (Suisse), 52 % (Pays-Bas). Les stocks visibles augmentèrent pour le coton, le sucre, le café, le caoutchouc ; ils doublèrent presque en 18 mois.
Les importations et les exportations de capitaux suivirent une courbe fluctuante. En 1927, le total des exportations américaines atteignit le chiffre record de un milliard de dollars. L’année suivante il tombait au quart ; en 1930, il a été quasiment insignifiant. Pour l’Angleterre, égal en 1928 et 1929, il a, en 1930, baissé de 70 %. De 1926 à 1928, la France a beaucoup exporté de capitaux mais à court terme. En 1929 et 1930, elle a importé, rapatriant quantité de capitaux prêtés à New York et Londres. Cependant on constate que même dans les pays où les salaires ont été les plus réduits, les taux réels des salaires des ouvriers ont augmenté.
La perte annuelle de salaires des 24 millions de chômeurs à fin 1931, était pour 20 pays de 525 milliards de francs (français). Ces 525 milliards auraient permis de nourrir pendant un an 72 millions d’hommes ou d’habiller complètement 1 milliard d’individus ou de construire 8,750,000 maisons ouvrières. La proportion des secours de chômage par rapport au revenu national est de 3.79 et de 7.3 % par rapport aux salaires, notamment en Angleterre, de 5.2 et de 9 % en Allemagne.
Il y a eu aux États-Unis en 4 ans (1928-1932) plus de cent mille faillites avec un passif de 100 milliards de francs (109,495 faillites, 2,814 millions de dollars de passif).
La crise atteint la bourgeoisie. Exemple : en Belgique 1934 a été une année blanche pour le marché des capitaux. Depuis la forte émission de l’État au troisième trimestre de 1933, on n’a littéralement plus émis ni actions ni obligations. Les hauts traitements commencent à être atteints ; la bourse fixe bas les valeurs ; en vente publique mobilière on n’en obtient que des prix dérisoires. Le chômage des jeunes ou leur engagement à des traitements de famine, l’industrie en pleine stagnation depuis dix ans, la balance commerciale en équilibre, mais avec diminution de la valeur des exportations. Le marché des capitaux inexistant, l’épargne ayant été partiellement compensée par une consommation anormale des réserves familiales et partiellement placée à l’étranger. Un sort différent réservé aux ressources et aux charges joue comme un mécanisme aveugle, « nettoyant », fauchant les revenus et épargnes des uns, tandis qu’il égratigne seulement les autres et favorise un petit nombre.
Les effets de la crise : le travail inemployé, le capital oisif, l’intelligence mise en veilleuse, l’entreprise arrêtée. Nous voilà acculés par le protectionnisme, l’incertitude des changes, la dévaluation des monnaies-or, le dumping, les repliements nationaux, les blocs économiques, les dictatures.
Les causes. — En étudiant la crise, une distinction capitale s’impose : d’une part, les changements profonds qu’accusent la technique de la production (machinisme, rationalisation), la politique commerciale (douane) ou la structure politico-économique (étatisme) ; d’autre part, les changements qu’implique ce que l’on appelle le cycle économique, c’est-à-dire le retour à des intervalles assez réguliers de périodes alternatives de prospérité et de dépression. Il s’en suit qu’il y a deux espèces de défauts d’adaptation de l’organisme économique, les uns organiques, les autres cycliques. L’examen des faits économiques oblige aussi à distinguer les diverses forces (facteurs laissés librement à eux-mêmes) qui exercent une influence et les diverses politiques mises en œuvre (économie dirigée).
L’interdépendance. — Le rapport de la Société des Nations a conclu ainsi : « Le monde est de nos jours uni plus étroitement dans le domaine économique que dans le domaine politique. Mais des répercussions économiques importantes résultent non seulement des mesures que chaque pays prend en matière monétaire ou dans le domaine de la politique commerciale et qui provoquent immédiatement des réactions internationales, mais aussi des mesures que chaque pays adopte à l’égard des questions qui pourraient sembler purement nationales ou purement politiques. » Il y a une interdépendance des matières financières et des matières premières, les deux évoluent de façon parallèle. Il y a une interdépendance aussi des marchés financiers et du cours de la politique, fait susceptible d’amener de l’insécurité ou des modifications dans l’ordre économique existant.
Remèdes proposés. — On a proposé : l’élargissement des territoires économiques (mais échec de l’Anschluss) par des accords plurilatéraux ou généraux ; la diminution des salaires ; la redistribution des disponibilités d’or ; la réduction ou la hausse des taux d’intérêt ; l’acceptation de l’économie socialiste ; la constitution d’une nouvelle économie.
La prostration des esprits, le noir devant soi, l’étranglement lent, l’inutilité non des efforts mais de l’effort. Et les remèdes apparents : 1° les moyens ultra, la révolution qui fracasse tout, d’une part ; 2° la prière et la résignation ; 3° l’attente stoïque de la fin du mal ; 4° la théorie de l’illusion et le lien entre elle et le charme ; 5° les plans.
La solution en soi. — Puisque la production a augmenté et que la consommation a diminué, on peut théoriquement envisager les hypothèses suivantes :
1° Diminuer la production en retournant aux procédés irrationnels, en réduisant le nombre des travailleurs ou le nombre de leurs heures de travail.
2° Accroître la consommation, par les besoins accrus d’une minorité possédante, par les besoins accrus des masses occidentales, par le standard of life général (on en arriverait à la consommation obligatoire).
3° Continuer à produire avec l’outillage actuel, mais en adaptant les prix aux possibilités du marché.
4° Accroître encore la production moyenne, accroître la consommation, mais instaurer un système assurant la correspondance entre la production et la consommation.Il faut des mots passer aux choses. Plan étatique (plan quinquennal), économie dirigée, économie organisée (corporative syndicale), économie individualiste et libérale : des mots qui marquent ou des stades dans une gamme d’organisation ou des positions derrière lesquelles les partis politiques ou les intérêts se retranchent pour justifier leur attitude égoïste ou leur renonciation.
1° Individu. — Il y eut un temps après la Révolution française où l’individu (premier degré) était l’idéal, où toute association était mal vue.
2° Société anonyme. — Plus tard avec la société anonyme (2e degré) l’association fut reconnue nécessaire, mais c’est au trust qu’on imposa des barrières.
3° Trust. — Voici maintenant que les adversaires de l’économie dirigée demandent que l’on reconnaisse trusts, holdings, konzerns, groupements d’entreprises (3e degré), mais qu’on s’oppose aux organismes d’État. 4° Économie dirigée. — Et celle-ci apparaît au 4e degré avec l’économie dirigée, mais se proclame anti-collectiviste ou communiste.
3° Communisme économique. — Le communisme intégral apparaît donc au 5e degré de la chaîne. L’économie du profit et de la lutte de chacun contre tous, substitution de la notion du service, de la communauté et d’une édification continue par tous au profit de tous.
Personnes et choses humaines, toutes indistinctement et constamment, ont entre elles des rapports dont l’ensemble constitue la société, le milieu social, la civilisation. Ces rapports affectent directement les corps et les esprits (rapports physiques et psychiques) ; mais il s’y superpose les rapports d’un vaste système économico-juridique reposant lui-même sur les deux notions de la valeur (biens, richesses) et du droit (propriété et obligations actives ou passives sanctionnées et se résolvant finalement par les dommages argent dus en cas d’inexécution). Enfin le mécanisme de la monnaie et des titres représentatifs de la propriété et des crédits constitutifs de valeur (toute la finance), est concentrée dans la banque. Celle-ci commande donc la société toute entière et, aujourd’hui le réseau économico-juridique a pris partout les formes financières, presque tout le mouvement des hommes et le mouvement des choses est gouverné par la Banque et dépend d’elle. La banque dispose vraiment des « commandes » de la société. Arrivant à concentrer elle-même ses organes jusqu’en quelque banque internationale, celle-ci peut devenir l’instrument majeur du bien ou celui du mal. Or, qu’advient-il dans ce réseau tissé de solidarités et d’unités si étroites ? Au bas ou au degré intermédiaire, chez les individus et dans les choses, une telle inéquation souvent du rapport économico-juridique avec la réalité, qu’il y a arrêt par faillite et grève, lesquelles bien que locales se répercutent de plus en plus gravement sur l’ensemble. Et au sommet, là où se dispense le crédit des crédits, une action quasi-aveugle, mal informée, inconsciente de l’ensemble, mue par des fins uni-latérales et égoïstes. De ce double désordre, la crise. Le passé a connu de telles impasses. La Grèce, Rome, durent proclamer la remise des dettes transformées dans le pardon du Christianisme.
Débloquer à la base et rendre efficient une direction au sommet. La formule est celle-ci : par l’organisation du crédit (la production) organiser les droits (consommation) et réciproquement par l’organisation des droits, organiser le crédit.
Notre temps doit chercher la solution dans le plan mondial, délibéré, voulu, accepté en commun ; il doit, par le crédit dispensé en conformité du Plan qu’il y a lieu de formuler ; créer par coordination supérieure, la véritable Banque Mondiale, superorganisme de l’économie.
D’autre part, en ce moment le monde est placé devant ce formidable problème : d’une part trouver le moyen de faire supporter aux gouvernements eux-mêmes ces charges : indemnités de chômage, armement, dettes de guerre, réparations ; d’autre part apporter aux peuples la diminution sinon la fin de la crise. Tâche angoissante, auprès de laquelle toutes les autres ne sont que bagatelles, hormis celles qui revisent la structure économique même de la société.
L’organisation a pris les formes horizontales ou verticales, régionales ou fonctionnelles. Tout projet s’y conformera. Tandis que les trusts internationaux ont à se développer horizontalement et verticalement, les complexes d’intérêts nationaux ont à prendre structure d’économie nationale. Le double mouvement doit être favorisé, conjugué harmonieusement. Les choses similaires ont des rapports entre elles, quel que soit le lieu où elles existent (charbon, électricité, sucre, etc.) ; les choses d’une même aire géographique, d’un même pays ou région, ont des rapports entre elles quelle que soit leur spécialité. Il faut donc un système économique double, ou mieux, un système économique en deux parties : l’international-spécial doit pénétrer le national-général, et réciproquement. Ce rôle coordinateur sera celui de la Banque Mondiale.
Les bases ou postulats de l’Économie.
Une économie mondiale est conditionnée par les quatre postulats suivants :
1° Le progrès matériel est constitué par tout ce qui fait le confort et le bien-être des masses, ce qui doit les libérer des famines, inondations, épidémies. Ce progrès résulte des applications des inventions et des découvertes scientifiques. Il est réalisé à l’intervention d’organismes collectifs, sociétés commerciales ou administrations publiques. Il nécessite des capitaux, du personnel dirigeant, une protection juridique intérieure et extérieure.
2° Les divers besoins de nourriture, vêtement, habitation, transports et ceux d’éducation, sports, jeu, vie intellectuelle et morale, affection. L’économie est à envisager dans l’unité de ses multiples parties. La régularité, l’efficacité, la puissance du système dépendent de cette unité.
3° Satisfaction doit être donnée à ces besoins dans l’ensemble de l’espèce humaine pour des raisons de moralité, d’humanité d’une part, d’intérêt d’autre part. Plus seront nombreux les hommes développés et plus il sera possible d’obtenir des résultats de leur coopération, de la sécurité générale à raison de leur participation aux avantages de la civilisation.
4° La Politique n’a d’existence propre. Les rapports entre l’Économique, le Politique et l’Intellectuel sont déterminés par la nature de leurs objets. L’Économique est fondamental. Une harmonieuse satisfaction donnée aux besoins économiques est à la base du progrès intellectuel et moral et le primat de l’esprit demeure un impératif catégorique. Quant au Politique, sans objet autre que l’Économique et l’Intellectuel, il ne saurait être déterminé qu’en fonction de l’un et de l’autre. Il est la mise en œuvre de la puissance publique appliquée à ces objets, l’intervention en eux de la collectivité toute entière, mais avec en dernière instance le primat à l’individu libre dans une société libre.
L’économie nouvelle. La doctrine. — Il ne suffit pas de faits constatés. Une doctrine est nécessaire et basé sur elle un plan. « L’humanité en arrive à considérer l’abondance comme une source de malheur ».
Au moment où était écrite la « Richesse des Nations » (1776), la production industrielle et agricole étaient encore si lentes et si difficiles que le problème était alors de savoir comment nourrir et habiller la population. Aujourd’hui que le problème est retourné dans ses termes, la construction d’une nouvelle économie est justifiée.
Au demeurant, rien n’a jamais été stable dans aucune des économies du monde et en aucun temps. C’est au cours de la vie économique que sont nés des faits et des idées, au début infimes, mais qui se sont développés plus tard en courants et en théories nettement différenciés et de grande puissance. Dans le trouble et le chaos actuel, il y a en germe et en préparation une économie nouvelle. Tout effort pour la constituer devra tenir compte d’un certain nombre de faits nouveaux.
A. — Il s’est constitué une immense solidarité économique, un patrimoine commun à toutes les Nations. En effet :
1° Le principe a été formulé qu’en temps de guerre, assistance de chaque État est due à tout citoyen endommagé et que les États entre eux devront assistance financière à la victime de l’agression.
2° Le moratorium Hoover pose le principe qu’on ne peut exécuter une nation pour motif de dettes et revient indirectement aux conventions de La Haye de 1897, intervenues à ce moment à la demande des nations sud-américaines.
3° La crise allemande de 1931 a posé le principe d’assistance des États nécessiteux ou privés de moyens par les États riches ou en possession de moyens.
4° Un avoir mondial, infime il est vrai mais réel, est constitué par les actifs de la Société des Nations et des Unions Internationales.
5° Si la pensée de M. Mussolini devient un principe, la communauté des patrimoines deviendra plus apparente encore : « Il faut, a-t-il dit en juillet 1931, mettre le monde capitaliste en demeure de diriger vers les pays affamés les richesses accumulées et restant stériles dans d’autres pays, non pas pour sauver le capitalisme, mais pour sauver la classe ouvrière et la paix. » Il y a communauté d’intérêt en régime pacifique de libre-échange. Il y a même communauté en régime troublé. L’autarchie comme principe méconnaît seule cette communauté.
6° On voit les nations combattre le socialisme chez elles, mais les voilà amenées, sous le signe de la solidarité, à établir un véritable socialisme entre elles. Autrefois on convoitait la richesse du voisin et par la guerre on se l’appropriait. Aujourd’hui on est porté à la considérer presque comme sienne et à en disposer. Le président Hoover, dans son plan, disposait sans avertissement préalable des annuités dues par l’Allemagne en propre à la France et à la Belgique — la réclamation de crédit quasi impérieuse de l’Allemagne. Les nations ont réclamé des crédits, des crédits dont elles ne sauraient démontrer qu’ils seront remboursés, et sans lesquels leur vie est arrêtée. Au fond, n’est-ce pas là une sorte de socialisme qui s’éveille entre les nations elles-mêmes et qui les pousse à demander le partage.
7° Désormais, crédit public des États et crédit privé des Banques sont liés. Autrefois le crédit public n’était lié au crédit privé que par les emprunts d’États. Il l’est maintenant par la monnaie et par les dettes de guerre qui constituent la plus formidable des masses de capitaux existantes et qui vient constamment s’interférer avec le crédit privé. En conséquence celui-ci, par lui-même ou, par intermédiaire, pour les fins d’un autre État, peut devenir maître de toute une situation.
Ainsi en corollaire des événements, les vieilles doctrines financières à compartiment étanche n’ont plus répondu à la réalité et ceux qui en ont fait la base de leur action et de leurs prévisions ont opéré en réalité sans base.
B. — Un changement presque à vue s’est produit. L’économie est devenue largement collective.
Les affaires privées sont de plus en plus liées aux affaires publiques.
Sont devenus choses d’État : la monnaie ; les douanes ; les impôts ; les codes, lois et règlements ; les transports ; la législation sociale ; la défense nationale.
Nul, industriel et commerçant, ne saurait ignorer le réseau de ces dispositions, ce en quoi elles peuvent aider ou contrarier son activité, ce par quoi sa propre action, isolée ou groupée, peut les modifier à son avantage. Nul, législateur ou administrateur, de son côté, ne saurait ignorer les conditions générales et spéciales dans lesquelles ont à s’exercer les activités du commerce et de l’industrie. Il y a donc interprétation entre l’économie publique et l’économie privée. Il se forme une économie mixte avec un secteur public et un secteur privé.
C. — Le système qui consiste à rémunérer le capital indéfiniment au lieu d’en faire une simple réserve d’épargne sans intérêt est conduit à cette impasse : les acheteurs des produits étant en fait les travailleurs, l’écart entre la somme des salaires qui doivent acheter et le prix de vente va sans cesse en grandissant.
D. — La création partout de fonds de chômage conduit à ces deux principes : 1° le droit au travail pour tout homme ; 2° l’établissement d’un fond permanent incorporé au budget de l’Etat, destiné par travaux plutôt que par indemnités à compenser constamment le déséquilibre. La Chambre américaine a mis 4,880 millions dé dollars à la disposition de M. Roosevelt pour son programme de travaux.
E. — La crise dans ses effets est un déséquilibre entre production et consommation. Plutôt que de réduire la production, mieux vaudrait accroître la consommation. Plus l’homme utilise les choses et recourt aux services des hommes, plus il se fait homme, il s’humanise, à condition toutefois que dans les besoins soient maintenus la hiérarchie, la tendance à l’élévation de l’être, le primat nécessaire des éléments intellectuels, esthétiques et moraux. On peut, on doit découvrir à la fois de nouveaux besoins, de nouveaux produits, de nouvelles manières de produire et de distribuer.
De toute manière, il faudra trouver des occupations nouvelles car le chômage est irréductible. Une étude du problème a démontré que la moitié au moins des sans travail aux Etats-Unis ne retrouveront jamais de travail dans le système du profit.
F. — On ferait erreur en demandant simplement le retour au statu quo ante. Après la guerre la situation était tolérée à raison du désordre général et parce que tout était meilleur que l’état de guerre lui-même. Puis quand vinrent les booms, une atmosphère d’optimisme aidée par la spéculation générale reléguait à l’arrière plan les problèmes constitutifs. Pourtant ces problèmes existent, fondamentaux et maintenant chacun les voit, ou les pose, chacun les comprend. Croire qu’il suffirait de multiplier les crédits, de supprimer les entraves au commerce et d’abaisser les barrières douanières serait se bercer d’illusion. C’est une structure économique nouvelle qui s’impose. Le président Hoover a donné raison à cette manière de penser le jour où il a projeté la création d’un établissement de crédit industriel fondé par l’État lui-même. Car de ce jour les partisans de l’économie dirigée et de l’intervention de la collectivité ont pu demander avec raison « que deviennent les exécrations des banquiers à l’égard de l’État quand la classe ouvrière lui demande aide et protection. » Dès que la crise atteint le capital, les banquiers demandent leur salut à ce même État. Leur théorie anti-étatiste serait-elle donc plus intéressée que fondée en raison ?
Dans le passé, il y a eu de nombreuses guerres à cause économique. Citons pour mémoire les milieux sociaux où la guerre existe à l’état endémique, parce que le pillage forme un de leurs moyens d’existence. Ainsi les razzias des Arabes qui veulent compléter leurs ressources insuffisantes du désert, les incursions des populations habitant des steppes pauvres qui confinent à des régions cultivées, comme ce fut le cas des peuplades pour se protéger desquelles les Chinois ont construit leurs fameuses grandes murailles.
Sont aussi des guerres économiques celles qui ont pour but la possession du sol. Les colons agricoles qui ont besoin de terre pour s’installer entrent nécessairement en conflit avec les premiers occupants du sol. Ça a été le cas dans l’Amérique du Nord, en Australie et ailleurs. Mais les véritables guerres économiques sont les guerres dites commerciales. Lorsqu’un État veut mettre des barrières artificielles à la liberté du commerce, il crée une source de conflits. Citons, au moyen âge, les guerres entre Gênes et Venise pour accaparer le commerce avec l’Orient. Les guerres italiennes du XVe et du XVIe siècle. Citons encore l’exemple de l’Espagne et du Portugal à l’époque des grandes découvertes géographiques : ces deux pays voulurent réserver à leurs nationaux le monopole du commerce maritime avec l’Amérique et les Indes, et c’est à la suite d’une série de guerres soutenues contre ces deux nations par la Hollande et l’Angleterre que la liberté des mers put être définitivement assurée : — la guerre de Sept ans (1756-1763). La seule guerre qui ait été faite par l’Angleterre sous Walpole, la guerre contre l’Espagne, est provoquée par l’opposition que celle-ci manifeste à la contrebande des navires anglais dans l’Amérique espagnole et par le désir d’enlever à l’Espagne son commerce avec ses colonies. La guerre de l’indépendance hollandaise contre l’Espagne est une guerre de course contre la flotte espagnole et le commerce colonial hispano-américain. La guerre de l’Angleterre contre Napoléon est une réaction contre les conquêtes napoléoniennes qui menaçaient le commerce anglais. L’invasion de l’Algérie est l’effet de causes économiques. La guerre de Crimée est provoquée par la volonté de l’Angleterre de défendre la route de l’Inde, si précieuse à son commerce. Le Mexique et l’Egypte sont occupés par des armées européennes pour liquider les créances de la haute finance. La richesse du bassin minier de la Lorraine provoque l’annexion de celle-ci à l’Allemagne en 1870 et place la France sous un régime douanier qui la force à traiter l’Allemagne comme la nation la plus favorisée. La guerre que les nations occidentales firent à plusieurs reprises à la Chine, furent pour la forcer à laisser s’établir un courant d’échanges avec l’extérieur et aussi pour faire obstacle à l’Union américaine. La guerre de Cuba n’est qu’un produit du déclin de revenu des fabricants de sucre américains. La guerre du Transvaal est l’œuvre des financiers et des spéculateurs de mines d’or. L’Angleterre n’a arboré l’impérialisme de Chamberlain que le jour où elle a senti menacer par l’Allemagne sa supériorité dans les industries textiles et métallurgiques. La politique mondiale de Guillaume II enfin montre que le but de l’action germanique a été l’abaissement de la puissance commerciale anglaise. Le traité de Versailles a dans bien de ses clauses été l’expression d’une victoire économique (par ex. la Sarre). Depuis les rivalités économiques ont repris de plus belle : ainsi la guerre sino-japonaise pour la Mandchourie, la guerre pour le pétrole en Sud-Amérique, et toutes les menées des munitionnaires pour le placement des armements.
De nos jours l’économie et la guerre ont les rapports les plus étroits.
1o Causes économiques de la guerre mondiale. — La lutte pour les débouchés. Les colonies. Les chemins de fer. La marine marchande. Les bases navales de ravitaillement.
2o Règlement des suites de la guerre. — Les réparations. Les dettes de guerre. Les impôts et les budgets des États : rentes et pensions.
3o La guerre préparée pendant la paix. — Budgets militaires. Nationalisme économique : nécessité pour chaque pays en vue de la guerre de produire l’essentiel dans son territoire. « Rien ne se fait qui ne reçoive le visa des états-majors, car tout équipement national est même d’abord un équipement militaire. La mobilisation totale de l’industrie fait l’objet de dispositions dans le temps de paix. »
DISTRIBUTION.
La forme de la distribution évolue. De nos jours lutte entre les petits commerçants, les grands magasins, les coopératives. La classe commerçante menacée aussi par les limitations du commerce extérieur.
En Russie, de transformation en transformation, un système d’échange s’est établi parallèlement au système de la production. À la base les coopératives fermées constituées par le centre d’approvisionnement de toute usine. Il est réservé aux ouvriers d’une entreprise déterminée. On y trouve les produits usuels au meilleur compte car les intermédiaires sont supprimés et chaque rouble de salaire inférieur y a sa pleine valeur. La partie de salaire fortement différencié est ipso facto réduite si les ouvriers achètent le surplus et le superflu dans le commerce public (magasins d’État et coopératives). Un salaire de 600 roubles vaut pratiquement 300 (le minimum vital ou prix de revient) + 150 (les produits de qualité et des choses plus raffinées du commerce public) = 450 roubles. Le principe de la concurrence
est remplacé par le juste prix, l’appréciation exacte
des frais et le contrôle des consommateurs. L’État en
ses magasins fait un bénéfice collectif de commerçant
public qu’il affecte à l’industrialisation du pays.
Les chiffres du commerce mondial total ont été les
suivants (total des importations et des exportations en
millions d’anciens dollars-or) :
1928 | 34,742 | 32,839 |
1929 | 35,601 | 33,040 |
1930 | 29,087 | 26,495 |
1931 | 20,818 | 18,908 |
1932 | 13,996 | 12,926 |
1933 | 12,483 | 11,699 |
L’importation et l’exportation totales annuelles pour les cinq parties du monde, en 1910, était de 90 milliards pour l’importation et 82 milliards pour l’exportation, soit un commerce mondial de 172 milliards. Il n’était que de 4 milliards il y a un siècle. L’Europe compte dans ces chiffres respectivement pour 65 et 59 %. L’Amérique 17 et 21 %, l’Asie 9.8 et 11.4 %, l’Australie 3.8 et 3.1 %. Par tête d’habitant, le commerce atteint, respectivement à l’importation et à l’exportation, jusqu’à 315 et 217 fr. pour la Grande-Bretagne, 451 et 296 pour la Suisse, 604 et 482 pour la Belgique. Ces chiffres disent l’intensité et la continuité des échanges d’alors entre toutes les parties de la terre. S’ils ont pu être atteints, c’est assurément que le commerce d’importation est un bien en soi. Ses avantages peuvent être résumés ainsi : a) Accroissement de bien-être dans le cas où il s’agit de denrées que le pays ne saurait produire à raison de son sol ou de son climat, b) Supplément de nourriture là où le territoire est trop limité pour nourrir la population, c) Économie de travail dans le cas où il s’agit de richesse que le pays importateur pourrait produire s’il le fallait, mais qu’il ne pourrait produire qu’avec plus de frais que le pays d’origine, parce que celui-ci se trouve dans des conditions de supériorité naturelle ou acquise. Quant à l’exportation ses avantages sont les suivants : a) Utiliser certaines richesses naturelles ou forcées, productives, qui resteraient sans emploi si elles ne trouvaient un débouché au dehors. b) Servir à acheter les produits, les matières premières et les denrées alimentaires qui font défaut dans le pays, ou ne s’y trouvent qu’en quantité insuffisante pour ses besoins, c) Abaisser les prix de revient des produits industriels, et par là même développer l’industrie nationale, car la division du travail et les progrès de la grande production sont en, raison de l’étendue des débouchés.
D’une manière générale, la richesse de chaque individu dépend de la somme des produits apportés sur le marché. Quand les marchés se mondialisent, concentrant la totalité des produits existants, la richesse de chacun s’en accroît d’autant. Il n’est pas de marchandises situées en quelque partie du globe qu’en y mettant le prix il n’était possible avant guerre à un Parisien de faire venir à Paris. C’est là une expression de puissance réelle. Mais aujourd’hui le commerce international est de plus en plus réduit. L’autarquie des États s’y oppose. Arrivé à un certain degré de saturation, le libre-échange non organisé a conduit moins à une concurrence loyale qu’à l’exploitation des uns par les autres.
Francis Delaisi a écrit cette page qui mérite en sa forme de devenir classique. Il dépeint ainsi en 1925 la vie d’un bourgeois de Paris.
Le matin, dès son réveil, M. Durand se lave à l’aide d’un savon (fabriqué avec l’arachide du Congo) et s’essuye avec une serviette de coton (de la Louisiane). Puis il s’habille : sa chemise, son faux-col sont en lin de Russie, son pantalon et son veston en laine venue du Cap ou de l’Australie ; il orne son cou d’une cravate de soie faite avec les cocons du Japon ; il met ses souliers dont le cuir fut tiré de la peau d’un bœuf argentin, tannée avec des produits chimiques allemands.
Dans la salle à manger — garnie d’un buffet hollandais fait avec du bois des forêts hongroises —, il trouve mis son couvert en argent des Détroits ou de l’Australie. Devant lui se trouve un pain bien frais, fait avec du blé qui, selon l’époque de l’année, vient de la Beauce, à moins que ce ne soit de la Roumanie ou du Canada. Il mange des œufs récemment arrivés du Maroc, une tranche de « pré salé » qu’un frigorifique a peut-être amené de l’Argentine, et des petits pois en conserve qui ont poussé au soleil de Californie ; pour dessert il prend des confitures anglaises (faites avec des fruits français et du sucre de Cuba) et il boit une excellente tasse de café du Brésil.
Ainsi lesté, il court à son travail. Un tramway électrique (mû par les procédés Thompson-Houston) le dépose à son bureau. Là, après avoir consulté les cours des Bourses de Liverpool, Londres, Amsterdam ou Yokohama, il dicte son courrier, dactylographié sur une machine à écrire anglaise, et il signe avec un stylographe américain. Dans ses ateliers, des machines construites en Lorraine d’après les brevets allemands, et mues par du charbon anglais, fabriquent avec des matières de toutes provenances des « articles de Paris » pour des clients brésiliens. Il donne l’ordre de les expédier à Rio-de-Janeiro par le premier paquebot allemand qui fera escale à Cherbourg.
