Mundaneum (p. 63-102).
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L’Homme

Liaisons. — Après avoir considéré la nature, et aussi pendant qu’on la considère, l’homme doit être objet d’observation et de réflexion. Sans doute fait-il lui-même partie de la nature, mais l’homme est pour l’homme une partie si importante qu’il importe dans le total des choses de lui consacrer une étude spéciale.

Avec cette étude est introduite un élément d’un ordre nouveau faisant suite dans l’ordre hiérarchique des éléments à l’être, l’étendue, le mouvement, l’énergie, la matière et la vie : la Pensée ou la Raison. Élément spécifique selon les uns ; élément simplement évolué des termes antérieurs selon les autres, mais pour tous élément d’importance capitale.

Les sociétés humaines, a écrit E. Solvay, sont constituées par des êtres vivants, par des hommes et l’on ignore encore les premiers rudiments de ce qu’est la vie qui les anime et les conserve, de ce qu’est la pensée qui les dirige, en un mot ce qui les constitue eux-mêmes. De ce domaine jusqu’ici la science a toujours été exclue.

Comment serait-il possible de songer à trouver des lois positives de direction des hommes groupés si l’on persistait à ignorer ce qu’est scientifiquement l’homme lui-même, l’homme isolé.

L’homme auquel l’effort de culture personnelle a donné un caractère d’originalité propre n’en est pas moins comme un nœud où viennent s’entrecroiser les fils du vaste réseau social. Il est lui-même, mais lui-même est fait des mêmes éléments que tout le corps social.


Divisions — Questions. — L’étude de l’homme se distingue en deux objets principaux, l’homme physique et l’homme mental. Elle pose, on l’a dit, les questions des origines de l’homme, mais aussi celle de l’homme aux divers moments de l’histoire, des races différentes, des sexes différents, des âges différents ; les grands hommes et les génies, problème des possibilités humaines, avenir et destinée.

Les problèmes de l’homme vivant en communauté et de la formation (éducation) sont examinés au chapitre de la société ; ceux relatifs à la conscience et au moi, à l’anthropocentrisme et à l’obligation où se trouve l’homme de ramener l’univers à lui-même, sont traités au chapitre du moi, chapitre où il est traité aussi de la vie de l’individu en général.

Les données relatives à ces divers points sont toutes des facteurs de notre conception de l’homme, en partant de la conception du monde. Les explications sont elles-mêmes fonction des sciences antérieurement exposées et de celles qui le seront par après.

NOTION DE L’HOMME.

Définition. Qu’est-ce que l’homme ? — C’est l’éternelle question que le « sphinx de la vie », ainsi que l’appelle Carlyle, pose à chacun de nous. Elle est vieille comme le monde et tout être conscient de son existence, tout être qui raisonne doit la résoudre tôt ou tard ; bien plus, il y répond constamment par ses actes mêmes. Immédiatement que cette question se présente à l’esprit, elle fait surgir un grand nombre de questions secondaires. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Dans quelles relations sommes-nous avec le monde extérieur ? Quelles sont nos relations avec nos semblables ? Y a-t-il pour ces relations une loi de justice et de solidarité ? Le monde est-il régi uniquement par la loi des antagonismes, la survivance du plus apte ?

La définition de l’homme dépendra du système philosophique adopté. L’homme, dit le catéchisme catholique est un être doué d’une âme et d’un corps. Le spiritualiste De Bonald définissait l’homme une intelligence servie par des organes. Avant lui Proclus avait déjà dit : « l’homme est une âme qui se sert d’un corps ». Les positivistes disent : l’homme est un animal doué de raison qui appartient à la classe des mammifères mais qui se distingue de tous les autres animaux par l’excellence de son organisation intellectuelle. Déjà le vieil Homère avait dit : de tous les animaux qui respirent et qui rampent sur la terre, le plus faible et le plus misérable c’est l’homme. Mais c’est Linné qui le premier donna une expression à une opinion régnante parmi les naturalistes et plaça l’homme dans la série naturelle des êtres, en tête du règne animal. Geoffroy Saint Hilaire dit : la plante vit, l’animal vit et sent ; l’homme seul vit, sent et pense. De Quatrefages soutient la thèse du règne humain. Mais la spécificité humaine il la place dans la religiosité et la moralité. Car pour les autres caractéristiques, elles ne sont pas exclusives à l’homme.

Dans ses Pensées, Pascal a écrit : « L’homme n’est qu’un roseau, mais un roseau pensant. » Il a ajouté : « Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur dans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre. Mais il est très dangereux de lui présenter l’un et l’autre. »

1. Homme physique.

Le corps.
Végétatif. Nutrition.
Musculaire. Mouvement.
Sexuel. Reproduction.
2. Homme spirituel.

L’esprit.
Intellectuel. La vérité
et la science.
Moral. La justice
et la bonté.
Esthétique. La beauté
et l’art.
Émotionnel. La sympathie
et l’amour.
3. Homme social.

La vie de relation.
Économique L’échange.
La production-consommation.
Politique et juridique. La loi.
Le droit.



LA PRÉHISTOIRE. L’HOMME AUX DIVERSES PÉRIODES DE L’HISTOIRE.


Problème. — Quel problème est plus passionnant que celui des premiers humains ? Établir les étapes par lesquelles ont passé nos plus lointains ancêtres, rechercher comment l’homme enfin dégagé des formes primitives, a accompli ses premiers progrès, ce sont là les chapitres les plus émouvants de notre histoire.

L’âge de l’homme. Périodes de la préhistoire. — Manethon, sous Ptolémée Philadelphe, a fait remonter l’antiquité de la nation égyptienne à 35,000 ans. L’historien chaldéen Berose donne 430,000 ans d’existence aux dynasties chaldéennes et compte 35,000 ans du déluge seulement à Sémiramis. L’interprétation de la Bible a fait adopter par les ouvrages classiques l’an 4004 ou 3993 avant J. C. pour la date de l’apparition de l’homme.

Maintenant un grand effort a été fait pour préciser et généraliser. Les périodes palethnologiques font l’objet d’études de plus en plus serrées. Bien que l’accord n’existe pas encore sur les détails dans les grandes lignes, on distingue selon la géologie même l’âge tertiaire et l’âge quaternaire. Celui-ci est divisé en : 1° Paléolithique ou Pléistocène avec les périodes préglaciaires (pré-chelléen) ; les périodes glaciaires et interglaciaires : chelléen, acheuléen, moustérien, aurignacien, solutérien, magdalenéen ; la période postglaciaire (Ancyclus, Azilien) ; 2° Néolithique ou Holocène, diluvium, où l’on trouve : a) Litorina, Flénusien, Tardenoisien, Campignien, Spiennien, Robenhausien ; l’âge du bronze dont le premier est en Transcaucasie et le second en Occident ; b) Linnœa ou âge du fer, avec les périodes de Hallstadt et de la Tène ; c) Mya, récent. Selon une autre classification (A. Rutot) la naissance et le développement de l’Humanité, basé surtout sur l’industrie humaine, aurait été celui-ci :

I. — Période à industrie primitive ou éolithique (fin du tertiaire). Les précurseurs.

II. — Période paléolithique. A) Industries du Paléolithique inférieur (quaternaire inférieur) : Homme de Sussex, Homme de Galley-Hill, le Pré-cro-Magnon. Stades Préchelléen, Stepinien, Chelléen, Archeléen. Climat chaud mais tempéré ; durée 45,000 ans. B) Industrie du Paléolithique supérieur (quaternaire supérieur) comprenant : 1° Époque glaciaire (époque du renne) ; emploi intensif du feu ; obligation de se vêtir de peaux de bêtes. Brachycéphale laponoïde de Greselle ; Homme de Combe-Capelle ; stade moustérien : environ 25,000 ans avant notre ère. 2° Industrie Aurignacienne. Les Négroïdes. 3° Solutérien. 4° Magdalenéen, Cro-Magnon, environ 15,000 ans avant notre ère. 5° Deuxième vague de froid. Population de Furfooz et du Mont d’Azil.

III. — Période Néolithique. Temps moderne : 10,000 ans avant notre ère. Type Flénusien. Époque de la pierre polie. Généralisation de l’agriculture, petite navigation. Tissage des étoffes, monuments mégalithiques (menhirs et dolmens).

IV. — Âge des métaux. 3,000 ans avant notre ère : a) d’abord les métaux à l’état natif : cuivre, argent, or ; b) puis le bronze, alliage de cuivre et d’étain : l’art, l’architecture, les sciences, la religion, les empires ; c) apparition du fer : le maximum d’éclat de cette vague de civilisation est en l’an 1000 avant notre ère.

Étude des sciences préhistoriques. — Le Préhistorique (archéologie préhistorique, palethnologie, paléoarchéologie) répartit ses études par période de la préhistoire, par localité où l’on a retrouvé les restes des populations primitives, par catégories d’objets, de restes, de vestiges, de monuments propres à ces époques préhistoriques.

