Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 18

Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 454-528).

CHAPITRE XVIII. — des plantes a fourrages.

L’industrie manufacturière demande au commerce la matière première qu’elle lui restituera plus tard sous une autre forme. L’industrie agricole peut trouver presque toujours en elle-même toutes ses ressources. — La terre est son vaste laboratoire ; les herbes qu’elle nourrit deviennent un premier moyen de production ; avec elles il est facile d’entretenir et de multiplier les animaux indispensables aux besoins de la grande culture, sinon comme objets de vente, au moins comme agens de travail et producteurs des fumiers à l’aide desquels on peut ensuite demander au sol toutes les plantes utiles à la nourriture de l’homme et aux besoins de la fabrication.

Sans les herbages il n’est pas d’agriculture possible ; — avec eux, il en est rarement d’impossible. Malheureusement, on ne trouve pas toujours aussi facile qu’on pourrait le croire d’en obtenir une suffisante quantité, ou, ce qui revient au même, à des conditions pécuniaires assez avantageuses. Avant de faire connaître les principales difficultés que rencontre à cet égard la pratique, et d’indiquer autant qu’il sera en moi les moyens de les lever, je chercherai à classer les diverses sortes d’herbages, afin de rendre mon travail à la fois plus méthodique, plus concis, d’une exécution et d’une intelligence plus faciles.

Tous les herbages fourragers peuvent être compris sous deux titres principaux : les pâturages, c’est-à-dire ceux dont les produits sont consommés sur place par les bestiaux ; — les prairies, dont la récolte se fait à l’aide de la faulx.

Les pâturages sont dits naturels lorsqu’on abandonne le soin de leur formation à la seule nature ; — artificiels lorsqu’ils sont formés, par le moyen des semis, d’espèces particulières cultivées isolément ou plusieurs ensemble, et qui, dans presque tous les cas, ne croîtraient pas spontanément sur le terrain auquel on juge avantageux de les confier.

Les pâturages naturels ou artificiels sont permanens, c’est-à-dire d’une durée illimitée, ou temporaires, c’est-à-dire d’une durée limitée par la nature des assolemens dont ils font partie.

Les prairies sont aussi naturelles ou artificielles dans les mêmes circonstances et par les mêmes raisons que les pâturages, c’est-à-dire qu’on doit comprendre sous la seconde désignation toutes celles dont les herbages ne sont pas le produit d’une végétation spontanée, qu’elles appartiennent exclusivement à l’une des grandes familles des graminées ou des légumineuses, ou à un mélange de plantes diverses, semées simultanément dans le but d’ajouter à la bonté ou à la masse totale des foins.

Eu égard à la nature des terrains qu’elles couvrent, au mode de leur culture, à la richesse ou à la qualité de leurs produits, les prairies de l’une ou l’autre origine se distinguent en prés secs, dits à une herbe, parce que, sauf le cas où il est possible de les arroser, on ne peut généralement les faucher qu’une fois ; — prés bas, regaignables ou de deux herbes, et prés marécageux.

Selon la place qu’elles occupent dans les assolemens a court ou à long terme, ou en dehors de tout assolement, on les subdivise en annuelles, bisannuelles et vivaes ; — temporaires ou permanentes, etc., etc.

Sect. Ire. Des pâturages. 
 ib.
Art. Ier. Des pâturages permanens. 
 455
§ Ier. Pâturages des montagnes et des pentes rapides. 
 ib.
§ 2. Pâturages communaux. 
 ib.
§ 3. Prairies-pâtures. 
 456
§ 4. Pâturages exposés aux inondations. 
 457
Art. II. Des Pâturages temporaires. 
 ib.
§ Ier. Pâturages de l’assolement triennal. 
 ib.
§ 2. Pâturages d’assolement alterne. 
 458
Art. III. Choix des espèces pour la formation des herbages. 
 460
§ Ier. Choix des plantes eu égard à la nature du terrain. 
 ib.
§ 2. Choix au goût des diverses sortes d’animaux. 
 461
§ 3. Choix à leur précocité. 
 462
§ 4. Choix à l’abondance de leur produit. 
 463
§ 5. Choix à la durée de leur existence. 
 ib.
§ 6. Choix à leurs qualités nutritives. 
 464
§ 7. Choix à l’emploi qu’on en peut faire isolément ou simultanément dans la formation des herbages. 
 467
Art. IV. De la formation des herbages, et particulièrement des pâturages. 
 468
§ Ier. Manière de se procurer de la graine. 
 ib.
§ 2. Préparation du sol. 
 469
§ 3. Époque et modes des semis. 
 470
§ 4. Autres modes de formation des herbages. 
 471
Art. V. Des soins d’entretien des herbages un général, et des pâturages en particulier. 
 472
§ Ier. Destruction des herbes et des animaux nuisibles. 
 ib.
§ 2. Épierrement, étaupinage et affermissement du sol. 
 473
§ 2. Dessèchement et irrigations. 
 474
§ 2. Engrais et amendemens. 
 476
§ 2. Entretien des herbages par des semis partiels. 
 479
§ 2. Clôtures. 
 480
Art. VI. Des meilleurs moyens d’utiliser les produits des herbages par le pâturage. 
 481
§ Ier. Pâturage dans les prairies. 
 ib.
§ 2. Dépaissance des pâturages. 
 482
Sect. II. Des prairies. 
 484
Art. Ier. Des prairies à base de graminées. 
 ib.
§ Ier. Prairies marécageuses. 
 ib.
§ 2. Prairies basses. 
 485
§ 3. Prairies hautes. 
 ib.
Art. II. Des prairies à base de légumineuses. 
 486
§ Ier. Principaux avantages des prairies légumineuses. 
 ib.
§ 2. Procédés généraux de leur culture. 
 487
§ 3. Considérées comme base du système d’éducation des animaux à l’étable. 
 489
Sect. III. De l’étendue relative des herbages, et du nombre des bestiaux nécessaire dans chaque exploitation. 
 491
Sect. IV. Des diverses plantes fourragères propres à être cultivées sous le climat de la France. 
 493
§ Ier. Des graminées. 
 ib.
Flouves, Vulpins, Fléole, Phalaris. 
 494
Panis, Paspale, Agrostis, Houque. 
 497
Mélique, Avoine, Canche, Fétuque. 
 500
Paturin, Brize, Brome. 
 503
Dactyle, Froment, Seigle, Ivraie. 
 506
Élyme, Orge, Maïs. 
 508
§ 2. Des légumineuses. 
 510
Lupin, Anthyllide, Trèfle. 
 ib.
Mélilot, Luzerne. 
 514
Lotier, Galega, Gesse. 
 516
Vesce, Fève, Lentille. 
 518
Sainfoin. 
 520
§ 3. Autres plantes herbacées cultivées ou propres à l’être comme fourrages. 
 521
Jonc de Botnie, Bistorte, Sarrasin. 
 ib.
Plantain, Épervière, Laitue, Centaurée, Marguerite, Millefeuille, Boucage. 
 522
Berces, Choux. 
 523
Moutarde, Buniade, Pastel, Pimprenelle, Sanguisorbe. 
 524
Courges ou Citrouilles. 
 ib.
§ 4. Arbres et arbrisseaux fourragers. 
 525
Bruyères, Genêts, Ajonc. 
 ib.
Pins. Luzerne en arbre, Cytise. 
 526
Robiniers, Orme, Érables. 
 527
Conservation des feuillards pour l’hiver. 
 ib.


Section 1re. — Des pâturages.

Avant l’introduction encore moderne des prairies artificielles et des racines fourragères, les herbages naturels, sous leurs deux modifications de pâturages et de prairies, formaient la base de l’agriculture européenne. A toutes les époques où les bras manquèrent aux travaux de la terre et où la consommation restreinte des produits du sol le laissa sans grande valeur, nul autre système ne dut être préféré à celui-là. Il fallait produire avec le moins de travail possible, et tandis que les pâturages permanens en offraient le moyen, il était tout simple de chercher dans leur étendue une compensation à leur faible rapport, car la terre était peu de chose aux yeux de celui qui la possédait au-delà de ses moyens de culture. Toutefois ce qui fut bon alors a cessé de l’être aujourd’hui, ou du moins la règle est devenue l’exception à mesure que les populations plus pressées durent ménager davantage la terre et épargner moins le travail. Les bonnes prairies ont peu perdu à la vérité de leur importance, mais les prairies artificielles ont généralement remplacé les pâturages, parce qu’à leur aide on a pu, sur de moindres étendues, augmenter le nombre des bestiaux. Ce n’était pas assez de ce premier résultat : afin d’éviter toute perte de fumiers, au lieu de laisser vaguer comme autrefois les bestiaux, on a compris l’avantage de les nourrir presque toute l’année à l’étable, et de substituer en partie les racines aux fourrages herbacés. Toutes ces causes ont nécessairement restreint de beaucoup, parfois presque à rien, l’importance première des pâturages en général, et des pâturages naturels en particulier. Cependant je tâcherai de faire voir dans ce qui va suivre qu’il serait injuste de les comprendre tous dans une même proscription. Il existe des localités où les herbages de cette sorte ne pourraient être avantageusement remplacés par aucun autre produit agricole ; — il en est où l’on spécule en grand sur la multiplication des moutons, sur l’élève des chevaux ou des bêtes bovines et parfois même l’engraissement de celles-ci, où les pâturages, petits ou grands, doivent être considérés comme indispensables ; — Enfin, il se présente encore telles circonstances où les assolemens alternes, avec pâturage, sont à la fois les plus simples et les mieux appropriés aux moyens de culture de diverses exploitations.

ier sujet. — Des pâturages permanens.

ans l’état actuel de l’agriculture européenne, on ne réserve guère en pâturages permanens que ceux des montagnes ou des pentes raides, inaccessibles à la charrue, et par conséquent impropres à toute autre culture qu’à celle des arbres ou des herbes vivaces ; — ceux qui appartiennent d’une manière indivise à des communes ou sections de commune, et sur lesquels la législation aura tôt ou tard à prononcer dans l’intérêt de l’État, comme dans celui des usagers ; — ceux que j’ai nommés prairies-pâturages, parce que, grâce à leur heureuse situation et à une fécondité qui ne s’altère jamais, ils peuvent remplir l’une ou l’autre et très-souvent l’une et l’autre destinations ; — ceux enfin que leur position rend accessibles aux inondations et dont la destruction pourrait être dommageable au sol qu’ils protègent contre l’effort des courans.

[18 :1 :1]
§ ier. — Des pâturages des montagnes et des pentes rapides.

Il est vrai d’une manière générale que l’espèce et la qualité des herbages varient selon le climat ; — elles varient aussi en raison de l’exposition basse ou élevée, sèche ou humide, découverte ou abritée du sol, de sa composition chimique et de ses propriétés physiques.

Quoiqu’à l’aide des arrosemens on puisse obtenir dans le Midi des produits en herbe beaucoup plus considérables que dans le Nord, en toute autre circonstance les climats septentrionaux sont préférables pour les prairies. Depuis l’équateur, où les grands végétaux ligneux se montrent presque seuls, jusqu’aux dernières limites des régions où les froids ne sont pas assez intenses pour arrêter la végétation, on voit en effet progressivement le nombre des arbres diminuer, relativement à celui des plantes herbacées, et, même dans notre France, on sait que les cultures arbustives l’emportent au sud comme les cultures fourrageuses au nord.

