Modèles de lettres sur différents sujets/Lettres d’affaires

Chez Pierre Bruyset Ponthus (p. 350-361).

LETTRES
D’AFFAIRES.



INSTRUCTION.



DIre ce qu’il faut, & ne dire que ce qu’il faut, c’est en quoi consiste tout le mérite d’une Lettre d’affaire. L’esprit, l’enjouement, la plaisanterie lui sont absolument interdits ; on ne s’amuse guere à tourner des phrases, quand on a la tête remplie de choses. Il n’y a que les réflexions que je ne voudrois pas tout-à-fait en exclure. Une réflexion peut naître du fond même des choses que l’on traite, & l’à propos excuse tout.

Ici l’on doit entrer en matière sans préambule, & passer d’un article à l’autre sans chercher de transition : ce seroit un défaut que de paroître s’occuper le moins du monde, de la maniere dont on doit s’exprimer. Je n’approuve cependant pas le jargon que se sont faits bien des négociants ; en réponse à la chere vôtre ; vous prions, vous mandons ; afin que ne fassiez faute &c. C’est à tous les genres que s’étend ce mot de Boileau :

Que dans tous vos écrits la langue révérée,
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.

Les affaires qui demandent beaucoup de secret, je ne conseille pas de les traiter par Lettres : il y a tant d’inconvénients à craindre ! Je sais que pour les prévenir on se sert quelquefois d’un chiffre dont on est convenu avec son correspondant ; mais, outre que la plupart de ces chiffres sont faciles à expliquer, l’usage que l’on en fait porte un air de mystere, toujours bien dangereux dans les négociations : le soupçon rend clairvoyant : une affaire soupçonnée est une affaire à moitié sue.

On pourroit ajouter beaucoup d’autres choses sur ce genre de Lettres : mais l’intérêt en dit à chacun sur ce sujet beaucoup plus que tout autre ne pourroit en dire, & d’une maniere bien plus persuasive.


MODELES
DE LETTRES
D’AFFAIRES.



LETTRE de Racine à Boileau.


Madame de Maintenon m’a dit ce matin que le Roi avoit réglé notre pension à quatre mille francs pour moi, & à deux mille francs pour vous. Cela s’entend sans y comprendre notre pension de gens de Lettres. Je l’ai fort remerciée pour vous & pour moi. Je viens aussi tout-à-l’heure de remercier le Roi. Il m’a paru qu’il avoit quelque peine qu’il y eût de la diminution ; mais je lui ai dit que nous étions trop contents. J’ai plus appuyé encore sur vous que sur moi, & j’ai dit au Roi que vous prendriez la liberté de lui écrire, pour le remercier, n’osant pas lui venir donner la peine d’élever sa voix[1] pour vous parler. J’ai dit en propres, paroles : Sire, il a plus d’esprit que jamais, plus de zele pour Votre Majesté, & plus d’envie pour travailler pour votre gloire, qu’il n’en a jamais eu. Vous voyez enfin que les choses ont été réglées comme vous l’avez souhaité vous-même. Je ne laisse pas d’avoir une vraie peine de ce qu’il semble que je gagne à cela plus que vous. Mais outre les dépenses & les fatigues des voyages, dont je suis assez aise que vous soyez délivré, je vous connois si noble & si plein d’amitié, que je suis assuré que vous souhaiteriez de bon cœur que je fusse encore mieux traité. Je serai très-content si vous l’êtes en effet. J’espère vous revoir bientôt. Je demeure ici pour voir de quelle maniere la chose doit tourner : car on ne m’a point encore dit si c’est par un brevet, ou si c’est à l’ordinaire sur la Cassette. Je suis entiérement à vous. Il n’y a rien de nouveau ici. On ne parle que du voyage, & tout le monde n’est occupée que de ses équipages. Je vous conseille d’écrire quatre lignes au Roi, & autant à Mme de Maintenon, qui assurément s’intéresse toujours avec beaucoup d’amitié à tout ce qui vous touche. Envoyez-moi vos Lettres par la poste, ou par votre Jardinier, comme vous le jugerez à propos.


LETTRE de Madame de Maintenon
à son frere.