Les objets de la préhistoire sont principalement les flèches, couteaux, lames, racloirs, coups de poing, perçoirs, tranchets, casse-tête, restes d’animaux et de coquillages, os brisés ; plus tard des haches, des outils, des armes, des pierres perforées, des aiguilles et des tuyaux ; des pierres excavées, mortiers, coupes, vases destinés à la boisson et à l’alimentation ; plus tard encore des objets en bois, corne, os, cuivre, vannerie, les objets tissés, étoffes et filets, objets en poterie et en verre. Il y a les habitations, notamment les cités lacustres, les cavités naturelles et artificielles, les villages (Pueblos), les Tumuli (tombes et sépultures), les Monolithes, Cromlechs, Dolmens, Menhirs, les arrangements des pierres des Mountbuilders, etc.


FILIATION DE L’HOMME. PLACE DANS LA NATURE.

Origine de l’homme. — Cette origine au cours des âges a été fort discutée.

1o Hypothèse de l’origine par génération spontanée. Les mythologies l’ont racontée ; en 1819 Oken en a essayé un exposé scientifique. Le fœtus humain aurait pris naissance dans la mer, vaste réceptacle, utérus immense de la nature.

2o Hypothèse de la création distincte d’un ou plusieurs couples primitifs. À cette hypothèse se rattachent les partisans de la fixité immuable des espèces ; chaque espèce réclamerait une création spéciale, elle représenterait en quelque sorte, une catégorie spéciale de la pensée créatrice se multipliant par voie de génération indéfinie et sans altération de la forme créée immuable dans son éternité relative.

3o Hypothèse de l’évolution et de la descendance animale.

A. Rutot a résumé ainsi la filiation humaine au point de vue physique. Les grandes mutations intellectuelles de l’Humanité, I, p. 93.

FILIATION HUMAINE
ÈRE ÂGE STADES ORGANIQUES
Ère primaire. Précambrien. Cellule
protozoaires.
gastrula
hydres.
polypères supérieurs
Permien. Actiniés.
Cérianthes.
Prochordés.
Cambrien. Amphioxus.
Poissons ostracodermes.
Silurien. Poissons chondroptérygiens.
Poissons actinoptérygiens.
Devonien. Poissons crossoptérygiens.
Carbonifère. Amphibies stégocéphales insectivores.
Houiller. Reptiles théromorphes insectivores.

Ère secondaire. Triassique. Mammifères primitifs, monotrèmes, insectivores.
Jurassique. Mammifères primitifs
ditrèmes.
marsupiaux.
Crétacé. Mammifères
marsupiaux placentaires
insectivores.

Ère terciaire. Eocène.
Insectivores placentaires.
Prosimiens mesodontes frugivores.
Oligocène.
Singes anthropomorphes frugivores.
Précurseurs de l’Humanité.
Miocène.
Précurseurs de l’Humanité.
Pliocène.

DEGRÉ, INEGALITE.


Degré. Inégalité. — Il y a des degrés dans l’homme. Les différences entre les hommes, sans avoir rien de fondamentales, sont cependant considérables, et particulièrement au point de vue mental. L’esprit normal type peut être représenté par une sphère parfaite. L’esprit anormal réel est à représenter par une sphère aux bosses et fosses. Ces deux sphères ne s’aperçoivent que par les yeux de l’esprit, mais elles sont bien réelles.

Les trois degrés sont dits communément l’homme moyen, l’homme supérieur (génies, grands hommes), l’homme inférieur (arriéré, dégénéré).


LE CORPS DE L’HOMME.
L’HOMME PHYSIQUE.

Description. — Au point de vue physique, zoologique, l’homme est donc un bimane de l’ordre des primates et de la classe des mammifères. Sa taille varie de 0m60 à 1m82 en moyenne, avec quelques écarts exceptionnels (nains et géants). Sa peau est à duvet ou à poils rares, de couleur variable ; sa tête est relativement petite et le rapport de capacité du crâne à la face est plus grand que chez tous les autres animaux. Le nez est saillant au-dessus et au-devant de la bouche, le menton est distinct, l’oreille nue, fine, bordée, lobulée ; les cheveux sont abondants ; la mâchoire est parabolique et garnie de dents rapprochées sans lacune. De ces dispositions il résulte chez l’homme un angle facial plus ouvert, un angle sphénoïdal plus aigu. L’homme a deux pieds et deux mains ; les doigts sont onguiculés et les pouces opposables dans les mains. La jambe est droite sur le pied, la hanche saillante et le fémur recourbé à angle droit au niveau du sol.

L’homme est d’abord embryon, puis fœtus.

Pendant la période embryonnaire, l’homme parcourt une série de transformations qui reproduisent dans une succession constante toutes les formes de la série animale, depuis le plus obscur infusoire jusqu’à la forme humaine qu’il revêt au moment de son complet développement.

L’homme naît neuf mois après sa conception, commence vers l’âge de cinq à dix mois le travail de la première dentition (vingt dents), renouvelle ses premières dents vers sept ans et en acquiert trente-deux dont les dernières apparaissent vers l’âge de vingt-cinq ans ; il croît le quart de sa vie, prolonge celle-ci assez souvent jusqu’à soixante-dix ans, exceptionnellement jusqu’à cent ans, très rarement au delà.

L’organisme humain a été comparé à un microcosme, à un monde en raccourci. Il offre la constitution physicochimique de tous les corps vivants. Pour son étude au point de vue physique, il faut donc se rapporter directement à la biologie et d’elle à la physico-chimie.

L’anatomie humaine étudie l’ensemble des tissus, des éléments et des organismes ; la physiologie en étudie les fonctions par grands systèmes : système osseux, système musculaire, système nerveux, système artériel (sang) système de la respiration, de la nutrition, de la locomotion, de la reproduction, système des fonctions mentales et système des fonctions du travail, des activités, du comportement.

L’homme est normal ou anormal suivant qu’il se rapproche de la moyenne ou s’en éloigne. La tératologie étudie les malformations, la pathologie, les maladies et anomalies de fonctionnement. Il y a ainsi une anatomie et une physiologie pathologique.

La supériorité ne réside ni dans les formes anatomiques, ni dans le mode d’accomplissement des fonctions vitales, ni dans la station verticale qui n’est pas absolument propre à l’homme, puisque la plupart des animaux en possèdent une, ni dans la faculté de parler puisque des mammifères et des oiseaux correspondent entre eux à l’aide d’un langage expressif quoique incomplet, ni même dans l’existence de quelques facultés affectives, dont quelques animaux font encore preuve.

La supériorité réside dans l’intelligence, l’esprit.

La science de l’anthropologie. — L’anthropologie est devenue une science d’une extrême rigueur. Elle a trouvé trois applications qui lui ont apporté de précieux matériaux : les mensurations de l’anthropologie criminelle, celle des armées, celle des écoles. Dans les traités d’anthropologie (R. Martin, System der Anthropologie), il est traité notamment des points suivants : 1. forme générale du corps, mesures et proportions du corps, géants, nains et pygmées, relation entre la taille et l’âge, entre la forme et les dimensions des extrémités ; 2. pigmentation, dépigmentation, organes intégrimentaux, peau, cheveux et ongles, couleur et caractéristiques des yeux ; 3. tête et visage : leurs dimensions, leur forme, la physionomie, paupières, sourcils, lèvres, joues, nez, oreilles ; 4. crâne : poids, forme, assymétrie, déformation, trépanation, capacité, os divers du crâne, dents et denture.

L’ESPRIT DE L’HOMME.

La Psychologie. — La psychologie est une science où l’introspection joue un rôle essentiel et préalable dans la description des faits et dans l’analyse des mécanismes mentaux ; où la biologie et la sociologie étudient les racines biologiques et l’évolution sociale des fonctions psychiques ; où la psychologie pathologique et la pathologie mentale nous apportent par l’anayse deé troubles mentaux élémentaires, comme par l’analyse des psychoses et de leurs conditions cérébro-organiques, la contribution la plus précieuse ; où les applications à la pédagogie (formation de l’homme) et à la psychotechnique (conditions de l’utilisation de l’intelligence dans le travail) étendent le champ des recherches.

Nous demeurons encore dans l’inconnu sur ce qu’est l’intelligence et son fonctionnement. L’étude psychologique de l’être humain en est encore à ses débuts. Il est un réservoir énorme d’inconnu où puiser pour les explications.

Notions générales. — La psychologie, science de l’âme, traite du problème de la nature humaine, en considérant les trois facultés de penser, d’éprouver et de vouloir, correspondantes à l’intelligence, à la sensibilité et à la volonté.

L’intelligence est la conscience et le souvenir des sensations produites sur l’esprit par l’un ou plusieurs des cinq sens : toucher, vue, ouïe, goût, odorat.

L’esprit conscient ou la personnalité, « le moi », est formé de l’ensemble de ces sensations coordonnées par la pensée en idées dont la réunion constitue le savoir qui se développe par l’étude. C’est particulièrement par l’intelligence que nous avons conscience des paroles, des gestes de nos semblables.

La sensibilité est la réaction de notre « moi », de toute sensation nouvelle ou de toute pensée. C’est elle qui permet à notre personnalité de ressentir une émotion, d’éprouver une sensation, de percevoir une impression. C’est aussi grâce à la sensibilité qu’il nous est possible de pénétrer dans la personnalité de nos interlocuteurs, de comprendre leurs actions, de saisir leurs pensées.

