Mathématiques et mathématiciens/Chp 1 - Section : La limite, l’infiniment grand et l’infiniment petit

Librairie Nony & Cie (p. 56-62).


LA LIMITE, L’INFINIMENT GRAND

ET L’INFINIMENT PETIT


On appelle limite d’une grandeur variable, une grandeur fixe dont la grandeur variable se rapproche indéfiniment, de façon à pouvoir en différer aussi peu qu’on voudra, mais sans jamais l’atteindre.

On appelle infiniment petit une quantité variable qui a pour limite zéro.

Tout nombre est fini et assignable, toute ligne l’est de même et les infinis ou infiniment petits ne signifient que des grandeurs qu’on peut prendre aussi grandes ou aussi petites que l’on voudra …

… On entend par infiniment petit l’état de l’évanouissement ou du commencement d’une grandeur, conçue à l’imitation des grandeurs déjà formées.

Leibniz.

La notion de l’infini, dont il ne faut pas faire un mystère en Mathématiques, se réduit à ceci : Après chaque nombre entier, il y en a un autre.

J. Tannery.

C’est l’élan de l’esprit au-delà de ce que montre l’observation, au-delà même de tout ce qu’elle est capable de donner, qui seul a pu nous faire connaître la série des nombres entiers, celle des grandeurs continues ; et nous conduire par là aux idées d’infiniment petit, de point, de ligne, de surface, limites de quantités indéfiniment décroissantes ou d’étendues dont certaines dimensions diminuent jusqu’à zéro. Ces notions se présentent donc à nous comme des créations de l’intelligence dans sa recherche de la simplicité et de la perfection absolue pour ce qui concerne les grandeurs, comme des données que la vue des choses n’implique pas logiquement, c’est-à-dire déductivement, mais qu’elle suggère à notre faculté d’intuition idéale, ou, si l’on veut, à notre pouvoir de généralisation. L’infiniment petit, notamment, n’est pas le zéro pur, le zéro considéré isolément, mais bien le zéro en tant que limite des décroissements d’une grandeur, ou en tant que point de départ d’une quantité qui naît et augmente.

Boussinesq.

La continuité d’une grandeur est une propriété purement idéale, en ce sens qu’il n’y a pas dans la nature de grandeur qui soit matériellement continue. Cette continuité n’existe que dans l’imagination du géomètre.

J.-F. Bonnel.

On est conduit à l’idée des infiniment petits, lorsqu’on considère les variations successives d’une grandeur soumise à la loi de continuité. Ainsi le temps croît par degrés moindres qu’aucun intervalle qu’on puisse assigner, quelque petit qu’il soit. Les espaces parcourus par les différents points d’un corps croissent aussi par des infiniment petits, car chaque point ne peut aller d’une position à une autre sans traverser toutes les positions intermédiaires ; et l’on ne saurait assigner aucune distance, aussi petite que l’on voudra, entre deux positions successives. Les infiniment petits ont une existence réelle ; ils ne sont pas seulement un moyen d’investigation imaginé par les géomètres.

Poisson.

Opinion isolée et inexacte. La continuité d’une grandeur est une fiction de l’esprit ; il n’y a pas dans la nature, de grandeur rigoureusement continue.

Le cercle n’est que le composé d’une infinité de triangles dont le sommet est au centre et dont les bases forment la circonférence ; le cône est composé d’une infinité de pyramides, appuyées sur des triangles infiniment petits de la base circulaire et ayant leur sommet commun avec celui du cône, tandis que le cylindre de même base et de même hauteur est formé d’un pareil nombre de petits prismes appuyés sur les mêmes bases et ayant même hauteur qu’elles.

Kepler.

Les quantités sont appelées infinitésimales non point parce qu’on les regarde comme très petites, ce qui est fort indifférent, mais parce qu’on peut les considérer comme aussi petites que l’on voudra, sans qu’on soit obligé de rien changer à la valeur des quantités, telles que les paramètres, les coordonnées, normales, sous-tangentes, rayons de courbure, etc., dont on cherche la relation. Il suit de là que toute quantité dite infiniment petite peut se négliger dans le courant du calcul, vis-à-vis de ces mêmes quantités dont on cherche la relation, sans que le résultat du calcul puisse en aucune manière s’en trouver affecté

Laz. Carnot.

