Mes paradis/Les Îles d’or/Et celles qui n’étaient que des glaçons flottants


IV


Et celles qui n’étaient que des glaçons flottants
Avec de monstrueux ours blancs pour habitants !

Mais la faim y pouvant repaître ses colères
Faisait des Tahitis de leurs horreurs polaires.

Des ours ? Si grands ! Si gros ! Chance ! On n’y voyait pas
Des ennemis ; c’était du gibier, un repas.

On avait l’estomac creux et que tout régale
Et les trente-deux dents qui grinçaient de fringale.

Ô festins dont la rage était le maître queux !
On sautait sur les ours en gueulant plus fort qu’eux.


On les prenait à bras le corps comme des gouges.
Nos crocs à leurs cous blancs mettaient des colliers rouges.

Tels que les chiens fouillant des ongles et du nez,
On leur mangeait la viande à même, en forcenés.

Puis on faisait des feux de joie avec leur graisse,
Et l’on dansait autour, jeunesse à l’air d’ogresse.

On dansait en riant des colosses vaincus,
En traitant les grands ours de veaux et de vieux culs.

On dansait sans songer aux ans, à leur manège,
Et qu’on aurait aussi le poil couleur de neige.

On dansait les pieds nus, trouvant doux les glaçons,
Et l’on improvisait de féroces chansons.

Victoire ! À mort les vieux ! Hurrah ! Noce et ripaille !
Place aux jeunes ! Les ours d’antan, qu’on les empaille !

Gloire au pôle ! Qui va le découvrir ? C’est nous.
Et l’on dansait toujours, du sang jusqu’aux genoux.

Qui ça ? Nous ! Avoir froid ! Pas froides, ces banquises !
On y dansait à poil comme aux îles Marquises.


À vingt ans, on emporte avec soi son climat,
Et même au vent du nord on tient droit son grand mât.

Quand on était soûlé de ces fêtes démentes,
On se couchait sur les peaux d’ours encor fumantes.

Et l’on flambait si fort d’orgueil et de valeur
Que sous les cieux gelés on crevait de chaleur.