Mercédès de Castille/Chapitre 28

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 18p. 424-440).


CHAPITRE XXVIII.


Chaque regard, chaque mouvement éveillait en elle une nouvelle grâce qui jetait sur ses formes une gloire passagère. Une grâce encore plus aimable en prenait bientôt la place, et elle était chassée à son tour par un charme encore plus séduisant.
Mason.



Le jour de la réception publique de Colomb à la cour avait été une journée de sentiments tumultueux, et d’une joie sincère pour l’âme pure et ingénue de la reine de Castille. Elle avait été le mobile de cette entreprise, en ce qui concernait les moyens d’exécution, et jamais souveraine ne fut mieux récompensée que par le sentiment intime des résultats qui suivirent ses efforts aussi zélés que bien entendus.

Après l’agitation et le tumulte de cette journée, Isabelle s’enferma dans son cabinet : là, comme c’était sa coutume dans toutes les grandes occasions, elle se mit à genoux pour rendre grâces à la Providence divine, et la supplier de lui donner la force nécessaire pour soutenir le poids de cette nouvelle responsabilité, et de diriger ses pas sur le droit chemin, comme souveraine et comme chrétienne. Sa prière n’était finie que depuis quelques minutes ; elle était assise, la tête appuyée sur une main, et plongée dans une profonde méditation, quand elle entendit frapper à sa porte. Le coup était bien léger, mais elle savait qu’il n’existait qu’une seule personne en Espagne qui pût vraisemblablement prendre cette liberté. Elle se leva, ouvrit la porte, et le roi entra.

La reine était encore belle. Sa taille, d’une perfection admirable, avait conservé toutes ses grâces. Ses yeux n’avaient presque rien perdu de leur éclat, et son sourire toujours plein de douceur, réfléchissait les impulsions pures et bienveillantes de son cœur. En un mot, la transition de la jeunesse à l’état d’épouse et de mère n’avait fait presque aucun tort à son ancienne beauté. Mais ce soir-là, tous les charmes de sa première jeunesse semblaient s’être renouvelés tout à coup. Ses joues étaient animées d’un saint enthousiasme, ses traits épanouis par la sublimité des pensées qui occupaient son esprit, et dans ses yeux brillait un noble espoir dont la religion était l’objet. Frappé de ce léger changement, Ferdinand, après avoir fermé la porte, s’arrêta un moment pour l’admirer en silence.

— Cher Ferdinand, un nouvel empire acheté à si bon marché n’est-il pas une récompense merveilleuse pour nos faibles efforts ? dit-elle, croyant que les pensées du roi roulaient sur le même objet que les siennes. — Des richesses que l’imagination ne peut se figurer ! et des millions d’âmes à racheter de la damnation éternelle, par l’efficacité d’une grâce qui doit être aussi inattendue pour ces malheureux, que la connaissance de leur existence est nouvelle pour nous !

— Toujours pensant au salut des âmes, Isabelle ! Mais tu as raison ; car, qu’est-ce que la pompe et la gloire du monde auprès de l’espoir du salut et des joies du ciel ? — J’avoue que Colomb a surpassé de beaucoup toutes mes espérances, et qu’il a ouvert pour l’Espagne un tel avenir, que l’esprit sait à peine où poser des limites à l’idée qu’il s’en fait.

— Songez aux millions de pauvres Indiens qui peuvent pendant toute leur vie bénir l’instant où ils seront rangés sous notre domination, et reconnaître l’influence, recevoir les consolations de la sainte Église ?

— J’espère que notre voisin et parent, don Juan, ne nous causera aucun embarras dans cette affaire. Ces Portugais ont tant de goût pour les découvertes, qu’ils ne se soucient pas que d’autres puissances en fassent. On dit même que pendant que nos caravelles étaient dans le Tage, on a fait au roi de Portugal plusieurs propositions aussi dangereuses pour nous qu’elles étaient injustes.

— Colomb m’assure, Ferdinand, qu’il doute que ces Indiens aient aucune croyance religieuse ; de sorte qu’en présentant les vérités sublimes de l’évangile à la simplicité de leur esprit, nos prêtres n’auront aucuns préjugés à combattre.

— L’amiral a sans doute bien pesé tout cela. Il pense que l’île qu’il a appelée Española est presque aussi grande que la Castille, le Léon et l’Aragon réunis ; en un mot, que toutes nos possessions dans la Péninsule.

— As-tu remarqué ce qu’il nous a dit touchant la douceur et la bonté des habitants ? N’as-tu pas été frappé de l’air simple et confiant de ceux qu’il a amenés avec lui ? On pourra aisément apprendre à un tel peuple, en premier lieu, comme cela doit être, à adorer le seul vrai Dieu, le Dieu vivant ; secondement, à aimer et honorer ses souverains.