La volonté, conséquence d’une émotion, se manifeste par un acte conscient : a) Certaines actions sont inconscientes ; elles se produisent directement à la suite de la sensation sans qu’il y ait pensée, émotion et volonté ; ce sont des réflexes nerveux, b) D’autres se manifestent sans même qu’il y ait une sensation extérieure ; ce sont les instincts, c) Par ailleurs, à force de répétition, la sensation extérieure n’est plus perçue : les actions ainsi déterminées sont des habitudes.

La mémoire est le rappel conscient dans l’espace et dans le temps des sensations éprouvées antérieurement.

L’imagination semble être une génération spontanée de sensations éprouvées antérieurement.

Les associations d’idées et par suite toutes les manifestations de l’intelligence sont déclenchées par le travail simultané de la mémoire et de l’imagination.

Histoire de la psychologie. — La connaissance de la pensée s’est faite d’apports successifs : les primitifs (la magie), Socrate (l’interrogation), Platon (la dialectique), Aristote (le syllogisme), Descartes (la méthode), Kant (le phénomène et le noumène), Bergson (l’intuition, l’élan vital, la pensée créatrice).

L’histoire de la psychologie au XIXe siècle se présente ainsi :

A. — Elle est dominée par deux mouvements qui tantôt s’allient et tantôt s’opposent.

1° Effort de la psychologie pour se séparer de la philosophie et se constituer à l’état de science naturelle, avec tendance à subordonner la psychologie à la physiologie (Lotze, Maudsley, Wundt) et souvent à placer à la base une conception moniste ou matérialiste du monde, c’est-à-dire une autre philosophie.

2° Effort pour donner à la psychologie un domaine, une méthode, des principes qui non seulement la fassent sortir du groupe non différencié des sciences philosophiques mais qui ne se confondent avec ceux d’aucune autre science. La psychologie placée vis-à-vis de la biologie comme celle-ci par rapport à la physique. (J. S. Mill, Ribot, Taine.)

B. — Deux grandes influences ont agi en sens inverse du mouvement de la psychologie indépendante.

1° Influence des doctrines qui relèvent l’importance du sentiment immédiat et de l’intuition. (Bergson, William James.)

2° Influence de la sociologie. Les fonctions psychiques les plus élevées dépendent de la vie sociale, réalité sui generis. (A. Comte, Durckheim.)

C. — Protestation contre cette conception. (Dauviac, Lachelier, Ward, Binet.)

Les psychologues. — Pierre Janet essaye d’établir que la vie psychique présente une propriété essentielle, analogue à ce qu’est en physique le potentiel électrique (ou la hauteur de chute), propriété qu’il a nommée « tension » et dont les degrés définiraient : a) le niveau mental des individus ; b) le passage de la santé de l’esprit à la folie ; c) la hiérarchie des conduites humaines ; d) les phases de l’évolution psychique.

Delacroix, tout en utilisant les données physiologiques et sociologiques, n’a pas voulu y laisser réduire la psychologie. Il a une conception largement éclectique des puissances multiples de l’âme humaine, aussi bien les intellectuelles que les autres. Il a une interprétation psychologique des faits religieux, linguistiques, artistiques.

Bergson, sur des remarques concernant la perception de la durée et le caractère de la mémoire, a essayé de fonder toute une théorie de la connaissance et de la nature. Son influence, par delà les confins de la philosophie proprement dite, s’est étendue sur la critique littéraire et l’apologétique religieuse. Il a cherché à maintenir autonome la psychologie. Très systématique, il réduit ce rôle de l’intelligence à l’étude de la matière, de l’espace, des rapports extérieurs entre les êtres.

G. Dumas et P. Janet sont des psycho-physiologistes. Ils recherchent ce que la pathologie mentale peut nous apprendre de la vie de l’âme, ce que la réflexion psychologique peut apporter aux observations de médecins psychiâtres, quelle aide réciproque peuvent se prêter l’une à l’autre la psychologie pathologique et la psychologie générale.

Sir Oliver Lodge se refuse à expliquer le psychique en termes de chimie ou de physique. La chimie et la physique peuvent expliquer le coucher du soleil, elles ne peuvent aucunement rendre compte de l’exaltation qui remplit l’âme à cette simple vue. Et c’est ainsi que nous revenons à l’assurance que nous sommes plus grands que nous ne le savons être, et que nous sommes tout autres que les formules de chimie tenteraient de l’expliquer.

Les divisions. Les matières. La classification. — Elles se présentent ainsi, d’après G. Dumas, traité de psychologie.

La psychologie : ses divers objets et ses méthodes.

1. Notions préliminaires à l’étude de la psychologie. — Exposé des notions morphologiques, neurologiques, biopsychiques qui sont une introduction nécessaire à la psychlogie humaine.

1. L’homme dans la série animale. Les données de la biologie. L’évolution humaine. La vie sociale. 2. Le poids du cerveau et l’intelligence. 3. Le système nerveux, anatomie et physiologie générales. 4. Neurone, fibre nerveuse, anatomie et physiologie spéciales. Constructions primaires, superstructure, localisation cérébrale. 5. Le problème biologique de la conscience.

II. Les éléments de la vie mentale. — I. L’excitation et le mouvement. 2. Les sensations. 3. Les états affectifs (plaisir et douleur, tendances, besoins, émotions, passions). 4. Les images. 5. Excitation psychique et sécrétion.

III. Les associations sensitives-motrices. — 1. L’orientation et l’équilibre. 2. L’expression des émotions. 3. Le rire et les larmes. 4. Le langage.

IV. Les formes générales d’organisation. — I. L’habitude et la mémore. 2. L’association des idées. 3. L’attention. 4. La tension psychologique et ses oscillations.

V. Fonctions systématisées de la vie mentale. — 1. La perception. 2. Les souvenirs. 3. Les opérations intellectuelles : a) a pensée, b) le langage, c) les degrés et les formes de l’intelligence ; la fonction de l’intelligence, d) la croyance, e) le rêve et la rêverie. 4. Les sentiments complexes : a) l’amour, b) le sentiment social, le sentiment moral, le sentiment religieux, c) le sentiment esthétique. 5. Les volitions. 6. L’intervention artistique, scientifique, pratique.

VI. Les synthèses mentales. — 1. La conscience et la vie subconsciente. 2. La personnalité. 3. La pyschologie des caractères. 4. Activité mentale, travail intellectuel et fatigue.

VII. Sciences annexes. — 1. Psychologie zoologique. La psychologie science du comportement. 2. Psychologie génétique et ethnique. Les âges et les races. 3. L’interpsychologie. Le mécanisme d’action intermentale. La contagion mentale. 4. La sociologie. Données de la sociologie. Explications sociologiques des fonctions mentales supérieures. 5. La pathologie mentale. Démence, confusion mentale, démence précoce, psychose, hallucination chronique. 6. La psychologie pathologique. Hystérie, psychose périodique, psychose d’interprétation, psychose de revendication, psychosthénie. 7. Un nouveau chapitre en psychologie. Psycho-physiologie des glandes endocrines et du système neuro-végétatif.

La conscience : genèse et développement. — D’après Ernest Hœckel (Les Enigmes de l’Univers). Singulièrement dépassé aujourd’hui, le développement de la vie psychique serait celui-ci :

Les cinq groupes psychologiques du monde organique.

I. Protistes moins cellulaires ; Protozoaires et Protophytes solitaires.

II. Cenobies de protistes : colonies cellulaires de Protozoaires (Carchesium) et de Protophytes (Volvox).

III. Invertébrés tout à fait inférieurs (polypes, éponges), la plupart des plantes.

IV. Vertébrés inférieurs, la plupart des vertébrés.

V. L’homme, les vertébrés supérieurs, arthropodes et mollusques.

Les cinq stades de développement des organes de l’âme.

I. Psychoplasma simple ; âme cellulaire isolée, cytopsyche solitaria.

II. Psychoplasma composé ; âme cellulaire sociale ; cytopsyche sociale.

III. Le système nerveux manque ; âme d’un tissu pluricellulaire ; histopsyche sans conscience.

IV. Système nerveux avec un organe central simple : neuropsyche sans conscience.

V. Système nerveux avec un organe central très développé : neuropsyche avec conscience.

On peut, d’après Abel Rey (Psychologie et philosophie), tracer le tableau suivant de la genèse et du développement historique de la conscience en montrant le passage de l’animalité à l’humanité.

Quatre phases sont à distinguer.

1o Eléments de la vie consciente (réflexes, plaisir, sensation). — a) La conscience semble d’abord apparaître chez l’être vivant comme une fonction motrice à la base de laquelle se trouve le réflexe, que Richet définit comme un mouvement involontaire succédant immédiatement à une excitation nerveuse ; le réflexe est la fonction élémentaire essentielle du système nerveux ; comme il dépend à la fois de l’activité consciente et de l’activité physiologique, c’est par lui qu’on peut le mieux étudier comment ces activités, se rejoignent.

b) La fonction affective se superpose bientôt à la vie motrice pour la guider et l’éclairer : au réflexe, sentiment vague du mouvement, se superpose la vague appréciation de ses résultats sous forme de plaisir (et de douleur). Même lorsque la vie psychologique atteint un grand degré de développement, le plaisir reste l’expression consciente d’une augmentation de l’énergie vitale, et l’activité moyenne et normale est accompagnée de plaisir ; au contraire la douleur est l’expression consciente d’une diminution de l’énergie vitale, et l’activité anormale (trop faible ou trop forte) s’accompagne de douleur. (Hœffding)

c) Petit à petit, dans l’être primitif, les notions vagues de plaisir (et de douleur) se précisent : les diverses réactions sont distinguées les unes des autres ; c’est alors que commence à poindre la vie représentative (intelligence) qui se présente comme un affinement de la vie affective, puisque le plaisir s’efface devant la sensation qui est en quelque sorte une représentation rudimentaire des objets extérieurs et de soi-même.

