J.-P. Garneau (p. 5-13).

CHAPITRE I

LES SONS

SECTION I

LES CARACTÈRES ET LES SONS DU FRANÇAIS

Art. I. — Les Caractères


13. — L’alphabet est l’ensemble des signes au moyen desquels on figure les sons du langage.

En français, ces signes sont au nombre de trente-quatre :

(a) 25 lettres simples, qui forment l’alphabet proprement dit : a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, x, y, z.

Cet alphabet n’est pas propre à la langue française ; il nous vient des Latins, qui le tenaient des Grecs ; les Grecs l’avaient reçu des Phéniciens ; et ceux-ci l’avaient emprunté aux peuples de l’Égypte. Après les transformations qu’il a subies, il serait étonnant qu’il fût toujours d’accord avec les sons qu’il est appelé à représenter en français.

(b) 3 lettres doubles ; æ, œ, w.

W est devenu un caractère français, grâce à l’introduction de mots étrangers dans notre langue ; — æ et œ sont formés des lettres a et e, o et e, contractées.

(c) 6 signes orthographiques : l’accent aigu (´), l’accent grave (`), l’accent circonflexe (^), le tréma (¨), la cédille (¸), l’apostrophe (’).

Les signes orthographiques n’ont par eux-même aucune valeur phonétique ; mais ils peuvent modifier celle des lettres qu’ils accompagnent. — L’accent aigu peut se mettre sur la lettre e ; l’accent grave, sur a, e, u ; l’accent circonflexe, sur a, e, i, o, u ; le tréma, sur a, i, u ; la cédille, sous c ; l’apostrophe marque l’élision de l’une des lettres a, e, i.

14. — La combinaison des lettres simples avec les signes orthographiques donne naissance à treize signes accentués : à, â, ë, è, é, ê, î, ï, ù, û, ü, ô, ç.

La réunion de certaines lettres simples forme vingt-deux combinaisons, qu’on appelle signes composés, et qui ont une valeur phonétique particulière : ai, ay, au, an, am, ei, ey, eu, en, em, in, im, ou, on, om, yn, ym, un, um, ch, gn, ph.

Le tableau complet des signes graphiques représentant les sons du français comprend donc soixante-trois caractères, simples, accentués, ou composés.

15. — Tableau complet des caractères phonétiques du langage français.

a e i o u y
à â è é ë ê ï ù û ü ô
æ œ
ai ay au ci ey eu ou
an am en em in im on om un um yn ym
b c d f g h j k l m n p q r s t v x z w
ç ch gn ph


Art. II. — Les Sons


16. — Les sons du langage résultant du passage, par les voix respiratoires, de l’air chassé par la pression pulmonaire. L’expulsion de l’air peut produire soit un souffle pur et simple, soit une voyelle, soit une consonne.

En effet, l’air expiré ne se comporte pas toujours de la même façon dans son passage de la poitrine à l’extérieur. Tantôt, il s’échappe librement par la glotte et la bouche ouvertes, sans rencontrer aucun obstacle ; il ne produit pas alors de son ; c’est le souffle ordinaire de l’expiration. — Tantôt, les cordes vocales sont tendues, et le souffle en les frôlant les fait vibrer ; le larynx alors engendre un son fondamental accompagné d’un certain nombre d’harmoniques, auxquelles la résonance des cavités pharyngienne, buccale et nasale, donne plus ou moins d’intensité, déterminant un timbre particulier ; le souffle sort ensuite sans autre obstacle de la bouche ouverte : c’est le souffle vocalisé, c’est la voyelle. — Tantôt, la colonne d’air expiré, soit après avoir traversé le larynx librement, soit après avoir fait vibrer sourdement les coules vocales, rencontre dans la bouche des obstacles formés par la langue, les lèvres et les dents, qui l’arrêtent ou l’étranglent ; l’air, en forçant ces obstacles, donne naissance à un son d’une valeur musicale peu appréciable : c’est l’articulation, c’est la consonne.

Ainsi h aspiré est un souffle (halte) ; a est une voyelle (avis) ; t est une consonne (toi).

17. — Les sons français sont au nombre de trente-trois, soit : quinze voyelles et dix-huit consonnes.

Les timbres auxquels peuvent donner naissance les variations de la forme des cavités résonnantes, et les articulations que peuvent déterminer les positions diverses des organes, sont en nombre presque illimité. Mais des nuances souvent trop délicates pour être notées, les distinguent les uns des autres, et l’usage s’est établi de les grouper tous autour de certains sons principaux. Les distinctions trop subtiles que font quelques grammairiens, compliquent inutilement l’étude de la prononciation.


§ 1. — Les voyelles


18. — La voyelle est une modification du son vocal, due à sa résonance dans les cavités pharyngienne, nasale et buccale.

