Mathématiques et mathématiciens/Chp 2 - Section : Méthode

Librairie Nony & Cie (p. 252-269).


MÉTHODES



DIVISEUR ET RAMASSE-TOUT

Jean Macé, dans l’Arithmétique de grand papa, personnifie ainsi l’analyse et la synthèse : le livre est enfantin, mais il est ingénieux et charmant.

LA DIVISION

Jadis, la division, qu’on appelait l’épine de l’arithmétique, s’effectuait à la française, à la portugaise ou à l’italienne. La règle actuelle de l’opération a été résumée, par Leslie, en un seul vers :

Divide, multiplica, subduc, transferque secantem.

Un professeur, pour faire retenir la théorie réputée difficile de la division, disait : « Dans le second cas, vous coupez la tête du diviseur et, dans le troisième, vous coupez la tête du quotient. »

ANATOMISTES

O. Terquem écrivait quelques jours avant sa mort :

L’ouvrage de Borelli (De motu animalium) est un petit chef-d’œuvre qui me procure des heures délicieuses ; on voit l’avantage qu’il y a aux anatomistes d’être géomètres. Il est à désirer qu’on fasse sur le même plan une nouvelle édition de l’Anatomie descriptive de Richerand, ce serait une excellente acquisition. Malheureusement, nos anatomistes sont peu géomètres et nos médecins de faibles chimistes.

FROMAGE

M. Mannheim raconte qu’un ingénieur embarrassé pour pratiquer un escalier tournant dans une voûte hémisphérique, dit au conducteur de préparer l’épure. Le subalterne creusa dans un bloc de gruyère une cavité en forme de bassin, dressa dans l’axe une vis de pressoir qu’il fit tourner. La trouée à pratiquer dans le dôme de pierre se dessina ainsi très nettement.

EXPÉRIENCE GÉOMÉTRIQUE

Pour trouver l’aire de la cycloïde, Galilée pesa avec une grande précision deux lames minces de même matière, dont l’une était égale au cercle et l’autre à la cycloïde engendrée. Il constata par cette expérience que le poids de cette dernière est le triple de celui du cercle, résultat prouvé plus tard théoriquement par Pascal. Le succès de l’expédient tint à la simplicité du rapport, non seulement commensurable, mais entier.

JETONS BARDOT

Ce sont des cubes en bois, les uns blancs et les autres noirs, à l’aide desquels on explique matériellement la numération aux commençants. Dix de ces jetons, réunis en une baguette, forment une dizaine ; dix baguettes, réunies en une plaque, forment une centaine ; dix plaques superposées composent un cube qui est un mille. Continuons : si l’on groupait dix de ces gros cubes qui sont des mille, on aurait une dizaine de mille ; si l’on juxtaposait dix dizaines de mille, la grande plaque serait une centaine de mille ; si l’on étageait enfin dix des plaques précédentes, on aurait un cube énorme qui serait un million. Ainsi de suite pour la dizaine de millions, la centaine de millions, le billion, etc., etc.

MACHINES ARITHMÉTIQUES

On remarque, parmi les petites machines, les réglettes de Neper, l’inventeur des logarithmes, de Mannheim, de Lalanne, de Grenaille et d’Ed. Lucas, etc. Dans certains pays, tous les contremaîtres se servent couramment d’une règle à calcul.

Les machines plus considérables sont d’abord celle de Pascal, simplifiée par de Lépine et récemment par Roth, qui en a réduit le volume ; puis celle de Thomas de Colmar, à l’aide de laquelle on multiplie en une demi-minute deux nombres de dix chiffres : on s’en sert aux Magasins du Louvre, à l’Observatoire, aux Compagnies d’Assurances, etc. ; on en vend plus d’une centaine par an. Il y a aussi la machine à mouvement continu de Tchebychef.

Toute machine arithmétique se compose de quatre organes essentiels : le générateur, le reproducteur, le renverseur et l’effaceur.

On a reconnu que pour un calculateur exercé, il faut 7 minutes 19 secondes pour multiplier un nombre de 14 chiffres par un nombre de 8 chiffres. Les agents inorganiques, eux, ne se fatiguent guère et ne se trompent pas, à moins que les ressorts ne se faussent. Mais, il y a les machines géométriques, sans ressorts, et l’admirable machine de Tchebychef, qui se romprait plutôt que de ne pas dire vrai.

Voir M. d’Ocagne : Nomographie. Les calculs usuels effectués au moyen des abaques.