Puis il passe chez son banquier pour faire encaisser un chèque en florins d’un client hollandais, et acheter des livres sterling pour payer un fournisseur anglais. Le banquier profite de cette occasion pour lui faire remarquer que son compte est fortement créditeur, et que les valeurs de pétrole sont en hausse. Il lui conseille de faire un placement. M. Durand se laisse persuader ; toutefois, comme il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, il donne l’ordre d’acheter en même temps quatre actions de la « Royal Dutch » et dix d’une compagnie française affiliée à la « Standard Oil ».
Après quoi, tout heureux de sa journée, il propose à sa femme de passer la soirée au théâtre. Madame met donc sa plus belle robe (de chez Paquin Limited), sa jolie cape en renard bleu (de Sibérie), ses diamants (du Cap), puis ils s’en vont dîner dans un « restaurant italien ». Là ils se demandent s’ils iront voir les « ballets russes » ou entendre au music-hall Raquel Meller — à moins qu’ils ne préfèrent voir une pièce de Gabriel d’Annunzio, jouée par Ida Rubinstein dans un décor de Bakst.
Enfin, après avoir soupé dans un « cabaret caucasien » au Son d’un jazz-band nègre, ils rentrent chez eux. Et, fatigué d’une journée si bien remplie, M. Durand s’endort sous son couvre-pied en rêvant que décidément la France est un grand pays qui se suffit à lui-même et peut faire la nique au reste de l’univers…
Faut-il insister davantage ? Qu’il s’agisse de sa nourriture, de son vêtement, de son travail ou de ses plaisirs, chacun de nous est tributaire de tous les pays sous le soleil. Il ne peut faire un geste sans déplacer un objet venu des régions les plus lointaines ; et réciproquement tout événement important à la surface du globe a son retentissement sur les conditions de sa vie. L’homme moderne est vraiment citoyen du monde.
Mais il ne s’en doute pas ! Et c’est ici que commence
le drame de conscience qui tourmente notre époque et
la jette depuis la guerre aux solutions contradictoires.
De l’économie nationale dirigée, il faut aller vers l’économie internationale dirigée. C’eut été une immense épargne de temps, de travail, de souffrance, que d’y marcher directement et par en haut. Le détour par l’autarquie et l’économie nationale dirigée n’est cependant qu’un détour pour un même point d’aboutissement.
Une force sociale nouvelle est née dans les temps modernes, création toute humaine, le crédit. Elle a permis la transformation de la société d’un état rudimentaire à un état développé. Les activités économiques élargies et généralisées ont du être créditées. Ce fut la fonction des banques. Arrivé au point actuel, le problême de l’adaptation de celle-ci aux nouveaux besoins de la collectivité est devenu fondamental en envisageant moins les établissements que la fonction : assurer le crédit à la collectivité.
Toutes choses considérées, il y aurait lieu d’établir un organisme économique mondial (Banque mondiale) dans les conditions suivantes :
1° Le capital, considérable, serait formé à la manière d’un Hyper Holding.
2° Elle aurait la direction des grands trusts mondiaux ; comme telle, elle associerait la masse (travailleurs et consommateurs) à la possession de ses diverses catégories de titres.
3° Elle travaillerait selon les lignes d’un plan économique mondial continuellement mis au point du progrès.
4° Elle procurerait à toutes les entités économiques, disposées à travailler à ce plan, à la fois les crédits nécessaires et les garanties d’assurance contre les risques courus.
5° Il serait procédé par commandes à long terme, permettant de régulariser l’activité des usines et des chantiers, à la manière dont les stocks et provisions régularisent les marchés. Un service aurait à mieux répartir les commandes spontanées à la fois d’après les délais et d’après les pays. Il aurait aussi à provoquer, à imaginer les grands travaux neufs ou les nouveaux produits d’ordre international, capable d’absorber le surplus de la productivité s’il y a carence d’initiative individuelle.
6° Toutes ces commandes bénéficieraient naturellement de l’assurance (ducroire généralisé).
7° En installant au cœur de l’institution la science et l’invention, on généraliserait la rationalisation et on favoriserait les éléments du progrès. En confiant la fonction de sécurité (assurance) au même organisme que celui du crédit (banque) et celui de la direction industrielle (trust), on conjuguerait étroitement, pour un travail commun, trois forces immenses dont les effets isolés sont bien connus. En travaillant dans l’esprit de la coopération, on y ajouterait toute l’efficacité de la potentialité d’une quatrième force.
Une organisation, une banque constituée dans les conditions qui viennent d’être dites, réaliserait en réalité une direction économique mondiale. Pour tout ceci évidemment il ne s’agirait que des industries-clés, de celles qui commandent toute la vie économique, qui agissent dans le secteur de l’économie collective ou mixte.
La Banque mondiale serait l’organe commun de la socialisation et de la direction du crédit, l’instrument collectif agissant en dehors de l’idée de profit et pour le bien de tous. Actuellement vue d’avenir. Nécessité si la crise perdure et que les nations du monde, envisageant la personne humaine et non seulement les choses monnayées, veulent tenter l’effort de se sauver ensemble.
135 LE SOCIAL.
L’économique et le politique n’absorbent pas tout. Entre eux est la zone du social : ce qui échappe à la puissance de l’argent, à la sanction du droit. Zone mal définie en laquelle au temps de l’individualisme libéral passait tout ce qui était de caractère humain, le broyement par la loi du plus fort sans pitié, devait demeurer le propre de l’économie. Aujourd’hui le social est en voie d’absorber l’économique (socialisme). Par un renversement de position, l’homme d’abord, le profit ou la contrainte de l’État ensuite seulement.
La vie sociale, le « social » peut s’entendre dans deux sens : 1° l’un très large et synonyme alors de la société ; 2° l’autre sens, étroit, s’opposait à ce qui est strictement l’économique et le politique. La catégorie du social est intervenue dans la pensée scientifique et dans la pensée publique le jour où l’on reconnut l’injustice des forces publiques et économiques et où l’on posa « la question sociale ». Elle concerne essentiellement la justice, la répartition, le classement, la révolution.
Devant le problème social, la misère et la pauvreté, le bien-être et le luxe, il y a diverses attitudes de l’esprit, du cœur et de la volonté.
1° La Science. — On dit : la science fera tout ; développons la science et laissons-la faire.
2° La Religion. — On dit : elle est le bien suprême. Elle apporte la consolation et la résignation à des maux supérieurs à tout ce qui pourrait être tenté pour les vaincre.
3° Les Œuvres. — On dit : Agissons. Qu’à côté de la Foi et du savoir, il y ait des œuvres simples, sans liaison organique ou systématique, mais multiples, généreuses. La charité fera ce que ne sauront faire les autres forces.
4° La Politique. — On dit : les partis politiques transformeront la condition des malheureux ; qu’il leur soit donné appui et vote.
5° L’Indifférence. — On dit : Rien à faire. La vie est chaos ; à chacun de s’en tirer au mieux.
6° La Révolte. — On dit : Tout est mauvais, la
réforme exigerait un temps infini ; chambardons tout,
faisons tout sauter : des ruines surgira une nouvelle
société moins absurde et moins injuste.
Le travail est l’exercice des facultés humaines appliqué à la production. Tout travail implique une certaine peine et, par suite, n’est entrepris que sous l’impulsion d’une force supérieure (contrainte, intérêt). Le travail suppose également une certaine durée : d’où la nécessité, pour celui qui s’y livre, d’avances (capitaux) ou d’une rémunération immédiate (salaires). Le travail s’analyse en un effort musculaire, dirigé par l’intelligence, il ne crée point la matière, il ne peut que la déplacer, soit qu’il change de place les éléments constitutifs d’un objet et qu’ainsi il le transforme, soit qu’il se borne à changer de place l’objet lui-même. C’est par ces déplacements qu’il rend les choses propres à satisfaire les besoins humains, qu’il leur confère l’utilité. Aussi les économistes appellent-ils « productif » non seulement le travail agricole comme les physiocrates, mais aussi le travail manufacturier ; avec A. Smith et J.-B. Say, le travail de transport et le travail commercial. Le travail s’exerce suivant différents modes : intellectuel, il comprend l’invention qui consiste à trouver les moyens pratiques de faire servir la matière à nos fins, et la direction, dont l’importance est extrême dans l’organisation collective du travail ; manuel, le travail exige dextérité ou vigueur et varie beaucoup de production sous l’action des causes ethnographiques, économiques et morales (infériorité du travail servile) ; mécanique, il s’accomplit au moyen d’outils qui secondent les muscles de l’homme, ou au moyen de machines actionnées par des forces motrices inorganiques ; ce genre de travail caractérise la fabrication moderne.
Entre 1920 et 1929, les États-Unis ont augmenté leur production de 36 %, alors que pendant la même période le nombre des ouvriers occupés dans les usines a haussé de 9 %.
Dans le domaine de la fonte, aux États-Unis, un ouvrier peut produire en une heure la quantité qu’on produisait en 650 heures il y a 50 ans. Dans son total, la production n’a augmenté que 23 fois.
Dans certaines industries, de 1929 à 1932, le progrès technique a pratiquement éliminé le travail humain. On a bâti à New Jersey une fabrique de coton qui fonctionne pendant 24 heures sans intervention de l’homme.
On a calculé dès 1932 que, si les usines américaines reprenaient leur activité maxima de 1929, sur les 12 millions de chômeurs (qui constituent 1/4 de la population ouvrière), 6 millions seulement pourraient avoir du travail.
Travail, toi qui redresses celui qui est courbé, qui consoles l’affligé, qui orientes vers la voie de la vertu celui qui s’égare, toi, consolation des faibles, salut du pauvre et force du fort ; toi, remède de ceux qui tombent, bâton de ceux qui vacillent et baume de ceux qui se vouent au bien, toi qui a été l’éducateur de toute l’Humanité et qui l’as sortie de la Barbarie, tu exerceras sur la matière tendre de la génération qui grandit, ta puissance incomparable qui cultive et élève ; par toi s’épanouira une jeunesse plus belle et meilleure pour sa joie et sa bénédiction, comme pour la joie et la bénédiction du monde !
Sur les plaines, parmi les mers, au cœur des monts
Serrant ses nœuds partout et rivant ses chaînons
De l’un à l’autre bout des pays de la terre !
Ô ces gestes hardis, dans l’ombre ou la clarté,
Ces bras toujours ardents et ces mains jamais lasses,
Ces bras, ces mains unis à travers les espaces,
Pour imprimer quand même à l’univers dompté
La marque de l’étreinte et de la force humaine
Et récréer les monts et les mers et les plaines
1. Antiquité. — a) Le travail manuel est considéré comme une déchéance (dans la genèse, le travail, conséquence de la faute), tenu pour servile et indigne de l’homme supérieur (esclavage) ; Otium [loisir] des hommes libres. b) La considération est réservée à certaines espèces d’occupation qui souvent sont à peine un travail (guerre, conquête, etc.).
2. Hier et aujourd’hui. — Différence d’estime envers certains genres de travaux (préjugé contre le commerce) dédain des fortunes terriennes traditionnel pour les fortunes commerciales.
3. Demain. — La noblesse du travail, de tout travail. La considération du travail comme l’idéal humain, comme l’élément fécond et estimable entre tout de la vie sociale.
Avec des crises passagères de recul, il y eut donc ascension continue et effective de la classe ouvrière. L’esclavage antique, le servage féodal, le travail corporatif, le trade unionisme et le syndicat contemporain en constituent les étapes. L’organisation du travail varie infiniment suivant les époques et les lieux. Dans les sociétés anciennes, le travail est réglementé par voie d’autorité, qu’il soit imposé aux esclaves ou réparti d’après le système des castes ou des corporations. La Révolution française proclama le droit de chacun à choisir ses occupations, la liberté du travail (loi du 17 mars 1791), et ce principe devint celui des États civilisés. Contraint ou libre, le travail revêt dans toutes les sociétés une forme collective, fondée sur l’association et la division des tâches.
L’activité économique a été longtemps méprisée. Les philosophes grecs jugeaient l’artisan indigne d’être citoyen. Malgré les préjugés persistants (supériorité des carrières libérales, infériorité du travail manuel), le travail tend à être de plus en plus honoré. Au XIXe siècle, le capitalisme naissant a connu et toléré d’effroyables souffrances. Mais au début du XXe siècle, on voit la misère s’atténuer, le « standard of life » des prolétaires se relever et une incontestable amélioration se produire dans la condition des classes laborieuses. Le mouvement s’accentue après la guerre jusqu’à ce qu’il aboutisse à la crise et au chômage.
Le but du travail en fonction du but de ses activités, partant de la vie, est : 1° pour le libéralisme : le profit (loi de l’offre et de la demande, aboutissant à la dictature financière et capitaliste) ; 2° pour le socialisme : la somme des richesses matérielles ; 3° pour le communisme ; l’instrument de l’enrichissement de la communauté qui peut se servir de tous ses membres comme elle l’entend ; 4° pour l’impérialisme nationaliste : un moyen d’enrichir les nations ; 5° pour le christianisme : la collaboration à l’œuvre divine de la création au parachèvement du plan divin.
Il est une conception chrétienne du travail. Tout homme
doit être par son travail le collaborateur de Dieu,
travailleur par excellence car il est le créateur. Il a voulu pour son œuvre la collaboration de sa créature
libre. Le créateur a voulu que son travail fut achevé par
l’homme. Avant le péché originel, il lui a donné la loi
du travail. « Allez et multipliez-vous, mettez au monde
d’autres hommes faits à mon image, allez et remplissez
la Terre. Soumettez-la pour tous vos besoins. » Le travail
n’a donc pas pour but le plus grand enrichissement, mais
son but immédiat est la satisfaction de tous les besoins
humains adaptés à chaque époque et à chaque milieu,
afin de permettre à tous les hommes la réalisation de la
volonté divine sur chacun d’eux.
Elle a commencé à se réaliser au commencement du
XIXe siècle. Elle s’est développée à l’initiative de l’Association
internationale créée à cet effet et depuis la guerre
à celle de l’Organisation internationale du Travail. Elle
couvre les domaines suivants : Liberté du travail : coalition,
grève, boycott. Recherche du travail : bureaux de
placement, Bourse du travail. Contrat du travail : louage
de travail, livret, salaire. Marchandages : tâcherons.
Règlement d’atelier. Durée de la journée de travail :
adultes, femmes, enfants. Travail de nuit et travail souterrain.
Repos hebdomadaire et des jours fériés. Hygiène
et sécurité du travail. Inspection du travail. Conditions
du travail dans les marchés des travaux publics. Chômage,
représentation paritaire du travail.
La force créatrice est aujourd’hui uniquement l’œuvre de la machine et de son inventeur. L’ouvrier est réduit à se faire esclave de la roue et de la poulie. Perdant toute spiritualité créatrice, son activité se réduit à la répétition du cycle des mêmes gestes, des mêmes mouvements, son activité spirituelle s’est obscurcie en routine, dégradée en mécanisme. L’ouvrier a été expulsé du royaume de l’esprit et relégué dans le muet royaume de la matière. On ne doit donc pas s’étonner s’il a envers l’usine le même état d’esprit qu’avait le galérien envers le navire auquel il était enchaîné ; il est plus heureux que l’antique galérien en ce sens que, si le galérien ne pouvait jamais s’éloigner du banc où il était attaché, lui, le galérien moderne est rendu à la liberté chaque jour durant quelques heures pour pouvoir dans ce moment de loisir se nourrir, se reproduire et chercher dans des plaisirs vulgaires et bas le stupéfiant nécessaire à oublier l’insupportable monotonie de sa vie quotidienne, sauf à se laisser, dès l’aube du lendemain, tirer docilement par la puissante et invisible chaîne du besoin qui le ramène de la maison à l’usine. (A. Tilgher)
Classe ouvrière. Prolétariat. — Karl Marx a lancé son appel prolétarien. Il a organisé ainsi la lutte des classes, latente jusque-là. Le marxisme a trouvé sa réalisation en Russie.
« Pourquoi déteste-t-on et hait-on le marxisme ? dit Anseele. Parce qu’il a imprimé dans l’âme prolétarienne deux devises indélébiles : Travailleurs de tous les pays, unissez-vous. Votre émancipation sera votre propre œuvre. Le socialisme unit les travailleurs. Le corporatisme les divise. L’histoire de Gand nous montre que notre ville a connu les méfaits de ces régimes. Nous avons connu le lundi sanglant où les tisserands et les foulons se massacraient entre eux au nom des droits de leurs corporations. Le corporatisme dit au travailleur : « Je vous lie à votre industrie ». Le socialisme leur dit : « Je vous lie à votre classe ». Qui veut l’unité des travailleurs et l’unité des peuples est avec nous, contre le corporatisme et le fascisme. »
Un jour viendra où il sera dit aux ouvriers et à tous :
« Je vous lie à l’Humanité qui s’élargit et au Monde qui s’édifie. »
Première phase. — a) Les syndicats sont faibles et disposent de peu de ressources. Ils entreprennent souvent des grèves d’agression ou de défense sans préparation et sans moyen financier de lutte. b) Appel aux souscriptions des autres organisations ouvrières ou à des emprunts à celles-ci.
Deuxième phase. — L’organisation se développe. Instinct de lutte contre le patronat. Elle se perfectionne. a) L’organisation s’unit par région, puis par pays, puis internationalement. À la concentration capitaliste, on oppose la concentration syndicale. b) De simple organe de lutte pour de meilleures conditions de travail, le syndicat devient organe d’assurance contre le chômage. Chacun de ces organes : défense des salaires, maladie, accident, chômage, a ses ressources propres.
Troisième phase. — Les ressources des syndicats abondent. Il faut placer ces fonds en toute garantie et en produisant le maximum. On crée les banques ouvrières. La plus ancienne date de 1920. Cieveland : syndicat des machines de locomotion. En Belgique, la Banque du Travail, prise dans la crise, est obligée de recourir à l’intervention du gouvernement. Les syndicats y perdent de leur indépendance.
Quatrième phase. — Les syndicats sont absorbés par
l’État en Russie, en Italie et en Allemagne.
La formule d’une juste organisation c’est : participation au produit, calculée sur la participation à la production, sous la réserve de la question de « minimum » et de la question d’invalidité.
Mais la société actuelle vit sous un régime hybride, en théorie le régime d’association, en pratique celui de la déprédation.
Que de grands cyniques ostensiblement ne font rien, ne produisent rien, mais vont cherchant, quêtant, flairant les coups à tenter, les pièges à tendre et mènent au grand jour leur vie de proie : politiciens tarés, financiers louches, banqueroutiers frauduleux, agioteurs, agents de chantage, etc. Et la masse moins forte et moins hardie, certes, et par conséquent hypocrite et sournoise, démoralisée quotidiennement par l’exemple des grands prédateurs, est elle-même aussi toujours à l’affût de quelque prédation possible. Les milliards de menues fraudes quotidiennes font autant pour ruiner le pacte social que les vastes escroqueries internationales des larrons de haut vol. Équité et iniquité, c’est entre ces deux pôles qu’oscillent toute cité humaine.
Malgré les antagonismes, l’association humaine
s’ébauche, se fonde. Une convergence se construit avec
des divergences, et une sympathie avec des antipathies.
(Izoulet.)
LES CLASSES MOYENNES.
Toute société nous présente le spectacle de classes sociales généralement en lutte les unes contre les autres. En Occident, il y eut la noblesse, la bourgeoisie (grande, moyenne et petite), le prolétariat (ouvriers qualifiés et bas peuple) ; il y a aussi les prêtres, les paysans, les militaires et aujourd’hui les fonctionnaires.
La bourgeoisie s’est constituée à travers des centaines d’années. Sa croissance s’est affirmée dans les luttes communales, dans la guerre des Bourguignons et des Armagnacs ; dans les guerres de religion en France ; dans les deux révolutions de 1640 et 1648 en Angleterre ; dans les rivalités des cités maritimes en Italie ; dans le développement des villes libres en Allemagne.
La bourgeoisie a coexisté avec le régime politique de l’absolutisme et le régime économique de la féodalité, jusqu’au jour où elle a tué l’un et l’autre. Elle avait poussé à leur ombre.
La révolution de 1789 fait tomber l’ancien régime. La bourgeoisie consolide son pouvoir de la période qui va de la révolution française à la guerre mondiale.
La classe moyenne, le petit bourgeois a accumulé l’épargne, ce sur quoi s’est constitué l’outillage national. La classe ouvrière est pourvoyeuse surtout des petits bourgeois, artisans et artistes en tous genres. D’après une enquête allemande, 15 % des grands industriels et des grands commerçants viendraient du prolétariat. Les fonctionnaires sont ceux qui fournissent le plus d’hommes en vue. Les paysans fournissent surtout des ecclésiastiques et des hommes d’État.
Aujourd’hui la haute bourgeoisie est devenue très puissante, la moyenne a vu fondre son capital. Quant à la petite bourgeoisie, son avenir paraît bien compromis par la concurrence entre ses membres, le succès des coopératives et la rationalisation des grands magasins basés sur la concentration commerciale. Elle se réfugie dans la corporation.
Le droit de jadis ne considérait, dans une société humaine,
qu’une fraction de l’ensemble, les classes supérieures,
noblesse, clergé, bourgeoisie, le groupe des
possidentes. L’immense masse des ouvriers, travailleurs
du muscle, voire du cerveau, ne ramassait que les miettes
de la table juridique. Désormais ces derniers, la Plèbe
oubliée et dédaignée d’autrefois, est considérée à l’égal
des autres dans l’œuvre législative : celle-ci vise la société
entière, elle s’est socialisée ; le mot n’existait pas plus
que la chose ; l’un et l’autre maintenant triomphent.
Égalité politique, bien-être matériel et moral. C’est la
législation ouvrière après la législation bourgeoise. (Ed. Picard.)
On a eu au début des systèmes juridiques, puis des systèmes économiques, puis des systèmes faisant large place aux masses et au travail et l’on voit tendre maintenant vers un système (système du socialisme) total s’étendant à tous les domaines de la société.
Au sein de la société se poursuit une lutte sociale tendant à une attribution aux uns de droits instaurés aux dépens des autres : propriété des biens existants et partage des produits du travail à effectuer. Chaque victoire d’un camp sur l’autre est marquée par une législation nouvelle.
L’édifice des lois sociales, à travers toutes les fluctuations, a cependant été amélioré depuis la guerre : le parti conservateur au pouvoir obligé de réaliser des réformes de partis de gauche dans l’opposition, quantité de principes nouveaux sont déposés dans ces nouvelles lois et attendent du temps leur développement.
Le monde présente deux sortes de transformations, les unes brusques dans certains pays (Russie, Italie, Allemagne, Espagne) par révolutions, véritables mutations ; les autres dans d’autres pays (France, Angleterre, États-Unis, Belgique, etc.) lentes, évolutives, bien que d’un rythme accéléré. Dans ce second cas, les phases se succèdent ou se succéderont ainsi. D’abord affirmation que la crise est cyclique, puis mesures exceptionnelles particulières pour parer au plus pressé, ensuite mesures d’ajustement général ; à la fin de ce cycle, il devient admis que l’on vise atteindre le régime même et la conception d’un plan d’ensemble commence à prévaloir. Aussitôt l’esprit d’invention produit des formes nouvelles.
Partout est posé le problème d’un nouvel ordre simultanément économique, social et politique. C’est un mouvement en faveur de groupements professionnels économiques (précorporatisme, corporatisme, syndicalisme, industriel).
L’Italie a cherché dans les voies d’un corporatisme d’État, la solution du problème. L’Allemagne réalise un corporatisme à base raciste obligatoire et dirigée par un « Führer », représentant tout puissant du pouvoir central. L’Autriche a révisé son organisation dans le sens d’un État autoritaire à base corporative. La Hollande a promulgué une loi dont le but est de donner aux corporations de métier une base juridique. Le Portugal a organisé sa vie économique et sociale dans le cadre corporatif. L’Angleterre a constitué un Conseil Économique National. La France a constitué un Conseil Économique National. La Suisse cherche une économie nationale sur la base ou d’une économie dirigée ou d’un ordre corporatif. Les États-Unis : Le National Industrial Recovery Act de Roosevelt a, par ses Codes, créé un nouveau droit syndical organisant les employeurs et les travailleurs sur la base de l’égalité de droit avec au-dessus l’État, gardien et promoteur de l’intérêt général. La Belgique : arrêtés-lois.
Ces groupements nationaux aux particularités les plus
diverses sont dirigées vers des ententes sur le terrain
international. L’avenir appartiendra à eux ou aux trusts
internationaux, car le groupement seul peut résoudre
le problème ultime, adaptation de la production à la
consommation, moyen de consommer assuré aux masses
laborieuses ; protection des consommateurs contre l’exaction
des monopoles.
Les œuvres sont myriades, nées de la charité chrétienne, de la fraternité de toutes les religions, de la philanthropie. C’est la bienfaisance, l’assistance, la libre aumône, acte de pure pitié, solidarité ou acte tel, mais doublé de l’espoir d’une récompense dans l’au delà.
Les œuvres sociales constituent tout un monde. Aucune misère humaine qui n’ait retenti dans le cœur d’autres hommes qui, après y avoir compati par une aide individuelle, ont réalisé des associations et des établissements chargés de pourvoir d’une manière générale à la catégorie de besoins semblables. Notre temps est plus charitable qu’aucun autre ; jamais le christianisme n’a donné lieu à autant de charité.
À la Révolution française, on a sécularisé la charité. Plus tard, on a été amené à l’organiser (charity organisation), à lui créer des offices d’identification, à diriger l’assisté vers les œuvres les mieux qualifiées pour son état. Dans les pays anglo-saxons est en vigueur le principe de la dîme volontaire aux malheureux par le canal des grandes institutions charitables. Aux États-Unis, le Président Hoover a longtemps voulu abandonner à la charité l’aide aux chômeurs. La masse s’est révoltée contre cette idée. Elle veut des droits et non des aumônes. Sous Napoléon III, la devise de l’empire était : bienfaisance et surveillance. Elle est grandement partagée par les régimes mussolinien et hitlérien : l’État ne se fait pas expression d’un système juridique, mais ayant supprimé la liberté, le syndicalisme, le self government, il se fait le dispensateur arbitraire de la charité publique. Ainsi à Rome anciennement : Panem et circenses.
Les problèmes charitables se sont internationalisés
sous deux rapports : de grands congrès en étudient les
conditions en commun ; des gouvernements qui ont fait
appel à la S. D. N. pour sauver leurs finances, on a dit
qu’ils étaient passés au rang des assistés internationalement.
La charité, avec l’aumône faite en son nom, a
été longtemps le seul principe modérateur des égoïsmes
déchaînés. Il a fallu obvier par le droit à son insuffisance
et à son arbitraire.
La justice distributive est une incompressible aspiration de l’être humain. Tout jeune, l’enfant en manifeste déjà l’instinct. Mais qu’est-ce que la justice ? Trois conceptions sont en présence : 1° la justice quelle qu’elle soit d’un chef ou d’un père de famille attribuant à chacun selon que bon lui soit et sans avoir à rendre compte ni à s’expliquer, pouvant la justifier, être parfaitement en accord avec la raison ou s’en éloigner (passion, préjugé) ; 2° l’égalité à l’extrémité opposée de l’arbitraire ; 3° la proportionnalité aux besoins de la fonction. Une société est d’autant plus parfaite que ses éléments sont plus différents. Les peuplades qui ne connaissent que la chasse et la pêche, végètent sans histoire ; que serait notre civilisation s’il n’y avait que des juristes et des médecins, voire des mineurs et des tâcherons ? La manière de vivre des uns et des autres se différencie par leurs fonctions. Selon le Thomisme, chacun a droit à tout ce qui lui est nécessaire pour réaliser sa finalité.
Entre États la justice distributive prend une signification singulière. Tels États possèdent de grands territoires avec tous les avantages du climat et de la production naturelle, alors que tels autres sont à la portion congrue, sous un ciel froid ou torride, avec pour toute possession des plaines arides ou des déserts de sable, de rochers ou de glace.
L’idée de l’égalité se fait jour cependant sous ces
deux formes. 1° Tout État sera tenu juridiquement pour
une personne égale à la personne de tous les autres
États. 2° Des ententes internationales interviendront pour
fixer des égalités conventionnelles, par exemple dans les
armements, notamment dans armements navals. (Convention
navale de Washington et de Londres : États-Unis,
Angleterre, Japon, France, Italie, sur les dimensions
proportionnelles des marines intéressées.)
Quatre attitudes sont possibles devant un état de choses : statu quo, réforme, renversement ou révolution, création ou nouveauté.
La loi sociale par excellence, prolongement de la loi individuelle et de la loi naturelle, est le changement, non point la stabilité. L’individu, toujours et partout, a dû s’adapter à des modes d’existence divers. Il y a deux voies ouvertes : l’éducation qui peut partiellement corriger l’hérédité et l’ambiance que l’on peut transformer.
À travers l’histoire on voit la trop grande inégalité des conditions sociales poussant ou à la désaffection des masses ou à ouvrir la frontière aux envahisseurs ou à entraîner la plèbe réclamante à ravager elle-même la cité.
La révolution est un changement considérable dans l’organisation d’un peuple.
Les révolutions sont : ou lentes, s’accomplissant par le progrès des idées, des mœurs ; ou brusques, s’accomplissant par des actes voulus.
Les révolutions aussi sont : ou pacifiques, n’entraînant ni effusion de sang, ni confiscation, ni atteinte à la liberté ; ou violentes, réalisées par des coups de force et s’imposant coûte que coûte.
