Marie Donadieu/Première partie/II

Eugène Fasquelle (p. 29-46).
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II



Il y avait à Lyon un étudiant qui faisait son service militaire. Fils d’un entrepreneur, la race était visible en lui, des maçons : les os du crâne bien soudés, le front, les pommettes et les mâchoires nets, courbés selon cette architecture rudimentaire qui ne tient compte que de la solidité, ferme d’épaules, lourd de bras, un peu pataud, grand, le cou assez fin pourtant, la tête droite et non sans assurance comme ceux chez qui la santé du corps arrête les complications de l’esprit. La force du sang agit alors avec simplicité et pousse un homme en son sens. Raphaël Crouzat fit face à l’enseignement du lycée dont les cent mille petites piqûres ne percent que les peaux fines, fut refusé au bachot malgré les leçons particulières, puis se dirigea du côté de l’École Centrale où l’on n’exige pas de diplôme. Il repoussa l’internat, qui lui garnissait la poitrine de bâillements, vint à Paris, fut inscrit comme externe dans une institution libre, profita du roulement d’argent qui se fait aux caisses des entrepreneurs, passa dans les dépenses de meulières. Les premiers temps, il eut une hésitation, goûta des bocks au café d’Harcourt, mais bientôt, ayant lié connaissance avec une jeune femme, modiste encore à moitié, il se mit en ménage, acheta des meubles à tempérament, s’installa dans un petit logement à deux pièces, put alors cesser de manger au restaurant, se procura une chienne, fuma dans une pipe en écume de mer. De trois échecs à l’École Centrale, il ne s’inquiéta même pas, considérant par ailleurs une existence de province solide et sans hasard. La quatrième année, il dut aller au régiment, regretta sa chienne dont le silence justifiait le sien, adoucit les douleurs de la séparation à sa femme en l’appelant : ma fiancée et partit pour trois ans sans trop de mélancolie, puisqu’à la caserne on mange, on marche et l’on sait parer aux ennuis si l’on dépense quelque argent avec à propos. Du reste, il trouva son coin grâce à l’appui d’un parent, officier d’intendance, qui, tous les ans, passant quelques jours chez le père où la table était bonne, casa le fils dans un bureau tranquille. Il n’avait pas voulu bénéficier de son titre d’étudiant qui le libérait au bout d’une année, car il eût fallu s’engager à conquérir un diplôme d’ingénieur avant vingt-sept ans.

L’instant ne lui fut jamais dur. C’était un de ces hommes qui, du premier jour, n’ont rien à découvrir : à la caserne son ami fut son voisin de bureau. Il l’appela bientôt par son prénom : Joseph. Joseph était un assez bon produit de l’école communale, qui, de ses études primaires, avait retenu assez de calcul et d’orthographe pour remplir, à Lyon même, un petit emploi dans une compagnie d’assurances. Ils se fussent volontiers prêté cent sous, eussent ensemble suivi deux ouvrières et se faisaient pendant, l’après-midi du dimanche, de chaque côté d’une table de café, buvant l’absinthe, portant leur tête, ayant une vie suffisamment limitée l’un et l’autre pour n’éprouver aucune surprise à se mieux connaître.


Au temps où Marie Donadieu avait quitté le couvent et vivait chez son grand-père, Joseph vit entrer au café du dimanche son camarade de la compagnie d’assurances, André Couvert, qu’accompagnait sa femme. Il les appela, les fit asseoir et, se gonflant déjà de l’amitié d’un étudiant, leur présenta Raphaël. L’histoire fut si simple que chacun d’eux se sentit d’aplomb et que, pour accentuer son sentiment, Raphaël paya les quatre consommations, ce qui, en bon droit, eût été l’affaire de Joseph. Ils se quittèrent et, tout aussitôt, Joseph se penchant sur son ami lui dit :

— Tiens, toi qui aimes les petites femmes : il a une jolie nièce. Elle vient à Lyon quelquefois.

