Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris/10/Janvier

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JANVIER.

C’est à présent l’époque de planter sur couche une très-grande partie du plant de laitue et de romaine, que nous avons conservé avec tant de soin sous cloche sur des ados : il y en aura encore à planter jusqu’au mois de mars ; mais janvier est l’époque où nous commençons nos cultures forcées sous cloche. Dans ce but, nous faisons, dans le courant du mois, un certain nombre de couches d’hiver, c’est-à-dire de la même épaisseur que celles à châssis, mais sur lesquelles nous ne plaçons que trois rangs de cloches (voir la composition de ces couches, chapitre viii) : à mesure qu’on les fait[1], on les charge de terreau qu’on laisse s’échauffer avant de le border, qu’on égalise après en y en ajoutant un peu s’il le faut, afin qu’il y en ait partout 12 ou 15 centimètres d’épaisseur. On place sur ce terreau trois rangs de cloches se touchant presque et en échiquier, afin de perdre moins de place. Si le temps est à la gelée, on peut étendre des paillassons sur les cloches, afin l’amener le terreau à la température convenable (30 degrés) le plus tôt possible ; quand le terreau est arrivé à ce degré, après le coup de feu s’il a lieu, on procède à la plantation : on pourrait planter d’abord une romaine au milieu de la cloche et planter ensuite quatre laitues petites noires autour de la romaine à distance convenable ; mais notre usage, ainsi que celui de tous les maraîchers primeuristes, est de planter d’abord les quatre laitues aux distances convenables du centre et du bord de la cloche, et de planter ensuite une romaine au centre, avec la précaution que les laitues soient à 8 centimètres du verre de la cloche, afin que, en grossissant, ses feuilles ne touchent pas le verre, car elles pourraient être flétries par la gelée ou brûlées par le soleil. Nous avons encore la précaution de choisir le plus beau plant de romaine avec une belle motte pour planter entre les quatre laitues.

On sent bien qu’au mois de janvier il faut que cette plantation se fasse vivement, que, quand une cloche est enlevée, il faut planter la clochée et remettre la cloche dessus tout de suite, mais qu’il faut encore, dans cette saison, veiller non-seulement à ce que la gelée n’atteigne pas la plantation, mais aussi à ce que la couche ne se refroidisse pas trop vite. On pare à ces deux inconvénients en faisant un bon accot autour des couches, en emplissant les sentiers de fumier neuf et sec, en couvrant soigneusement les cloches avec des paillassons la nuit et même pendant les jours où il gèle ou neige, en ne laissant pas fondre la neige sur les paillassons ni dans les sentiers, et en ne négligeant pas de faire profiter le plant du soleil à travers le verre toutes les fois qu’il luit.

Quand le temps permet de lever les cloches pour visiter les plants, on en profite pour ôter les feuilles mortes ou défectueuses et tout ce qui pourrait occasionner la pourriture.

La laitue noire ainsi traitée est bonne à vendre vers la fin de février ; quant à la romaine, elle est bonne à lier quatre jours après que la laitue est enlevée, et huit jours après, c’est-à-dire dans la première huitaine de mars, elle est bonne à livrer à la consommation.

On fait ainsi des couches successivement depuis janvier jusqu’en mars, et on les plante en laitue noire et en romaine de la manière que nous venons de dire ; mais en mars on peut faire les couches moins épaisses, et, huit jours après qu’une couche est plantée, on plante encore un pied de romaine dans chaque vide qui reste en dehors des cloches : cette dernière romaine ne vient pas aussi vite, bien entendu, cloche ; mais, quand celle-ci est enlevée, on remet la cloche sur celle qui était restée à l’air, et cela la fait avancer et coiffer rapidement, et elle peut être livrée au commerce au commencement d’avril, si elle a été clochée fin de février.

CAROTTE.

Plante de la famille des ombellifères et du genre dont elle porte le nom ; sa racine est grosse, simple, pivotante, fusiforme ; ses feuilles sont multifides, trois fois ailées et menues ; la tige s’élève à près de 1 mètre, se ramifie un peu, et chaque extrémité se couronne d’une ombelle de petites fleurs blanches auxquelles succèdent des fruits ou graines hérissées : il n’y a que la racine de cette plante qui soit en usage dans l’art culinaire. On compte une douzaine de variétés de carottes, dans les potagers et la grande culture, qui ont chacune leur mérite ; mais, en culture maraîchère, nous n’en cultivons que deux.

CAROTTE HÂTIVE.