— L’autorité a toujours les moyens de se faire respecter, Isabelle, et don Christophe m’a assuré qu’un millier de bonnes lances suffiraient pour faire la conquête de toutes ces contrées de l’Orient. Il faudra nous adresser sans aucun délai au saint père, afin qu’il établisse entre don Juan et nous des limites qui préviennent toutes querelles relativement à ses intérêts et aux nôtres. J’en ai déjà dit un mot au cardinal, et il m’a donné à entendre qu’il a un grand crédit auprès du pape Alexandre.

— J’espère que les moyens de propager la religion de la croix ne seront pas oubliés dans cette négociation ; car je regrette de voir des hommes d’église traiter de choses temporelles, et négliger celles de leur divin maître.

Don Ferdinand regarda un instant la reine avec attention, mais sans lui répondre. Il s’aperçut que leurs sentiments, comme cela arrivait souvent en politique, n’étaient pas en parfaite harmonie ; et il eut recours à un sujet de conversation qui manquait rarement de faire descendre les hautes idées d’Isabelle à des considérations plus mondaines, quand il s’y prenait avec assez d’adresse.

— Tes enfants, doña Isabelle, recueilleront un bel héritage, grâce au succès de notre dernier, de notre plus grand acte politique. Tes domaines et les miens appartiendront après nous à un seul héritier ; l’alliance projetée avec le Portugal peut être un acheminement à une nouvelle augmentation de territoire ; là Grenade t’est déjà assurée par nos armes réunies : et voici que la Providence nous offre dans l’est un empire qui promet de surpasser tout ce que nous possédons déjà en Europe.

— Mes enfants ne sont-ils pas les tiens, Ferdinand ? Quelque chose d’heureux peut-il arriver à l’un de nous sans que l’autre en prenne également sa part ? J’espère que nos enfants apprendront pourquoi tant de nouveaux sujets et des territoires si étendus ont été ajoutés à leurs domaines, et qu’ils resteront toujours fidèles au premier et au plus grand de tous leurs devoirs, celui de répandre les lumières de l’évangile, afin que le pouvoir de l’Église catholique devienne plus promptement universel.

— Il peut cependant être nécessaire de nous assurer par des moyens humains les avantages que des moyens humains nous ont procurés.

— Sans doute, Ferdinand, et de bons parents doivent veiller aux intérêts de leurs enfants, à cet égard comme en toute autre chose.

Isabelle se montrant disposée à prêter l’oreille aux suggestions politiques du roi son époux, ils passèrent une heure à discuter quelques mesures importantes qu’il était de leur intérêt commun de prendre sur-le-champ. Ferdinand l’embrassa ensuite avec affection, et se retira dans son cabinet pour y travailler, suivant sa coutume, jusqu’à ce que la fatigue lui fît sentir qu’il devait prendre quelque repos.

Après le départ de son époux, la reine resta quelques minutes livrée à de profondes réflexions. Se levant ensuite, elle traversa plusieurs corridors privés qui conduisaient de son appartement à celui de ses filles. Elle passa une heure avec elles, se livrant aux sentiments d’une bonne mère et en remplissant les devoirs. Enfin, les embrassant l’une après l’autre, elle leur donna sa bénédiction, et se retira sans plus d’apparat que lors de son arrivée. Cependant, au lieu de retourner dans son appartement, la reine se rendit dans une autre partie du palais, et s’arrêtant devant une porte, y frappa légèrement. Une voix douce lui ayant dit d’entrer, Isabelle se trouva seule avec son ancienne et fidèle amie, la marquise de Moya. La reine fit un geste qui interdisait tout témoignage extérieur de respect, et connaissant la volonté de sa souveraine à cet égard, doña Béatrix la reçut comme elle eût reçu une égale.

— Marquise ma fille, lui dit Isabelle en posant sur une table sa petite lampe d’argent, nous avons eu une journée tellement remplie par des affaires d’une nature agréable, que j’ai presque oublié un devoir que je ne dois pas négliger. Votre neveu, le comte de Llera, est revenu à la cour et s’y est comporté avec autant de modestie et de prudence que s’il n’avait eu aucune part aux glorieux succès de Colomb.

— Luis est ici, Señora ; mais qu’il soit modeste et prudent, je laisse le soin d’en juger à ceux qui doivent avoir moins de partialité que moi en sa faveur.

— Toute sa conduite me semble le prouver ; et, après les grands résultats d’un pareil voyage, on peut pardonner un peu d’exaltation à un jeune esprit. Mais je suis venue pour vous parler de votre neveu et de votre pupille. Don Luis a donné une preuve de persévérance, de courage, qui ne permet plus d’élever aucune objection contre leur mariage. Vous savez que doña Mercédès m’a donné sa parole de ne pas se marier sans mon consentement ; je veux, ce soir même, la rendre aussi heureuse que je le suis moi-même, en la laissant maîtresse de son propre choix, et même en lui disant que je désire la voir comtesse de Llera le plus tôt possible.