2o Activité spontanée (instinct, émotion, perception). — Ces éléments de la vie psychologique permettent, en se développant, l’activité spontanée de la conscience : a) le réflexe devient instinct, qu’Hœffding définit comme une action vers un but dont on n’a pas conscience. b) Le plaisir (et la douleur) donne naissance à l’émotion qui est l’expression spontanée et presque primitive de la vie affective. Dumas a proposé une classification des émotions, où il range successivement : la joie (et la tristesse), la peine (et la colère), l’amour (et la haine), la confiance (et l’angoisse), l’émotion sexuelle, les émotions complexes, ces dernières formant la transition avec l’activité élaborée de là conscience. Les passions sont en quelque sorte des émotions à l’état chronique.

c) Enfin il se forme dans la conscience des synthèses spontanées entre les éléments représentatifs des sensations, grâce à l’habitude, à l’attention et à l’association : une telle synthèse a reçu le nom de perception.

3o Activité élaborée (volitions, sentiments, concepts). — La vie psychologique précédente appartient en commun à l’animal, au sauvage, à l’enfant, à l’adulte ; mais seul ce dernier atteint une certaine élaboration de sa vie consciente.

a) Un acte volontaire ou volition est un mouvement très complexe en vue d’un but conscient ; les éléments en sont choisis délibérément ; il est exécuté avec un effort et apparaît comme libre.

b) Le sentiment est un état affectif à élaboration consciente et réfléchie, au moins dans une large mesure ; c’est un état fondamental de notre vie consciente, puisqu’il dure souvent autant que cette vie elle-même ; le sentiment moral, le sentiment religieux, la piété filiale, le patriotisme en sont des exemples.

c) Enfin si la perception est une synthèse spontanée de sensations, le concept est une synthèse élaborée de perceptions ; c’est une réduction du multiple à l’unité, puisqu’il nous fait embrasser, en un seul acte de la pensée, une quanité infinie d’objets. Un concept complètement formé s’exprime par un signe (mot ou symbole). Un jugement est l’affirmation d’un rapport entre deux concepts ; le raisonnement est un enchaînement de jugements tel que le dernier d’entre eux (conclusion) nous apparaît sorti des ténèbres (prémisses) ; il substitue la certitude à la croyance, une marche progressive du connu à l’inconnu, du confus et de l’indistinct à la notion exacte et précise. De même que le mot est la représentation concrète du concept, le langage est l’ensemble des signes nécessaires à l’expression de la pensée (jugement de raisonnements).

Facteurs généraux du développement de la vie consciente (volonté et caractère ; tendances et inclinations, imagination créatrice et activité rationnelle). — a) C’est la volonté qui en subordonnant la vie affective aux constructions rationnelles de l’intelligence, donne à la vie psychologique sa plus forte individualisation, sa plus grande unité et sa plus grande fixité ; elle y ajoute ce qui nous permettra de dire d’un individu qu’il a du caractère.

b) La vie motrice et la vie affective sont mêlées d’une façon inséparable, les tendances organiques, qui se développent en inclinations conscientes, dérivent non seulement d’un instinct égoïste de conservation, mais aussi d’un instinct altruiste de solidarité : l’homme isolé est une abstraction métaphysique.

c) Le terme de passage entre l’activité affective et la vie intellectuelle se fait par l’imagination créatrice, grâce à laquelle des images et des idées se forment et se combinent dans l’esprit. « Les suggestions de l’imagination sont à la fois la matière et le ressort de nos raisonnements ; souvent même, elles les guident ; et d’autre part l’imagination normale, saine et orientée elle-même par le jugément droit et le raisonnement valide ». D’où une activité nouvelle qui se superpose à la première, mais la suppose : l’activité rationnelle. « A travers l’évolution de la vie psychologique, on voit que l’activité personnelle se dégage de la vie automatique et tend à la subordonner à son contrôle : accentuer cette subordination, voilà la tâche la plus haute qu’il soit possible de se proposer. »

La rapide esquisse qui précède aura rempli son but si elle a donné des indications sur l’évolution suivant laquelle « le moi, la personnalité consciente se forme empiriquement par la série des phénomènes psychologiques : on voit par là comment une combinaison de phénomènes très primitifs et élémentaires (bien-être et mal-être, affectivité) s’oppose grâce à l’expérience aux sensations qui sont objectivées en dehors de nous. »

L’action humaine. — Le plaisir et la douleur, dit Gustave Lebon, sont le langage de la vie organique et affective, l’expression d’équilibre satisfait ou troublé de l’organisme. Ils représentent le moyen employé par la nature pour obliger les êtres à certains actes sans lesquels le maintien de l’existence serait impossible.

Le plaisir et la douleur engendrent le désir. Désir d’atteindre le plaisir et d’éviter la douleur. Le désir est le principal mobile de notre volonté et, par suite de nos actes. Du polype à l’homme, tous les êtres sont mus par le désir.

Le désir établit l’échelle de nos valeurs, variable d’ailleurs avec le temps et les races. L’idéal de chaque peuple est la formule de son désir. Un désir qui envahit tout l’entendement transforme notre conception des choses, nos opinions et nos croyances. La valeur des choses n’existant pas par elle-même est déterminée par le seul désir et proportionnellement à ce désir.

Père de tout effort, maître souverain des hommes, générateur des dieux, créateur de tout idéal, le désir ne figure pourtant pas au Panthéon antique. Seul, le grand réformateur, Bouddha, comprit que le désir est le vrai dominateur des choses, le ressort de l’activité des êtres. Pour délivrer l’Humanité de ses misères et la conduire au perpétuel repos, il tenta de supprimer ce grand mobile de nos actions. Sa loi soumit des millions d’hommes, mais ne triompha du désir. C’est qu’en effet l’homme ne saurait vivre sans lui.

Caractéristiques mentales.

De Croly (L’Instruction et l’activité intellectuelle en matière par les jeux éducatifs, p. 7) établit ainsi le tableau des caractéristiques mentales chez les enfants.

A. — Energie mentale. Force attentive.

1. Intensité, étendue, durée, capacité de distribution. (Instabilité, épuisement rapide, distractibilité, orientation unique.)

2. Pour des intérêts supérieurs, loin dans le temps et dans l’espace. Pour des intérêts inférieurs, proche dans le temps et dans l’espace.

B. — Affectivité.

1. Instinct primaire ou secondaire de conservation individuelle ; non socialisation ni intellectualité (égoïsme, amour-propre étroit ou morbide, instinct de propriété grossier ou dévié).

2. Instincts spécifiques ou sociaux.

3. Tendance défensive (suffisante, insuffisante, excessive, déviée).

4. Tendance anticipative (imitation et jeu).

5. Curiosité et intérêt.

C. — Côté sensorio-moteur.

1. Suffisance, coordination.

2. Actes réflexes ou acquis.

D. — Côté intellectuel.

1. Capacité à observer et à analyser des êtres, des objets et des faits, et surtout les rapports de ces êtres, de ces objets et de ces faits entre eux.

2. Capacité à se représenter mentalement et avec une clarté suffisante les données d’expérience antérieure.

3. Association, imagination, pensée personnelle et de première source, prévision, organisation.

4. Compréhension, esprit critique, capacité logique, raisonnement.

5. Aptitude à inventer, créer, agir conformément aux circonstances, à s’adapter.

E. — Côté de la mémoire.

Appréhension spontanée.

F. — Côté du langage.

Tout un développement fort variée.

G. — Côté de l’activité, de la conduite et du caractère.

Ils sont une résultante de l’état des principales fonctions susnommées.

Le caractère.

Le Bulletin de l’Institut National d’Orientation professionnelle du 9 juillet 1933 a dressé ainsi une liste pour le contrôle du caractère.

1. Intelligent. — Qui comprend vite, qui peut imaginer une solution. Elle peut être déterminée à l’aide de méthodes objectives et n’est incluse sur la liste qu’en vue d’un essai de contrôle.

2. Gai. — Qui est toujours de bonne humeur, qui joue bien aux récréations.

3. Courageux. — Qui n’a pas peur des conséquences de ses actes : n’a pas peur de tomber ou de se faire mal en jouant, d’être bousculé par un camarade plus fort.

4. Bon. — Qui se dévouera pour les autres, aidera les camarades même quand cela peut lui nuire à lui-même.

5. Sincère. — Qui dit toujours la vérité, qui dit ce qu’il pense.

6. Honnête. — Qui ne trompe pas, même quand cela lui serait utile.

7. Modeste. — Qui ne s’exagère pas ses mérites.

8. Sympathique. — Qui est aimé par ses camarades.

9. Expansif. — Qui se livre facilement, qui ne cache pas ses sentiments, les manifeste au contraire extérieurement.

10. — Calme, de sang-froid. — Qui ne perd pas la tête dans une situation difficile, qui n’est pas troublé par une question imprévue.

