Flammarion (p. 12-16).


II


La passion de Miche pour Jean ne fit que croître chaque jour. Certes, elle se montrait affectueuse et reconnaissante envers les autres enfants, mais elle ne les idolâtrait pas comme elle idolâtrait « monsieur Jean ».

Elle éprouvait pour ce grand gas, si fort et si doux, une admiration mêlée de respect ; un respect familier et confiant, mais qui était quand même du respect.

« Monsieur Jean » lui apparaissait comme un être à part ; un peu moins que le bon Dieu — puisqu’on lui avait enseigné que, de celui-là, nul n’est l’égal — mais beaucoup plus qu’un homme.

« Monsieur Jean » savait tout, faisait tout. Il osait tout aussi, car c’était avec lui que la petite fille allait porter de gros bouquets sur la tombe de sa mère. Et elle devinait, avec une très profonde perspicacité, que si M. d’Érdéval apprenait quelque jour que ses plus belles roses s’en allaient fleurir le tombeau de la Florine, il attraperait vigoureusement son favori.

Très vite, Miche, fine, observatrice et réfléchie, avait compris le caractère du vieux marquis. Elle le savait très bon, très colère et très faible aussi.

Elle avait d’ailleurs su lui plaire. Il l’appelait volontiers, lui faisait porter des ordres aux communs et à la ferme, et l’utilisait avec bienveillance et plaisir. Et, quoique le départ de Jean eût été pour Miche un terrible déchirement, elle passa presque facilement, entre le marquis et la mère Orson, les dix mois qui la séparaient de son retour.

Lorsque, à l’automne suivant, les Erdéval revinrent à Saint-Blaise, Miche, encore grandie, devenait vraiment d’une surprenante beauté.

Longue, svelte, découplée, bien campée sur des jambes superbes et musclées, avec son fin visage d’une éblouissante fraîcheur, son profil pur, ses immenses yeux d’un bleu sombre, ses cils et ses sourcils bruns, ses cheveux marron qui se doraient au soleil, Miche semblait avoir douze ans. Sa vigueur était extrême et ses mouvements d’une souplesse infinie.

À l’arrivée de la voiture qui amenait les Erdéval, elle se dissimulait contre un des vases du perron. Jean l’aperçut et ouvrit les bras en disant :

— Eh bien, Miche ?…

D’un bond, la petite fut suspendue à son cou, sanglotant de joie, tremblante et heureuse. Jean demanda :

— Es-tu contente de me voir arriver ?…

Elle fit, devenue triste soudain, une réponse qui disait éloquemment l’habituelle tournure de son esprit :

— Vous repartirez dans deux mois, monsieur Jean !…

Jean se mit à rire et dit :

— Il ne faut pas penser à des choses tristes !…

Mais Miche déclara paisiblement :

— Moi, je n’pense qu’à ça !

Elle était gaie, pourtant, la petite Miche, et vivante, et remuante, mais silencieuse plutôt. Elle riait souvent, parlait peu, et réfléchissait beaucoup.

Les Sœurs — qu’aucune loi d’expulsion n’avait encore frappées et qui espéraient que le Parlement les oubliait — continuaient à instruire les enfants de France. Miche allait à l’école. Mais jamais elle ne savait une leçon, jamais elle ne faisait aucun devoir.

Son intelligence était endormie, disaient des Sœurs. Et puis, sans avoir précisément une difficulté de parole, elle bafouillait, hésitait, s’exprimait difficilement et mal. Savait-elle lire même ?… En vérité, la Supérieure croyait que non ! Quand on lui donnait un livre, elle avait l’air de s’y intéresser. Elle tournait les pages, mais sans se préoccuper de celle où était la leçon à apprendre. Lisait-elle ?… Si oui, pourquoi refusait-elle obstinément de lire haut ou même d’épeler un mot ?

Enfin, aux yeux des religieuses et de tous les gens de Saint-Blaise — la mère Orson exceptée — Miche était ce qu’on appelle dans les villages « une innocente », c’est-à-dire un peu moins qu’un idiote, mais beaucoup moins aussi que la petite fille la plus ordinaire.

