H. Vaillant-Carmanne (p. 157-159).


VI. — Les Poètes latins modernes.


La Renaissance admira les poètes et les écrivains anciens jusqu’à vouloir parler leur langue. On vit renaître non seulement Hector, Andromaque, Ilion, mais encore et surtout le latin. Malherbe pensa, comme du Bellay et comme Ronsard, qu’il fallait écrire en sa langue, et il disait qu’on ne comprenait pas les finesses des langues qu’on n’a apprises que « par art ». Il traite volontiers les humanistes comme Molière fera Trissotin. Il qualifie de pédants Érasme et Juste-Lipse, ne pouvant croire « qu’Érasme sût que c’est de civilité, non plus que Lipse sait que c’est de police[1] ». Lui-même pourtant avait trop étudié le latin pour ne pas y avoir pris goût, et il lui arrive de s’acharner au déchiffrement d’une inscription latine[2] ou d’une monnaie antique. Il connaît les ressources qu’offrent les latinisants de la Renaissance aussi bien que les anciens[3]. On sait comment il jugeait les poètes français en latin : « Si Virgile et Horace revenoient au monde ils bailleroient le fouet à Bourbon et à Sirmond[4] ». Mais un autre jour il envoie à Peiresc « des vers latins faits par un nommé Syrmond » qu’il trouve « des plus beaux qu’il vit jamais ». « L’auteur, dit-il, me doit venir voir ; je lui en demanderai un autre exemplaire, que je garderai, car certainement je ne les ai lus qu’une fois, mais je les trouve parfaits : il fait quelque chose en françois, mais non passibus æquis[5]. »

Il apprécie aussi les vers latins de Grotius que Peiresc lui envoie, y faisant seulement des observations de détail ; ceux de Bertius lui « semblent d’un bon sens et bien raisonnés[6] ».

Il imite même les latinisants. Les premiers vers qui nous soient restés de lui sont des traductions du latin de Jacques de Cahaigne et de Rouxel à propos de la mort de Geneviève. Sa Prosopopée d’Ostende est une traduction de Grotius, de qui Sarasin traduira plus tard le Myrtillus. Quand, en 1606, Henri IV demande des vers à Malherbe, celui-ci fait chercher les vers latins que Barclay avait composés pour le roi d’Angleterre[7] ; il « estime tout ce qui vient d’un si bon auteur[8] ». Coeffeteau, pour ne citer qu’un nom, en 1623 rend aux Français le service de traduire Barclay. — Pas plus qu’il ne sait louer les princes de son propre fonds, Malherbe ne fait leurs épitaphes : pour celle du petit duc d’Orléans — où, comme on l’a vu, il mit trop de mythologie — il emprunte le trait final à Jean Second, de qui Dorat et Tissot, au XVIIIe siècle, traduiront les Baisers, et qui avait écrit l’épitaphe latine de Marguerite d’Autriche[9] :

Apprenez, âmes vulgaires,
À mourir sans murmurer[10].

Il avait beau médire de Virgile : quand il lui fallait des images pour ses vers, il retournait aux Églogues ; de même il a beau dénigrer les humanistes : il est encore tout heureux et tout aise de trouver chez eux des pensées et des pointes.



  1. Malh., III, 343.
  2. III, 381, 407. Peiresc du reste, écrit à son frère Valavez qu’« il n’y a rien dans les médailles de Malherbe ».
  3. Pierius (Malh., III, 1),
  4. Racan (l. c., p. LXXX).
  5. Malh., II, 484. Malherbe propose même un remaniement des vers latins qui circulent à propos des Jésuites.
  6. Malh., III, 545-6.
  7. III, 5. Il dit (III, 53) qu’il les a reçus.
  8. III, 248. Les derniers critiques qui se sont occupés de Barclay (Alb. Collignon, Notes sur l’Euphormion de J. Barclay, Extr. des Annales de l’Est, Nancy, 1901, et Ph-Aug. Becker, (Zeitschrift für vergleichende Literaturgeschichte hggb. von Wetz et Collin., N. F., B. XV, 111 et 113) ont eu l’occasion de montrer la diffusion des œuvres de Barclay en son temps.
  9. At vos plebeio geniti de sanguine… patientius ite sub umbras.
  10. Malh., I, 190.