À mesure qu’on s’élève sur les hautes montagnes, les herbes, obéissant en cela aux lois générales de la végétation, prennent à la vérité une moindre croissance ; mais, constamment humectées par l’infiltration des eaux produites par la fonte des neiges, elles conservent leur fraîcheur, et la lenteur même de leur végétation paraît ajouter à leur qualité ; aussi fournissent-elles presque toujours une nourriture aromatique, substantielle, fort du goût de tous les herbivores.

Dans la plupart des pays élevés de nos contrées européennes, on consacre les hauteurs au pâturage des troupeaux — Les habitans des Alpes et du Tyrol y envoient leurs vaches laitières et les y laissent nuit et jour jusqu’aux approches de la saison des frimas. — Ailleurs on les destine, eu égard à leur plus grande fécondité, aux bœufs qu’on se propose d’engraisser, et à ceux qu’on élève pour le trait. — Enfin sur les hauteurs moins accessibles, où les herbages épais, mais courts, ne suffiraient plus à la nourriture des bêtes bovines, on peut trouver encore un grand avantage a propager les moutons.

En des localités simplement montueuses, ce n’est plus, comme dans le voisinage des neiges, la chaleur qui manque, mais bien l’humidité, à moins que le voisinage des forêts n’entretienne sur quelques points une fraîcheur favorable, ou qu’une exposition particulière ne diminue les effets de l’évaporation produite par les rayons solaires et rendue plus fâcheuse encore par suite de la déclivité du sol qui permet aux eaux pluviales de s’écouler avec une rapidité excessive. On pourrait être surpris de voir l’un des versans d’une colline couvert d’une fraîche et riche verdure, tandis que l’autre est pour ainsi dire dénudé de toute végétation, dès la première partie de l’été, si l’on ne savait qu’une vive chaleur est aussi nuisible aux herbages, lorsqu’elle n’est pas combinée à une quantité d’humidité suffisante, qu’elle leur devient utile dans les circonstances contraires. — Il est des terrains sur lesquels, malgré leur élévation et la raideur de leur pente, on peut diriger et retenir les eaux pluviales par des moyens bien simples que je ferai connaître un peu plus loin, en traitant de l’amélioration des herbages en général, et qui changent entièrement d’aspect par suite de cette pratique, à l’importance de laquelle peut ajouter encore sensiblement l’aptitude plus grande du sol et du sous-sol à se pénétrer d’une plus grande quantité d’eau, et à la retenir plus longtemps au profit de la végétation.

[18 :1 :2]
§ ii. — Des pâturages communaux.

Les pâturages communs sont presque toujours et partout dans un état déplorable, parce que, quoique chacun veuille en profiter, nul ne songe le moins du monde à les améliorer, et qu’au lieu d’en user avec discernement on en abuse à l’envi, comme si l’on craignait de laisser sous ce rapport trop à faire à son voisin. — Non-seulement on les charge outre mesure d’animaux de toutes sortes qui s’affament et se nuisent réciproquement, mais on les fait pacager en tout temps, quels que soient d’ailleurs la nature et l’état du sol ; de sorte qu’au lieu de présenter une surface unie et partout verdoyante, ils se transforment, à l’époque des pluies, en cloaques fangeux, et n’offrent plus, au moment des sécheresses, qu’un amas irrégulier de mottes durcies et sans végétation.

De toutes parts on s’est élevé avec force, depuis l’introduction des prairies artificielles et des assolemens alternés auxquels elle a donné lieu, contre les pâturages communaux, et plus encore contre le droit de vaine pâture qui s’étend, après la récolte principale, à une foule de propriétés particulières non closes. — On a pu facilement démontrer que les pâtis, autrefois d’une importance réelle pour faciliter la multiplication des bestiaux alors que l’assolement triennal avec jachère laissait peu d’autres ressources, étaient devenus, à bien peu d’exceptions près, plus nuisibles qu’utiles dans l’état actuel de notre agriculture ; — que, très-peu productifs en eux-mêmes, loin de permettre d’augmenter le nombre de têtes de bétail qu’on peut entretenir sur un espace donné, ils produisaient l’effet contraire et diminuaient ainsi doublement la masse des engrais en empêchant d’une part leur plus grande production, et en occasionnant de l’autre une perte énorme de fumiers ; — et qu’enfin le droit de parcours, sans parler de divers autres inconvéniens qui seront discutés dans la partie législative de cet ouvrage, est indubitablement le plus grand obstacle à toute amélioration dans le nouveau système de culture des terres arables et même des prairies.

Les pâturages communaux, de quelque manière qu’on les envisage, sont donc de tous les plus mauvais, et si, dans quelques circonstances bien rares, des sections de communes ont su, par une administration éclairée, en tirer un bon parti, on peut être assuré d’avance que ce n’est qu’en mettant des restrictions aux droits des usagers ; — en proportionnant le nombre des bestiaux à l’étendue des terrains ; — en limitant la durée des parcours à celle des saisons convenables, et enfin en changeant jusqu’à un certain point la destination première de ses sortes de terrains.

[18 : 1 : 3]
§ iii. — Des prairies-pâturages.

Loin d’être, comme les précédens, limités aux localités les moins accessibles, ou aux terrains les moins féconds, ceux-ci sont au contraire situés dans des sols fertiles et pour la plupart susceptibles de se prêter a tout autre genre de culture ; mais l’abondance et la qualité de leurs herbages sont telles qu’on trouve avantageux de les réserver, soit pour y envoyer une partie du jour les vaches laitières ou nourrices, les élèves de diverses espèces et de différens âges, les animaux fatigués par un travail excessif ou prolongé, et principalement les bœufs destinés à la boucherie. — Il est vrai qu’on pourrait les utiliser autrement dans beaucoup de cas, mais il est fort douteux qu’on put en tirer un meilleur parti, car la nature, qui fit tous les frais de leur formation fait aussi presque exclusivement ceux de leur entretien. Le propriétaire n’a d’autres soins à prendre que d’y envoyer ses bestiaux ou de traiter à des conditions toujours avantageuses avec les marchands qui spéculent sur l’engrais des bœufs. Il est en Normandie tel acre (environ 80 ares) de bonne pâture qui peut s’affermer de 3 à 400 fr. Il en est peu qui ne vaille de 180 à 200 fr.

Quelquefois on fauche les prairies-pâturages, et on ne les ouvre aux bestiaux qu’à l’époque où les regains se sont développés, c’est-à-dire vers la fin d’octobre ou dans le courant de novembre. Les bœufs dont l’engraissement commence à cette époque tardive de l’année passent l’hiver entier dehors, et ne reçoivent, sauf le temps de trop grandes pluies ou de neige, aucune nourriture à l’étable ; aussi engraissent-ils moins vite que ceux qu’on met dans les herbages aux approches de mai ; mais on peut les vendre en juin, et alors leur prix est plus élevé parce que la concurrence est moins grande. — En général, ceux de ces animaux qu’on met au pâturage au printemps n’y séjournent que quatre mois pour atteindre le maximum de leur poids.

Tous les herbages destinés à recevoir les bœufs qu’on engraisse dans l’ancien Cotentin, le pays d’Auge, la Basse-Normandie, une partie de la Vendée, etc., ne sont pas également fèrtiles ; mais tous trouvent néanmoins leur emploi, parce que les marchands qui amènent parfois de fort loin des animaux maigres et habitués à de chétifs pâturages, croient devoir les disposer progressivement à recevoir une nourriture plus substantielle et plus abondante. Ils louent en conséquence d’abord des terrains de médiocre valeur, — puis de meilleurs ; et enfin, assez souvent, lorsqu’ils veulent hâter le moment de la vente, ils conduisent en dernier lieu leurs bœufs dans les pacages, si chèrement payés, dont j’ai parlé ci-dessus.

La position la plus favorable pour ces sortes d’herbages est un fonds constamment rafraîchi par le voisinage de quelque ruisseau ou l’infiltration de sources souterraines qui ne sont ni assez voisines de la surface ni assez nombreuses pour donner au terrain l’aspect et les propriétés d’un marécage, auquel cas il se couvrirait d’herbes grossières fort peu du goût des animaux ; — ceux-ci se trouveraient d’ailleurs très-mal d’un séjour prolongé dans un semblable lieu.

Il est assez rare qu’on améliore ou plutôt qu’on entretienne ces pâturages privilégiés autrement qu’en répandant également les engrais qu’y laissent les bœufs et en détruisant les taupinières ; un homme qui n’obtient en échange de ce léger labeur que le logement et la permission de nourrir une seule vache à son compte, peut inspecter à la fois, en n’y employant qu’une faible partie de son temps, d’assez vastes étendues, car les bœufs casés en plus ou moins grand nombre, selon la fécondité des herbages, dans chaque subdivision de la prairie, sont entourés de haies ou de fossés qui les empêchent de s’écarter du lieu qu’on leur a destiné. Par leur position et la nature des plantes qui les composent, les prairies — pâturages appartiennent presque toujours à la division des prairies basses proprement dites dont j’aurai à parler plus tard.

[18 : 1 : 4]
§ iv. — Des pâturages exposés aux inondations.

Il est des terrains presque toujours très-fertiles, parce que les eaux qui les couvrent à des intervalles plus ou moins rapprochés déposent à leur surface un limon fort riche en matières végéto-aniniales. Trois causes principales s’opposent cependant à leur mise en cultures alternes : la crainte de les voir promptement minés ou entraînés par les courans, si on détruit, sur quelques points seulement, la masse gazonneuse qui les protége ; — l’incertitude des récoltes économiques qu’on pourrait leur demander dans l’intervalle présumable d’une inondation à l’autre ; — enfin, la qualité et l’abondance des fourrages qu’ils produisent annuellement.

Ceux qui n’ont pas l’habitude de parcourir les rives des grands fleuves, en voyant des îles entières sensiblement plus creuses à l’intérieur qu’à la circonférence, et entourées d’une sorte de levée verdoyante, seraient tentés d’attribuer à l’art cet effet d’une cause toute naturelle. — Les herbes, non-seulement consolident puissamment les terres qu’elles recouvrent, en liant leurs molécules par de nombreuses racines, et en présetant une surface unie sur laquelle l’eau coule sans occasioner de dégâts ; mais lorsque l’inondation tire à sa fin, chaque touffe, chaque fragment de chaume, et pour ainsi dire chaque feuille, opposant un léger obstacle, arrêtent quelques parcelles de limon, de sorte que lorsque le fleuve est rentré dans son lit, toutes les parties gazonneuses se trouvent plus ou moins recouvertes d’une croûte fertilisante, qui disparaît bientôt après sous la riche végétation des gramens, tandis que les parties habituellement labourées, bien que moins exposées, abandonnent davantage au courant et reçoivent moins de lui. — Je connais telle île de la Loire, qui n’est cependant pas cultivée depuis un fort long temps, et dans laquelle les chantiers sont plus élevés de près d’un mètre que l’intérieur.