Jean — et tous les Erdéval avec lui — protestait contre la réputation faite à la petite fille. Miche était, à son avis, très intelligente. Elle parlait peu et, quand elle parlait, c’était sans éloquence, mais ses yeux indiquaient une profondeur de pensée surprenante chez un enfant.

— Oui !… c’est vrai !… — disait le marquis à qui plaisir la petite fille — elle a des yeux infiniment profonds !.. mais ça ne signifie pas grand’chose… Le docteur Bouvier m’a dit que, souvent, le regard des idiots a de ces profondeurs-là.. il a vu, au Bon-Sauveur de Caen, des malades qui avaient des yeux comme Miche…

Un jour Jean, au cours d’une des promenades qu’il faisait avec la petite, rencontra sur la route de Saint-Blaise à Saint-Lô le docteur qui s’en venait à l’amble de son cheval blanc. C’était un médecin de campagne très vieux jeu, tout à fait rococo, mais non sans savoir. Plein d’humour et d’esprit, le docteur Bouvier avait une sorte de grâce bourrue, très prenante pour qui savait en goûter la saveur et en comprendre la bonté, mais qui lui faisait un lot d’ennemis parmi les imbéciles ou les vaniteux, qu’il se plaisait à tarabuster pour se tenir en haleine.

— Ah !… — dit-il en apercevant Miche — la voilà donc, cette petite paresseuse qui ne sait ni lire ni écrire à sept ans !…

Miche cligna un peu les paupières, voilant de ses cils l’éclat bleu de son regard et ne répondit pas.

— Elle est muette ! — fit en riant le docteur.

— Voyant que Miche riait silencieusement de toutes ses dents de petit chien, il ajouta :

— Tu as tort de rire, va !.. à force de faire la muette et la bête, tu pourrais bien devenir l’une ou l’autre… ou les deux !..

— Va devant, Miche ! — ordonna Jean — tu cueilleras un bouquet des gueules-de-loup jaunes et du bouillon-blanc que Simone aime tant ! Allons !… va !…

Et resté seul avec le docteur, il demanda : — Est-ce que, vous aussi, vous croyez que Miche est mal équilibrée ?… est-ce que vraiment vous la croyez bête ?…

— Certes non !… elle est même parfois très intelligente, la petite mâtine !… attendu qu’elle s’arrange de façon à ne rien fiche sans qu’il vienne au Sœurs l’idée de la punir ! Comment s’y prend-elle ?… je l’ignore… mais les braves femmes l’adorent et elle les ferait passer par le trou d’une aiguille si la fantaisie lui en venait…

— Mais vous avez dit à grand-père que…

— Que la profondeur du regarde de la petite ne signifiait rien !… oui, je sais !… Eh bien, c’est vrai, ce que je lui ai dit !… J’ai soigné de douces idiotes qui avaient les yeux encore plus profondément et plus intelligemment rêveurs que ceux de Miche… et qui étaient pourtant de pures démentes… j’ai dit que les yeux de Miche ne prouvaient pas nécessairement qu’elle fût intelligente, mais je n’ai pas dit… il s’en faut… qu’ils prouvaient qu’elle ne le fût pas.

— À quoi attribuez-vous cette lenteur de compréhension, dont se plaignaient les Sœurs et tous les gens qui s’occupent de Miche ?…

— Je l’attribue à une paresse intense probablement… mais je dois cependant reconnaître que l’enfant est parfois d’une extraordinaire nervosité… cette nervosité se traduit jusqu’ici par des troubles de la parole… Ainsi, il y a trois mois, ton grand-père l’avait un peu grondée… elle a été prise d’une sorte de crise nerveuse qui m’a réellement effrayé… Pas de larmes ni de cris, mais un tremblement qui la secouait de la tête aux pieds, et à la suite duquel elle resta quarante-huit heures sans pouvoir parler… mais littéralement pas !… elle n’articulait pas un seul mot !… Pendant deux jours, elle a été muette, muette absolument !…

— Est-ce que ça peut revenir ?… — Je crois que oui !… à la suite d’une peur, d’une émotion violente, enfin d’une secousse quelconque, il est probable que ce phénomène se reproduirait… à moins que ça n’en soit un autre… Avec les nerveux à ce degré-là, on peut toujours s’attendre à des surprises…

— Va donc devant comme je te l’ai dit, Miche !… — cria Jean en s’élançant vers la petite fille qui s’était furtivement rapprochée et qui, le visage muet et les cils baissés, marchait à présent presque en ligne avec le cheval du docteur.

