Modèles de lettres sur différents sujets/Lettres d’excuses

Chez Pierre Bruyset Ponthus (p. 325-338).

LETTRES
D’EXCUSES.



INSTRUCTION.



J’Ai lu cette pensée dans une Lettre de Pope : « Quand un homme dit le lendemain qu’il s’est trompé la veille, c’est comme s’il disoit : Je suis plus sage aujourd’hui qu’hier. » Cette réflexion bien méditée devroit rendre les excuses plus faciles : mais elles coûteront toujours à faire ; moins encore parce qu’elles humilient notre orgueil, que parce qu’elles nous obligent en quelque sorte à rendre hommage à celui des autres.

On aime mieux justifier ses torts que d’en convenir. Cela flatte davantage l’amour propre, qui ne cede jamais que ce qu’il ne peut pas absolument refuser. C’est aux circonstances à déterminer la maniere dont il convient de faire ses excuses ; mais, de quelque façon qu’on s’y prenne, le dépit, la contrainte ne doivent jamais se laisser entrevoir. La plupart des femmes sont cette faute. Les hommes ne cessent de leur repéter qu’elles sont faites pour avoir toujours raison ; elles n’aiment pas à avouer que quelquefois elles ont tort.

Par le peu que je viens de dire, il est aisé de voir quel doit être le ton d’une lettre d’excuses. Il faut y paroître touché d’avoir pu déplaire, disposé & empressé à réparer le passé ; modéré dans tout ce que l’on dit, facile dans la maniere de s’exprimer, enjoué même, pourvu qu’on ne se montre ni suffisant ni railleur ; sans quoi, ce seroit, pour user d’une expression populaire mais énergique, ce seroit jetter de l’huile sur le feu.

Je répéterai ici une observation déjà faite par le P. Bouhours, dans ses Remarques sur la Langue Françoise ; c’est qu’on ne doit pas dire demander excuse, mais, faire excuse à quelqu’un. Il ajoûte que cela vient de ce qu’on ne peut pas répondre : je vous accorde excuse, mais, je reçois vos excuses. Je n’aime du tout point cette raison : sur ce principe, un étranger pourroit conclure aussi qu’il faut dire : je vous donne mes excuses. En fait de Langues soumises à l’usage & au caprice, il est dangereux de raisonner par des analogies : elles vous conduisent à l’erreur par les apparences du vrai.


MODELES
DE LETTRES
D’EXCUSES.



LETTRE de Bayle à la Reine Christine.


Madame,

J’ai appris que dans mon Journal il y avoit eu un article qui avoit déplu à V. M. Comme j’étois très-innocent du blâme dont on prétendoit me couvrir, je fus aussi-tôt surpris qu’accablé de douleur, quand je vis qu’on interprétoit mal mes véritables & droites intentions. Je n’ai jamais pensé ni écrit rien qui pût blesser ni ternir la réputation éclatante que V. M. s’est acquise. Tout au contraire, depuis que je pense & que j’écris, j’ai vu, lu & répété, à l’exemple de tous les Savants, tout ce que les Lettres ont publié à la louange de V. M. & je sais par cœur la plupart des éloges & les plus beaux endroits qui regardent & qui célébrent les vertus & les qualités éminentes dont il a plu à Dieu de douer V. M. pour la gloire des Lettres & des Savants. Ma douleur fut donc très-vive quand je sus que des personnes que vos bienfaits ont attachées à votre service, me jugeoient coupable envers vous, Madame. J’ai travaillé à ma justification, & j’apprends qu’à peu de chose près, V. M. s’est déclarée pour mon apologie, &c.



LETTRE de Mme . la Comtesse du Plessis
à M. de Bussy.
Paris, ce 16 Avril 1672.


Je suis fort paresseuse quand il n’est question que de faire compliment à des amis, ou de les assurer que je les aime toujours. Je crois qu’ils ne doivent pas douter du dernier ; & pour l’autre, il me semble qu’il n’importe guere à celui qui l’écrit & à celui qui le reçoit. Voilà mes raisons, bonnes ou mauvaises ; je vous les mande comme je les pense. Il n’en est pas de même quand il est question du service de quelqu’un que j’aime autant que vous, & à qui je suis aussi proche. Mandez-moi à quoi je puis vous être utile, Monsieur, & vous verrez avec quelle vivacité je m’emploierai pour vous marquer ma tendresse.



LETTRE de Madame de la Fayette
à Mme. de Sevigné.
Paris, ce 30 Juin 1673.


bien, hé bien, ma Belle, qu’avez-vous à crier comme un aigle ? Je vous mande que vous attendiez à juger de moi quand vous serez ici ; qu’y a-t-il de si terrible à ces paroles ? Mes journées sont remplies. Il est vrai que Bayar est ici, & qu’il fait mes affaires ; mais quand il a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je ? encore faut-il lui parler. Quand j’ai couru, moi, & que je reviens, je trouve M. de la Rochefoucauld, que je n’ai point vu de tout le jour ; écrirai-je ? M. de la Rochefoucauld & Gourville sont ici ; écrirai-je ? Mais quand ils sont sortis ? ah ! quand ils sont sortis, il est onze heures, & je sors, moi. Je couche chez nos voisins à cause qu’on bâtit devant nos fenêtres. Mais l’après-dîner, j’ai mal à la tête ; mais le matin, j’y ai mal encore, & je prends des bouillons d’herbes qui m’enivrent. Vous êtes en Provence, ma Belle ; vos heures sont libres, & votre tête encore plus : le goût d’écrire vous dure encore pour tout le monde : il m’est passé pour tout le monde : & si j’avois un Amant qui voulût de mes Lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point notre amitié sur l’écriture ; je vous aimerai autant, en ne vous écrivant qu’une page en un mois, que vous, en m’en écrivant dix en huit jours.



