VI. — L’avenir de l’économique.


17. — Nous venons d’esquisser un tableau de l’histoire de l’économique, et de son état présent. Risquons-nous maintenant à dire quelques mots de l’avenir qui lui est réservé.

Comment faut-il concevoir les progrès futurs de l’économique ? Si nous regardons dans le passé, nous constatons que bien rarement les économistes ont introduit des idées, ont posé des questions vraiment nouvelles. Les théories dont la paternité est attribuée à tel ou tel auteur, on peut presque toujours les découvrir ou indiquées d’une manière sommaire par des auteurs antérieurs, ou impliquées en quelque façon dans des théories déjà exposées. Le plus souvent, ces économistes qu’on tient pour des inventeurs n’ont fait que porter une attention plus soutenue, que jeter un regard plus pénétrant sur des faits que d’autres avant eux avaient connus, ou qu’approfondir des notions banales.

L’économique, en cela, est très différente des sciences physiques, par exemple, ou des sciences biologiques. Ces dernières sciences découvrent des phénomènes, atteignent des éléments qui échappent à la connaissance vulgaire. La physique a découvert ainsi que cette force qui se manifeste aux yeux de tous quand la foudre éclate, ou quand un morceau d’ambre frotté attire des corps légers, l’électricité, est présente dans tout l’univers matériel ; elle a découvert des rayons lumineux dont personne ne soupçonnait l’existence ; que l’on pense, encore, aux investigations des biologistes pénétrant dans les mystères de la vie cellulaire. Les sciences de la nature, d’autre part, trouvent pour des phénomènes connus des explications dont il était impossible qu’on eût le soupçon, parce qu’elles rattachent ces phénomènes à d’autres phénomènes inconnus, ou difficilement observables : ainsi en ce moment on croit trouver la cause du crétinisme dans le fonctionnement défectueux du corps thyroïde.

Les faits économiques, à la différence des faits physiques ou biologiques, ne comportent pas une analyse indéfinie. Les éléments derniers auxquels on peut les ramener, ce sont des faits psychologiques, techniques, juridiques que nous connaissons bien, qui nous sont du moins facilement accessibles. Ce sont là, disons-nous, les éléments derniers. Ce n’est pas que ces éléments ne puissent être décomposés à leur tour par l’analyse ; mais alors on entrerait dans des recherches tout à fait étrangères à l’économique, et qui, à quelque résultat qu’elles doivent aboutir, n’aideront jamais à prévoir les faits économiques. Mettons que pour expliquer l’intérêt du capital il faille recourir à cette vérité d’ordre technique que certains allongements des processus productifs accroissent la production. L’économique, on s’en convaincra sans peine, n’a nul besoin qu’on remonte plus haut, qu’on recherche pourquoi, en adoptant des processus productifs plus longs, on obtient une plus grande abondance de produit.

Ainsi l’analyse de la réalité économique ne nous conduira jamais à des faits insoupçonnés : et c’est pourquoi les découvertes de l’économique ne sauraient avoir le caractère de ces découvertes que font chaque jour certaines autres sciences. Ce que nous disons d’ailleurs ici de l’économique est vrai de toute la sociologie. Il est aujourd’hui des sociologues pour croire que des progrès de leur science toutes sortes de grandes choses sont à attendre, que ces progrès nous donneront sur les croyances humaines, sur tout le monde moral, une puissance analogue à celle que d’autres sciences nous ont donnée sur le monde matériel. Mais c’est là une pure illusion, fondée sur une assimilation inexacte ; ceux qui y tombent oublient que dans le champ de la sociologie on a vite trouvé le fond — pour ainsi parler — de cette réalité que l’on étudie.

Le développement futur de l’économique ne fera sans doute jamais apparaître de grande vérité qui soit absolument nouvelle. Comme par le passé, on améliorera les théories existantes en les complétant, en les rectifiant ; on remarquera des faits élémentaires sur lesquels l’attention ne s’était pas portée suffisamment, on instituera des rapprochements féconds de ces faits avec les autres ; on observera plus exactement les faits concrets, les faits de masse notamment, et l’on déterminera des relations de tels de ces faits avec tels autres de même nature. L’économique progressera par un perfectionnement pour ainsi dire continu.