En de telles circonstances on comprend combien il est important de réserver un pâturages ou en prairies toutes les portions d’une propriété qui sont les plus menacées. Aussi la distribution et la conservation des herbages dans les lieux submersibles par des eaux courantes est-elle une question qui intéresse vivement le fermier, et bien plus encore le propriétaire, puisqu’il y va, je ne dirai pas de l’amélioration graduelle, mais de la conservation ou de la destruction plus ou moins prompte de son avoir. — Il ne faut pas croire du reste, quelque productives que puissent être ordinairement les cultures diverses des terrains d’alluvion de formation aussi récente que ceux qui nous occupent en ce moment, que ce soit un grand sacrifice d’en abandonner une partie aux graminées naturelles, car, en définitive, elles valent souvent alors, à bien peu près, les meilleures prairies artificielles, et leur production est indispensable à la nourriture du bétail. À la vérité, dans beaucoup de lieux, la culture des îles et des vallées riveraines se fait exclusivement à bras d’hommes ; les bœufs y sont à peu près inconnus ; mais comme il n’en faut pas moins des fumiers, les habitans élèvent le plus possible de vaches, et non-seulement ils spéculent sur le laitage, le beurre ou le fromage qu’ils en obtiennent, mais ils font de nombreux élèves destinés au marché ou à la boucherie ; or, dans tous ces cas, les pâturages, dont nous verrons plus loin qu’ils savent parfaitement utiliser les produits, ne pourraient jamais être entièrement remplacés, et ne pourraient que rarement l’être avantageusement, même en partie, par d’autres cultures fourragères.

Malheureusement, si la végétation des herbes oppose souvent une digue assez puissante aux efforts des eaux, il est un autre inconvénient, inhérent également au voisinage de certains fleuves, contre lequel elle ne peut rien. Je veux parler de l’ensablement. Parfois, dans les parties basses, à la place du limon précieux qui fertilise, le courant roule et accumule à plusieurs pieds d’épaisseur des sables presque sans mélange de terre végétale ; quand il se retire, une grève aride et désormais irrévocablement fixée a remplacé la terre végétale et détruit pour longtemps tout espoir du cultivateur. — Dans cette fâcheuse circonstance, c’est encore aux herbages qu’on demandera les premiers produits et le retour progressif du sol à la fertilité, car dès que la couche gazonneuse aura pu s’établir au milieu des peupliers ou des saules qu’on aura préalablement plantés, la surface s’élèvera, se pénétrera de sucs nutritifs, et le sable se trouvera resserré entre deux épaisseurs de bonne terre dont, en dépit des obstacles, la persévérance humaine aura su profiter, puisque, tandis que les racines des arbres iront chercher la nourriture et la fraîcheur jusque dans la première, à l’ombre de leurs feuillages les gramens prospéreront sur la seconde.

Dans les vallées dont les terres arables sont situées sur les hauteurs, les pâturages et les prairies submersibles deviennent, avec raison, la base du système de culture qu’on y suit ; plus ils sont abondans, moins on devra consacrer d’autres terres aux herbages dits artificiels et aux récoltes racines. — Chacun sait que dans le voisinage de la mer, jusques aux dernières limites des eaux saumâtres, on trouve des pâturages, à la valeur nutritive desquels paraît ajouter beaucoup la petite quantité de sel dont ils sont accidentellement imprégnés.

iie sujet. — Des pâturages temporaires.

On peut diviser ces sortes de pâturages en deux séries principales : 1o les pâturages des jachères, et sur les chaumes de l’assolement triennal ; — 2o les pâturages d’assolement de plusieurs années d’existence.

[18:2:1]
§ ier. — Des pâturages de l’assolement triennal.

En suivant la méthode justement qualifiée de déplorable de l’assolement triennal avec jachère, le défaut de prairies artificielles oblige les fermiers à chercher le plus souvent la nourriture indispensable à leurs bestiaux, sur les chaumes qu’ils négligent à cet effet de retourner en automne, au grand dommage de certaines terres, afin de conserver ce maigre pâturage jusqu’aux approches du printemps, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où il devient indispensable de préparer les marsages ; — ou sur la sole entière des jachères qu’ils ne commencent à labourer, par la même raison, que dans le courant de l’été, pour les semis de septembre. Je me suis prononcé ailleurs sur les tristes résultats de cette double pratique, tant à cause de ses inconvéniens relativement aux cultures suivantes, que par suite de son insuffisance pour la production du fourrage. — Cependant, dans certaines terres, il peut arriver qu’on obtienne ainsi l’année de jachère, jusqu’à la fin de juin, et quelquefois un peu plus tard, et la seconde année, après la moisson, pendant une partie de l’hiver, un pâturage qui ne serait pas à dédaigner, s’il n’entravait la marche des labours.

[18:2:2]
§ ii. — Des pâturages d’assolement alterné.

A côté de ces pâtures-jachères de quelques semaines ou tout au plus de quelques mois de durée, on sait qu’on en rencontre d’autres de plusieurs années, qu’il faut bien se garder de condamner d’une manière aussi générale. — J’ai effleuré ce sujet en traitant des assolemens, je dois l’aborder ici d’une manière spéciale, et avec une étendue proportionnée à son importance.

Il est des herbages si heureusement situés et d’une si abondante production, qu’il ne peut, dans aucun cas, y avoir de l’avantage a les détourner, même momentanément, de leur destination.

Il en est d’autres qui, sans être aussi productifs, doivent également être conservés parce qu’on ne pourrait les remplacer plus utilement ; — d’autres enfin dont la destruction serait éminemment dommageable au terrain qu’ils recouvrent.

J’ai dû citer dans les paragraphes précédens quelques exemples qui viendraient à l’appui de la première de ces vérités, s’il était besoin à cet égard d’autres preuves que celles que chacun peut acquérir journellement chez soi ou dans son voisinage. — Quant à la seconde proposition, elle est presque aussi claire, car si, d’une part, il est des pâturages élevés, et tellement situés, que la charrue ne pourrait les atteindre, il est aussi des prés bas, humides, des terrains fréquemment couverts d’eau, qui ne pourraient changer de production qu’en changeant de nature. — Dans les contrées montueuses, peu fertiles par suite de leur aridité ou de leur nature crayeuse ; — partout où les prairies permanentes sont rares et ajoutent par conséquent d’autant plus à la valeur des terrains environnans, que les prairies artificielles y sont plus difficiles à établir et moins productives, aucun motif ne peut déterminer à rompre un herbage même de qualité médiocre. — On a vu qu’il en est encore de même dans le voisinage des cours d’eau rapides sur les terrains sujets aux inondations périodiques, d’abord parce qu’en général ces terrains sont très-productifs en herbes, ensuite parce qu’ils seraient indubitablement entraînés ou minés, si on détruisait sans réflexion la couche gazonneuse qui les protège, et qui contribue d’année en année à les élever davantage. Cette dernière considération ne se rattache pas moins aux plateaux sillonnés fréquemment par les pluies d’orages, ou les torrens occasionés par la fonte des neiges, qu’aux rives fertiles, mais exposées, des grands fleuves.

En des circonstances plus ordinaires et lorsque les herbages ne sont pas de première qualité, il peut devenir très-profitable, soit de les détruire entièrement, soit de les rendre pour un temps plus ou moins long aux cultures économiques. D’après les données recueillies dans tous les pays, il est certain que la même étendue de terrain cultivée habilement en prairies légumineuses, ou en racines fourragères, produit beaucoup plus qu’en prairie naturelle de moyenne qualité. Le résultat important d’une enquête faite à ce sujet par le bureau d’agriculture de Londres, a été qu’un acre de trèfle, de vesces, de raves, de pommes-de-terre, de turneps ou de choux peut donner au moins trois fois autant qu’un acre réservé en pâturage de médiocre valeur, et conséquemment que le même terrain, tout en nourrissant un égal nombre d’animaux, doit encore produire en sus une récolte de céréale dont la paille, soit qu’on la fasse consommer comme nourriture, soit qu’on l’utilise en litière, ajoutera nécessairement à la masse des engrais. Il résulte de là, ajoute l’auteur anglais, que, si l’on excepte de cette comparaison les riches pâturages, les terres arables sont comparativement supérieures aux prairies pour procurer des alimens à l’homme, dans la proportion de 3 à 1, et conséquemment que chaque pièce de terre laissée mal à propos en herbages naturels et dont le produit ne peut faire vivre qu’une seule personne, prive le pays de la nourriture suffisante au maintien de l’existence de deux nouveaux membres de la grande famille.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si de semblables calculs ne pécheraient pas chez nous par exagération ; si, en admettant qu’ils fussent à peu près vrais pour diverses localités, ils le seraient également pour d’autres ; si, pour arriver à des données de quelques utilités à la pratique particulière de chacun, on pourrait laisser sur la même ligne des plantes aussi différentes par leur nature et| leurs produits que celles dont il a été parlé et dont il n’a pas été parlé ci-dessus, telles que la luzerne, le sainfoin, etc. ; enfin si, partout où la population n’est pas encore suffisante, il ne la faudrait pas porter sérieusement en décompte des produits supérieurs des prairies artificielles de courte durée, le surcroît de main-d’œuvre de l’assolement. Il nous suffira, pour le moment, de reconnaître leurs avantages sans chercher à les apprécier rigoureusement par des chiffres ; or, la question étant posée comme j’ai cherché à le faire, ces avantages me paraissent incontestables. On a cependant élevé quelques objections contre la transformation, même momentanée, des herbages permanens en terres labourables. La principale, quoique la moins fondée, c’est qu’après les avoir rompus il était difficile de leur rendre plus tard leur valeur primitive, et l’on a cité à l’appui de cette opinion, des contrées dans lesquelles la rente de terrains naturellement fort médiocres avait baissé par suite de la destination des pâturages. Je le conçois si, comme dans les parties les moins fécondes du Norfolk, on a renoncé à l’éducation facile et aux produits assurés des bêtes à laine, pour la culture bien moins lucrative en pareil cas et plus imposée cependant des céréales, ou si, par suite d’un mauvais calcul trop fréquent encore presque partout, on a mésusé de la fertilité lentement acquise, pour obtenir coup sur coup, sans une suffisante addition d’engrais, plusieurs récoltes épuisantes. Mais dans des cas moins exceptionnels et avec une meilleure direction, il en arrivera à coup sûr fort différemment, c’est-à-dire que d’une part les cultures économiques s’amélioreront de la permanence des herbes et du pacage des troupeaux, et que de l’autre les herbes elles-mêmes, lorsqu’on les laissera occuper de nouveau le sol, profiteront incontestablement des fumiers et des façons nécessaires à la belle venue des céréales.

L’origine de toute culture alterne se trouve dans la succession des pâturages et des plantes économiques. D’abord ce furent les pâturages naturels qui succédèrent exclusivement aux céréales ; puis à ceux-ci on en substitua peu à peu d’artificiels, et on appela indistinctement culture alterne avec pâturages tous les assolemens dans lesquels à la suite d’un plus ou moins grand nombre de récoltes, le champ est laissé ou mis en herbages pour être pâturé par le bétail pendant deux ou plusieurs années.

