Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/II/9

Chapitre X  ►
IX


CHAPITRE IX.


surprise.


Martin poursuivit, s’adressant au braconnier dont l’exaltation allait toujours croissant :

— Non, Claude… je ne crois pas à la toute-puissance des moyens terribles… l’humanité les désavoue…

— La gangrène se guérit par le fer rouge… ton père et ton frère sont pourris jusqu’à la moelle…

Après un moment de silence, Martin reprit :

— Tenez, Claude, laissez-moi vous citer un fait étrange, presque merveilleux, dont j’ai été témoin, et qui vous rendra ma pensée ; j’avais alors pour maître un médecin illustre, savant, célèbre, penseur profond. Un jour il est appelé auprès d’un riche malade ; il trouve un homme expirant, épuisé par l’excès de tous les plaisirs ; le sang, appauvri, vicié dans son essence, circule lentement dans ses veines presque taries, non plus comme un fluide de vie, mais comme un fluide de mort. Les plus grands docteurs ont abandonné ce malheureux, prédisant sa fin prochaine… Le savant, le penseur profond, se souvient alors de ces histoires mystérieuses, effrayantes qui parlent de sang jeune et généreux, infibulé dans la veine épuisée de quelques vieillards exténués de débauches.

— Je te disais bien, moi, qu’il fallait du sang ! — s’écria le braconnier avec un accent de farouche triomphe.

— Non, Claude, il ne fallut pas de sang ; mais cette sanglante et mensongère histoire mit le savant sur la voie d’une admirable idée… Des tentures de soie et d’or, imprégnées de funestes parfums, couvraient les murs de cette opulente demeure et la tenaient dans une demi-obscurité. Ces tentures sont arrachées, le soleil bienfaisant pénètre de toutes parts, et bientôt, par les ordres du savant, les murailles disparaissent sous des masses de rameaux verts, fraîche dépouille d’arbres résineux et balsamiques, exhalant en abondance ces gaz qui rendent seuls l’air viable et pur ; puis des nourrices jeunes, saines, robustes, viennent tour-à-tour tendre leur mamelle féconde à la bouche expirante du moribond. Ô prodige ! à peine ses lèvres desséchées ont-elles été humectées de ce lait régénérateur, à peine a-t-il aspiré l’air vivifiant et salubre exhalé par les frais rameaux dont sa couche est ombragée, que le malade semble renaître, qu’il renaît ! son sang, appauvri, corrompu, se renouvelle, se régénère ; il est sauvé, il vit… il vit… et son salut n’a coûté ni larmes, ni sang… Un lait pur et nourricier, quelques frais rameaux d’arbres verts… les rayons bienfaisants du soleil, tels ont été les instruments de cette cure merveilleuse[1], Claude ; il en sera ainsi de ces deux malheureux dont j’ai si grande pitié ; le dédain, l’orgueil, la dureté gonflent leur cœur ; leur âme et leur esprit sont viciés. Eh bien ! Claude, ces cœurs gangrenés, je veux les régénérer, les sauver en les enlevant à leur atmosphère corrompue, en les transportant dans un milieu d’idées saines et pures, où ils ressentiront la chaleur vivifiante des pensées généreuses ; je veux donner enfin à ces âmes malades une nourriture à la fois douce, salubre et forte comme le lait maternel… Alors, Claude, dites, dites, mon ami, ne sera-ce pas un grand et touchant exemple, que de voir ces malheureux revenir à la vie de l’âme ?… à tous les nobles sentiments qu’ils insultaient naguère… Cette transformation de méchants en hommes de bien ne sera-t-elle pas d’un enseignement plus fécond que le terrible mais stérile exemple que vous rêvez ?

— Laisse-moi… laisse-moi… tu me rendrais aussi faible, aussi lâche que toi, — dit brusquement le braconnier ; — ainsi, il n’y aurait aucune punition pour cet homme qui a fait tant de mal à ses frères ? Non, non, je tiens à ma vengeance, moi…

— Rassurez-vous, Claude ; vous serez vengé… il sera puni.

— Par qui ?…

— Par le souvenir incessant du mal qu’il a fait…

— Des remords… Lui !…

— Oui, des remords ?… Lorsqu’il sera ce que je veux qu’il soit… Et ces remords ne vous vengeront que trop… croyez-moi, Claude.