INTÉGRATEURS ET INTÉGRAPHES

Les intégrateurs sont des instruments qui effectuent mécaniquement la sommation d’une série infinie de grandeurs infiniment petites, qu’il s’agisse d’une aire limitée par une courbe, d’un travail mécanique, etc. Mais les planimètres, les totaliseurs dynamométriques, etc., ne donnent que le résultat final de l’intégration. Abdank-Abakonowicz est allé plus loin ; ses intégraphes donnent, sous forme d’un tracé graphique, la loi complète qui régit la sommation, en un mot ce qu’on peut appeler la courbe intégrale.

Le planimètre polaire d’Amsler est celui qui semble être appelé à l’emploi le plus fréquent. Les applications des planimètres sont nombreuses ; les contributions directes, les administrations du cadastre et des forêts, le service topographique du génie, les architectes, les ingénieurs, les géomètres arpenteurs ont recours à ces instruments pour résoudre ce problème si délicat de la détermination des aires planes à contours curvilignes.

En Allemagne, on possède un planimètre comme on a une boîte de compas.

ARITHMÉTIQUE POLITIQUE

Étant données la population, les mœurs, la religion, la situation géographique, les relations politiques, les richesses, les bonnes et mauvaises qualités d’une nation, trouver les lois qui lui conviennent.

J. de Maistre.

Nous ne demandons à nos législateurs qu’une solution par approximations successives du problème posé.

OPÉRATIONS ABRÉGÉES

On faisait remarquer à un candidat qu’il aurait pu employer les opérations abrégées. Il répliqua qu’il n’avait pas eu le temps.

Lorsqu’on est pressé, on préfère la grande route qu’on connaît bien au chemin de traverse dont on n’est pas sûr.

La réflexion suivante de J.-J. Rousseau s’applique aux calculateurs de profession : « … alors on trouve des méthodes abrégées dont l’invention flatte l’amour-propre, dont la justesse satisfait l’esprit et qui font faire avec plaisir un travail ingrat par lui-même. »

GAUFRES

Je n’oublierai jamais d’avoir vu à Turin un jeune homme à qui, dans son enfance, on avait appris les rapports des contours et des surfaces en lui donnant chaque jour à choisir, dans toutes les figures géométriques, des gaufres isopérimètres. Le petit gourmand avait épuisé l’art d’Archimède, pour trouver dans laquelle il y avait le plus à manger.

J.-J. Rousseau.
PLAIES

Aristote dit que le médecin constate que les plaies circulaires sont les plus longues à guérir, et le géomètre démontre qu’il ne peut en être autrement, puisque de toutes les figures qui ont un périmètre égal, le cercle est celle qui présente la plus grande surface.

TACHYMÉTRIE

L’ingénieur Lagout, mort depuis quelques années, est l’auteur d’une tentative de rénovation des mathématiques, dans l’intention de les simplifier en les matérialisant, pour les mettre à la portée du plus humble ouvrier. Il a eu quelques idées ingénieuses : son matériel et ses tableaux en couleur sont saisissants. Malheureusement, grisé par son système, l’inventeur a cru, bien à tort, être aussi rigoureux qu’Euclide. Son prompt-mesurage n’est qu’un aperçu populaire qui parle aux yeux.

M. C. Rey a porté sur la méthode ce jugement piquant et plus sévère : « La Géométrie est la science qui apprend à raisonner juste, même sur des figures qui sont fausses, tandis que la Tachymétrie est un art qui apprend à raisonner faux, sur des figures qui sont justes. »

VINGT CENTIMES

Quand, sous le second empire, on frappa pour la première fois des pièces de vingt centimes, un homme d’esprit s’écria : on dira maintenant cinq fois quatre font vingt et non plus quatre fois cinq font vingt.

J’ai lu dans un livre belge cette question inquiétante : Le produit de un franc par un franc est-il égal au produit de cent centimes par cent centimes ?

POTAGE

Dans son explication de l’addition, un élève avait oublié de dire qu’on n’ajoute que des choses de même espèce, le professeur lui demanda : Combien font 150 grammes de navets, 200 grammes de carottes et 225 grammes de pommes de terre ? — Réponse : Cela ferait un excellent potage.

Autre exemple. Un soldat aveugle portait cet écriteau : batailles 8 ; blessures 10 ; enfants 6 ; total 24.