Il est à remarquer que ce système, qui est encore assez irrégulièrement suivi dans diverses parties de la France, et que l’on ne peut guère maintenant considérer chez nous que comme une nécessité locale ou une transition d’un mauvais à un meilleur mode de culture, depuis que nous avons vu prévaloir l’excellente coutume de nourrir le plus possible tous les bestiaux, et même les moutons, à l’étable et à la bergerie, fut introduit il y a environ un siècle et s’est conservé jusqu’ici dans plusieurs contrées de l’Allemagne comme une importante amélioration. — « Les avantages qui résultèrent de ce genre de culture, dit Thaer, principalement sur les domaines fortement épuisés par l’assolement triennal, et qui chaque jour voyaient diminuer l’espace qu’on pouvait fumer, éclairèrent alors tellement les agriculleurs, qu’on envisagea ce système comme le plus parlait de tous ceux qui étaient possibles, et que, dans ces contrées, le propriétaire s’estima heureux que la dépendance absolue des paysans lui permit de réunir d’abord ses champs et de les diviser en soles. Alors seulement on commença à estimer la terre à sa valeur…….. La grande fécondité du terrain reposé, la sûreté, l’abondance des récoltes qu’il donne, la richesse comparative du pâturage qu’on obtient des terrains non arrosés soumis à la culture et qu’on laisse pour quelques années en repos, avant qu’ils soient épuisés ; la supériorité de ce pâturage sur celui des pacages à demeure ; tant d’avantages durent frapper les observateurs attentifs. » — Et cependant, d’après les écrivains allemands, ces avantages sont loin d’être les seuls : les assolemens alternes avec pâturage embrassent dans leur rotation toute l’étendue des terres arables. Celles-là seulement que leur humidité surabondante, ou leur élévation trop grande et leur accès difficile doivent faire laisser en herbages et en bois, doivent en être soustraites. — Ils rendent superflu le pâturage dans les prairies permanentes, — dans les bois, et, dans beaucoup de circonstances, au lieu de diminuer l’étendue des soles cultivées en plantes économiques, ils permettent de l’augmenter non-seulement des pâturages qui auparavant étaient nécessaires à l’entretien du bétail, mais encore et surtout des bois dépeuplés. — D’un autre côté, ils procurent des engrais en plus grande abondance; — le produit des céréales, grâce à la quantité plus considérable de sucs nourriciers contenus dans le sol, est tellement augmenté que, dans la plupart des cas, bien qu’on ensemence une moindre surface, il dépasse cependant celui qu’on peut attendre de l’assolement triennal, puisque, tout calcul fait, on a dû convenir que, dans les mêmes circonstances d’engrais et d’assolement, un champ mis alternativement en culture rapportait après le repos un de plus pour un de semence, ce qui, comme produit net, est d’une grande importance. — « A cela, dit encore Thaer, il faut ajouter l’augmentation que donne sur la rente du bétail une nourriture abondante qui se soutient pendant tout l’été, et qui, soit à cause de la grande étendue des herbages, soit à cause de leur richesse, permet d’entretenir un beaucoup plus grand nombre d’animaux. Ainsi donc, supposé même que le produit en grains ne dût pas être grossi, l’augmentation de la rente du bétail seule, augmentation que personne ne met en doute, déciderait la question en faveur du système de culture alterne avec pâturage. »

Dans les pays où, bonne ou mauvaise, la coutume de faire pâturer les bestiaux s’est conservée, et où l’on élève un grand nombre de bêtes à laine, il n’est pas douteux, en effet, qu’un pareil système, bien préférable partout, à mon gré, à l’assolement triennal, puisse devenir l’un des meilleurs possibles, surtout lorsque la culture des racines fourragères et des plantes légumineuses présente, par une cause quelconque, des difficultés qui l’empêchent totalement ou la restreignent à d’étroites limites. — Ailleurs on peut encore l’adopter partiellement sur les exploitations dont le personnel, le matériel et les capitaux ne correspondent pas à l’étendue, car on ne saurait trop répéter qu’il vaut mieux répartir une faible quantité d’engrais et de travail sur une petite étendue, que de la gaspiller, pour ainsi dire, en pure perte sur une grande. Dans ce dernier cas la culture alterne avec pâturage doit faire place graduellement à la culture alterne avec fourrages artificiels, à mesure que le fermier deviendra plus fort en capitaux et en bras ou en instrumens propres à les remplacer, car alors il sentira la possibilité d’étendre davantage la culture des plantes panaires ou économiques, et la nécessité, pour cela, de diminuer l’étendue des herbages, tout en augmentant celle des engrais, ce qui ne peut se faire qu’en substituant les légumineuses et les racines aux graminées des pâturages.

En résumé, les pâturages, dans l’acception rigoureuse du mot, peuvent donc, ainsi que certaines prairies de graminées, remplacer dans les cultures alternes à long cours les prairies artificielles, qui en font le plus habituellement partie dans les assolemens moins longs. D’après ce qui précède, on a pu déjà prévoir dans quelles circonstances il est nécessaire ou possible d’adopter le premier ou le second système. — En général, les assolemens avec pâturages de quelque durée sont moins profitables, mais aussi ils entraînent moins de frais de toutes sortes que ceux dans lesquels on fait entrer les fourrages légumineux annuels et les racines sarclées ; — ils peuvent être partiellement suivis sur les parties de la ferme où la nature des terres rendrait les autres impossibles ou peu productifs. — Ils conviennent donc particulièrement aux contrées pauvres, peu peuplées, et aux fonds mauvais ou d’une grande médiocrité. — Les assolemens avec prairies artificielles et racines fourragères de courte durée sont ordinairement beaucoup plus productifs, mais nécessitent plus d’avances et de travail. Ils ne se prêtent pas à toutes les localités ; ils sont donc particulièrement appropriés aux cantons déjà riches en habitans et en terrains bons ou de qualité moyenne. — Quant aux prairies artificielles d’une existence durable, telles que les luzernes, il est certain que, là où elles réussissent, elles donnent, sans frais ou presque sans frais d’entretien, des produits bien supérieurs a toutes les herbes de pâturages et de prairies graminées ; mais outre qu’elles ne réussissent pas à beaucoup près partout, nous savons encore qu’il n’est pas sans inconvénient d’user avec irréflexion des avantages nombreux qu’elles présentent dans les localités où on peut les cultiver (voy. l’art. Assolement). Aussi, à côté des prairies légumineuses, dont on verra plus loin que je ne méconnais nullement la prééminence, dans beaucoup de cas, je ne puis admettre, avec quelques théoriciens, qu’il ne reste plus de place utile sur nos guérets pour les graminées fourragères.

iiie sujet. — Des considérations qui doivent diriger le choix des espèces pour la formation des herbages.

Les botanistes qui ont analysé les herbages naturels, dit M. Ch. d’Ourches, les ont distingués en moyens, hauts et bas ; ils ont reconnu que sur 42 espèces de plantes que contenaient quelques prairies moyennes, il y en avait 17 de convenables à la nourriture des animaux, et que les 25 autres étaient inutiles ou nuisibles ; que, dans les hauts pâturages, sur 38 espèces, il ne s’en trouvait que 8 utiles ; — et qu’enfin, dans les prairies basses, il ne s’en trouvait que 4 sur 29. Il résulte de ces expériences, qui ont été faites avec le plus grand soin en Bretagne, ajoute le même auteur, que sur le foin des prairies moyennes, il doit y avoir 5/7 de perte ; plus des 3/4 sur celui des hauts pâturages, et 6/7 sur celui des prairies basses, si l’animal rejette tout ce qui lui est insipide ou nuisible, et qu’il est exposé à quantité de maladies, lorsqu’à la suite de son travail, attaché à un râtelier, la faim le force de manger tout ce qu’on lui donne.

Partout où on a fait de semblables recherches, on est arrivé à des résultats sinon absolument les mêmes, au moins assez analogues pour démontrer jusqu’à l’évidence de quelle importance il peut être, dans un grand nombre de cas, au lieu d’abandonner au hasard la formation des pâturages, de faire choix des plantes vivaces les mieux appropriées à chaque terrain et à chaque localité. — Ceci nous conduit à l’examen d’une question trop neuve encore pour la plupart de nos departemens, quoiqu’elle ait de tout temps fixé l’attention des agronomes et des agriculteurs instruits ; je veux parler du semis des herbages que l’on s’est habitué, dans la plupart des lieux, à désigner comme naturels.

En traitant de chaque culture économique, on a grand soin d’indiquer la nature du terrain qui lui convient, et de conseiller de ne l’entreprendre que sur ce terrain ou tout autre à peu près de même espèce ; — ici, la question doit être posée à l’inverse, c’est-à-dire qu’il s’agit surtout de savoir quelles plantes herbagères peuvent croître profitablement sur des terrains de nature parfois fort différente et le plus souvent de qualité fort médiocre qu’on destine, faute de mieux, à servir de pâturages. À la vérité, à l’exception du roc dénudé de terre végétale, ou des sables mobiles qui cèdent en tous sens aux efforts capricieux du vent, il est peu de sol sassez déshérités de la nature, pour ne pas se couvrir spontanément de végétation ; mais, de ce qui précède, on peut conclure que cette végétation n’est pas toujours la mieux appropriée aux besoins des bestiaux. — Dans ce qui va suivie, je tâcherai de poser quelques règles générales propres à guider le cultivateur dans les essais qu’il jugera convenable de faire, et la marche qu’il devra adopter pour arriver aux moindres frais possibles, à des résultats plus avantageux.

Et d’abord, avant de comparer le mérite respectif des espèces entre elles, il importe en effet de rechercher celles qui pourront réussir dans la localité qu’on leur destine ; car il est telles de ces localités où, à défaut de bonnes plantes, on doit s’estimer très-heureux d’en voir croître de médiocres, et où l’on doit rechercher ces dernières avec d’autant plus d’empressement et de persévérance que le choix qu’on peut faire entre elles est plus limité.

[18 : 3 : 1]
§ ier. — Du choix des plantes eu égard à la nature du terrain.

Les terrains considères comme les plus propres à établir des herbages permanens, sont de plusieurs sortes. — Les terres fortes, tenaces et froides, d’un travail difficile à l’excès, impropres à la culture de la plupart des racines et des fourrages artificiels, tels que le trèfle, la luzerne, etc. etc., donnent généralement, par compensation à tant de défauts, d’assez bons pâturages. Une fois que des plantes graminées d’un bon choix s’en sont emparées, elles s’y maintiennent longtemps, y donnent des foins peu précoces à la vérité, mais abondans et de bonne qualité. Elles y résistent, mieux que dans les terrains plus légers, aux sécheresses estivales, et se recommandent, dans l’arrière-saison, par une nouvelle herbe plus longue, plus verte et plus succulente. Les terres de cette sorte s’améliorent d’ailleurs tellement à l’état de prairies, qu’elles changent, pour ainsi dire, à la longue de nature, et qu’elles deviennent très-propres à d’autres cultures.

