VI. — L’agencement des moyens productifs

1, La loi dite des rendements décroissants ; sa véritable extension[1].

104. La loi des rendements décroissants. — Nous savons que dans presque toutes les productions le travail, la nature et le capital ont tous les trois un rôle à jouer. Quand à une production, comme il arrive à l’ordinaire, plusieurs moyens productifs devront concourir, la proportion selon laquelle on les emploiera pourra varier. Ainsi, pour avoir une récolte de blé sur une terre déterminée, on pourra dépenser plus ou moins de main-d’œuvre, on pourra dépenser plus ou moins de capital — le capital, ici, consistant en semences, engrais, outils, etc., et aussi en une partie de la main-d’œuvre, en tant qu’il faut dépenser cette partie 8 mois, ou 6 mois, ou 4 mois avant la récolte —.

L’attention des économistes s’est portée sur ce fait. Mais les théories qu’ils ont bâties sont viciées souvent par des erreurs ou par des confusions contre lesquelles il faut se mettre en garde. Ils ont parlé, très souvent, d’une loi des rendements décroissants qui serait particulière à la production agricole. Nous proposant de débrouiller la question, nous commencerons par exposer les observations qui ont été faites au sujet de cette production.

105. Son application à l’agriculture. — Quand, sur une terre d’une superficie donnée, on entreprend une culture, le produit qu’on obtiendra variera selon la quantité de main-d’œuvre et de capital qu’on aura dépensée, mais il ne variera pas proportionnellement à cette quantité. Relativement aux frais que l’on aura faits, il ira d’abord en croissant, puis en décroissant. Si sur un hectare de terre par exemple, voulant cultiver du blé, on prétend ne dépenser que le travail des semailles et celui de la moisson, on aura une récolte à peu près nulle. L’exécution de certaines opérations — labourage, hersage, etc. —, doublant, nous supposons, les frais de culture, multipliera la récolte peut-être par 30. Une fumure modérée ajouterait aux dépenses précédentes une dépense égale à chacune d’elles, et porterait la récolte de 30 unités à 50. Mais une quatrième dose de travail et de capital n’ajouterait à ces 50 unités que 10 unités nouvelles, qui représenteraient tout juste ce qu’elles auraient coûté à obtenir. Et une cinquième dose ne grossirait plus la récolte que de 5 unités, causant une perte au cultivateur.

Dans l’illustration arithmétique que nous venons de donner, le rendement de la terre, rapporté aux dépenses de culture, croît d’abord avec celles-ci de plus en plus, puis décroît de plus en plus. On peut avoir aussi bien une courbe qui monte, puis descende, puis remonte pour redescendre encore. Quand on aura dépensé un certain nombre de doses de capital et de travail, il se peut qu’une dose supplémentaire n’ajoute que 5 unités au produit, et que l’application de deux doses augmente ce produit de 25 unités. Dans certaines cultures, une irrigation pour laquelle on dépensera une certaine somme ne fera que peu de bien aux plantes ; une deuxième irrigation, qui entraînera des frais égaux, pourra leur être extrêmement profitable ; mais elle ne leur sera si profitable que parce qu’elle viendra après la première. Ces irrégularités possibles, au reste, ne changent pas la forme générale de notre courbe : toujours celle-ci commencera par monter, et finira par descendre ; il y aura toujours une dépense telle, que le rapport des produits additionnels aux frais additionnels sera inférieur à l’unité.

Distinguant les doses de capital et de travail qui sont successivement appliquées à la terre, il y aura une dose marginale. On définit communément cette dose marginale en disant que c’est la dose qui se retrouve tout juste dans le produit. Mais si l’on considère ces irrégularités de la courbe de la productivité dont il vient d’être parlé, on s’aperçoit qu’il peut y avoir, à différents endroits de la courbe, plusieurs doses répondant à la définition précédente. Parmi ces doses, alors, celle-là sera la dose marginale au-delà de laquelle il n’y aura plus aucune dépense supplémentaire qui doive se retrouver dans le produit.

On aura soin de bien comprendre en quel sens il est parlé ici de doses de travail et de capital qui sont appliquées successivement à la terre. Comme il résulte déjà d’une indication qui a été donnée plus haut, il ne s’agit pas d’une succession dans le temps, en telle sorte que la première dose serait représentée, par exemple, par les labours préparatoires, que les semailles représenteraient une dose ultérieure, etc. L’ordre dans lequel nous rangeons les dépenses de production est déterminé par l’utilité plus ou moins grande que le cultivateur trouve à les faire. Si notre cultivateur, ayant 1 hectare de terre à cultiver, dispose pour sa culture de 100 francs, il aura avantage à les employer d’une certaine façon ; s’il a 100 francs de plus, c’est à telle opération nouvelle qu’il emploiera ce supplément ; et ainsi de suite. Et l’on ne doit pas s’étonner qu’une opération que nous disons moins utile accroisse plus le produit qu’une opération plus utile : la chose tient à ce que nous avons fait remarquer déjà, à savoir que les opérations de la production s’enchaînent, et que souvent une opération n’accroît le produit comme elle fait que parce qu’elle a été précédée de telles et telles autres.