LETTRE de Mme . de M*** au Comte de Bussy.
A Paris, ce 25 Septembre 1683.


Taisez-vous, taisez-vous ; car-je m’imagine que vous parlez mal de moi, que vous m’appeliez paresseuse, irréguliere, & peut-être pis ; c’est à-dire, ne me souciant pas de faire plaisir à mes amis. Pour vous faire voir le tort que vous avez de condamner les gens sans les entendre, je vais vous conter ma déplorable avanture. En passant sur le pont Notre-Dame, un bœuf cassa avec ses cornes la glace de mon carrosse du côté où j’étois, & un morceau tomba sur mon bras, qui me le coupa assez avant. J’en ai gardé le lit ; & quoiqu’il y ait quinze jours, je sens encore des douleurs. Après cela qu’avez-vous à dire ?



LETTRE de Rousseau à M. Boutet.
Bruxelles, 29 Juillet 1737.


Il est vrai, Monsieur, que je n’ai pas toujours été exact à répondre à M. votre fils ; mais la plupart des choses qu’il m’a demandées, n’étoient pas toujours de nature à faire la matiere d’une Lettre. Je me suis mal trouvé d’avoir écrit trop librement mes pensées à mes amis ; le papier perce, & il m’est revenu souvent de Paris des copies de mes Lettres qui m’ont occasionné bien des chagrins. Le manque de prévoyance dans les amis fait quelquefois le même effet que la mauvaise volonté. Je n’attribue qu’à la première raison les mauvais offices que m’a rendu un ami dont M. votre fils m’a procuré la connoissance, & avec qui je n’ai garde de le confondre. Mais quelque persuadé que je sois de sa discrétion, & quelque confiance que j’aie en lui, je n’oserai jamais lui promettre de lui écrire tout ce que je pourrois lui dire si nous étions face à face. J’espère de son indulgence qu’il voudra bien passer cette petite réserve à un homme qui ressemble au chat échaudé, sûr que je ne l’étendrai pas au delà des bornes permises à l’amitié, & charmé d’ailleurs d’entretenir un commerce de Lettres avec le fils d’un autre moi-même. Adieu, cher & parfait ami. Les paroles me manquent ; & plus je suis content de mon cœur, moins je le suis de ma plume.



LETTRE de M. Caraccioli.


Je vous boude & vous me boudez : cela s’appelle partie & revanche. Il ne s’agit plus que de jouer le tout. Mais sommes-nous raisonnables l’un & l’autre ? je n’en crois rien. Des amis se brouillent-ils pour des vétilles ? je ne le présume pas.

Je connois mon cœur ; je suis dans sa confidence ; il ne pourroit jamais consentir à ne plus vous aimer. Il m’a grondé comme un negre, parce que je balançai deux minutes si je vous écrirois. Il m’a mis lui-même la plume à la main ; & il me dicte ce que je vous marque.



FRAGMENTS
DE LETTRES
D’EXCUSES.

Lettre de Me. de Sevigné
au Comte de Bussy.

Faisons la paix, mon pauvre Comte. J’ai tort : je ne sais jamais faire autre chose que de l’avouer, &c.

Lettre de M. de Coulanges
à Me. de Simiane.

Vous ne manquez à rien, divine Pauline ; & j’ai bien des pardons à vous demander d’avoir soupçonné, comme j’ai fait, votre régularité. Je me garderai bien désormais de tomber dans la faute énorme que j’ai commise envers vous ; je ne veux point passer auprès de vous pour un petit bon homme épineux, & vous pouvez fort bien m’écrire à vos bons points & aisements, comme on dit, & quelquefois même ne me faire aucune réponse, sans que jamais je m’offense, &c.

Lettre de M. de Voltaire.

Je suis bien fâché, Monsieur, qu’un peu d’indisposition m’empêche de vous écrire de ma main. Je n’ai que la moitié du plaisir, en vous marquant ainsi combien je suis sensible à vos politesses, &c.

Lettre du même.

Ma main ne vous écrit point, parce que je suis dans mon lit ; mais mon cœur vous dit que je vous aimerai toute ma vie, autant que je vous admirerai, &c.

Lettre de Rousseau.

Une maladie de quinze jours, suivie d’un abattement extraordinaire, m’a empêché jusqu’ici de répondre à la Lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, &c.

Lettre de M. de Maucroix.

J’ai différé quelque temps à vous répondre, Monsieur ; c’est moins par négligence que par discrétion. Il ne faut pas sans cesse interrompre vos études ou votre repos.

Lettre du P. Bouhours.

Vous avez sujet de croire, Monsieur, que je suis mort. Je crois moi-même que je l’ai été ; & quand je songe que mon mal ne m’a pas permis d’avoir commerce avec vous, il me semble qu’il m’a empêché de vivre. Quoique je ne sois plus malade, grace aux eaux de Belesme & à l’air de la campagne, je ne suis pas encore bien ressuscité ; car ce n’est pas assez, pour vivre, que d’avoir de la santé, il faut avoir de la joie.