L’histoire de l’humanité est l’histoire des modifications successivement survenues dans l’ordre des institutions. Révolution (mutation) et évolution (transformation) sont les deux processus sociaux fondamentaux.
« Quand les abus du pouvoir deviennent trop criants, les révolutions sont quelquefois un remède nécessaire, on ne peut le nier ; il faut même qu’elles soient toujours possibles pour maintenir les gouvernements dans certaines limites par la crainte qu’elles leur inspirent. »
Henri Pirenne (Histoire de Belgique VII, p. 303), caractérisant les troubles de 1886 en Belgique, écrit ces lignes : « La comparaison s’impose à l’historien entre le Soulèvement des Iconoclastes en 1568 et les graves événements ouvriers de mars 1886. Des deux côtés même soudaineté, même violence chez les insurgés, même surprise du gouvernement. L’exaspération sociale longuement accumulée se déchaîne tout à coup, comme s’était déchaîné 300 ans plus tôt le fanatisme religieux. »
André Gide a présenté cette formule : « Je n’aime pas le désordre mais ceux-là m’exaspèrent qui crient : « Ne bougez pas », alors que la plupart ne sont pas en place. » De jeunes catholiques de Belgique, qui ont proclamé « que le grand mérite de la jeunesse d’aujourd’hui est de nourrir l’ambition d’élever sur la décomposition du paganisme contemporain un monde meilleur parce que plus chrétiennement organisé ». Cette jeunesse s’avance contre le capitalisme, l’Encyclique Quadragesimo Anno en mains. « Il est trop facile, s’écrie-t-elle, de souhaiter la permanence d’un État qui tolère les pires iniquités sous le prétexte que l’on sait ce que l’on a et qu’on n’est pas sûr du devenir. »
Il faut un plan préliminaire pour détruire. C’est le plan révolutionnaire. Une révolution ne s’improvise pas. Les révolutions avec plan ont réussi : Russie, Italie, Hitler. La Commune de Paris (18 mars 1871) a échoué. Il manqua une bonne organisation de la résistance révolutionnaire. Si l’enthousiasme, la vaillance, l’héroïsme sont des facteurs essentiels d’une révolution, son organisation, la technique militaire, la capacité des chefs sont tout aussi nécessaires à la victoire.
Les mouvements sociaux contemporains sont totalitaires — à la fois sociaux, économiques, politiques, intellectuels, moraux, religieux. Ils sont dans l’espace, nationaux ou internationaux, dans le temps, jeunes générations contre anciennes.
La révolution est aussi à envisager sous l’angle international.
Si ne devaient pas réussir les procédés pacifiques mis en œuvre en ce moment par les pacifistes du monde, pour arriver à la paix organisée, alors probablement faudra-t-il tenter d’en imposer par la force. D’où ce paradoxe : la paix par la violence. Mais celle-ci non plus exercée entre peuples, mais par les peuples contre les minorités profitant partout du régime néfaste et périmé de la guerre ou de son équivalent, la paix armée. Mourir pour mourir, il est préférable de donner sa vie pour reconquérir la liberté que de la perdre pour une boucherie.
A. C. Ayguesparse a dit : « La guerre civile est la seule guerre propice au prolétariat, parce qu’elle est un moindre mal. La puissance des forces destructives de la guerre impérialiste expose en face des épisodes de la guerre civile. L’extermination massive n’est d’aucun secours contre le processus de décomposition révolutionnaire qui envahit les armées dans les tranchées, les équipes d’ouvriers militarisés, les villes où bourgeois et prolétaires vivent côte à côte. Ni la stratégie militaire, quand c’est de combat de rue qu’il s’agit. Ainsi la seule sauvegarde du prolétariat tient toute dans la nécessité révolutionnaire de transformer la guerre impérialiste en guerre civile. C’est le point où l’exemple de Lénine rejoint la pensée de Marx. Celui de Liebknecht aussi. »
La révolution est tantôt un coup de force d’une minorité, de quelques-uns, voire d’un seul ; tantôt elle est l’explosion d’une protestation, d’une indignation, d’une colère populaire. Il y a toute une gamme, allant du simple mécontentement à la démonstration séditieuse ou armée. Albert Thierry (Réflexions sur l’Éducation) a défini ainsi les trois conceptions de la Révolution) :
1o La révolution : émeute. — Une émeute politique, moins que rien : un tumulte d’un jour, grandiose et criard, glorieux, superficiel et qui le lendemain laissera la même vie (ou pire) recommencer avec les mêmes hommes (ou pires).
2° La révolution : théorie. — Une théorie sociale, pas grand chose ; une doctrine et un dogme syndicaliste si l’on veut. Et les révolutionnaires tous ceux qui achèteront cette petite société de poche.
3° La révolution : organisation. — Une invention plus étonnante que la machine à vapeur ; une organisation technique intellectuelle, morale du travail sur la terre ; commencée aujourd’hui dans l’école, dans l’atelier, dans le syndicat, dans la collaboration constante des travailleurs.
136 POLITIQUE.
La politique est la forme que revêtent toutes les questions lorsqu’elles arrivent à intéresser soit l’ensemble des peuples, soit tout un peuple ou une de ses fractions importantes. Elle est ainsi l’organisation la plus élevée que prennent les intérêts généraux. Elle soulève trois séries de questions. 1° La politique en soi. 2° La politique intérieure, la conception de l’État et de la souveraineté, ses transformations historiques, ses caractères à l’époque actuelle et les conséquences qui en découlent, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la démocratie vers laquelle a évolué la société moderne. 3° La politique internationale : les mouvements internationaux des partis, notamment de la démocratie socialiste et de la démocratie chrétienne, le contrôle démocratique des affaires internationales, les combinaisons d’État qui ont été réalisées, les unes sous la forme des fédérations, les autres sous la forme des alliances, les systèmes de politique internationale : équilibre, hégémonie, union ; les problèmes de la politique internationale qui se posent pour les divers pays ; l’instauration d’une politique mondiale.
La politique est l’art de gouverner un État ; elle est aussi l’ensemble des affaires qui intéressent l’État. Elle comprend l’organisation à donner au pouvoir et les pratiques suivies par lui. Le pouvoir ici est entendu au sens large, comprenant à la fois le gouvernement proprement dit et les diverses branches de l’administration publique. La politique d’un État doit être dominée par ses grands intérêts permanents et s’exprimer en principes directeurs qui en assurent la continuité à travers les multiples circonstances pouvant la faire varier.
De même que l’État est la force organisée des sociétés,
la politique est la conduite de la vie collective. Elle est
à l’ensemble ce que la règle de vie est au particulier.
Dans sa forme la plus haute, la politique doit s’attacher
à concilier les intérêts. Toute question à son heure peut
devenir politique et tous les grands intérêts permanents
doivent faire l’objet de programmes poursuivis continuellement
par la collectivité. C’est ainsi qu’il existe une
politique commerciale, une politique des nationalités,
une politique des intérêts intellectuels, une politique de
l’esprit.
Parmi les tendances générales de la politique à l’heure actuelle, nous relevons les suivantes :
a) La politique devient rationnelle. Elle doit tenir compte des faits, les mesurer, leur faire une place. Elle doit appliquer à la solution des problèmes du jour les principes scientifiques qui ont tant contribué à faire progresser l’industrie et le commerce dans tous les domaines. Les matières qu’elle touche, elle doit le faire en tenant compte de tout le complexe humain. Elle ne doit pas être traitée comme chose isolée, mais comme une partie de l’ensemble de toutes les activités, de toutes les disciplines sociales.
À la vérité, nous sommes loin de tels desiderata. Dans la pensée, la volonté, les sentiments collectifs, tout n’est pas précis et défini. Il reste beaucoup dans le vague, dans l’indéterminé ; on tâtonne, on marche sur des approximations ; on est bien loin de la rigueur du raisonnement scientifique. Quel abîme encore entre les méthodes de la science et celles de la politique ! L’esprit scientifique analyse, distingue, calcule, pèse ; il imagine des méthodes infiniment délicates et constate l’existence d’infiniment petits (mesure des températures à 1/3000 degré, culture microscopique des bacilles, etc.). En politique, au contraire, ce sont de grandes approximations, des formules d’une vérité encore grossière. Le scalpel et le rasoir diatomique y sont remplacés par la hache qui se borne à équarrir. Autre chose serait impossible aujourd’hui car, en haut, pour celui qui manie l’outil du pouvoir, la science politique est trop vague, trop incertaine encore, et en bas, chez ceux qui sont conduits, ce sont des idéologues encore trop frustes. (Les historiettes les plus simplistes des religions marquent encore l’étiage de la compréhension de beaucoup de masses.) Mais cependant dans l’ensemble on peut dire que la politique interne des États tend aujourd’hui à passer du stade émotif et cahotique au stade rationnel et ordonné, en faisant une part de plus en plus grande aux sciences sociologiques. On peut le dire en deçà de certaines frontières, mais au delà ?
b) Malgré tant d’exceptions, il y a tendance à distinguer de plus en plus le technique et le politique, à ne confier des fonctions qu’à des compétences réelles et à enlever les fonctionnaires à la désignation directe du vote populaire ou de la faveur politique. Il y a déformation de la mentalité administrative sous l’influence de la politique. Le vrai esprit administratif consiste à faire abstraction des intérêts de personnes ou de faits dont vit la politique. Cette tendance s’accompagne de cette autre, que l’administration est organisée comme un ensemble de services publics destinés à satisfaire non les intérêts de l’autorité, mais ceux du peuple.
c) Les bases de la politique ont changé au cours des siècles. Pour l’époque moderne il n’y a plus de droits légitimes des souverains, plus de jugement de Dieu, plus d’autorité religieuse, plus de raison d’État, plus d’équilibre. Il ne reste d’autre base possible que la force ou le sentiment national ou l’organisation conforme à la liberté et à l’égalité, sanctionnée par des institutions juridiques internationales ou l’objectivité scientifique et technique. Ceci n’est plus devenu une doctrine dans les pays dits de fascisme ou de nazisme, où la vie ne repose plus sur le sentiment du droit.
La science politique traite de la formation, de l’organisation et des fonctions de l’État. Elle est inconnue dans l’antiquité orientale, où règne le despotisme absolu d’un homme ou d’une caste, qui représente la divinité. Seule la Chine, avec Confucius et Mencius, s’inquiète des devoirs du gouvernement. Elle apparaît en Grèce. Platon expose le plan d’une république idéale (la République, les Lois) ; Aristote (la Politique), appliquant la méthode d’observation, analyse les différentes formes de gouvernement, la notion de souveraineté, les droits des hommes libres, sans séparer encore la politique de la morale.
Au moyen âge les docteurs de l’Église, précédés déjà par saint Augustin (La Cité de Dieu) et trouvant leur haute expression dans saint Thomas d’Aquin, déclarent que le pouvoir civil vient de Dieu, mais par l’intermédiaire du peuple en qui Dieu l’a mis et qu’il communique aux chefs de l’État. En cas de conflit, ils placent la théologie au-dessus de la politique. Au XIVe siècle le pouvoir civique, avec Ockam, avec Philippe le Bel, revendique son indépendance en se réclamant lui aussi du droit divin.
Au XVe siècle Machiavel envisage la politique en soi, sans préoccupations religieuses ni morales. Au XVIe siècle d’audacieuses recherches sur le droit naturel, les prérogatives du peuple, les limites du pouvoir des princes, illustrent, à des titres divers, Hubert, Langeut, Hotman, Buchanan, Suarez, La Boëtie, Bodin, Thomas Morus, Campanella.
Au XVIIe siècle, Grotius et Puffendorf érigent le droit naturel en science indépendante ; Hobbes en déduit l’absolutisme, tandis que Locke expose un système de gouvernement représentatif. Les philosophes du XVIIIe siècle essayent de dégager de la doctrine des conclusions pratiques ; ils s’éclairent aussi par l’étude des institutions de l’antiquité classique et de l’Angleterre, de la Chine, puis des États-Unis. Les physiocrates et d’Holbach préconisent le despotisme éclairé ; Rousseau, le gouvernement direct ; Mably le gouvernement représentatif, avec prépondérance du pouvoir législatif ; Montesquieu (Esprit des lois), la séparation et l’équiibre des pouvoirs. La Révolution française proclame les droits de l’individu et réorganise l’État. Elle soulève les critiques des écoles historiques : Burke, Savigny, et des théocrates : Joseph de Maistre, de Bonald. Les doctrinaires et les libéraux laissent s’amoindrir la doctrine des droits de l’homme.
Mais les démocrates établissent en France l’égalité politique, manifestée par le suffrage universel. Dans la seconde moitié du XIXe siècle les historiens étudient les origines de l’État, les juristes son organisation comparée dans les diverses contrées, les philosophes et les économistes ses droits au regard des droits de l’individu, tandis que les hommes d’État cherchent à concilier les institutions existantes avec les principes d’égalité démocratique et de justice sociale. À la veille du XXe siècle et au commencement de celui-ci, le problème de la Société des Nations est posé avec les questions de politique internationale qu’il soulève ; de grands congrès internationaux d’études en jettent les premières bases. Après la guerre, avec la constitution des États nationalistes, avec la transformation d’autres États de la démocratie en régimes autoritaires, les fondements mêmes de l’organisation politique sont mis en question. La théorie et les doctrines se renouvellent.
De toute nécessité, certes, il faut une autorité, et quand on considère la technique, toute la puissance d’une création technique, les arguments en faveur de cette nécessité se décuplent : navire, locomotive, auto, usine d’électricité, avion, viennent aboutir à quelque simple engin de direction, gouvernail, guidon ou manette. Il suffit à la main qui commande de les manier ; que la pression s’y exerce de droite ou de gauche et les résultats vont être immédiatement énormes et en sens différents.
La question est quadruple :
1o Comment sera constituée l’autorité : individu, collège ou représentation de l’ensemble ?
2o Jusqu’à quel point des hommes peuvent-ils entrer dans les cadres d’une organisation centralisée et s’y mouvoir avec suffisamment de liberté pour ne pas trop sentir le joug ?
3o Jusqu’à quel point est-il possible que des organes informateurs, coordinateurs, arrêtent des plans et les leur fassent connaître, obtiennent des adhésions intellectuelles facilitant au moins l’imposition des disciplines autoritaires ?
4o Jusqu’à quel point, de relation en relation, est-il possible de s’élever jusqu’au mondial, qui doit maintenant devenir le centre des observations, des critiques et des propositions coordonnées ?
REFORME ET UTOPIE.
La Réforme. Le Renouveau. L’utopie. — Réformateurs, novateurs, créateurs, utopistes, la société à toutes les époques en a connus. Et toujours devant eux se sont dressés et les difficultés des choses et les adversaires de leurs innovations. On a reproché aux utopistes de considérer les hommes comme des créatures idéales, aptes à s’astreindre ou se soumettre à des règles générales et à des disciplines rigides, ainsi que des moines dans des monastères ou couvents, ou des soldats obéissant sans réserve aux injonctions ou ordres les plus rigoureux. On a dit que les utopistes sont des dictateurs qui ne tiennent pas compte des réactions, forces ou tendances naturelles, non plus que des obstacles ou résistances extérieures aux États ou milieux qu’ils conçoivent et veulent édifier. Et cela tandis que l’expérience et la civilisation prouvent que l’on ne va pas impunément contre les forces naturelles, économiques ou sociales, pas plus que contre les aspirations qui sont le propre du tempérament humain.
De tous temps, l’utopie a joué un rôle, l’histoire des
utopies retient le nom de 258 à travers le cours du
temps. À en relever un si grand nombre, à les relever
en tous pays et à toute époque, il semblerait qu’on
puisse donner une définition ou tout au moins une
« caractérisation d’elles toutes ». L’utopie apparaît
comme le levain qui doit faire lever la pâte, lourde
et souvent corroyée, des sociétés enclines à la stagnation,
à l’acceptation des erreurs et des injustices. Sans
doute, il est quantité d’utopies qui relèvent de la littérature,
de la fantaisie et du rêve. L’utopie de nos jours
devient scientifique. Elle est comme une hypothèse au
sujet des rapports mutuels existant entre les choses,
une hypothèse scientifique à vérifier expérimentalement
et qui, vraie ou fausse, impose une direction et un programme
aux recherches qui resteraient autrement fragmentaires.
L’utopie est assimilable à une invention.
L’inventeur part d’un besoin et à travers les possibilités
diverses existantes dans la réalité, cherche un agencement
de celles-ci. L’invention sous nos yeux se divise
maintenant en deux grandes catégories : celles pour les
machines dites techniques ; celles pour les machines
dites sociales. Les grands utopistes sont de grands inventeurs
ou tout au moins appartiennent à leur lignée.
Quand nous aurons des laboratoires consacrés à l’invention
sociale, comme nous en avons pour l’invention
technique, nous progresserons à pas de géants. Les
tentatives de plan sont des pas dans cette voie, la
généralisation des fonctions d’information et de documentation
scientifique et sociale en sont d’autres, les
efforts pour créer des centres coordonnés d’idéation,
de sentiment et d’action collectifs en sont des troisièmes.
La nation est distincte de l’État qui lui donne forme temporaire et existence dans le droit public. La définition célèbre d’Ernest Renan est toujours à répéter.
« Une nation, c’est pour nous une âme, un esprit, une famille spirituelle, résultant dans le passé de souvenirs, de sacrifices, de gloires, souvent de deuils et de regrets communs ; dans le présent, du désir de continuer à vivre ensemble. Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue ou d’appartenir à un même groupe ethnographique ; c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses et de vouloir en faire encore dans l’avenir. Il y a dans cette définition le principe même de l’état contractuel. »
De son côté, Norman Angell a formulé ainsi la pensée du mondialisme politique.
« Au début, l’État est une tribu ou une famille homogène, mais dans la marche du développement économique et social, les divisions disparaissent au point qu’un État peut se composer, tel l’État britannique, non seulement d’une demi-douzaine de races différentes dans la métropole, mais d’un millier de races différentes répandues dans les diverses parties du monde — des blanches, des noires, des jaunes, des rouges et des cuivrées. Nous voyons là sûrement une des grandes tendances générales de l’histoire — tendance qui se fait sentir dès que la vie économique organisée a débuté. Quel droit avons-nous donc d’affirmer avec arrogance qu’une tendance à la coopération qui a balayé des différences ethniques si profondes, des divisions sociales et politiques, qu’un phénomène constaté constamment depuis le début des tentatives de l’homme à créer la vie et le labeur collectifs, s’arrêteront au pied du mur des frontières politiques modernes, qui ne représentent aucune des divisions profondes de la race humaine, mais qui sont établies surtout par convenance administrative et personnifient un idéal qui se modifie profondément de jour en jour ? »
Paul Valéry, en fonction de la Nation et de l’État, a écrit : « Les actes de quelques hommes ont pour des millions d’hommes des conséquences comparables à celles qui résultent pour tous les vivants des perturbations et des variations de leur milieu. Comme des causes naturelles produisent la grêle, le typhon, l’arc-en-ciel, les épidémies, ainsi des causes intelligentes agissent sur des millions d’hommes dont l’immense majorité les subit comme elle subit les caprices du ciel, de la mer, de l’écorce terrestre. L’intelligence et la volonté affectant les masses en tant que causes physiques et aveugles — c’est ce qu’on nomme Politique. »
Enfin abordant les problèmes en quelque sorte méta-coloniaux, Tarde écrivait déjà, anticipation à nos jours.
« Quand tout sera colonisé — car le globe n’est pas
illimité, et déjà ses bornes sont touchées partout — il
faudra bien par force que la fièvre coloniale s’arrête,
épuisée, et que les nations civilisées cherchent un autre
dérivatif de leur ambition, de leur besoin d’expansion
économique ou politique. Qu’adviendra-t-il à ce moment ?
Jusqu’ici — depuis trois siècles au moins, ou plutôt de
tout temps, car, avant la découverte de l’Amérique et de
l’Océanie, c’était l’ancien continent presque tout entier
qui était à découvrir peu à peu — les colonies, les terres
neuves, ont servi d’exécutoire et de purgation à nos
humeurs malignes, autant que de refuge à nos indépendances,
ou de mirage à nos chimères et de proie à nos
ambitions. Que deviendrons-nous quand toute la férocité,
toute l’avidité, tout le désordre et aussi bien toute l’activité
conquérante, toute la générosité remuante, que nous
exportons en Afrique, en Extrême-Orient, dans l’Amérique
du Sud, sera refoulée en nous et fermentera dans
notre propre sein ? Ce sont de grandes questions qu’il
est déjà permis de poser. »
Ainsi est la définition de l’Union Internationale des Villes.
« La Cité est devenue le centre où s’exercent et s’amalgament toutes les activités de l’homme moderne. Il y fait son éducation, il y travaille, il s’y récrée, il vient y chercher l’assistance. C’est là que la coopération humaine s’exerce sous toutes les formes, qu’elle trouve son expression la plus complète et la plus large dans un ensemble d’institutions et de services organisés par la collectivité au bénéfice de tous ses membres. »
L’urbanisme est l’art d’aménager l’espace collectif en vue d’accroître le bonheur humain général : l’urbanisation est le résultat de toute l’activité qu’une Société déploie pour arriver au but qu’elle se propose ; l’expression matérielle (corporelle) de son organisation.
Le nombre et l’importance toujours croissants des grandes villes donnent un caractère particulier à la civilisation de notre époque. Une conception nouvelle du Monde et de la vie en est née qui détermine à son tour une politique et une économie adaptée.
En 1500, il y avait 7 villes de plus de 100,000 habitants ; en 1600, 13 ; en 1700, 14 ; en 1800, 21. Et alors commence le vaste mouvement. En 1850, 42 ; 1870, 70 ; 1890, 95 ; 1896, 121 ; 1902, 149 ; 1924, 181 et en 1930, 241.
Alors que l’Antiquité n’a connu que deux villes comptant plus d’un million d’habitants, Babylone et Rome (peut-être Ninive), il y en avait 32 en 1930 comprenant ensemble 68 millions d’habitants.
La région la plus urbanisée du monde est l’Europe occidentale et centrale. Sur 600,000 km2, elle compte 108 grandes villes avec 47 millions d’habitants. En Belgique, sur 7,750,000 habitants, il y en a 1,750,000 dans les villes, soit 22.6 %.
L’urbanisme est le grand fait nouveau, la prise de conscience par une cité qu’elle est plus qu’une agglomération, qu’une interdépendance unit la structure matérielle et ses fonctions, qu’il faut pour les unes comme pour les autres une activité dirigée, un plan, une politique. L’intervention publique s’avère nécessaire sur le terrain urbaniste, notamment pour une meilleure organisation des transports et la construction de nouveaux logements devant remplacer les taudis.
On a étudié d’une manière de plus en plus approfondie les conditions déficientes de nos villes nées des taudis, de la surpopulation, de la congestion du trafic et de l’absence d’aménité. À la campagne, c’est le danger que courent la beauté de la nature et la tranquille harmonie, la défiguration de la nature. Il faut réagir, améliorer les villes et protéger la campagne. Donc l’urbanisme.[7]
Il faut y comprendre ce qui concerne l’aménagement de l’espace au degré de toutes les divisions. On aura donc un urbanisme régional, national, un urbanisme continental, avec notamment l’urbanisme général de l’Europe surpeuplée, de cette partie urbaine par excellence comprenant en particulier le quadrilatère : Londres, Paris, Cologne, Amsterdam, au milieu duquel s’inscrit la Belgique. On aura aussi un urbanisme mondial, car il est, autour du globe terrestre, un grand mouvement giratoire de populations, de produits, d’idées incorporées dans des documents et des œuvres. Le mouvement va d’Est vers l’Ouest et en sens inverse d’Ouest vers l’Est. Il couvre une large bande de plusieurs degrés de latitude, bande dans laquelle s’insère précisément le susdit quadrilatère Belgique prolongé, et où l’on trouve toutes les grandes cités reliées entre elles par de grandes voies de communication : le « transmondial », composé notamment des lignes aménagées pour le trafic ; les grands ports, les grandes gares, les grands aéroports ; c’est là de l’urbanisme mondial.
Les chiffres suivants donnent une idée du développement
extraordinaire des grandes capitales du monde à
un siècle de distance (1800-1900).
1800 | 1900 | |
Habitants | Habitants | |
Londres | 950,000 | 4,738,000 |
New-York | 60,000 | 4,131,000 |
Paris | 678,000 | 2,763,000 |
Berlin | 172,000 | 2,000,000 |
Chicago | 3,000 | 2,000,000 |
Vienne | 231,000 | 1,771,000 |
Pétrograde | 220,000 | 1,771,000 |
Buenos-Aires | 400,000 | 1,129,000 |
Rio de Janeiro | 115,000 | 1,157,000 |
Pékin en a aujourd’hui | 4,000,000 | |
Shanghai en a aujourd’hui. | 5,500,000 |
Les villes sont devenues des organisations formidables ; elles ont attiré partout la population. Les États changent et se modifient — les villes restent avec leurs besoins propres. Parmi elles il en est qui sont tenues pour de véritables métropoles internationales d’une spécialité. Des unions de villes entre elles ont existé de tout temps, en dehors des liens supérieurs de subordination aux États. On devra reconnaître à l’avenir des villes internationales relevant seulement de la S. D. N., comme les villes impériales relevaient seulement de l’Empire.
Les Soviets en ce moment veulent combler le fossé
entre la ville et le village, fossé, disent-ils, qui a été
creusé profondément par les propriétaires fonciers et les
bourgeois. Une expérience de fraternisation entre ouvriers
et paysans est en cours. C’est un événement de
portée historique.
Les services publics et administratifs augmentent en nombre et en extension dans tous les pays. Le critère de la création d’un service public est le fait qu’il se produirait un désordre social par la suspension, même pendant un temps très court, de l’activité libre qu’il s’agit de transformer en activité publique. L’organisation du service public se perfectionne. De nos jours s’opère, parallèlement à la décentralisation locale et régionale, une décentralisation par service.
Pendant la plus grande partie du XIXe siècle, le droit administratif se présentait sous l’aspect peu engageant d’une série de réglementation d’ordre technique, exclusives de toutes construction logique, de toute systématisation rationnelle. C’est à l’ordre alphabétique que devait recourir les auteurs. De 1880 à 1900, on assiste à l’effort de coordination, de construction et de synthèse. Aucoc et Laferrière incorporent à la science du droit administratif, l’œuvre prétorienne du Conseil d’État. Ducrocq en donne un vaste inventaire ordonné. Haurion s’attache à en dégager les principes qui, pour n’être pas ceux-là mêmes que la tradition civiliste avait lentement dégagé au cours des siècles n’en présentent pas moins un caractère juridique indéniable. Henry Berthelemy réduit ou élimine ce qui, d’une part, dans un ensemble composite de faits et de solutions, n’est pas susceptible d’être ramenée à des idées claires et distinctes, d’autre part à maintenir la vie administrative dans son activité quotidienne et pratique.
Il a été fondé un Institut international des Sciences
administratives.
Le principe des nationalités est celui d’après lequel les races d’hommes tendraient ou auraient à tendre, à se grouper d’après leurs origines, leurs mœurs, leurs langues, leur histoire commune. Les hommes en auraient le droit (libre disposition). Le principe s’oppose à celui de l’État impérialiste ou dominant, et à celui de l’État conventionnel. L’histoire en présente le développement suivant :
1793. — La Nation française comme peuple, hors toute action dynastique, se soulève contre l’étranger.
1800. — Réaction puissante contre Napoléon conquérant, en faisant appel à l’esprit national (principalement en Allemagne et en Espagne).
1827. — Insurrection de la Grèce. Les gouvernements despotiques de France, Angleterre et Russie signent le traité du 6 juillet 1827 pour proclamer et soutenir la nationalité grecque.
1830. — La question de la nationalité polonaise remise à l’ordre du jour.
1848. — La Hongrie se soulève contre l’Autriche au nom de son droit d’être une nation autonome.
1859. — L’Italie appuyée par la France, au nom du principe des nationalités, entreprend de chasser les Autrichiens de la péninsule.
1860. — Au nom du même principe la Moldavie et la Valachie se réunissent pour former un corps de Nations sous le nom de Roumanie.
Vers la même époque commencent à se propager en
Russie les idées panslavistes dont l’objet est de réunir
en un seul peuple tous les peuples appartenant au groupe slave. La guerre mondiale a réveillé les nationalités.
Le traité de Versailles a consacré solennellement
le principe en l’appliquant à la réorganisation politique
de l’Europe.
La politique internationale, partie de la politique générale, est l’art de gouverner les affaires extérieures de l’État. La complexité de ces affaires, la gravité des conflits qu’elles peuvent susciter donne à cette politique internationale une importance grandissante.
Il faut se garder d’identifier le droit international et la politique. Chaque État a sa politique qui n’est pas autre chose que le programme auquel il se propose de conformer son action collective à l’extérieur. La politique doit s’inspirer des principes de droit et s’y conformer, mais il est facile de comprendre que, même en y restant fidèle, il y a bien des manières d’agir ; tout en restant honnête l’on peut être prudent ou téméraire, perspicace ou aveugle (Renault) et au lieu d’être honnête, on peut parfaitement être le contraire.
La politique intérieure et la politique extérieure sont en relation étroite et s’influencent réciproquement. La politique internationale est de plus en plus conduite avec des soucis de politique intérieure : une autorité chancelante ou aux prises avec des difficultés, cherche des diversions au dehors.
