Mes heures de travail/Introduction

Société générale d’imprimerie (p. 9--).

INTRODUCTION


Les vicissitudes de la politique genevoise, notamment la révolution du 7 octobre 1846, ont influé fortement sur ma carrière active, et je dois le rappeler brièvement, pour commencer.

Cet événement eut en effet, pour conséquence, de me faire quitter ma ville natale, au moment où je venais d’y prendre le grade de bachelier ès-lettres. Il me fallut aller faire à Paris, des études que j’avais précédemment résolu d’entreprendre à l’Académie de Genève. Je dus accompagner à l’étranger mes parents, que la chute d’un gouvernement, dont mon père avait fait partie, avait trop affligés pour que, jusqu’à nouvel ordre, ils voulussent consentir à vivre sur les bords du Léman qui leur rappelaient des souvenirs douloureux. Ce fut donc dans l’automne de 1846 que je quittai mon pays et m’installai dans la capitale de la France. J’y pris place sur les bancs de l’École de Droit, où je séjournai jusqu’au 1er  mars 1850. Ce jour là, je les quittai, pourvu du diplôme de licencié, après une soutenance de thèse, pour laquelle j’avais obtenu de mes examinateurs « quatre boules blanches » c’est à dire le suffrage le plus élogieux par lequel ils pussent prendre congé d’un de leurs élèves. J’eus alors quelque velléité de rester encore sous leur direction jusqu’au moment où je serais devenu docteur en droit, car j’avais pris goût à la science à laquelle mes professeurs m’initiaient, mais j’étais, d’autre part, trop désireux de retrouver mes pénates, pour ne pas reprendre, le plus promptement possible, le chemin de la Suisse.

Afin de compléter mon instruction professionnelle, il fallait encore que je fisse, pendant deux ans, un stage dans l’étude d’un avocat, et je l’entrepris immédiatement à Genève. Toutefois la pratique du barreau ne répondit nullement à mon attente, et, après une assez courte période d’essai, je me décidai à changer de vocation, si toutefois j’en trouvais une à laquelle je fusse apte et qui m’offrît plus d’attraits que celle où je venais de débuter.

Désorienté de la sorte et n’ayant de goût prononcé pour aucune carrière, je fis à tâtons des essais de divers côtés, à la recherche d’une occupation qui ne fût pas encombrée d’amateurs et pour laquelle mon faible concours eût quelque chance d’être agréé. Guidé par ces considérations, j’inclinai en faveur de l’amélioration du sort des classes ouvrières, ou plutôt de la solution de la question sociale, comme on dit aujourd’hui. Cela ne devait pas, il est vrai, me procurer un emploi lucratif de mon temps ; mais gagner de l’argent avait toujours été à mes yeux un mobile peu noble d’activité, pour qui n’est pas privé du nécessaire, et j’estimais infiniment préférable de chercher à me rendre utile en travaillant au bien de mes semblables.