— Votre Altesse est remplie de bonté pour moi et pour les miens, répondit la marquise d’un ton un peu froid. Mercédès doit être profondément reconnaissante de ce que sa souveraine peut donner une pensée à son bonheur, au milieu de tant d’intérêts d’une plus haute importance qui réclament son attention.

— C’est ce motif, ma chère amie, qui m’amène si tard auprès de vous. Mon âme est véritablement accablée sous le poids de ma gratitude envers le ciel ; et avant de me coucher, je voudrais faire partager mon bonheur à tous mes sujets. — Où est votre pupille ?

— À l’instant où Votre Altesse est entrée, elle venait de se retirer pour la nuit dans son appartement. — Je vais lui faire dire de se rendre en votre présence.

— Nous irons la trouver, Béatrix. On n’est jamais fatigué quand on porte de bonnes nouvelles.

— C’est un devoir, et ce serait un plaisir pour elle, Señora, de vous témoigner son respect.

— Je sais cela, marquise ma fille, mais je me fais un plaisir de lui porter moi-même cette nouvelle, dit la reine en s’avançant vers la porte. — Montrez-nous le chemin, vous devez le connaître mieux que personne. Vous voyez que nous marchons avec peu d’apparat et de cérémonie, — semblable à Colomb partant pour explorer ses mers inconnues, — et nous allons porter à votre pupille des nouvelles qui lui seront aussi agréables qu’ont dû l’être pour les habitants païens de Cipango celles que le Génois leur a portées. Ces corridors sont nos mers inconnues, et ces passages compliqués les routes obscures que nous devons explorer.

— Veuille le ciel que Votre Altesse ne fasse pas une découverte aussi étonnante que celle du Génois lui-même ! Quant à moi, je sais à peine si je dois tout croire ou n’ajouter foi à rien.

— Je ne suis pas étonnée de votre surprise, c’est un sentiment que ces événements extraordinaires ont rendu général, répondit la reine qui se méprenait évidemment au sens des paroles de son amie. Mais un autre plaisir nous attend ; celui de voir la joie du cœur pur d’une jeune fille qui a eu ses épreuves, et qui a su les soutenir en chrétienne.

Doña Béatrix soupira, mais ne répondit rien. Elles traversaient alors le petit salon dans lequel Mercédès recevait les dames de sa connaissance, et elles s’avançaient vers la porte de sa chambre, quand une de ses femmes voulut les précéder pour informer sa maîtresse de la visite qu’elle allait recevoir. Mais Isabelle était accoutumée à prendre avec ses amies les mêmes libertés qu’une mère prend avec ses enfants, et ouvrant la porte sans cérémonie, elle se trouva en face de Mercédès avant que celle-ci eût eu le temps de faire un pas à sa rencontre.

— Ma fille, dit la reine en s’asseyant, et en regardant la jeune fille avec un sourire plein de bonté, je viens m’acquitter d’un devoir solennel. Agenouillez-vous à mes pieds, et écoutez votre souveraine comme vous écouteriez une mère.

Notre héroïne obéit avec plaisir, car en ce moment tout lui semblait préférable à la nécessité de parler. Quand elle fut à genoux, la reine lui passa un bras autour du cou, et l’attira à elle avec une douce violence : dans cette attitude, le visage de Mercédès était caché dans les plis de la robe d’Isabelle.

— J’ai tout lieu d’être satisfaite de votre fidélité à remplir et vos promesses et votre devoir, mon enfant, dit la reine dès qu’elle eut fait ce petit arrangement, dont le but était de ménager la délicatesse de Mercédès ; vous avez tenu la parole que vous m’aviez donnée, et je viens vous annoncer en ce moment que je vous laisse maîtresse de suivre votre inclination, et que je n’y apporterai aucun obstacle. À cet égard, vous n’êtes plus engagée à rien envers votre souveraine ; car on peut confier le soin de son propre bonheur à une jeune fille qui a montré tant de discrétion et de délicatesse.

Mercédès garda le silence, quoique Isabelle crût sentir un léger tremblement agiter tout son corps.

— Point de réponse, ma fille ! — Aimez-vous mieux laisser à une autre le soin de votre destinée, que d’en être vous-même l’arbitre ? — Eh bien ! comme votre souveraine, comme vous tenant lieu de mère, je donnerai un ordre au lieu d’un consentement, et je vous dirai que mon désir et ma volonté sont que vous deveniez, aussi promptement que le comportent les convenances et votre rang, l’épouse de don Luis de Bobadilla, comte de Llera.

— Non, — non, — non, — Señora ; — jamais, — jamais ! s’écria Mercédès d’une voix étouffée par son émotion, et en cachant davantage encore son visage dans la robe de la reine.

