Éditions Prima (Collection gauloise ; no 63p. 17-22).
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v


Le grand paquebot Sakavi-And qui emporte de Marseille à Port Saïd la troupe du prince Yvan Boccoudoff, est amarré


Mais voici qu’une des femmes se met à se dévêtir (page 32).

à l’appontement de la douane, et en branle-bas de départ. On installe à l’avant de l’étrave le grand projecteur qui doit illuminer l’eau pour traverser le canal de Suez, traversée qui s’effectue en caravane, ce qui offre un spectacle des plus pittoresques et curieux. Les passagers regardent de tous leurs yeux tandis que l’équipage s’active sous l’impulsion des officiers. Michette est là, dans la foule, naturellement, curieuse de tout, mais surtout d’un petit lieutenant qu’elle a repéré et qui occupe ses pensées. Malheureusement pour elle malgré tous ses efforts, elle n’a pu encore enregistrer la plus petite victoire. Il semble ne pas la voir car il n’a d’yeux et de soins que pour Irma Frodytte qui, elle, de son côté ne jure que par son protégé, le Roumain Cémoa Quévla qui, lui… mais il est ambitieux…

Accoudée au bastingage, la petite Michette songe au moyen de rendre la chance favorable à son caprice ; elle rumine mille idées, élabore des plans qu’elle étudie avec l’expérience déjà grande qu’elle a pu acquérir dans l’armée de Cupidon, malgré son jeune âge, mais on sait que dans cette armée-là, la valeur perd plutôt à attendre le nombre des années… Tellement absorbée, elle ne s’aperçoit même pas que le bateau est maintenant engagé dans le canal et fait route vers Suez. Pour la centième fois, elle repasse dans sa tête les différentes façons de s’imposer à l’attention attendrie de l’objet de sa flamme. Lui envoyer une déclaration ? Ça le flatterait peut-être ; personne n’est tout à fait indifférent à cela, mais de là à le troubler… Non, ça doit lui arriver trop souvent. Il sourirait en lisant… et puis la lettre s’en irait au paradis des vieux papiers. Risquer une déclaration ? Ce serait jouer tout son jeu d’un coup, car s’il la prenait mal, la pauvre Michette serait grotesque et tout serait fini… Ah ! pourquoi, l’animal, est-il justement insensible aux habituelles stratégies de la belle petite gosse… Serait-elle devenue laide… tout d’un coup ! Si encore sa cabine n’était pas loin de la sienne, elle saurait bien s’arranger pour lui faire entrevoir un tas de choses délicieuses qui lui donneraient le goût et l’idée de mieux voir et d’observer de plus près ce qu’il semble aujourd’hui ignorer. Hélas ! la cabine est loin !

— Pourquoâ, vous, toujours partir quand je arrive ?

Michette sursaute. Jack, son Anglais du sleeping est à ses côtés, soupirant. Depuis qu’ils ont quitté Marseille, il la poursuit de son amour mélancolique et sensuel que le souvenir de cette unique nuit amoureuse attise passionnément. Ils se sont retrouvés ou plutôt il l’a retrouvée — car elle ne se souciait guère de sa conquête de l’avant-dernière nuit, toute chipée qu’elle était par son petit lieutenant — donc il l’a retrouvée dans la grande salle à manger du Sakavi-And, au moment où il allait attaquer son rosbif, et naturellement, dès que ses yeux eurent reconnu la passagère qui se sustentait à cinq ou six sièges en face de lui, la pudique rougeur anglaise était apparue sur son visage, tandis que ses paupières s’abaissaient. Ce fut tout. Mais dès lors, la jeune miss qui placée à ses côtés lui frôlait le genou avec insistance, tout en gardant un front d’innocence insoupçonnable et qui cherchait à ébaucher un flirt avec ce beau garçon, en fut absolument pour ses frais. Elle eût beau lui décocher ses plus « exciting » coups de coude, et lui faire comprendre qu’elle était prête à faire avec lui les choses « so horrid » que les filles d’Albion peuvent commettre avec leur flirt sans attenter à la respectability. Jack était sourd, aveugle. Car il n’avait de pensées et d’yeux que pour Michette, la jolie petite Michette qu’il voyait à quelques pas de lui, manger, sourire, bavarder, avec toute la grâce qu’il avait tant appréciée. Depuis ce moment il n’eût plus qu’une idée, la revoir, lui parler et renouer les douces relations… Oh ! so sweet ! du sleeping.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Oui, pourquoâ, vous, toujours abandonner quand je arrive ? répète Jack plaintivement.

— Tu me barbes, mon vieux… je te l’ai déjà dit ! s’écrie Michette, fâchée d’être dérangée de ses méditations.

— Oh ! souffle Jack qui a très bien compris…

— Pourquoâ maintenant, je barbe ?