ANARCHIE

Le cinquième livre de la géométrie fait le désespoir des élèves et des examinateurs, tant l’ordre et l’énoncé des propositions varient. Legendre et Rouché ne s’accordent nullement et il y a beaucoup d’opinions intermédiaires. On demande un dictateur pour imposer une théorie unique.

Dernière nouvelle : on annonce des préliminaires de paix.

MÈTRES CARRÉS

C’est grâce à la géométrie que les marchands de mesures ne vendent ni mètres carrés ni mètres cubes.

Quelques dames confondent encore le mètre courant, le mètre carré et le mètre cube.

Un mot spirituel : le professeur avait fait écrire au tableau le nombre 1 000 000 000 ; il s’agit de mètres carrés, dit-il, combien cela pèse-t-il ? Bien peu de craie, répondit l’élève.

ANXIÉTÉ

On ne peut baser aucun raisonnement sur une série divergente, c’est-à-dire sur une suite régulière de termes dont la somme croît au-delà de toute limite. Les géomètres du XVIIIe siècle n’ont guère tenu compte de la convergence des séries et c’est Cauchy qui a éclairé le premier la question. On raconte qu’après une communication de ce dernier à l’Académie, Laplace quitta brusquement ses confrères, et se renferma chez lui pendant près d’un mois, pour vérifier la convergence de toutes les séries sur lesquelles est fondée sa mécanique céleste. Heureusement, aucune n’était divergente !

Abel a dit que : « Avec une série divergente, on prouve tout ce qu’on veut, l’impossible aussi bien que le possible. »

IMPOSSIBLE

En mathématiques, il n’y a de vraiment impossible que le contradictoire. On peut lever l’impossibilité provisoire provenant d’une vue trop étroite de la question : Pourquoi exiger le résultat sous une certaine forme ou entre certaines limites ? D’autre part, si vous ne trouvez pas la solution rigoureuse d’un problème, vous pouvez chercher des valeurs de plus en plus approchées et raisonner l’approximation.

RELIEFS

Il s’agissait de passer au cubage des corps solides, et ceci fut plus difficile ; les figures du tableau ne suffisaient plus ; les enfants ne se rendaient pas compte de toutes les formes que représentait un simple tracé. L’idée me vint de parler au vieux cuvelier Sylvestre, qui tout de suite comprit ce que je lui demandais ; il me fit des cubes, des prismes, des cônes en bois, capables de se monter et de se démonter, comme on le voulait : tout devint clair, sensible pour les élèves. Nous raisonnions des choses, les pièces en main, et nous faisions ensuite nos calculs. Ce système de fabriquer des figures géométriques en bois s’est depuis répandu partout ; des centaines d’ouvriers de la Forêt-Noire ne font plus que cela. Quelques-uns ont poussé la chose jusqu’à fabriquer des figures en cristal, afin d’en voir du premier coup d’œil les arêtes et les angles opposés.

Erckmann-Chatrian.

On veut enseigner aux enfants ce que c’est qu’un cône, comment on le coupe, le volume de la sphère, et on leur montre des lignes, des lignes ! Donnez-leur le cône en bois, la figure en plâtre, apprenez-leur cela comme on découpe une orange !

J. Vallès.
COTON ET MUSIQUE

La fonction d’une variable indépendante la plus importante à Liverpool est peut-être le prix du coton. Une courbe montrant le prix du coton, s’élevant quand ce prix est élevé, s’abaissant quand il est bas, montre à l’œil toutes les variations si complexes de cette fonction.

Songez à la complexité de l’effet produit par un orchestre qui joue (un orchestre de cent instruments), et deux cents voix qui chantent en chœur, accompagnées par l’orchestre. Songez à l’état de l’air ; songez combien il est déchiré quelquefois… Une simple courbe, dessinée de la même manière que celle des prix du coton, représente tout ce que l’oreille peut entendre dans l’exécution la plus compliquée.

W. Thomson.
RÈGLES DE BOIS

Ces pauvres instruments, avec lesquels il a réformé l’astronomie, Copernic les avait taillés et divisés lui-même. Tycho-Brahe les a célébrés en vers latins : « C’est avec ces frêles morceaux de bois, ouvrage grossier et sans art, que Copernic entreprit de donner des lois au ciel et de régler le cours des astres ; il est parvenu, par son génie, à une hauteur où nul mortel n’avait atteint avant lui.

