Modèles de lettres sur différents sujets/Lettres à une personne qu’on vient de quitter

Chez Pierre Bruyset Ponthus (p. 339-349).

LETTRES
A UNE PERSONNE
QU’ON VIENT DE QUITTER.



INSTRUCTION.



IL est assez d’usage d’écrire aux personnes dont on vient de s’éloigner, soit pour les remercier des politesses qu’on en a reçues, soit pour leur témoigner le chagrin qu’on ressent de leur absence. Comme ces Lettres reviennent à celles de semercîments, dont j’ai déjà parlé, ou à celles de sentiment, dont je ne parlerai[1] pas, je me contente d’en rapporter quelques exemples.


MODELES
DE LETTRES
A UNE PERSONNE
QU’ON VIENT DE QUITTER.



LETTRE de Mme. la Duchesse du Maine
à Mme. la Marq. de Lambert.


Il s’est fait une terrible métamorphose en moi depuis votre absence, Madame. Je ne raisonne plus, je n’écris plus ; je crois même que je ne pense plus. C’est à présent que je puis dire avec vérité que je suis rentrée dans le néant. J’avois raison de craindre que la forme sous laquelle vous me faisiez paroître n’eût rien de réel. Mon pauvre esprit étoit comme ces cadavres qui paroissent des beautés admirables tant qu’un art magique les anime, & qui ne sont plus que des squelettes si-tôt que le charme est fini. Je suis précisément comme ces gens qui sortent d’un sommeil pendant lequel ils croyoient avoir des richesses en abondance, & qui sont au désespoir, à leur réveil, de se trouver aussi pauvres qu’auparavant. En vérité, Madame, il y auroit trop de cruauté à me laisser long-temps dans cette situation. Je ne pourrois m’en prendre qu’à vous de tous les dégoûts que m’attireroit le changement qui s’est fait en moi. Revenez donc, Madame, si vous ne voulez pas me causer toutes sortes de malheurs. Venez me faire reparoître telle qu’on me voyoit par la vertu de vos enchantements.


LETTRE de Monsieur de Voltaire
au Roi de Prusse.
A Rotterdam, 20 Janvier 1742.
Sire,

Je ressemble à présent aux pèlerins de la Meque, qui tournent leurs yeux vers cette ville après l’avoir quittée. Je tourne les miens vers votre Cour. Mon cœur pénétré des bontés de V. M. ne connoit que la douleur de ne pouvoir vivre auprès d’elle… Mon attachement est égal à mes regrets, & si d’autres devoirs m’entraînent, ils n’effaceront jamais de mon cœur les sentiments que je dois à ce Prince qui pense & qui parle en homme ; qui fuit cette fausse gravité, sous laquelle se cachent toujours la petitesse & l’ignorance ; qui se communique avec liberté, parce qu’il ne craint point d’être pénétré ; qui veut toujours s’instruire, & qui peut instruire les plus éclairés.

Je serai toute ma vie, avec le plus profond respect & la plus vive reconnoissance, &c.


LETTRE du Chevalier de Saint-Veran
à Mme. la Marquise De ***.
A Toulouse, ce 15 Novembre 1749.


Si notre voyage n’a pas été fort long, Madame, il a du moins été fort heureux ; quoique nous eussions dû verser vingt fois pour une, tant la tristesse qui s’étoit emparée de nos gens ainsi que de nous, les empêchoit de faire attention à quoi que ce fût. Le Chanoine, pour charmer sa douleur, dormit ou marmotta son bréviaire ; mon confrère, qui se dit poëte, & qui seroit le premier de tous s’il savoit l’art de rimer aussi-bien que vous savez l’art de plaire, vous prépara une élégie qu’il croit très-belle parce qu’elle est très-longue ; & moi je tins sans cesse la tête à la portiere, les yeux tournés vers un château plus magnifique que tous les palais des Fées, & où des hôtes plus aimables que toutes les Fées du monde nous avoient si bien accueillis. Cependant les chevaux avançoient, & nous voici arrivés fort bien portants & fort tristes. Il s’en faut beaucoup que nous trouvions ici les plaisirs que nous avons laissés à Cha***. Nous nous consolons un peu par l’espérance que vous voudrez bien tous souvenir quelquefois de nous, & nous vous souhaitons tout autant de joie que votre absence nous cause de chagrin.