Quand la résonance se fait seulement dans le pharynx et la bouche, la voyelle est orale ou pure. Quand la résonance se fait simultanément dans le pharynx, la bouche et les fosses nasales, la voyelle est nasale.

C’est le voile du palais qui en s’abaissant interrompt partiellement la communication entre le pharynx et la bouche, et force le son à résonner aussi dans les fosses nasales ; tandis que le son s’échappe directement par le pharynx et la bouche, sans autre résonance, quand le voile du palais est levé.

Chaque voyelle peut être longue ou brève, à l’exception toutefois du son é, toujours bref en français. Mais le timbre d’une voyelle n’est pas altéré par sa durée.

19. — Le français compte onze voyelles orales et quatre voyelles nasales.

Voyelles orales
Figuration des sons Noms des sons Exemples
Sons longs Sons brefs
a a ouvert ou aigu compare bac
â a fermé ou grave mânes compas
è e ouvert ou grave mer bec
é e fermé ou aigu école
i i lire image
o o ouvert ou aigu honore choc
ô o fermé ou grave alcôve héros
u u dure dru
ou ou sourd cou
e ou eu e muet ou eu ouvert demeure veuf (très bref : ne)
eu eu fermé émeute feu

Nous ne faisons qu’une seule voyelle du son e muet et du son eu ouvert. En effet, l’eu ouvert n’est qu’une exagération de l’e muet ; ils diffèrent par l’intensité et la durée, non par le timbre, Tandis que eu peut être long ou bref, e peut être bref ou très bref, mais n’est jamais long. Dans la prononciation figurée, nous notons l’e muet et l’eu ouvert par des signes différents ; mais cela n’indique qu’une différence de durée et d’intensité.

On peut présenter sous une autre forme la gamme vocalique française, en prenant comme son fondamental À moyen, tenant le milieu entre a ouvert et â fermé :



Le son primitif à, diversement modifié, donne naissance aux deux sons a et â ; a devient è, qui conduit à é, et ce dernier passe à i ; â conduit à o, o mène à ô, et ô devient ou ; les sons intermédiaires e, , u, résultent des combinaisons è et o, é et ô, i et ou.

Voyelles nasales
Figuration des sons   Exemples
Noms des sons
Sons longs Sons brefs
an
  a nasal 
  enfance 
  dans
in
  è nasal 
  feinte 
  pain
on
  o nasal 
  monde 
  bon
un
  e nasal 
  humble 
  brun

Les voyelles nasales ne sont que des voyelles pures nasalisées. Dans l’émission de certaines voyelles orales, telles que i, u, ou, le voile du palais est tout à fait relevé et intercepte complètement le passage de l’air du larynx aux cavités du nez ; ces voyelles, bien prononcées, ne peuvent être accompagnées de résonance nasale. Au contraire, dans l’émission des voyelles a, è, o, e, la communication entre le pharynx et les fosses nasales n’est que partiellement interrompue ; ces dernières voyelles, par conséquent, peuvent être nasalisées, c’est-à-dire retentir à la fois dans le pharynx, dans la bouche et dans les fosses nasales.


§ 2. — les consonnes


20. — La consonne ou l’articulation est un bruit produit par le frottement de l’air contre divers obstacles qui s’opposent à son passage dans la bouche, et accompagné ou non d’un murmure résultant d’une vibration sourde des cordes vocales.

Les consonnes peuvent donc avoir des sonorités différentes, se produire à différents points de l’appareil vocal, provenir d’obstacles différents, et résulter d’une occlusion plus ou moins complète du tuyau buccal. De là les classifications suivantes.

21. — I. Quand il y a vibration des cordes vocales, et partant murmure laryngien, la consonne est vocalique (b, d, g, v, z, j, m, n, gn, ll, l mouillée) ; — quand les cordes ne vibrent pas, la consonne est soufflée (p, t, k, f, s, ch).

L et r sont à volonté vocaliques ou soufflées.

Les consonnes vocaliques sont aussi dites douces, faibles ou sonores ; les consonnes soufflées sont parfois appelées dures, fortes ou sourdes.

II. Si l’obstacle au passage du courant d’air est formé par la lèvre supérieure appliquée contre la lèvre inférieure, la consonne est labio-labiale (p, b, m) ; — si par la lèvre inférieure appliquée contre les dents supérieures, la consonne est labio-dentale (f, v) ; — si par la langue appliquée contre les dents supérieures et la partie antérieure du palais, la consonne est linguodentale (t, d, s, z, n, r, l, ll) ; — si par la langue appliquée contre le palais, la consonne est linguo-palatale (k, g, ch, j, gn).

Gn bien prononcé devrait être une linguo-dentale. — D’un autre côté, il devient souvent, dans la prononciation usuelle, une linguo-palatale.