Chaque État a sa politique propre, étroitement égoïste. Là n’est pas le mal qu’il faut supprimer, car il est indispensable que chaque État ait une ligne de conduite propre pour ses relations avec ses voisins. Mais à côté, au-dessus de ces politiques extérieures nationalistes, il y a place pour une politique mondiale dans ses conceptions ou ses directions, faite de la nécessité de donner une direction aux intérêts généraux de l’ensemble des peuples, des États, et des hommes.
Un ensemble d’institutions internationales ne suffit pas. Il faut une transformation complète de l’action des États à l’égard les uns des autres. La nouvelle politique, à l’opposé de l’ancienne politique des antagonismes, doit se poursuivre au moyen d’accords entre les concurrents, de concessions mutuelles, sur la base de coopération, en restant dans le cadre de la politique mondiale. Les partis politiques évoluent jusqu’à devenir aussi des partis internationaux (les catholiques, les socialistes, les libéraux ou radicaux). Un parti politique mondial, au-dessus des partis comme au-dessus des gouvernements nationaux, se dessine lentement, malgré les difficultés de l’heure.
Il faudrait constituer ce parti mondial, parti de la paix constructive. Un parti constitué à la manière des partis politiques, avec un objectif politique et non plus des vagues mouvements de la paix. Ce parti doit :
1° Tendre à influencer d’abord les rouages gouvernementaux en tous pays dans le sens de son programme, s’emparer ensuite de ces rouages.
2° Travailler à détruire de fond en comble les principes et les structures de l’État national qui s’opposent à la République Mondiale.
3° Il faudrait que ce parti soit composé d’éléments
actifs, des meilleurs éléments anti-guerre, anti-inorganisation
sociale, qui soit, même peu nombreux, le guide
et le cerveau de la masse, qu’il ait sa doctrine, ses principes,
sa politique et tactique fermes et propres.
Comme la plupart des institutions juridiques sur lesquelles ont vécu jusqu’à présent les peuples civilisés de l’Europe, la puissance publique trouve son origine première dans le droit romain. Au début le peuple y est titulaire de l’imperium et peut le déléguer à un homme. Plus tard il la transmet au prince et l’empereur concentre sur sa tête les pouvoirs que la république avait partagés entre les divers magistrats. Dans la période finale de l’empire, c’est un droit qui appartient en propre à l’empereur. Il est titulaire d’un droit de puissance (imperium et potestas), c’est-à-dire un droit d’imposer aux autres sa volonté parce qu’elle est sa volonté, parce que comme telle elle a une certaine qualité qui fait qu’elle s’impose à l’obéissance de tous. Dans les premiers temps de l’empire cependant, comme sous la république, l’idée subsiste que l’empire était la propriété indivisible et éternelle du peuple romain, que l’empereur devait l’administrer, mais qu’il ne pouvait pas y porter atteinte. Par là, la monarchie des Flaviens et des Antonins fut essentiellement différente des monarchies asiatiques et ressembla plus aux monarchies modernes de l’Europe qui sont toutes animées d’un si puissant souffle romain. Pendant la période féodale, la notion de l’imperium s’éclipse presque complètement. Le seigneur féodal n’est pas un prince qui commande en vertu de l’impérium : il est un contractant qui demande l’exécution des services promis en échange des services qu’il a promis lui-même. Dans la période moderne reparaît l’impérium. Sous l’action des légistes, elle devient la souveraineté royale, mélange de l'impérium moderne et de la seigneurie féodale. C’est au déclin de la féodalité que les juristes, appuyant le mouvement des peuples vers l’unité nationale, cherchèrent à attribuer à l’État un caractère qu’il fut le seul à posséder, qui, tout en le distinguant des autres collectivités publiques, permît de préciser la nature de sa mission interne et externe. Jean Bodin, le premier (1576), a défini la souveraineté : la puissance suprême, summum imperium summa potestas, qu’il attribue au roi, confondant, suivant l’usage de l’époque, l’État avec le monarque. On a basé sur ses écrits l’absolutisme royal. En 1789 le roi est dépossédé du pouvoir par la nation, dont on essaie de légitimer les droits par la métaphysique du Contrat social.
Le principe de tout le système du droit public moderne se trouve résumé dans la formule suivante : ceux qui en fait détiennent le pouvoir n’ont pas un droit subjectif de puissance publique, mais ils ont le devoir d’employer leur pouvoir à organiser les services publics, à en assurer et à en contrôler le fonctionnement. Le droit public n’est plus un ensemble de règles s’appliquant à des sujets de droits différents, l’un supérieur, les autres subordonnés, l’un ayant le droit de commander, les autres le devoir d’obéir. Toutes les volontés sont des volontés individuelles,
toutes se valent ; il n’y a pas de hiérarchie des volontés.
Toutes les volontés se valent si l’on ne considère
que le sujet. Leur valeur ne peut être déterminée que
par le but qu’elles poursuivent. La volonté du gouvernement
n’a aucune force comme telle ; elle n’a de valeur
et de force que dans la mesure où elle poursuit l’organisation
et le fonctionnement d’un service public. Ainsi la
notion de service public vient remplacer celle de souveraineté
de l’État ; elle devient la notion fondamentale
du droit public moderne. La loi n’est plus le commandement
de l’État souverain ; elle est le statut d’un service
ou d’un groupe.
Limitation de la souveraineté. — Au point de vue
interne la souveraineté de l’État n’est point l’omnipotence ;
il convient de la tempérer par des précautions
légitimes et nécessaires. Dans la sphère internationale
la souveraineté doit aussi être limitée. Tant que subsistera
dans les relations internationales la notion surannée
de la souveraineté, la paix ne sera pas définitive. C’est
une révolution à faire dans la vie internationale, le pendant
de la révolution qui dans l’intérieur de chaque État
a établi le régime représentatif. L’opinion publique peut
seule la faire. L’opinion aidée par la théorie, éclairée par
les faits, donne la réalité à la conception de la république
supranationale.
Formule proposée. — Il faudrait que nous possédions un tableau donnant les indices de la puissance relative des États. On pourrait procéder de la manière suivante : déterminer les facteurs dont il y a lieu de tenir compte ; totaliser pour certains facteurs les chiffres de tous les pays du monde, donner ensuite à chaque nombre une valeur relative en pourcentage dans un maximum de 100 par exemple, d’après les coefficients suivants :
1 Population. | |||||||||||||
11 En quantité. | 33 |
|
66 |
|
100 | ||||||||
12 En qualité. | |||||||||||||
121 Fécondité (natalité). | 3 |
|
33 | ||||||||||
122 Santé (longévité). | 3 | ||||||||||||
123 Instruction (alphabétisme) | 10 | ||||||||||||
124 Productivité (rendement du blé) | 6 | ||||||||||||
125 Internationalité (commerce extérieur) | 11 | ||||||||||||
2 Territoire. | |||||||||||||
21 En étendue. | 17 |
|
34 | ||||||||||
22 En qualité. | 34 | ||||||||||||
221 Climat (habitabilité) | 4 |
|
17 | ||||||||||
222 Richesses naturelles (mines, forêts). | 4 | ||||||||||||
223 Accessibilité (chemins de fer, voies navigables). |
9 |
DANS LA SITUATION RELATIVE DES ÉTATS.
Dans l’antiquité et au moyen âge, le monde se limitait à l’Europe et aux rives de la Méditerranée. Les grandes découvertes du XVe siècle décuplèrent la superficie des terres connues ; l’émigration peupla des continents nouveaux, et les grandes inventions du XIXe siècle supprimèrent les distances et donnèrent une formidable impulsion à l’activité humaine. En moins de trois siècles, la planète fut transformée. Des colonies comme les États-Unis d’Amérique naquirent, grandirent, secouèrent le joug de la métropole, et furent bientôt, par leurs richesses et le nombre de leurs habitants, plus puissants que les plus grands États de l’Europe. Des États étrangers comme le Japon, se réveillèrent d’un sommeil séculaire et, en quelques années devinrent des puissances redoutables avec lesquelles les plus forts doivent désormais compter. Une partie du monde jusqu’alors à peu près déserte, se peupla avec une rapidité effrayante et forma l’Empire russe. L’Angleterre constitua le plus vaste empire qui ait jamais existé et sépara nettement sa destinée de celle de la petite Europe, aux dépens de laquelle elle avait du reste acquis son hégémonie maritime. Des colonies comme les Indes, le Canada, l’Australie, l’Afrique du Sud, l’Égypte prenaient chaque jour de l’extension. Les pays de l’Asie se sont réveillés. L’Amérique du Sud et du Centre, rompant les liens coloniaux qui l’unissaient à l’Espagne et au Portugal, s’est organisée en vingt républiques autonomes et indépendantes qui toutes ont commencé à compter dans le mouvement économique du monde. De tous ces faits résulte une diminution de l’importance relative de l’Europe dans le monde, puisque les puissances extérieures ont fait depuis un siècle des progrès beaucoup plus rapides que les puissances européennes, tant au point de vue de l’augmentation de leur population qu’à celui de leur développement économique.
Et maintenant change encore le visage du monde politique. C’est l’Allemagne pour qui le Traité de Versailles n’existe plus depuis qu’elle a récupéré proprio motu la force de ses armements ; c’est la tentative France-Angleterre-Italie de réaliser les ententes générales de l’Ouest, de l’Est et des Balkans. C’est la lutte pour les colonies qui recommence en Afrique par l’Abyssinie. C’est, germes seulement, mais futures réalités, un noyau d’armée internationale ayant agi dans la Sarre et un noyau d’aviation internationale proposée à l’Allemagne.
La carte des amitiés en Europe est aux contours changeants ; elle montre des fluctuations et des renversements. Avant la guerre, c’était les alliances. Après la guerre, la Société des Nations. À Rapallo, l’Allemagne et la Russie se lient. La Petite Entente se conclut pour isoler la Hongrie. L’Entente balkanique, le Pacte balkanique sont combinés dans le cadre de la S. D. N. Il y a peu de temps encore, les deux systèmes antagonistes en Europe étaient fondés sur la revision du bloc Allemagne-Italie-Russie, l’autre sur le conservatisme du bloc France-Pologne-Petite Entente. Aujourd’hui l’Allemagne demeure d’un côté ; la France et la Petite Entente de l’autre ; mais la Russie et, dans une très large mesure, l’Italie, ont changé de camp, tandis que la Pologne vient occuper aux côtés de l’Allemagne la place qu’elles ont abandonnée.
La guerre a fait perdre aux Européens leur prestige aux yeux des autres peuples exotiques qu’ils dominaient jusque là, surtout aux Asiatiques. D’autre part, l’industrialisation des autres peuples, ordinairement par les Européens eux-mêmes, diminue aujourd’hui l’importance de l’Europe.
Un autre fait capital est la modification d’importance relative des États entre eux quant à leur population.
On a le tableau suivant :
En 1788 | En 1914 | ||||
millions | rang | millions | rang | ||
Allemagne | 15 1/2 | 4e | 65 | 3e | |
Autriche | 11 1/2 | 6e | 51 1/2 | 4e | |
États-Unis | 3 1/2 | 7e | 100 | 1er | |
France | 25 | 1er | 40 | 6e | |
Grande-Bretagne | 12 | 5e | 45 1/2 | 5e | |
Italie | 15 1/2 | 3e | 35 1/2 | 7e | |
Russie d’Europe | 25 | 2e | 90 | 2e |
L’État, de nos jours, fortifié de plus en plus, demeure pratiquement le centre et le pivot de la politique. Tous les mouvements sociaux, tous les conflits viennent retentir sur sa conception, sa composition et ses attributions. L’État doit être envisagé dans sa double existence, à l’intérieur, à l’égard de ses nationaux, à l’extérieur, à l’égard des autres États.
Deux tendances s’opposent. L’une consiste à concentrer dans l’État toutes les forces politiques des peuples, tous les pouvoirs, dont l’expression est la loi, la justice rendue et l’administration. L’autre tendance aboutit à l’attribution de pouvoirs à d’autres organismes que lui-même. Ce partage de la souveraineté prend plusieurs formes. a) Au-dessous de l’État, et subordonné à lui, c’est l’importance croissante des grandes villes, de l’autonomie locale et régionale, mouvement qui trouve son achèvement dans l’application à tous les degrés du principe fédératif, b) À côté de l’État, et sur le même plan que lui, c’est le développement et l’incorporation dans des organisations indépendantes de grandes forces sociales se détachant du faisceau de celles de l’État, forces ethniques, économiques, intellectuelles. Le terme ultime de cette évolution apparaît la constitution de vastes entités fédératives érigées en personnes de droit international et douées même de certains droits politiques, c) Au-dessus de l’État et sur un plan supérieur, se multipliant et s’élargissant les associations entre États, les coalitions et les alliances. Enfin le développement de la Société des Nations, avec le problème posé de la formation d’une autorité supernationale.
Les sentiments d’humanité s’affirment. La conscience sociale s’élargit. Jadis à Rome, l’Humanité s’arrêtait aux patriciens ; dans la cité la plèbe n’avait pas à compter sur le sentiment de solidarité sociale. Un esclave molesté n’éveillait pas plus de pitié qu’un animal : et à la frontière l’étranger était toujours tenu pour un barbare, un ennemi. Aujourd’hui, la sympathie s’étend à toutes les classes de la nation, à tous les peuples, à toutes les races, même aux animaux, que des lois protègent contre les brutalités des hommes.
Ce qui fut la parole de quelqu’un pourra devenir celle de tous.
Homo sum atque nihil Humani a me alienum puto.
Je suis homme et rien de ce qui touche à l’humanité ne doit m’être étranger. (Térence.)
Mélancoliquement un penseur a écrit :
« Il faut entretenir une masse de sots. Si les animaux s’entendaient, les hommes seraient perdus. C’est pourquoi l’homme a employé une moitié des animaux à mater les autres. De même l’art politique consiste à couper un peuple en deux et à dompter une des moitiés avec l’autre. Pour cela, il faut abrutir cette moitié, la bien séquestrer et la séparer du reste, car si le peuple armé et le peuple non armé s’entendaient, la situation vraiment serait perdue. »
1914-1934. — Vingt années séparent ces dates, durée qui est moins que rien dans l’Histoire humaine et l’évolution de ses destinées. Mais combien remplie ces vingt années par un développement qui fit passer le visage du monde de ce qu’il était à la veille de la grande guerre, à ce qu’il est devenu et surtout en train de devenir. Établir un parallèle entre les deux années rien ne donne sensation plus directe de l’immense processus dans lequel toutes les forces sont engagées.
Il y avait au point de départ de la comparaison huit
grandes puissances et c’étaient elles qui conduisaient
toutes choses, se conduisant elles-mêmes en orgueilleux
prototypes de toute existence à un degré supérieur,
s’érigeant en modèle envié par les moyens et les petits
États. Un même souffle les animait : l’impérialisme.
Pour certains, l’impérialisme était à double face : extérieure
et intérieure et les institutions y étaient encore
de la nature du pouvoir absolu ou à très près.
Maintenant l’Empire de toutes les Russies, le plus
conquérant et le plus despotique de tous, est remplacé
par la République U. R. S. S., après que la
Pologne, la Lettonie, l’Esthonie, la Lithuanie, la
Finlande en eurent été détachées par des mouvements
populaires reconnus à Versailles. Et l’U. R. S. S. édifie continuellement le socialisme. L’empire
d’Autriche a volé en éclats et plusieurs de ses morceaux
sont érigés en républiques dont l’une, la Tchécoslovaquie,
est tout à fait remarquable par sa force tranquille
et son élévation intellectuelle. Quant à l’empire
d’Allemagne, après restitution de l’indu, il est devenu
république, puis troisième Reich, poursuivant à travers
des crises des transformations compliquées, largement
socialistes et communitaires, mais où sous l’action de la
rationalisation et de l’organisation, quand même une
forme nouvelle d’État à large assise économique est en
voie de s’édifier. Mais l’Allemagne réarme et si le nazisme
peut correspondre à un état d’âme germanique, il
est incompréhensible pour l’esprit latin ou anglo-saxon. L’Italie s’est agrandie des terres irrédentes : à la voix de Mussolini, elle a tendu la musculature relâchée de son organisme. Par des moyens que la liberté condamne, elle a opéré une extraordinaire révolution intérieure, étant devenu un corps commandé par une âme, et une machine orientée vers des fins conscientes. Incontestablement l’Italie a grandi. L’Empire Britannique, vaste République Fédérative couronnée, a vu ses Dominions croître extraordinairement en force et en indépendance, tandis que vieille nation mère, qui crut aux bienfaits sans fin de l’individualisme concurrencier, la Grande-Bretagne a faibli ; elle est passé d’un conservatisme désormais impossible à un travaillisme largement venu trop tard et qui sent la nécessité d’une refonte mais sans trop de heurts, partant sans trop de précipitation ni de systématisation. L’Empire devient une réalité économique après Ottawa. Voici la France ; elle est la victorieuse et son prestige de Versailles fut grand quand elle voulut donner dans le palais de Louis XIV un spectacle où la République pouvait vraiment dire : maintenant, « l’Etat c’est moi » ; elle montra qu’elle n’était pas insensible aux gloires du passé, tout en acceptant, désormais satisfaite, de les prolonger par des mesures pacifistes. Mais avec un empire colonial non homogène, une population de sang originaire toujours plus réduite, avec une langue véhicule de son influence extérieure de plus en plus concurrencée par l’anglais et par les petits parlers nationaux, avec, dans la masse de son peuple, une ignorance par trop grande de l’heure qu’il est dans le monde et des rôles qu’il est encore possible d’y jouer, — la France apparaît grande sans doute, et sympathique, et gardienne d’un grand trésor de culture, mais cependant impuissante à être un peuple chef. Elle est trop traditionnaliste encore dans ses couches fondamentales et peu inclinée à mettre en formule universelle l’idéal nouveau développant et dépassant 1789. Quant au Japon, là-bas en Extrême-Orient, il a grandi considérablement ; il n’a en rien souffert de la guerre, n’y ayant assisté qu’en allié spectateur, mais son organisme intérieur a évolué en force. Au mépris du droit de la Chine, il s’est emparé de la Mandchourie. Et les États-Unis, huitième grande puissance,
à tout l’Extrême de l’Occident, dès 1914, sont
devenus le colosse que l’on sait, mais avec une croissance
déjetée, aussi dyssimétrique qu’en témoignent leurs villes,
en largeur et en hauteur. Ils sont décidément non
qualifiés pour agir avec attraction sur le monde qui mit
toutes ses espérances en eux à une heure de 1917-1919.
Les États-Unis, à la signature du Traité et du Pacte, ont
faussé compagnie à tous, se plongeant dans les marécages
d’un provincialisme ignorant des nouvelles réalités ;
ils n’ont pas été grands dans l’affaire des réparations ;
ils ont laissé apparaître la faiblesse de leur système dans
le formidable krach de 1929 éclaté au moment où le
Président Hoover venait d’être élu sous le signe de la
« Continuous Prosperity », la prospérité continue. Ils
traversent maintenant une crise qui est une véritable
révolution. La manière dont la conduit le président
Roosevelt fait naître de très grands espoirs. 1914-1935 :
le visage du monde, les réalités du monde ont changé.
Fait capital, après la guerre la Société des Nations a été fondée sur la proposition du président Wilson.
La Société des Nations est la limitation organisée de la souveraineté absolue. À l’avènement de celle-ci a concouru un ensemble de causes politiques particulières qui sont : l’effort des petits États pour maintenir leur existence à côté des grands ; la notion de la neutralité en vertu de laquelle sont placés, au milieu des territoires de grandes puissances, les territoires théoriquement intangibles des États neutres ; la nécessité d’alliances de plus en plus vastes pour résister aux alliances opposées, si bien que le monde entier a été entraîné dans trois ou quatre systèmes d’associations d’État ; le progrès des conceptions positives par lesquelles le pouvoir n’a d’autre fondement que son utilité eu égard à la masse des individus et l’empirisme, admissible seulement en tant qu’il est nécessaire pour le fonctionnement des services publics ; la volonté des peuples d’arracher les affaires politiques internationales aux intrigues dynastiques et au secret de la diplomatie efficace à l’instar des affaires politiques nationales. Le Pacte de 1919 de la S. D. N. lui a assigné deux buts principaux : éviter la guerre, développer la coopération.
Le problème mondial auquel la S. D. N. avait à faire face est celui-ci : établir la forme sociale qui réponde le plus adéquatement, par un ensemble de dispositions concrètes et d’interventions coordonnées et communes, à faire exister en connivence pacifique et progressive la masse humaine tout entière et la conduire à des destinées plus pacifiques, plus solidaires, plus hautes.
Tenir comme principe : a) que l’homme est un être susceptible de progrès, d’éducation, d’émancipation, de discipline, d’association ; b) qu’il y a 2 milliards d’humains, une soixantaine d’États, 500 associations internationales, 200 trusts internationaux, 5 grandes religions, 6 grandes civilisations ; c) que la société est un ensemble de six ordres de fonctions impliquées les unes dans les autres, se soutenant les unes les autres, tendant à la satisfaction des besoins de plus en plus étendus : la santé, l’économie, le social, le politique, le culturel, le religieux.
Tenir compte qu’arrivée à ce point de son évolution, l’Humanité comme système a connu successivement : a) les grands empires autocratiques et religieux du monde ancien qui reposaient sur l’esclavage et l’ignorance ; b) les gouvernements des cités libres dans la Grèce ; c) l’empire romain ; d) la chrétienté ; e) la destitution de la chrétienté, à la fois par la pluralité des églises, la liberté des consciences, la constitution des États nationaux, la mise en contact de toutes les régions de la terre ; f) la Révolution française et les guerres qui l’ont suivie ; g) le régime de l’équilibre et du concert européen, la coordination possible mais jamais obtenue, le dogme de la souveraineté nationale, les compétitions économiques, coloniales, culturelles, la guerre mondiale, les décisions du Traité de Versailles. Tenir compte enfin que l’Humanité s’est développée, laissant derrière elle avec un sillage de sang et de boue, une succession d’efforts constructifs et de grandeurs admirables.
Et se rappeler que Bossuet, oui Bossuet le théologien et le directeur de la conscience royale qui vivait sous Louis XIV, disait déjà : « La vraie fin de la politique est de rendre la vie commode et les peuples heureux. »
L’institution de la Société des Nations, placée dans la ligne de l’Histoire Universelle, représente le fait social le plus général offert par l’histoire de tous les temps. Il en est ainsi parce que la notion du social repose sur la mise en rapport d’éléments humains, directement d’homme à homme ou indirectement à l’intermédiaire des choses sociales, au degré mondial et par la superstructure ultime de la Société. La masse des êtres et des organismes en présence, on l’a vu, est considérable.
Il s agit de lui assurer une armature solide, une armature qui ne saurait être que celle d’une communauté d’intérêts et de fonctions assurant à chacun, individu, groupe ou formation nationale, à la fois une liberté fondamentale et une coordination nécessaire. Fédération des Peuples, organisation des fonctions, départage entre ce qui doit appartenir à l’autorité, aux groupes et à l’individu, seuls ces principes peuvent apporter la solution au problème. En ce sens, l’heure est venue de bien marquer qu’au delà de la Société des Nations actuelle, simple union des gouvernements, n’intervenant que sur certains points, il y a au degré mondial aussi tout le reste des rapports sociaux libres, volontairement ou nécessairement exclu de la structure de la Société des Nations et auquel il importe cependant que soit donné la structure que requièrent Paix et Progrès.
La mystique de la Société des Nations contribua utilement
à la faire instaurer et à la faire accepter. Mais la
raison se voit maintenant tenue d’y projeter la lumière
de l’analyse et du raisonnement et la volonté créatrice
ne doit pas se laisser arrêter devant les solutions que
celles-ci imposeront. Si la Société des Nations aujourd’hui
s’avère impuissante à aider les hommes, à surmonter
les quatre crises, économique, sociale, politique, intellectuelle,
au milieu desquelles ils se débattent, eh bien,
il faut la transformer. Elle n’est qu’un moyen et non une
fin. À elle à s’adapter à la fin et non pas l’inverse. Transformer à ce point la Société des Nations, la faire servir à de tels et de si hauts objectifs que ces noms, pour elle,
deviennent les termes de ce qu’elle est appelée à devenir :
La plus grande Société des Nations — La nouvelle Société des Nations — La deuxième Société des Nations ou encore la République Mondiale.
Tous les peuples ne sont pas également développés, également avancés dans les voies de la civilisation — à supposer que la définition de celle-ci ait été donnée en termes clairs et qui requièrent l’adhésion universelle.
Il y a des peuples enfants, des peuples séniles, des peuples dévoyés, comme il y a des individus de ces trois types. On éduque ces individus, on les assiste, ou l’on cherche à les redresser.
Il arrive que des parents, des tuteurs, des conseils judiciaires oublient l’intérêt de leur protégé et font de leur mandat un objet de spéculation. Il en sera fatalement de même pour les peuples entiers et voilà la porte ouverte à tous les arbitraires et les exactions égoïstes de l’intervention. Se peut-il cependant, pour les éviter, qu’en renonçant à l’intervention, on laisse vraiment des populations vivre dans la misère, l’ignorance, dans la guerre civile, dans un état d’hostilité constant à tous les éléments étrangers. Une bonne fois la question doit être tranchée par un principe. Les dispositions existantes relatives aux mandats territoriaux et aux minorités ont à être approfondies, généralisées, organisées. Le principe d’intervention et d’assistance internationale pourrait être formulé ainsi :
1° À la base sera reconnue l’unité humaine, sa solidarité, son devoir de perfectionnement général et par conséquent le bien-fondé des devoirs et des droits corrélatifs pour les faire observer.
2° Une définition explicite de la civilisation sera donnée, énumérant ses facteurs, conditions, modalités, degrés et étapes.
3° La haute mission de veiller à la réalisation des conditions générales extérieures de la civilisation sera confiée à l’organisme politique mondial (Société des Nations élargie) aidé dans la libre organisation économico-intellectuelle mondiale quant aux conditions particulières d’exécution.
4° Le principe sera proclamé que tout État ayant forfait gravement au devoir civilisateur ou se montrant manifestement au-dessous de sa tâche sera placé momentanément sous tutelle ou curatelle (mandat), qu’il s’agisse d’États métropoles aussi bien que des possessions coloniales, cette tutelle, ce mandat ne seront pas exercés par une autre nation, mais par la communauté des nations.
5° Toutes les formes d’assistance et de guidance
particulière (par ex. pour les finances, l’éducation, l’hygiène) doivent en tout temps pouvoir être mises au
service soit des nations entièrement sous tutelle-mandat,
soit au service des nations indépendantes ayant besoin
d’une aide particulière.
Si les faits eux-mêmes se sont développés dans le monde à un rythme accéléré, les conceptions et les sentiments aussi ont évolué rapidement et donnent lieu à des formules, des projets, des états de conscience des plus caractéristiques. À les considérer dans leur ensemble et à les synthétiser, on arrive au tableau suivant :
1° Le problème fondamental est l’établissement d’une organisation du monde qui soit universelle, obligatoire et permanente.
2" Après le refus des États-Unis, la tardive entrée de l’U. R. S. S., la sortie du Japon et de l’Allemagne, une forme nouvelle de la Société des Nations est nécessaire. Une organisation permanente donnée au Pacte Kellog et qui agirait en consultation avec la Société des Nations n’apparaît qu’une solution transitoire. Il faudra bien en arriver finalement à une seule Société des Nations et ce serait économiser les efforts que de partir de la volonté de l’établir.
3° Le nouvel organisme devra être dans toute la réalité une Société des Nations et non plus une Association de Gouvernements maintenant entières les souverainetés nationales et où l’unanimité soit le principe. De quelque nom qu’on l’appelle l’organisation devra être en fait un sur-état mettant en commun sur la base fédérative d’États-Unis du Monde, un certain nombre de fonctions communes, celles qu’il est reconnu impossible de voir assurer plus longtemps par les États isolés, telle la protection contre la guerre et l’organisation économique ou des fonctions qu’il est démontré pouvoir être exercées dans des conditions plus avantageuses sur la base de la coopération que sur celle du particularisme et de la concurrence.
4° En principe, petits et grands États, comme aussi vainqueurs et vaincus des guerres doivent être traités sur un pied d’égalité. L’idée démocratique de l’organisation doit donc être maintenue. La notion de nation a priori à intérêts limités est à rejeter comme entachée de privilèges en faveur des autres. Il faut faire aussi que les petites Nations ne soient pas choses négligeables, malléables entre les mains des grandes Puissances. Elles sont résolues de ne plus se laisser faire. Dans l’air flottent les projets d’entente entre neutres, entre petits États dégoûtés de la politique impérialiste des grands et portés à les empêcher de venir vider leurs querelles chez elles. Quant au maintien des principes d’égalité, c’est dans la discrimination des divers ordres de question qu’une solution devrait être trouvée : vote majoritaire avec des majorités plus ou moins renforcées, mais vote tantôt égalitaire par État, tantôt proportionnel, soit par tête d’habitant, soit par coefficient d’intérêts dans les questions à décider.
