Malte-Brun - la France illustrée/0/6/14

Jules Rouff (1p. xciv).

Auvergne. — « Vaste incendie éteint, aujourd’hui paré presque partout d’une forte et rude végétation. Le noyer pivote sur le basalte, et le blé germe sur la pierre ponce. Les feux intérieurs ne sont pas tellement assoupis que certaine vallée ne fume encore. Villes noires bâties de laves ; mais la campagne est belle. Pays froid sous un ciel déjà méridional, où l’on gèle sur les laves... Il y a une force réelle dans les hommes de cette race, une sève amère, acerbe peut-être, mais vivace comme l’herbe du Cantal. L’âge n’y fait rien. Voyez quelle verdeur dans leurs vieillards, les Dulaure, les de Pradt, et ce Montlosier qui, octogénaire, gouvernait ses ouvriers et tout ce qui l’entourait, qui plantait et bâtissait, et qui aurait écrit au besoin un nouveau livre contre le parti prêtre ou pour la féodalité, ami et en même temps ennemi du moyen âge. Le génie inconséquent et contradictoire que nous remarquons dans d’autres provinces de notre zone moyenne atteint son apogée dans l’Auvergne. Là se trouvent ces grands légistes, ces logiciens du parti gallican, qui ne surent jamais s’ils étaient pour ou contre le pape. Tels furent le chancelier de L’Hospital, le plus grand et le plus digne chancelier qu’il y ait eu en France, dit Brantôme. C’était un autre censeur Caton ; il en avait du tout l’apparence avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave ; puis les Arnaud, le sévère Domat, Papinien janséniste, qui essaya d’enfermer le droit dans le christianisme, et son ami Pascal le seul homme du xviie siècle qui ait senti la crise religieuse entre Montaigne et Voltaire, âme souffrante où apparaît si merveilleusement le combat du doute et de la foi. »

C’est en Auvergne que naquit, en 539, l’un de nos plus anciens historiens, Grégoire de Tours. « Il faut, dit Augustin Thierry, descendre jusqu’au siècle de Froissart pour trouver un narrateur qui égale Grégoire de Tours dans l’art de mettre en scène des personnages et de peindre par le dialogue. Tout ce que la conquête de la Gaule avait mis en regard ou en opposition sur le même sol, les races, les classes, les conditions diverses, figure pèle-mêle dans ses récits, quelquefois plaisants, souvent tragiques, toujours vrais et variés. Nous entrevoyons, à travers sa narration, la manière de vivre des rois francs, l’intérieur de la maison royale, la vie tumultueuse des seigneurs et des évêques de ce temps, la turbulence intrigante des Gaulois, l’indiscipline brutale des Francs. »

Outre Pascal, qui à douze ans, seul et sans livres, inventait, à ses heures de récréation, les éléments de la géométrie dont il ignorait les termes ; qui à seize ans composait son Traité des sections coniques, et épouvantait son père par la grandeur et la puissance de son génie, qui plus tard, dans les Provinciales et les Pensées, se montra le plus parfait peut-être des écrivains qu’ait produits la France ; outre ses grands jurisconsultes, l’Auvergne a fourni Gerbert (Sylvestre II), le prodige et l’admiration de son siècle ; de Belloy, l’auteur du Siège de Calais ; le poète Danchet, Delille, le plus illustre poète de l’Empire, le fondateur ou du moins le plus éminent représentant de l’école descriptive ; Sirmont, le savant jésuite ; Chamfort, l’élégant et spirituel écrivain ; Thomas, qui, s’il déploya, dans le même genre, des qualités toutes différentes, dut à des qualités morales, qui ne furent point contestées, les plus beaux vers et les plus fiers qu’il ait composés ; de Barante, ce clair et rapide historien, qui entraîne si vivement au milieu des scènes animées qu’il déploie sous nos yeux, plus littérateur encore peut-être qu’historien, mais toujours admirable de mouvement et de couleur, et enfin M. Rouher, orateur et homme d’État sous le règne de Napoléon III.