III. Si le canal par où l’air s’échappe est d’abord complètement fermé, puis subitement ouvert, la consonne est explosive (p, b, m, n, t, d, ll, gn, k, g) ; s’il est seulement rétréci, la consonne est continue (f, v, s, z, l, ch, j, r).

La consonne explosive est instantanée ; elle ne peut être prolongée ; l’occlusion et l’ouverture subite du tube vocal lui donne naissance et elle s’éteint aussitôt ; elle ne peut se prononcer qu’accompagnée, précédée ou suivie d’une voyelle. — Au contraire, dans l’émission de la consonne continue, l’obstacle au passage de l’air n’est que partiel ; le souffle n’est qu’étranglé, et le frottement qui produit la consonne peut être prolongé tant que se continue l’expulsion de l’air.

l dans la prononciation est souvent explosive. — h se distingue des autres consonnes continues, en ce que l’occlusion, au lieu d’être partielle, est d’abord complète, et disparaît ensuite, pour reparaître de nouveau ; c’est plutôt une suite de petites explosives rapides.

IV. Si la consonne retentit seulement dans la bouche, elle est pure ; — si la consonne retentit aussi dans les fosses nasales, elle est nasale (m, n, gn) ; — si la consonne s’adjoint un i ou plutôt un yod palatal, elle est mouillée ou liquide (ll, gn).

Comme pour les voyelles, la résonance nasale est ici déterminée par l’abaissement du voile du palais : Ne peuvent être nasalisées que les vocaliques.

Consonnes
Consonnes Pures Liquides Explosives Vocaliques Nasales Explosives Vocaliques
Continues Explosives
Vocaliques Soufflées Vocaliques Soufflées
Labio-labiales --- --- b p --- m
Labio-dentales v f --- --- --- ---
Linguo-dentales z s d t ll n
l, r
Linguo-palatales j ch g k gn


22. — Figuration des sons.

Dans la prononciation figurée des mots, nous avons toujours employé les mêmes signes. Ainsi le signe « g » représente partout le son de la consonne g tel qu’on l’entend dans garde ; « s » figure toujours le son s sifflant ou ç, bien que parfois nous ayions aussi employé, pour représenter ce son, le signe « c » ou « ç ». Les groupes de signes représentant un son simple, comme « ou », « eu », « ph », « gn », etc., sont imprimés en italiques ; « an » représente l’a nasal, « an » représente le son a suivi du son n ; « ll » représente l’articulation l mouillée. Toutes les consonnes écrites dans la prononciation figurée, même si elles ne sont pas suivies de voyelles, se prononcent, excepté celles qui forment partie des signes composés représentant les voyelles nasales. Les syllabes sont séparées les unes des autres par une espace ; lorsque des consonnes redoublées se prononcent, la première finit une syllabe, et la seconde en commence une autre. La liaison est marquée par une apostrophe. Les sons sont notés sans égard à leur durée, sauf le son eu ouvert qui est noté « eu » ou « e » ; ces deux notations correspondent au même timbre, mais la seconde représente un son moins accentué, moins perceptible, moins long. Bien que nous n’ayions pas noté la quantité, il nous a paru utile de faire cette distinction.

On pourra du reste consulter le tableau suivant, pour connaître la valeur phonétique de chaque signe employé dans la prononciation figurée.

Dans le texte, la prononciation figurée est généralement entre parenthèses. Quant aux sons, pris isolément, on les a indiqués par des petites capitules (le son a, l’articulation… etc.)


voyelles


Le
signe
 a
représente
toujours le son
a ouvert comme
dans
parc ou avis
â “     “ a fermé mânes ou pas
è “     “ e ouvert mer ou bec
é “     “ e fermé école
i “     “ i lire ou lit
o “     “ o ouvert honore ou choc
ô “     “ o fermé alcôve ou héros
u “     “ u dure ou dru
ou “     “ ou sourd ou cou
e “     “ e muet très bref le ou rive
eu “     “ eu ouvert meurt ou veuf
“     “ eu fermé émeute ou feu
an “     “ a nasal danse ou dans
in “     “ è nasal feinte ou pain
on “     “ o nasal monde ou bon
un “     “ e nasal humble ou brun


consonnes


Le
signe
     b
représente toujours
l’articulation
b comme
dans
bas
p “     “ p pas
m “     “ m mat
v “     “ v va
f “     “ f fat
z “     “ z zigzag
s, ç, ou c “     “ s (sifflante) ci, si
d “     “ d dos
t “     “ t temps
r “     “ r ras
l “     “ l il
ll “     “ l mouillée taille
n “     “ n nul
j “     “ j jus
ch “     “ ch chute
g “     “ g (dur) garde
k “     “ k quatre
gn “     “ gn signe