— Mais tu oublies donc que Duriveau était lié envers moi par un serment solennel, et qu’à toutes mes tentatives d’amener en lui cette régénération dont tu parles, il a répondu par le mépris ?

— Ce caractère de fer se révoltait contre l’idée de céder à la contrainte.

— Et son serment ?…

— Il s’en est joué, indignement joué, Claude, je le sais… et tout cela ne me désespère pas…

— Tu as en toi la foi qui transporte les montagnes, grand thaumaturge — dit le braconnier avec une raillerie amère.

— J’ai foi en moi, Claude, parce que je suis dans une position particulière à l’égard du comte… je suis son fils, et quand il l’apprendra…

— Il aura un motif de plus de persévérer dans le mal ; par orgueil il ne voulait pas, dis-tu, céder à la contrainte que je lui imposais, il cédera moins encore à son fils… un bâtard… comme il dira… Je connais l’homme… Assez… assez… Berce-toi de chimères… moi, je veux faire un exemple… un terrible exemple… et je le ferai.

— Ah ! mon ami, — s’écria Martin, — votre cause est trop légitime, trop sainte, trop belle, pour la souiller par la violence ; et puis enfin je crois, je sais, moi, que, quoi que vous disiez : les temps approchent, oui, les peuples ressentent de vagues espérances ; j’ai dernièrement traversé l’Europe entière. Partout un travail sourd, profond, continu, mystérieux, s’accomplit… À cette heure, l’émancipation universelle est conçue par les classes déshéritées jusqu’à ce jour… maintenant nous assistons au lent et laborieux phénomène de l’enfantement. Mais cette émancipation naîtra à son jour, à son heure, mon ami, et sa radieuse apparition sera saluée par les fraternelles acclamations de tous ceux qui souffrent à cette heure.

Malgré sa sauvage résolution, le braconnier ne put cacher l’émotion que lui causait la parole de Martin, parole douce, pénétrante, convaincue, et remplie de foi dans un prochain et meilleur avenir.

— Peut-être il a raison, — murmurait le braconnier, — la violence est mauvaise conseillère…

— La vie d’un homme… si méchant qu’il soit… Cela est grave… pourtant. Et si la haine m’aveuglait… si… si malgré tant de raisons qui me semblent légitimer mon action,… c’était à la haine, à une flamme personnelle… que j’obéissais… et puis… se constituer à la fois juge et bourreau… quel que soit le crime… oh ! c’est effrayant.

Mais le braconnier, se révoltant bientôt contre ces réflexions salutaires et généreuses, s’écria tout-à-coup :

— Non ! non ! pas de lâche faiblesse !… et toi, qui me prêche la commisération, — s’écria-t-il en s’adressant à Martin avec une ironie cruelle, — du haut de ces régions de clémence et d’espoir, où tu t’égares, vois-tu ta mère… folle ?… vois-tu ta sœur… déshonorée… forcée de passer pour morte ou d’être honteusement traînée devant un tribunal, accusée d’infanticide ? Du haut de l’empyrée, d’où tu aperçois les signes d’une émancipation prochaine, vois-tu, à côté des figures pâles éplorées de ta mère et de ta sœur, vois-tu les figures insolentes et impitoyables du comte et de son fils, crossant du pied leurs victimes ?

— Oui… Claude… je vois les tristes et douces figures de ma mère et de ma sœur ;… oui, Claude, durant notre long entretien, ces figures chéries ont été là sans cesse devant mes yeux.

— Même quand tu parlais de ramener Duriveau et son fils à des sentiments généreux ! — s’écria le braconnier.

— Surtout à ce moment, mon ami, car je compte sur ma mère… sur ma sœur,… pour m’aider à rendre le comte et son fils dignes un jour… de nous serrer la main… Claude.