Ce perfectionnement, au reste, ne pourra être qu’assez lent. Nous avons dit plus haut que l’économique, comme science, était relativement facile à constituer. Elle est telle en un sens. Mais des causes multiples ont retardé dans le passé, et ne manqueront pas de retarder dans l’avenir son avancement. Les méthodes les plus utiles, dans cette science, sont en même temps, comme on le verra bientôt, des méthodes très dangereuses, dont l’emploi nous entraîne bien souvent dans l’erreur. La diversité, d’autre part, des méthodes que l’économique peut et doit employer a donné naissance à des partis pris déplorables : certaines écoles, attachées exclusivement à l’emploi d’une certaine méthode, refusent de tenir aucun compte des résultats que les autres méthodes ont donnés. Il y a encore cet exclusivisme national dont nous avons parlé, et qui empêche parfois que les travaux de valeur soient connus de tous ceux qui en pourraient profiter. Les conséquences pratiques des théories détournent souvent d’étudier celles-ci avec impartialité, et de les comprendre, ceux qu’elles peuvent atteindre, même indirectement, dans leurs intérêts. Enfin, il faut voir que les théories économiques, si satisfaisantes soient-elles, ne s’imposent jamais comme peuvent faire les vérités physiques ou biologiques. Les faits physiques ou biologiques se présentent souvent comme des faits indépendants des faits voisins, ou ils peuvent être rendus indépendants de ceux-ci : l’abstraction qui est nécessairement dans les lois générales se trouve ici réalisée en quelque sorte dans des observations auxquelles on peut procéder, ou peut être réalisée par l’expérimentation. Les faits économiques, au contraire, forment à l’ordinaire un complexus tel que lorsqu’on affirme l’existence d’un lien causal entre tel et tel d’entre eux, on peut rarement présenter une observation vraiment démonstrative ; et pour ce qui est de l’expérimentation, elle est ici impraticable.

En somme, il n’y a pas à attendre que l’économique soit jamais bouleversée par de grandes découvertes, ni que ses progrès deviennent jamais très rapides. Il y a cependant pour elle beaucoup de progrès à faire. Et l’on doit avoir confiance dans son avenir : car l’attention ne peut pas manquer de se porter toujours davantage sur les questions économiques.

Considérons le particulier préoccupé de ses intérêts. Ceux-ci, en tant qu’ils sont liés à l’activité économique de ce particulier, ne sont pas si aisés à connaître, s’ils sont engagés dans de certaines grandes affaires. Les directeurs, par exemple, d’une entreprise de transports risquent, sinon de commettre de grosses erreurs, du moins de ne pas réaliser le maximum de gain s’ils n’ont pas étudié les questions théoriques, très complexes et très difficiles, qui se rapportent aux prix.

Nos intérêts économiques ne sont pas liés seulement à notre activité économique propre. Ils sont liés aussi à l’organisation sociale ; ils peuvent être servis ou lésés par ces mesures législatives qui viennent modifier l’ordre existant. Et l’on sait que les interventions législatives dans l’ordre économique, depuis quelque temps, sont de plus en plus fréquentes. Or celui qui veut savoir ce qui doit résulter de telle réforme projetée, dans quel sens il doit orienter son action politique, celui-là devra acquérir une forte culture économique : trop heureux si l’état actuel de la science économique lui permet de donner une réponse certaine aux questions qui se posent devant lui.