Il y a dans nos cœurs deux ou trois réservoirs où tombent les eaux. Le mot suivait son cours lorsque, quelques semaines plus tard, André et Amélie Couvert s’assirent en personne auprès des deux soldats, ayant une jeune fille avec eux. Elle était blanche, vierge, inconnue, portait en elle dix-sept ans ; ses avant-bras étaient nus sous les dentelles d’un corsage à manches courtes et, d’un petit décolletage carré, surgissait son cou mince et frais, à certains angles duquel une clarté brillait comme si sa chair eût été de cristal. Il ne s’agissait pas spécialement d’elle. Raphaël s’était préparé sans raison, par un besoin de soldat isolé et par une habitude d’étudiant qui, ayant pratiqué les amours faciles, connaissait l’aboutissement de la femme et ne pouvait voir sous les robes qu’un sexe et du désir. Il jugea celle-ci d’un coup d’œil, la compara d’abord, la goûta et regretta tout aussitôt de n’avoir pas mis son costume du tailleur de Paris, son faux-col haut et sa cravate à deux tours. Sa science du cœur humain était forte et simplifiée. Comme on parlait des cafés, il coupa la conversation pour dire :

— C’est à Paris qu’il y a de beaux cafés : il y en a qui sont dorés de haut en bas, il y en a d’autres où l’on a mis des vitraux. Mais Paris est surtout agréable, lorsqu’on est étudiant.

Il savait poser sur la vie deux ou trois ornementations grossières comme on en plaque aux façades des maisons. Quand il eut lâché ce mot d’« étudiant », il passa à autre chose. Le seul ennui qu’il eût à Paris était de ne pas posséder un veau. Oui, un veau ! Il l’eût élevé dans son logement et l’eût gardé pour les jours de fête. Alors, il aurait ouvert la fenêtre, allumé sa pipe, approché son veau et, froidement, contemplé la rue dans cette compagnie. Il n’y aurait pas eu de passant qui n’eût levé la tête et reculé de quatre pas en se demandant : « Voyons, est-ce sérieux ? Voilà qu’il élève les veaux en chambre. »

Marie éclata : il la croisa d’un coup d’œil. C’était une sorte de petit chat sauvage qu’on n’entendait pas, qui faisait le guet et, soudain, bondissait tout entière. Raphaël se tut. De toutes les chiffonnières et tous les bibelots, il n’avait jamais rien compris et rappelait ces chambres médiocres où l’on voit deux meubles suffire au bonheur. Il s’asseyait à sa table, puis couchait dans son lit. Il laissa parler les autres et bourra sa pipe sans broncher, avec la tranquille assurance d’un homme qui commence la conquête d’une femme et donne de tout son esprit pour lui plaire.


Il devait la revoir. Elle rentrait à la maison de son grand-père, y vivait trois jours, bouillait, accumulait sa vapeur et rompait les barrières. Quelque Denis Papin l’eût gouvernée dans un mode nouveau. Elle obtenait tout. Il y eut des jours où Basile lui permit de coucher à Lyon, des matins mêmes où, voyant son front lourd, il disait : « On dirait encore que cela t’attire. Ma petite-fille, tu n’as pas à me craindre. Je sais bien que je ne puis pas t’avoir toujours. » Il l’accompagnait à la gare. Il en était venu à l’aimer avec intelligence. Il la séparait un peu de son cœur de Basile et la posait devant lui pour la raisonner comme un problème. Il n’avait souci que d’être juste ; mais, considérant une matière chérie, sentait une flamme soulever sa justice et la porter à la bonté. Il trouvait toujours un mot : « Pauvre petite, elle n’a même pas de mère ! » D’autres fois, regardant sa maison, les champs, l’horizon, l’heure si longue des campagnes, il opposait le tout à l’enfant. Elle possédait des yeux, une chevelure blonde, un visage qui vous traversait soudain comme un éclat de lune entre des branches. Il comprenait le reste, que tout était trop simple pour la valoir, qu’elle jouait du piano et devait aller au delà d’un bonheur de village. Il pensait : « Et puis ici, nous sommes vieux, nous nous asseyons, nous avons calmé notre sang. C’est tout cela qui forme son ennui. Elle part, mais elle nous aime bien quand même. » Elle lui passait alors les mains sur le visage, lui lissait les sourcils, le regardait jusqu’au cœur et le récompensait d’une parole : « Ferme pas les yeux, grand-père : je veux t’embrasser dedans. »