— Tu n’y songes pas, — s’écria le braconnier avec stupeur ; — ta mère… ta mère est…

— Ma pauvre mère… est folle, — dit Martin d’une voix douce et ferme ; — je rendrai la raison à ma mère…

— Et l’honneur à ta sœur ?…

— Et l’honneur à ma sœur…

Martin parlait avec un accent, avec une autorité de conviction si profonde, si imposante, qu’un moment ses espérances… furent partagées par le braconnier… mais soudain se reprochant cette faiblesse, il reprit : Tu railles… adieu…

— Claude… — s’écria vivement Martin, avec un accent de douloureux reproche, — je parle de ma mère… de ma sœur ;… de ma mère, privée de sa raison ; de ma sœur… déshonorée… et vous dites que je raille ?

— Pardonne-moi, — dit le braconnier, en tendant sa main à Martin, — pardonne-moi… non, non, vaillant et généreux cœur… non… tu ne railles pas ; mais… tu t’abuses… Arriver aux fins que tu proposes… serait… mais non… non, c’est impossible ; encore une fois, tu t’abuses… Ton illusion est sacrée… je la respecte… mais moi…

— Un dernier mot, Claude… Mon illusion, respectez-la… pendant un mois, à partir de ce jour…

— Que veux-tu dire ?

— Promettez-moi de ne rien tenter contre le comte pendant ce mois…

— Et ensuite ? Et si tu t’es abusé, pauvre et noble cœur ? Et si cette maladie que tu crois guérir est incurable ? Et si cet homme persiste fatalement dans le mal, que feras-tu ? car, enfin si j’admets ta supposition,… admets les miennes !

La figure de Martin, jusqu’alors calme, douce et triste, devint sombre, sinistre, et, après quelques moments de réflexion, il reprit :

— Cela est juste, Claude,… je dois admettre aussi vos suppositions…j’ai aussi quelquefois pensé, je vous l’avoue, pensé… avec terreur, que le mal a d’effrayantes fatalités.

— Et dans ces heures désespérées — dit le braconnier avec une satisfaction farouche — quel était ton projet… Oui, en songeant à tout ce que Duriveau a fait souffrir à ta mère… à la détestable influence de cet homme, que ni la foi jurée, ni tes instances si puissantes… à toi, son fils, ne pourraient ébranler… tu as dû pourtant…

— Claude, — dit Martin en interrompant le braconnier d’une voix solennelle, — jurez-moi de ne rien tenter contre M. Duriveau pendant un mois… et au bout de ce mois…

— En avant, gendarmes ! — s’écria tout-à-coup une voix retentissante.

Et, plus prompt que la parole, Beaucadet, embusqué depuis quelques instants avec cinq gendarmes derrière les ruines du fournil, où il s’était glissé, se précipita sur Bête-puante, tandis que les autres soldats se jetèrent sur Martin, qui, stupéfait de cette brusque attaque, ne fit aucune résistance.

Il n’en fut pas de même du braconnier ; une lutte vigoureuse, opiniâtre, s’engagea entre lui et ses adversaires, qui parvinrent à grand’peine à le terrasser et à lui mettre les menottes.

— Ah ! je disais bien, vermine malfaisante, — dit Beaucadet triomphant, — que tôt ou tard je te pincerais… j’avais envoyé des hommes à cheval par la jetée de l’étang, mais j’étais venu à pied par les landes ; aussi, une fois l’écluse lâchée, tu t’es cru en sûreté ? hein, brigand ?

Le braconnier ne répondit pas.

S’adressant alors à Martin :

— Et vous, mon gaillard, l’ami intime de ce gueux de Bamboche, qui s’est fait saluer par mes gendarmes, j’avais bien raison de dire à M. le comte : rusons… rusons… n’ayons l’air de rien… Nous n’avons eu l’air de rien, et vous êtes pincé.

— Et de quoi m’accuse-t-on ?… — demanda froidement Martin.

— De quoi l’on vous accuse, mon gaillard ? d’avoir été dans la connivence de la per-pé-tration du coup de feu tiré sur Monsieur le comte il y a trois jours…

— Moi ? — dit Martin en haussant les épaules, — mais j’ai été blessé… légèrement il est vrai.

— Raison de plus, frime bien jouée… je le dis, mon malin… mais dans quoi je ne donne pas… Vous saviez si bien cette vermine de Bête-puante cachée dans le massif, que vous avez voulu faire retirer M. le comte de la fenêtre qui donnait sur ledit massif, de peur que M. le comte n’y découvrît Bête-puante… Vous étiez si bien son complice que, pour favoriser son évaporation, vous avez donné un signalement qui ressemble au sien comme je ressemble à quelqu’un de très-laid…

Puis, s’interrompant, Beaucadet ajouta :

— Mais, tenez, voilà justement M. le comte et son fils, je les avais fait prévenir… Ils ont voulu venir s’assurer par eux-mêmes de votre scélératesse, mon gaillard.