11. Domine les autres. — On lui obéit dans les jeux, on l’écoute volontiers.

12. Fort. — Bon lutteur.

13. Persévérant. — Finit ce qu’il a commencé ; quand il a décidé quelque chose, le fait réellement.

14. Sensible. — À de la peine quand il voit que quelqu’un en a.

15. Affectueux. — À un ou plusieurs amis auxquels il tient beaucoup, capable de faire des sacrifices pour eux ; aime beaucoup sa famille.

LES RACES ET LES VARIETES HUMAINES.
UNITÉ ET PLURALITÉ.

Unité de l’espèce humaine. Monogénisme et Polygénisme. — Les premiers hommes tinrent pour la distinction des races. La Bible affirma l’unité de l’espèce humaine, dont le christianisme fit des frères d’un même père.

Les savants polygénistes estiment qu’il y a pour l’espèce humaine plusieurs centres de création. Les savants monogénistes tiennent pour un centre unique (Linné, Buffon, Cuvier, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, Humbold, Blainville). Les groupes humains, dit de Quatrefage, ne sont pas des espèces différentes ; ils ne sont que des races d’une seule et même espèce. Il va même jusqu’à désigner une région de l’Aisne, située à l’ouest du plateau central, comme le berceau commun de toutes les races humaines.

Plus tard surgirent, avec Gobineau et Vacher de Lapouge, la théorie de la race. L’Allemagne hitlérienne en fit une des bases de son programme. Le Congrès Universel des Races (Londres 1911) a proclamé qu’il n’existe que des variétés humaines et qu’entre ces variétés principales, il n’y a pas d’abîmes infranchissables. Il a invité à combattre les préjugés de race parce qu’ils causent à l’Humanité des maux incalculables et sont fondés sur des généralisations indignes de la science.

M. Bernelot Moens conclut ainsi de ses études, voyages et séjours :

Il est non seulement très difficile, mais maintes fois impossible de reconnaître les races représentées dans un même individu, car les particularités d’autres races peuvent ne pas se manifester en lui, bien qu’elles réapparaissent, par atavisme, dans ses descendants.

Les différences de races entre les hommes n’entraînent pas de différences de valeur humaine.

À la vérité, il y a des différences et des ressemblances entre groupes humains et l’anthropologie et l’ethnographie sont les sciences qui les étudient. D’autre part, produit de l’histoire, de la géographie, du milieu, chaque nation, fraction de l’humanité totale, possède un caractère qui lui est particulier, qui exerce une influence prépondérante sur ses destinées et qu’elle conserve largement au cours des âges. La psychologie des peuples et la sociologie comparée s’en occupent.

Espèces ethniques. — L’homme ne comprend qu’une seule espèce actuellement vivante : Homo sapiens. Linné. À peine peut-on appeler espèce l’homme du Neanderthal disparu depuis des temps géologiques. Par contre nous sommes composés de diverses races, qui comme telles, ont dû se différencier à des temps indéterminés, mais certainement à guère de cent mille ans. Citons les races noires (nègres, mélanésiens, etc.), les races australiennes (Dravida, etc.), les races sémitiques (Indo-Afghans, etc.), les races aïno et polynésiennes, les races dites indiennes d’Amérique, les Eskimos, Tartares et Mongols, enfin les races dites européennes, métissées de brachycéphales et de dolichocéphales. Ces races se divisent en innombrables variétés qu’on peut presque seules distinguer uniquement en Europe, à part quelques Lapons, Mongols et Sémites, qui sont si bien mélangés avec nous que les distinctions s’effacent de plus en plus. Le métissage ou l’hybridation agit d’une façon rapide. Les habitants de l’Europe certainement présentent de fortes différences individuelles, mais on ne saurait y reconnaître d’une façon distincte des instincts de race. Ces différences collectives sont dues aux habitudes prises, aux traditions et à l’effet du milieu social. Par contre, il faut distinguer avec soin de nos races supérieures les races vraiment inférieures, à cerveau plus petit, comme les Weddas, les Axas, les nègres, etc. Ici l’erreur n’est plus possible : le métissage qui est bon chez les races européennes devient mauvais chez les mulâtres. (Voir Deniker, Manouvrier, Rod. Martin, Forel.)

Ainsi, certes les races humaines, à envisager les choses d’ensemble, existent. On l’a dit : si l’on rencontrait des colimaçons aussi dissemblables entre eux qu’un Anglais, un Chinois, un Zoulou, on ne douterait pas qu’on se trouve en présence de colimaçons de race blanche, de race jaune et de race noire. Les dissemblances entre races humaines ne se bornent pas à la couleur de la peau, à la hauteur de la taille, au galbe du nez ; elles portent encore sur le sang, le tissu musculaire, et plus particulièrement sur la forme de la tête, du crâne. « Nous n’avons pas, dit le poète, la caboche faite de même. » Mais le problème doit être posé de manière qu’il écarte les termes de supériorité et d’infériorité pour retenir celui de dissemblance.

Variétés humaines. — D’après les différences les plus frappantes de la constitution physique, l’espèce humaine se divise en cinq races ou variétés étendues comme il est défini ci-dessous :

1° La race blanche ou caucasienne répandue dans l’Europe, l’Asie occidentale et méridionale, dans l’Afrique septentrionale et en Amérique. 2° La race jaune ou mongole dans l’Asie orientale et septentrionale et dans les régions arctiques de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique. 3° La race noire ou africaine dans l’Afrique centrale et méridionale, l’Amérique et l’Océanie. 4° La race olivâtre ou malaise dans l’Océanie et dans le S.-E. de l’Asie. 5° La race rouge ou américaine dans l’Amérique qui est occupée aussi aujourd’hui par la race blanche et par des variétés métisses.

Les races, pour autant qu’elles ont pu être observées, donnent lieu à des caractéristiques propres. Ainsi, dans l’espèce nègre, le cerveau est moins développé que dans l’espèce blanche, les circonvolutions sont moins profondes et les nerfs qui émanent de ce centre pour se répandre dans les organes des sens sont beaucoup plus volumineux. De là un degré de perfection bien plus prononcé dans les organes, de sorte que ceux-ci paraissent avoir en plus ce que l’intelligence possède en moins. En effet, les nègres ont l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher bien plus développés que les blancs. Pour les travaux intellectuels, ils n’ont que peu d’aptitudes, mais ils excellent dans la danse, l’escrime, la natation, l’équitation et tous les exercices corporels. Ils distinguent un homme, un vaisseau à des distances où les Européens peuvent à peine les apercevoir avec des lunettes d’approche. Ils flairent très loin un serpent et suivent souvent à la piste les animaux qu’ils chassent. Le bruit le plus faible n’échappe point à leur oreille. Leur tact est d’une subtilité étonnante.

L’unification des races. — L’« Immigration Commission)> (change in bodily form of descendants of immigrants, Senate, Washington) a recherché s’il y a des changements manifestes dans le type physique des immigrés aux États-Unis, sous l’influence du milieu environnant et dans l’affirmative, quelles formes elles ont prises.

Des centaines de tables statistiques qui résultent des mensurations opérées sur des milliers d’enfants dans les écoles et en dehors des écoles, sous la surveillance étroite de nombreux savants et employés se trouvant au service de la dite Commission se sont efforcés de tirer au clair et de synthétiser les observations et les faits rigoureusement contrôlés. Tandis que l’indice céphalique des enfants juifs nés à l’étranger et transplantés aux États-Unis est, à l’âge de 5 ans, de 85.0 et à 12 ans de 84.6, le même indice céphalique chez les enfants nés aux États-Unis est de 83 à l’âge de 5 ans et de 82.3 à l’âge de 12 ans. Pour les enfants d’origine sicilienne la proportion se présente sous la forme suivante : Un Sicilien né à l’étranger accuse à l’âge de 5 ans 80.8 ; à l’âge de 12 ans 78.9 ; mais lorsqu’il vient au monde aux États-Unis son indice céphalique sera à l’âge de 5 ans de 80.1 et à 12 ans de 82.1. Tandis que le Sicilien et le Juif nés au dehors accuseront, le premier, un indice céphalique de 80.8 et le second de 85.0 ; venus au monde aux États-Unis, ils se rapprocheront en ce sens que le premier n’aura que 80.1 et le second 83.0 ; mais à l’âge de 12 ans, tous les deux feront un saut prodigieux et le Sicilien remontera à 82.1 tandis que le jeune Juif descendra à 82.3 et tous les deux, ainsi modifiés dans leur forme craniologique, se rapprocheront de la moyenne américaine.

LES GÉNIES. — LES GRANDS HOMMES.