L’économique ne fournit pas seulement des lumières à l’économie privée ; elle nous éclaire aussi sur les intérêts de la nation et sur les intérêts de la collectivité humaine. Il importe à tout pays que sa politique commerciale soit guidée par une vue juste de ses intérêts : et cette vue juste ne peut procéder que d’une étude approfondie de l’économique. C’est à l’économique, d’autre part, de nous apprendre s’il est permis d’attendre de bons résultats de telle extension de la législation protectrice du travail ou des services industriels de l’État ; c’est à elle qu’il appartient de résoudre les problèmes dits sociaux, si graves, et qui deviennent chaque jour plus urgents, à mesure que le nombre devient plus grand de ceux qui demandent des changements profonds dans l’ordre établi, et que se font plus instantes leurs réclamations. Tout cela est pour nous faire augurer favorablement de son développement futur.

    Elster, Lexis et Löning (Iéna, Fischer, 2e éd., 7 vol., 1898-1901), et le Wörterbuch der Volkswirtschaft, édité par Elster (Iéna, Fischer, 2e éd., 2 vol., 1906-07). Ce sont des répertoires extrêmement riches, surtout en ce qui concerne les faits économiques. Le Handbuch der politischen Oekonomie, publié sous la direction de Schönberg (4e éd., 5 vol., Tübingen, 1896-98), traite d’une manière étendue toutes les parties de l’économique, et fournit sur chaque point une bibliographie abondante, qui a seulement le tort de ne renvoyer guère qu’à la littérature allemande. Nous avons déjà cité les ouvrages de Wagner (Grundlegung der politischen Oekonomie) et de Schmoller (Grundriss der allgemeinen Volkstwirtschaftslehre). Mentionnons encore le Grundriss der politischen Oekonomie, de Philippovich, qui est, le plus répandu et le plus recommandable des manuels élémentaires écrits en allemand (premier vol., Allgemeine Volkswirtschaftslehre, 6e édit., Tübingen, 1906 ; 2e vol., Volkswirtschaftspolitik, première partie, 3e éd., 1905, 2e partie, 1907).
    Pour l’Angleterre, nous avons indiqué déjà les Principles of economics de Marshall, ouvrage fort remarquable, mais qui n’a pas été écrit spécialement pour les débutants. Indiquons encore le Dictionary of political economy, publié par Palgrave (3 vol., Londres, Macmillan, 1894-99).
    La France possède le Cours d’économie politique de Cauwès (Paris, Larose, 3e éd., 4 vol., 1893), le Cours d’économie politique de Colson (Paris, Guillaumin, 3 vol., 1901-1905) et le Traité théorique et pratique d’économie politique de Leroy-Beaulieu (Paris, Guillaumin, 3e éd., 4 vol., 1900). En fait de manuel élémentaire, elle a les Principes d’économie politique de Gide (Paris, Larose, 10e éd., 1906). Ce dernier ouvrage, dont la réputation est universelle, doit son succès à la liberté avisée avec laquelle l’auteur y traite les différentes questions économiques, à l’ingéniosité dont il fait preuve sans cesse et à son remarquable talent d’exposition.
    Pour suivre la production économique, il faut lire les revues. Les principales revues économiques sont :
    en Allemagne et en Autriche, les Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, édités par Conrad (à Iéna), lesquels contiennent dans chaque numéro une chronique des faits économiques extrêmement précieuse, le Jahrbuch fur Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft, édité par Schmoller (à Leipzig), et la Zeitschrift für Volkswirtschaft, Socialpolitik und Verwaltung, qu’éditent, à Vienne, Böhm-Bawerk, etc. ;
    en Angleterre, l’Economic journal, édité par Edgeworth (à Londres) ;
    en Amérique, le Quarterly journal of economics, dirigé par Taussig (Boston) ;
    en Italie, le Giornale degli economisti (Rome), et la Riforma sociale (Rome et Turin) ;
    en France, enfin, la Revue d’économie politique (Paris, Larose).
    À qui recherche des renseignements statistiques, nous indiquerons, en outre des publications officielles (comme l’Annuaire statistique français, publié par la Direction du travail), les Aperçus statistiques internationaux de Sundbärg (Stockholm, Norstedt) et le Statesman’s year-book de l’éditeur Macmillan (à Londres).