Elle posait ses deux pieds sur le sol de la gare de Lyon, sortait, poursuivie par un instinct des villes, donnait son coup au mouvement des rues, docile et emportée jusqu’à la demeure de sa tante comme au sein d’un vaisseau. Les leçons de piano passaient sur elle sans y laisser plus de souvenir qu’un souffle d’enfant sur un tas de braises. Amélie l’accueillait. On ne se console jamais des aventures. À quarante ans passés, elle regrettait encore son ménage, voyageait au delà, accueillait Marie et eût accueilli tout ce qui fût tombé. Les cent cinquante francs d’André Couvert ne pouvaient pas lui suffire. Elle chercha de l’ouvrage : elle avait découvert dans sa vie bien autre chose. Elle trouva une besogne assez bonne et, comme elle était débrouillarde jusque dans le détail, gagna ses quarante sous par jour. Elle piquait de la chenille dans les voilettes, la coupait avec des ciseaux fins et ne se trompait jamais de maille. Les deux femmes se frottaient l’une à l’autre, assez confiantes maintenant, et parlaient peu, laissant leurs pensées vagabonder dans l’enclos comme deux pouliches qui se donnent des coups d’œil et se fêtent d’une caresse au museau. Marie se trouvait au large dans un petit appartement de quatre pas. Elle n’en appréciait rien et se sentait à sa place, comme la fibre d’un muscle, comme la cellule d’un cœur qu’un mouvement supérieur entraîne en son battement. Parfois elle ouvrait la fenêtre, considérait l’avenue et recevait au visage le bruit de la ville comme un plain-chant du temps des cathédrales qui portait aux fidèles la vérité, la berçait et la mêlait à son harmonie.

C’est au débouché de la gare, un jour, qu’elle se trouva tout à coup à côté de Raphaël Crouzat. Il dit : « Tiens, Mademoiselle ! » Il portait un pantalon soigné, un veston arrondi, un col à carcan, et se tenait d’une pièce, avec l’allure des jeunes gens habitués à l’élégance et qui la gardent avec soin sur leur corps. Elle fut bien étonnée. Il marcha à côté d’elle, en vertu d’un principe inconnu. Elle était fière, en somme, d’accompagner un garçon bien vêtu et, pourvu qu’elle en éprouvât quelque plaisir, elle trouvait tout naturel. Il eut deux ou trois mots, à propos d’une enseigne, d’une tranchée, d’un passant, à chacun desquels elle répondit : « Oui, Monsieur ! » Il avait sans doute affaire dans cette direction-ci. Il la quitta au coin de l’avenue, il allait plus loin. Il lui donna même une poignée de main et, à l’extrême minute de la séparation, fut encore plus aimable qu’elle ne l’aurait imaginé. Il se retourna pour dire :

— Est-ce que vous vous promenez quelquefois, Mademoiselle ? Parce que, moi aussi, je me promène.

Elle répondit :

— Je vous remercie, Monsieur.

Il devait avoir des renseignements. Une fois, il entra dans son compartiment au moment où elle en poussait la porte. Le voyage dura une demi-heure, au milieu de toutes sortes de gens dont le voisinage les réunissait l’un et l’autre en un geste vers le sol, en des phrases informes qu’ils prononçaient gauchement, qu’ils n’entendaient pas et qui retombaient à leurs pieds. Il ne savait comment s’y prendre, donnait dans sa tête des coups de sonde pour en apprécier la matière, songeait à s’arrêter tout simplement, étendait ses idées horizontalement dans la plaine, les inspectait toutes et ne pouvait pas trouver celle-là même qui, placée sur son front, eût éclairé sa face. Son ticket coula de ses doigts lâches ; alors il se baissa et resta longtemps, les mains entre les pieds, feignant de ne le point découvrir, parce qu’il avait enfin rencontré tout ce qu’il cherchait : un geste qui l’occupât.