Docile, Miche s’écarta et recommença sa cueillette de fleurs, tandis que Jean demandait inquiet :

— Ne croyez-vous pas qu’elle a entendu, docteur ?…

— Oh ! je ne le pense pas !…

— Pourtant nous parlions assez haut !… comme vous êtes à cheval et moi à pied, nous avons inconsciemment élevé la voix à cause de la distance et du bruit des pas sur la route… Je parie qu’elle a entendu ?…

— Que non !… ou, si elle a entendu, elle n’a pas compris… Elle avait l’air absolument détachée de ce que nous disions…

— Elle a une puissance sur elle-même dont vous n’avez pas idée, docteur !… il faut la voir tout le temps, comme nous la voyons, mes frères et moi, pour savoir à quel point elle sait prendre sur elle… Vous souvenez-vous du jour où on est allé vous chercher parce que Jacques, avec qui elle jouait à construire des fours, lui avait à moitié écrasé le pouce entre deux grosses pierres ?…

— Oui… il était dans un joli état, le pouce !

— Eh bien, elle n’avait rien dit !… et c’est en voyant du sang partout que nous avons compris qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire…

— Autre chose est d’être dur et de supporter la souffrance sans broncher, ou bien de dissimuler une impression ressentie à l’improviste et lorsqu’on n’a pas eu le temps de se préparer…

— Tant mieux si elle n’a pas entendu !… parce que, la pauv’petite, je serais désolé de lui avoir causé une préoccupation où une inquiétude…

— Une préoccupation ?… une inquiétude ? On voit bien que tu ne connais pas les enfants, mon petit Jean !… Mais en admettant que Miche nous ait entendus parler de crises probables, ou même de la possibilité qu’elle devienne muette, ou sourde, ou aveugle, et qu’elle ait compris ce que nous disions.. car encore faudrait-il qu’elle l’eût compris… elle n’y penserait plus demain… ni même dans cinq minutes…

— Je vous demande pardon, Docteur, mais je crois que vous vous trompez… Je ne connais peut-être pas les enfants en général… bien que j’aie pu les étudier autrefois sur mes frères et sur moi-même, et que j’aie aujourd’hui, pour continuer mes études, Simone qui est un rude type… mais je connais admirablement Miche qui me dit presque toutes ses petites pensées… et dont je devine tout ce qu’elle ne me dit pas… Eh bien, je vous assure que Miche n’oublie rien de ce qu’elle a entendu et compris…

— C’est possible !… mais alors ce n’est pas une enfant comme les autres.

— Pas du tout comme les autres !… Les enfants sont habituellement ingrats, n’est-ce pas ?… Simone… qui est un amour… est un modèles achevé d’ingratitude.. Plus on fait pour elle, moins elle est reconnaissante… Miche, au contraire, témoigne pour les moindres choses une reconnaissance éperdue… Ainsi, on lui a dit que c’est à moi qu’elle doit d’avoir été prise par grand-père…

— C’est ça que tu appelles une « moindre chose ?… »

— Non… évidemment non ! mais je citais ça parce que Miche m’a voué, à cause de mon intervention, une affection sans bornes… Je lui dirais de se jeter dans le feu qu’elle le ferait sans hésiter… elle n’est heureuse que quand je suis là !…

Le docteur Bouvier sourit.

— Ça pourrait bien ne pas être de la reconnaissance, ça !…

— ?…

— À mon avis, c’est de l’amour !…

— De l’amour ?… à huit ans !..