Surprise au plus haut point, Isabelle regarda la marquise de Moya ; mais sa physionomie n’exprimait ni mécontentement ni ressentiment, car elle connaissait trop bien le caractère de notre héroïne pour la soupçonner de caprice ou de dissimulation puérile, dans une affaire qui la touchait de si près. L’intérêt qu’elle prenait à Mercédès ne lui fit éprouver qu’un vive sensation d’étonnement lorsqu’elle l’entendit tout à coup parler d’une manière si inattendue.

— Pouvez-vous m’expliquer ce que cela signifie, Béatrix ? demanda-t-elle. Ai-je causé de la peine quand je comptais apporter le bonheur ? Je suis vraiment malheureuse, car il paraît que j’ai blessé le cœur de cette jeune fille, lorsque je croyais lui apporter la félicité suprême.

— Non, — non, — non, non, Señora, s’écria de nouveau Mercédès en serrant avec une sorte de mouvement convulsif les genoux de la reine ; — Votre Altesse n’a blessé personne, — ne voudrait blesser personne, — ne peut blesser personne. — Vous êtes toute bonté et condescendance.

— Béatrix, c’est de vous que j’attends une explication. Est-il arrivé quelque chose qui justifie ce changement de sentiments ?

— Je crains beaucoup, Señora, que les sentiments de ma pupille ne soient les mêmes qu’autrefois, et que le changement dont vous parlez n’existe pas dans ce cœur jeune et sincère, mais seulement dans celui d’un homme volage et inconstant.

Un éclair d’indignation partit des yeux ordinairement si doux de la reine, et toute sa personne prit l’air de majesté qui lui était naturel.

— Cela peut-il être vrai ? s’écria-t-elle. Un sujet de la couronne de Castille aurait-il osé se jouer ainsi de sa souveraine, — de la bonne foi d’une jeune fille si douce et si pure, — et de tous ses devoirs envers Dieu ? Si ce téméraire compte agir ainsi avec impunité, qu’il prenne garde à lui ! Punirai-je celui qui fait tort à son voisin d’une misérable pièce d’argent, et laisserai-je impuni celui qui blesse l’âme d’une fille innocente ? — Je suis surprise de votre calme, marquise ma fille, vous qui avez coutume de laisser une honnête indignation parler le langage qui convient à un cœur juste et intrépide.

— Hélas ! Señora, ma maîtresse chérie, mes sentiments se sont déjà exhalés, et c’est tout ce que peut faire la nature ! D’ailleurs ce jeune homme est le fils de mon frère ; et quand je veux me livrer contre lui à tout le ressentiment que mérite sa faute, l’image de ce frère chéri, dont il est le portrait vivant, se présente à mon esprit et lui fait perdre toute son énergie.

— Cela est fort extraordinaire ! — Une créature si belle, — si jeune, — si noble, — si riche, — si aimable à tous égards, être si facilement oubliée ! — Pouvez-vous expliquer cela par quelque inclination passagère, marquise de Moya ?

Isabelle parlait ainsi en réfléchissant à part soi ; et comme les personnes d’un rang aussi élevé que le sien sont sujettes à perdre de vue les considérations subalternes, quand elles sont fortement émues, elle oublia que Mercédès l’entendait. Le frémissement convulsif qui agita de nouveau tout le corps de notre héroïne était bien capable de le lui rappeler, et la reine la pressa sur son cœur aussi tendrement qu’elle y eût pressé la princesse Juana elle-même.

— Que voulez-vous, Señora ? dit la marquise avec amertume : en jeune homme inconsidéré et sans principes, Luis a décidé une jeune princesse indienne à abandonner son pays et ses parents, sous prétexte d’ajouter au triomphe de l’amiral, mais en réalité pour obéir à une inclination subite, pour satisfaire un de ces caprices qui font des hommes ce qu’ils sont réellement, et rendent de malheureuses femmes leurs dupes et leurs victimes.

— Une princesse indienne, dites-vous ? — L’amiral nous en a présenté une, mais elle est déjà mariée, et ne pourrait en aucune façon être la rivale de doña Mercédès de Valverde.

— Ah ! chère Señora, celle dont vous parlez ne peut se comparer à l’autre. Ozéma, — c’est le nom de cette princesse indienne, — Ozéma est un être tout différent, et ses droits à la beauté sont incontestables. Si la beauté pouvait suffire pour justicier la conduite de ce jeune homme, il ne serait pas tout à fait sans excuse.

— Comment savez-vous cela, Béatrix ?

— Parce que Luis l’a amenée ici, Votre Altesse ; elle est dans cet appartement. Mercédès l’a reçue comme une sœur, tandis que la vue de cette étrangère lui perce le cœur.

— Ici ! dites-vous, marquise ? Mais en ce cas, il ne peut exister aucune liaison criminelle entre ce jeune inconsidéré et cette étrangère. Votre neveu n’aurait osé offenser à un tel point la vertu et l’innocence.