Les terres argilo-sableuses conviennent également à l’établissement des herbages, lorsqu’elles reposent à une faible profondeur sur un sous-sol imperméable, et qu’elles sont situées de manière à recevoir l’égout des terres environnantes. L’humidité fréquente, qui les rendrait impropres aux récoltes de céréales, les rend au contraire très-propres à la production des graminées vivaces.

Par la même raison, les sols de toutes natures situés dans les vallées parcourues par des cours d’eau dont les infiltrations ou les débordemens accidentels entretiennent une fraîcheur plus ou moins constante, sont encore on ne peut mieux disposés pour se couvrir de beaux et bons herbages, sans nuire à d’autres productions ; car il est remarquable que, dans les trois circonstances dont je viens de parler, les terres et les localités qui se prêtent le mieux à la végétation des herbes fourragères sont justement celles qui conviendraient le moins aux cultures économiques. — Là, comme nous le verrons en traitant à part, dans une des sections de ce chapitre, des diverses espèces fourragères, le choix du cultivateur est peu limité, puisque presque toutes les plantes graminées, celles même qui résistent le mieux à la sécheresse, aiment une fraîcheur modérée, et, tandis que beaucoup ne peuvent s’en passer, il en est un certain nombre qui ne réussissent jamais mieux qu’à l’aide d’une humidité stagnante. — De l’une à l’autre de ces limites, on peut cultiver, à peu près dans l’ordre de leur moindre besoin d’eau, les ivraies vivaces et d’Italie, la houque laineuse, le paturin des prés, le vulpin des prés, la fétuque élevée et celle des prés ; l’agrostis fiorin et l’agrostis d’Amérique, la fléole des prés, le phalaris roseau, et beaucoup d’autres d’un produit non moins avantageux, auxquelles il est facile d’adjoindre diverses légumineuses du genre des trèfles, des gesses, des lotiers, des luzernes, etc.

Sur les fonds sablonneux, où les petits trèfles croissent à côté de la lupuline, de la gesse chiche, du lotier corniculé, etc., etc., se placent, au premier rang, le fromental, la flouve odorante, la fétuque ovine et la fétuque traçante, puis le dactyle pelotonné, le ray-grass, l’avoine jaunâtre, le paturin des prés, la cretelle, le brome des prés, etc., etc.

Dans les sols plus arides, une partie de ces mêmes plantes viennent encore avec la canche flexueuse, la fétuque rougeâtre, la mélique ciliée, la brize tremblante, l’élyme des sables, la petite pimprenelle, etc., etc.

Enfin, dans les terres calcaires à l’excès, de toutes les plus difficiles à féconder, pour remplacer les chardons, les euphorbes et les quelques graminées à feuilles coriaces que les moutons mêmes repoussent, et qui croissent parfois seules, spontanément, en de semblables localités, les espèces qui réussissent le mieux, sont : le brome des prés, les fétuques ovine et traçante, la fétuque rouge, le dactyle pelotonné, le fromental, le ray-grass, le paturin des prés, celui à feuilles étroites, etc., etc.

Quelque limité que soit le nombre des plantes cultivables sur un terrain donné, n’y en eût-il que 3 ou 4, il peut y avoir comparaison entre elles, et il est bien probable que les unes devront l’emporter sur les autres. — On devra donc avoir égard aux diverses circonstances suivantes : — le goût plus ou moins marqué que montre le bétail pour telles ou telles herbes, — leur précocité, — l’abondance de leurs produits, — leur permanence, — et les propriétés nutritives propres à chaque espèce.

[18 : 3 : 2]
§ ii. — Du choix des plantes fourragères eu égard au goût des diverses sortes d’animaux.

Le goût plus ou moins marqué que montrent les bestiaux pour telles ou telles herbes est un indice qui trompe peu, et qu’on fera bien, en général, de prendre en grande considération ; cependant il n’est pas douteux, d’une part, que les animaux rejettent parfois au premier abord des plantes favorables à leur santé, et auxquelles on les habitue à la longue, au point même de les leur faire rechercher avec une sorte d’avidité, tandis qu’on les voit assez souvent manger spontanément d’autres plantes nuisibles, soit à leur existence, soit à la qualité de leurs produits. — « Sans avoir fait d’essais sur cette matière, dit Sprengel, on ne peut jamais parvenir à un résultat certain ; l’analogie, dans ce cas ; ne peut être un guide sur, car le trèfle des champs (trifolium arvense) n’est pas mangé par le bétail, malgré que les autres variétés de trèfle soient pour lui une bonne nourriture. Il en est de même de plusieurs autres familles ; celle des composées nous en offre un exemple singulier : le pissenlit (leontodon), l’apargie (apargia), la petite marguerite (bellis), la thrincie (thrincia), l’épervière, (hieracium), la crépide (crépis), etc., etc., sont recherchées par le bétail, tandis que la matricaire (matricaria), la grande marguerite (chrysanthemum), l’arnique (arnica), la centaurée (centaurea), l’immortelle (gnaphalium), la tanaisie (tanacetum), la camomille (anthemis), etc., etc., ne sont broutées par les animaux que lorsque la faim les presse. Nous voyons figurer de même, dans les familles de plantes généralement désagréables aux bestiaux, des espèces qu’ils paraissent manger avec plaisir ; c’est ainsi qu’ils recherchent le liseron (convolvulus arvensis), quoiqu’ils repoussent les autres espèces de la famille des convolvulacées.

» On ne peut jamais conclure des effets que doit produire sur le bétail une plante quelconque, d’après ceux qu’elle produit sur les hommes, car l’on voit fréquemment des plantes nuisibles à l’homme être mangées sans inconvénient par les animaux. On remarque même, à l’égard des espèces de bestiaux entre elles, une grande différence : le gros bétail, par exemple, repousse les labiées et les personnées (excepté peut-être le mélampire des champs et celui des prairies (melampirum arvense et ratense) ; ainsi, il ne touchera guère au thym, à la véronique, à lasauge, à la crête-de-coq (rhinanthus), etc., tandis que ces plantes sont pour les moutons une nourriture saine et agréable. — Le bétail à cornes mange avec plaisir tous les végétaux de la famille des crucifères, comme les choux, les raves ; les chevaux, au contraire, ne s’en nourrissent qu’avec répugnance ; ils recherchent par contre, de même que les moutons, les plantes qui appartiennent à la famille des équisitacées ; ils s’en nourrissent sans préjudice pour leur santé, tandis que ces mêmes plantes déterminent, chez le bétail à cornes, lorsque la faim l’a forcé à en manger, des dyssenteries et enfin la mort. Les plantes de la famille des hypéricinées, très-nuisibles aux moutons, sont consommées sans inconvénient par les chevaux. Une espèce de cette famille, le millepertuis crépu (hypericum crispum), contient un poison tellement énergique pour les moutons, que le seul contact avec la rosée qui, le matin, se trouve sur les feuilles, leur est très-dangereux. — On trouve ensuite des familles entières de plantes dont les feuilles et les tiges sont rejetées par toutes sortes d’animaux ; telles sont, entre autres, les solanées[1] et enfin on en voit d’autres dont toutes les espèces, à l’exception de quelques-unes, sont mangées par les chevaux et le gros bétail, de même que par les moutons et les cochons : telles sont les graminées. Cependant, parmi les différentes espèces de graminées, on en remarque plusieurs qui paraissent plus propres à tel genre d’animaux qu’à tel autre. » Si l’on veut connaître les plantes que les animaux recherchent le plus, il faut observer ceux-ci lorsqu’ils se trouvent au pâturage ; là ils s’abandonnent à leur instinct, et, lorsqu’ils ont assez à manger, ils ne touchent point aux plantes qui leur sont préjudiciables. Cependant on remarque avec étonnement qu’ils mangent des plantes reconnues comme vénéneuses, et cela sans danger ; mais, en observant de plus près, on voit qu’il se trouve dans le pâturage des plantes dont les propriétés neutralisent les effets des premières. En cherchant à connaître les végétaux dangereux et utiles qui se trouvent dans un pâturage, il faut considérer le nombre d’espèces qu’il contient : plus il y en a, mieux on peut distinguer celles qui conviennent aux animaux, tandis que, dans le cas contraire, on peut facilement se tromper. »

[18 : 3 : 3]
§ iii. — Du choix des plantes fourragères eu égard à leur précocité.

La précocité des herbages, pour les animaux qui ont été nourris pendant tout l’hiver au foin et aux racines est une qualité précieuse, qui peut tenir à la nature du terrain, comme au choix des espèces végétales. Dans les terrains argileux, humides et froids, le développement fourrager des plantes est souvent plus tardif de 15 jours que sur des sables facilement échauffés par les premiers rayons du soleil de printemps, et d’un autre côté entre certaines plantes, telles, par exemple, que le pâturin des bois et la fétuque élevée, il n’est pas rare de remarquer, sur le même sol, une différence au moins aussi grande. — On comprend, sans qu’il soit besoin d’entrer à cet égard dans des détails circonstanciés, que le meilleur moyen de remédier à la disposition tardive d’une localité ou d’une espèce, c’est de couvrir l’une d’herbes naturellement précoces, et de placer l’autre en des lieux perméables à la chaleur. Toutefois un pareil arrangement, très-facile et très coin mode pour un certain nombre de graminées, ne l’est pas, à beaucoup près, pour toutes : il en est qui ne pourraient végéter hors des lieux auxquels elles furent destinées par la nature.

La précocité, en elle-même, n’a pas le seul avantage de hâter le moment où l’on peut mettre les animaux au vert ou celui de la fauchaison ; nous verrons, lorsqu’il sera parlé spécialement du vulpin des prés, du dactyle, des ivraies., etc., etc., que la richesse du pâturage ou le nombre des coupes

que l’on peut effectuer dans le courant de la belle saison, dépend, en grande partie, de la rapidité de végétation des herbes qui composent les pâturages et les prairies. — Il existe toutefois, entre ces deux sortes d’herbages, des différences qu’il importe de signaler ici. — L’époque de la plus forte végétation des plantes réunies naturellement dans un même lieu est rarement la même : le vulpin des prés, la flouve odorante, le dactyle pelotonné, l’ivraie vivace, le poa des prés, l’avoine des prés, etc., devancent les autres dans leur croissance printanière, et fournissent un abondant fanage pendant la première partie de l’été ; — dans le cours de cette saison, ce sont : l’avoine jaunâtre, la crételle, la fétuque des prés, divers pâturins, la houque laineuse, le trèfle des prés, le trèfle rampant, la gesse des prés, etc. etc. ; — enfin, pendant l’automne, la fétuque élevée, l’agrostis stolonifère, le chiendent, la millefeuille, etc., etc. Un tel mélange et de telles dispositions présentent, entre autres avantages (voy. le paragraphe 7), celui de régulariser, pour ainsi dire, la production du fourrage sur les pâturages, pendant presque toute l’année ; dans les prairies, au contraire, si l’on n’a eu la précaution de réunir des espèces d’une végétation à peu près uniforme quant à son développement et a sa durée, il arrivera, ou qu’on récoltera des herbes précoces lorsqu’elles auront perdu la plus grande partie de leurs sucs nutritifs, par suite de la dessiccation sur pied ; ou que les herbes tardives seront loin encore d’être arrivées au point de maturité qui constitue les bons foins. Aussi, en pareil cas, surtout lorsque les prairies ne doivent occuper la place qu’on leur destine que pendant un nombre limité d’années, préf’ère-t-on assez souvent des semis homogènes.

