Modèles de lettres sur différents sujets/Épîtres dédicatoires

Chez Pierre Bruyset Ponthus (p. 408-421).

EPITRES
DÉDICATOIRES.



INSTRUCTION.



C’Est de tout temps qu’on a vu les talents rendre hommage à la vertu, au mérite, ou aux sentiments. Ils se sont dégradés quand ils l’ont offert à la naissance ou à la place toute seule ; & ç’a été le comble de l’infamie, quand on les a vu se prosterner aux pieds de l’opulence, qui mérite à peine des égards. A la tête d’un ouvrage qui ne doit jamais être que l’expression du vrai, l’école des mœurs, ou l’image de la Nature, on ne doit voir que des noms respectables qui aiment le vrai, respectent les mœurs, & honorent la Nature en servant l’humilité.

D’elle-même la louange est fade ; une épître dédicatoire doit donc être courte[1]. M. de Voltaire a trouvé le moyen de jetter de l’intérêt sur cette sorte d’ouvrage en y mêlant quelques anecdotes, quelques remarques utiles au progrès de l’Art. Il seroit à souhaiter que son exemple fût plus suivi. Cette méthode diminueroit le nombre des inutilités littéraires. Dans la plupart des livres, l’épître dédicatoire est la première chose qu’il faudrait mettre à l’errata.

Le style doit en être délicat. Il est dans la nature, qu’un éloge tourné finement flatte davantage, parce qu’il sert la vanité en ménageant l’amour propre. Il est bien de saisir les rapports avantageux qu’il peut y avoir entre le sujet que l’on traite & les qualités de la personne à qui on dédie son ouvrage : l’éloge paroît moins déplacé.

Les expressions doivent avoir un certain air de noblesse qui convient aux vrais talents. Un Ecrivain qui s’abaisse trop, déprime les Arts aux yeux de la multitude, qui ne réfléchit guere ; & ne releve pas son héros aux yeux de l’homme qui pense.


MODELES
D’ÉPITRES
DÉDICATOIRES.



ÉPITRE dédicatoire de M. Pascal
à la Reine Christine[2].


Je sais que Votre Majesté est aussi éclairée & savante, que puissante & magnanime. Voilà la raison qui m’a déterminé à m’adresser plutôt à V. M. qu’à tout autre Prince. J’ai une vénération bien plus grande pour les personnes d’un mérite sublime, que pour celles qui n’ont que des titres pompeux, un nom célèbre, des ayeux illustres, & une fortune brillante. Les premiers sont les vrais Souverains de la terre. Il me semble que le pouvoir des Rois sur leurs sujets n’est qu’une image imparfaite & grossiere du pouvoir de l’esprit fort sur les esprits foibles. Le droit de persuader & d’instruire est parmi les Philosophes, ce que le droit de commander est dans le gouvernement politique. Quelque puissant, quelque redoutable que soit un Monarque, tout manque à sa gloire s’il n’a pas l’esprit éminent. Un citoyen obscur, sans biens, qui fait de sa vertu tout son appui, est au dessus du conquérant du monde.

Régnez donc, incomparable Princesse, puisque votre génie est supérieur à votre rang. Régnez sur l’Univers ; il est votre domaine ; les Savants & les gens de bien sont vos sujets. Que les Souverains apprennent avec admiration que la fille de Gustave est l’amie des Savants & le modèle des Rois.


LETTRE de Madame de Maintenon
à Madame de Montespan[3].


Madame,

Voici le plus jeune des auteurs qui vient vous demander votre protection pour ses ouvrages. Il auroit bien voulu, pour les mettre au jour, attendre qu’il eût huit ans accomplis ; mais il a eu peur qu’on ne le soupçonnât d’ingratitude, s’il eût été plus de sept ans au monde sans vous donner des marques publiques de sa reconnoissance. En effet, Madame, il vous doit une bonne partie de tout ce qu’il est. Quoiqu’il ait eu une naissance assez heureuse, & qu’il y ait peu d’Auteurs que le Ciel ait regardés aussi favorablement que lui, il avoue que votre conversation a beaucoup aidé à perfectionner en sa personne ce que la nature avoit commencé. S’il pense avec quelque justesse, s’il s’exprime avec quelque grace, & s’il sait faire déjà un assez juste discernement des hommes, ce sont autant de qualités qu’il a tâché de vous dérober. Pour moi, Madame, qui connois ses plus secrettes pensées, je sais avec quelle admiration il vous écoute ; & je puis vous assurer avec vérité, qu’il vous étudie beaucoup plus volontiers que tous ses livres. Vous trouverez dans l’ouvrage que je vous présente, quelques traits assez beaux de l’histoire ancienne : mais il craint que dans la foule des événements merveilleux qui sont arrivés de nos jours, vous ne soyez guere touchée de tout ce qu’il pourra vous apprendre des siecles passés. Il craint cela avec d’autant plus de raison qu’il a éprouvé la même chose en lisant les livres. Il trouve quelquefois étrange que les hommes se soient faits une nécessité d’apprendre par cœur, des Auteurs qui nous disent des merveilles si fort au dessous de celles que nous voyons. Comment pourroit-il être frappé des victoires des Grecs & des Romains, & de tout ce que Florus & Justin lui racontent ? ses nourrices, dès le berceau, ont accoutumé ses oreilles à de plus grandes choses. On lui parle comme d’un prodige, d’une ville que les Grecs prirent en dix ans : il n’a que sept ans, & il a déjà vu chanter en France des Te Deum pour la prise de plus de cent Villes. Tout cela, Madame, le dégoûte un peu de l’antiquité. Il est fier naturellement : je vois bien qu’il se croit de bonne maison ; & avec quelque éloge qu’on lui parle d’Alexandre & de César, je ne sais s’il voudroit faire quelque comparaison avec les enfants de ces grands hommes. Je m’assure que vous ne désapprouverez pas en lui cette petite fierté, & que vous conviendrez qu’il ne se connoît pas mal en Héros ; mais vous avouerez aussi que je ne me connois pas mal à faire des présents ; & que, dans le dessein que j’avois de vous dédier un livre, je ne pouvois choisir un Auteur à qui vous prissiez plus d’intérêt qu’à celui-ci. Je suis, Madame, &c.


