J.-P. Garneau (p. 1-4).

PREMIÈRE PARTIE


L’ART ORATOIRE

1. — L’art oratoire est l’ensemble des règles dont l’observation est nécessaire à l’expression claire, agréable, persuasive, des idées et des sentiments par la voix et le geste.

Pour communiquer à ses semblables ce qu’il pense et ce qu’il ressent, l’homme a deux langages : sa voix et son geste, habiles tous deux à donner à la pensée et au sentiment une enveloppe matérielle. D’un autre côté, ceux à qui il s’adresse possèdent deux sens esthétiques : la vue et l’ouïe, capables de traduire au cœur et à l’esprit l’impression physique qu’ils reçoivent. — L’orateur agit sur l’oreille par la voix, et par le geste sur l’œil. — Dans la chaire ou à la tribune, dans le salon littéraire ou au sein de la famille, l’homme qui parle doit gouverner ces deux langages de façon à être compris, à charmer, à toucher.

2. — La diction est l’art d’exprimer les idées et les sentiments par la voix ; la mimique, par le geste.

La voix et le geste, ces deux instruments de la pensée et de la volonté, travaillent au même ouvrage ; de l’unité de leur action, naît la force de la parole.

3. — La correction donne au geste et à la voix la clarté et la précision, dont l’orateur a besoin pour se faire comprendre, pour intéresser, pour instruire.

L’harmonie du geste et de la voix plaît, charme et séduit.

L’expression vocale et mimique fournit à l’orateur le moyen de toucher, d’émouvoir, de persuader, d’entraîner ses auditeurs.

De là, la division de ce traité en deux parties principales : la Diction et la Mimique, et de chaque partie en trois titres : Correction, Harmonie, Expression.

Il n’est question dans ce volume que de la diction ou de la lecture correcte.


DICTION

4. — La diction est la partie de l’art oratoire qui traite de la voix.

Ses règles s’appliquent aussi bien à la récitation qu’à la lecture. À dire vrai, celle-ci n’en a point d’autres, et qui récite bien lit bien. — Le lecteur est généralement assis ; une table le dérobe aux regards de l’auditoire et lui interdit toute expression par attitude ; ses mains, occupées à tenir le livre ou à tourner les feuillets du manuscrit, ne peuvent faire aucun geste ; ses yeux ne se détachent guère de la page à lire. En un mot, le lecteur doit tout exprimer par la voix seule.

5. — La voix est un son, produit par la vibration des cordes vocales, au passage d’un courant d’air chassé des poumons, et que peuvent modifier les caisses de résonance formées par les cavités buccale, nasale, et pharyngienne.

L’appareil phonateur est un instrument à vent, composé des poumons, du larynx et de la bouche. La contraction des muscles expirateurs exerçant une pression sur les poumons, l’air emmagasiné dans ces organes s’échappe par la trachée-artère, et passe par le larynx, où il met en mouvement les cordes vocales ; la colonne d’air expulsée entre elle-même en vibration ; de ces vibrations résulte le son vocal, qui résonne ensuite dans le pharynx, les fosses nasales et la bouche, où il est renforcé, modifié et enrichi.

6. — Le caractère du son vocal varie avec l’énergie d’expiration du souffle, la contraction des cordes, et la disposition des cavités résonnantes.

La force avec laquelle l’air est expulsé augmente l’amplitude des vibrations des cordes vocales et donne à, la voix son intensité. — La tension des cordes, augmentant le nombre des vibrations, produit la hauteur du son. — La forme et les dimensions des cavités variables du pharynx, de la bouche et du nez, outre qu’elles renforcent le son, en déterminent le timbre. — De plus, l’air au dessous du larynx, dans la trachée-artère et dans les poumons, vibre à l’unisson des cordes vocales, et cet ébranlement ajoute encore à la force du son.

7. — La voix est l’instrument du langage articulé et du chant.

8. — Le langage articulé est un langage artificiel, composé de sons, dont les combinaisons arbitraires forment des mots auxquels l’homme attribue des significations particulières.

9. — Le chant est un langage naturel, fait de modulations sonores, instinctivement produites et interprétées par les hommes, et dont l’effet est de renforcer et de préciser les idées et les sentiments exprimés par le langage articulé.

CORRECTION DE LA PAROLE

10. — Pour parler avec correction, l’orateur doit émettre clairement les sons du langage articulé en donnant à chacun sa valeur prosodique, les décomposer suivant l’analyse logique du discours, et les faire entendre distinctement.

11. — Le discours est composé de propositions ; les propositions, de mots ; les mots, de sons ; et les sons sont notés graphiquement par des caractères de convention, appelés lettres, qui constituent l’écriture.

La prononciation est la traduction par des sons vocaux de ces signes graphiques.

L’étude de la prononciation est l’étude des rapports qui existent entre les sons d’une langue et les caractères qui les représentent.

Ces rapports ne sont pas constants ; un son n’est pas toujours noté par le même signe, un signe ne représente pas toujours le même son. Ainsi le son a ouvert, qui traduit généralement le signe a (avec), peut aussi traduire le signe e (femme) ; le signe b, qui régulièrement représente l’articulation b (obéir), peut aussi représenter l’articulation p (absence).

12. — La valeur phonétique des caractères est déterminée par l’usage et par le génie de la langue.

La prononciation consacrée par l’usage est bonne, parce qu’en parlant, on veut, avant tout, être compris du plus grand nombre. Mais, pour être légitime, l’usage doit porter l’empreinte du génie national. Aussi, l’arbitre suprême en fait de prononciation, est non pas l’usage suivi par le plus grand nombre, mais l’usage adopté par ceux chez qui le génie national est le mieux conservé. Il s’ensuit que nous, qui parlons la langue française, mais en qui diverses influences peuvent en avoir éteint l’esprit, nous devons suivre ce que l’usage fait de changement dans la prononciation en France.