Manuel de la parole/15/73

J.-P. Garneau (p. 278-279).

ATHALIE, A. IV, SC. 3.


Joad, Joas.
Joad

Ô mon fils, de ce nom j’ose encor vous nommer,
Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
Que m’arrachent pour vous de trop justes alarmes ;
Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur ;
De l’absolu pouvoir vous ignorez l’ivresse,
Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse
Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ;

Qu’un roi n’a d’autre frein que sa volonté même ;
Qu’il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;
Qu’aux larmes, au travail, le peuple est condamné,
Et d’un sceptre de fer veut être gouverné ;
Que, s’il n’est opprimé, tôt ou tard il opprime.
Ainsi, de piège en piège, et d’abîme en abîme,
Corrompant de vos mœurs l’aimable pureté,
Ils vous feront enfin haïr la vérité,
Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
Hélas ? ils ont des rois égaré le plus sage.
Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
Que Dieu fera toujours le premier de vos soins,
Que, sévère aux méchants, et des bons le refuge,
Entre le pauvre et vous vous prendrez Dieu pour juge,
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.

Racine.