5° Il faut faire une Société des Nations ayant de l’autorité et pouvant disposer de sanctions. C’est indispensable. Les sanctions économiques paraissent moins faciles à mettre en œuvre qu’on ne l’avait cru après la guerre, parce qu’avec la crise et le développement dé l’autarchie elles ont des effets fort réduits. Mais d’autre part des projets techniques et juridiques précis ont été élaborés pour créer une police aérienne internationale et pour internationaliser l’ensemble de l’aéronautique civile et militaire. Passé paraît aussi le temps où les anglo-saxons repoussaient toute idée de contrainte physique.
6° La question de la définition de l’agresseur, après avoir créé tant d’obstacles, a fini par être résolue et la définition figure dans les pactes récents conclus par la Russie et par les Nations balkaniques.
7° La Société des Nations a été constituée en quelque sorte comme gardienne des traités, en particulier du Traité de Versailles. Ces traités consacrent l’inégalité. Or l’Allemagne réclamant l’égalité, la question de la révision est posée. Elle est possible en vertu du pacte lui-même, mais comment la réaliser ? Par des mesures générales applicables à tous et mettant fin aux exceptions.
8° Une autre difficulté est la question des nationalités ou minorités nationales. L’idée a été affirmée que le droit international n’est pas seulement le droit entre États, mais aussi entre personnes humaines et qu’en attribuant à celles-ci des droits internationaux à revendiquer auprès de la Cour Internationale de Justice, on donne aux nationalités une protection plus équitable et plus générale.
9° Cependant le monde n’est pas seulement placé devant le problème de la guerre. On l’a vu. Il y a celui des rapports économiques et celui des rapports sociaux : guerre, crise, révolution est devenue l’inéluctable trinaire. À les traiter séparément, on ne saurait sortir de leur cercle infernal : paix, prospérité et justice est le trinaire opposé. Le particularisme économique conduit à la guerre et aussi à la révolution par le chômage et les privations qu’il engendre. Aucun remède n’est possible sans la confiance et celle-ci ne saurait renaître tant que subsisteraient les craintes de guerre. Enserrées par les fatalités d’une véritable loi d’airain, voilà les nations forcées d’envisager simultanément les trois problèmes jusqu’ici dissociés.
10° Au delà se pose le problème intellectuel et le voilà lié aussi désormais au trinaire précédent. Ceci est mis en toute clarté. Sans désarmement moral, pas de désarmement véritable ; avec les codes de l’honneur national, les théories du racisme triomphant, les falsifications ou disproportions dans l’exposé de l’histoire et de l’état présent des nations, pas de bases saines données au jugement de l’opinion publique.
11° C’est pourquoi le problème du désarmement n’apparaît plus seul dans une simplicité que contredit la complexité des faits. Sans doute il faut désarmer, transformer les armées nationales d’après un type uniforme d’armées à court terme et à effectif réduit ; il faut interdire tous les armements actuellement interdits par les traités à certains pays ; il faut réduire et limiter les dépenses de défense nationale, il faut mettre fin à la situation périlleuse et révoltante créée par les munitionnaires. Mais à soi seul, c’est insuffisant, puisqu’ainsi seuls les effets sont atteints et non pas les causes.
Conclusions. — Comme en beaucoup de matières, on est ici en présence de deux états d’esprit, de deux méthodes, de deux systèmes. Pour les uns, il faut procéder en envisageant successivement les difficultés et en allant au plus pressé qui est considéré être le désarmement. Pour les autres, il faut envisager en même temps l’ensemble des difficultés et présenter une solution globale et simultanée, parce qu’ainsi les concessions à consentir sur un point trouvent des compensations dans les concessions de l’autre partie sur d’autres points. Chaque point particulier consoliderait sa faiblesse éventuelle par les autres points. C’est la discussion entre minimaliste et maximaliste.
Un proverbe populaire dit que quand on a mal boutonné son habit, il faut le déboutonner et recommencer à le boutonner. Sur les champs de courses, quand il y a eu mauvais départ donné, la course est annulée et les chevaux sont ramenés au piquet de départ. Ainsi pour les affaires internationales.
L’ordre du processus que certaines puissances proposent, sans d’ailleurs fixer les délais des opérations, ni la manière dont elles devraient être faites est celui-ci : 1° Désarmement ; 2° Réforme du Pacte ; 3° Révision des Traités.
Au contraire, instruits par les événements, il faudrait
maintenant faire comprendre à tous que le monde est
prêt à réaliser la reconstruction dans un ordre nouveau :
1° Constitution pour réformer et élargir le Pacte ; 2° Révision
des Traités ; 3° Désarmement.
Il y a des millions de lois et on ne saurait en dresser la carte. Toutes ces lois cependant prennent place dans des systèmes de lois qui sont limités en nombre et dont on peut donner une figuration cartographique.
Chaque nation, chaque localité, chaque tribu sur toute la surface de la terre a eu ses lois coutumières depuis le commencement de son histoire sociale. Mais peu les ont développées en système. Un système de lois est un corps de règles couvrant les institutions élémentaires de la vie sociale — développé par la pensée d’une classe professionnelle de juristes et mis en relation dans une sorte d’unité corporelle par une certaine cohésion logique et sociale.
Les systèmes une fois formés se sont maintenus pendant des siècles et se sont souvent répandus de leur aire native pour inclure largement des peuples sans relation. Originairement il y a eu 16 grands systèmes au cours de l’histoire. 8 ont disparu : les systèmes Égyptien, Mésopotamien, Hébreux, Grec, Romain, Celtique, Maritime et Canonique. 8 existent aujourd’hui : Chinois, Hindou, Japonais, Germain, Slave, Mahométan, Romain, Anglo-saxon.
Les systèmes existants sont tous plus ou moins mixtes, à leur origine ou à leur état actuel. On rencontre donc 4 cas : a) systèmes purs : en Angleterre, en France ; b) systèmes nationaux transformés (remodelage d’un droit étranger par la souveraineté nationale. Ex. Japon). c) systèmes coloniaux composites : un pouvoir étranger dans une colonie, protectorat ou mandat, impose sa propre loi publique mais conserve le système natif pour les rapports privés (ex. Algérie) ; d) systèmes coloniaux composites doubles : même cas, mais le pouvoir colonial impose plusieurs systèmes natifs, ex. Inde.
La géographie a influencé le droit de deux manières : a) directement par les données naturelles de la géographie ; b) indirectement par la race façonnée elle-même par la géographie. Tous les systèmes de lois sont issus de races à l’exception de trois : Droit Maritime (origine géographique), Droit Canon (origine religieuse), Droit Romain (origine intellectuelle).
Voici quelques exemples d’influences géographiques : Distribution des terres et des eaux : le droit maritime. Continuité : elle produit l’imitation ou la pénétration pacifique chez les voisins. Ex. : extension du système mésopotamien, du système égyptien primitif, du système germanique chez les Slaves. Climat : différence entre les lois pour les déserts et pour les oasis. Pas d’influence sur le système légal Bouddhiste. Particularités : lois sur les irrigations, sur le pâturage, sur les digues (Hollande), les canalisations (Grenade). Sur la famille : aire de distribution de la polygamie. Aire du droit d’aînesse qui a conduit les fils cadets à s’expatrier et à reprendre le système anglican. Sur le droit commercial : ex. dans la vente, les titres de propriété sont transférés ici par le seul accord (droit germanique), là seulement par la livraison physique de la marchandise (droit mahométan). Les personnes, les choses, les actes, les buts, les organismes et leurs rapports sont largement antérieurs au droit. Ils forment la véritable matière juridique que le droit façonne ensuite à sa manière.
À l’arrière-plan de la matière juridique est donc la Société, à l’arrière-plan du Droit la Sociologie et toutes les Sciences sociales particulières.
LE DROIT UNIVERSEL.
La matière du droit est distincte de la forme du droit.
Quand la société évoluée passe de la phase communale et féodale à la phase royale et centralisée et aujourd’hui à la phase démocratique, républicaine et mondiale, le droit à son tour transforme son contenu et sa forme.
La vie elle-même étant devenue universelle, le droit, qui n’est que le vêtement juridique de tous les rapports à régler entre les hommes, est devenu irrésistiblement universel lui-même. Comment des dispositions nationales, arrêtées autrefois pour régler de modestes affaires locales pourraient-elles suffire aux immenses tractations qui aujourd’hui, de pays en pays, de continent en continent, font circuler hommes, capitaux, produits et œuvres de l’esprit ?
Avant la guerre déjà et avec une fréquence impressionnante depuis, se sont succédées les conférences intergouvernementales pour élaborer des conventions, instruments du nouveau droit international. Conférences pour régler le statut personnel, la nationalité, la minorité, le mariage ; conférence pour le droit maritime ; conférence pour le droit financier, chèque et lettre de change ; conférence pour le droit pénal ; conférences pour le droit des travailleurs et des intellectuels, etc.
Maintenant quel programme de travail pratique et coordonné est à tracer, pour réaliser, sous l’égide de la Société des Nations, l’idéal d’un droit universel. De réelles difficultés seront à vaincre : les ignorances et les égoïsmes nationaux, l’inconscience de l’impératif mondial, les difficultés techniques, après avoir établi le droit, de le maintenir, nulle Cour de Cassation au degré international ne pouvant être assez active et assez rapide pour statuer sur la multiplicité des causes qui afflueraient chez elle. La solution serait, d’une part, un organisme législatif mondial permanent divisé en branches ou conférences ; d’autre part, un organisme judiciaire mondial se bornant à trancher souverainement entre les interprétations contradictoires et imposant ses décisions aux Cours de Cassation nationales.
Le Droit international s’est développé en quatre phases :
1re phase. — Marche dans l’Antiquité vers un État universel, Rome qui soumet à son autorité exclusive la plus grande partie du monde connu des anciens.
2e phase. — À la chute de l’Empire romain et sur ses ruines politiques s’élève la Féodalité dont le travail intérieur aboutit à la Constitution de la Chrétienté, hiérarchie de pouvoirs divers subordonné finalement à l’Empereur d’une part, à la Papauté d’autre part.
3e phase. — À partir de la Paix de Westphalie (1648), reconnaissance du principe des États souverains et développement de ceux-ci sur la base instable des alliances, de la paix armée, de l’équilibre qui provoque une interminable série de luttes et de guerres, dont la guerre mondiale.
4e phase. — À partir de la guerre mondiale, tentative de reconstitution de l’unité mondiale sur des bases autres que la paix romaine et la Chrétienté. Société des Nations, comme un fait d’abord, ensuite, comme une aspiration, la République Universelle et Mondiale.
L’Institut international de droit public fut créé en 1927. Sans caractère officiel aucun, mais international par sa composition, il s’est imposé pour mission l’examen théorique des divers problèmes du droit public, l’élaboration de méthodes, l’affirmation de principes généraux, la comparaison et l’appréciation des doctrines nationales en vue du développement des libertés individuelles, au moyen de principes juridiques, dans les États libres.
De nouvelles collections juridiques importantes apportent les éléments du droit nouveau : l’Annuaire de l’Institut international de Droit public, recueil de lois de droit public et de textes constitutionnels ; la Bibliothèque du même institut ; l’Annuaire de l’Institut de Droit international ; les travaux de l’International Law association ; l’Annuaire interparlementaire, encyclopédie scientifique de la vie politique du monde entier.
Les trois réalités dénommées par les termes Liberté, Propriété, Souveraineté, sont corrélatives. Elles ont évolué à travers les âges.
1° Liberté. Il y a eu esclavage, servage, homme libre, souverain. Tendance communiste, fasciste, naziste (totalitaire) à subordonner l’individu à la communauté.
2° Propriété. Elle a été commune, puis privée. D’une manière générale, elle a dépendu du souverain. Elle appartient au prêtre lorsque celui-ci avait l’empire. Au prince, à César, lorsque celui-ci s’empara du pouvoir. Aux nobles, aux bourgeois, lorsque la souveraineté passait entre les mains de la Féodalité et de la République.
3° Souveraineté. Elle a appartenu à un, à quelques-uns, à tous (suffrage universel). Tendance à revenir à l’autorité. Lutte pour des droits politiques accordés à la corporation (représentation des intérêts organisés ou des fonctions).
Le problème moderne est de réaliser la communauté
universelle en donnant à la fois et indivisiblement à tous
et à chacun la liberté, la propriété et la souveraineté.
La guerre. — L’histoire humaine est une alternance de guerre et de paix. Les moyens de s’entre-tuer et de se défendre se sont développés avec la civilisation. Tout ce qui sert à l’utilité normale de l’homme sert aussi à la guerre.
La guerre à une dimension dans l’antiquité, à deux dimensions pendant la guerre mondiale, sera à l’avenir à trois dimensions (guerre aérienne). La lutte était d’abord corps à corps, à distance avec les flèches, avec la poudre ; elle le devient de plus en plus avec la possibilité de déflagration, de choc et d’incendie par ondes sans fil. Les guerriers faisaient leurs armes eux-mêmes, puis il y eut les armuriers, les fournisseurs d’armes et aujourd’hui les munitionnaires qui se sont emparés de la grosse industrie, de la finance, de la presse, presque des parlements et des grandes administrations. Les livres, les articles, les rapports dans les congrès, les enquêtes officielles aux États-Unis ne sauraient plus laisser de doute à ce sujet.
Les faits qui sont révélés au sujet des marchands de canons (merchant of Death) montrent que les affaires mondiales sont manipulées derrière la scène par des forces sans scrupules qui échappent absolument au contrôle des citoyens. Les intrigues pour la concession des champs de pétrole en Perse, la révolution à Mexico provoqué par la Standard Oil Cy ; Gomez, au Vénézuela spéculant sur la lutte entre les compagnies pétrolifères, la lutte entre la Standard Oil Cy et la Royal-Dutch-Shell (Deterding). Après entente de la Standard avec les Soviets, intrigues pour faire reconnaître les Soviets par les États-Unis.[8]
La guerre future s’annonce sous quatre aspects : 1° l’action aérienne avec les gaz clouant sur place l’adversaire et le désorganisant ; 2° l’attaque motorisée brusque et rapide : les petits moteurs, les tanks légers suivis des tanks lourds rompant les fronts défensifs retranchés ; 3° la mobilisation de toute la nation ; 4° l’industrie procurant la masse des armements.
Chaque mois de nouvelles armes sont annoncées. Maintenant la balle contre tous les obstacles, pouvant perforer « une cuirasse de 1m80 » ; la mitrailleuse tirant 1.400 balles à la minute ; le « canon rotatif » envoyant 1,000 projectiles à la minute ; la « fusée stratosphérique » dirigée à 320 km. avec gaz asphyxiant ou germes ; le rayon Z destiné à constituer un mur invisible pulvérisant tout ce qui s’approche ; les rayons de la mort pouvant anéantir en une heure la population d’une ville distante de 1,000 km.
Certes, il y a les responsables de la guerre, de la politique des marchands de canons, de l’abominable vénalité de la Presse, des méfaits du militarisme et surtout des innombrables préjugés nationalistes grâce auxquels les dirigeants, en cas de tension diplomatique, suscitent dans les esprits des hommes cet enthousiasme belliqueux indispensable pour qu’explosent les guerres. (R. Gérin.)
Le tableau suivant énumère en détail toutes les attitudes possibles.
Devant la situation ainsi devenue, il n’y a que trois attitudes fondamentales à pouvoir prendre :
1° Ou bien tenter immédiatement un effort commun auprès de la Société des Nations pour l’amener à agir, en même temps que lui en seraient donnés les moyens moraux et matériels fixés en une Charte ou Constitution Mondiale : Solution diplomatique.
2° Ou bien ayant constaté l’impossibilité de faire de l’organisation des Gouvernements à Genève la base et l’étape d’une organisation rationnelle et juste du monde, agir indépendamment d’elle sous le signe des déclarations du Président Roosevelt qui, en décembre 1933, a posé nettement la distinction à faire entre les Gouvernements et les Peuples, en conséquence chercher par tous moyens à voir proclamer la République Mondiale : Solution révolutionnaire.
3° Ou bien reconnaître que le problème est au-dessus des forces humaines, le déclarer et par suite autoriser le sauve-qui-peut général, chacun dans une anarchie prolongée ayant désormais à pourvoir à sa manière et selon ses moyens à sa propre vie et à celle des siens : Solution anarchiste.
1. Indifférence. — 11. Ne pas s’en faire, vivre au jour le jour et de son mieux ; surtout ne pas prendre les choses au tragique, ni le monde au sérieux. — 12. Ne pas parler de la guerre afin d’éviter que par contagion physique on n’y soit entraîné. — 13. S’en remettre à la sagesse des dirigeants (Partis politiques, Parlement, Gouvernement) et, par eux, aux Pactes et Conventions internationales combinés par la Société des Nations.
2. Protestation. — 21. Ne pas se faire soldat (Le Résistant à la guerre). — 22. Se faire soldat, mais résigné, et au jour de la guerre, briser son fusil, refuser de tirer (Les Socialistes). — 23. Se faire soldat, apprendre ainsi la technique des armes afin de pouvoir mieux s’en servir contre les chefs eux-mêmes au jour de la guerre déclarée. (Les Communistes.)
3. Lutte. — 31. Combattre séparément chaque cause de guerre : la haine entretenue ; les fausses nouvelles répandues ; l’éducation guerrière. — 32. Désarmement moral. La réforme individuelle. — 33. Grève générale en cas de guerre. Révolution en cas de guerre.
4. Organisation de la paix. — 41. Organisation juridique
de la paix. Traités internationaux. Droit international.
Arbitrage. Conciliation. Société des Nations. —
42. Organisation mondiale universelle dans tous les
domaines de la vie reconnus solidaires : économique,
social, politique, intellectuel. Constitution mondiale.
L’idée de patrie n’a cessé d’évoluer depuis les origines
de l’humanité. Le repaire de nos sauvages ancêtres
était une patrie que leurs occupants aimaient et défendaient
jusqu’à la mort. Bien plus tard, ce fut le domaine
de la famille, de la tribu, qui constitua une patrie. Dans
le moyen âge européen, avant la création des puissances
contemporaines, les villes, les provinces formaient autant
de patries sacrées. Les haines qui séparaient leurs habitants
semblaient ne pouvoir être assouvies. Et depuis
un siècle surtout ce sont les grands États modernes qui
constituent des patries. De nos jours nous assistons à la
formation d’un sentiment nouveau né du règne même
de la Paix et du développement de la vie internationale.
Une partie au moins de l’idée de patrie tend à
s’étendre à la terre tout entière et à l’humanité qui
l’habite.
L’histoire de la paix et de l’organisation mondiale se développe en cinq phases :
1° Dans une première phase, on voit naître les organismes pacifiques sous le souffle du sentiment et de l’aspiration. C’est à la fois simple et puissant : à bas les armes, plus de guerre !
2° Dans une deuxième phase, on voit se former le mouvement pour l’organisation des rapports juridiques entre nations. Les Conférences de La Haye d’avant-guerre en sont l’expression la plus complète. Par elles, on réglemente surtout la guerre, mais celle-ci demeure permise.
3° Dans une troisième phase, les questions débordent leur cadre traditionnel. La vie, elle-même devenue internationale, ne met plus en présence seulement des entités politiques douées de souveraineté et d’indépendance, à l’intérieur desquelles les peuples seraient comme parqués, individus et groupes n’entretenant des rapports qu’entre eux et avec leur État. À ce stade, au contraire, qu’il s’agisse de commerce, d’industrie ou de transport, de science ou d’éducation, d’art, de morale ou de religion, on voit se constituer d’immenses associations internationales sur le type Fédérations, Académies, Syndicats ou Instituts. L’Annuaire de l’Union des Associations Internationales a pu, avant la Grande Guerre, présenter la monographie de 520 d’entre elles.
4° En ce moment, la quatrième phase en laquelle nous sommes, est celle où l’interdépendance et ses répercussions se sont imposées à la reconnaissance universelle. Mais tous en face du fait ne réagissent pas identiquement. Devant cette interdépendance, fait devenu naturel, on assiste à l’Autarchisation, réaction devenue artificielle.
5° Si bien qu’en nombre croissant, et sous toutes les latitudes, des hommes commencent à vivre en esprit déjà dans une cinquième phase : celle où l’Humanité sera enfin dotée d’une organisation universelle qui consacre son unité, une organisation dans l’armature ordonnée de laquelle la place sera consentie à tous et les libres activités de chacun pourront s’exercer sans se nuire.
Telles sont les cinq phases de la Paix.
Au delà de leurs courbes sinueuses se dégage très nettement le « trend », la tendance générale.
Il est désirable :
1o Une claire énonciation des Buts mondiaux qui se dégagent de l’état présent de la conscience humaine et des possibilités de réaliser qu’offrent la Nature et la Technique ; expansion de la vie des individus ; perfectionnement de la Société ; la civilisation, commencée dès les premiers âges, à développer volontairement dans le sens de l’universalité et de l’intégralité.
2o Une précise élaboration d’un Plan mondial formulé en plein accord avec la science et la sociologie et embrassant la santé, l’économie, les questions sociales, la politique, la vie culturelle.
3o Une Constitution mondiale par laquelle les droits et les devoirs des États, des Associations, des Individus seront définis et seront réglés les pouvoirs de leur communauté ; constitution toujours révisable et perfectible, mais qui donne aux rapports internationaux la base juridique solide contre laquelle viennent se briser les égoïsmes funestes et les arbitraires dangereux.
4o Une Société des Nations refondue ou, à son défaut, quelque République mondiale embrassant la totalité des peuples ; la véritable Commonwealth de tous les Peuples de la Terre.
5o Une Cité mondiale, Cité des Nations et des Associations, établie comme l’instrument adéquat de la coopération permanente des activités de tout ordre.
Le Monde attend la réalisation des promesses de son développement ; il commence à sentir que les temps, pour réaliser, sont accomplis. À l’ère de la guerre, de la révolution, de la crise doit succéder celle de la Paix, de la Prospérité et de la Justice sociale.
137 L’INTELLECTUALITÉ. LE CULTUREL.
Les éléments de la vie intellectuelle comprennent les langues, les religions, les sciences pures et appliquées, les lettres et les arts, l’instruction et l’éducation, la presse. Pour désigner tout à la fois les intérêts intellectuels et les branches de connaissance et d’organisation qui y répondent, il faut un mot unique et caractéristique, comme le mot « économique » désigne, lui, l’ensemble des intérêts matériels. Le mot « culture » et l’adjectif dérivé « culturel » peuvent s’employer à cet effet ou encore le mot « intellectualité ».
Conceptions générales. — Les facteurs intellectuels jouent un rôle considérable dans la société et dans la conception que s’en font savants et penseurs. Les considérations suivantes les mettent en lumière.
1° L’intelligence constitue une véritable sphère autour de la planète tout entière, la « Noosphère » ainsi dénommée par le philosophe Leroy.
Trois propriétés nouvelles caractérisent ses éléments, propriétés que l’on ne trouve pas dans les sphères antérieures : a) elle s’est découverte elle-même par réflexion ; b) elle s’est trouvée capable de collaborer librement à ses progrès ultérieurs par invention méthodique ; c) enfin elle est devenue apte à vaincre l’effet d’égoïsme isolé, qui accompagne d’abord toute genèse d’individus ; elle s’est orientée en âme d’une sorte d’organisme supérieur qui serait en voie de formation.
2° Il existe, à partir du moyen-âge seulement, une classe d’hommes que leur activité professionnelle a spécialisés comme producteurs de valeurs spirituelles : ce sont les intellectuels. Au lieu de créer par un travail physique des objets d’usage matériel ou des marchandises de consommation, ils réalisent par un travail intellectuel des valeurs qui ne se convertissent pas d’une manière immédiate en objets matériels. (Définition de H. De Man.)
3° Les formes les plus intelligentes de l’activité humaine, les arts, les sciences et les techniques industrielles se séparent peu à peu d’un travail manuel qui est cependant la condition indispensable de leur réalisation.
4° Il faut distinguer dans l’évolution mentale l’évolution des facultés de connaître, l’évolution des connaissances elles-mêmes ; celles-ci une fois acquises ne se perdent plus, mais se transmettent d’une génération à une autre. Elles sont ainsi des excitants permanents de l’énergie spirituelle.
5° L’abstraction est universelle ; aussi l’abstraction est ce qui unit les hommes, tandis que dans la réalité concrète existent des groupements dangereux, des compétitions, des antagonismes. La musique, le plus abstrait des arts, est aussi celui qui unit le plus les hommes. La science aussi de plus en plus.
6° Tandis que s’exerçaient les activités intellectuelles, tout au long de l’histoire, on voit se constituer des moyens de penser. Ces moyens, ce sont les méthodes, les formes d’expression, ce sont les sentiments intellectuels. Ainsi s’est constituée une instrumentation technique, les machines, les procédés de construction et de fabrication appliqués au début à une activité technique déterminée ; l’abstraction, la généralisation sont intervenues pour les dégager de l’objet auquel ils s’appliquaient et les faire généraux. Aristote constitua son « Organon » et Bacon le « Nouvel Organon ».
En l’état actuel de la Pensée, il y a approfondissement tel des notions fondamentales des sciences et surtout de leurs méthodes qu’on peut parler de l’élaboration d’une sorte de « Novissimum Organon ».
7° Il y a crise mondiale de l’Intelligence. La seule faculté qui distingue essentiellement l’homme de l’animal : la vie philosophique de l’esprit, c’est-à-dire l’idéation abstraite nécessaire à l’ascension dans l’ordre moral et politique, est restée malgré tout d’une remarquable infirmité chez la quasi unanimité des humains. C’est là ce qui a été caractérisé comme la crise de l’esprit.
8° Un grand espoir est permis avec la « machine intellectuelle ». De même que la machine technique permet à un travailleur non qualifié de réaliser des produits parfaits, de même la machine intellectuelle n’exige pas une formation spéciale chez qui l’emploie. Ainsi tous les calculs faits d’avance (barèmes), les tables, les coefficients, les constantes, les formules, les horloges, etc. On peut imaginer un état social progressant dans son ensemble par une instrumentation basée sur des abstractions très élevées qui serait mise à la disposition de tous.
On peut concevoir l’évolution de l’intelligence humaine, envisagée dans le passé et l’avenir, selon quatre phases.
L’homme est d’abord un être en lequel domine la vie organique. Dans cette phase, c’est le corps physique de l’homme qui prend lui-même toute sa forme. Celle-ci depuis dix mille ans ne s’est guère modifiée ; elle ne paraît guère modifiable.
Vint ensuite le développement de l’intelligence humaine. Elle se dégage de plus en plus de son substratum physique. Elle procède d’abstraction et de généralisation.
Corps et esprit, l’homme est placé dans son milieu. Celui-ci est de trois ordres : 1° milieu que forme d’abord la nature ; 2° milieu comprenant tous les milieux techniques formés au cours du temps par des objets matériels que crée l’homme et par les transformations qu’il apporte à la nature ; 3° milieu constitué par l’idéologie sociale. Celle-ci agit d’individu à individu par la conversation, par ce qui est l’individu lui-même et sa pensée, mais surtout par l’immense quantité d’œuvres d’art, de science et de littérature incorporées dans les documents.
Une quatrième phase du développement de l’homme paraît devoir résulter de la mise de son intelligence en état d’agir à l’intermédiaire d’un nouvel instrument, ayant en quelque sorte la fonction d’être pour lui, pour sa pensée, un corps nouveau, mais mieux approprié à ses possibilités élevées. Cet instrument constituerait pour l’ensemble des connaissances le dédoublement de son corps physique. Des sentiments et des plans d’action de la volonté seraient constitués par un nouveau langage exprimant des données intellectuelles et s’incorporant dans des documents et aussi des formes nouvelles. On peut concevoir ainsi pareil instrument : a) une refonte de toutes les connaissances dans le sens de la synthèse ; b) l’expression des connaissances sous une forme de plus en plus facile et rapide à comprendre et à communiquer (notation, écriture, alphabet, idéogramme, langue parlée et représentation graphique ; c) quelques transformations du contenu même de la conscience, laquelle étant parole, rythme, musique intérieure, deviendrait elle-même tout cela, mais supporté par les formes nouvelles.
Le corollaire d’un ordre social reposant sur la raison toujours en travail est la liberté de la pensée.
Le droit de libre opinion comprend sous un même vocable toute une série de droits qui se précisent à l’analyse :
1° Droit d’avoir mentalement toutes les idées qu’on veut. Qui pourrait songer à l’empêcher puisqu’il s’agit du for intérieur.
2° Droit de manifester ses opinions, de les extérioriser par gestes, attitudes, paroles, actes en vertu de l’incompressible besoin d’expression, source de toute langue, de toute science, de tout art, de toute littérature.
3° Droit de s’informer, de réunir les matériaux d’études et de connaissances.
4° Droit d’informer et d’exposer les idées.
5° Droit d’agir sur autrui pour lui faire accepter ses propres idées, pour renoncer aux sciences ou les modifier.
6° Droit d’agir selon ses idées, en conséquence droit de travailler à modifier le milieu, à modifier les idées du milieu, les institutions, les habitudes et les choses sociales.
