Éditions Prima (Collection gauloise ; no 63p. 37-40).
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Affalé sur les coussins, le maharajah de Kankiyanha-Plhu-Yanah-Angkor, regarde ses houris exécuter leurs danses les plus voluptueuses. Hélas ! depuis que, après avoir au grand théâtre, reçu un refus catégorique de Michette, il a fait enlever l’objet de sa flamme, il n’a pu arriver à… dévorer sa proie. Plusieurs fois déjà il a cru pouvoir… mais il a dû déchanter pour deux raisons : la résistance obstinée de Michette et la pénurie de ses propres moyens. En homme expérimenté, il estime que le plus grand obstacle gît en lui… ; pour le reste, un bon eunuque viendra à bout de la mauvaise volonté de Michette en immobilisant la victime pour le sacrifice. Le grand prêtre lui a préparé les mixtures les plus savantes, les boissons les plus aphrodisiaques et a fait pour la réussite de son maître deux jours de jeûne et de macérations. Le maharajah s’est imposé la lecture des livres les plus suggestifs tels que le Kama-Soutra, la Bible, la Garçonne, etc. Et maintenant, l’imagination excitée au plus haut point, il sent ses désirs se préciser… Les mouvements langoureux de ses danseuses versent leur passion dans le corps de l’impatient patient. Des frissons voluptueux le parcourent, la douce image de Michette se substitue à celles de ses danseuses pour ses yeux énamourés… C’est elle qu’il voit évoluer demi-nue devant lui… frappant en cadence les anneaux de ses chevilles, courbant et relevant son corps languissamment, frémissant tout à coup ou s’arrêtant, comme défaillant sous la caresse… C’est elle, elle, Michette, l’adorable dédaigneuse qu’il va enfin punir de son dédain… Le sortilège le prend de plus en plus, Michette est là, devant lui, il tend les bras, il l’étreint en pensée, il sent la chaleur, la douceur de son petit corps charmant… Un feu, longtemps oublié, coule dans les veines du vieux maharajah dont l’œil se ranime… Les houris tournent toujours dans la lumière voilée, dans l’air lourd de parfums.

… Soudain le maître quitte sa pose abandonnée, un sourire de victoire extatique éclaire son visage écarlate. Et le voici qui se lève, plaque tout son monde féminin qui s’arrête interdit et file vers l’endroit où niche la jeune Michette. Enfin ! Enfin ! Il a vaincu le premier obstacle, le plus terrible. Autour de la douce ennemie, maintenant… Il pénètre dans la chambre en criant de sa voix rauque et douce :

— Mah pouhlan Sukr… Jheumdohn… Aviainh ! Mais il s’arrête… Où est Michette… Il ouvre la porte qui donne sur le grand corridor et que voit-il ? Michette bavardant et riant, provocante, avec le chef de ses eunuques, Salim, qui a l’air prodigieusement intéressé et amusé par les propos et le manège de la petite femme. Ils ne l’ont pas entendu, aussi le vieux maharajah peut les observer et les écouter.

— Ah ! dit Michette, c’est si drôle de penser qu’avec toi il n’y a… pas moyen… et cependant de te voir si tendrement, attentionné…

— Hélas ! soupire l’eunuque, ça n’a rien de drôle, je vous assure…

— Oui… je voulais dire… enfin je ne voulais pas dire que ce fût drôle… Mais est-ce que… est-ce que… tu éprouves des désirs malgré ton… impossibilité de les satisfaire… ou bien est-ce que tous les phénomènes moraux de l’amour ont été abolis au moment… de… de l’opération ? interroge Michette curieuse et sensuelle… Ainsi, quand je m’approche de toi comme ceci, fait-elle en posant sa tête sur la poitrine de l’homme bronzé, les fleurs de ses lèvres presque offertes, que sens-tu ? Es-tu troublé ? regrettes-tu que ton corps ne puisse plus obéir ? Dis ?