Ô monuments inestimables d’un si grand homme ! Ils sont faits d’un bois vulgaire, et cependant l’or le plus pur pâlirait devant eux ! »

ALPHABET

Lorsqu’on apprend à un enfant à lire et à écrire, on peut lui donner quelques notions géométriques, en lui faisant analyser les formes des majuscules romaines. Dans A, il y a un triangle dont deux côtés sont prolongés ; C est un arc ; D un demi-cercle, avec son diamètre ; E présente des angles droits ; H des parallèles et une perpendiculaire ; M des angles aigus, etc.

TRAVAIL PERSONNEL

On félicitait le chimiste Regnault de sa force en mathématiques. Il répondit : « Notre principal professeur à l’École polytechnique était si obscur que les sergents devaient se réunir après chaque leçon pour la refaire. C’est moi qui ai rédigé, pendant quelque temps, les cahiers pour mes camarades. Vous pouvez vous figurer combien cela m’a fait travailler. »

RÉACTIFS

On sait que le chimiste introduit des réactifs contenant des éléments souvent étrangers au produit qu’il veut obtenir, mais dont la présence favorise les transformations intermédiaires que doit subir le phénomène : le même rôle appartient aux lignes auxiliaires que trace le géomètre, diagonales, droites parallèles ou perpendiculaires à des directions déterminées, etc., ces lignes séparent les éléments primitifs, suggèrent entre eux des groupements nouveaux, parallélogrammes, triangles égaux ou semblables, etc., et de ces figures l’analyse dégage certaines propriétés qui ont un rapport plus direct avec la conclusion visée.

H. Harant.
FAGOTS ET FAGOTS

Un profane n’aperçoit que des coefficients dans les équations ; tous lui paraissent égaux en importance, et s’il veut se renseigner sur les solutions, il se figure qu’il faut aller les interroger séparément, de même qu’on arrête dans la rue le premier ouvrier venu pour lui demander son chemin. Mais non, il y a des chefs qu’on n’aperçoit pas ; c’est à leur bureau qu’il faut s’adresser. Soient, par exemple, dix équations littérales du premier degré à dix inconnues. L’opérateur… veut savoir si les solutions sont possibles, ou impossibles, ou indéterminées. Qu’il n’aille donc pas interroger la vile plèbe des coefficients. Non ; il y a un personnage considérable qui sait le secret ; c’est un polynôme, le dénominateur commun. On l’appelle le déterminant du système ; et ce nom est bien choisi, car c’est lui qui vous sert à déterminer la nature des solutions.

Le P. Poulain.

Le déterminant est aidé par le conseil des numérateurs, assistés eux-mêmes de déterminants mineurs, etc.

PLURALITÉ DES MONDES

Les astronomes qui calculent les mouvements apparents des astres dans leur passage de chaque jour au méridien, ceux qui annoncent l’arrivée des éclipses, des phénomènes célestes, des comètes périodiques, ceux qui observent avec tant de soin les positions précises des étoiles et des planètes aux divers degrés de la sphère céleste, ceux qui découvrent des comètes, des planètes, des satellites, des étoiles variables, ceux qui recherchent et déterminent les perturbations apportées aux mouvements de la terre par l’attraction de la lune et des planètes, ceux qui consacrent leurs veilles à découvrir les éléments fondamentaux du système du monde, tous, observateurs ou calculateurs, sont des précurseurs de l’astronomie nouvelle. Ce sont d’immenses travaux, des labeurs dignes d’admiration et de transcendantes œuvres. Mais c’est l’armée du passé. Mathématiciens et géomètres, désormais le cœur des savants va battre pour une conquête plus noble encore. Tous ces grands esprits, en étudiant le ciel, ne sont en réalité, pas sortis de la Terre. Le but de l’Astronomie n’est pas de nous montrer la position apparente de points brillants, ni de peser des pierres en mouvement dans l’espace, ni de nous faire connaître d’avance les éclipses, les phases de la lune ou des marées. Tout cela est beau mais insuffisant.

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Le jour viendra, et très prochainement, puisque tu es appelé à le voir, où cette étude des conditions de la vie dans les diverses provinces de l’univers sera l’objet essentiel — et le grand charme — de l’Astronomie.

Flammarion.
TRANSFORMATIONS

Dans la Géométrie ancienne les vérités étaient isolées ; de nouvelles étaient difficiles à imaginer, à créer ; et ne devenait pas géomètre inventeur qui voulait.