Forest Bailey, Directeur de l’American Civil Liberties Union, a donné la définition suivante :
« La liberté de la parole signifie le droit de dire la xchose nouvelle, la chose non orthodoxe et inacceptable, la chose qui proteste contre les faits existants et fait appel pour qu’elles soient changées. Insister sur ce droit, c’est défendre la culture et la civilisation. Une société qui approuve seulement les vieilles et banales critiques de statu quo ne fait aucune place pour le progrès. La culture requiert que des nouvelles idées trouvent leur expression et qu’elles gagnent leur voie, si elles sont bonnes, dans une concurrence ouverte avec quel que soit le mode de pensées courant et accepté. »
La mise en œuvre de tous les éléments de la culture agit sur les peuples, façonne leur mentalité et produit leurs idéals. Inversement, la psychologie foncière propre à chaque peuple se retrouve largement dans toutes les manifestations de leur esprit. On assiste ainsi au spectacle d’une lutte entre deux tendances opposées : les cultures nationales, ethniques, particulières, aux prises avec une culture mondiale, formée du meilleur d’elles toutes ; la lutte entre les forces intellectuelles qui unissent et celles qui séparent les hommes. Dans la guerre, ce ne sont pas seulement des intérêts économiques et politiques qui sont en présence. Ce sont aussi des idées, des principes, des civilisations, des humanités contraires : la culture classique contre la culture allemande, la première se considérant comme la culture traditionnelle qui depuis trente siècles est l’éducatrice du genre humain, l’autre faite d’un bloc national de doctrines politiques, morales, scientifiques et esthétiques, qui proclament sa supériorité sur la première et même sa volonté d’en faire table rase.
À côté d’une politique ethnique, et d’une politique économique s’esquissent les grands traits d’une politique intellectuelle. Ici également se retrouvent aux prises les tendances fondamentales à l’antagonisme et à la coopération : une sorte de protectionnisme intellectuel s’affirme en face du grand courant qui conduit vers l’universalisation de la pensée. De là, les luttes pour la destruction de la culture des peuples poursuivies par leurs oppresseurs dans tous les domaines de la vie intellectuelle, dans l’Église, dans les écoles, dans la langue.
Mais en même temps le spectacle a été offert de peuples trop petits pour avoir une culture à eux seuls (les Suisses, les Belges, les Hollandais, les Scandinaves) et qui, tout en la marquant de leur génie national propre, tendent à vivre d’une culture internationale.
Les peuples ont besoin d’avoir des rapports spirituels d’après leurs sympathies. C’est pourquoi nous voyons se multiplier les Associations qui ont pour objet le développement des relations intellectuelles de peuple à peuple. La guerre en a créé de nouvelles entre alliés et entre nations sympathisantes. Ces alliances intellectuelles pour renforcer les civilisations communes à certaines races, paraissent aussi nécessaires aux nations que les alliances économiques et politiques.
Des peuples qui furent les maîtres par leur haute culture, mais matériellement faibles, furent écrasés par des peuples plus forts militairement. Leur culture dut succomber : la Grèce au temps de l’invasion romaine, l’empire romain au temps des Barbares, les Byzantins à l’époque des Turcs, l’Italie au temps de la Renaissance, la France en 1870. Mais un secret instinct, fait de l’expérience de tout ce que la pratique de la vie incorpore aujourd’hui de notions hautement intellectuelles, nous tranquillise sur l’avenir de l’intellectualité. La vie du monde ne peut plus être sans elle et elle est essentiellement universelle. Rien ne peut arrêter l’idée. Si le livre parfois a dû demeurer en deçà des frontières, le voyageur, lui, passa, portant dans sa tête un monde nouveau quand il s’appela Bouddha, Socrate ou Platon, Jésus ou saint Paul ; quand ce sont les Grecs chassés de Constantinople et venant en Italie ; quand ce sont des novateurs religieux comme Jean Huss, Luther, Calvin, Zwingle. Rien n’a pu arrêter la diffusion des idées au XVIIIe et au XIXe siècle. Rien ne l’arrêtera au XXe.
Deux évolutions parallèles se poursuivent, développant, perfectionnant, renouvelant d’une part les idées, d’autre part les choses. L’une domine le monde de la pensée, l’autre celui de l’action. Et ces deux mondes, en leurs évolutions, agissent l’un sur l’autre. De nouveaux principes sont nécessités par des conditions et des besoins nouveaux ; à leur tour ceux-ci suscitent de nouvelles conceptions. L’idée de la puissance intellectuelle doit être le dogme fondamental de la sociologie pratique. Le progrès ne se réalise que par l’intervention voulue de l’homme. C’est la coordination primitive et la succession déterminée des causes qui ont amené l’humanité et chacune des sociétés particulières à son état présent. Cela est certain et conforme aux lois du déterminisme ; mais ce qui n’est pas moins certain, c’est que, parmi toutes les causes, la cause capitale, absolument prépondérante est l’activité intelligente des hommes. Il appartient à la Science de fournir la conception de la vie et de ses valeurs, la conception de l’homme, de sa place dans l’univers, de ses possibilités ; il lui appartient aussi de fournir l’explication de l’univers pour permettre aux humains de dominer la nature et de s’assurer la puissance sur elle. C’est le devoir de l’Éducation de former des hommes comprenant ces conceptions, et voulant les disciplines appropriées à l’action collective. Sur la Science et sur l’Éducation, aux fonctions ainsi définies, doit reposer le Régime démocratique, gouvernement conforme aux données scientifiques et réalisées par les intéressés eux-mêmes.
Entre toutes les manifestations de la vie intellectuelle, les unes spontanées, les autres réfléchies, entre les langues, les religions, les sciences, les lettres, les arts, les moyens de diffusion de la pensée et de formation des masses, l’éducation, le livre, la presse, il existe des liens de dépendance. À ces forces psychologiques supérieures, il appartient de gouverner de plus en plus les sociétés. Elles doivent faire apparaître aux hommes la véritable échelle des valeurs des biens, les amener à hiérarchiser leurs besoins, leur présenter des idéals élevés car la vie n’a pas épuisé ses possibilités avec le boire, le manger, le dormir, le vêtir, le reproduire. Essentiellement libres de leur nature, et sans que rien ne doive les entraver dans leur expansion, ces forces ont besoin d’une organisation pour croître et exercer une action régulière. Au lieu de flotter et de se dissiper dans le vide, elles doivent être captées, recevoir un façonnement, être incorporées, se fixer sur des points d’application dans des institutions. Cette organisation, indispensable pour les rendre utiles au corps social, doit naturellement être internationale à son degré ultime. Ainsi le veut la poussée spontanée des efforts, la coopération basée sur l’économie des énergies, le besoin d’une pensée universelle dominant toutes les pensées particulières, élaborant l’idéal de l’espèce, de l’humanité tout entière.
Pareille organisation est en réalité celle du pouvoir spirituel. Il faut le concevoir agissant à côté du pouvoir politique pour informer, conseiller, éclairer, permettre à tous les degrés de l’action collective de mettre à profit le savoir organisé dans des buts de progrès. À lui ce pouvoir d’exercer la lointaine influence des données rationnelles sur les passions, les sentiments, l’égoïsme brutal des intérêts. « Les poètes et les savants, ou d’un seul mot les philosophes, élaborent l’idéal. Après quoi les législateurs et les gouvernants ou, d’un seul mot, les politiques le réalisent. Des poèmes et des systèmes, classifiés et fixés en lois et en décrets, telle est la double opération connexe du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, ou, d’un seul mot, du pouvoir. » (Izoulet.)
Déjà Auguste Comte entrevoyait l’établissement d’un tel pouvoir, chargé d’élaborer et de propager une doctrine universelle, pouvoir dont l’autorité purement morale s’étendrait progressivement à l’ensemble de l’humanité. Il le concevait fondé exclusivement sur la compétence et le dévouement d’un côté et sur la libre confiance de l’autre. Il ne serait qu’un organe supérieur de ralliement et de règlement moral sans contrainte. Il n’aurait aucun caractère absolutiste ni mystique. Son ministère serait exercé en toute liberté et ne porterait pas plus atteinte à la liberté intellectuelle des hommes, entièrement respectée, qu’il n’empiéterait sur l’indépendance des nations, ni sur les attributions des pouvoirs politiques.
La constitution organique d’un pouvoir spirituel apparaît comme la consolidation et la régularisation du vaste mouvement intellectuel des dernières décades.
On peut difficilement parler des travailleurs intellectuels sans parler du travail intellectuel. Les deux notions sont associées, mais elles sont bien distinctes. Le travail intellectuel est celui qui requiert l’intelligence dans la société. Mais qu’est-ce que l’intelligence, partant quel est son rôle social, partant encore qu’est-ce que l’intellectualité dont l’exercice devrait se confondre avec l’activité des élites sociales ?
Que l’homme soit un composé d’éléments très divers et fort mal hiérarchisés, qu’il soit dans sa destinée et par conséquent de son devoir de faire triompher en lui, progresser en lui les éléments supérieurs au détriment des éléments inférieurs, c’est le premier postulat. Que cela soit vrai aussi quant à l’ensemble des hommes, l’humanité, la communauté universelle et que la civilisation, élaboré par eux tous, ait à procéder du même principe de hiérarchie, de perfectionnement et de force, c’est le deuxième postulat. Il s’en suit que la condition des intellectuels ne saurait être déterminée que par rapport à ces deux principes : a) l’intellectuel a des droits qui eux-mêmes appartiennent aussi à tous les autres hommes ; b) mais dès qu’il demande des droits spéciaux, il faut qu’il justifie d’abord qu’il travaille directement aux grandes œuvres qui s’imposent à la société.
N’est donc pas indifférent ce que fait et produit l’intellectuel et n’est donc pas assimilable à toute crise, celle du chômage de l’intellectuel.
Les intellectuels ont à réclamer le pouvoir spirituel dans la société, ils ont à l’organiser, à le rendre efficient. Qui a parlé de ce pouvoir, des moyens de le constituer, des attributions à lui donner, du plan à lui faire réaliser ? Qui s’est élevé contre une société actuellement en triple mal de crise, de guerre et de révolution ? Une société qui n’est que l’expression du hasard d’actions individuelles incoordonnées et entremêlant leurs trajectoires.
Un plan intellectuel. Un pouvoir intellectuel pour le réaliser. Des collaborateurs de ce pouvoir pour se départir les tâches entre eux. Des droits corrélatifs aux devoirs leur accordés en tant que travailleurs intellectuels. Dans un tel cadre de faits et d’idées prend une toute autre signification la crise des intellectuels. Au lieu d’accepter la société en décadence, qui est la nôtre, ils ont à la réformer par le haut ; au lieu d’accepter des secours d’assistance et des transferts vers le bas en ces jours de chômage, ils ont à concevoir et à réaliser une organisation sociale utilisant au maximum les forces productives de chacun. Au lieu d’indiquer vaguement qu’un jour il pourrait bien leur être donné une place dans les conseils de la Nation, ils ont à déclarer que ces conseils ils les constituent et que le pouvoir, le co-pouvoir au moins, ils le demandent illico, étant, à défaut de l’obtenir, prêts à le prendre.
L’Intellectualité dispose de véritables instruments, des machines au même titre que le travail économique. Elle a eu l’imprimerie, plus tard la photographie, puis le cinéma devenu parlant. Elle a la radio, précurseur de la télévision.
Le nombre des auditeurs de la Radio est : en Belgique 590,000 ; en France, 1,700,000 ; en Grande-Bretagne, 660,000 ; en Autriche, 522,000 ; en Tchécoslovaquie, 671,000. Il est interdit aux postes officiels français de faire de la publicité parlée.
La radio a transformé bien des éléments de la vie. Elle est devenue un des principaux facteurs de la vie quotidienne actuelle.
On a pu parler d’isolement des campagnes d’avec le monde extérieur ; nouvelles arrivant tardivement ; nécessité de se déplacer pour entendre concert et assister à conférence. Par la radio, liaison constante des campagnes avec les centres de nouvelles, de musique et de conférences.
Enseignement difficile dans les pays à population dispersée. La radio scolaire permet à chaque famille de suivre un enseignement excellent.
Les citadins devaient se déplacer pour entendre en petit nombre concerts, délassements, conférences. Les citadins sans sortir de chez eux peuvent les entendre en grand nombre.
Les nations voisines s’ignoraient et ne connaissaient que peu de choses de leurs usages, commerce, industrie, curiosités naturelles. Par l’audition des émetteurs étrangers, par des radio-reportages on connaît ses voisins, les difficultés réciproques éprouvées sur tous les terrains, on apprend à s’estimer.
La police opérait lentement. Par la radiodiffusion policière, le public est appelé à collaborer en vue de réduire les chances d’impunité des malfaiteurs.
Les communications transocéaniques étaient mauvaises et lentes. Le trafic radiotéléphonique met l’homme d’affaires à même de téléphoner instantanément partout.
Les colonisateurs et les colons étaient perdus dans la brousse. Ils sont en liaison constante avec tous et les expéditions scientifiques dans les régions encore inexplorées sont actuellement suivies pas à pas par le monde entier qui en reçoit les nouvelles transmises par les expéditions elles-mêmes.
En temps de trouble politique les gouvernements ne pouvaient s’adresser aux peuples qu’au moyen de proclamations et de communiqués officiels à contenu condensé qui favorisaient souvent. Les membres du gouvernement s’adressent directement au peuple entier, lui donnent une exposition complète de la situation. Des esprits surexcités et angoissés sont calmés et bien des catastrophes sont évitées.
Les négociations diplomatiques se poursuivaient exclusivement à l’intermédiaire des diplomates. Les chefs d’États et les ministres dirigeants se téléphonent entre eux. Les débats de la Société des Nations son radiodiffusés et bientôt peuvent l’être ceux des Parlements.
C’est par T. S. F. que l’alerte sera donnée ; les raids d’avions pourront être partiellement enrayés ; les relations entre gouvernements et armées assurées.
La T. S. F. est d’essence mondiale et repose sur une organisation internationale. Hélas, il y a le revers de ses avantages En temps de paix, qui est maître du radio ? Les forces politiques, les forces financières peuvent devenir largement maîtresses de l’opinion publique. D’où les mesures prises pour le nationaliser.
En temps de guerre la radio sera l’instrument des paniques, des fausses nouvelles, du « bourrage de crâne ».
Notions générales. — 1. Une science est un ensemble de propositions qui constituent un système, un tout qui tient debout.
2. Il y a trois facteurs de la systématisation scientifique : a) la définition qui dit ce qu’une chose est ; b) la démonstration qui passe des principes aux conclusions ; c) la division ou différenciation.
3. On peut définir l’idéal d’une science parfaite : un ensemble de propositions évidentes et certaines, nécessaires et universelles, systématiquement organisées, qui sont tirées immédiatement ou médiatement de la nature du sujet et qui donne la raison intrinsèque de ses propriétés et des lois de son action. But : former l’image intellectuelle du monde mouvant (science statique, dynamique) et la détermination des points d’action sur lesquels est possible une action en vue de leur transformation du monde selon les besoins humains (desiderata matériels et intellectuels). Ainsi « Savoir pour prévoir afin de pouvoir ». Or, cela n’est possible ni spontanément, ni directement. Il faut du temps, de la coopération, une méthode, un outillage (langue, classification, logique, documentation).
4. C’est Laplace (O. C. VII, p. VI) qui a donné cette formule : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse ».
5. Les sciences sont de deux ordres ; sciences d’objets ; concrète (réaliste, science de réalités concrètes envisageant des choses éventuellement uniques comme la Terre, objet de la géographie dans la synthèse totale qu’elle forme) ; science de phénomènes, d’aspects ; abstraite (analytique, envisageant les choses, quelques-uns de leurs éléments donnant lieu à des types (classification) et à des lois).
6. Pour être une science exacte, suivant la terminologie admise, il faut qu’une science s’exerce sur des objets mesurables.
7. Le passé a connu la division des sciences en deux parties, l’une occulte, réservée aux spécialistes du savoir, sages et prêtres en même temps, et l’autre publique, qui fut élaborée spécialement pour le vulgaire, révélée par le moyen des symboles. (Les Égyptiens, constructeurs des pyramides, zozoastre, les Pythagoriciens, tous les tenants de la Gnose). Le livre a été l’instrument de l’une et de l’autre science. Il y a une graduation de la Pensée réfléchie : 1. folklore ; 2. littérature ; 3. science ; 4. philosophie. La pensée réfléchie exprimée dans les documents (écrits, images) relève de quatre ordres de production s’élevant des unes aux autres selon une progression croissante de précision et de généralisation abstraite.
« Le prolétariat, dit Kautsky, ne saurait remplir les grandes tâches historiques qui lui sont imposées par la situation sociale sans la collaboration des intellectuels : la science et les ouvriers, selon la formule de Lasalle. Seul le prolétariat peut donner au mouvement socialiste la forme sociale sans laquelle il ne peut pas vaincre. Seuls les hommes de culture supérieure, sympathisant avec lui et avec ses buts, peuvent acquérir et répandre la vue profonde du réel qui est nécessaire pour que le mouvement prolétarien n’avance pas en tâtonnant dans l’obscurité, mais avance en suivant une route claire et précise et sache épuiser à plein ses victoires. Les intellectuels ne sont pas une classe ; ils sont une catégorie qui s’est jusqu’à présent attachée en majorité à la classe capitaliste, mais qui n’est liée à elle par aucun intérêt de classe. Plus le prolétariat s’élève haut, plus il exerce d’attraction sur les intellectuels, plus le nombre est grand dans leurs rangs de ceux qui viennent adhérer à lui. Aider à ce mouvement est une des tâches les plus importantes du socialisme. »
Un contraste, une différence, une étonnante discordance, dit Valéry, existe entre l’état du même esprit selon qu’il se livre à la science ou aux intérêts politiques.
À la science : Travail désintéressé, conscience rigoureuse et critique, profondeur savamment explorée. Combiner la passion de comprendre à la volonté de créer. Inventer une curiosité précise et active, créer par la recherche obstinée des résultats qui se puisent, comparer exactement et ajouter les uns aux autres un capital de lois et de procédés très puissants.
Aux intérêts de la politique : Emprunt aux richesses et aux ressources de ce qu’il faut pour fortifier une politique primitive et lui donner des armes plus redoutables, plus barbares. Réserver à la politique les plus négligés, les plus négligeables et les plus vils des instruits, des idoles, des souvenirs, des regrets, des sons sans signification et des significations vertigineuses, tout ce dont la science ni les arts ne voulaient pas, et même qu’ils ne pouvaient souffrir.
L’intelligence s’oppose à l’instinct. Elle est la part acquise sur l’état brut primitif. Au cours des siècles, l’intelligence (l’esprit) a pris existence en soi, dégagée en quelque sorte de toutes les contingences des individus et des groupes qui ont aidé à l’exprimer. Elle est maintenant bien commun à toute l’humanité.
L’intelligence, instrument conscient de la formation de l’individu, doit, sous ses formes collectives, devenir l’instrument créateur de civilisation. Les connaissances sont les outils de la vie. Avancer les connaissances, les répandre, veiller à leur conservation et à leur utilisation, c’est œuvrer directement à l’amélioration de la vie.
Que ce soit au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit créant l’âme humaine, veillant sur elle et inspirant la foi chrétienne ; au nom de l’évolution des forces agitant la matière et parvenant dans son ascension à former l’homme ; au nom des doctrines qui se rattachent à la théosophie, à la métapsychie ou à l’occultisme, qui proclament l’existence des esprits, un fait de base est reconnu par tous : l’intelligence est la partie noble de l’agrégat humain, et c’est à elle, à son développement, à son action que doit revenir le primat dans les activités individuelles et sociales, dans l’action sur la nature.
Anges déchus, animaux perfectionnés ou incarnation d’esprit poursuivant des cycles millénaires, dans les trois alternatives, leurs fins, pour les hommes, est bien l’élévation par la mise en œuvre de leurs puissances intellectuelles et morales.
Sous toutes les formes, les idées, produits de l’intelligence sont pour l’homme des moyens de puissance, incorporés dans des documents, des œuvres d’art, des machines, des installations et des édifices, exprimées dans des actes ou des institutions. En tant que forces, utiles ou nuisibles à l’égard des forces naturelles d’ailleurs maîtrisées par elles, les idées ont besoin d’être produites, développées, distribuées, analysées, appliquées, utilisées.
C’est aux forces intellectuelles qu’il appartient de formuler et de susciter à tout moment l’ « Humanisme » sans lequel ne peut s’épanouir une société, et qui est l’expression selon des bases scientifiques des rapports de l’homme avec l’homme. L’humanisme n’est pas un acquit une fois pour toutes avec la résurrection des types que le passé a exprimés et légués. L’humanisme est une conception évoluante : constamment les valeurs éthiques et culturelles ont besoin dans leurs applications, sinon dans leur principe, d’être l’objet de révision.
Aux forces intellectuelles aussi de susciter l’harmonie entre les deux tendances de la pensée particulière et universelle ; locale, nationale et mondiale.
En ce qui concerne la nation, et en écartant les formes étroites et dangereuses du nationalisme, savoir cependant retrouver les appuis les plus profonds et du plus légitime instinct de défense collective ; à cet effet, savoir choisir dans notre histoire ceux qui surent nous donner une âme, voire une mystique qui nous est propre, faire comprendre ce que signifient, ce que symbolisent aujourd’hui encore les grandes personnalités qui ont paru sur notre sol et parmi nous, au cours des siècles.
Il y a, toutes relatives qu’elles soient à l’espèce Terre et à l’espèce Homme, des vérités humaines éternelles, des attitudes et des réactions fondamentales du moi en face de la nature et de toute l’existence. C’est pourquoi la pensée des sages d’autrefois vaut encore pour l’homme d’aujourd’hui à condition d’une adaptation aux conditions particulières de l’époque.
Le Président Roosevelt a donné la réponse en accaparant l’intelligence dans un trust officiel des cerveaux. Le Führer Hitler a écrit (Mein Kampf, édition populaire p. 452) : « Ce n’est pas l’insinuation du savoir, mais l’élevage des corps sains qui représente la tâche la plus importante de l’État raciste dans le domaine de l’éducation. La formation des aptitudes spirituelles, du caractère, de la volonté, de la décision et de la responsabilité viennent en deuxième lieu. Et la dernière place seulement est tenue par la formation scientifique. »
Le professeur J. J. Hurst, de Cambridge, proclame que : « L’intelligence moyenne s’éteint rapidement en Angleterre, en France, en Hollande, aux États-Unis et autres pays avancés. »
En France des voix se font entendre qui concluent que l’intelligence n’est qu’un moyen. Elle n’est pas à l’origine des choses, comme le prétendait Descartes avec son « je pense donc je suis ». Et tout ne se résout pas dans la pensée claire et distincte. Mais si, psychologiquement, l’intelligence n’est que la seconde zone de l’esprit, Henri Bergson, qui l’a montré, n’a pas dit que l’instinct doit primer.
Il a été enregistré plus d’un million et demi d’inventions (brevets). Les inventions ont transformé la vie. La fin des crises antérieures a été souvent caractérisée par l’application d’une nouvelle invention technique exigeant des investissements en travail considérable, comme les chemins de fer ou l’équipement électrique.
Des brevets d’invention sont achetés pour mieux paralyser certaines fabrications considérables. Lord Melchett, propriétaire d’un consortium chimique mondial, a demandé l’interdiction des inventions ; des pasteurs ont prié en Angleterre pour faire cesser toutes inventions.
Un large mouvement d’idées s’est formée en faveur de cette histoire. On apprenait d’abord l’Histoire Sainte, puis l’histoire des rois et de leurs guerres, puis l’histoire de la nation, puis l’histoire économique. Quand il fut bien reconnu que des idées, des sentiments de l’homme antérieur dérivaient toutes les actions, toutes les attitudes, on leur attribua une part première dans l’Histoire.
Berr va jusqu’à dire que le fait de Copernic dépasse en importance le christianisme ! Quelle influence n’ont eu l’invention de l’imprimerie et de nos jours le cinéma parlant. L’histoire de la science est celle de la pensée scientifique, de la pensée tout court dans ses efforts réunis ou non pour conquérir plus de connaissances. C’est plus que celle de la recherche scientifique, l’évolution même de la pensée. Or les savants œuvrent dans un ensemble de postulats, de tendances, d’attitudes souvent informulés, inconscients. L’histoire des sciences doit les rendre explicites : il faut faire l’analyse spectrale de la pensée, dit Pelseneer. Henriquez affirme que la plus haute vision de la science est celle de son devenir. C’est pourquoi on a vu se produire la grande revue Isis de Sarton et se former l’Académie internationale de l’Histoire des Sciences. L’histoire des diverses branches des sciences est plus ou moins avancée. Les mathématiques ont fait l’objet de travaux admirables ; celle de la médecine est fort documentée bien que dans son ensemble elle soit loin encore de pouvoir satisfaire.
La science n’a pas une marche régulière. Sa formation procède à la manière de la vie, par à-coup, bonds, stagnation provisoire, minutieux détails, envolées intuitives et synthétiques.
ET SON CHEMINEMENT.
À travers les âges, la pensée chemine. Elle va droit ou zigzagant ou sautant même, elle va tantôt s’anémiant tantôt s’amplifiant, mais elle va s’avançant toujours.
Est-il possible de voir dans un tableau d’ensemble la filiation des idées, établir une sorte d’idéogénie, à la manière dont l’histoire naturelle établit une phylogénie des êtres des trois règnes, à la manière dont l’histoire établit une « sociogénie » quant aux institutions ?
Les idées sont lentement produites. Elles sont le résultat combiné des efforts de l’individu et de la société. Les voies de cette production sont multiples, indirectes, variées. Le seul plan des idées ne saurait être compris si cette genèse est ignorée. Par ex. : le rationalisme des Grecs, la conception de l’État au début de l’ère moderne, le machinisme, le commerce, etc.
Il y a eu des moments particulièrement féconds pour la pensée, des hommes, des écoles ; il y a eu des idées plus importantes, des symboles.
Les grandes idées de justice, d’humanité, de paix et d’aspiration vers un monde supérieur sont anciennes. Elles ont été jetées dans le monde par les prophètes et les législateurs juifs, et cela dès les époques les plus reculées de l’histoire, et dans le monde sans pitié et sans humanité des civilisations antérieures à celles d’Athènes et de Rome.
Il y a le grand symbole, celui d’Orphée qui aide à créer l’unité suprême. L’intention créatrice et ordonnatrice de ce symbole dans l’antiquité, elle nous est abondamment certifiée, tout d’abord par la législation Delphique (Amphictiomies, concours spirituel et athlétique, égalité des droits politiques pour l’homme et pour la femme, libération des esclaves, etc.).
Ainsi que par le secret incomparable de la symétrie dynamique, sur laquelle fut basé l’art ancien tout entier (c’est-à-dire la création des temples, stades, théâtres, statues, fêtes, dithyrambes, odes, tragédies), le symbolisme orphéique est un symbolisme universel.
Une école comme celle d’Alexandrie, commence au IIe siècle et finit au VIe siècle. On lui reconnaît trois périodes : 1° période de développement et de formation ; Ammonius fonde une tradition que Platon et Porphyre convertissent en doctrine écrite ; 2° période de décadence et de corruption, c’est alors que Jamblique, Chrysance, Maxime, Julien, appliquent la philosophie de l’école à la théurgie et en font une doctrine politique et religieuse ; 3° période de régénération. Dans son ensemble, l’école s’efforça de restituer au néo-platonisme sa rigueur spéculative et ses tendances platoniciennes.
Après la clôture des écoles en 529, elle se perpétua en débris épars. Elle traita de la gnose, elle traita des Pères de l’Église.
Le néoplatonisme, recueilli dans d’obscures compilations, passa à travers les écoles du Bas-Empire, dans la philosophie du moyen âge et inspira tous les esprits rebelles au joug d’Aristote et de la Scolastique, les mystiques comme Scot-Erigene, Hugues et Richard de Saint-Victor, Gerson, etc. À la Renaissance, cette philosophie retrouvée toute entière dans ses principaux monuments, devient la source de toutes les doctrines idéalistes ou mystiques du XVIe siècle.
Dans l’école néoplatonicienne sont venues s’absorber toutes les philosophies de la Grèce et de l’Orient. Elle lutte seule pendant 500 ans, pour les dieux et la tradition contre le christianisme et l’esprit nouveau. Cette école occupe une telle place non seulement dans l’histoire des systèmes, mais dans l’histoire générale de l’esprit humain que tous les travaux précédents, accomplis à Alexandrie ne semblent destinés qu’à la préparer ou à la rendre possible. Il y a donc une unité parfaite dans cette histoire qui embrasse plus de dix siècles. L’école d’Alexandrie montre que, par la filiation des idées, elle résume toutes les philosophies, toutes les religions, toutes les mœurs de l’antiquité. Elle intervint à son heure dans ce grand drame de l’esprit humain dont le triomphe du christianisme fut le dénouement.
Les idées sont exprimées par les penseurs, les penseurs que l’on pourrait appeler les lumières du monde, les phares de l’humanité, depuis Platon jusqu’à Eddington en passant par Marc-Aurèle.
Au cours des âges les grands philosophes, les grands guides de la pensée ont eu nom : Platon, Aristote, Épictète, Marc-Aurèle, Lucrèce, Descartes, Pascal, Malebranche, Spinoza, Leibnitz, Berckeley, Hume, Condillac, Rousseau, Kant, Comte, Renan, Claude Bernard, Stuart Mill, Herbert Spencer. Ce sont là quelques noms qui émergent d’un nombre immense. Et il y a la pléiade des philosophes et penseurs actuellement en vie et dont demain l’histoire retiendra les noms, de ceux qui furent les plus grands, mais en insistant sur le fait que la formation de la pensée se poursuit selon des vues d’une coopération de plus en plus étendue ; une pensée collective.