J’ai montré au Roi ce que vous m’avez écrit sur son accident : il l’a reçu comme vous pouvez le désirer. Il quitte l’écharpe aujourd’hui, & est, grâces à Dieu, en parfaite santé.

Voici la réponse de M. Pelletier, qui vous renvoie votre Lettre, à cause du Monseigneur, qu’il ne veut recevoir de personne. Il montre une sagesse & une modération admirables : & tout le monde est ravi de le voir où il est : jamais choix n’a été plus approuvé. Nous verrons si la prospérité la gâtera.

M. Brunet me demanda hier s’il étoit possible que je consentisse que vous mangeassiez votre bien. Je lui répondis que je vous en avois prié. Réjouissez-vous, mon cher Frere, mais innocemment. Songeons à l’autre vie, & préparons-nous à y passer avec le plus de confiance que nous pourrons.


LETTRE de la même
à Mme. la Marquise de Villette.
A Fontainebleau, ce 21 Juin 1708.


Je vous prie, Madame, de donner vingt louis par extraordinaire à Mme. de Scuderi, & dix à Mme. de Conflans. Si vous ne savez pas où prendre celle-ci, Mme. de Caylus est en grand commerce avec elle. De la maniere dont on nous parla hier de Mme. de Pontchartrain, je la crois morte présentement. Vous savez mes sentiments là-dessus pour la personne qui la perd, & en particulier pour Mme. la Chanceliere ; acquittez-moi donc de tous mes devoirs. Tant que vous serez à Paris, vous devez me mander des nouvelles : nous aurions besoin qu’elles fussent divertissantes ; car je vous assure que nous mourons d’ennui.


LETTRE de Madame de la Fayette
à Mme. de Sevigné.
A Paris, ce 8 Octobre 1689.


Mon style sera laconique ; je n’ai point de tête ; j’ai eu la fievre ; j’ai chargé M. du Bois de vous le mander.

Votre affaire[2] est manquée & sans remede : l’on y a fait des merveilles de toute part ; je doute que M. de Chaulnes en personne l’eût pu faire. Le Roi n’a témoigné nulle répugnance pour M. de Sevigné ; mais il étoit engagé, il y a long-temps, & il l’a dit à tous ceux qui pensoient à la Députation. Il faut laisser nos espérances jusqu’aux Etats prochains. Ce n’est pas de quoi il est question présentement ; il est question, ma belle, qu’il ne faut point que vous passiez l’hyver en Bretagne, à quelque prix que ce soit : vous êtes vieille : les rochers sont pleins de bois ; les catarres & les fluxions vous accableront ; vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste & baissera ; tout cela est sûr : & les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout ce que je vous dis. Ne me parlez point d’argent ni de dettes ; je vous ferme la bouche sur tout. M. de Sevigné vous donne son équipage ; vous venez à Malicorne, vous y trouvez les chevaux & la caleche de M. de Chaulnes ; vous voilà à Paris ; vous allez descendre à l’hôtel de Chaulnes ; votre maison n’est pas prête, vous n’avez point de chevaux, c’est en attendant ; à votre loisir vous vous remettez chez vous. Venons au fait, vous payez une pension à M. de Sevigné ; vous avez ici un ménage ; mettez le tout ensemble, Cela fait de l’argent ; car votre louage de maison va toujours. Vous direz : Mais je dois, & je payerai avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille écus, donc vous payez ce qui vous presse ; qu’on vous les prête sans intérêt, & que vous les rembourserez petit à petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d’où ils viennent, ni de qui c’est : on ne vous le dira pas ; mais ce sont gens qui sont bien assurés qu’ils ne les perdront pas. Point de raisonnements là-dessus, point de paroles, ni de Lettres perdues ; il faut venir ; tout ce que vous m’écrirez, je ne le lirai seulement pas. En un mot, ma belle, il faut ou venir, ou renoncer à mon amitié, à celle de Mme. de Chaulnes, & à celle de Mme. de Lavardin : nous ne voulons point d’une amie qui veut vieillir & mourir par sa faute : il y a de la misere & de la pauvreté à votre conduite ; il faut venir dès qu’il fera beau.



  1. M. Boileau commençoit à devenir un peu sourd.
  2. Il s’agissoit de faire nommer le Marquis de Sevigné Député des Etats de Bretagne.