Elle eut, pendant la belle saison, un corsage gris paré de noir, sans importance et sans ligne, mais d’où sortait tout entier un cou dont la blancheur était profonde comme une crème. Pendant plus d’un mois, elle vint à Lyon chaque dimanche. Le hasard de la première rencontre se dessinait comme une destinée qui ramène de loin les sentiments, comme un homme qui, jadis, fouillait un sol sans qu’on en sût la cause et qui, maintenant, trie le zinc, l’étain, le cuivre et les unit et les fond dans un seul airain. Il l’avait revue d’autres fois. Elle avait deux jours de leçon : le mercredi et le samedi, pour chacun desquels il ne manqua pas d’aller à la gare. D’abord, elle fut étonnée, mais bientôt elle crut avoir fait la découverte d’une chose simple et naturelle comme il en est aux angles des villes. Elle craignait le ridicule ou la timidité, et elle eût façonné son âme selon toute aventure. Ils marchaient ainsi : Raphaël était assez grand et, parfois, se tournant de trois quarts, il la considérait, plongeait jusqu’où le décolletage le laissait aller, ne pouvait plus s’en détacher, la sentait à la gorge comme une soif, la rencontrait sous une claie de fougère, la dénudait comme une fontaine et l’étalait au jour, saine, claire et sentant la paille. Elle se pliait en avant, ne sachant quoi courait dans ses idées, mais la ligne de son dos gonflait sous des électricités latentes qui passaient par sa nuque et crépitaient dans ses yeux. Il n’eut qu’une fois à dire : « Mademoiselle, quand vous venez le samedi, vous devriez rester jusqu’au dimanche », pour qu’elle en eût le désir à tel point que son grand-père dut céder. Raphaël en garda le souvenir.

C’est alors qu’une après-midi, comme il stationnait à la salle d’attente, elle arriva et n’était pas seule. Elle en gardait un air pataud, son grand-père l’accompagnait, tout un esclavage ancien apparaissait d’un coup et la gênait dans ses entournures. Elle ne regarda pas autour d’elle, marcha droit et pesa chacun de ses pas, comme un canard trop sauvage qui courait à travers champs et que la fermière, pour l’alourdir un peu, chaussa d’un soulier d’enfant. La chose était pourtant bien simple : Basile voulait faire des achats. Raphaël décomposa ses mouvements, mêla le silence à ses gestes et les suivit tous deux pour n’en rien perdre et comme s’il eût craint que, loin de son regard, quelqu’un ne la lui ravît. Il ne réfléchit pas davantage, mais, le samedi suivant, elle fut seule et plus légère. Il lui donna la main, elle répondit : « Nous avons eu une soirée perdue. »


La semaine suivante, toute la monotonie du monde était lassée. Le grand oiseau qu’un courant porte, qui la fixe et magnétise une bête de basse-cour, arrivait d’un coup sûr et serrait du bec. Depuis plus d’un jour il dirigeait ses ailes, depuis plus d’un soir il voilait le couchant avec les plumes de son plumage, et celles qui ne le connaissaient pas, ne craignant rien du voyageur, posaient leurs pattes entre les pierres et becquetaient encore les graines hasardeuses que le vent poussait sur leur chemin. L’ignorance jouissait de son dernier soir et ne savait quelle senteur occidentale passait sur elle, comme un souffle des Amériques de Colomb, comme un parfum vierge d’Eldorado que deux mouettes apportaient en haut du grand mât.

Il y eut tout un rendez-vous. La leçon de piano passée, la tante avait permis trois heures de liberté à cause du ciel de juin, des grands parcs de la ville et de la vie des jeunes filles qui s’assied et jouit du plein air et des passants. Raphaël l’attendait à quelque coin de rue. Elle vint et dit :

— Ça y est.

Il dit :

— Promenons-nous.

Elle avait de la flamme et répondit :

— Dans le bois, pendant que le loup y est pas.