Où s’arrêtera-t-on dans l’application du travail et du capital à la terre ? Non pas au moment où leur productivité commencera à diminuer, mais au moment où l’on arrivera à la dose marginale. L’application du travail et du capital, en effet, devra être poussée aussi loin qu’elle sera rémunératrice. Peu importe que les dernières doses donnent moins que des doses antérieures, du moment qu’elles sont plus que payées par le produit qu’elles donnent. Et à ce propos il convient de signaler une faute que les fermiers commettent assez souvent. Si l’on réfléchit que le loyer des terres, normalement, se proportionne à ce qu’une culture bien conduite peut tirer de ces terres, on se convaincra, par un raisonnement qu’il est inutile de développer, que le plus avantageux pour nos fermiers serait de louer cette surface de terre où ils pourraient, avec les moyens dont ils disposent, étendre leurs dépenses en travail et en capital jusqu’à la dose marginale. Mais il leur arrive d’en prendre davantage. La passion de la terre les entraîne, et cette illusion où l’on tombe aisément qu’avec plus de terre on doit avoir nécessairement plus de gain.

C’est la loi des rendements décroissants — puisqu’on l’appelle ainsi — qui explique que la terre soit recherchée et qu’elle donne une rente, qu’elle ait un prix. Sans elle, les cultivateurs pourraient intensifier leur culture indéfiniment, ils pourraient la concentrer sur un espace aussi exigu qu’on voudrait. Mais la loi des rendements décroissants fait, lorsqu’on a dépensé une certaine somme sur une superficie de terre donnée, qu’on a avantage, plutôt que de dépenser une somme nouvelle sur cette même terre, à chercher une autre terre. Disposant d’une terre de 10 hectares, nous supposons, un cultivateur a 30.000 francs à dépenser pour ses frais d’exploitation : or le rendement net s’accroît — relativement — jusqu’à ce qu’on arrive à 20.000 francs de dépenses ; il est alors de 6.000 francs. Si l’on voulait dépenser la somme entière des 30.000 francs sur la même terre, le rendement net ne serait augmenté que de 2.000 fr. Au contraire, dépensant sur une autre terre, de 5 hectares de superficie, les 10.000 francs pour lesquels la loi des rendements décroissants se vérifie, on pourra obtenir 3.000 francs de rendement net. Dans ces conditions, il serait évidemment de l’intérêt de notre cultivateur de pouvoir disposer des deux terres : et il consentira des sacrifices pour avoir la deuxième.

Il semblera, peut-être, qu’il y a une contradiction dans les considérations que nous venons d’exposer : tantôt nous disions que les cultivateurs — pour autant qu’ils dirigeaient bien leurs affaires — poussaient l’application du capital et du travail à la terre jusqu’à cette dose qui se retrouve exactement dans le produit ; et maintenant nous montrons qu’ils cherchent à étendre leur culture dès que leurs rendements, relativement aux dépenses d’exploitation, commencent à décroître. La contradiction n’est qu’apparente. Dans nos dernières remarques, nous avons isolé par l’abstraction une certaine somme, pour laquelle nous supposions qu’on cherchait le meilleur emploi ; et c’était afin de faire comprendre comment agissait la loi des rendements décroissants. Quand nous définissions au contraire la dose marginale des dépenses de culture, nous envisagions l’économie telle qu’elle nous est donnée dans l’expérience, avec les capitaux multiples — ne parlons que des capitaux pour simplifier — qui cherchent concurremment des emplois. Or les capitaux se distribuant dans les emplois les plus lucratifs, on descendra, cela est clair, jusqu’à ces emplois qui sont tout juste rémunérateurs.

106. Qu’elle peut être généralisée. — Voilà donc, exposée dans ses grandes lignes, la théorie des rendements décroissants de l’agriculture. Nous allons montrer que cette théorie n’est point applicable seulement à l’agriculture, et que ce qui a été dit ci-dessus de la terre cultivée est vrai tout aussi bien des autres moyens productifs, quels qu’ils soient.

Soit un industriel qui a construit une usine. Les bâtiments, les machines, l’outillage, lui ont coûté une certaine somme, mettons 100.000 fr. Si pour faire fonctionner son usine notre industriel prétend n’employer que 10 ouvriers, il obtiendra à la fin de l’année un certain produit, qui sera minime. S’il emploie 100 ouvriers, il obtiendra un produit qui sera au précédent, non pas comme 10 à 1, mais peut-être comme 20 à 1. Il est facile de voir en effet que dans une usine, avant toute chose, il faut un certain nombre d’hommes pour entretenir les machines, pour les faire marcher, etc., et que ce nombre ne sera pas proportionnel à celui des ouvriers qui travailleront à l’élaboration des matières, par exemple. Mais augmentant la quantité de la main-d’œuvre, un moment viendra où la productivité des sommes tout d’abord dépensées décroîtra, et ce moment dépassé, la chute de la courbe ne tardera pas à se précipiter. Inversement, si l’on décidait d’occuper un nombre déterminé d’ouvriers, alors, ordonnant dans l’ordre croissant les sommes que l’on pourrait dépenser en bâtiments, machines, etc., et d’une façon générale les capitaux que ces ouvriers auraient à mettre en œuvre, on verrait la productivité du travail augmenter d’abord, puis diminuer.