— Je ne l’en accuse pas, Señora. C’est sa légèreté, sa cruauté irréfléchie, qui me met en courroux contre lui. Jamais je n’ai cherché à inspirer à ma pupille des sentiments favorables pour don Luis, car je ne voulais pas qu’on pût dire que j’avais cherché à amener un mariage si honorable et si avantageux pour notre maison ; mais à présent je désire vivement faire sentir à Mercédès combien il est indigne d’elle.

— Ah ! Señora y ah ! marquise ! murmura Mercédès, Luis n’est pas si coupable. La beauté d’Ozéma, l’absence chez moi des moyens nécessaires pour conserver son cœur, sont les seules causes de son changement.

— La beauté d’Ozéma ! répéta lentement Isabelle. Béatrix, cette jeune Indienne est-elle donc assez parfaite pour que votre pupille puisse la redouter ou lui porter envie ? Je ne croyais pas qu’il pût exister une créature semblable.

— Votre Altesse sait ce que sont les hommes : ils aiment la nouveauté, et la figure la plus nouvelle est celle qui leur plaît le plus sûrement. — Par saint Jacques ! Andrés de Cabréra me l’a bien appris ! Mais ce serait un crime de supposer que personne eût pu donner une telle leçon à Isabelle de Transtamare.

— Réprimez des mouvements trop vifs et trop impétueux, marquise ma fille, dit la reine en jetant un coup d’œil sur Mercédès, dont la tête était complètement cachée sous les plis de sa robe ; lorsque le cœur se laisse aller à une trop grande sensibilité, il est rare que la vérité ne soit pas obscurcie. Don Andrés est un sujet loyal, il rend justice à votre mérite ; quant au roi, songez qu’il est le père de mes enfants et votre souverain. — Mais cette Ozéma, puis-je la voir ?

— Vous n’avez qu’à commander, Señora, pour voir qui bon vous semble. Elle est ici près, et elle peut vous être amenée dès qu’il plaira à Votre Altesse de l’ordonner.

— Non, Béatrix ; puisqu’elle est princesse, et étrangère en ce royaume, des égards sont dus à son rang et à sa position. Que doña Mercédès aille la préparer à nous recevoir ; j’irai la voir dans son appartement. Il est bien tard, mais elle excusera le manque de cérémonie, en considération du désir que j’ai de lui être utile.

Mercédès n’attendit pas un second ordre : se relevant aussitôt, elle se hâta d’accomplir le désir de la reine. Restées ensemble, Isabelle et la marquise gardèrent le silence pendant quelques minutes. La reine, comme cela convenait à son rang, le rompit la première :

— Il est très-étonnant, Béatrix, que Colomb ne m’ait point parlé de cette princesse. On n’aurait pas dû laisser entrer en Espagne une personne de son rang avec si peu de cérémonie.

— L’amiral, la regardant sans doute comme l’objet spécial des attentions de Luis, a laissé à mon perfide neveu le soin de la présenter à Votre Altesse. Ah, Señora ! n’est-il pas inconcevable qu’une jeune fille telle que Mercédès ait pu être si promptement supplantée par une créature d’une telle simplicité, non baptisée, plongée dans les ténèbres, à laquelle l’Église n’a jamais souri, et dont on peut dire qu’à chaque instant l’âme est en danger de périr ?

— Il faut prendre soin de cette âme, Béatrix, et sans aucun délai. — Mais cette princesse est-elle réellement assez belle pour l’emporter sur notre aimable doña Mercédès ?

— Ce n’est pas cela, Señora, ce n’est pas cela. Les hommes sont volages, et il leur faut de la nouveauté. D’ailleurs la retenue modeste des mœurs civilisées a quelque chose de moins attrayant pour eux que la liberté de celles qui considèrent les vêtements eux-mêmes comme chose superflue. Je n’ai pas dessein de jeter des doutes sur la pudeur d’Ozéma, — d’après ce que j’ai vu d’elle, je la crois irréprochable à cet égard ; — mais l’imagination déréglée d’un jeune étourdi peut trouver dans ses manières, qui sentent la liberté de la nature, et dans sa personne à demi vêtue, un attrait momentané qu’il ne trouverait pas dans les manières et la parure d’une Espagnole de haute naissance, qui a appris à se respecter rigidement, elle et tout son sexe.

— Cela peut être vrai pour des hommes vulgaires, Béatrix ; mais des motifs si indignes ne sauraient avoir influé sur la conduite du comte de Llera. Si votre neveu a été inconstant, comme vous le supposez, il faut que cette princesse indienne soit fort au-dessus de ce que vous la croyez.

— Vous pourrez bientôt en juger vous-même, Señora, car voici Mercédès qui vient nous avertir que l’Indienne est prête à recevoir l’honneur de la visite de Votre Altesse.

