Mes heures de travail/Société genevoise d’Utilité publique

Société générale d’imprimerie (p. 15--).

CHAPITRE PREMIER

Société Genevoise d’Utilité Publique.

L’une des tâches qui me tentèrent le plus fut de collaborer aux travaux de la Société genevoise d’Utilité publique, vouée à l’étude des questions de philanthropie locale. Ce programme obtint ma préférence, parce qu’il devait m’appeler à aborder, plus ou moins, les divers problèmes de ce qu’on nomme maintenant la sociologie, problèmes qui me paraissaient s’imposer de plus en plus impérieusement à l’attention des hommes cultivés.

Je me mis d’autant plus volontiers en rapport avec les membres de la société sus-nommée que, lorsqu’ils me proposèrent d’entrer dans leurs rangs, ils venaient de projeter une statistique complète des bonnes œuvres qui se poursuivaient dans leur entourage, et allaient me fournir ainsi une excellente occasion de m’initier à des entreprises avec lesquelles je serais apparemment appelé à avoir des contacts fréquents, si, comme je le prévoyais, une intéressante carrière se présentait devant moi, avec cette spécialité pour objet. Mais mon attente fut trompée par suite du décès de l’homme (M. d’Espine) en qui s’était incarnée la conception que l’on se proposait de réaliser. Je ne me laissai cependant pas décourager par ce contretemps et je résolus d’entreprendre seul ce qui avait dû s’effectuer en commun. Je lançai hardiment, revêtue de ma seule signature, une circulaire d’enquête, que j’adressai un peu au petit bonheur dans toutes les directions, sans cependant dépasser les limites de l’État microscopique où je me trouvais. Mes intentions furent si bien comprises et approuvées, que je fus assez vite en mesure de faire paraître plusieurs chapitres de l’ouvrage que j’avais projeté d’écrire, dès que des documents instructifs seraient venus grossir mon dossier d’informations.

D’autre part, aussitôt que je me fus mêlé aux travailleurs dont je parle, ils me confièrent une mission qui ne put que m’engager à persévérer dans la ligne de conduite que je venais d’adopter. Il s’agissait d’aller, avec plusieurs de mes collègues, représenter la Société dans un Congrès international de bienfaisance, convoqué à Bruxelles (en 1856), à l’instigation d’un Belge, M. Édouard Ducpétiaux, inspecteur des établissements de bienfaisance et des prisons du royaume, qui se disposait à en être l’âme. N’ayant jamais assisté à de semblables réunions, je ne me représentais guère ce que j’aurais à y faire ; néanmoins, j’acceptai les yeux fermés le mandat qu’on me proposait, et je n’eus pas à m’en repentir. On n’était pas encore blasé, dans ce temps-là, sur ce genre d’assemblées cosmopolites, et celle de Bruxelles avait pour moi tout l’attrait de la nouveauté. Elle me mit en relation avec beaucoup d’hommes distingués et me familiarisa avec diverses matières dont j’entendis parler alors pour la première fois. Une liste qui avait été dressée de toutes les applications connues de la bienfaisance m’ouvrit en particulier des horizons intéressants.

Du reste, ce qui me paraissait le plus important, pour le moment, était que mes commettants se montrassent satisfaits de la manière dont je m’acquittais de ma tâche, et le rapport que je leur présentai à mon retour leur révéla, paraît-il, chez moi, des aptitudes qui leur donnèrent à penser qu’en me mettant à leur tête, ils contribueraient au bien de leur association (quoique certains m’estimassent trop jeune [30 ans] pour inspirer une pareille confiance). Je devins donc très vite leur président, et ils me maintinrent à ce poste pendant plus de dix ans, trouvant apparemment que je réussissais à donner une impulsion vigoureuse à leurs études qui, à vrai dire, en avaient bon besoin. Je suis maintenant leur président honoraire.

Ils me déléguèrent encore à deux congrès pareils à celui de Bruxelles, qui se tinrent à Francfort (en 1857) et à Londres (en 1862). Cette charge, en se renouvelant ainsi, me fit perdre peu à peu une partie de la timidité, dont la conviction de ma médiocrité à tous égards m’avait fait contracter l’habitude, et dont j’avais souffert pendant ma prime jeunesse.