On a fait remarquer, encore, que la loi des rendements décroissants se vérifie, pour la terre, non point seulement quand on considère les entreprises agricoles, mais également quand on considère les autres sortes d’entreprises. Un industriel a une terre de 2 hectares. Il dépense 500.000 francs pour y construire une usine. S’il veut, afin d’augmenter sa production, dépenser 300.000 francs de plus pour son usine, au lieu de faire cette dépense supplémentaire sur le même terrain, il pourra lui être avantageux de la faire sur un terrain contigu, d’élargir son usine. Celui qui construit des maisons de rapport, de même, donne à ses maisons une certaine hauteur, les construit d’une manière plus ou moins luxueuse ; mais s’il vaut mieux pour lui dépenser 500 francs par mètre carré que 250 francs, 1.000 francs que 500 francs, 2.000 francs que 1.000 francs, un moment arrivera cependant où, augmentant ainsi les frais de construction, le rendement relatif commencera à diminuer ; et alors l’intérêt de notre capitaliste sera d’employer son surcroît de capital à construire d’autres maisons à côté des premières.

Mais pour établir l’universalité de la loi des rendements décroissants, nous ne saurions mieux faire que de retourner, en quelque sorte, les exemples dont on se sert pour établir celle loi, quand on s’occupe de la production agricole.

Un cultivateur qui a une terre de 10 hectares, disions-nous, obtiendra le rendement le plus fort possible s’il dépense 20.000 francs pour la culture de cette terre ; s’il dispose encore de 10.000 francs, il lui conviendra de chercher une autre terre — le mieux serait qu’elle fût de 5 hectares — où il pourra dépenser ces 10.000 francs supplémentaires. On peut dire aussi bien, en renversant en quelque sorte le raisonnement : un cultivateur qui dispose de 20.000 francs pour entreprendre une exploitation agricole obtiendra le rendement le meilleur, relativement, s’il dépense ces 20.000 fr. sur une terre d’une étendue de 10 hectares ; il aurait un rendement moindre s’il faisait la même dépense sur 15 hectares ; si donc notre cultivateur est propriétaire de 15 hectares de terre, il lui conviendra, plutôt que de cultiver ces 15 hectares avec ses 20.000 francs, de chercher à se procurer une somme supplémentaire — de préférence 10.000 francs —.

On le voit, la loi des rendements décroissants est également vraie pour tous les moyens productifs quels qu’ils soient. Quelque moyen productif que l’on considère, lorsque ce moyen productif, comme il arrive presque toujours, doit être combiné, en vue de la production, avec tel ou tel autre, et peut être combiné selon des proportions diverses, il y a une certaine proportion qui porte le produit, relativement à la quantité du deuxième moyen productif employé, à son maximum[2].

107. Pourquoi elle ne l’a pas été. — On peut se demander, dès lors, pourquoi la généralité des économistes n’ont parlé des rendements décroissants qu’à propos de la terre, et spécialement de la terre cultivée. Il y a de cela, sans doute, plusieurs raisons.

1o Nous remarquions tantôt que si le cultivateur qui dispose de 10 hectares de terre et de 30.000 francs accroît la productivité de son argent en prenant 5 hectares de plus, le cultivateur qui dispose de 15 hectares de terre et de 20.000 francs accroîtra la productivité de sa terre, semblablement, en se procurant 10.000 francs de plus. Mais c’est un fait que le cultivateur loue des terres plus volontiers qu’il n’emprunte.

2o D’autre part, les terres, à la différence des capitaux — considérés au moment de leur formation — et des travailleurs, sont des immeubles ; elles constituent le support matériel de toute l’économie. On pourra donc dire proprement qu’on dépense du capital et du travail sur la terre, qu’on applique à la terre du capital et du travail, on ne dira pas qu’on applique de la terre à du capital ou à du travail. Et ainsi, s’occupant des combinaisons des moyens productifs, c’est à la terre de préférence qu’on rapportera tout, c’est elle que l’on prendra comme donnée fixe, tandis qu’on fera varier le capital et le travail.

3o Ajoutons tout de suite que dans l’expérience, à considérer l’ensemble de l’économie, la terre nous apparaît comme un élément relativement fixe. La quantité de terre dont une nation dispose, celle même dont dispose l’humanité varie moins vite que la quantité de capital ou de travail qu’elle est à même de dépenser. En conséquence, ce qu’on remarquera le plus dans l’évolution économique, au point de vue de l’agencement des facteurs de la production, ce sont ces phénomènes qui résultent de l’application à la terre d’une quantité de capital et de travail moins grande, ou — comme il arrive dans notre époque — plus grande proportionnellement.

4o Enfin, si l’on n’a pas aperçu toute la généralité de la loi des rendements décroissants, cela tient en partie à certaines confusions où l’on est tombé, et qu’il nous faut maintenant dénoncer.