Notre héroïne avait préparé Ozéma à la visite de la reine. La jeune Indienne possédait alors suffisamment la langue espagnole pour que les communications verbales avec elle fussent intelligibles, quoiqu’elle parlât d’une manière décousue et en femme pour qui ce langage était encore tout à fait nouveau. Elle comprit fort bien qu’elle allait recevoir la visite de cette souveraine chérie dont Luis et Mercédès lui avaient si souvent parlé avec respect. Accoutumée à voir des caciques plus puissants que son frère, il ne fut pas difficile de faire comprendre à la jeune Indienne que la dame qui allait se présenter devant elle était la première de son sexe en Espagne ; la seule méprise que commit Ozéma, fut de croire qu’Isabelle était reine, non d’un pays particulier, mais de tout le monde chrétien ; car, dans son imagination, Luis et Mercédès étaient revêtus de la dignité royale.

Quoiqu’elle fût préparée à voir une jeune fille d’une grande beauté, la reine tressaillit de surprise lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur Ozéma. C’était pourtant encore moins la beauté de la jeune Indienne qui l’étonnait que la grâce naturelle de tous ses mouvements, l’heureuse et noble expression de sa physionomie, et l’aisance parfaite de son port et de sa tournure. Ozéma s’était habituée à porter des vêtements dont le poids lui aurait paru accablant à Haïti, la délicatesse de Mercédès sur les souvenances l’ayant portée à donner à sa nouvelle amie diverses parures qui rehaussaient singulièrement sa beauté ; cependant elle portait en écharpe, passé sur une épaule, le riche turban que lui avait donné Luis, comme ce que sa garde-robe renfermait de plus précieux, et la petite croix était suspendue sur son sein, comme le joyau dont elle faisait le plus de cas.

— Cela est incroyable, Béatrix ! s’écria la reine s’arrêtant à un bout de la salle, tandis qu’Ozéma, à l’autre extrémité, s’inclinait pour la saluer avec grâce. Est-il possible qu’un être doué d’une beauté si rare ait une âme qui ne connaît pas son Dieu et son Rédempteur ? Cependant, quelque peu éclairé que puisse être son esprit, son cœur n’a rien de vicieux ni de trompeur.

— Cela est vrai, Señora. En dépit de nos sujets de mécontentement, ma pupille et moi nous l’aimons déjà ; et nous pourrions la serrer sur notre cœur ; Mercédès, comme le ferait une sœur ; moi, comme le ferait une mère.

— Princesse, dit la reine en s’avançant avec un air de dignité calme vers l’endroit où Ozéma se tenait debout, les yeux baissés, et le corps légèrement incliné ; — princesse, vous êtes la bienvenue dans nos domaines : l’amiral a montré tout son discernement en ne classant pas une personne de votre rang, et qui a des droits qu’on ne peut méconnaître, avec les individus de votre pays qu’il a donnés en spectacle aux yeux vulgaires ; oui, il a montré en cela son jugement ordinaire, aussi bien que son respect pour le caractère sacré des souverains.

— L’amirante ! s’écria Ozéma, ses yeux brillant d’intelligence, car elle avait appris depuis longtemps à prononcer le titre de Colomb ; l’amirante, Mercédès, — Isabelle, Mercédès, — Luis, Mercédès, señora reyna.

— Que veut-elle donc dire, Béatrix ? pourquoi la princesse joint-elle le nom de Mercédès à celui de l’amiral, au mien, et même à celui du jeune comte de Llera ?

— Señora, il paraît que par suite de quelque étrange illusion, elle s’est imaginé que Mercédès est un mot espagnol qu’on applique à tout ce qui est parfait ou excellent ; et elle le joint à tout ce qu’elle veut louer d’une manière toute particulière. Votre Altesse a fort bien remarqué qu’elle réunit le nom de Luis à celui de Mercédès ; union que nous avions vivement souhaitée, mais qui paraît impossible désormais, et que la princesse doit être la dernière à désirer.

— Oui, il y a ici quelque étrange illusion, dit la reine ; mais cette idée a dû naître dans son esprit par une cause toute particulière, car de pareilles choses ne peuvent être dues au hasard. Ni l’amiral ni personne de son équipage ne connaissaient votre pupille ; votre neveu est donc le seul qui puisse avoir appris à la princesse à regarder le nom de Mercédès comme un signe d’excellence et de perfection.

— Señora ! s’écria Mercédès, une rongeur subite faisant disparaître la pâleur de ses joues, et ses yeux brillant de plaisir ; cela serait-il possible ?

— Pourquoi non, ma fille ? Nous pouvons avoir jugé trop à la hâte dans cette affaire, et pris des signes de dévouement à votre personne pour des preuves d’inconstance et de légèreté.