Culture forcée. — Elle se sème dans les premiers jours de ce mois sur couches d’hiver (voir ce mot au chapitre viii), sur lesquelles on place des coffres ; dans ces coffres on met un lit de terreau épais de 11 à 14 centimètres (4 à 5 pouces), et on place les panneaux de châssis quand la température du terreau est arrivée au point convenable, on y répand la graine de carotte un peu plus épais qu’un semis en pleine terre[2], parce que la carotte ne doit pas rester si longtemps en place, et on couvre la graine de 2 centimètres de terreau que l’on plombe avec le bordoir, car la graine de carotte, étant hérissée de poils crochus, a plus besoin d’être plombée que toute autre pour ne pas laisser de vide entre elle et la terre. Quand la graine est levée, on lui donne de l’air autant que la saison le permet, et, toutes les fois qu’il y a un jour ou quelques heures de temps doux, on retire entièrement les panneaux de châssis et on les replace promptement quand le temps change. Il va sans dire qu’on préserve ces jeunes carottes de la gelée par tous les moyens déjà indiqués. Si on ne néglige rien dans cette culture, on peut arracher de cette carotte, bonne pour la vente, dans le courant de mars et continuer en avril ; elles sont très-estimées et très-recherchées à cette époque, d’abord parce qu’elles ne sont pas grosses, ensuite parce qu’on les trouve meilleures que les carottes de l’année précédente conservées l’hiver, à cause de leur nouveauté, leur tendreté et leur couleur rouge.

CAROTTE HÂTIVE EN SECONDE SAISON.

Culture. — On sème encore cette carotte en février et mars sur couches de printemps (voir ce mot au chapitre viii), sans châssis et sans cloche ; mais il faut établir deux rangs de gaulettes sur ces couches pour soutenir les paillassons dont on les couvre la nuit, et pour préserver les carottes de la gelée : ces carottes succèdent aux précédentes jusqu’à ce que celles des côtières viennent les remplacer.

CAROTTE DEMI-LONGUE.

Celle-ci ne se cultive qu’en pleine terre par les maraîchers de Paris, et nous la semons depuis la fin de janvier, quand le temps le permet, jusqu’au mois d’août. Nous faisons notre premier semis de carotte demi-longue en janvier ou février, dans une côtière, où nous plantons notre première romaine en pleine terre. On se rappelle que nous avons déjà dit que, quand on sème et plante une planche en même temps, on commence par le semis. Ainsi, quand la côtière est labourée et hersée, on sème la carotte, on la herse une seconde fois et on la plombe avec les pieds ; on répand ensuite sur toute la côtière un lit de terreau épais de 2 centimètres que l’on plombe encore, car la graine de carotte, surtout, a besoin d’être bien plombée ; après quoi, on plante la romaine verte, et même les choux-fleurs, si le mois de mars approche : la carotte semée ainsi en côtière commence à donner vers la fin de mai.

Une fois mars arrivé, on sème la carotte en plein carré, en y mêlant quelques graines de radis, de laitue ou de romaine, ou on y plante de suite de la laitue ou de la romaine. Tous ces légumes sont enlevés avant que la carotte soit venue, et lui laissent de la place pour se fortifier.

On sème ainsi la carotte demi-longue tous les mois jusqu’en août. Le produit du dernier semis se vend dans l’automne, et est plus tendre et plus recherché, à cette époque, que les grosses carottes semées au printemps. Nous ne devons pas oublier de dire que la carotte aime beaucoup l’eau, et que tous les semis d’été doivent être soutenus à la mouillure.

Observation. — Nous avons déjà dit, page 178, qu’on pouvait semer le melon en décembre ; on peut en semer aussi en janvier avec plus d’espérance de succès, surtout en faisant usage du thermosiphon dans les châssis. Mais cet appareil n’est pas encore introduit dans la culture maraîchère, quoique M. Gontier s’en serve dans ses cultures forcées depuis quelques années. Quand il sera bien reconnu que les avantages du thermosiphon l’emportent sur la dépense de son établissement et de son entretien, alors les maraîchers primeuristes l’introduiront immanquablement dans leur culture avec d’autant plus d’empressement que le prix toujours croissant du fumier de cheval commence à diminuer singulièrement leur bénéfice : jusqu’à présent nous n’avons pas encore semé nos premiers melons avant le mois de février.

Séparateur

  1. Il y a des jardiniers qui laissent 33 centimètres de distance entre chaque couche, ou un sentier de 1 pied de large, et qui ensuite le remplissent avec du fumier neuf ou mélangé, ce qui forme ce qu’on appelle réchaud ; mais les maraîchers, en montant leurs couches, les appuient l’une, contre l’autre, trouvant qu’elles se réchauffent aussi bien de cette manière que par un réchaud.
  2. Il y a des maraîchers qui, quand la carotte est semée, y mêlent trente laitues noires par panneau de châssis, et dans ce but ils ont semé la carotte un peu clair ; mais la laitue noire ne voulant pas d’air pour pommer, et la carotte en voulant beaucoup pour bien venir sous châssis, ces deux plantes ne peuvent guère être cultivées ensemble comme primeur, puisque l’air est favorable à l’une et nuisible à l’autre. Cependant la nécessité de multiplier les saisons de primeur les font cultiver ensemble sous châssis.