2. La loi dite des rendements décroissants ; confusions auxquelles elle a donné lieu.


108. Première confusion. — Parlant des rendements décroissants de l’agriculture, les économistes y ont opposé souvent les rendements croissants de l’industrie. Ceux qui l’ont fait ont confondu généralement deux questions qui sont très distinctes : la question de savoir, un moyen productif d’une certaine grandeur étant donné, dans quelle proportion il faut combiner avec ce moyen productif les moyens productifs d’autres sortes qui doivent concourir avec lui à la production, si l’on veut avoir le maximum de rendement, et la question de savoir quelle grandeur les moyens productifs de chaque sorte doivent avoir pour donner le rendement le plus fort, étant supposé qu’on y applique la proportion la meilleure des moyens productifs différents qu’il faut combiner avec eux. Expliquons par un exemple cette dernière question, et montrons comment elle se résout.

Soit une terre d’un hectare ; le maximum de rendement sera atteint, nous supposons, si on dépense 1.000 francs pour la cultiver : le rendement net, dans ce cas, sera de 500 francs. Prenons en deuxième lieu une terre de 5 hectares ; pour avoir le maximum de rendement net, ce n’est pas 5.000 francs qu’il faudra dépenser en frais de culture, c’est, par exemple, 4.000 francs ; et le rendement net, avec cette dépense, sera de 7.500 francs. Sur une terre, maintenant, de 10 hectares, le rendement net le plus fort sera de 15.000 francs, et il faudra pour l’obtenir dépenser 12.000 francs. Comparant ces trois cas, on voit que selon qu’on aura une terre de 1 hectare, de 5 hectares ou de 10, on pourra avoir un rendement net qui représentera les frais d’exploitation multipliés par 0,5, par 1,875 ou par 1,25.

Ainsi, si l’on prend des terres de plus en plus grandes, ces terres, cultivées au mieux, donneront des rendements qui, relativement aux dépenses d’exploitation, iront en croissant d’abord, puis en décroissant. Et ici encore nous sommes en présence d’une loi universelle. Ce qui est vrai des terres que l’on emploie pour la culture est vrai également de tous les autres moyens productifs. Un industriel veut-il dépenser, pour construire son usine et pour acheter son outillage, une somme de 100.000 francs ? Le mieux pour lui sera, l’usine construite, d’occuper 20 ouvriers ; et ses frais de main-d’œuvre, quand on aura défalqué du produit l’amortissement et l’intérêt des autres dépenses, se retrouveront dans le produit multipliés par 3 ; ou encore, si l’on veut considérer ceci, ses avances lui rapporteront 10 %. Si le même industriel, pour la même production, dépense 200.000 francs en constructions et en machines, alors — en supposant toujours qu’il emploie le nombre d’ouvriers le plus convenable — le rendement sera de 15 %. Mais il tombera à 8 % s’il dépense 500.000 francs.

Cette loi nouvelle, que les rendements croissent d’abord, puis décroissent à mesure qu’on entreprend de mettre en valeur des moyens productifs plus importants, qu’on veut produire, en d’autres termes, sur une plus grande échelle, cette loi est universelle elle aussi. Mais la courbe des rendements varie extrêmement d’une production à l’autre. Dans l’agriculture, elle se met à descendre relativement vite. Dans beaucoup de branches de l’industrie, au contraire, elle ne descend que très tard. Les très grandes exploitations agricoles sont bien rarement plus productives que les exploitations moyennes ; et il est des cultures où seule la petite exploitation obtient des rendements élevés. Les usines métallurgiques au contraire, les raffineries de sucre et de pétrole, les filatures, les ateliers de lissage, sans parler des banques, etc., pour atteindre leur productivité maxima, devront prendre des proportions gigantesques. Il y a donc, au point de vue où nous sommes placés, une différence marquée — à envisager les choses en gros — entre l’agriculture et l’industrie. Et l’opposition est plus forte encore si l’on compare, non plus ces dimensions qui sont les meilleures pour les exploitations agricoles d’une part et d’autre part pour les exploitations industrielles, mais ces dimensions qu’atteignent en réalité les exploitations agricoles ou industrielles : car l’agrandissement des exploitations agricoles est contrarié par tel obstacle qui n’existe pas pour les exploitations industrielles[3].

Nous avons appris à distinguer la question de la proportion selon laquelle les différents moyens productifs doivent être combinés et celle de la grandeur qu’il convient de donner aux entreprises. Ne sera-t-il pas possible, après les avoir distinguées, de les ramener l’une à l’autre de quelque manière ?

Carver a cru pouvoir opérer celle réduction. Pour lui, la deuxième question ne représente pas autre chose qu’un cas particulier de la première. Parmi les agents de la production, en effet, il faut ranger le travail de direction. Dans toute entreprise productive, une direction est nécessaire. Eh bien, la question de l’échelle plus ou moins grande de la production, c’est la question de la proportion à établir entre cet agent productif, d’une part, et d’autre part les autres agents. Combinons le travail de direction d’un individu avec des quantités croissantes de travaux d’autres sortes, de terre, de capital : la productivité de ces moyens productifs variera selon une courbe montante d’abord, puis descendante.

