Mgr Ridel, évêque de Philippolis, vicaire apostolique de Corée/Préface

Mgr Ridel, évêque de Philippolis, vicaire apostolique de Corée
E. Vitte (p. xiii-xv).

PRÉFACE



Voici l’histoire d’un évêque dont le souvenir doit être cher aux enfants de la Bretagne et dont le nom rappelle une vie d’héroïques vertus.

Mgr Ridel, c’est l’homme qui compte Dieu pour tout et sur Dieu en tout ; c’est le chrétien épris de l’amour des âmes, qui va au-devant d’elles comme va l’amour, malgré les fatigues et les privations, malgré les périls et la mort ; c’est le saint qui, voulant être l’homme de Dieu, conforme en tout sa volonté à celle de son Maître. Qu’on ajoute la sollicitude et la prudence du pasteur, la douceur et la fidélité de l’ami, la tendresse du père, et l’on aura la grande physionomie que nous avons esquissée avec une piété toute filiale. Pour accomplir dignement notre tâche, il eût fallu « l’œil qui sait voir les grands caractères, la main qui sait tracer les grands tableaux ». Notre héros les méritait.

Les apôtres de la trempe de Mgr Ridel sont, comme l’a dit Louis Veuillot, « le printemps de l’Église ; ils lui font revivre ses premiers jours. Riche de leur vertu ardente et victorieuse, elle les montre au monde, qui croit l’avoir appauvrie ; à meilleur titre que l’antique Romaine, elle dit : « Voilà mes joyaux et ma beauté. » Mais ils sont aussi la poésie, l’enthousiasme et l’honneur de notre siècle. Ils sont surtout la folie de la croix.

Ainsi nous apparaît le vaillant évêque de la Corée, blanchi avant l’âge, courbé sous le poids du labeur et couronné de toutes les auréoles de l’apostolat, moins le martyre.

Sa vie est une vie de luttes et de contradictions ; c’est la croix : ce n’est pas le triomphe.

Pendant les dernières années de la vie de Mgr Ridel, un vent de liberté commençait à souffler sur la malheureuse mission de Corée. Déjà le saint évêque entrevoyait le jour où il serait rendu à son peuple, où il lui prêcherait publiquement Jésus-Christ. À ce rêve de son cœur il tressaillait de joie. Mais le traité franco-coréen, négocié depuis 1882, ne fut conclu qu’en 1886, et ratifié seulement en 1887. Dieu avait rappelé à lui son serviteur, le 20 juin 1884.

Mgr Ridel n’a donc pas vu ses efforts couronnés sur la terre : il a semé dans la souffrance et dans les larmes ; au ciel il obtiendra que ses successeurs moissonnent dans l’abondance et dans l’allégresse.

Depuis le mois de juin 1888, un chargé d’affaires français réside à Séoul, et cependant la Corée n’est encore qu’entrouverte à la prédication de l’Évangile. La France, dans son traité avec ce petit État, n’a oublié que les missionnaires, c’est-à-dire, ceux de ses enfants qui sont venus les premiers chez ce peuple barbare, porter avec l’Évangile son nom et son amour. Toutefois, les nouvelles relations commerciales ont fait une large brèche dans les barrières infranchissables de ce pays. Espérons que la liberté religieuse passera bientôt par là tout entière.

En ce moment, l’intérieur de la Corée est encore un pays défendu ; les missionnaires n’y exercent leur ministère que dans le plus profond secret. Dans quelques ports seulement ils peuvent se montrer, revêtir le costume ecclésiastique et acquérir des immeubles comme les commerçants étrangers. Grâce à cette clause du traité, Séoul, à la grande joie des chrétiens et au grand étonnement des païens, possède un Orphelinat et un hospice. Là, depuis le mois de juillet de l’année dernière (1888), quatre sœurs de Saint-Paul, de Chartres, se dévouent au service de plusieurs centaines d’enfants et de vieillards.

Naguère la voix de Mgr Blanc arrivait jusqu’aux amis de France : c’était un cri d’espoir, mais aussi de détresse. Le vénéré successeur de Mgr Ridel vient d’acquérir un magnifique terrain sur le coteau qui domine la capitale de la Corée. Il s’agit maintenant d’y élever une église à Jésus-Christ. On comprend la joie de l’évêque qui peut arborer le premier le drapeau du divin Maître au-dessus d’une capitale païenne, au-dessus des temples des idoles et de la demeure du roi. Mais quelle douleur à la vue du dénûment qui ne lui permet pas d’offrir à Dieu un temple digne de sa majesté, sous les regards d’un peuple qui jugera Dieu par son temple !

La voix de Mgr Blanc est venue jusqu’à nous ; nous tâchons d’y répondre aujourd’hui en consacrant à la première église de Corée le fruit de cet ouvrage.