Aujourd’hui chacun peut se présenter, prendre une vérité quelconque connue, et la soumettre aux divers principes généraux de transformation ; il en retirera d’autres vérités, différentes ou plus générales ; et celles-ci seront susceptibles de pareilles opérations ; de sorte qu’on pourra multiplier, presqu’à l’infini, le nombre des vérités nouvelles déduites de la première.

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Peut donc qui voudra, dans l’état actuel de la science, généraliser et créer en géométrie ; le génie n’est plus indispensable pour ajouter une pierre à l’édifice.

Chasles.
INVISIBLE

L’astronomie de l’invisible, n’est, pour ainsi parler, pas plus difficile que celle des astres observables. Le géomètre dans son cabinet de travail, n’a pas besoin de voir les astres pour en calculer la marche. Le Verrier l’a prouvé en découvrant Neptune par le calcul, Bessel en démontrant l’existence du compagnon de Sirius. Tous deux ont vu l’astre inconnu, comme Christophe Colomb voyait l’Amérique des rivages de l’Espagne, et, avec la même foi, ils ont osé assigner la place où devait les voir l’œil émerveillé de l’astronome.

Wolf.
PRÉCISION

Si de Parme comme centre, avec un rayon égal à 60 lieues, on décrit une demi-circonférence, cette demi-circonférence passe par les sommets des Alpes.

Napoléon.
DEUX TENDANCES

Il semble que l’on puisse aujourd’hui distinguer, dans les mathématiciens, deux tendances d’esprit différentes. Les uns se préoccupent principalement d’élargir le champ des notions connues ; sans se soucier toujours des difficultés qu’ils laissent derrière eux, ils ne craignent pas d’aller en avant et cherchent de nouveaux sujets d’étude. Les autres préfèrent rester, pour l’approfondir davantage, dans le domaine de notions mieux élaborées ; ils veulent en épuiser les conséquences, et s’efforcent de mettre en évidence dans la solution de chaque question les véritables éléments dont elle dépend. Ces deux directions de la pensée mathématique s’observent dans les différentes branches de la science ; on peut dire toutefois, d’une manière générale, que la première tendance se rencontre le plus souvent dans les travaux qui touchent au calcul intégral et à la théorie des fonctions ; les travaux d’algèbre moderne et de géométrie analytique relèvent surtout de la seconde.

E. Picard.
EN PROBLÈMES

Exposez toute science de raisonnement sous forme de problèmes proposés d’abord, et résolus ensuite, la théorie régulière et suivie ne venant qu’après pour coordonner et classer les vérités acquises. Sous la forme vive et saisissante de problèmes, la science pénètre plus profondément dans l’esprit dont les facultés inventives sont d’ailleurs toujours en pleine action.

Desboves.
COEFFICIENTS DE CORRECTION

Si l’on peut dire de la géométrie rationnelle, telle qu’elle est enseignée depuis l’antiquité, que c’est l’art de faire des raisonnements exacts sur des figures fausses, par opposition on peut dire de la géométrie pratique, dont on fait usage dans les levers de terrain, que c’est l’art de faire des figures exactes avec des instruments infidèles.

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En géométrie, n’y aurait-il pas un grand avantage à faire inscrire des hexagones réguliers dans des circonférences, avant de démontrer que le côté de ces polygones est égal au rayon ? Cette marche ne mettrait-elle pas en garde, contre les affirmations trop absolues de la théorie, l’esprit d’un élève qui aurait constaté, par sa propre expérience, que rarement, à la fin de l’opération la pointe du compas retombe sur le point de départ ? Cela ne le ferait-il pas réfléchir aux causes d’insuccès de cette opération ? Son professeur ne serait-il pas obligé de les lui expliquer ? Et peu à peu n’en viendrait-il pas à se familiariser avec ce principe d’expérience, que, dans les applications des vérités les mieux démontrées, de celles qui présentent le caractère le plus indubitable de la vérité absolue, on doit toujours compter, si je puis m’exprimer ainsi, avec les résistances passives contre lesquelles il faut lutter dans chaque action matérielle.

Si je ne me trompe, l’enseignement dirigé dans cette voie, développerait le jugement, le tact pratique. En tout cas, il éviterait des illusions fréquentes à ceux qui acceptent comme des vérités absolues les résultats des recherches physico-mathématiques, recherches dans lesquelles on néglige tant de choses.

Goulier.

Le célèbre topographe ne restait guère dans les régions de l’idéal. Il faisait la part des résistances de la matière et des défaillances de l’opérateur.