Mes paradis/Les Îles d’or/De la musique ! Plus de paroles


XLIV


De la musique ! Plus de paroles !
De farandolantes banderoles
Où chacun lit en lettres de feu,
En lettres d’onde, en lettres de nue,
Tous les noms de la fée inconnue
Qu’à jamais doit poursuivre son vœu.

C’est un maître aux fortes harmonies,
Bach, Beethoven, Wagner, les génies ;
C’est parfois un obscur musicien ;
C’est des Tsiganes diaboliques ;
C’est, dans des mineurs mélancoliques,
Un air populaire très ancien ;


Mais, quoi que ce soit qui vous subjugue,
Remous enveloppants de la fugue,
Symphonie aux pics vertigineux,
Drame lyrique aux yeux en orage,
Czardà qui miaule et qui s’enrage,
Refrains ayant tout un peuple en eux,

Qu’on soit ignare ou savant, qu’importe !
La vague qui passe vous emporte
Bercé sur des mirages chantants,
L’âme à la fois vidée et remplie,
Et dans une extase où l’on s’oublie
À ne plus sentir couler le temps.

De la musique ! De la musique !
Soûlerie idéale et physique
Dont on ne peut dire le secret !
Car la fumée en est trop subtile
Pour qu’on la prenne aux mailles du style.
Dès qu’il y touche, elle disparaît.