Et câline elle se frôle comme une petite chatte au grand corps qui tressaille…

— Réponds ! exige-t-elle.

Mais l’homme regarde fixement le joli visage qui s’offre à lui, il semble lutter désespérément contre l’impulsion qui le pousse vers les délicieuses lèvres entr’ouvertes sur la nacre des dents, ses mâchoires se serrent, ses mains tremblent. Enfin il repousse presque violemment Michette.

— Pourquoi me torturer ainsi, reproche-t-il d’une voix altérée… vous voyez bien que je désire, que je vous désire, plutôt, car les autres femmes je m’en balance, et comment ! mais vous… vous voyez bien que je souffre, que je souffre terriblement… de… de ne plus… être… un homme… Et encore, vous attisez le feu… cruelle… vous décuplez mes regrets, sans pitié pour moi… !

L’ardeur des sens du maharajah est poussée à son extrême limite par cette scène… Il ne peut plus attendre… il lui faut Michette tout de suite… Michette… Michette… Michette…

Justement la voici qui revient vers ses appartements… Prestement le maharajah se dissimule sous la tenture qui masque la porte… La proie qu’il convoite est difficile, il ne faut pas l’effaroucher, il faut la prendre au piège presque…

La voix de Michette lui parvient :

— Pardon… dit-elle, pardon. J’ai été méchante… mais j’étais surtout curieuse… Pardonnez-moi… Et elle ajoute : Je vais faire une petite sieste… il fait si chaud dans ce patelin-là !

Elle pénètre dans sa chambre, elle enlève la robe légère et le peu de lingerie qui la couvre… La voici nue… Elle s’étend sur son lit de repos, forme blanche, svelte et palpitante sur les coussins sombres… Le vieux maharajah suffoque de désir… mais Michette semble vouloir s’endormir. Il attendra qu’elle soit assoupie et alors elle sera à lui… à lui… sans lutte… Ah… Il surveille avec adoration les paupières de Michette qui bientôt cligne des yeux et s’abîme dans le royaume des songes. Alors, le grand maître du Thurmet Çah sort doucement de sa cachette, laisse tomber la robe qui couvrait son affreuse nudité et les preuves de sa virilité si chèrement reconquises et, d’un bond savamment calculé, saute sur sa victime et l’immobilise dans la situation la plus propice à ses… desseins. Michette ouvre les yeux, comprend avec horreur ce qui se passe, ou plutôt ce qui va se passer… Elle veut se débattre, se défendre, se dégager… Impossible ! Elle est à la merci du vieux satyre… Elle sent avec horreur le contact de sa peau flétrie, de sa lèvre tremblante qui bave un peu… Non… non… ce n’est pas possible, l’affreuse chose n’aura pas lieu… Et cependant… si !! Michette succombe… Le vieux maharajah l’étreint de plus en plus étroitement… elle ne pourra bientôt plus dérober l’endroit secret et cher, le mystère de son être… Elle crie et maudit. Le maharajah pousse des rugissements de joie amoureuse. Mais soudain, au moment où il va enfin savourer sa victoire, un ouragan s’abat sur lui, sous la forme d’un coup de poing formidable asséné par un grand diable cuivré qui vient de pénétrer dans la pièce avec la rapidité de l’éclair. Le vieux satyre s’évanouit et du même coup Michette se trouve sauvée. Elle veut remercier le chef des eunuques, car c’est lui qui vient de faire ce beau travail, mais celui-ci ne lui en laisse pas le temps. Penché sur elle, il la supplie avec adoration :

— Michette… petite Michette vous avez fait un miracle… Voulez-vous que je vous prouve que je vous aime… Petite Michette jolie ?…

Mais déjà il tient dans ses bras la jeune femme qui râle de plaisir, et mêlant leurs admirables corps magnifiés par la volupté partagée, ils oublient le danger qui plane sur eux…