[18 : 3 : 4]
§ iv. — Du choix des plantes fourragères eu égard à l’abondance de leur produit.

L’abondance des produits qu’on doit attendre d’une herbe quelconque considérée isolément, dépend soit de l’élévation et du volume ou de la multiplicité de ses tiges et de ses feuilles ; — soit de la rusticité plus grande qui lui permet de croître dans des terrains de moindre qualité et de résister aux intempéries des saisons ; — soit, enfin, de la faculté qu’elle possède de continuer de végéter plus longtemps et de mieux repousser sous la faulx ou la dent des animaux.

En général les plantes qui s’élèvent et grossissent beaucoup, telles que les panis, le sorgho, l’alpiste, etc., etc., ne sont propres qu’à être mangées en vert parce qu’elles durcissent en se desséchant de manière à rebuter les animaux ; — d’autres, comme le fromental, la fétuque élevée, les bromes, etc., doivent au moins être fauchées de fort bonne heure. Mais il en est aussi, et de ce nombre on pourrait citer la fléole des prés, ou thimothy des Anglais et l’ivraie d’Italie, dont l’élévation des fanes ne diminue en rien la qualité du foin.

Assez souvent des herbes dont les tiges s’élèvent beaucoup tallent et gazonnent fort peu ; celles-là peuvent faire quelquesfois partie des prairies, mélangées à d’autres espèces, mais elles sont peu propres à entrer dans la formation des pâturages, tandis que d’autres herbes moins élevées et plus gazon lieuses conviennent beaucoup mieux a cette dernière destination. — Dans les herbages fauchables, elles deviendraient inutiles, parce qu’elles échappent en grande partie à la faulx, et nuisibles, parcequ’elles occupent la place de meilleurs produits, tandis que sur les pacages celles même qui ne sont qu’effleurées par la dent des chevaux ou des bêtes bovines sont atteintes rez-terre par les moutons, auxquels elles procurent une bonne nourriture.

La rusticité ne consiste pas seulement, pour chaque espèce, à résister aux vicissitudes des saisons, a supporter accidentellement une humidité surabondante dans le sol et une sécheresse prolongée dans l’atmosphère ; à pousser avec assez de vigueur pour ne rien craindre du voisinage d’autres plantes plus voraces et moins utiles, mais encore, pour les plantes étrangères, à résister sans dommage aux froids de nos climats et à mûrir leurs graines avant l’atteinte des gelées. — Parmi nos graminées les plus rustiques il faut citer l’agrostis florin, le brome des prés, le dactyle pelotonné, la fétuque ovine, etc., etc.

Quant à la faculté de pousser de nouvelles feuilles et même de nouvelles tiges florales après l’époque de la fauchaison ou le passage des animaux, elle est loin d’appartenir également à toutes les espèces : le fiorin la possède à un haut degré ; sa végétation est presque continuelle, et ses tiges conservent long-temps leur fraîcheur en hiver ; le dactyle pelotonné, qui se maintient mieux que beaucoup d’autres graminées des prés sur les terrains secs et médiocres, y repousse aussi avec une facilité et une rapidité remarquable ; le ray-grass talle et se fortifie d’autant plus qu’il est plus brouté et piétiné, le vulpin des prés peut épier jusqu’à deux fois dans la même année, etc. Au point où nous en sommes, il serait, je crois, inutile de multiplier de semblables exemples ; il nous suffira de remarquer que la propriété qui nous occupe en cet instant est une des plus importantes par rapport aux herbes fourragères, qui composent les prairies à regain, et surtout les pâturages ouverts pendant la plus grande partie de l’année aux animaux.

[18 : 3 : 5]
§ v. — Du choix des plantes fourragères eu égard à la durée de leur existence.

C’est une loi fort ordinaire de la nature, que plus la durée d’un végétal est longue, moins son premier développement est rapide. — Une plante annuelle, semée au printemps, parcourt dans la même année toutes les périodes de sa courte existence, tandis qu’une plante bisannuelle ou vivace s’empare pour ainsi dire seulement du terrain, et ne pousse ses tiges florales que la seconde année. Il est même beaucoup de plantes vivaces qui n’arrivent qu’après 3, 4 et 5 ans à leur plus fort développement. Ainsi on doit attendre le maximum des produits d’un trèfle dès la seconde année ; mais on ne peut compter sur celui d’un sainfoin que la 3e à la 4, et malgré la position en quelque sorte exceptionnelle où se trouve à cet égard la luzerne, dont chacun connaît la rapidité de croissance, toujours est-il qu’elle augmente annuellement en produits, jusqu’à ce que ses puissantes racines se soient suffisamment emparées du sol. Il en est de même des graminées vivaces ; quoique la plupart végètent vigoureusement dès la seconde année, beaucoup ne parviennent à toute leur force que plus tard.

Les fourrages annuels, à quelques familles qu’ils appartiennent, peuvent avoir une très-grande utilité dans la culture alterne. Nous les avons déjà vus, en traitant des assolemens, et nous les verrons bientôt en parlant de chaque plante des prairies et notamment des légumineuses en particulier, jouer un rôle important pour remplacer la jachère morte et préparer le sol à d’autres cultures. — Il n’est pas rare non plus qu’on les utilise momentanément dans la formation des prairies artificielles de longue durée et des pâturages permanens, pour obvier à la lente croissance des plantes qui les composent, et obtenir, dès la première année, une récolte de fourrage. C’est ainsi que l’on peut dans certains cas semer la luzerne de bonne heure en automne avec de l’escourgeon ou du seigle ; — mêler dans les terrains calcaires le brome doux et celui des seigles au sainfoin ; — ailleurs l’orge des prés a des herbes dont le produit doit se faire attendre deux ans, etc., etc. — En pareil cas, les plantes annuelles, pour peu qu’elles ne soient pas semées trop épais, protègent au printemps la première croissance des végétaux d’une plus longue durée, et lorsqu’elles commenceraient à les gêner dans leur développement, elles tombent sous la faulx sans avoir eu le temps de répandre leurs graines. Ajoutons que, tandis qu’elles procurent par leurs fanes une utile récolte, elles laissent encore dans le sol quelques débris qui devront, en se décomposant, tourner au profit de la végétation des années suivantes.

Quand on veut établir un herbage temporaire, avant de choisir les végétaux qu’on pourra faire entrer dans sa composition, il faut être d’abord à peu près fixé sur la durée qu’il devra avoir. Il serait également fâcheux, en effet, de cultiver des plantes qui ne donneraient pas encore le maximum de leurs produits lorsqu’il faudrait les détruire, ou qui dépériraient avant l’époque fixée pour le retour des cultures économiques ; — de remplacer, par exemple, dans l’assolement quadriennal le trèfle par le sainfoin ou la luzerne et, dans un assolement qui comporte un herbage de 5 à 6 ans de durée, le sainfoin par le trèfle ; l’agrostis d’Amérique ou la fétuque élevée par l’ivraie d’Italie, etc., etc. — Il y a donc place dans la bonne culture pour les herbes fourragères de quelques années d’existence seulement, comme nous venons de voir qu’il y en avait parfois pour les herbes annuelles ; en pratique, leur importance est même très-grande. — Le trèfle, quoique vivace, est traité presque partout, avec grande raison, comme s’il n’était que bisannuel au tout au plus trisannuel, parce que, dès la 3e année il est rare qu’il ne se dégarnisse pas. Mais aussi, dès l’année qui suit le semis, on sait combien il est fourrageux. — Ce seul exemple suffit.

Lorsqu’il s’agit plus spécialement des pâturages permanens, la longue durée des plantes qui les composent est une condition première de succès. Cette durée peut s’obtenir, soit en faisant choix d’espèces naturellement très-vivaces, comme la fétuque élevée, l’agrostis d’Amérique, le thymothy, etc. ou d’espèces qui se régénèrent facilement par suite de la disposition de leurs racines à tracer ou de leurs tiges à pousser de nouvelles racines de chacun de leurs nœuds inférieurs, telles que les fétuques traçante et flottante, le fiorin, etc., etc., soit en mélangeant plusieurs espèces différentes, ce qui présente, lorsque le choix est fait avec discernement, d’assez nombreux avantages, car non seulement la disposition différente des tiges et des racines, l’élévation et la profondeur plus ou moins grandes auxquelles parviennent les premières ou pénètrent les secondes, font que le terrain peut nourrir un plus grand nombre de plantes et se trouve mieux garni à sa surface, de sorte que les produits sont plus considérables, mais encore que la somme totale de ces produits est moins dépendante de la variation des saisons, et qu’enfin l’herbage est infiniment plus durable, attendu qu’il s’établit entre tous les végétaux une sorte de rotation telle que ce sont toujours ceux qui se trouvent dans les circonstances, pour eux les plus favorables, qui dominent alternativement les autres.

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§ vi. — Du choix des plantes fourragères eu égard à leurs qualités nutritives.

Quoiqu’il y ait parmi les chimistes quelque divergence d’opinion sur les propriétés plus ou moins nutritives de telles et telles substances qui entrent dans la composition des végétaux, telles, par exemple, que le principe amer que Sprengel considère, à cause de l’azote qu’il contient, comme l’un des plus nourrissans, après l’albumine, et que Davy croit, au contraire, devoir être rejeté, dans les excrémens, avec la fibre ligneuse ; — sur l’importance plus ou moins grande, dans l’acte de la nutrition, de divers sels, notamment de l’hydrochlorate de soude ou sel marin, et du phosphate de chaux, qui abonde dans les os des animaux ; — enfin, sur celle des acides, tels que les acides hydrochloriques, phosphoriques, etc., et des nombreux corps simples qu’on retrouve en petites quantités dans les cendres végétales, comme la soude, la potasse, la chaux, la magnésie, la silice, le fer et la manganèse. — Il est un point sur lequel on est généralement d’accord, c’est que, plus les plantes possèdent de substances solubles, plus elles sont nutritives.

« Si l’on veut connaître avec exactitude, dit Sprengel, la valeur d’une plante comme fourrage, il faut, dans les analyses, considérer, avant toute chose, la quantité en poids de l’eau et de la fibre végétale en raison de celle des autres substances qui s’y trouvent, puis la quantité des parties incombustibles nutritives, comme le sel marin, le phosphate de chaux, etc., et enfin, celle des parties incombustibles qui ne servent pas, ou presque pas, à la nutrition, comme la silice, l’alumine, etc. — Il est important de connaître la quantité d’eau et de fibre végétale, parce qu’une trop grande proportion de l’une peut occasioner la pourriture aux moutons, et que l’autre résiste en grande partie à la digestion. — Il faut que les plantes destinées au pâturage des moutons soient riches en sel commun, en principe amer, en arome, en phosphate de chaux et en substances contenant de l’azote ; — les premières de ces substances conservent l’énergie des organes digestifs, les autres contribuent beaucoup à la production de la laine, de la viande, etc.