Il y a les traditions. Chacun a contribué à ces ensembles, mais prenons-y garde.
Toutes les nations qui ont donné ont été faites des complexes de races. Quand nous parlons d’Égyptiens, de Babyloniens, de Grecs, de Romains, d’Espagnols, de Français, d’Anglais, nous nous référons à des types nationaux qui composent ces mélanges.
Un grand nombre de petites nations ont altéré leurs traits et perdu leurs caractéristiques dans la formation de chacune des grandes nations dominantes.
Il y a continuité aussi dans les fondements de la pensée, de la morale et de la société. Israël fut en contact avec les deux grands centres de civilisation antique, l’Égypte et la Chaldée, eux-mêmes sommateurs de civilisations diverses. Ainsi influencée la pensée juive s’est enregistrée dans la Bible. Celle-ci fut complétée par l’Evangile influencé lui-même par les courants d’idées parvenues alors jusqu’en Palestine. Ultérieurement la pensée grecque, celle de Platon et d’Aristote, par saint Paul, par les premiers Pères de l’Église, par les Scolastiques, pénétra dans la pensée chrétienne. L’influence germanique s’y marqua notamment à l’heure de la Réforme ; Byzance et les Slaves interviennent par l’église orthodoxe. La pensée ainsi constituée remontait aux sources grecques et latines et la Renaissance fut vivifiée par les humanistes et l’influence des courants de la pensée naturiste et scientifique.
Dans la civilisation contemporaine, les principes de fraternité, d’égalité, de liberté et de justice sont le développement de la pensée traditionnelle. Et de nos jours, voilà que la pensée bouddhiste et coranique, la sagesse des philosophes de l’Inde, de la Chine, de la Perse, toute la pensée orientale se confronte avec la pensée occidentale, y découvre ses idéalités profondes et y fait apport de ses originalités propres.
L’esprit humain est une croissance. L’expérience personnelle, l’expérience sociale produite au cours de l’histoire des sociétés servent à le fortifier. Il est une augmentation (comme dit Bacon) et l’humanité est semblable à un seul homme qui grandirait en apprenant sans cesse selon la comparaison de Pascal.
Et cet «incrementum», cet accroissement s’en va en se continuant. Par les formidables secousses de la guerre et de l’après-guerre, notre civilisation a été conduite à voir ébranler les bases d’une longue tradition. Nous sommes de nouveau dans une période comme Athènes en connut une au temps de Socrate et d’Aristote, comme l’avènement du christianisme, plus tard la Renaissance, l’éveil de la pensée scientifique. Nous traverserons cette période de « remodellation » ; ce sera une nouvelle augmentation. Et le filon sera continué, conservant le meilleur de l’acquit traditionnel, s’amplifiant du nouveau recueilli dans les luttes ardentes de ce temps.
À travers les âges, a dit Einstein, l’homme cherche d’une manière qui lui soit adéquate, à se façonner une image du monde, claire et simple, et à triompher ainsi du monde, de l’existence en s’efforçant de le remplacer dans une certaine mesure par cette image.
Ainsi Kant formule une théorie de l’histoire universelle. Il y voit la croissance d’une communauté mondiale réconciliant la liberté des individus et des nations particulières avec l’accomplissement d’un but commun à l’humanité en son entier. Une nouvelle école historique développe cette thèse actuellement.
Ainsi plus tard Marx présente une certaine manière de penser l’univers en mouvement qui contribua, dans les masses principalement, à faire passer la conception de la société de l’état statique à l’état dynamique.
Ainsi vue de haut et d’ensemble, l’évolution de la culture humaine Forme une magnifique unité. Des papyrus égyptiens et des tablettes d’argile babyloniennes au livre moderne, des chants et des contes primitifs aux poèmes de Dante, de Shakespeare et de Goethe, des formes sculpturales de l’Égypte à l’art de Michel Ange et de Rembrandt, de l’astrologie babylonienne à la science du XXe siècle, de la magie chaldéenne à la philosophie de Platon, de Descartes et de Locke, de la Pyramide et du Sphinx au temple grec et à la cathédrale européenne, à travers cette masse énorme d’idées et d’œuvres du passé, à travers celle qui sera considérable dans l’avenir, la pensée a poursuivi et poursuivra son cheminement.
La loi universelle au début, au cours, à l’état actuel de la pensée humaine, est le changement et l’évolution. Maintenant la mobilité est devenue générale ; on se perd à craindre qu’elle ne prenne pas le caractère du vertige et pour cela, on souhaite aussi y trouver des éléments plus stables pour modérer la cause du mouvement éternel.
Il est un problème culturel fondamental et à chaque époque il a été posé à sa manière. Nous sommes engagés dans une grande révolution culturelle, causes et conséquences des révolutions économiques, sociales et politiques.
La culture traditionnelle ou du nouvel âge. Mauras a proposé et caractérisé les cinq divisions suivantes : 1° l’humanisme aristocratique (culture des maîtres) ; 2° l’humanisme chrétien (culture de la résignation à l’usage des esclaves et des serviteurs) ; 3° l’humanisme des temps modernes (culture bourgeoise) ; 4° l’humanisme prolétarien (culture des producteurs) ; 5° la culture de l’âge ethnique opposée à la culture de la domination et à la culture du renoncement. Signification culturelle de la machine.
D’une manière générale la culture spirituelle est un trésor commun de l’humanité et il importe d’y faire participer le plus grand nombre en même temps que les esprits supérieurs, les plus avancés dans le maintien des idées, des sentiments et des activités, poussant toujours vers des sociétés plus élevées : Pyramide à édifier en œuvrant simultanément à en élargir la base et à en élever la hauteur.
La culture générale est entre les hommes le lien le plus puissant et le plus intime.
INTELLECTUELLES. PLAN INTELLECTUEL.
Les observations générales suivantes jettent un premier jour sur le sujet.
1. — Comme toutes les autres activités, les activités intellectuelles tendent à se développer et à se différencier. Elles tendent aussi à s’organiser soit spontanément, soit sur la base de plan consciemment délibéré, proposé à la coopération. Une vaste économie intellectuelle est en formation. Un plan général est nécessaire pour l’organiser. La formation de l’esprit, l’élévation de l’esprit, l’enrichissement de l’esprit. La joie intellectuelle de comprendre un peu mieux ce qui se passe autour de soi. Le désir de science pure, le souci de comprendre sans autre but que la satisfaction d’un instinct profond de l’esprit tendu vers la clarté. Et d’autre part cette constatation que, au plus de connaissances, au plus de possibilités ouvertes à l’action.
2. — Ce qu’on doit dire de la science peut prendre place sous ces trois points : 1° la science en tant que forme supérieure de la connaissance : ce point de vue est à traiter en psychologie et aussi comme facteur du, moi ; 2° la science en tant que système indépendant de la pensée individuelle, système d’idée et d’idéal détaché progressivement de l’esprit des hommes, se matérialisant dans la documentation ou dans les objets humains y accumulant des données ; à ce point de vue elle est à traiter notamment avec l’expression ; 3° la science, ensemble de méthodes et de classifications qui se présente comme un cadre dans lequel doit s’exprimer tout ce qui concerne l’étude scientifique d’un objet ; est à traiter par conséquent à propos de chaque chose considérée.
3. — L’intelligence, la pensée, sous des formes de la connaissance — science de l’art, de l’idéal moral — est devenue universelle ; elle se constitue telle surtout dans le dernier siècle et dans le nôtre.
Dans tous les domaines de la vie intellectuelle, on constate le mouvement nationaliste et internationaliste, centriste et décentriste, commercialiste et idéaliste, traditionnaliste et novateur. Producteurs, opérations et productions constituent une masse énorme mouvementée en tous les sens.
L’objet de la science est un : le monde, la nature. La science de cet objet est universel et l’universalité de la science, à son tour, aide à concevoir le monde comme universel.
De cette double universalité dérive celle de la technique.
À son tour la technique, orientée vers l’action et la réalisation, devient l’instrument de plus en plus perfectionné du progrès de l’homme et de la société, de la civilisation nouvelle, œuvre centrale de ce progrès.
4. — La science court de grands dangers. L’intelligence est poussée de toutes parts vers son développement, si les raisons s’imposent de donner place et raison à la Raison, il y a cependant danger de toutes espèces. Il y a à la fois ordre et désordre intellectuels. 1° Danger intérieur devant l’accumulation formidable des acquisitions du savoir et la difficulté de les manier à raison de la multiplicité des modes d’expression et des complications de la documentation. 2° Danger de la spécialisation à l’extrême. 3° Danger de l’orientation vers les applications pratiques coïncidant avec la démocratisation de l’État. 4° Danger dans le fait des intellectuels devenus excessivement nombreux et dont la position économique et sociale demeure inférieure à l’égard des autres classes sociales. 5° Danger du côté des forces sociales.
Des parlementaires, des financiers l’ont dit : « Il faut enchaîner le Prométhée de la science. Il ne s’agit même plus de conseiller à la science de se passer de doctrine. Il s’agit de la réprimer parce que ses découvertes développent la technique et que la technique met le régime en danger.
Déjà Byron, avec affectation, rendait responsable de nos maux « ces quatre mille personnes qui, parce qu’elles se couchent tard, croient mener le monde ».
5. — Il faut distinguer entre la science et les savants. La science de tels ou tels hommes, consciemment ou inconsciemment, n’étudie que l’accessible aux disciplines objectives et s’interdit la critique de son idéologie (de classe, de nationalité, de profession, de religion). Elle admet ainsi certains postulats qu’elle ne démontre pas.
6. — La science varie dans ses conclusions au cours de son avancement, car son point de vue se modifie. La réalité objective est une ; l’instrument de la pensée demeure un et uniforme ; les acquisitions s’additionnent et s’accumulent, mais en s’élevant dans l’abstraction et la généralisation, en découvrant des moyens d’envisager sous des aspects nouveaux le même problème, la science arrive à d’autres combinaisons.
7. — Toute doctrine nouvelle commence par être attaquée comme absurde ; puis on admet qu’elle est vraie, mais d’une vérité trop évidente et sans aucun intérêt ; et l’on finit par la reconnaître si importante que ses adversaires prétendent l’avoir découverte eux-mêmes.
8. — La guerre a ébranlé, voire disloqué les moules où bien des pensées emprisonnées sur mesure, achèvent de s’anémier et de mourir. Un monde insoupçonné apparaît maintenant autour de nous à travers le progrès et la marche des phénomènes. Il faut nous habituer à un monde de vision nouveau, apprendre à penser d’une façon nouvelle.
9. — Le travail intellectuel consiste notamment « à dégager des faits, des informations, des documentations, des éléments d’accord, non pas à coup de contrainte et de majorité, mais par le libre jeu de la discussion et de l’instruction mutuelle. »
10. — Il faut une politique de l’esprit comme il est une politique économique.
11. — La science doit dire ce qui est, ce qui a été et ce qui sera. Et ce qui sera doit être influencé par ce que l’homme veut qui soit. À raison de son action sur
certains faits, certaines chaînes de fait, la science doit encore intervenir comme Technique en disant ce qui pourrait être et comme Plan ce qui devrait être. D’où les cinq mouvements d’une science complète : Passé, Présent, Futur (description, doctrine), Technique disponible, Plan du désirable. Le terme organisation embrasse donc à la fois le Plan déterminateur du futur et les mesures relatives à la formation de la Science, de la Technique et du Plan.
INTERNATIONALE.
Les premiers pas vers une organisation intellectuelle internationale sont dus aux associations et congrès internationaux qui envisagèrent les problèmes dans leur domaine propre. En 1895 fut fondé l’Institut International de Bibliographie, premier institut qui envisagea à un certain point de vue, l’ensemble de toutes les connaissances. L’Association internationale des Académies se constitua ensuite, traitant des questions communes à toutes les classes des académies de sciences. En 1910 fut créée l’Union des Associations Internationales, laquelle en 1920 proposa à la Société des Nations de créer une organisation internationale du travail intellectuel. De là sortirent successivement la Commission internationale de Coopération intellectuelle et l’Institut international de Coopération intellectuelle. Le Conseil international des Recherches reprit en l’élargissant l’objet de l’Association internationale des Académies (sciences). Il fut fondé une Union Académique internationale pour les sciences dites humaines. Le projet a été formé d’une organisation internationale libre, groupement des fédérations
nationales de sociétés scientifiques. L’Union des Associations Internationales a créé le Centre général des Instituts ou Palais Mondial (Mundaneum). Les plans
ont été élaborés pour une organisation d’ensemble embrassant à la fois toutes les sciences, toutes les fonctions de l’organisation scientifique, les rapports entre organismes nationaux généraux et organismes internationaux spéciaux, entre organismes officiels et privés. Ces plans rencontrent les plus grandes difficultés de réalisation à raison de la complexité de leur objet, de l’état de choses existant, confusément ordonné et d’un degré insuffisant dans la coopération internationale.
Une organisation d’ensemble du travail intellectuel doit chercher à mettre en corrélation et en coopération les données suivantes :
1 BRANCHES-DOMAINES.
11 Sciences. — 111 Sciences de la nature. 112 Sciences humaines et sociales. 113 Sciences appliquées (techniques, inventions). 12 Lettres. — 121 Poésie. 122 Prose. 123 Théâtre.
13 Arts. — 131 Architecture. 132 Peinture. 133 Gravure. 134 Sculpture. 135 Musique. 136 Danse. 137 Arts appliqués. 138 Arts populaires. Folklore.
14 Éducation. — 141 Primaire. 142 Secondaire. 143 Supérieure, universitaire. 144 Professionnelle. 145 Familiale. 146 Adulte, post-scolaire.
15 Communications intellectuelles. — 151 Langues : .1 usuelles, nationales ; .2 internationales. 152 Documentation : .1 bibliographie ; .2 bibliothèque ; .3 archives ; .4 musée. 153 Publication. Édition. Librairie. 154 Presse, information. 155 Cinéma, projections. Télévision. 156 Phono, radio.
16 Questions morales.
17 Questions religieuses.
2 BUTS DE L’ORGANISATION.
21 Accroître le patrimoine intellectuel commun de l’humanité, y ajouter de nouvelles valeurs incorporées dans de nouvelles œuvres (parallèlement à l’accroissement du patrimoine matériel dont s’occupe l’organisation économique).
22 Développer les facultés intellectuelles et l’intelligence elle-même.
23 Harmoniser l’intelligence avec d’autres forces et lui assurer le primat.
24 Établir, développer, améliorer à tous les degrés, d’une manière continue et efficiente, toutes les fonctions, tous les modes, tous les moyens et organismes du travail intellectuel.
25 Protéger et encourager par des mesures adéquates les travailleurs intellectuels, leurs conditions de travail, leurs associations et les institutions du travail intellectuel.
26 Aider dans les tâches pratiques, les individus et la société en général par la dispensation des ressources de l’intelligence.
27 Orienter les esprits dans la société vers les formes supérieures de la vie et de l’organisation. — 271 Coopération, solidarité, humanité, paix, progrès, concurrence, violence, antagonisme et guerre, stagnation ou régression. 272 Connaissance (avec volonté d’appui et d’aide) des institutions créées pour cet objet, soit : .1 la Société des Nations ; .2 les grandes organisations universelles.
3 ENTITÉS-ORGANISMES.
31 Individus (travailleurs intellectuels).
32 Associations, groupements libres.
33 Organismes officiels (administratifs).
4 FONCTIONS À ORGANISER. CYCLE DE L’ÉCONOMIE INTELLECTUELLE.
41 Produire (recherche, invention, création).
42 Distribuer (diffusion).
43 Conserver.
44 Utiliser.
5 MODES D’ORGANISATION.
51 Formes diverses. — 511 Présentation. 512 Relation, contact. 513 Échanges. 514 Coopération.
52 Objet. — 521 Plan de travail. 522 Méthodes (unification, unités). 523 Outillage (instrumentation). 524 Personnel (dirigeants, assistants, agents). 525 Budget financier. 526 Encouragements, titres, honneurs.
53 Moyens. — 531 Enquête permanente. 532 Statistique, bilan. 533 Législation. 534 Contrôle (inspection).
6 INSTITUTIONS, ORGANISMES.
61 Organismes mondiaux. — 611 Organisation générale libre des individus et des associations (Union des Associations internationales). 612 Organisation de synthèse (Mundaneum). 613 Organisation générale officielle (Commission Internationale de Coopération Intellectuelle de la S. D. N. ; son Institut).
62 Organismes mondiaux spéciaux. — 621 Bibliothèque mondiale. 622 Musée mondial. 623 Exposition mondiale. 624 Université mondiale. 626 Institut mondial des Recherches. 627 Autres organismes. 7 DEGRÉS GÉOGRAPHIQUES (ESPACE).
71 Local.
72 Régional.
73 National.
74 Continental.
75 Mondial.
8 DURÉE DANS LE TEMPS.
81 Temporaire (transitoire).
82 Permanent.
DES UNITÉS, MESURES ET STANDARDS.
Pour se comprendre avec précision, il faut que les unités et les mesures soient égales pour tous ; pour coopérer efficacement, il faut que les objets, les parties d’objets soient susceptibles de mesures connues ; enfin plus encore, que les types de standard internationaux soient spécifiés. Il existe un système qui tend à être objectif et universel, le système métrique décimal créé en 1792. Au système général se rattachent de nombreuses unités dérivées, notamment les unités électriques. 300 millions d’hommes l’appliquent. Le Bureau international des poids et mesures, fondé en 1875, veille sur son invariabilité. Il y a un système universel de division du cercle en 360 degrés, un méridien universel (Greenwich), un système universel de fuseaux horaires et d’envoi de l’heure (Tour Eiffel). Le calendrier est largement universel et l’on travaille à sa réforme et à son unification. La signalisation sur mer date de 1896. 26 pavillons assurent la transmission de 375,076 signaux. De nombreux pays ont des organismes pour les normes et les standards et une organisation internationale a été créée.
Les mesures tendent à une précision croissante. Il est des machines à mesurer le pas de vis au 1 /1000 de millimètre.
Les dialectes, « les patois primitifs » se sont combinés ou l’un d’eux a fini par prédominer. De parlées les langues sont devenues écrites, fixant ainsi le vocabulaire, la grammaire, l’orthographe. Chaque peuple a sa littérature : poésie, théâtre, contes et romans, genres secondaires. Cette littérature raconte sa vie, ses mœurs, ses idées, ses jugements sur les choses, ses rêves et ses idées. Elle est exprimée en sa langue, qui trouve ainsi en elle à la fois son expression la plus haute et son moyen de conservation le plus sûr. La littérature est l’âme de la vie publique, la conscience de la nationalité.
La littérature constitue une force sociologique vitale. Elle impressionne un à un, mais elle impressionne tous de la même manière. Certaines œuvres exceptionnelles agissent sur une élite intellectuelle et, par l’intermédiaire de celle-ci, sur la masse ; d’autres œuvres agissent directement sur la masse.
Les œuvres littéraires ont voyagé, elles ont traversé les frontières. On les a lues, traduites, adaptées. Des influences se sont établies. La littérature grecque, la littérature latine ont agi sur toutes, avec l’universalité qui caractérise l’humanisme. Mais les littératures nationales se sont compénétrées. Pour ne prendre que la littérature française, on constate successivement l’influence sur elle, subséquente aux littératures anciennes, de la littérature italienne et espagnole, puis allemande et anglaise, puis russe, enfin Scandinave, sans parler des autres influences moindres, comme la littérature exotique.
« Mes amis, disait Diderot, faisons des contes : pendant que nous en faisons, nous oublions et le conte de la vie s’achève sans qu’on s’en doute. »
L’histoire vraie de la littérature, c’est au delà de la liste complète des auteurs, celle de l’enchaînement des œuvres, de la formation des genres ; c’est surtout l’étude des transformations, des sentiments, de l’amour de la nature, le sentiment religieux, etc., sous l’empire des conditions du temps, même de l’état économique. Il y a aussi une sorte de détachement qui s’opère entre l’œuvre en forme individuelle et concrète et l’objet général dont elle traite ces sentiments.Notion. — Qu’est-ce que l’art qui, au cours de l’épopée historique, ne se rencontre que chez l’homme ? Jamais la notion n’en a été plus approfondie qu’aujourd’hui. Jules de Gautier répond ainsi :
L’art est la réconciliation de l’existence avec elle-même. Nous concevons l’être comme la seule activité qui soit dans le monde. Mais il nous apparaît, sous le jour de la conscience, éparpillé parmi l’innombrable multiplicité des objets. Il nous faut recourir à l’hypothèse d’une phase antérieure et subconsciente où l’être engagé tout entier, a tiré de sa propre solitude toute cette diversité des objets, jusqu’à l’homme, où la conscience apparue le déchire en deux parts, dont l’une reflète en partie son image.
Première phase de l’épopée historique ; monde d’affinités chimiques, violence fatale dont ces forces surgissent des abîmes intra atomiques, en quelque Iliade sans Homère, s’étreignant, se repoussant, s’unissant en de nouveaux corps.
Éclosion dans l’ardente matrice des mers primitives, de la cellule vivante, aïeule biologique d’où va sortir toute la suite des espèces.
Au cours de cette genèse, la sensation apparaissait dans la matière vivante, aveugle et sourde, toute plaisir et douleur, un monde jusque là insensible d’actions et de réactions dynamiques, parcouru et galvanisé par les vibrations pures du plaisir et de la souffrance, appelant l’être par la douleur à la conscience de soi. Péripétie d’un pathétique intolérable si un miracle nouveau ne suivrait : la métamorphose de la sensation, d’une part au moins de la sensation, en perception, symbole annonciateur au sein des formes naturelles de la rédemption, esthétique, dont les mythes religieux n’ont été par la suite que des illustrations légendaires. Comme l’eau surchauffée s’évade hors d’elle-même en vapeur, l’ardeur exagérée de la sensation jaillit hors de la sensibilité, qui ne la peut plus tolérer et s’objective, anesthésiée dans l’espace en la féerie des formes, des sons et des couleurs.
La première phase de l’art consiste à transmuer la sensation en perception. Et c’est sous le jour de la conscience, la seconde phase de l’épopée, la phase inverse au cours de laquelle l’homme va reconstituer, dans l’œuvre d’art, l’objet inanimé des premiers âges de l’improvisation physico-chimique : la statue et le tableau, la cathédrale, le disque et l’appareil cinématographique, où seront perpétués les gestes de la danse.
Diffusion. — L’amour de l’art est devenu l’un des grands mobiles de notre vie, un trait distinctif des peuples qui ont des aspirations supérieures. Déjà l’exaltation de l’art avait tenu dans les esprits de la Renaissance la même place que l’idée de la science tient dans l’époque moderne.
La peinture et le dessin, la sculpture et l’architecture, la musique ont ceci qui les différencie de la littérature : ils n’ont pas à employer l’intermédiaire d’un moyen d’expression aussi exclusivement national que la langue. Ils sont directement intelligibles pour les hommes de tous les pays, arrivés à quelque degré de civilisation ; ils constituent des langues universelles. Il s’en suit qu’ils ont une immense puissance de diffusion. Chaque pays les reçoit, les imite, les adapte, les combine avec ses propres créations. L’art a suivi à peu près la même évolution que l’économie et la politique, mais plus rapide.
Création et sélection. — L’artiste voit, découvre et crée incessamment ; il est doué d’une intelligence, d’une sensibilité, d’une activité plus qu’ordinaire. Placé devant mille œuvres qui sont mille formes, mille nuances, mille sujets, chacun en faisant choix trouve l’occasion d’affirmer sa personnalité, de s’élever au-dessus de la banalité, de l’indifférence, du quelconquisme.
Art d’aujourd’hui. — Des artistes (par ex. ceux de l’école moderne de Laethem-St-Martin) ont pratiqué une technique nouvelle ; ils interprètent la réalité librement, n’en veulent être esclaves, certains vont jusqu’à nourrir envers la nature de l’hostilité. Ce sentiment procède d’une sorte de mystique. Ces peintres veulent s’élever au-dessus de la réalité. Ils la trouvent indigne d’exprimer leur ferveur. Aussi semblent-ils se retourner parfois jusqu’à la vision épouvantée des primitifs d’avant les frères de Limbourg et les Van Eyck, qui osèrent traduire leur piété dans l’évocation respectueuse de ceux de la création. Traiter la nature avec respect, la traiter entièrement en ses aspects permanents, ses forces, son armature, son équilibre, vit une heure ou un instant de sa vie.
On a supprimé les corporations. Puis on a créé l’Académie régulatrice. Écoles avec diplômes, centralisation magnifiée par un couronnement en forme d’apothéose, le Prix de Rome, n’est qu’un gigantesque parasite en dehors de la vie, contre les métiers, contre l’esprit. Car l’esprit est aujourd’hui, est maintenant, est la « minute présente », intensité, agilité, acuité, mouvement.La crise de l’intellectualité est causée : 1° en premier lieu par la diminution du pouvoir d’achat, ce qui entraîne le divorce entre l’artiste et le public ; 2° par une diminution d’intérêt du public pour l’intellectualité en elle-même. L’œuvre d’art ne peut être perçue que dans son idée ; elle ne peut être comparée qu’en relation avec la valeur qu’elle sent ; la beauté. Or celle-ci tend à se confondre avec un utilitarisme scientifique.
À l’art se rattache la mode, elle est un facteur d’internationalisation. Autrefois les ornements extérieurs étaient des signes de distinction militaire, politique,
financière. Aujourd’hui les différences disparaissent, la mode nivelle l’aspect extérieur des diverses classes d’un même groupe et des individus de diverses nationalités.
Ce qu’est la langue. — La langue donne au peuple le caractère final d’une individualité nationale et intellectuelle. Que l’on songe à l’ignorance profonde des masses et à l’inaccessibilité pour elles de presque toutes les notions scientifiques qui sont courantes chez les élites. La langue pour elles est le grand instrument de la culture, comme pour l’enfant. Avec les mots de la langue usuelle se transmet tout le savoir traditionnel. Il en est surtout ainsi pour les civilisations orientales dont les littératures, les philosophies et les religions sont le seul acquis, en l’absence de toute éducation basée sur des connaissances scientifiques.
Mais si la langue joue ce rôle chez chaque peuple, entre peuples elle est la forme la plus importante et la plus apparente des différences. La diversité des langues n’est pas seulement une cause de non-compréhension, elle est aussi une cause de malentendus. Chaque langue a des propriétés particulières ; il ne suffit pas d’en traduire les mots littéralement, il faut une constante mise au point.
Cependant, entre les peuples, l’obstacle du langage, immense et millénaire, commence à être détourné ; la connaissance des langues se répand parmi des élites de plus en plus nombreuses, leur emploi simultané s’organise, elles s’interpénètrent les unes les autres et s’enrichissent d’expressions communes pour tout nouvel acquis ; une langue auxiliaire, intermédiaire de toutes les autres s’offre pour résoudre radicalement les difficultés.
Alphabet. — À la question des langues se rattache la question des alphabets, base des écritures. L’alphabet latin tend à devenir universel, mérite qu’il doit à sa clarté, mais les alphabets nationaux lui résistent : en Allemagne le gothique, chez les Russes et certains slaves l’alphabet russe. Exemple de luttes : les premiers chefs albanais voulurent avoir un alphabet national uniforme et connu de tous les Albanais du nord, du sud et du centre. Ils choisirent l’alphabet latin. Mais ils eurent à lutter contre les Jeunes-Turcs qui voulaient alors imposer l’alphabet turc qu’ils avaient créé de toutes pièces. Depuis les Turcs se sont ralliés à l’alphabet latin.
Langues parlées dans le monde. — On compte actuellement de 900 à 1500 langues vivantes selon que l’on fait ou non entrer en ligne de compte les variétés dialectales. On peut classer les langues d’une façon rationnelle en ne tenant compte que de leur structure (par exemple : type isolant ou monosyllabique, type agglutinant et type flexionnel, ou d’une façon naturelle en se fondant sur les liens de parenté qui les unissent). La linguistique a débuté par les travaux préparatoires de grammaire comparée, des recherches rigoureuses et précises sur le côté matériel des langues. Elle a cherché ensuite à découvrir dans les changements du langage l’effort de l’esprit humain pour s’exprimer d’une manière de plus en plus claire et de plus en plus aisée et à reconnaître dans le vocabulaire, et même dans la grammaire, l’action de la civilisation. La langue, au lieu d’être une sorte d’être vivant autonome, conception par trop mystique, est envisagée maintenant comme un produit de l’activité et en quelque mesure de la volonté humaine, et surtout de la vie en société. La linguistique, ainsi, est apparue comme l’une des sciences sociales aussi bien que comme une science philologique.
Pendant longtemps on s’est préoccupé de découvrir la langue primitive, la langue-mère dont toutes les langues actuelles ne seraient que des modifications. La science moderne a renoncé à cette prétention. D’abord il est possible que le langage se soit développé dans plusieurs centres indépendants ; ensuite les monuments que nous possédons sont de date relativement trop récente pour fournir une base solide à l’induction préhistorique. À peine pouvons-nous restituer les traits généraux de la langue-mère indo-européenne. Quelques linguistes admettent une parenté entre la famille indo-européenne et la famille sémitique par l’intermédiaire de l’égyptien. D’autres essayent même de rattacher le groupe ouralo-altaïque à l’indo-européen. Ce sont là des hypothèses hasardeuses.