— À huit ans ! l’amour n’a pas d’âge, mon enfant ! Qu’une petite fille de huit ans éprouve de l’amour pour un garçon de seize ans, c’est tout ce qu’il y a de plus normal…

— Oh ! Docteur !…

— Parfaitement !… c’est de l’amour pur et inconscient, de l’amour de gosse, mais c’est tout de même de l’amour !… et quand Miche sera une jeune fille, tu feras bien de prendre garde à ne pas laisser se développer ce sentiment-là…

Le docteur Bouvier réfléchit un instant, puis conclut :

— Parce que la petite a de qui tenir…

— Oh ! — fit Jean chagrin — Miche a une bonne et honnête petite âme !…

— La Florine aussi avait à huit ans une honnête petite âme… et même après !… C’est vrai !… je l’ai bien connue, la pauvre !… c’était une brave fille, honnête et droite d’instinct, mais que la misère et la beauté ont forcée à mal tourner !… Ce qu’était belle cette Florine !.. on n’a pas idée de ça ?…

Il regarda la petite fille, qui s’inclinait vers une fleur, et ajouta :

— Miche lui ressemble !… je me souviens d’elle au même âge, c’était exactement le même petit enfant frais et vigoureux… Miche a les traits encore plus fins et les yeux encore plus beaux que sa mère, mais pour le reste elle est toute pareille !… Tu lui auras rendu un rude service en lui faisant donner asile par ton grand-père, mon petit Jean ! elle peut t’en savoir gré, va !… il y a de quoi !… tu as empêché… ou du moins éloigné la culbute.

— Pauv’Miche !… — dit Jean qui regarda tendrement l’enfant — je ne voyais pas si loin quand j’ai demandé à grand-père de la recueillir !…

Le docteur Bouvier venait d’arrêter son cheval blanc au croisement des deux routes :

— Au revoir, mon petit !… je vais au Mesnil…

— Ah ! qui est-ce qui est malade au Mesnil ?…

— Mme de Guerville, je crois. Oh ! pas grand’chose !…

— Mâtin !… — fit Jean avec conviction — vous n’allez pas vous embêter !…

— Eh bien ! eh bien ! est-ce que tu crois qu’un vieux comme moi se…

— Je crois qu’un « vieux comme vous » a des yeux tout comme un jeune…

— Erreur, mon petit ! mes vieux yeux voient toutes les verrues, toutes les tares que ne voient pas les tiens…

— Des verrues et des tares !… Vous ne devez pas en découvrir beaucoup sur Mme de Guerville toujours !… — répliqua Jean avec une certaine aigreur, tandis que le docteur pensait à part lui :

— Ce gosse aussi est pincé !..

— Miche était revenue prendre la main de son ami et elle écoutait ardemment, en promenant un regard inquiet du jeune homme au docteur qui répondait :

— Je vois que tu es… comme tout le monde… emballé sur Mme de Guerville ? Ça ne me gêne pas pour te dire que moi je ne l’admire pas du tout… oh ! mais là, pas du tout !…

— Comment ?… — fit Jean stupéfait — vous ne la trouvez pas jolie ?…

— Ah ! non ! certes non !… je suis trop vieux et surtout trop vieux jeu, mon petit, pour trouver jolie cette espèce de mannequin ! je la trouve pomponnée, corsetée et peinturlurée fort habilement. Un point, c’est tout !

— Moi, je la trouve ravissante !.…

— Je le vois parbleu bien !

— Mais… — dit Jean qui avait rougi — être bien habillée et pomponnée ne nuit pas, il me semble ?…

— Sapristi non ! ça ne nuit pas !… la preuve, c’est que toi et beaucoup d’autres sont roulés proprement, grâce à ces artifices… Car tu es roulé comme une simple crêpe, mon petit, par le corset et les cheveux au henné de la dame du Mesnil…

Miche regardait le docteur Bouvier d’un œil humide et reconnaissant. Et le bonhomme pensa :

— Elle est jalouse !…

Jean répondit, visiblement vexé :