Cette vue de Carver laisse subsister — il le déclare lui-même — des raisons pratiques sérieuses de traiter séparément nos deux questions ; théoriquement, elle est juste dans une grande mesure, mais à la condition qu’on se place à un point de vue exclusivement technique, et non au point de vue proprement économique. Si, en effet, nous nous attachons à la quantité des biens qu’on peut obtenir, dans une entreprise productive, avec des dépenses variées de capital, etc., alors sans doute il est vrai que la raison pour laquelle à l’ordinaire, l’échelle de la production s’agrandissant, la productivité finit par décroître, c’est la difficulté croissante que l’entrepreneur trouve à surveiller la marche de son exploitation, à diriger celle-ci. Mais si, au lieu de s’attachera la quantité des biens obtenus, on s’attache à leur valeur, alors on voit que telles raisons feront nécessairement baisser la productivité, ou contribueront à la faire baisser, qui n’ont aucun rapport avec le travail de direction : ainsi la nécessité d’aller chercher pour les produits accrus des débouchés plus éloignés.

109. Deuxième confusion. — Quand on oppose les rendements croissants de l’industrie — tout au moins de certaines industries — aux rendements décroissants de l’agriculture, on est préoccupé, parfois, des effets différents qu’entraîne, dans l’industrie et dans l’agriculture, l’accroissement de la demande ; on veut dire que la demande des produits croissant, la productivité des exploitations augmente ou diminue, selon qu’il s’agit d’exploitations industrielles ou agricoles. Voyons si cette thèse est exacte, et ce qui peut la justifier. Dans l’industrie, dit-on, l’accroissement de la demande a pour conséquence l’élévation des rendements. Pourquoi en serait-il ainsi ? C’est parce que, la demande devenant plus forte, on peut développer les exploitations ; l’échelle de la production s’agrandit, ce qui permet de produire à moins de frais. Soit une usine où l’on fabrique de certains produits. Si cette usine devient de plus en plus importante, si le capital qu’elle représente, par exemple, passe de 100.000 francs à 200.000 francs, puis à 500.000 francs, le coût de revient de l’unité de produit tombera de 10 francs à 8 francs, puis à francs. Mais il est clair que le développement de l’usine est subordonné à la possibilité que l’entrepreneur trouvera d’écouler une quantité de produits plus ou moins grande. Si le marché ne peut absorber que cette quantité de produits qui correspond à la première des hypothèses de tantôt, notre entrepreneur sera obligé de ne mettre dans son usine qu’un capital de 100.000 francs ; et de même si, pour écouler une quantité supplémentaire de produits, il faut aller chercher les clients trop loin et supporter des frais de transport trop élevés. Que maintenant les débouchés viennent à s’élargir : l’usine pourra être agrandie, ce qui élèvera les rendements.

Passons à l’agriculture. Ici, quand la demande s’accroît, les rendements s’abaissent. Qu’est-ce à dire ? Si une nation est obligée, pour une raison ou pour une autre — parce que la population s’est accrue, parce qu’on a frappé de droits de douane les produits agricoles importés de l’étranger —, de demander une plus grande quantité de produits à son sol, si les consommateurs sont disposés à payer plus cher les denrées agricoles, il arrivera qu’on appliquera à la culture des terres des doses supplémentaires de capital et de travail ; et c’est cela qui abaissera les rendements de l’agriculture — au point de vue de la quantité des produits —.

Ainsi quand, considérant les effets d’un accroissement de la demande, on parle des rendements croissants de l’industrie et des rendements décroissants de l’agriculture, on se fonde d’un côté sur l’une, et de l’autre côté sur l’autre des deux lois que nous avons distinguées dans les pages précédentes ; on se fonde d’un côté sur la possibilité qu’a l’industrie, avec une demande accrue, d’établir cette échelle de la production qui techniquement est la plus productive, et de l’autre côté sur la nécessité où se trouve l’agriculture, dans le même cas, de combiner cet agent productif qu’est la terre avec des quantités supérieures de capital et de travail.

C’est Marshall principalement qui a opposé, de la manière que nous venons de dire, les conditions de la production industrielle et celles de la production agricole. Mais quand il l’a fait, il a manqué à bien voir les fondements théoriques de sa conception : il n’a pas su distinguer les deux questions que nous avons pris soin de séparer.

Pour ce qui est, maintenant, des applications que comporte la conception de Marshall, elles sont multiples et importantes. Cette conception conduit à établir d’une certaine manière les courbes que les coûts de production décrivent quand la production s’accroît — quand elle s’accroît, faudrait-il dire pour parler exactement, ensuite d’un accroissement de la demande — ; elle conduit par là à certaines conclusions touchant les effets, au point de vue du bien-être général, de l’augmentation de la population ; elle sert de fondement, aussi, à diverses théories, en particulier à une théorie des effets des taxes et à une théorie des effets de la protection douanière[4].

Il est nécessaire d’indiquer, toutefois, que les conséquences tirées par Marshall de sa conception doivent être examinées avec soin, et que parfois il y a lieu de les rejeter. Il faut bien voir, en effet, que si dans l’industrie, l’échelle de la production étant agrandie, le rendement en quantité s’élève pendant très longtemps, il ne s’élève cependant pas indéfiniment. Or il est beaucoup d’industries où cette échelle a été atteinte à laquelle correspond, dans l’état actuel de la technique, le rendement le plus fort : une augmentation de la population, telle modification, encore, des taxes ou du régime douanier que l’on peut concevoir ne sauraient, dès lors, conduire à un abaissement du coût de production : il faudrait parler ici, non pas de rendements croissants, mais de rendements constants. Mais ce n’est pas tout : il faut considérer encore que l’industrie emploie des matières premières qui viennent de la terre, et dont la production ne peut être développée que moyennant des frais plus élevés ; ainsi le développement d’une industrie particulière, même si le rapport de la quantité du produit obtenu à la quantité des matières premières employées va augmentant, pourra au point de vue économique, par l’effet de la hausse des prix de ces matières premières, être accompagné d’une décroissance des rendements[5].