— Ah, Señora ! — Mais cela ne peut être, sans quoi Ozéma ne l’aimerait pas tant.

— Comment savez-vous, ma fille, que la princesse ait pour le comte d’autres sentiments que celui de la reconnaissance pour les soins qu’elle a reçus de lui, et pour l’inappréciable service qu’il lui a rendu en lui faisant connaître les mérites de la croix de notre Sauveur ? — Il y a ici quelque erreur, Béatrix.

— Je crains qu’il n’y en ait pas, Votre Altesse. Quant à la nature des sentiments d’Ozéma, on ne peut s’y méprendre ; elle est trop simple et trop naïve pour connaître la dissimulation. Que son cœur soit tout entier à Luis, c’est ce que nous avons vu dès les premières heures de notre connaissance ; et ce cœur est trop pur pour s’être donné sans avoir été recherché. Le sentiment qu’éprouve cette Indienne n’est pas seulement de l’admiration, c’est une passion ardente dont la chaleur égale celle du soleil qui, dit-on, darde ses rayons brûlants sur son pays natal.

— Señora, était-il possible de voir si souvent don Luis au milieu de circonstances faites pour mettre à l’épreuve ses qualités guerrières ; était-il possible, au milieu de tant d’occasions de connaître son excellent cœur, de ne pas le placer bien au-dessus de tous les autres ? demanda Mercédès.

— Qualités guerrières, — excellent cœur ! répéta lentement la reine ; et faire si peu d’attention au mal qu’il cause ! Luis n’est ni un chevalier ni un cavalier digne de l’estime de notre sexe, si ce que vous supposez est vrai, ma chère enfant.

— Señora, répondit avec vivacité Mercédès, dont la méfiance cédait au désir qu’elle avait de justifier notre héros, la princesse nous a raconté de quelle manière don Luis l’a délivrée de son plus grand ennemi, de son persécuteur, d’un tyran nommé Caonabo, souverain d’une partie de son île, et avec quel dévouement il a combattu pour elle.

— Retirez-vous, ma fille, et après avoir prié la sainte Vierge Marie d’intercéder pour vous, cherchez sur votre oreiller le calme que procure une religieuse soumission à la volonté de Dieu. — Béatrix, je désire rester seule avec la princesse.

La marquise et Mercédès se retirèrent, laissant Isabelle et Ozéma seules dans l’appartement. L’entrevue qui suivit dura plus d’une heure, ce temps ayant été nécessaire à la reine pour se former une opinions sur les réponses de l’étrangère, dont les moyens de communication étaient encore très-imparfaits. Qu’ozéma eût donné sans réserve son cœur à Luis, c’est ce dont Isabelle ne put douter en aucune manière. Habituée à ne déguiser aucune de ses pensées, la jeune Indienne n’aurait pu réussir à lui cacher la préférence qu’elle accordait à Luis, quand bien même elle en aurait eu le projet ; d’ailleurs, indépendamment de son ingénuité naturelle, Ozéma pensait que son devoir exigeait qu’elle ne cachât rien à la souveraine de Luis, et elle lui ouvrit son cœur avec autant de simplicité que de franchise.

— Princesse, lui dit la reine lorsqu’elle se crut enfin en état de saisir les paroles de la jeune Indienne, maintenant je crois comprendre votre récit. Caonabo est chef, ou, si vous le voulez, roi d’un pays voisin du vôtre. Il a désiré vous épouser ; mais comme il était déjà marié à plusieurs princesses, vous avez, avec beaucoup de raison, refusé ses offres. Il essaye alors de s’emparer de vous par la force, et le comte de Llera se trouvant en visite chez votre frère…

— Luis ! — Luis ! s’écria Ozéma, sa voix douce exprimant quelque impatience ; Luis ! — non comte. — Luis ! — Luis !

— Fort bien, princesse ; mais le comte de Llera et Luis de Bobadilla sont la même personne. Luis donc, si vous le préférez ainsi, était alors dans votre palais ; il combattit ce cacique présomptueux, qui, ne se contentant pas de la possession d’une seule femme, conformément à la loi de Dieu, voulait en avoir une seconde ou une troisième, et, l’ayant vaincu, vous ramena chez vous en triomphe. Votre frère alors vous engagea à vous réfugier en Espagne pour un certain temps ; et don Luis, devenu votre guide et votre protecteur, vous a placée ici sous les soins de sa tante.

Ozéma n’eut pas beaucoup de peine à comprendre ce discours, car il roulait sur un sujet qui avait occupé bien souvent ses pensées. Elle fit un signe de tête pour indiquer qu’elle reconnaissait l’exactitude de tout ce que venait de dire Isabelle.

