Modèles de lettres sur différents sujets/Lettres de reproches

Chez Pierre Bruyset Ponthus (p. 311-324).

LETTRES
DE REPROCHES.



INSTRUCTION.



LOrsque la hauteur d’un Grand à qui vous avez été utile, la froideur d’un ami, l’indiscrétion d’un confident, l’ingratitude d’un protégé, des soupçons, des rapports, & ce tas de petites choses que l’on connoît si bien sous le nom de tracasserie, lorsque tout cela, ou quelque chose de tout cela, amène le reproche sur vos levres, gardez-vous bien alors de n’écouter que les mouvements qui s’élevent dans votre cœur : ce seroit le moyen d’aliéner les esprits ; & il vous seroit plus facile de rappeller sur les hauteurs les eaux qui en sont descendues, que de regagner des cœurs une fois aigris par vos reproches.

Si vous ne cherchez qu’à sauver les apparences, il est une certaine maniere de se plaindre, qui, sous le masque de la politesse & des égards, pique encore davantage que le reproche le plus amer, par la raison qu’elle semble être l’expression de l’indifférence.

Au contraire, si votre intention est de ramener ceux qui sont les objets de votre ressentiment, que l’enjouement leur adoucisse vos plaintes, prévenez vous-même leurs excuses, insinuez-leur le moyen de se justifier, blâmez le procédé, & ménagez l’intention. Paroître sûr de la fidélité de son ami, c’est s’en assurer en effet[1]. De toutes les manieres de faire des reproches, celle-ci me paroît la plus conforme à cet esprit d’indulgence, de complaisance, d’égards, qui devroit tous nous animer, puisqu’il est le lien de la société.

Qu’on y fasse donc attention ; une Lettre de reproches ne sauroit être écrite avec trop de prudence. Ce n’est pas moi qui l’ai dit le premier, mais on ne sauroit le répéter trop souvent : Qui se donne le droit de tout dire, donne le droit de tout répondre.

Une Dame de condition, dont le fils avoit épousé une riche roturiere, reprochoit un jour à sa belle-fille d’avoir fermé à sa maison la porte de tous les Chapîtres de Noblesse : Ajoutez, Madame, reprit vivement celle-ci, ajoûtez aussi celle de l’Hôpital.


MODELES
DE LETTRES
DE REPROCHES.



LETTRE du Comte de Bussy
à Mme . la Marq. d’Humieres.
A Bussy, ce 6 Mars 1667.


Si j’en croyois aux apparences, Madame, je vous ferois des reproches de ne m’avoir point écrit depuis six mois que je suis parti de Paris. Mais vous êtes une trop bonne parente & amie, pour croire que vous ayez tort sur les devoirs de l’amitié & de la proximité. Ces réflexions, Madame, m’allarment sur votre santé : sans elle vous ne sentiriez pas vos prospérités ; & ce seroit grand dommage que vous ne fussiez pas heureuse de tous points.


LETTRE de Madame de Maintenon
à M. l’Abbé Gobelin.
Versailles, ce 30 Octobre 1667.


Jamais je ne souhaitai plus ardemment d’être hors d’ici. Plus je vais, plus je fais de vœux pour la retraite, & de pas qui m’en éloignent. Je vous en parle rarement, parce que vous dites tout à votre confident. Vous aimez la franchise, & je hais la dissimulation. Je vous conjure qu’il ne sache plus de mes nouvelles par vous. Aujourd’hui je ne l’intéresse point, & il a sur tout ce qui regarde la Cour, des vues, des sentiments, des connoissances qui ne ressemblent pas aux miens.



LETTRE du Comte de Bussy
au Comte de Colligny.
A Chaseu, ce 19 Septembre 1674.


Est-ce vous, mon cher cousin, qui passez à ma porte à l’entrée de la nuit, sans venir coucher chez moi ? Quoi ! mon parent, mon ami, qu’il y a dix ans qui ne m’a vu, me faire un tour comme celui-là ! allez, vous ne méritez pas les reproches que je vous fais, ils sont trop tendres, pour une pareille action. Quand vous n’auriez pas le plaisir que vous devriez avoir de me revoir, je vous aurois dit mille nouvelles sur lesquelles nous aurions fait mille réflexions. Nous nous serions montrés l’un à l’autre, la fermeté avec laquelle nous soutenons notre mauvaise fortune. Mais enfin, puisque tout cela vous est indifférent, je me contenterai de vous dire adieu.



LETTRE du Comte de Bussy à Mme. de M***.
A Bussy, ce 23 Décembre 1682.


Pourquoi ne me faites-vous point réponse, Madame ? car vous avez reçu la Lettre que je vous écrivis en arrivant ici. Je ne m’étendrai point en longs reproches ; peut-être n’en méritez-vous point. Si vous en méritez, j’aime mieux vous abandonner à vos remords, que de me plaindre. Sérieusement, Madame, mandez-moi ce qui vous a empêché de m’écrire. J’aimerois mieux que vous eussiez été un peu malade, que de croire que vous m’eussiez moins aimé.



LETTRE de Mlle. de Scudery au Comte de Bussy.
A Paris, ce 2 Mars 1691.


Ne vous vantez plus de connoître l’amitié, Monsieur : il y a six mois que je ne vous ai écrit, parce que je n’ai bougé du lit tout l’hyver ; & je n’ai pas eu la moindre marque de votre souvenir. Je vois bien que je pourrois être morte deux ou trois ans sans vous en inquiéter, si mon ombre ne vous alloit reprocher votre oubli. Prenez-y garde au moins, cela pourroit bien vous arriver ; car je crois que je saurai aimer au delà du tombeau.



LETTRE de M. l'Abbé de Chaulieu
à Madame la Duchesse ***.