3. La transformabilité des productions[6].


110. Pourquoi la question se pose. — L’observation même la plus vulgaire nous apprend que pour obtenir un bien on a le choix, sauf des cas tout à fait exceptionnels, entre des moyens productifs plus ou moins nombreux. Pour faire venir du blé, il faut de la terre d’abord, de la main-d’œuvre ensuite, et du capital troisièmement, puisque ce travail que la culture du blé exige ne donne pas son produit instantanément. Mais il y a beaucoup de terres où le blé pousse, il y a beaucoup d’hommes qui peuvent le cultiver, et pour ce qui est du capital, peu importe où l’on prendra l’argent avec lequel on paiera les avances de la culture. D’autre part, c’est un fait suffisamment connu qu’un moyen productif est apte, ordinairement, à coopérer à la production de plusieurs biens. Une carrière de marbre ne donne que du marbre. Mais un champ pourra être semé en blé, en avoine, en pommes de terre, et en bien d’autres choses encore ; un ouvrier sera capable d’exécuter les besognes les plus variées. C’est la combinaison des deux propositions qu’on vient de voir qui nous oblige à poser la question de la transformabilité des productions. Nous disons la question de la transformabilité des productions, et non la question de la transformabilité des produits. C’est à la chimie qu’il appartient de nous enseigner s’il est ou non possible de tirer tel corps de tel autre. L’économique, elle, se préoccupe de savoir s’il est possible d’obtenir, en place de tel produit, tel produit d’une autre sorte, de substituer telle production à telle autre.

Sur cette question que nous soulevons ici, c’est Effertz qui a exposé les idées les plus suggestives. Nous allons donner de ces idées un aperçu sommaire.

111. Théorie d’Effertz. — D’après Effertz, les productions ne peuvent pas indifféremment être substituées les unes aux autres. Les biens de toutes sortes, dans notre économie, s’échangent les uns contre les autres : ils forment un vaste système, dans lequel chaque unité a sa valeur, ce qui veut dire qu’elle peut être mesurée en fonction de toutes les autres. De là naît une illusion à laquelle les économistes eux-mêmes ne cèdent que trop : l’illusion de croire que l’on pourrait remplacer la production d’une quantité de biens ayant au total une certaine valeur par la production de cette quantité de tels ou tels biens différents des premiers qui représente une valeur égale. Mais ce n’est là qu’une illusion, qu’il importe de dénoncer. En réalité, la transformation des productions les unes dans les autres rencontre toutes sortes d’obstacles.

On ne saurait entreprendre d’indiquer d’une manière exacte et complète quand et dans quelle mesure une production peut être remplacée par une autre. Effertz tient du moins à noter une limitation de la transformabilité des productions qui lui paraît particulièrement importante.

On peut, dit-il, distribuer les biens en deux grandes classes : ceux qui coûtent à produire beaucoup de terre — relativement — et ceux qui coûtent beaucoup de travail. Il sera possible de remplacer la production d’un bien dans le coût duquel le rapport de la terre au travail est grand par la production d’un bien de la même classe ; les productions de la deuxième classe, pareillement, pourront être substituées les unes aux autres. Mais on ne pourra point substituer à une production de la première classe une production de la deuxième. Ou plutôt on pourra opérer cette substitution ; mais on ne pourra l’opérer que dans des conditions de plus en plus désavantageuses, et à l’intérieur de certaines limites. Il est possible d’accroître les produits qui coûtent surtout de la terre en employant à la culture un nombre d’hommes plus grand ; mais l’accroissement de produit qu’on obtiendra par là ira diminuant de plus en plus, et un moment viendra où on ne gagnera plus rien absolument à multiplier les travailleurs de la terre ; à ce moment d’ailleurs la production agricole totale ne représentera qu’un multiple en somme point très élevé de ce qu’elle est aujourd’hui.

Mais quels sont les produits qui correspondent aux deux classes de productions distinguées ci-dessus ? Effertz observe que ces biens coûtent beaucoup de terre qui servent à notre alimentation ; ces biens, au contraire, coûtent surtout du travail qui font notre vie confortable ou luxueuse, qui sont, encore, la condition de notre culture. Il y a, d’un côté et de l’autre, des exceptions : les poissons, qui dans certains pays constituent une partie importante des ressources alimentaires de la population, coûtent surtout du travail. Les chevaux que les gens riches s’offrent le luxe de nourrir, les parcs, les terrains de chasse de ces mêmes gens coûtent principalement de la terre. On est en droit de négliger ces exceptions. La loi de tantôt pourra ainsi être formulée de la façon suivante : on peut, à la place de tels aliments, produire tels autres aliments, on peut produire à la place de tels biens de luxe ou de culture tels autres biens de luxe ou de culture ; on ne peut pas substituer à la production d’un aliment celle d’un bien de luxe ou de culture ; on ne peut pas non plus faire l’inverse, ou on ne le peut que dans une mesure restreinte.