Dans chaque siècle, a écrit Victor Hugo, trois ou quatre génies entreprennent cette ascension. D’en bas on les suit des yeux. Ces hommes gravissent la montagne, entrent dans la nuée, disparaissent, reparaissent. On les épie, on les observe. Ils côtoyent les précipices, un faux pas ne déplairait point à certains spectateurs. Les aventuriers poursuivent leur chemin. Les voilà haut — les voilà loin, ce ne sont plus que des petits points noirs. Comme ils sont petits ! dit la foule. Ce sont des géants. Ils vont. La route est âpre. L’escarpement se défend. À chaque pas un mur, à chaque pas un piège. À mesure qu’on s’élève le froid augmente. Il faut se faire son escalier, couper la glace et marcher dessus, se tailler des degrés dans la haine. Toutes les tempêtes font rage. Cependant ces insensés cheminent. L’air n’est plus respirable. Le. gouffre se multiplie autour d’eux. Quelques-uns tombent. C’est bien fait. D’autres s’arrêtent et redescendent, il y a de sombres lassitudes. Les intrépides continuent, les prédestinés persistent. La pente redoutable croule sous eux et tâche de les entraîner. La gloire est traître. Ils sont regardés par les aigles, tâtés par les éclairs, l’ouragan est furieux. N’importe ils s’obstinent. Ils montent. Celui qui arrive au sommet est ton égal, Homère.

Et jetaientLes pensées !
Ô leurs essors fougueux, leurs flammes dispersées,
Leur rouge acharnement ou leur accord vermeil !
Comme là-haut les étoiles criblaient la nue,
Elles se constellaient sur la plaine inconnue ;
Elles roulaient dans l’espace, telles des feux,
Gravissaient la montagne, illuminaient le fleuve
Et jetaient leur parure universelle et neuve
De mer en mer, sur les pays silencieux

Mais pour qu’enfin s’établit l’harmonie
Au sein de leurs tumultes d’or
Comme là-haut toujours, comme là-haut encore,
Mais pourPareils
Mais pourÀ des soleils
Mais pourApparurent et s’exaltèrent,
Mais pourParmi les races de la terre,
Mais pourLes génies.[1]

Voici la liste des grands hommes
d’après le Calendrier Positiviste d’Auguste Comte.


HISTOIRE ANCIENNE.

Théocratie. — Moïse, Numa, Bouddha, Confucius, Mahomet.

Poésie ancienne. — Homère, Eschyle, Phidias, Aristophane, Virgile.

Philosophie ancienne. — Aristote, Thalès, Pythagoras, Socrate, Platon.

Science ancienne. — Archimède, Hippocrate, Apollonius, Hipparque, Pline l’Ancien.

Civilisation militaire. — César, Thémistocle, Alexandre, Scipion, Trajean.

HISTOIRE DU MOYEN AGE.

Catholicisme. — St Paul, St Augustin, Hildebrand, St Bernard, St Thomas d’Acquin.

Féodalité. — Charlemagne, Alfred, Godefroid de Bouillon, Innocent III, St Louis.

HISTOIRE MODERNE.

Épopée moderne. — Dante, Arioste, Raphaël, le Tasse, Milton.

Industrie moderne. — Gutenberg, Colomb, Vaucanson, Watt, Montgolfier.

Drame moderne. — Shakespeare, Calderon, Corneille, Molière, Mozart.

Philosophie moderne. — Descartes, Lord Bacon, Leibnitz, Balmès.

Politique moderne. — Frédéric II, Louis XI, Guillaume le Taciturne, Richelieu, Cromwell.

Science moderne. — Galilée, Newton, Lavoisier, Gall, Bichat.

LES SEXES. — LA FEMME.


Il y a deux sexes chez les humains, comme chez la plupart des êtres animés. Le double sexe, l’hermaphroditisme est un accident, une anomalie tératologique.

Pourquoi ? La dualité des sexes, malgré sa généralité, demeure un mystère, alors que chez certains êtres la nature a créé d’autres types de structures pour propager et continuer la vie.

L’existence des deux sexes a des conséquences immenses sur toute la vie de l’homme et sur celle de la société tout entière. L’inclination de l’homme pour la femme et réciproquement, basé sur l’instinct de la reproduction et sublimé en affection et amour, est un facteur capital ; on le trouve à la base de l’explication des faits sociaux.

Les hommes et les femmes sont en nombre sensiblement égal (les femmes l’emportent d’un peu). Au cours de l’histoire on a vu se réaliser les régimes où dominait l’un ou l’autre sexe, le patriarcat, le matriarcat, aujourd’hui l’égalité des sexes.

L’étude anthropologique a été poussée fort loin. Voici par exemple les quantités féminines exprimées en centièmes des masculines et qui montrent que, d’une façon générale, la femme est à l’homme, au point de vue physique, comme 80 à 100.

Taille et poids du corps 88.5 à 94 (rapporté à 100).
Poids de l’encéphale 90 (Broca et divers).
Poids du squelette (fémur) 62.5 (Manouvrier).
CO2 exhalé en 24 heures 64.5 (Andral et Gavarret, 1843).
Capacité vitale (18 ans) au spiromètre 72.5 (Pagliani, 1876).
Force de pression au dynamomètre (main) 57.1 (Manouvrier-Joteiko).
Force de traction au dynamomètre (mettant en jeu les muscles du dos) 52.6 (Quetelet 1869).

Appréciant le fait d’ensemble, les féministes déclarent : « La femme n’est pas inférieure à l’homme, elle ne lui est pas supérieure. Elle est autre. Et parce qu’elle est autre, il faut la juger autrement. Il faut aussi qu’elle-même dirige ses efforts, ses ambitions, ses espérances, vers le domaine où l’homme n’a rien à faire. »[2]

Léon Daudet compare le regard de certaines femmes à un phare à feux tournants qui, à chaque tour, exprime un nouvel aspect de la sensibilité, de la sentimentalité, de la sensualité féminine.

LES ÂGES DE L’HOMME.
LES JEUNES ET LES ANCIENS.


Le temps intervient pour modifier chaque être humain et par sa durée y réalise des conditions diverses : c’est l’âge, enfance, jeunesse, maturité, vieillesse. Connaître les conditions des âges a individuellement et socialement une grande importance. Les forces gaspillées de ce chef sont énormes et il y a comme plusieurs sociétés en une.

L’Enfance. — L’enfance est la période de temps qui s’écoule depuis la naissance de l’individu jusqu’au moment où il entre dans l’adolescence, c’est-à-dire vers l’âge de dix ou douze ans. Il y a plusieurs moments dans l’enfance. Au point de vue physique, la dentition est capitale. Au point de vue psychique, la période sensorielle, la période de révolte qui correspond à la puberté, la période de raisonnement. Premier développement des sens, conscience, attention, association des idées, instinct éducatif, logique enfantine avec ses ments et raisonnements, la manière dont l’enfant apprend à parler, dont il joue, dont avec d’autres il constitue sa petite société, dont il est susceptible de recevoir instruction, éducation, formation.

« Chaque âge de la vie, dit Goethe, a sa philosophie. L’enfant est réaliste : il est aussi persuadé de l’existence des pommes et des poires que de la sienne propre. L’adolescent est idéaliste. L’homme fait est sceptique et rationaliste. Mais le vieillard professera toujours le mysticisme. »

L’observation scientifique est intervenue là où il n’y avait eu longtemps que les données traditionnelles des mères. L’instituteur et le médecin ont introduit les notions que le physiologiste et le psychologue ont définies.

L’évolution morphologique chez l’enfant n’est pas continue, elle se fait par à-coups, par poussée croissante. L’intelligence suit un même processus. Les crises de l’intelligence sont les analogues des crises de l’organisme.

Le système nerveux des enfants de 6 à 8 ans manque de régularité, d’équilibre, de fixité. Il faut un entraînement spécial, sans interpénétration de matières importantes.

Dans l’enseignement musical, par exemple, les petits enfants ne peuvent être traités quant à la mesure et aux temps comme les adultes.

L’enfant est un être singulièrement impressionnable. L’étude de sa sensibilité commence seulement à être conduite systématiquement. On a constaté le trouble qu’y ont jeté le spectacle et les épreuves de la guerre.

La Jeunesse. — C’est l’âge des jeunes gens, époque de la vie intermédiaire entre l’enfance et l’âge mur. Jusqu’où va-t-elle ? Cela dépend des temps, cela dépend de l’appréciation au point de vue physique et intellectuel.

Physiquement la jeunesse va jusqu’au moment où la croissance et le développement sont possibles. Pour Hippocrate et pour Aristote déjà qui fixaient à 70 ans la durée moyenne de la vie, l’âge de 35 ans était l’extrême limite de la jeunesse. De nos jours, les vices et l’hérédité ont rendu bien des vieillesses prématurées ; elle varie aussi avec les races. À l’âge de l’adolescence, le corps est doué dans tous ses tissus d’une certaine force ou excitabilité vitale. L’appétit est plus grand, la respiration plus active, un sang brillant et riche porte la chaleur et l’énergie jusqu’aux extrémités les plus éloignées ; la digestion est aisée, le sommeil profond. La surabondance de vie qui règne dans tout l’organisme se porte principalement vers les fonctions de la reproduction et suscite les désirs de l’amour.

Intellectuellement, la jeunesse n’est pas nécessairement attachée à un âge déterminé. Il est des hommes avancés dans la vie dont l’esprit a conservé toutes les caractéristiques de la jeunesse : ils ne se sentent pas vieillir. Il est par contre des êtres chez qui la précocité intellectuelle est grande. Il est des pianistes, des violoncellistes de six et de huit ans.