Vous m’aviez paru faire si peu de cas de ma bonne santé, & vous en parliez même si souvent avec mépris, que je ne puis m’imaginer que ce soit un si grand crime auprès de vous que de l’avoir perdue. J’éprouve cependant tout le contraire. La goutte m’ôte toutes marques d’honneur de votre souvenir, de pitié, d’amitié, qui auroient fait toute ma consolation. Il y a quinze jours que je suis dans mon lit, sans que vous ayiez envoyé demander par un laquais au bedeau du Temple[2] s’il m’avoit enterré ou non. N’ai-je pas raison de me plaindre, & de vous faire quelques reproches de votre oubli & de votre indifférence ? Car en aimant, qui ne veut être aimé ?



LETTRE de M. de Voltaire
à M. de la Marre.
A Cirey, le 15 Mai 1736.


Je me flatte, mon cher Monsieur, que quand vous ferez imprimer quelqu’un de vos ouvrages, vous le ferez avec plus d’exactitude que vous n’en avez eu dans l’édition de Jules-César[3]. Permettez que mon amitié se plaigne que vous ayiez hazardé dans votre préface des choses sur lesquelles vous deviez auparavant me consulter… Si vous me l’aviez envoyée, je vous aurois prié de corriger ces bagatelles. Mais vos fautes sont si peu de chose en comparaison des miennes, que je ne songe qu’à ces dernieres. J’en ferois une fort grande de ne vous point aimer, & vous pouvez compter toujours sur moi.



LETTRE de Mme . la Duchesse du Maine à M. de la Motte,
qui refusoit de lui envoyer des Vers.


Oui, vous avez raison ; je me rends, & je ne vous demande plus de vers. Je vois que quand Apollon vous manque, vous n’avez plus de ressource. Que j’avois grand tort de vous proposer de vous adresser à quelqu’autre[4] ! Je ne vous ferai plus de menaces, puisque vous avez l’esprit assez bien fait pour prendre le tout en bonne part, jusqu’à la suppression de mes Lettres… Ainsi je finis tout court.



LETTRE de M.  Caraccioli.


Je ne vous tiens nullement compte de votre visite. Je ne vous ai vu que passer, & j’ai toute la peine du monde à me persuader que cette entrevue n’est pas un rêve. Quoi ! après trois ans de séparation, ne donner que trois heures à un ami ! J’en demande vengeance à l’amitié même ; & je suis bien assuré qu’elle vous condamnera.



FRAGMENTS
DE LETTRES
DE REPROCHES.

Lettre de M. de Coulanges à Mme. de Grignan,
Commandante en Provence.

Il y a mille ans que nous n’avons eu de vos nouvelles. A qui en avez-vous, ma chere Gouvernante ? Croyez-vous qu’elles nous soient indifférentes ? Non, en vérité, nous vous aimons tendrement, & tous les habitants de ce royal Château où vous êtes, &c.

Lettre de Rousseau.

Permettez-moi, mon cher ami, de vous faire un petit reproche. D’où vient que, m’écrivant un mois après la premiere représentation de ma Comédie ; bien informé de ses divines fortunes, que M. Desmarais, à qui vous aviez fait réponse, vous avoit mandées ; d’où vient, dis-je, mon ami, que vous m’écrivez d’un air mystérieux ces seules paroles : Je vous félicite du succès qu’a dû avoir le Capricieux ? En bonne foi est-ce avec moi qu’il faut prendre de ces politesses réservées & séches ? &c.

Lettre de M. de la Motte
à Mme. de Lambert.

A quoi pensez-vous, Madame, de me faire une si mauvaise querelle ? Vous me confondez avec des hérétiques que j’ai combattus cent fois en votre présence, & que je viens de dénoncer moi-même à la Princesse[5]. Quoi, Madame, je ne passerois aux femmes que l’imagination & les saillies, à l’exclusion du sérieux & des vues profondes ! A Dieu ne plaise, Madame ; vous y avez mis bon ordre ; & depuis que je vous ai vue ; car il faut parler quelquefois sérieusement ; vous m’auriez bien guéri de cette erreur, si j’en avois été capable. Choisissez donc mieux où placer vos vengeances, &c.

Lettre de M. de la Motte
à Me. la Duchesse du Maine.

Malgré tout cela, Madame, j’ai Moue à une plainte à faire. Si heureux qu’on puisse être, on n’a pas toutes ses aises dans ce monde. Vos Lettres sont trop courtes. Vous avez joué à merveille tous les sentiments ; il n’y a que leur babil que vous n’avez pas attrapé, &c.

Lettre du P. Bouhours.

Je vois bien, Monsieur, qu’il faut Pvous réveiller pour avoir de vos nouvelles. Si nous étions au printemps ou dans l’automne, je dirois que les plaisirs de la campagne vous occupent ; mais il me semble que, dans la saison où nous sommes, vous avez le temps de songer à vos amis, &c.

Lettre de M. de Bussy à Me. de Sevigné.

Avez-vous cru, ma chere Cousine, que M. d’Autun seroit plus aise du gain du procès de Mme . de Grignan, que moi, pour lui en avoir donné la nouvelle, & ne m’en avoir rien dit ? si vous l’avez cru, je vous assure que vous vous êtes trompée, &c.



  1. Fidelem si putaveris, facies. Sen. ep. 3.
  2. L’Abbé de Chaulieu demeuroit au Temple, qui appartient aux grands Prieurs de France : c’étoit autrefois la demeure des Templiers.
  3. Tragédie de M. de Voltaire.
  4. Madame la Duchesse du Maine, en rejetant les premières excuses de M. de la Motte, avoit commencé sa Lettre par ce vers : Consulte ton respect ; écris ce qu’il te dicte, &c.
  5. Me. la Duchesse du Maine.