Mirages (Renée de Brimont)/Au jardin du silence

MiragesEmile-Paul Frères (p. 85-86).

AU JARDIN DU SILENCE

Ah ! jardin fermé dont les lianes amoureuses
s’efforcent d’atteindre aux éphémères frémissants,
jardin, j’ai suivi tes lents dédales d’ombres creuses.
L’ouate du silence enveloppe et garde les choses,
la terre molle, l’eau des bassins, les lourdes roses…
Ah ! les lourdes roses pleines de torpeurs et d’encens !

Et des souffles chauds ont éventé mes cheveux sombres,
sombres comme l’aile des cygnes noirs perdus dans l’ombre,
et mon âme aussi s’est allongée avec mon corps,
et c’est ma langueur qui s’abandonne ou qui s’étire,
jardin, et j’ai voulu bannir les vieux accords
pour mieux discerner tes voix muettes et tes rires.

Et mes songes flottent… Je suis accablée et lucide
dans ce crépuscule, dans cette heure pesante et vide ;
et l’eau des bassins n’est plus qu’un miroir embué,
qu’un vague regard propice aux formes imprécises,
à ce visage peu à peu diminué
de l’heure mourante dans les plis de ses robes grises.

Ah ! jardin fermé, jardin qu’effleure du mystère,
mon âme pourtant, mon âme reste solitaire

parmi les fruits mûrs, les fruits détachés un à un…
Alors j’ai cueilli des roses qui venaient d’éclore,
je les respire, et puis je les respire encore…
Il me suffira d’avoir épuisé leur parfum !

Il me suffira d’être ce soir la passagère
dont les yeux nocturnes se sont reposés dans tes yeux,
jardin vespéral, jardin peuplé d’ombres légères !
Il me suffira, car ton charme est silencieux,
que des parfums m’aient enseigné cette magie
d’une volupté fiancée à ma nostalgie.