ÉPITRE dédicatoire de M. de Voltaire
à Son Altesse Royale, Madame.


Madame,

Si l’usage de dédier ses ouvrages à ceux qui en jugent le mieux, n’étoit pas établi, il commenceroit pour Votre Altesse Royale. La protection éclairée dont vous honorez les succès ou les efforts des Auteurs, met en droit ceux mêmes qui réussissent le moins, d’oser mettre sous votre nom des ouvrages qu’ils ne composent que dans le dessein de vous plaire. La liberté que je prends de vous offrir ces foibles essais[4] n’est autorisée que par mon zele, qui me tient lieu de mérite auprès de vous. Heureux, si, encouragé par vos bontés, je puis travailler long-temps pour Votre Altesse Royale, dont la conservation n’est pas moins précieuse à ceux qui cultivent les Beaux Arts, qu’à toute la France, dont elle est les délices & l’exemple.

Je suis avec un profond respect, &c.


ÉPITRE dédicatoire de M. de Marivaux
à Madame la Marquise de Prie.


on ne verra point ici ce tas d’éloges dont les Epîtres dédicatoires sont ordinairement chargées. A quoi servent-ils ? Le peu de cas que le Public en fait, devroit corriger ceux qui les donnent, & en dégoûter ceux qui les reçoivent. Je serois pourtant bien tenté de vous louer d’une chose, Madame c’est d’avoir véritablement craint que je ne vous louasse. Mais ce seul éloge que je vous donnerois, il est si distingué, qu’il auroit ici tout l’air d’un présent de flatteur, surtout s’adressant à une Dame de votre âge, à qui la Nature n’a rien épargné de tout ce qui peut inviter l’amour-propre à n’être point modeste. J’en reviens donc, Madame, au seul motif que j’ai en vous offrant ce petit ouvrage ; c’est de vous remercier du plaisir que vous y avez pris, ou plutôt de la vanité que vous m’avez donnée quand vous m’avez dit qu’il vous avoit plu. Vous dirai-je tout ? Je suis charmé d’apprendre à toutes les personnes de goût qu’il a votre suffrage : en vous disant cela, je vous proteste que je n’ai nul dessein de louer votre esprit ; c’est seulement vous avouer que je pense aux intérêts du mien. Je suis, &c.


ÉPITRE dédicatoire de M. de Chateaubrun
à Mgr. le Duc d’Orléans.


Monseigneur,

Vous m’avez permis avec bonté de vous présenter Philoctete[5]. Votre modestie sévere me gêne sur tout le reste. Tout éloge m’est interdit. Le Public a sur moi à cet égard, un avantage dont vous me privez. Il n’a pas besoin de votre aveu pour dire hautement que vous avez les qualités si rares qui font adorer les personnes de votre rang, la douceur, l’affabilité, la sensibilité pour les malheurs des hommes. Vous savez goûter le plaisir délicieux d’être aimé, & vous savez le mériter.

Je suis, avec le plus profond respect, &c.


ÉPITRE dédicatoire de M. J. J. Rousseau
à M. Duclos.


Souffrez, Monsieur, que votre nom soit à la tête de cet ouvrage[6], qui sans vous n’eût point vu le jour. Ce sera ma premiere & unique Dédicace. Puisse-t-elle vous faire autant d’honneur qu’à moi !

Je suis de tout mon cœur, &c.


ÉPITRE dédicatoire de M. Saurin à M. Helvetius.


Agréez, mon cher Helvetius, que je vous dédie cette foible production[7]. C’est un hommage que mon amitié rend à la vôtre. Je ne vous parle point de reconnoissance, mon cœur sent vivement tout ce qu’il vous doit. Mais nous nous aimons : tout est dit.



  1. Voici la Dédicace la plus courte & la plus belle que je connoisse :
    AU ROI D’ANGLETERRE,
    Jacques Abadie
    .

    Que de noblesse & que d’énergie dans ce peu de mots !

  2. Il lui dédioit son Ouvrage sur la Roulette.
  3. Cette épître dédicatoire, admirée & louée par le trop célèbre Bayle, fut mise par Madame de Maintenon à la tête de quelques traductions faites par son éleve le jeune Duc du Maine, fils de Louis XIV & de Madame de Montespan. Elles parurent en 1678, sous le titre d’œuvres diverses d’un Auteur de sept ans.
  4. Sa Tragédie d’Œdippe.
  5. Tragédie de M ; de Châteaubrun.
  6. Le Devin de Village.
  7. Spartacus, Tragédie.