— Et maintenant, princesse, continua la reine, je dois vous parler avec une franchise maternelle, car je regarde comme mes enfants toutes les personnes de votre rang, aussi longtemps qu’elles résident dans mes États, et elles ont droit de compter sur mes avis, aussi bien que sur ma protection ; répondez : aimez-vous assez don Luis pour consentir à oublier votre pays et à adopter le sien ?

— Ozéma pas savoir ce que vouloir dire adopter, répondit la jeune fille.

— Je désire savoir si vous consentiriez à être la femme de Luis de Bobadilla.

Femme et mari étaient des mots dont la jeune Indienne connaissait depuis longtemps la signification. Elle sourit innocemment, quoique en rougissant, et fit un signe qui indiquait son consentement.

— Je dois donc comprendre que vous vous attendez à épouser Luis ; car un jeune fille modeste, comme vous l’êtes, n’avouerait pas si clairement un tel sentiment de préférence, si cet espoir ne se présentait à son cœur presque comme une certitude.

— Sans doute, Señora. — Ozéma, femme de Luis.

— Vous voulez dire, princesse, que vous vous attendez à épouser bientôt le comte, à devenir bientôt sa femme ?

— Non, — non, — non ! — Ozéma à présent femme de Luis. Luis déjà mari d’Ozéma.

— Cela est-il possible ? s’écria la reine, regardant en face la belle Indienne, pour s’assurer si ce qu’elle disait n’était pas une tentative artificieuse pour la tromper. Mais les traits ingénus et innocents d’Ozéma ne permettaient pas de concevoir le moindre soupçon à cet égard, et Isabelle fut forcée de croire ce qu’elle venait d’entendre. Cependant, pour être plus certaine de ce fait, elle continua à l’interroger pendant près d’une demi-heure, et toujours avec le même résultat.

Quand la reine se leva pour se retirer, elle embrasse la princesse, — car elle qualifiait ainsi cette fille de la nature sauvage, sortant d’un état de société inconnu et tout nouveau pour les Européens, — et elle pria pieusement le ciel de lui éclairer l’esprit, et d’assurer la paix future de son cœur. En rentrant dans l’appartement de la marquise, elle y trouva cette fidèle amie qui l’attendait, doña Béatrix n’ayant pas voulu se coucher sans savoir quelle impression avait pu faire sur Isabelle sa conversation avec Ozéma.

— Les choses sont encore pires que nous ne le pensions, dit Isabelle pendant que la marquise fermait la porte. Votre neveu, inconstant et sans âme, a déjà épousé l’Indienne, et elle est dès à présent son épouse légitime

— Señora, il doit y avoir ici quelque méprise. Ce jeune inconsidéré n’aurait jamais osé me tromper ainsi, — et cela en présence de Mercédès elle-même !

— Il est plus naturel, marquise ma fille, qu’il ait placé sa femme sous vos soins, qu’une personne qui aurait eu sur lui des droits moins forts. Mais il ne peut y avoir aucune méprise : j’ai questionné la princesse à plusieurs reprises, et il ne me reste aucun doute qu’ils n’aient été mariés avec tous les rites religieux. Il n’est pas toujours très-facile de bien comprendre ce qu’elle dit ; mais elle m’a déclaré ce fait plusieurs fois, et très-distinctement.

— Votre Altesse ! — un chrétien peut-il contracter mariage avec une femme qui n’a pas encore été baptisée ?

— Certainement non, aux yeux de l’Église, qui sont en quelque sorte les yeux de Dieu. Mais je suis portée à croire qu’Ozéma a reçu le saint sacrement du baptême, car elle me montrait souvent la croix qu’elle porte, en me parlant de son union avec votre neveu. D’après les allusions qu’elle y a faites, j’ai compris qu’elle disait qu’avant de devenir son épouse elle était devenue chrétienne.

— Et cette croix, Senora, c’était un présent fait par Mercédès à mon indigne neveu, — un présent qu’il reçut à l’instant de son départ, — un symbole sacré qui devait lui rappeler la constance et la foi qu’il lui avait jurées.

— Le cœur des hommes est exposé à subir tant de révolutions en courant le monde, Béatrix, qu’ils ne savent pas apprécier la confiance et la fidélité d’une femme. — Mais mettez-vous à genoux, et demandez au ciel la grâce de pouvoir soutenir votre pupille dans cette cruelle mais inévitable extrémité.

La reine se tourna alors vers son amie pour lui faire ses adieux. La marquise s’avança, et lui prit une main qu’elle pressa sur ses lèvres. Mais Isabelle ne se contenta pas de cette marque d’affection respectueuse, et passant un bras autour du cou de doña Béatrix, elle l’attira à elle et lui donna un baiser sur le front.

— Adieu, Béatrix ; adieu, ma véritable amie ! lui dit-elle : — si la constance a abandonné tous les autres cœurs, elle a encore un asile dans le vôtre.

À ces mots, la reine et la marquise se séparèrent pour aller, sinon dormir, du moins se reposer.