— En quoi suis-je roulé ?… Qu’est-ce que vous lui reprochez donc, au physique de Mme de Guerville ?…

— Des tas de choses… visibles pour qui sait lire entre les lignes de la teinture, des postiches, de la peinture, des hauts talons et du corset ! Je lui reproche ses cheveux, dont les coques et les boucles luxuriantes jurent vilainement avec la pauvreté de la raie, de la nuque et des tempes… Je lui reproche d’avoir deux pouces de jambes et le derrière tout de suite… ce que ni le corset qui la projette en avant, ni les talons de dix centimètres qui achèvent de la faire piquer sur le nez, ne parviennent à dissimuler, si évident que soit, d’ailleurs, leur effort… Je lui reproche la bande de velours noir dont elle entoure ses yeux pour les agrandir… et la pommade de raisin qui élargit ses lèvres trop minces… et le blanc qui enduit sa peau dont le grain est plutôt vilain… et ses ongles teints, et ses dents grises !.. Enfin, sauf son nez, qui est vraiment très joli, je ne vois en elle rien qui vaille…

Et comme Jean gardait un silence mécontent, le docteur Bouvier explique :

— Note bien, mon petit, que je vais mettre le pied au Mesnil aujourd’hui pour la première fois depuis que les Guerville l’habitent… Si la petite dame était déjà ma cliente, si j’avais pu être appelé à constater directement toutes ses imperfections, je serais plus muet qu’un poisson. Mais je n’ai, jusqu’ici, fait qu’apercevoir Mme de Guerville… Il y un mois, je me suis trouvé avec elle à Saint-Lô chez le pharmacien… et il y a quelques jours, j’ai déjeuné en face d’elle à l’hôtel de la Poste, où elle faisait de l’esbrouffe pour les voyageurs de commerce, le commis percepteur, et les capitaines qui traversaient la grande salle, pour aller dans celle où ils prennent pension !… Elle avait une robe rose…

— Avec des entre-deux… je la connais !… — s’écria Jean avec vivacité.

— Je ne sais pas s’il y a des entre-deux — dit en riant le docteur — mais il ne m’a pas semblé que cette robe rose recouvrît rien de bien agréable… Ce petit corps, pour prendre aussi complètement la forme la mode, doit être doué d’une élasticité regrettable, à mon goût… Pour moi, les premières conditions de la beauté, c’est la fermeté et la fraîcheur… pour être vraiment jolie, il faut être saine avant tout…

Et comme Jean secouait la tête, le docteur acheva :

— Tu es encore trop gosse pour comprendre ça ! quoique tu aies l’air d’avoir vingt ans, tu n’en as encore que seize, mon petit Jean !… plus tard… beaucoup plus tard… tu te diras que le père Bouvier était moins bête que tu ne l’as cru…

— Oh ! Docteur !…

— Il n’y a pas de « Oh ! Docteur !… » Tu me juges pour l’instant une vieille moule !… et c’est tout naturel. Allons, au revoir !… à tantôt !… je dois aller Saint-Blaise… ton grand-père m’a fait demander…

— Il est malade ? fit Jean inquiet.

— Pas lui !… le valet de chambre, je crois ?… lui, il n’est jamais malade !… Ah ! le magnifique bonhomme !… soixante-quatre ans, il n’a pas une infirmité et il flanquerait encore une pile au premier venu… Il est épatant, le papa Erdéval !… Cristi !… Ça ma échappé ?… ne lui dis pas que je l’ai appel le papa Erdéval, hein, mon petit ?… car, malgré tout son esprit, il m’en voudrait à mort !…

Le cheval blanc avait déjà fait quelques pas sur la route du Mesnil, lorsque le docteur, avec une souplesse de clown, se retourna complètement sur sa selle pour crier :

— Dis-lui que je l’ai appelé « monsieur le marquis !… »

Jean se mit rire et reprit sa marche avec Miche qui déclarait, sans aucune hésitation, cette fois, de la parole :

— Moi, j’suis comme le Docteur ! je n’la trouve pas du tout jolie, Mme la baronne d’Guerville !…