Liberté des langues, langue officielle. — Les conflits des langues déchirent presque tous les États formés de plusieurs nationalités, c’est la lutte pour imposer et faire triompher la langue. Les plus forts empêchent les plus faibles de se servir de leur langue pour leurs écoles et universités, pour leurs journaux, leurs bibliothèques ; voire même de parler leur langue entre eux. La liberté absolue des langues est une des réformes internationales les plus importantes. Elle devrait être solennellement proclamée. Aux États-Unis toutes les races se servent de l’anglais, mais peuvent volontairement conserver les idiomes nationaux. En Suisse les trois langues vivent sur un pied de parfaite égalité. La liberté a là deux admirables exemples à invoquer. Mais parallèlement à la question de la liberté des langues, il y a à résoudre celle de la langue officielle.
Zamenhof, le créateur de l’Espéranto, a fait à ce sujet la proposition suivante ; « Ce n’est que dans les institutions publiques qui ne sont pas spécialement destinées à un peuple qu’on emploiera une langue qui devra être acceptée comme officielle d’un commun accord par les habitants du pays. Dans les institutions publiques qui ont un caractère local on pourra employer une autre langue au lieu de la langue officielle, si au moins les 9/10 de la population ont donné leur consentement pour cela. La langue officielle du pays ou de la ville ne doit pas être considérée comme un tribut humiliant dû par les peuples gouvernés à celui qui gouverne, mais uniquement comme une concession de la minorité à la majorité, un engagement libre n’ayant pour but que la commodité. »
Langue internationale. — Le besoin d’un instrument universel d’intercommunication entre les hommes s’est fait surtout sentir à partir du moment où les relations entre les peuples ont pris leur récent développement. Vu l’impossibilité pour le grand nombre de connaître même les rudiments des principales langues actuellement parlées, la proposition a été faite d’adopter une langue unique comme langue auxiliaire internationale, destinée à fournir aux peuples un moyen de meilleure compréhension. Cette langue peut être une langue naturelle vivante ou morte ou une langue artificielle (Espéranto ou Ido). Le besoin a aussi été exprimé d’une langue scientifique commune plus régulière, plus précise, plus adéquate à la pensée.
La langue est-elle perfectible ; pourra-t-elle tendre à l’unification à l’encontre de la différenciation passée et actuelle ? En faveur de l’affirmative, on a invoqué ; le relâchement ou la dislocation des groupes sociaux se fait de plus en plus rare dans l’histoire du monde ; les transports constituent des facteurs d’unification ; la culture plus répandue ne confine plus les travailleurs dans la seule terminologie de son métier, l’écriture, la littérature, la culture en général, ont une puissance de fixation et d’unification.
Le langage doit être considéré comme un instrument du travail intellectuel, un moyen de production. L’absence de fixité, de logique et d’unité constituent des désavantages à combattre.
Il y a lieu de travailler au langage de l’avenir dans quatre directions : s’exprimer mieux et plus clairement ; s’exprimer plus vite ; s’exprimer en faisant porter la voix plus loin ; s’exprimer avec tous (communion universelle).
La lutte contre l’ignorance. — Un grand travail à accomplir c’est la lutte contre l’ignorance, fléau du genre humain. Où les peuples aujourd’hui vont-ils chercher leurs notions ? À quatre sources, a) Dans les traditions orales et familiales. Dans toute l’organisation familiale on se fie à la tradition orale ; c’est une grave erreur : la tradition orale n’a souvent pour base qu’un réseau de croyances grossières unies à des idolâtries renversantes, b) Dans les livres religieux. Ainsi, pour les Turcs et les autres musulmans, jusqu’à notre époque, il n’y a eu d’autre science que la coranique, c) Dans les littératures nationales, d) Dans la science. Le livre et la presse, l’enseignement, écoles et universités, les églises et les associations, sont les moyens modernes de formation des esprits. Nous ne sommes qu’à l’aurore des temps où leur action a pu réellement s’exercer en grand. Aujourd’hui l’instruction obligatoire et gratuite devient une formule universelle.
Système. — L’éducation dans les pays à civilisation fort avancée forme un vaste système. Elle part des écoles gardiennes et à travers l’enseignement primaire, secondaire ou moyen, elle s’élève jusqu’à l’enseignement professionnel et universitaire, faisant place à tous les degrés à une formation postscolaire, à une éducation des adultes.
Il y a en France 86,380 écoles primaires, soit officielles, soit privées, y compris les écoles maternelles, et 1,266 écoles primaires supérieures, normales, techniques, agricoles.
Il existe dans le monde environ 275 universités, collèges, académies et facultés indépendantes ; une centaine d’instituts techniques et autant d’écoles supérieures d’agriculture, de sylviculture et d’art vétérinaire. Il y a 32 universités et 6 autres institutions ayant plus de 4,000 étudiants.
Ces chiffres énormes obligent à reconnaître que toute direction d’ensemble donnée à travers le monde à l’enseignement supérieur serait capable de transformer rapidement l’état de l’humanité.
Transformations. — L’enseignement se transforme sous l’empire de principes nouveaux. La liberté plus grande aux élèves, l’activité et le travail pratique associés aux exposés théoriques, l’autodidaxie aidée par la Bibliographie, les Bibliothèques, les collections et musées documentaires, les écoles par correspondance, le travail attrayant. En France a été créée une œuvre dite « des études grecques et latines rendues intéressantes ».
Autre transformation. On estime que chacun doit avoir la possibilité de recevoir une instruction et une éducation intégrale à toute époque favorable de sa vie. On s’élève contre l’état d’aujourd’hui où l’on instruit de force des inintelligents à seule fin de leur permettre de tenir le même rang que celui qu’occupait leur famille.
Doctrine pédagogique. — Longtemps, la pédagogie a été envisagée comme un ensemble de règles, de pratiques, de manières de faire, de coutumes permettant aux parents et aux maîtres d’exercer une influence éducative sur les enfants. Plus tard on a défini l’étude des méthodes d’enseignement et l’art de les appliquer, confondant de la sorte la pédagogie avec la méthodologie et la didactique. Aujourd’hui on tient que la pédagogie envisage les problèmes relatifs au développement physique, intellectuel et moral de l’enfant et de l’adolescent ; elle met ainsi en évidence les grands principes méthodologiques qui dominent l’art de l’éducation et de l’enseignement.
Objet. — La pédagogie est une. L’enfant est continué par l’adulte, la formation de l’esprit n’est jamais achevée. Après le premier âge, l’adaptation aux conditions extérieures oblige l’homme à une adaptation constante de son intellect et de ses sentiments. Il nous faut non une Pédagogie (Pais-enfant) mais une science générale de la formation de l’être humain.
Le problème et son ampleur. — Toute société prépare sa jeunesse à la continuer elle-même. Tout individu aspire à une formation personnelle qui lui permette d’exceller dans son milieu social. Cette double constatation est celle que permet l’Histoire et l’état comparé actuel.
Le problème de l’éducation revêt de nos jours un nouvel aspect et une ampleur extraordinaire. Dans les cadres de sa solution, il enferme tout l’espoir humain. Le problème, unique quant au fond, est posé dans des conditions de réalisation quelque peu différentes selon les trois cas principaux.
1° Le cas de l’éducation par masse. C’est celui des écoles publiques ou des écoles libres accueillant le grand nombre des enfants groupés naturellement en normaux et anormaux, supranormaux, catégories qui oscillent en plus ou en moins autour d’un type moyen.
2° Le cas de la formation individuelle, l’autodidaxie, utilisation par l’individu lui-même à n’importe quel âge de sa vie des moyens d’étude et d’éducation.
3° Le cas des groupes d’enfants privilégiés à raison de la condition intellectuelle et morale des parents désireux de mettre à profit pour leurs enfants des possibilités d’éducation plus avancée que celle offerte par les grandes organisations ou celles qui sont soumises au risque de la simple autodidaxie, étant supposé que ces parents disposent des moyens économiques correspondant à leur désir.
L’ÉDUCATION SELON L’UNIVERSALISME.
Il faut adopter résolument ce point de vue : l’éducation conçue comme une formation intégrale et continue de l’être humain, basée sur la connaissance de l’univers, sur la détermination de nos rapports actifs et passifs avec lui, sur l’harmonisation de nos actions individuelles avec le plan d évolution sociale.
Une éducation, pour être intégrale, doit être physique, intellectuelle, morale, sociale. Il faut former un être, un futur travailleur spécialisé, un père ou une mère de famille, un citoyen, un homme dans la plénitude du terme. Préparer à une vie complète c’est la fonction dévolue à l’éducation, a dit Herbert Spencer. Cette fonction se précise ainsi : conserver et transmettre tout ce qu’il y a de bon dans la civilisation de la génération actuelle et rendre possible un avancement nouveau de la civilisation par la jeune génération.
Donner à tous un moyen de participer à la vie supérieure de l’esprit, assurer un contact avec la culture générale et désintéressée lui permettant non d’en parcourir le domaine, mais d’en prendre une vue d’ensemble en dehors de toutes préoccupations utilitaires et professionnelles. Un jour viendra où l’on sera convaincu de cette idée : la vraie vie de l’homme est la vie de l’esprit. Et l’esprit ne vit que par une suite d’actes qui sont précisément ceux de la culture. Apprendre et vivre sont une seule et même chose qui doit se continuer toute la vie.
Préparer la jeunesse à la vie est une formule imprécise. Quelle vie ? À dix ou vingt ans de date la société actuelle, vu l’accélération qui caractérise son évolution actuelle, sera dans des conditions nouvelles largement imprévues et imprévisibles. D’autre part, un grand nombre de conditions sociales actuelles sont formellement réprouvées par les meilleurs esprits qui se refusent à les voir se perpétuer et qui s’opposent, par conséquent, à une formation de la jeunesse aboutissant à faire perpétuer ces conditions au titre d’ordre normal, soit à les faire condamner théoriquement mais accepter au titre de résignation.
C’est le point de vue de la réforme sociale qu’il faut savoir nettement adopter. Ce point de vue implique l’adhésion aux principes directeurs suivants : a) la formation de la jeunesse doit répondre au type le meilleur en soi et non pas au type le mieux adapté à la société actuelle. Celle-ci, en effet, est basée sur la guerre, sur la concurrence, sur l’exploitation, sur l’immoralité. S’il fallait perpétuer ces caractères il faudrait s’attacher à former des êtres sanguinaires, vindicatifs, rusés, intrigants, immoraux ; b) l’éducation doit être caractérisée par une extrême souplesse d’adaptation. C’est le moyen d’avantager l’individu dans sa vie sociale future. Elle le mettra à même de tenir compte des conditions nouvelles imprévisibles. Elle lui facilitera à lui-même les compromis reconnus nécessaires entre l’idéal imprimé en lui et les contingences réelles qui s’imposeront.
L’éducation nationale soulève de graves et délicats problèmes. Cette éducation repose non sur la culture d’un sentiment naturel, mais l’enseignement d’un système artificiel de vérités, ou isolées de leur point de comparaison ou incontestable ou bénéficiant de la protection à l’égard de vérités qui leur seraient opposées. Une société mondiale exige une éducation dont le centre ultime soit le Monde et l’Humanité. L’éducation mondiale
suppose l’enseignement d’un programme minimum et la culture d’un minimum de sentiments.L’éducation sera individuo-sociale car l’homme est un individuo-social. Il est lui-même d’abord, il est un second-être ensuite parce qu’il est placé dans la société qui conditionne de toute part son activité, à laquelle il donne, dont il reçoit. L’éducation acceptera les deux bases de l’individualité et de la sociabilité. L’être sera formé pour lui-même d’abord, pour les fonctions sociales ensuite, son objectif principal sera désormais la coordination des tendances individuelles et des tendances sociales.
Le principe psychologique fondamental de tout enseignement a été résumé en cette formule : « Toute éducation consiste dans l’art de faire passer le conscient dans l’inconscient. Lorsque ce passage est effectué, l’éducation a porté, ce seul pas crée chez l’éduqué des réflexes nouveaux, dont la trace est toujours durable. »
La psychologie moderne a montré que le rôle de l’inconscient dans la vie de chaque jour est immensément supérieur au rôle de raison du conscient. Le développement de l’inconscient se fait par formations artificielles de réflexes résultant de la répétition de certaines associations. Répétées suffisamment, ces associations créent les dits réflexes inconscients, c’est-à-dire des habitudes. Répétées par plusieurs générations, ces habitudes deviennent héréditaires et constituent alors des caractères de races. Le rôle de l’éducateur en ce cas est de modifier ces réflexes. Il doit cultiver les réflexes trouvés utiles, tâcher d’annuler ou, tout au moins, d’affaiblir les réflexes nuisibles.
Les formes, la morphologie, les métamorphoses humaines. — Biologie, psychologie, sociologie, sont d’accord sur la conception que tout ce qui est organisé et vivant suit une courbe de vie et ne s’identifie pas avec la conception purement mécanique, où les phénomènes se répéteraient indéfiniment dans le même ordre. Tout être humain suit son évolution propre : enfance, adolescence, âge mûr, vieillesse.
La révolution d’une forme humaine, la durée de l’être se figurent par une courbe, une sorte d’onde, où la position différente est marquée par l’influence respective du milieu-ambiance et de la vie-fonction. Tout être à tout âge n’est pas susceptible de réagir également à toute action, il faut donc envisager le total d’une vie à ses quatre stades et répartir entre eux ses diverses possibilités. La nouvelle biologie, la nouvelle médecine qui s’en inspire ont mis ces faits en vive lumière. (Voir notamment sur la médecine morphologique les travaux du Dr. Sigaud, de ses collègues et de son école, et le résumé qu’a donné le Dr. E. Laplanche : La Médecine de demain, Science de la vie, Paris, Doin 1925.)
Chez l’enfant il y a les périodes digestives, respiratoires, musculaires, et à chacune de ces périodes c’est une autre fonction qui doit s’épanouir. L’enfant, jusqu’à sept ans, doit former son tube digestif, puis jusqu’à quatorze ans, son appareil respiratoire, puis, jusqu’à l’achèvement de la période de formation du corps, vers la vingt-et-unième année, les muscles. Et l’école de Lyon conclut que la fonction cérébrale n’acquiert son plein développement que beaucoup plus tard, vers la quarante-deuxième année ; même on peut dire, ajoute-t-elle, qu’elle ne devient prépondérante sur les autres fonctions qu’au moment où celles-ci déclinent, vers la soixante-troisième année, pour ignorer, elle (du moins le devrait-elle) le déclin.
Si ces vues sont exactes, elles doivent conduire à deux conclusions pédagogiques : 1° la nécessité de doser très attentivement dans les jeunes organismes absorbés par un énorme travail qui se fait ailleurs, tout ce qui concerne la fonction cérébrale ; 2° la nécessité de concevoir un plan éducatif intellectuel se répartissant sur la vie entière et principalement sur les années qui suivent la formation, c’est-à-dire après 21 ans. L’inverse a été fait jusqu’ici.
D’autre part, la sociologie conduit à constater que les sociétés elles-mêmes ont des âges différents, nécessitant des traitements différents, et la psychologie envisageant la formation et la croissance des systèmes scientifiques, artistiques, littéraires, doit faire conclure à l’existence d’âges et de toute une morphologie dans ces systèmes.
En tout ce qui naît, croît, se développe, s’épanouit, décline, il y a des métamorphoses successives. Chacune des formes est nécessaire, chacune a son autonomie, doit être envisagée elle-même comme une fin en soi, et aussi dans ses corrélations transitives, dans ses rapports vis-à-vis de la fin totale des êtres.
Les méthodes. — Il s’agit aussi des méthodes. La Pédagogie (pédotechnie) s’est constituée en science et récemment l’expérimentation basée sur ses conclusions est venue multiplier les faits nouveaux. École active, centre d’intérêt, travail manuel éducateur, méthode globale, démonstrations intuitives, vie scolaire prolongeant la vie du dehors, création d’un véritable monde approprié à l’enfance et à la jeunesse ; ces points sont caractéristiques de la réforme scolaire. Ils sont demeurés jusqu’ici presque tous confinés dans les écoles élémentaires, alors cependant que leur application pourrait être généralisée.
La Psychologie moderne a décomposé le fonctionnement de la pensée. Elle a rappelé et démontré que l’homme est action avant d’être intelligence, bien plus, qu’au cours de l’évolution, les fonctions intellectuelles ont été au service de l’action, celle-ci déterminée elle-même par les besoins d’adaptation au milieu physique et social. La vieille pédagogie était influencée par l’intellectualisme qui faisait de la représentation la base de la vie mentale. Elle-même était donc amenée à donner une place presque exclusive à l’augmentation des connaissances. La nouvelle pédagogie est entraînée, au contraire, à faire de l’action, la base fondamentale. Comme l’action est déterminée par le besoin, et que celui-ci crée surtout l’intérêt, on est amené à construire un enseignement sur l’excitation de l’intérêt et sur la satisfaction des besoins intellectuels par les connaissances. De là, l’école active, fondée sur l’initiative même des élèves. De là l’intervention de tous leurs sens non seulement par la perception, mais par la production, par un travail manuel devenu éducateur ; de là aussi la combinaison en une seule des méthodes dites concrètes, intuitives, globales. La méthode concrète repose sur la constatation que la plupart des esprits sont concrets et ne saisissent bien que ce qui leur est présenté dans une réalité objective et individuelle. La généralisation, l’abstraction est à l’achèvement de l’esprit et non à l’initiation. La méthode intuitive demande qu’au mot soit substitué, autant que possible, la chose elle-même, ou à son défaut, des modèles réduits, des échantillons ou des représentations graphiques. La méthode globale distingue le total de l’abstrait en l’opposant au fragmentaire, au seul décomposé par l’analyse, elle-même abstraite (par ex. on apprend à lire par phrase et non par mot, encore moins par lettre). On est donc amené à présenter les choses dans leur ensemble, concrètement et intuitivement.
Un autre aspect de l’enseignement est aussi apparu le jour où l’on s’est préoccupé de ce que l’enfant pouvait penser de tout ce qu’on voulait de lui. Il a un monde de l’enfant, comme il y a un monde des adultes, un monde des vieillards. Sans doute l’éducation a pour but de préparer à la vie, donc au futur de l’être. Mais si cette préoccupation intéresse vivement parents et éducateurs, elle laisse indifférents la grande majorité des enfants qui vivent dans le présent et vivent leur vie comme l’adulte et le vieillard vivent la leur. On a fait alors une grande découverte, c’est que le jeu est le seul état d’activité propre de l’enfant comme du jeune animal et que, tout en l’intéressant profondément, il lui assurait cette préparation de l’avenir. Éducation et jeux ont opéré leur soudure.
138 DISTRACTIONS. AMUSEMENTS. JEUX. SPORTS.
Occupations et loisirs. — La vie se présente à chacun comme un volume de temps, prêt à s’emplir de ses activités, les unes forcées les autres volontaires, les unes agréables, les autres désagréables. L’occupation est la loi de la vie et celle-ci conduit à la distinction entre travail et loisirs que viennent symboliser les Trois Huit.
Le loisir se définit le temps libre dans lequel chacun, sa journée de travail accomplie, peut se distraire ou s’occuper selon sa fantaisie : lire, fumer sa pipe assis devant sa porte, pêcher à la ligne, cultiver son jardin, travailler librement à quelque œuvre créatrice, tout comme Louis XVI dans son échoppe de serrurier.
Le loisir du travailleur devient une grande question. Si la réduction des heures de travail doit atteindre les proportions maintenant entrevues, il importe que le travailleur, largement libéré et soulagé, emploie intelligemment les heures récupérées : souci de culture physique, de culture intellectuelle, d’œuvres sociales, de perfectionnement de son propre home.
À la base des amusements, délassements, récréations, sports, est l’intérêt.
Il n’y a pas une, il y a mille façons de se recréer (se reposer, se distraire, s’amuser, se refaire). Les plaisirs sont fonctions de chaque individu, de chaque moment de chaque individu. Tel aime son travail avec passion qui refuse de s’en détacher, tel autre y voit une corvée à laquelle tout est prétexte pour le fuir.
Les plaisirs peuvent être individuels (ex. le jardinage, la promenade, la lecture). On peut s’y livrer en famille ; il y a des plaisirs à goûter en commun, tels ceux des salles ou arènes de spectacles organisés pour être «jouis» en masse ; telles les fêtes publiques ; tels les plaisirs entre personnes appartenant à divers pays, à diverses civilisations (ex. : les concours, matchs, congrès, expositions).
Plaisir. — La confusion entre le plaisir (particulier, localisé et passager) et le bonheur (général, partout et durable), cette confusion est à dissiper.
« Le plaisir, dit Pascal, est la monnaie pour laquelle nous donnons tout ce qu’on veut. »
La jeunesse se laisse entraîner par les plaisirs, surtout par un goût excessif du sport (cercles d’agrément, plaines de jeux). Les écoles sont désertées (en Belgique 15 à 20 % seulement des élèves des écoles professionnelles se présentent aux épreuves de sortie).
Nos amusements sont l’expression de notre situation ; y intervient largement le snobisme. On va à Vichy sans que la cure y attire. On va aux courses à Auteuil, réputées plus « chic » que les courses plates.
Jeux. — Le jeu commence dès la première enfance et l’homme avançant en âge continue à jouer. Le fossé n’existe pas entre le jeu et le travail. Le jeu se transforme en travail, le travail est imité dans le jeu.
Il y a tous les jeux inventés jusqu’ici : jeux intérieurs, jeux extérieurs ; jeux tranquilles et jeux à mouvements ; jeux où interviennent l’habileté et l’adresse ; ceux basés sur le hasard.
Les jeux de hasard se sont fort étendus. On a fini par jouer dans les maisons publiques et dans des clubs fermés. Il y a eu les loteries de l’État. Il y avait les jeux de Bourse et l’instabilité de toute chose place les hommes devant un immense tapis vert. La vie n’est plus aventureuse, mais pour un grand nombre elle est devenue jeu avec toute la moralité douteuse qui s’en suit, avec la contradiction entre son principe et celui du travail.
Il y a de simples diversions à des travaux plus difficiles, alors qu’une tension prolongée de l’esprit requiert une détente. Ainsi les mots croisés.
Les jeux, les sports — vie fictive — sont des activités réfléchies, coordonnées, combinées, concertées à l’égal des plus importantes activités de la vie réelle. Les échecs sont devenus une science et une technique ; l’escrime et le bridge aussi. Les jeux ont une philosophie qui se dégage de leur psychologie et de leur caractère social. Aux échecs, tout est haute stratégie mais tout se pose ouvertement. Seules les intentions ne sont pas déclarées. À l’adversaire à les dégager des coups joués. L’escrime comme la guerre est faite de feintes. Arriver au but c’est l’essentiel, peu importe les moyens. Quant au bridge, il n’est pas une carte jouée qui ne soit grosse de signification ; le jeu a évolué, s’est perfectionné. Il favorise l’insincérité : il faut savoir mentir et bluffer ; on y a introduit la « fausse déclaration » !
Il faut mettre fin au régime des lots et des loteries. Il est honteux d’admettre une exploitation officielle du plus misérable sentiment humain : l’appât de l’argent sans travail. Il faut qu’on sache, dans un pays, qu’il n’a y pas moyen de gagner un franc sans donner en échange une somme égale de travail.
Les sports. — En grand nombre abrutissants ; jeu de plus en plus imbécile, avec haine entretenue d’une équipe à l’autre. Tous les partis exploitent, sous couleur de culture physique, la folie sportive dont est atteinte la jeunesse mondiale. Pour se cultiver physiquement, est-il nécessaire de donner coup de pied à adversaire ou à ballon, coups de poing sur la figure, voire même simplement assister en spectateur à ces combats ?
Culture physique. — La gymnastique, la culture physique sont une plaie dans l’enseignement. L’objet est le perfectionnement physique : flexibilité et rapidité, force musculaire et résistance organique, adresse, harmonie des formes et proportions. Mais il y a deux abus. L’un qui cultive le corps au détriment de l’esprit, l’autre qui fait de la culture physique la préparation militaire.
En Allemagne, il y a un sport militaire Wehrsport. L’allemand possède le terme Denksport qu’il a été proposé de traduire en latin : Exercitatio Cogitandi.
Les diverses questions dont s’occupent les comités et associations sportives sont : propagande, sélection, certificat pré-sportif, championnat, coupe, rencontres internationales, arbitrage.
Il y a 18 fédérations sportives internationales. Il y a les Jeux Olympiques internationaux dont la prochaine session sera à Berlin en 1936.
Fêtes et spectacles. — Les fêtes populaires, les fêtes nationales mobilisent de grandes masses de population. Il n’y a guère de fêtes internationales, sinon des fêtes religieuses (par ex. Noël, Pâques). Les congrès internationaux s’accompagnent de fêtes. Comme l’arrivée de souverains étrangers. Le carnaval de Nice est international (1935 = 57e) : corsi déchaînés avec chars aux lignes cocasses, mascarades hilarantes, cavalcades brillantes, musique cuivrée, serpentins et confettis multicolores, des dominos somptueux, des masques de velours, cycle de réjouissances où, sous l’anonymat des travestis, des gens de toutes conditions s’amusent follement.
L’homme est un spectacle pour l’homme. Aussi le plaisir des villes est de voir des gens, voir des magasins, voir du mouvement, se promener au milieu d’eux, avoir un milieu changé, se croire une partie de ce qui participe à la vie commune.
Tourisme. — Vers la fin du siècle dernier, le monde qui de tous temps avait circulé, voyagé pour son plaisir, se mit en mouvement par grandes masses. Le touring était né et les Tourings Clubs, avec bientôt l’Alliance internationale du tourisme.
Les pays se recommandent aux touristes par leurs beautés naturelles, par leur intérêt archéologique et artistique, par leurs institutions et leurs mœurs typiques, par le bon marché de la vie.
Le facteur touristique est devenu économiquement extrêmement important. Chaque pays le développe chez lui et crée des organes y afférents. L’Office permanent du Tourisme anglais a été installé récemment à Paris. Les recettes provenant des touristes étrangers ont été évaluées en millions de dollars-or : pour la France 392 (1929) et 117.5 (1933), pour l’Italie 137.4 (1929) et 68.6 (1933), pour la Belgique 34.8 (1929).
Quant aux dépenses à l’étranger des touristes nationaux : France 58.7 (1929) et 19.6 (1932), Italie 16.7 (1928) et 8.9 (1932), Belgique 5.6 (1928). Les Américains qui dépensaient au dehors en 1929 plus de 868 millions de dollars n’en ont plus dépensé que 235 en 1933.
La démocratisation du tourisme est désirable comme facteur de paix sociale, de saines distractions, d’instruction et de paix internationale.
Le tourisme international doit ignorer la compétition et les rivalités nationales pour se vouer à la coopération amicale. « Le tourisme, a dit le Prince de Galles, ne doit pas être à sens unique. »[9]
- ↑ Il existe des sociétés animales. Il faut distinguer aussi les associations entre individus d’espèces différentes (parasitisme, symbiose) de celles entre individus de mêmes espèces. L’intérêt est à la base des unes et des autres. Dans les sociétés animales les plus parfaites, comme celle des abeilles, l’adaptation aux diverses fonctions sociales est si étroite qu’il en est résulté un polymorphisme, plus ou moins varié, c’est-à-dire qu’une même espèce, d’après les fonctions des individus, offre des formes différentes (reines, faux bourdons, ouvrières, chez les abeilles). On constate chez les fourmis et les termites un polymorphisme du même ordre. — A. Espinas, Les sociétés animales (1878 et 1883). — Romanes, L’intelligence des animaux (1899). — Le Dantec, Traité de biologie (1903).
- ↑ A. Prins, Esprit du gouvernement démocratique, chap. II. Les associations et les initiatives individuelles.
- ↑ Franz Oppenheimer. Tendencies in recent German Sociology. Sociol. Rev. 1932, Jan., 1-13 ; July, 125-137.
Karl Mannheim. La sociologie allemande de 1918 à 1933. Tierra Firme 1935, no 1.
- ↑ Les catalans disent : au XIe siècle apparaissent des manuscrits écrits en langue catalane et au XIIe des monuments littéraux en cette langue. Dans un manuscrit de 1115 se trouve pour la première fois appliqué à la Catalogne le nom de « Catalan ». La conscience nationale du peuple catalan était née.
- ↑ Consulter Gaétan Pirou. Doctrines économiques en France depuis 1870. La crise du capitalisme. — Les socialistes viennent de partager le pouvoir avec les catholiques et les libéraux.
- ↑ Le Pape Pie XI, dans son Encyclique «Quadragesimo Anno», s’est exprimé ainsi :
« Ce qui, à notre époque, frappe tout d’abord le regard, ce n’est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l’accumulation d’une énorme puissance d’un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré. Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisation économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement, nul ne peut plus respirer. Cette concentration du pouvoir et des ressources, qui est comme le trait distinctif de l’économie contemporaine, est le fruit naturel d’une conscience dont la liberté ne connaît pas de limites ; ceux-là seuls restent debout qui sont les plus forts ; ce qui souvent revient à dire qui luttent avec le plus de violence, qui sont les moins gênés par les scrupules de conscience. »
- ↑ T. Alwyn Lloyds. Planning in Town and Country.
- ↑ F. C. Hanighen. The Secret War.
- ↑ Une division 139 Vie sociale et religieuse serait à traiter ici. On en a combiné les éléments avec la division générale ci-après 14 Divinité, Finalité.