LETTRE de Mme. la Marquise de ***,
à Mme. du Montier[2].


Ma chere Mere,

Quelque préparée que je fusse à notre réparation, je n’ai pas senti moins vivement votre éloignement. Qu’est-ce que le bonheur en cette vie ? peut-on se flatter de le fixer, quand il dépend de tout ce qui nous environne ? Qu’il est dangereux de se livrer aux satisfactions les plus innocentes ! la félicité dont j’ai joui pen dant votre court séjour ici, va répandre l’amertume sur tous les moments de ma vie. Je vous chercherai, je vous souhaiterai par-tout ; je ne vous trouverai nulle part. Que vos Lettres au moins adoucissent ma peine : multipliez-les, ma chere mere ; elles me deviennent plus nécessaires que jamais.


LETTRE de M. Caraccioli.


Ah ! mon cher ami, votre départ nous a fait oublier tout le plaisir que votre présence nous avoit procuré. Nous ne pensons plus qu’au chagrin que nous ressentons ; & voilà comme les douceurs de la vie sont toujours mêlées d’amertumes. Si vous m’aviez vu l’instant après que vous nous eûtes quitté, vous ne m’auriez pas soupçonné d’avoir jamais ri. Je sentois que la moitié de moi-même s’en alloit ; je n’existois plus qu’à demi ; & je ne voyois plus dans l’Univers que ma douleur. Je me serois volontiers écrié comme Nisus, lorsqu’il eut perdu son cher Euryale : Quâ te regione reliqui, quâ-ve sequar ?

Il est vrai que ce bois où nous nous dîmes adieu, ne ressembloit pas mal à la forêt où nos deux Troyens s’égarèrent ; tout m’y paroissoit affreux, quand vous m’eûtes échappé. J’essayois de m’en aller, & je retournois sur mes pas ; je m’efforçois de vous rappeller, & le chagrin étouffoit ma voix. Je revins néanmoins, mais en m’égarant dix fois, mais en ne sachant si je rêvois ou si j’étois éveillé.



FRAGMENTS
DE LETTRES
A une personne que l’on vient de quitter.

Lettre de Me. de Caylus à Mme. de Maintenon.

Je ne vous parlerai point, ma chere tante, de ce que je laissai derriere moi en m’avançant vers Paris. Mon cœur vous est connu, puisque vous l’avez formé : & pour peu que vous compreniez les charmes de votre conversation, vous comprenez mes regrets.

Lettre de Me. de Sevigné.

Quel jour, ma fille, que celui qui ouvre l’absence ! comment vous a-t-il paru ? pour moi je l’ai senti avec toute l’amertume & toute la douleur que j’avois imaginée, & que j’avois appréhendée depuis si long-temps. Quel moment que celui où nous nous séparames ! quel adieu ! quelle tristesse d’aller chacun de son côté, quand on se trouve si bien ensemble !

Lettre de M. de Voltaire
au Roi Stanislas.

Je me souviendrai toujours, Sire, avec la plus tendre & la plus respectueuse reconnoissance, des jours heureux que j’ai passés dans vos Palais ; je me souviendrai que vous daigniez faire le charme de la société, comme vous faisiez la félicité de vos peuples ; & que si c’étoit un bonheur de dépendre de vous, c’en étoit un plus grand de vous approcher.



  1. J’en ai dit la raison dans les Réflexions sur le Style Epistolaire.
  2. Ces Lettres de Mme. du Montier sont écrites avec élégance & avec chaleur. C’est une espèce de Roman moral qu’on lit avec intérêt. Il y a beaucoup à profiter pour une femme. Une fille ne doit pas les lire. Il s’y trouve des détails & des peintures qu’on ne sauroit trop éloigner d’une imagination à qui l’âge & les passions ne parlent déjà que trop haut.

    Ces Lettres sont de Mme le Prince de Beaumont, connue par plusieurs bons Ouvrages, entr’autres, le Magasin des Enfants, & le Magasin des Adolescentes.