En effet, l’on vit bientôt descendre d’une légère voiture de chasse le comte Duriveau et son fils. Malgré la gravité de la scène qui s’était passée dernièrement entre eux, la meilleure, la plus cordiale intelligence régnait entre le père et le fils, le comte, en un mot, semblait avoir oublié ses regrets passagers et avoir repris son rôle de jeune père à l’égard de Scipion.

Instruits de ce fait, fort grave en soi, ainsi présenté : que l’explosion dont on a parlé résultait d’une tentative de meurtre sur le comte, et qu’un de ses gens, complice du coupable, avait avec lui des entrevues nocturnes, M. Duriveau et son fils, prévenus par Beaucadet de l’arrestation qu’il allait tenter, voulurent y assister afin de s’assurer par eux-mêmes de la vente.

À la vue du comte, Beaucadet s’écria :

— Victoire… nous les tenons, les brigands. Monsieur le comte, votre domestique a filé… doux comme miel… Je lui rends justice… il a été au-devant des poucettes… mais la Bête-puante s’est débattue comme une bête enragée.

La lune brillait toujours, le comte et Scipion s’approchèrent du groupe de soldats, au milieu duquel se trouvait Martin et le braconnier.

— Ainsi, mauvais drôle, — dit le comte à Martin avec un dur mépris ; — vous aviez, sans doute, avant d’entrer à mon service… des accointances avec ce misérable vagabond, qui, non content de braconner mon gibier… en veut, à ce qu’il paraît, à ma vie… et moi, qui vous ai pris de confiance… Croyez donc aux certificats… aux bons renseignements !…

— Es-tu jeune ?… — dit Scipion en haussant les épaules.

— Autant croire aux qualités des chevaux vendus par un maquignon… chevaux et valetaille ne se connaissent qu’à l’usé…

Martin, calme et pensif, sourit doucement et ne répondit rien.

— Et toi… — dit le comte en faisant un pas vers le braconnier, — et toi gredin, pourquoi voulais-tu ?…

— Je m’appelle Claude Gérard, — dit le braconnier d’une voix solennelle en interrompant le comte.

— Claude Gérard ! — s’écria M. Duriveau, en reculant pâle et frappé de stupeur.

Puis se rapprochant vivement du braconnier pour mieux voir sa figure et se convaincre d’une identité à laquelle il ne pouvait croire, il reprit après quelques minutes d’examen :

— C’est-lui,… c’est bien lui…

— Qu’est-ce que ça… Claude Gérard ? — demanda Scipion en allumant un cigare, pendant que Beaucadet et ses gens se regardaient entre eux, très-surpris aussi de l’incident.

— Claude Gérard !… — reprit encore le comte avec un étonnement profond et comme écrasé par les souvenirs que le nom du braconnier éveillait en lui.

— Duriveau… comprends-tu… maintenant ? — dit le braconnier au comte qui, d’abord muet et accablé, releva bientôt la tête. Alors, le front hautain, la lèvre ironique et dédaigneuse, il s’écria en croisant ses bras sur sa poitrine :

— Ah ! c’est vous, Monsieur l’homme de bien… l’homme aux épîtres. C’est vous, qui, caché sous un nom de guerre, vagabondiez depuis si long-temps dans mes bois et aviez l’insolence de me poursuivre de vos moralités épistolaires ? Et moi qui vous croyais si loin d’ici ! Et vous me demandez si je comprends ! Pardieu… je comprends et de reste… Votre pathos ne pouvait me toucher le cœur… Vous avez voulu voir si le plomb de votre carabine aurait meilleure chance… Ah ! vieux drôle, vous prêchez la charité à coups de fusil !

— Cela n’est pas vrai… je n’ai pas tiré sur toi ; mais il y a long-temps que j’aurais dû le faire, — dit le braconnier… — Rappelle-toi ton serment… Duriveau…

— Ah !… le bon billet qu’a La Châtre, — s’écria le comte avec un éclat de rire sardonique.