Cette formule à laquelle il est arrivé, Effertz en tirera des conséquences considérables. Il en déduit que les hommes pourraient arriver à être pourvus d’une manière très inégale en nourriture d’une part, et d’autre part en biens de luxe et de culture. Pour le commun des malthusiens, l’humanité, nécessairement, s’achemine vers une indigence totale ; elle tend perpétuellement vers un état de surpopulation, lequel se caractériserait par une production insuffisante de toutes sortes de biens. À quoi Effertz répond qu’il est une catégorie de biens dont les hommes ne risqueront jamais d’être insuffisamment pourvus : à savoir ces biens qui coûtent du travail ; ou plutôt ils ne viendraient à manquer de ces biens que dans cette mesure où, la terre ne produisant pas assez d’aliments pour leurs besoins, ils se verraient contraints, pour échapper aux tourments de la faim, d’accroître la production agricole en intensifiant la culture le plus possible.

Les malthusiens sont tombés dans un excès de pessimisme. D’autres ont péché, à l’inverse, par un excès d’optimisme : tels certains socialistes qui comptent que l’instauration du régime social dont ils sont partisans accroîtra indéfiniment le bien-être des hommes sous tous les rapports, qui croient que toutes les productions pourront être accrues indéfiniment. Il est, leur objecte Effertz, des productions dans lesquelles la terre est l’agent productif principal ; et les terres ne peuvent pas être multipliées. Bien plus, ces méthodes de culture que l’on emploie dans les pays d’Occident ont pour conséquence un appauvrissement continu des terres. Les plantes que la terre produit enlèvent à celle-ci les principes nutritifs qu’elle contient ; et ces principes, quand il s’agit de plantes consommées par les habitants des villes pour leur alimentation, sont conduits à la mer par les égouts. On se préoccupe bien, maintenant, de rendre au sol, sous forme d’engrais chimiques ou autres, ces éléments qui lui ont été ravis ; mais on n’aura point toujours la possibilité de se procurer de tels engrais ; et dans ces conditions, ces progrès de la technique agricole sur lesquels on fonde tant d’espérances, si momentanément ils augmentent le rendement des terres, ne font — bien souvent du moins — que précipiter l’épuisement du sol.

112. Si la surpopulation est à craindre. — Que devons-nous penser de ces vues d’Effertz ? Il semble bien qu’il ait fait trop prochain le danger, pour l’humanité, de manquer de nourriture[7]. Il y a, sur notre planète, des étendues énormes qui ne sont pas encore cultivées, ou qui le sont d’une manière très imparfaite. Au total, l’humanité disposerait, d’après certaine évaluation[8], de 28,2 millions de milles carrés de terres fertiles, de 13,9 millions de milles carrés de steppes, sans compter quelque 4,1 millions de milles carrés de désert. Ces étendues, convenablement cultivées, pourraient fournir leur nourriture à 6 milliards d’hommes.

On arrivera à des chiffres beaucoup plus élevés encore si l’on substitue aux méthodes de culture actuellement employées des méthodes plus intensives. Dans l’île de Guernesey, avec des serres dont la construction revient à 14 francs environ le mètre carré, on obtient annuellement, par mètre carré, 1 à 2 kilogrammes de pommes de terre, 6 à 8 kilogrammes de tomates, et des fleurs par-dessus le marché pendant l’automne : c’est en s’appuyant sur ces données qu’Oppenheimer a prétendu que la terre pouvait nourrir jusqu’à 200 milliards d’habitants. Sans accepter son évaluation — de telles évaluations ne sauraient être qu’aventureuses —, on doit retenir l’indication que son raisonnement contient.

Pour ce qui est, maintenant, de cet épuisement des terres qu’Effertz redoute, tels procédés pourraient être adoptés qui l’empêcheraient. Et d’autre part, des faits se produiront sans doute qui permettront d’enrichir les terres : la découverte de gisements d’engrais chimiques, l’invention — vraisemblablement prochaine — de procédés pratiques pour la fixation de l’azote de l’air, etc.

Nous ne parlerons pas des progrès de la physiologie, qui, en déterminant d’une manière exacte les besoins de notre organisme, nous apprendront le moyen de nous nourrir avec une quantité moindre d’aliments. Et nous ne mentionnerons que pour mémoire le rêve de ces chimistes qui espèrent que leur science réussira un jour à fabriquer, avec les substances les plus communes, une alimentation prodigieusement économique, et rendra ainsi inutile la culture de la terre.

L’humanité pourra donc pourvoir à sa subsistance, même si elle s’accroît dans de grandes proportions. Le taux actuel d’accroissement de la population se maintenant — on l’estime, pour toute l’espèce humaine, à 8 pour 1.000 par an —, on n’arriverait à la surpopulation que dans un certain temps, ou même que très tard : cela dépendrait de l’adoption qu’on ferait de telle ou telle des hypothèses indiquées ci-dessus[9]. Et c’est une question de savoir si le taux actuel de l’augmentation se maintiendra : dans les nations dites civilisées, on le voit aujourd’hui qui s’abaisse d’une manière notable, ou du moins l’on peut conjecturer avec une grande probabilité, sur de certains indices, qu’il ne tardera pas à s’abaisser[10].