À 12 ans, Pascal, par ses seules lumières, avait reconstitué les trente-deux premières propositions de la géométrie ; à 16 ans, il avait composé un traité des coniques. Victor Hugo n’était âgé que de 15 ans lorsqu’il concourut pour un prix de poésie décerné par l’Académie française sur ce sujet enchanteur : « Du bonheur que procure l’étude dans toutes les situations de la vie ». À 8 ans, Gérard de Nerval s’attirait l’éloge de Goethe par sa traduction de Faust.

Socialement, la jeunesse porte en elle des germes qui se développeront plus tard. Toute génération nouvelle commence par rompre en action avec la génération précédente. Elle a un autre idéal que ses aînés, vit en une autre atmosphère, parle une autre langue. C’est pourquoi il y a des éléments communs à toute la jeunesse d’un temps et des différences. Suivant l’histoire de chaque pays la jeunesse peut n’avoir partout en même temps le même état d’esprit. Celui dans les pays vaincus par exemple n’est pas celui dans les pays vainqueurs.

Ainsi, en Allemagne, la jeunesse des universités a rêvé gloire, empire, césarisme, résurrection du passé. Elle a porté Hitler au pouvoir.

En France, M. Gonzague Truc a fait une enquête sur des jeunes gens d’après-guerre. Les réponses ont été assez disparates. « Les jeunes gens d’aujourd’hui sont des épicuriens, estime le poète Jean Dars ; ils se rangent en deux classes inégalement nombreuses. Les uns sont brutaux et scientifiques ; les autres intellectuels et raffinés. La guerre a beaucoup accru le nombre des premiers ; les seconds ne laissent pas d’avoir des puissances d’enthousiasme et d’action. »

M. R. Garni, la cheville ouvrière des Equipes sociales, décrit « une jeune génération qui regarde la vie en face et la prend au sérieux, qui a le culte de toutes les réalités : le métier, la terre, la petite et la grande patrie ; qui veut être documentée et instruite pour choisir les exemples et les idées dont elle fera les guides d’une action tenace et soutenue et qui, dans l’ordre religieux, poussa ce réalisme jusqu’à son application suprême : la pratique intégrale de la Foi ». Abel Lefranc constate que tout ce qui vit de l’esprit est relégué au second plan et que nous assistons à la chute des vieilles valeurs. Pour M. Doyen ceux qui ont 20 ans se départagent en deux groupes : les idéalistes qui ont été déçus par la guerre et qui se consolent par les joies de l’art et le réconfort de la religion ; et les autres, les réalistes qui courent aux plaisirs faciles et se promettent de gagner beaucoup d’argent pour les payer et les développer encore. Guy Grand, l’apologiste de la démocratie apporte son témoignage. Ni romantiques, ni romanesques, ni très dépravés, ni profondément curieux d’esprit, ni solidement cultivés, ni activement religieux ou patriotes, et nullement extrémistes, les jeunes gens d’aujourd’hui n’ont guère de projets qui débordent leur avenir personnel. Ils seront à celui qui les prendra. Mais on ne les prendra que par l’exemple, car les rhéteurs les dégoûtent. M. Tisserand fait remarquer que ce n’est pas seulement la jeunesse qu’il faut étudier, mais l’enfance, car l’homme devient toujours ce qu’il promettait d’être à treize ans.

La jeunesse, non sans raison, désire s’attacher à des œuvres nouvelles et ne point continuer les œuvres anciennes.


La Vieillesse. — La biologie nous enseigne que les animaux mammifères vivent de dix à vingt fois le temps qu’ils mettent à devenir adultes. L’homme devrait donc vivre plus de deux cents ans après quelques générations de physiologie rationnelle.

Pour Montaigne on était vieux à 50 ans, Daubenton fixait la vieillesse à 63 ans, Florian à 70 ans, les biologistes modernes à 60 ans. Ils font eux la distinction entre la vieillesse, fait du temps de la sénilité, fait de l’altération des tissus.

Dans sa « Bibliographie du calcul des variations », depuis les origines jusqu’à 1950, parue en 1916, Maurice Lecat a donné de curieux relevés statistiques. Il a cité 185 auteurs, en excluant les anonymes et les simples traductions ou commentaires. La moitié ont dépassé l’âge de 67 ans (c’est le cas des prêtres), le quart l’âge de 78 ans. Des 480 travaux numérotés, il y en a 183 en français, 165 en latin, 70 en allemand, 32 en anglais, 14 en italien, 8 en suédois, 4 en russe, 2 en portugais, 1 en néerlandais et 1 en grec.

Cette statistique dans l’espace est complétée par la suivante dans le temps.

Avant 1696, 75 ; pendant 1696-1699, 70 ; 1700-1729, 15 ; 1730-1749, 35 ; 1750-1799, 95 ; 1800-1824, 65 ; 1825-1850, 130.

Fait digne de remarque : l’absence d’écrits pendant les périodes 1701-1713, 1720-1727.

Quand parurent leurs grands travaux, voici l’âge de quelques grands savants ; Sadi Carnot, 28 ans ; Mayer, 25 ans ; Joule, 26 ans ; Helmholz, 25 ans.

Des études du Dr. A. d. Barker-Savage (New-York) qui ont porté sur 41 grands hommes de l’antiquité grecs et romains et sur 41 leaders américains de la Finance, il résulterait que l’âge moyen de la mort était de 55.7 ans chez les premiers et de 63.8 ans chez les seconds.

Le travail obstiné, la lutte continuelle, qui sont la caractéristique de notre époque de fièvre ne sont pas préjudiciables à la santé de l’homme : plus intense est la vie, plus longue est sa durée. La durée moyenne de la vie est probablement aujourd’hui de 50 ans, au XVIe siècle elle était de 19 ans seulement, au XVIIIe un peu supérieure à 30 ans.

La vieillesse, longtemps réservée à l’étude des philosophes et des littérateurs (le « de Senectute » de Cicéron), a fait, depuis Char, Ranzier, Lacassagne, Finot, Monin, l’objet d’études scientifiques. Elle se présente comme la suite d’une atrophie générale des tissus.

Il est donc inexact qu’en vieillissant les facultés subissent une baisse fatale. Les exemples du contraire abondent. Ainsi, Vanderbilt, le célèbre milliardaire, ajouta 2 millions de livres sterling à sa fortune à l’âge de 80 ans. M. Thiers avait 73 ans quand il devint président de la République. Walter Scott, qui à 55 ans, possédait, si on ose dire, 100,000 livres sterling de dettes, parvint à les acquitter avant sa mort en écrivant la plupart des romans qui l’ont rendu célèbre. Et que dire d’Edison et de Branly !…

Le patriarche Mathusalem aurait vécu longtemps. Tous les anachorètes vécurent très vieux. Le plus fameux d’entre tous, saint Antoine, mourut à 104 ans.

Les artistes et les écrivains ne regardent pas le travail comme un servage, mais comme la meilleure des joies. Ils ne prennent pas leur retraite à cinquante ans. Presque centenaire, Titien déplorait de s’en aller juste au moment, disait-il, où il commençait de pénétrer les secrets de son art. Champollion, frappé d’une attaque d’apoplexie, sentait venir la mort et s’écriait en portant la main au front : « C’est trop tôt, j’avais encore là tant de choses ! » Apponyi a écrit : « Je ne vois aucune diminution de la facilité de comprendre des idées, de recevoir de nouvelles, de les approfondir, de les développer par le raisonnement et d’en trouver l’expression verbale. Je dirais donc que la clarté de la perception a augmenté et que les vues d’ensemble se sont élargies. Un travail prolongé de quelque nature qu’il soit ne produit en moi aucune fatigue : il a au contraire un effet vivifiant et réjouissant qui rejaillit sur le bien-être physique. Ceci s’applique surtout aux méditations d’ordre philosophique. »

L’harmonie que certains vieillards éprouvent avec l’évolution dont ils sont témoins et avec le changement qu’elle implique se trouvent dans l’anticipation mentale de cette évolution et de ce changement dès leur jeunesse et dès leur âge mûr. Puisqu’ils étaient mécontents de l’état de choses d’alors, les penchants ultra-conservateurs de la vieillesse ne trouvent pas à quoi se raccrocher dans leurs souvenirs.

« C’est d’une mélancolie irritante et troublante à la fois que le malentendu chronique persiste entre les hommes de cinquante ans et ceux de vingt-cinq. Les hommes de cinquante ans ne sont vieux que parce qu’ils l’ont bien voulu. Ils ont voulu vieillir. Leur cœur s’est raccorni au lieu de s’épanouir. » (Abel Lurkin.)

Dans tous les mouvements, la jeunesse se plaît à diminuer les idées des vieux. Et pourtant elle oublie que si la génération nouvelle peut avoir des horizons plus larges c’est qu’ils ne lui sont visibles que parce que les anciens ont pu placer solidement leurs pieds.

Durant les siècles antérieurs, l’homme demeurait confiné dans le rayon de ses expériences. Ce qui s’accomplissait durant le cours d’une année se répétait à peu de chose près l’année suivante. L’expérience était le privilège de l’âge et confinait à la sagesse ; les vieux en savaient plus que les jeunes, ils avaient vu plus de choses qu’eux et avaient par conséquent sur eux l’avantage. C’est l’âge qui a régné sur le monde jusqu’à ces dernières décades.