Nous avons distingué les différentes manières dont les grandeurs à mesurer, ou celles auxquelles on les ramène, pouvaient être considérées comme limites de variables d’une espèce plus simple, et nous avons dit qu’elles pouvaient en général se réduire à trois. La première, employée dans quelques cas par Euclide et Archimède, consiste à regarder les grandeurs comme limites de séries ; la deuxième, due à Archimède, comme limites de sommes de quantités infiniment petites ; la troisième, comme limites de rapports d’infiniment petits. Les deux premières se sont présentées à propos de la mesure de la pyramide, de la parabole, de la spirale, de la sphère, des volumes des corps engendrés par la révolution de sections coniques, etc. La troisième, due aux modernes, s’est présentée à l’occasion du problème des tangentes, et s’applique à beaucoup d’autres questions.

Duhamel.

C’est en cherchant à déterminer les tangentes des courbes, que les géomètres sont parvenus au calcul différentiel, qu’on a présenté depuis sous des points de vue très variés ; mais quelle que soit l’origine qu’on lui assigne, il reposera toujours sur un fait analytique antérieur à toute hypothèse, comme la chute des corps graves vers la surface de la terre est antérieure à toutes les explications qu’on en a données ; et ce fait est précisément la propriété dont jouissent toutes les fonctions, d’admettre une limite dans les rapports que leurs accroissements ont avec ceux de la variable dont elles dépendent. Cette limite, différente pour chaque fonction, et toujours indépendante des valeurs absolues des accroissements, caractérise d’une manière qui lui est propre, la marche de la fonction dans les divers états par lesquels elle peut passer.

Lacroix.

Nous avons des idées nettes de la grandeur, nous voyons que les choses en général peuvent être augmentées ou diminuées, et l’idée d’une chose devenue plus grande ou plus petite, est une idée qui nous est présente et aussi familière que celle de la chose même ; une chose quelconque nous étant donc présentée ou étant seulement imaginée, nous voyons qu’il est possible de l’augmenter ou de la diminuer ; rien n’arrête, rien ne détruit cette possibilité, on peut toujours concevoir la moitié de la plus petite chose et le double de la plus grande chose ; on peut même concevoir qu’elle peut devenir cent fois, mille fois, cent mille fois plus petite ou plus grande, et c’est cette propriété d’augmentation sans bornes en quoi consiste la véritable idée qu’on doit avoir de l’infini ; cette idée nous vient de l’idée du fini ; une chose finie est une chose qui a des termes, des bornes, une chose infinie n’est que cette même chose finie à laquelle nous ôtons ses termes et ses bornes ; ainsi l’idée de l’infini n’est qu’une idée de privation et n’a point d’objet réel. Ce n’est pas ici le lieu de faire voir que l’espace, le temps, la durée, ne sont pas des infinis réels ; il nous suffira de prouver qu’il n’y a point de nombre actuellement infini ou infiniment petit……

On ne doit donc considérer l’infini, soit en petit, soit en grand que comme une privation, un retranchement à l’idée du fini, dont on peut se servir comme d’une supposition qui peut aider à simplifier les idées, et doit généraliser leurs résultats dans la pratique des sciences.

Buffon.

L’idée d’infini apparaît dès le seuil des mathématiques : il y a une infinité de nombres entiers ; la ligne droite doit être conçue comme prolongée indéfiniment.

Au fond, les motifs des répugnances manifestées contre les infiniment petits se résument dans cette pensée de Lagrange, qu’on a « le grand inconvénient de considérer les quantités dans l’état où elles cessent, pour ainsi dire, d’être quantités, » autrement dit, les infiniment petits n’existent pas. Il me paraît qu’il y a là un malentendu. Veut-on parler des quantités naturelles, ou de l’objet de nos conceptions rationnelles ? Si l’on entend que dans la nature il n’y a pas d’infiniment petits, c’est incontestable ; tout ce qui existe est déterminé et par conséquent fini. Mais à ce point de vue, il n’y a pas non plus de quantité variable : une quantité, par cela seul qu’elle est, a une valeur actuelle précise. Notre esprit seul crée la notion de variable, en rapprochant les grandeurs de quantités voisines et les regardant comme les valeurs successives d’une même quantité. La notion de variable n’est pas plus légitime que celle d’infiniment petit, et il faut les admettre ou les repousser toutes les deux.

de Freycinet.