Le braconnier s’adressant à Martin, lui dit d’une voix sourde :

— Tu l’entends… tu l’entends ?

— Ah çà… je voudrais un peu comprendre aussi, moi, — dit Scipion à son père. — Qu’est-ce que tout cela signifie ?

— Tu vas le savoir, — répondit le comte en jetant sur le braconnier un regard de haine et de défi.

Puis du ton le plus jeune-père, et avec une désinvolture tout-à-fait régence, il poursuivit :

— Tu vois bien cet homme-là ; il était maître d’école de village… Il aimait à la folie une très-jolie fille… qui l’aimait comme on peut aimer une espèce de cette tournure, moitié rustre et moitié pédant, c’est-à-dire qu’elle l’aimait en frère… Je lui soufflai… cette jolie fille…

— Ça s’est vu, — dit froidement Scipion sans quitter son cigare de ses lèvres.

— Quelques années après, dans un déplacement de chasse, le hasard me fait rencontrer la femme du rustre pédagogue, qui s’était marié pour se consoler… Elle était, pardieu ! très-gentille et vraiment pas mal choisie par mon drôle… Il était alors absent… Je trouvai amusant de lui souffler sa femme… comme je lui avais soufflé sa fiancée.

— Tu les entends… le père et le fils… — dit le braconnier à Martin d’une voix sourde et entrecoupée, car la rage le suffoquait.

— Je les entends, — répondit Martin avec une tristesse profonde.

— Mais le diable voulut, — poursuivit le comte, — que Claude Gérard, un beau jour, revint à l’improviste, et me surprit avec Mme Claude Gérard.

— La femme d’un maître d’école ! — dit Scipion d’un ton de reproche, — tu m’avais toujours caché ce faux pas… Et tu as eu le front de me reprocher cette pauvre Chalumeau !!

— Scipion, sois généreux… Or donc, Claude Gérard me surprend en conversation des plus criminelles. Il était armé d’un fusil à deux coups. Je savais le drôle féroce comme un loup… Franchement, je me vis mort… Devine, alors, ce que fait le Claude ?

— Écoute-le… écoute-le… — dit le braconnier à Martin.

— J’écoute… — répondit Martin.

— Que diable a pu faire le Claude ? — dit Scipion en réfléchissant… — Embusqué au pied du lit de sa femme, il t’a demandé… la bourse ou la vie ?…

Le braconnier poussa un cri terrible, et fit un mouvement si violent, qu’il faillit à rompre les liens qui l’attachaient.

— Claude… mon ami… — lui dit Martin d’un ton de doux reproche… — du calme et du mépris.

— Tu as deviné juste, mon garçon, — répondit le comte à son fils, — le Claude m’a demandé ma bourse… pas pour lui… le digne homme… mais pour ce qu’il appelle ses frères en humanité.

— Comprends pas… — fit Scipion.

— Tu es riche, — me dit le Claude… jure-moi de venir en aide à tes frères qui souffrent… et je te laisse la vie… sinon… non.

— Eh mais… dit Scipion en ricanant à froid, — c’est un nouveau chantage… le chantage philanthropique. — Puis, s’adressant au braconnier :

— Ah ! dites donc, çà mon cher, si tous les… maris trompés pensaient comme vous… il n’y aurait plus de pauvres en ce monde…

À ces paroles de son fils, le comte partit d’un grand éclat de rire…

Mais un nouvel incident vint interrompre cette explosion d’hilarité.




  1. L’on excusera peut-être l’orgueil filial de celui qui écrit ces lignes, s’il dit que cette cure merveilleuse a été accomplie par son père, feu M. le docteur Sue. Le malade reconnaissant voulut faire élever un monument qui consacrât le souvenir de sa résurrection, disait-il. Ce monument était surmonté d’un groupe d’une vingtaine de figures, dont on peut voir la réduction (grandeur demi-nature) dans le riche Musée d’anatomie, d’histoire naturelle, géologie, etc., etc. et que M. le docteur Sue a légué à l’École royale des Beaux-Arts de Paris, rare collection commencée par le grand-père de feu M. le docteur Sue.
    (Note de l’auteur.)