Autrefois, dans certaines civilisations, on tuait les vieillards, et c’était pour leur rendre service, pour leur éviter de grands maux. Aujourd’hui, nous avons organisé les pensions de retraite, les hospices, les maisons de vieillards. À défaut de prytanés, nos sénats et nos ministères, nos conseils d’administration, sont des institutions largement ouvertes aux anciens.

Voronoff a succédé à Médée, à Barbe-Bleue, à Cagliostro, à tous ceux qui ont voulu par quelque eau de Jouvence rajeunir le corps humain décrépi. Toutes les tentatives scientifiques de rajeunissement, de Brown Séquart à Voronoff, semblent cependant condamnées. « Que l’on considère la cellule isolée, synthèse colloïdale, ou l’organisme entier, chef-d’œuvre de coordination cellulaire, la vieillesse qui les atteint n’est que le stade naturel d’une progression que l’on ne peut refouler : tous les phénomènes biologiques sont irréversibles et le vieillard ne peut espérer rajeunir. (Mauriac.)


L’âge des Peuples. — Une question d’importance se pose : l’âge des peuples, des ensembles d’hommes n’est pas la même pour tous. Ainsi l’âge des Latins, des Anglo-Saxons, des Américains, des Russes. À plus forte raison, la différence d’âge entre les peuples dit civilisés et les peuples primitifs.

Levy-Bruhl ( La mentalité primitive : les fonctions mentales chez les peuples primitifs) s’exprime ainsi à cet égard :

« La mentalité primitive souvent indifférente à la contradiction est néanmoins capable de l’éviter dès que les besoins de l’action l’exigent. De même les primitifs qui ne prennent aucun intérêt apparent aux liaisons causales les plus évidentes, savent fort bien les utiliser pour se procurer ce qui est indispensable, par exemple de la nourriture, ou tel ou tel engin. »


DÉGÉNÉRESCENCE DE L’HOMME.


Notion. — La dégénérescence (ou dégénération) est propre à l’homme comme à tous les êtres vivants, plantes et animaux. C’est le passage d’un état donné dit naturel à un état inférieur. Chez les animaux, le climat, la nature, la domesticité produisent le changement, l’altération et par suite la dégénération. Celle-ci commence généralement par les femelles. Depuis le milieu du siècle dernier les philosophes, les sociologues, les savants ont constaté avec effroi la dégénérescence de l’espèce humaine.

En pathologie la dégénérescence est la transformation que certains tissus éprouvent ou semblent éprouver dans les maladies ; il y a souvent naissance de produits morbides bien caractérisés. Un tissu ou une humeur se transforme en un tissu ou humeur de nature différente.


Causes. — L’étude plus scientifique du crime, de la folie, de la misère, de l’abus de l’alcool, des excitants, a révélé les causes et le processus de la dégénérescence, ses caractères héréditaires.

Les causes de dégénérescence sont nombreuses :

a) Pathologiques. — b) Toxiques : poisons divers, tels que l’alcool, l’opium, le tabac et le chanvre ; alimentaires, tels que pellagres, ergotisme, misère ; professionnels, tels que mines, plomb, arsenic. — c) Géographiques et climatériques : non acclimatement ; altitude, malaria, goître, crétinisme, froid, chaleur. — d) Sociologiques : division du travail : excès cérébraux, professions portant à la dégénérescence ; croisements ethniques ; sélection militaire ; agglomération urbaine ; stérilité ethnique.


L’AVENIR DE L’HOMME. LE SURHOMME.


L’homme apparemment ne restera pas toujours ce qu’il est. S’il s’est perfectionné au cours des âges, il le pourra encore. Au dire des Ecritures et des traditions, il aurait connu un état meilleur, celui de l’ordre surnaturel ou l’âge d’or. Il aurait été racheté ensuite. Pourquoi la race humaine ne pourrait-elle être entraînée dans d’autres « aventures » ? Ceci donne lieu aux remarques suivantes :

1° L’homme, roi de la création par l’intelligence, est physiquement mal partagé. Il faut qu’il s’ajoute toutes les facultés qui lui manquent, mais il ne doit pas posséder d’appendice gênant. Avec la pensée et la main, cet admirable outil, il faut qu’il trouve hors de lui toutes ces puissances. (Théophile Gautier.) L’évolution de l’homme paraît s’être faite à partir d’un certain moment, non point en son corps (somatique), mais par l’outil et le livre, la main-outil et le cerveau-livre.

2o Si l’on part des êtres les plus simples, on s’aperçoit que les fonctions représentent toujours le premier fait constatable et que les différenciations d’organes apparaissent postérieurement. L’homme est susceptible d’acquérir de nouveaux organes appropriés aux fonctions nouvelles qu’il a acquises.

3o L’espèce humaine pourrait n’être qu’une espèce simplement de transition. Les plus hauts acquis devraient servir à passer à l’autre race. Et cette race-ci alors serait sacrifiée, comme le fut au temps préhistorique celle des « Précurseurs », des hommes du Neanderthal. D’autres mutations sont possibles, d’autres métamorphoses.

4o Les Théosophes considèrent les sept plans dans la nature : physique, mental, astral, boudhique, nirvanique, paranirvanique, mahaparanirvanique. Ce sont des états toujours plus divisés, plus spiritualisés, du même être qui au premier degré est un solide, puis liquide, gazeux, étherique, etc. La conscience s’étend à tous ces plans de la nature. Au-dessus est l’absolu (le Suprême, l’Infini) dont on ne sait rien, sinon qu’il existe : son œuvre est le Logos solaire, triple dans sa manifestation au sens du Credo d’Athanase (un Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité), sans jamais confondre les personnes ni séparer la substance, sans confondre l’œuvre et les fonctions de trois manifestations distinctes, chacune sur son propre plan.

5o Il y a la participation de l’homme à une intelligence universelle. Maeterlinck l’expose ainsi :

« Il n’y a pas d’êtres plus ou moins intelligents, mais une intelligence éparse, générale, une sorte de fluide universel qui pénètre diversement selon qu’ils sont bons ou mauvais conducteurs de l’esprit, les organismes qu’il rencontre. L’homme serait jusqu’ici sur cette terre, le mode de vie qui offrirait la moindre résistance à ce fluide que les religions appelèrent divin. Est-il vraisemblable quand nous trouvons éparse dans la vie une telle somme d’intelligence que cette vie ne fasse pas œuvre d’intelligence, c’est-à-dire ne poursuive pas une fin de bonheur, de perfection, de victoire sur ce que nous appelons le mal, la mort, les ténèbres, le néant, qui n’est probablement que l’ombre de sa face, de son propre sommeil. »[3]

6o D’autre part, les vues sur la spiritualisation de la matière, en pénétrant aujourd’hui dans les sciences, ouvrent de larges perspectives à l’évolution humaine dirigée.

« Les électrons eux-mêmes, écrit Veronet, nous apparaissent comme des agrégats de super électrons encore plus impondérables et moins matériels que les premiers. À la limite il nous semble que le pondérable et l’impondérable se fondent en une même réalité, que la matière et l’esprit même, qui nous paraissent à première vue comme deux pôles divergents et opposés, ne sont au fond que deux faces différentes de la même et unique Réalité. »

7o Il arrive un point, un moment, un lieu où l’homme n’est plus une personnalité, mais le support de ce qui n’est pas lui. Au point de vue physique, c’est un agent, mécanisme producteur et consommateur, une unité statistique d’un grand système qui fonctionne autonomement et quasi par lui-même. Au point de vue mental, c’est un idéophore.

L’idée qui doit déterminer en lui connaissance, sentiment et volonté, c’est du dehors qu’elle paraît en lui toute faite et mécanisme mental maintenant, comme tout à l’heure mécanisme physique, l’idée va agir en lui et par lui sur le corps matériel et psychologique de la société.

8o De toute manière se posent en problèmes les aspects supérieurs de la vie : les méthodes pour traiter des faits et des idées ; l’intelligence perfectible par l’éducation ; l’intuition ; le subconscient ; l’élaboration rationnelle et universelle de l’idéal par la mise en œuvre du génie créateur.

« La nature, a dit Condorcet, n’a mis aucun terme à nos espérances. » Et Taine a ajouté : « Plus on demande à la nature humaine, plus elle donne ; ses facultés s’exaltent à l’œuvre et l’on n’aperçoit plus de limites à sa puissance. »

S’exprimant sur le surhumain, Nietzsche (ainsi parlait Zarathoustra) a écrit :

« J’aime celui qui travaille et invente pour bâtir une demeure au surhumain, pour préparer à sa venue la terre, les bêtes et les plantes…

» En vérité, Zarathoustra avait un but, il a lancé sa balle : maintenant, ô mes frères, vous héritez de mon but, c’est à vous que je lance la balle dorée…

Ce ne sera peut-être pas vous-mêmes, mes frères ! Mais vous pourriez vous transformer en pères et en ancêtres du surhumain : que ceci soit votre meilleure création. »



  1. Émile Verhaeren. Le Monde. Les multiples splendeurs, p. 14.
  2. Marguerite van de Wiele, P. J. Stahl : L’esprit des femmes et les femmes d’esprit. Voir aussi la thèse opposée développée en 1913 par M. Starr, professeur à l’Université de Chicago.
  3. Maeterlinck, L’Intelligence des fleurs, p. 105 et 107.