Je n’entrerai pas ici dans le détail de mes travaux présidentiels, vu que cela m’entraînerait trop loin. On pourra s’en convaincre par une énumération pour laquelle je me bornerai aux quelques indications ci-après :

1o  La création d’un Bulletin trimestriel, qui a cessé d’être périodique, et dont j’eus pendant un certain temps, conformément à un vœu des congrès auxquels j’avais participé, l’ambition de faire une véritable « Revue de bienfaisance ».

2o  Je rappellerai encore la présidence temporaire qui m’échut de la Société suisse (et non plus seulement genevoise) d’Utilité publique, puis :

3o  La fondation d’une Société helvétique de statistique, qui prospère toujours et que je présidai pendant sa première année d’existence.

4o  Enfin, je ne saurais passer sous silence la formation d’une bibliothèque spéciale, à l’usage des membres de l’Association, et la publication de son catalogue. Cette dernière brochure, que je présentai à Paris, à l’illustre Le Play, le frappa beaucoup et lui fit regretter que la France n’eût point de collection pareille. Il me proposa même d’en fonder une à Paris, avec son concours. Mais je crus devoir repousser cette offre gracieuse et séduisante, car elle m’aurait détourné de devoirs dont j’avais déjà assumé la responsabilité, et dont je ne consentis à me décharger plus tard que lorsqu’une affaire imprévue et importante (la Croix-Rouge) m’y contraignit.

5o  J’allais oublier de dire qu’en 1878 la Société d’Utilité publique, devant fêter le cinquantième anniversaire de sa fondation, s’adressa à moi pour avoir un rappel de son activité pendant cette longue période. Il fut donné lecture de cet opuscule dans une séance publique, qui eut lieu le jour où l’on commémora solennellement la naissance de l’institution.

Comme président de la Société genevoise d’Utilité publique, je fus appelé en outre :

6o  à organiser plusieurs séries de Conférences populaires ;

7o  à créer dans la rue du Cendrier, et à présider pendant sa première année, une École enfantine, destinée à faire connaître la méthode pédagogique de Frœbel, dite « des Jardins d’enfants » ;

8o  à publier, avec le concours de MM.  Gustave Rochette et Edmond Pictet, un Annuaire philanthropique genevois qui eut deux éditions ;

9o  à rédiger le rapport d’une commission d’enquête sur l’ivrognerie dans le canton de Genève, rapport dont je fis l’objet d’une conférence ;

10o  à écrire l’histoire de l’assistance des Enfants trouvés, abandonnés ou orphelins dans le même canton ;

11o  à faire connaître les diverses institutions de prévoyance du même canton ;

12o  à dresser la statistique des Associations d’intérêt public dans le même canton ;

13o à décrire les institutions pour le soin à domicile des malades pauvres existant dans le même canton ;

14o à y fonder la société dite des Salles de rafraîchissements non alcooliques, que je présidai longtemps et dont je fus ensuite le président honoraire. Elle s’est dissoute quand, pour entrer dans la même voie, l’industrie privée n’eut plus besoin d’être stimulée par l’émulation ;

15o à créer un bureau de renseignements pour les émigrants, qui ne fut qu’ébauché, et auquel on dut renoncer par suite du décès prématuré de son directeur (M. Alphonse Gautier).

À être adjoint à des commissions officielles ayant pour but :

16o la recherche du meilleur système à adopter pour l’assurance contre l’incendie ;

17o la convenance de permettre la crémation des cadavres ;

18o de remédier à la rareté des petits logements hygiéniques ;

19o de préaviser pour la construction d’une nouvelle prison ;

20o d’organiser, en 1886, une Exposition nationale suisse, dont je refusai la vice-présidence, et qui n’eut lieu qu’en 1896.