» Les plantes qu’on destine au gros bétail, et surtout aux vaches laitières, peuvent contenir une plus grande quantité d’eau que pour les moutons, puisque l’eau contribue à la formation du lait. Outre cela, il faut qu’elles contiennent les matières que nous trouvons dans le lait, c’est à-dire la soude, le chlore, le soufre, le phosphore, la potasse, le carbone et l’azote. On voit ordinairement les vaches donner une plus grande abondance de lait après avoir mangé des plantes contenant un suc laiteux et amer, mais non acre, comme plusieurs espèces de plantes de la famille des composées, par exemple, le pissenlit, l’hypocheoris, le laitron. Plus ce suc laiteux est riche en substance saccharine, en albumine, en gluten, en gomme, en mucilage, en phosphate de chaux, en sel marin et en hydrochlorate de potasse, plus il convient à la production au lait. Les plantes dont le suc laiteux est âcre, comme l’euphorbe sont dangereuses. »

Il ne faut pas croire que la substance soluble soit identique dans toutes les plantes, et que la proportion de ses parties constituantes ne varie pas, dans le même végétal, eu égard à diverses circonstances, parmi lesquelles on doit placer en première ligne l’époque plus ou moins avancée de la végétation. Ainsi, l’albumine abonde dans certaines herbes, parmi lesquelles je citerai le pied d’oiseau (ornithopus perpusillus) et le pissenlit (leontodon taraxacum) ; — dans d’autres, comme les graminées, c’est le mucilage  ; — dans plusieurs, telles que le boucage saxifrage (pimpinella saxifraga), la lupuline (medicago lupulina), ce sont la gomme et le mucilage ; — dans quelques-unes, par exemple l’élyme des sables (elymus arenarius), la matière sucrée domine, etc., etc. Ainsi encore, d’après les nombreuses expériences qui ont été faites sur les graminées, sous les auspices du duc de Bedfort, par les soins de G. Sinclair et de Davy,on voit que la matière saccharine est plus considérable au commencement de la floraison, et le mucilage pendant la maturation des graines, tandis que les principes amers et les ingrédiens salins abondent dans les récoltes de regain. De sorte qu’en théorie, avant de faire choix d’une plante fourragère, il faudrait non seulement connaître sa composition chimique, mais savoir encore si, par suite de sa disposition physique, elle se prêtera à être consommée au moment où elle contient le plus de parties favorables à la nutrition, ce qui ne peut avoir lieu que pour un certain nombre de végétaux, attendu qu’il en est beaucoup dont le foin cesse alors d’être mangeable, soit parce que la fibre ligneuse devient trop roide, soit parce que les enveloppes florales et les arêtes qui les accompagnent prennent assez de consistance pour gêner plus ou moins les bestiaux pendant la mastication.

Il est certain que les plantes vertes, déduction faite de la quantité d’eau de végétation qu’elles renferment, quantité telle qu’elle peut quelquefois occasioner de graves désordres dans la santé des animaux, contiennent, à poids égal, moins de parties nutritives que les plantes arrivées au moment de la floraison, et celles-ci généralement moins que les plantes déjà plus avancées dans la maturation. Ici les découvertes de la science sont parfaitement d’accord avec les données de la pratique, et cette coïncidence est d'une haute importance pour la formation des prairies, comme on le verra ailleurs. Dans les pâturages, toutes les plantes étant consommées en vert, il n’y a plus lieu de s’occuper de cette circonstance, mais il reste toujours à étudier comparativement les qualités nutritives des diverses espèces. Cette étude, ainsi que je l’ai déjà dit, a été faite avec soin pour les graminées, en Angleterre, dans le jardin du duc de Bedfort ; — elle l’a été aussi pour grand nombre de plantes de familles différentes, en Allemagne, par Sprengel. — Je crois utile de reproduire ici, en les présentant sous une forme un peu différente, une partie, non pas des analyses, mais seulement des résultats des analyses qui ont été faites dans ces deux pays, sans leur donner toutefois plus d’importance qu’elles n’en doivent raisonnablement avoir dans l’état actuel de nos connaissances chimiques[2].

Parmi les diverses graminées herbagères qu’on rencontre le plus habituellement dans les prés et les pâturages naturels et artificiels, celles qui paraissent, à l’état de dessiccation ou de foin, contenir à poids égal le plus de parties nutritives, sont divers pâturins, entre autres celui des '"bois"" ou à feuilles etroites, et le poacomprimé, dont on fait peut-être trop peu de cas en France ; le pâturin commun contient moins de parties solubles, et il en est de même de celui des prés, surtout lorsqu’on le laisse sur pied jusqu’à la floraison. — A côté des pâturins et sur la même ligne, se trouve la fléole des prés lorsqu’on la fauche déjà en graines ; — l’élyme des sables, trop ignoré comme fourrage vert ; — la fétuque élevée de toutes la plus riche en parties nutritives ; puis celle des prés, la houque odorante, la houque molle et la houque laineuse ; la cretelle et quelques bromes, tels que le stérile, le brome sans arêtes et la floue odorante, fauchés, les deux premiers, lors de l’épanouissement de leurs premières fleurs, la 3e à l’époque de la fructification ; viennent ensuite : le pâturin élevé, le dactyle pelotonné, les fétuques durette et glauque, la brize, l’avoine jaunâtre, l’orge des prés, l’agrostis stolonifère, etc. — En 5e ligne se trouvent l’ivraie vivace, le pâturin commun, l’avoine des prés ; quelques aira, le chiendent, le brome élevé, l’agrostis des chiens, etc. — Enfin, d’après les mêmes auteurs, le fromental et l’avoine pubescente, la canche flexueuse, la fétuque flottante et la mélique bleue, seraient, toutes les époques de leur végétation, les moins riches en substance soluble.

Sprengel, de son côté, en analysant comparativement les diverses pailles qu’on emploie le plus fréquemment en agriculture, pour affourrager les animaux à l’étable, est arrivé à les classer de la manière suivante, dans l’ordre décroissant de leurs propriétés nutritives : 1° celle de millet ; 2° celle de maïs ; 3° celle de lentilles ; 4° celle de vesces ; 5° celle de pois ; 6° celle de fèves ; 7° celle de colza ; 8° celle d’orge ; 9° celle de seigle ; 10° celle de froment ; 11° celle d’avoine ; 12° celle de sarrasin. Je ferai remarquer que le célèbre chimiste ne paraît pas avoir tenu compte des diverses variétés de chacune de ces espèces, ce qui, pour plusieurs, eût été cependant d’autant plus utile qu’il est probable qu’il aurait trouvé des différences peut-être aussi grandes et même plus grandes entre certaines variétés ou races de la même espèce qu’entre des espèces du même genre. Ceci s’applique surtout à nos céréales les plus cultivées.

Quant aux végétaux suivans, la plupart d’entre eux n’ont point encore été soumis à la culture en grand, quoique plusieurs semblent pouvoir entrer avec avantage dans la formation des herbages artificiels. Je reviendrai ailleurs sur le compte de quelques-uns, me bornant ici, pour ne pas sortir de la spécialité de ce paragraphe, a en présenter la liste. — Le premier de tous est le genêt des teinturiers, qui contient à l’état vert jusqu’à 35 ¾ pour cent de parties nutritives ; — le 2e, chose remarquable, est un jonc, celui de Bothnie, dans lequel on en retrouve 28. Viennent ensuite le petit boucage, le grand boucage, qui contiennent : le 1er, 26, le 2e 24 p 100 de parties nutritives ; la pimprenelle 24 ; le genêt velu id. ; la gesse des prés, 23 ¾ ; le lotier corniculé, 19 ½ ; le plantain lancéolé, 18 ; la petite marguerite, 17 ¼ ; la lupuline, 16 ; l’ornithopus pied-d’oiseau, 15 ⅔ ; l’épervière, 14 ⅓ ; le lotier uligineux, 13 ½ ; le pissenlit, 12 ⅓ ; l’héraclée blanc-ursine, 10 ; l’achillée mille-feuilles, 9. — A l’état sec, ou de foin, ces plantes, à poids égal, contiennent, comme on le peut bien penser, infiniment plus de substances solubles. Je me bornerai à citer deux des exemples les plus frappans : le pissenlit, qui n’en renferme en vert que 12 ⅓, en contient à l’état de foin 82, et la petite marguerite jusqu’à 86 ⅓, c’est-à-dire plus du quart en sus de la paille la plus nutritive, celle du millet, qui n’en abandonne que 61 ½. Du reste, tous ces végétaux en foin, excepté, peut-être, la lupuline, qui se trouve sur la même ligne que le millet, sont beaucoup plus nourrissans qu’aucune des pailles dont il a été parlé.

Ces travaux, et tous ceux auxquels les chimistes pourront se livrer par la suite, dans le même but, présenteront d’autant plus d’intérêt qu’en regard des qualités nutritives des végétaux herbagers, ils auront examiné comparativement les diverses conditions qui ont fait le sujet des paragraphes précédens ; car les plantes les plus riches en parties solubles peuvent n’être ni les plus fourrageuses, ni les plus précoces, ni les plus durables, etc., etc.

Quand on voit ce qui se passe journellement dans la nature, on ne peut nier que la variété de nourriture ne soit, pour les animaux, un élément de santé, les plantes qu’ils appètent le moins, celles qu’ils rejettent toutes les fois qu’ils peuvent faire un meilleur choix, et dont l’usage exclusif et continu leur deviendrait inévitablement nuisible, sont au contraire mangées sans danger, recherchées même, lorsqu’elles sont mêlées à d’autres plantes. Il y a mieux : dans un champ où domine une seule espèce, quelle que soit sa qualité, on a vu les animaux la délaisser accidentellement pour brouter avidement quelques touffes des herbes qui les tentent ordinairement le moins. — Voici, entre bien d’autres, un fuit qui le prouve d’une manière frappante : Deux pièces de terre semées, l’une en trèfle blanc (white clover), l’autre en trèfle mêlé à diverses graminées, furent destinées par G. Sinclair à servir de pâturage aux moutons. Le long des haies de clôture qui entouraient la première, poussait une assez grande quantité de dactyle pelotonné (cock’s foot grasse) à tiges coriaces et très-peu fourrageuses, par suite de la qualité du sol. Cependant, après quelques jours, le troupeau rechercha cette plante et n’en laissa pas vestiges. Puis il revint au trèfle et s’en nourrit exclusivement jusqu’à ce que l’état de maladie dans lequel il se trouvait, et qui causa la perte de plusieurs individus, forçât d’arrêter l’expérience. — Dans la pièce voisine, au contraire, sur laquelle se trouvait un mélange de dactyle pelotonné, de pâturin commun (rough stalked meadow grass), d’ivraie vivace (rye grass), de vulpin (fox tail grass) et de trèfle blanc, les moutons n’éprouvèrent aucun malaise, et ne touchèrent pas aux tiges du dactyle, quoiqu’elles fussent cependant plus tendres et plus succulentes que celles que leurs voisins avaient recherchées avec tant d’empressement.