Ils marchèrent tout droit. Il y avait entre eux ce qui est lent, ce qui est vague et tout ce qui est inavoué. Raphaël le portait dans ses mains fermées au bout de ses bras, balançait chaque épaule, écartait les coudes et suivait chaque poids comme l’homme de la ferme qui tire l’eau du puits et transporte ses deux seaux pleins. Ils tournèrent à gauche et marchèrent encore. Il avait de la force, pourtant, et connaissait les tours de rein qui soulèvent un fardeau. Il les donna d’un coup et dit :

— Si nous passions par ici, mademoiselle.

Ils suivaient un chemin singulier, avaient tourné trois fois, revenaient au point de départ, traînaient une ligne de promenade, lourde, incertaine et qui craquait sous leurs pieds. Ils se regardaient, un peu pâles sous leurs pensées contraintes, et s’encourageaient à donner un autre coup d’aile. Il se tourna vers une maison, considéra une fenêtre du second étage, s’y attacha et poursuivit pendant plusieurs pas sa route, la tête à droite. De tout ce qui l’accompagnait et de mille idées bouillantes, il avait peine à tirer quatre mots :

— C’est là que j’ai ma chambre. Tenez : une, deux, trois, la fenêtre du milieu.

Il dit cela et s’entendit, puis il eut moins peur.

— C’est ma chambre. Elle est assez grande. Il y a mes livres, il y a mes dessins. Il me la fallait. Je suis soldat. J’ai voulu avoir une chambre pour la tranquillité et pour préparer mes examens.

Elle suivait cette voix d’un drôle d’air et semblait tendre le cou à toutes sortes de choses comme une oie égarée du troupeau.

Il reprit :

— Nous aurions pu y monter. Moi, je voudrais bien voir comment est faite votre chambre. Vous vous reposerez un peu. Et puis c’est pour vous montrer mes dessins.

Elle répondit :

— Oh ! non, Monsieur.

Elle obliquait dans l’autre sens et rabaissait ses ailes. Il la vit fuir, lui saisit le bras et l’approcha d’un pouce. Elle se laissa faire, adoucit ses ressorts dans une flexion d’épaule.

— Venez donc, Mademoiselle. Oui, vous pouvez bien venir. Je ne veux pas vous manger.

Elle ne répondit rien et l’accompagna, d’un pas qu’elle sentait derrière elle et qui marquait dans l’air un sillage.

Puis elle monta, puis elle entra, puis la porte fut close. C’était une chambre régulière et proprette avec un lit de fer, un fauteuil, quelques livres répandus, une planche à dessin et une boîte de compas. Il assit la jeune fille sur le fauteuil, saisit au hasard un dessin, le déroula et dit :

— Vous voyez, c’est un pont. Du reste, ça ne vous intéresse guère.

Il lui avait mis la main sur l’épaule, comme sans y faire attention. Elle ne s’en gêna pas, la garda simplement, avec un air de réserve : alors il se pencha et lui posa les lèvres à la joue. De proche en proche, il gagna toutes les places, la flatta du bout des doigts, la frotta d’un coin de moustache, la parcourut tout à la surface de sa robe, la pressa d’un bras, la souleva de l’autre, s’assit et la posa sur ses genoux. Elle ne prononçait pas une parole et recevait toute chose, à la façon des vierges ignorantes qui croient mourir et dont le corps se casse à la hauteur de la taille.

Un peu plus tard, lorsqu’il l’eut prise et qu’après l’amour l’homme s’éloigna de sa compagne, elle fut toute seule sur le lit de fer et comprit la honte de ses jupes levées et de ses jambes. Il lui revint deux mouvements des bras autour de la face, une pensée de se cacher avec ce geste de petite Ève qui sent combien elle a perdu, qui retourne au passé et se repent d’avoir quitté son grand-père. Longtemps elle pleura. Raphaël s’agenouilla au chevet de la couchette et tenta de lui entr’ouvrir les bras. Elle résista jusqu’au bout, versa des larmes sur ses manches, bouda aux consolations et, parfois, elle sortait de sa poitrine trop pleine un : Ho ! Ho ! brûlant et douloureux qui secouait toutes les vertèbres de son dos.