La notoriété que me valut la prolongation de ma présidence au sein de la Société d’Utilité publique me fit aussi désigner pour prendre part à plusieurs œuvres de charité locale, savoir :

21o la Société de secours, vouée au patronage des apprentis. J’en fus longtemps le secrétaire, puis le président et l’historien ;

22o l’Œuvre des Mariages pour régulariser les unions illégitimes. Je la présidai pendant toute sa durée de dix ans ; puis une réforme législative, qui en atténua la nécessité, vint y mettre un terme ;

23o l’École des sourds-muets ; j’eus à pourvoir au remplacement de son directeur et à y introduire l’enseignement de la parole ;

24o la Société de Winkelried, pour l’assistance des blessés de l’armée suisse ; je fus l’un de ses fondateurs ;

25o les Diaconies de l’Église nationale. Je fis partie de celle de St-Gervais (Nord) ;

26o la Salle du Dimanche qui cherche à procurer à la jeunesse un bon emploi de son temps, pendant le jour du repos. J’y fis deux lectures ;

270 les Boîtes dites « de la Semaine religieuse », qui recueillent en certains lieux les offrandes destinées aux bonnes œuvres. Je fis partie de leur comité de surveillance ;

28o la Collecte des vieux papiers, au profit des pauvres. Je fus requis, dans des moments d’encombrement, pour aider à leur manutention et à leur écoulement ;

29o la Société de Domestiques protestantes (secours mutuels). J’en étais le secrétaire quand il fallut lui assurer un logement pour son infirmerie, par l’acquisition d’une maison, et je présidai pendant plus de quarante années la société dite « de l’immeuble de la Taconnerie », qui géra le capital affecté à cet usage ;

30o la Société de la Paix, dont j’avais refusé la présidence parce que j’en pressentais l’inutilité, mais dont je fis néanmoins partie comme membre du Comité et qui fut éphémère ;

31o la Société anti-esclavagiste, qui me paraissait avoir des moyens d’action trop limités pour pouvoir servir utilement la cause des esclaves et qui n’eut, comme je l’avais prévu, qu’une courte existence, pendant laquelle je siégeai dans son Comité ;

32o l’Agence des Institutrices. Le grand nombre d’institutrices qui émigrent chaque année de la Suisse romande et dont le sort n’est pas toujours enviable, ayant donné à penser qu’une agence, désintéressée et gratuite, qui veillerait à leur placement et à leurs intérêts, pourrait contribuer à améliorer leur condition, on me pria, avec de vives instances, d’en accepter la présidence. Je cédai à ces sollicitations, après quoi j’organisai l’œuvre et suivis de près son fonctionnement pendant une vingtaine d’années.

Un ami de cette agence lui ayant fait un don qui lui permit d’assurer une pension viagère à d’anciennes institutrices besogneuses, j’eus à présider le comité qui dirigea l’emploi de ce fonds, et il me nomma son président honoraire lorsque je devins incapable d’aller siéger dans son sein.

Plusieurs entreprises concernant divers cantons confédérés et se trouvant hors de la sphère d’activité de la Société genevoise d’Utilité publique, attirèrent enfin mon attention et j’eus à agir dans leur intérêt ; ce furent :

33o une société de tempérance projetée pour la Suisse romande, qui eut à Lausanne une séance préparatoire, à laquelle j’assistai mais dans laquelle je ne me laissai pas enrôler parce qu’elle me paraissait mal conçue ;

34o de concert avec M. Ernest Naville, j’organisai aux bains de Schinznach (Argovie), une collecte permanente, pour permettre de reconstruire le Bain des pauvres dans cette localité. Le bâtiment nouveau existe maintenant ;

35o je fis de même plus tard pour les Bains de Louèche (Valais) avec l’aide d’un comité local ;

36o j’inspectai soigneusement, avec M. Spyri (de Zurich), l’Asile des Aveugles de Lausanne, pour éclairer à son sujet la Société suisse d’Utilité publique, dont cet établissement sollicitait une subvention ;

37o la Compagnie d’assurance sur la vie « La Suisse » à Lausanne. J’en fus très longtemps l’un des administrateurs, puis le vice-président ;

38o Incendie de Travers (Neuchâtel). Membre du comité genevois de secours pour les incendiés de cette localité, je fus chargé de leur porter l’argent recueilli en leur faveur.