Ce n’est guère, en somme, que dans certains pays que l’on pourrait considérer le danger de la surpopulation comme un danger réel, et relativement proche : nous voulons parler notamment de ces pays de population dense qui ne produisent pas la subsistance qui leur est nécessaire, mais qui reçoivent une partie de cette subsistance de l’étranger, en échange de produits manufacturés qu’ils exportent. L’Angleterre, par exemple, avait en 1897, pour les grains et farines, un excédent d’importation de 1.350 millions environ[11]. Et sans doute à l’heure présente les exportations anglaises se développent. Mais pourra-t-il en être ainsi longtemps ? Quantité de pays suivent une politique commerciale protectionniste, et qui d’année en année le devient davantage : ce sont des marchés qui de plus en plus se ferment aux exportations anglaises. Quant à ces pays jeunes qui fournissent à l’Angleterre des subsistances et qui, en même temps, sont pour elle d’excellent acheteurs, demeureront-ils longtemps ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est-à-dire des pays à production presque exclusivement agricole ? le moment ne viendra-t-il pas bientôt où un certain équilibre s’établissant chez eux entre l’agriculture et l’industrie manufacturière, ils vendront moins de produits alimentaires, et achèteront moins de produits manufacturés ? La population anglaise, ce jour-là, se trouverait trop nombreuse, en sorte qu’une partie serait réduite à émigrer[12].

113. Signification véritable et portée de la théorie. — Mais nous devons nous attacher à bien comprendre la thèse qu’Effertz a voulu démontrer. Son intention n’a pas été de prouver que l’humanité dût arriver bientôt à l’état de surpopulation. Il a voulu faire voir que, si le nombre des hommes croissait indéfiniment, il deviendrait de plus en plus difficile, et finalement impossible, d’assurer leur subsistance ; il a voulu montrer que les ressources de l’humanité en aliments étaient bornées, établissant ainsi une limitation d’un ordre particulier au progrès économique. Comprise de la sorte, sa thèse ne saurait qu’être approuvée, surtout si l’on veut bien se rappeler que la formule qu’Effertz nous a donnée de la transformabilité des productions — celle formule d’où il déduit la thèse que nous venons de discuter — ne représente, de l’aveu d’Effertz lui-même, qu’une approximation très large de la réalité.

Indiquons, pour terminer, que du principe général de la transformabilité restreinte des productions ne se tirent pas seulement ces conséquences dont nous venons de parler. Effertz a fondé sur lui, par exemple, une critique pénétrante de la manière dont les collectivistes conçoivent souvent le fonctionnement de ce régime social dont ils préconisent l’établissement.



  1. Lire Marshall, Principles, liv. IV, chap. 3 et 13, et passim (trad. fr., t. I), Valenti, Principii di scienza economica, 57-70, et Carver, Distribution of wealth, chap. 2 ; l’étude du dernier est particulièrement remarquable.
  2. On a parlé ici de proportions définies (voir Valenti, ouvrage cité, § 61), et on a établi un rapprochement entre les combinaisons chimiques et ces combinaisons de moyens productifs dont nous nous occupons. Il faut remarquer à ce propos que les combinaisons chimiques ne peuvent se faire que selon des proportions définies ; pour les combinaisons dont nous traitons, il y a des proportions qui sont les plus productives : mais ces combinaisons peuvent se faire selon d’autres proportions.
  3. Sur la question que nous avons rencontrée ici, et qui est la question de la concentration de la production, voir au chapitre suivant la section VI.
  4. Cf. Cunynghame, Geometrical political economy, chap. 5, 7, 10.
  5. Nous aurons à formuler une autre observation encore, au sujet de l’application qui a été faite de la conception de Marshall à la question du commerce extérieur : ce sera dans l’appendice II, section II, article 3.
  6. Voir Effertz, Antagonismes économiques, 1re partie, chap. 2, viii et xiv, 2e partie, chap. 4, II, § 3, c, et 3e partie, chap. 3, passim.
  7. On trouvera une argumentation optimiste, accompagnée de références, chez Oppenheimer, Das Bevölkerungsgesetzt des T. R. Malthus und der neueren Nationalökonomie, Berlin, Edelheim, 1901 ; voir principalement le chap. 4, B.
  8. Celle de Ravenstein (voir les Proceedings of the Royal geographical society, 1891).
  9. Le chiffre de 6 milliards d’hommes serait atteint dans 200 ans. Cf. Marshall, Principles, liv. IV, chap. 4, § 3 (trad. fr., t. I).
  10. Nous aurons à revenir sur le mouvement de la population : voir le liv. IV, section VIII.
  11. D’après le Handwörterbuch der Staatswissenschaften, art. Getreidehandel, Statistik, par Juraschek (t. IV). Voir encore Philippovich, Grundriss, 1er vol., § 25, 2.
  12. Oppenheimer (ouv. cité, chap. 4, A, pp. 110-112) calcule que la production agricole actuelle du Royaume-Uni fournit à celui-ci, relativement au nombre des habitants, une quantité d’aliments supérieure à ce que la population italienne consomme. Mais il faut tenir compte de ce fait qu’une population ne renonce pas facilement, surtout en de pareilles matières, aux habitudes qu’elle a contractées.