— Quelle caboche ! Je t’ai déjà dit que je t’ai assez vu, tu m’entends ?! Ce n’est pas parce que je t’ai trouvé bien une nuit qu’il faut que ça continue… Tout de même ! Et Michette tourne le dos à son admirateur qui hésite une seconde, puis :

— Alors… Well… vôus avez un mauvais souvenir ? Vous pensez moâ un… stupid boy ?… Oh !… well… laissez-moâ faire la chose… encore… pour montrer vous, je suis…

— Non, non et non, interrompt Michette, tu as été tout à fait épatant, console-toi, mais c’est du passé… et c’est fini… Il n’y a pas que toi sur la terre, mon bonhomme…

— Pourquoâ… c’est fini ?… Pourquôa ?… répète obstinément le pauvre Jack…

— Pourquoâ… pourquoâ… mime Michette exaspérée, eh bien… parce que… j’en ai un autre… là…

Et, lancée, Michette décrit son petit lieutenant avec feu, et tant et si bien que Jack identifie son rival…

— Oh ! je connais… c’est un ami… constate-t-il. Oh ! je comprends…

Mais Michette lui a saisi le bras :

— Non, vrai ? tu le connais ? Oh ! présente-moi dis… tu seras un amour !

Et comme Jack ne répond pas, Michette insiste, aussi aimable et séduisante qu’elle était bourrue une minute avant. Elle se frôle contre le jeune homme, prend sa plus douce voix pour le persuader, lui murmurer des petits mots tendres.

— Mon petit Jack, si, il faut faire ça, si tu m’aimes comme tu dis… il faut me faire plaisir… Dis, tu me présenteras ? Tiens, viens dans ma cabine, nous allons parler de tout cela… et d’autres choses, ajoute-t-elle câline et prometteuse, viens…

Jack remettant à plus tard le souci des choses embêtantes, la suit, ébloui de joie par le brusque changement de Michette. Dans la cabine, Michette referme la porte.

— Sonne pour le champagne, ordonna-t-elle à Jack en s’étendant sur le divan, ce qui a pour effet de laisser apparaître les plus jolies cuisses rose-thé qui se puissent voir.

Les yeux du jeune homme brillent, mais il ne promet toujours rien… afin qu’on lui offre plus.

— Eh bien ! tu restes debout ? dit Michette, veux-tu venir vite t’installer ici près de moi… Là… Tu es mignon, sussure-t-elle au jeune homme qui a obéi avec empressement. Est-ce que tu sais toujours aussi bien embrasser. Fais voir ?

Et elle lui tend ses lèvres roses et aguichantes que Jack saisit enfin avec avidité… Il l’a tant désirée depuis huit jours, cette petite bouche… et tout ce corps menu qu’il sent frémir contre lui, délicieusement, il en a tant rêvé le long de ses nuits solitaires et sans sommeil… Il ne peut détacher ses lèvres des lèvres fraîches, un vertige le saisit, il ne sait plus rien qu’une chose ! il tient Michette dans ses bras, il l’embrasse, il sent son haleine chaude et parfumée et sa petite langue amoureuse… car Michette se prend au jeu qu’elle a commencé par intérêt… Jack a tant de feu… tant de passion… ce n’est plus le gentil gigolo du sleeping, un aimable caprice, mais un amant que huit jours de dédain ont bouleversé et qui comprend aujourd’hui le prix de la faveur qu’on lui fait.

Mais on apporte le champagne… le bouchon saute, les coupes se remplissent du beau vin doré plein de gaieté. Après deux coupes absorbées, Michette a presque totalement oublié son petit lieutenant. Cependant elle tient à sa victoire, par amour-propre, aussi elle répète avec obstination.

— Dis, mon petit Jack ? tu me présenteras demain ? Dis ? tu me présenteras ?

Jack fait la grimace, mais il ne peut oublier que sans ce désir de Michette il ne serait pas ici, dans cette cabine qu’il désespérait jusqu’à ce soir de jamais franchir…

— Alors ? Je suis pas… siouffisante ? demande-t-il les yeux voilés de tristesse en la serrant tendrement dans ses bras.

— Tu es un gosse délicieux, ronronne Michette ; et j’étais vraiment gourde de ne pas t’écouter et de te laisser coucher tout seul pendant que je me barbais ici… Je ne te connaissais pas comme je te connais maintenant…

Well, interrompit Jack, faut pas voir le lieutenant, ou je suis malheureux…

— Si, je veux le connaître ! crie la petite femme, tu peux bien m’aider à passer mon caprice, je suis assez gentille avec toi, je pense ! J’ai envie de lui, na…

— Et moâ ? après, c’est fini ? Oh ! je suis si en amour avec vous… my beloved… Je peux pas penser c’est fini…

Et Jack cache son désespoir en un endroit ombré du corps de son amie dont les effluves le grisent…

— Mais ça n’empêchera rien entre nous, proteste Michette, mon gosse chéri,… promets seulement que tu me le présenteras… promets ? prom… Mais la voix de la petite femme sombre…

Jack a-t-il promis ? a-t-il parlé ? Michette a-t-elle entendu ? Nous ne saurions l’affirmer, car les lèvres de Jack avaient bien d’autres choses à faire que de parler, et Michette… mais soyons discrets… la « respectability » et M. de la Margelle nous l’ordonnent… Aussi bien nos lecteurs et lectrices n’ignorent pas à quel genre d’occupation peuvent se livrer deux êtres jeunes, beaux, sains, enfermés loin des regards profanes… en un espace de 3 mètres sur 2 m. 50, meublé d’un lit moelleux… deux êtres beaux, jeunes, sains qui ont envoyé promener les quelques mètres d’étoffe que la civilisation pose sur leur magnifique nudité… en d’autres moments. Oui, c’est tout à fait cela… Oui… oui…