Justement convaincu qu’on devrait toujours contrôler les résultats des analyses chimiques par des expériences faites sur les animaux eux-mêmes, et que ce n’est réellement qu’en faisant marcher de front ces deux moyens de recherche qu’on parviendra à apprécier les propriétés alimentaires de chacun des principes immédiats des végétaux, et que l’on pourra arriver au point où la seule analyse d’une plante nous fournira des connaissances suffisantes sur ses propriétés nutritives, M. Mathieu de Dombasle a fait en 1831 une série d’essais qu’il n’a pu malheureusement étendre jusqu’aux espèces végétales qui nous occupent le plus spécialement ici, mais qui présentent trop d’intérêt, et qui se l’attachent de trop près au titre de ce paragraphe, pour que je ne fasse pas connaitre au lecteur au moins leurs résultats, le renvoyant pour les détails à la 7° livraison des Annales de Roville.

L’expérience, dit M. de Dombasle, a été faite sur 49 moutons divisés en 7 lots, de 7 animaux chacun. Une étable fut destinée exclusivement à cet usage, et l’on y pratiqua 7 loges munies de crèches et de rateliers, et où les animaux ont été tenus constamment pendant tout le temps de l’expérience. Un local particulier était disposé dans l’étable même pour y préparer les rations, et une balance y servait à peser les animaux et les fourrages. — Ces moutons ayant été pesés individuellement à jeun, le 17 décembre, le poids total se portait à 3,053 livres ou demi-kilogrammes, ce qui donnait un poids moyen de 62 livres 30 par individu. Comme il était fort important d’égaliser les lots sous le rapport du poids des animaux, on a assorti ceux-ci de manière que chaque lot pesât 436 livres, excepté un qui se trouva excéder ce poids d’une livre. Le même jour, on plaça les animaux dans leurs cases respectives, et, le lendemain 18, on commença l’expérience, qui fut continuée pendant 5 semaines.

De premiers essais, faits exclusivement avec de la luzerne, ayant amené d’abord ce résultat, que 15 livres de cette plante sèche, par jour, pour chaque lot, ou 2 liv. 1/7 par tête, pouvaient être considérées comme s’approchant très-près du point d’équilibre, qu’on peut appeler la ration d’entretien, on trouva successivement ensuite que, pour former la demi-ration, ou représenter la valeur nutritive de 7 livres ½ de luzerne sèche, il fallait, ou 3 livres ½ d’orge appartenant à la variété d’hiver, dite sucrion, et pesant 132 livres par hectol., — ou 14 l. de pommes-de-terre crues, lesquelles sont susceptibles d’acquérir par la cuisson une augmentation de propriété nutritive d’environ deux treizièmes ; — ou environ 16 livres ¼ de betteraves de la variété blanche de Silésie de moyenne grosseur, cultivées en terrains médiocrement fertiles : ces observations sont nécessaires, car on pourrait rencontrer des betteraves de l’espèce dite racines de disette, cultivées en sol très-riche, qui présenteraient des propriétés nutritives beaucoup inférieures à celles-ci ; — ou enfin 23 livres de carottes.

Il est fort regrettable que des expériences analogues n’aient pas été faites par les Allemands et les Anglais, comme complément des analyses intéressantes de Davy, d’Einhof et de Sprengel.

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§ vii. — Du choix des plantes eu égard à l’emploi qu’on en peut faire isolément ou simultanément dans la formation des herbages.

Lorsque l’on veut créer des pâturages permanens, il est hors de doute qu’il faut les composer de plusieurs espèces, car, s’ils étaient homogènes à leur origine, ils cesseraient bientôt de l’être par suite de l’affaiblissement progressif de l’espèce primitive, et l’envahissement d’herbes nouvelles. D’ailleurs, le mélange en pareil cas ne peut avoir que des avantages, quand il a été bien combiné. Les plus importans sont, à côté de celui d’offrir aux animaux de toutes sortes une nourriture plus saine, plus agréable et mieux appropriée à la nature des produits qu’on en attend, — l’abondance à peu près égale de cette même nourriture pendant toutes les parties de l’année, — et la durée de l’herbage dans un état tel que les mauvaises herbes ne trouvent aucune place pour se montrer.

Je regarde la première proposition comme suffisamment établie par le contenu du paragraphe précédent. La seconde, que j’ai aussi abordée déjà, en parlant de la précocité plus ou moins grande des espèces, est démontrée journellement par l’expérience. Il est en effet facile de se convaincre que, sur tous les pâturages, non seulement les graminées diverses se succèdent dans le développement de leur végétation, mais que, dans les localités moins favorisées que d’autres par l’humidité, toutes les plantes à racines fibreuses et peu profondes cessent pour ainsi dire entièrement de se développer durant les fortes chaleurs, tandis que les plantes à racines fortes et pivotantes, comme celles de plusieurs trèfles, de la luzerne, du sainfoin, du lotier, de la mille-feuille, de la pimprenelle, de la jacée des prés, etc., etc., trouvent encore assez de fraîcheur dans le sol pour continuer de fournir au pâturage des animaux, jusqu’à ce que des pluies d’orage assez abondantes, ou celles d’automne, aient ravivé la masse gazonneuse.

Quant à la troisième proposition, il est vrai qu’un très-petit nombre d’espèces herbagères, parmi lesquelles ou doit citer en première ligne la luzerne et parfois le sainfoin, par la vigueur soutenue de leur végétation, peuvent assez longtemps éloigner toute concurrence dans les terrains qui leur conviennent ; mais à la longue, cependant, elles sont envahies par d’autres herbes qui commencent à se montrer dès qu’elles faiblissent sur quelques points ; ce qui leur arrive après un nombre d’années plus ou moins long, arrive à la plupart beaucoup plus tôt ; il est donc évident que toujours la nature tend à établir dans les herbages ce qu’on a nommé un assolement simultané. Or, on comprendra qu’en pareil cas il vaut bien mieux choisir tout d’abord, d’après leur mérite, les espèces qui composeront cet assolement, que de s’en rapporter au hasard pour l’avenir ; je parle toujours des herbages permanens.

Si les pâturages ne doivent durer qu’un petit nombre d’années, l’inconvénient du semis d’une seule espèce est moins grand sous ce dernier rapport. Mais, lors même que cette espèce réunirait d’ailleurs toutes les conditions voulues pour procurer une bonne nourriture aux animaux, resterait encore la crainte fondée, à bien peu d’exceptions près, de n’obtenir des produits fourragers que pendant une partie de la saison. Aussi, est-ce une coutume fort générale, même dans ce cas, de mêler diverses plantes, et d’adjoindre aux graminées quelques légumineuses, principalement le trèfle rouge ou blanc et la lupuline. La plupart des herbages qui ne doivent durer que 3 ou 4 ans sont composés, soit d’ivraie vivace et de trèfle, soit de ces deux plantes, auxquelles on ajoute le dactyle pelotonné ou la houlque laineuse, soit de trèfle et de lupuline mêlés à 2 ou 3 graminées, soit enfin de tout autre mélange analogue.

Relativement aux prairies fauchables, la question doit être considérée sous d’autres points de vue. Depuis Rozier, plusieurs agronomes ont pensé avec lui que — « Deux espèces de graminées n’ayant strictement ni la même époque de floraison et de maturité, ni une force de végétation égale, il arrive nécessairement, dans le premier et le second cas, qu’une partie de l’herbe est mûre, tandis que l’autre ne l’est pas, et, par conséquent, qu’il faudra retarder la fauchaison. Il résulte de ce mélange que ce qu’une espèce gagne en maturité, l’autre le perd par trop de maturité ; dès-lors on n’aura que la moitié de la récolte prise à point. Quant à l’inégalité de force dans la végétation, c’est là que réside un abus aussi démontré que les deux premiers. Il est dans l’ordre naturel que le plus fort détruise le plus faible. Une plante a, par exemple, une force de végétation comme 18, tandis que celle de la plante voisine est comme 4 ; il s’ensuit que les graines de ces plantes, semées ensemble, végéteront à peu près également pendant la première année, parce qu’elles trouveront toutes à étendre leurs racines ; mais peu-à-peu la plus active devancera la plus faible, toutes deux en souffriront jusqu’à ce qu’enfin la plus vigoureuse triomphe. Il ne restera plus a cette époque que des plantes vigoureuses, égales en végétation, et dès-lors susceptibles de se tenir toutes en équilibre de vigueur. »

Le fait est généralement vrai. En conclura-t-on que tout mélange soit impossible ou peu fructueux dans les prairies ? Non, certes ; mais seulement que ce mélange doit être fait avec encore plus de soin, et dirigé d’après d’autres principes que pour les pâturages. Et d’abord, quant à l’époque de la maturité, il est rarement difficile de rencontrer des espèces qui se rapprochent assez sous ce rapport, pour n’avoir point à craindre de dommages notables dans la qualité du foin. Le moment de la floraison différât-il un peu, on trouverait encore des herbes qui se conserveraient vertes et succulentes assez long-temps pour attendre les autres, et l’on sait même que, tandis que les unes contiennent plus de parties nutritives lors de l’entier épanouissement des fleurs, d’autres sont plus riches en substance soluble à une époque déjà avancée de la maturation des graines. — Sous le second point de vue, puisque les prairies naturelles ne sont point homogènes, on doit aussi conclure qu’il est possible d’associer des plantes qui vivent et se maintiennent parfaitement ensemble. — Le tout est de les choisir à peu près également rustiques.

Cependant, lorsqu’une herbe de bonne qualité réussit mieux que d’autres sur un terrain qu’elle ne doit occuper que temporairement, il ne faut nullement proscrire tel ou tel semis homogène, même de graminées, et à plus forte raison de légumineuses fauchables, telles, par exemple, que les luzernes, le sainfoin, les trèfles. La durée de ces espèces, leur mode de végétation, l’époque de leur floraison et les terrains qui leur conviennent n’étant pas les mêmes, il serait rarement profitable de les associer ensemble. À cet égard, la pratique a prononcé tout aussi bien que la théorie.

ive sujet. — De la formation des herbages et particulièrement des pâturages.
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§ ier. — Manière de se procurer de la graine.

La difficulté d’obtenir les graines des espèces qu’on désire propager en suffisante quantité pour faire immédiatement des semis tant soit peu en grand, est une des causes qui s’opposent le plus fréquemment à la création d’herbages permanens artificiels. — Il y a cependant trois moyens de se procurer ces graines : — 1o de les récolter à la main, sur pied ; — 2o de les récolter dans les greniers ou dans les râteliers ; — 3o de les acheter dans le commerce, ce qui est désormais possible, au moins pour les principales espèces.

Le premier moyen permet de faire un choix rigoureux des meilleures plantes qui croissent dans chaque localité, mais il est accompagné de plusieurs graves inconvéniens. D’abord la récolte est assez coûteuse en elle-même, à cause de la lenteur avec laquelle elle s’effectue, et par suite des dégâts qu’elle occasione dans les prairies, quelques précautions qu’on mette à les traverser à cette époque où toutes les tiges couchées par accident ne se relèveront plus ; d’un autre côté, toutes les graines sont loin d’être mûres au moment de la fenaison, de sorte qu’une première année, il ne faudrait, pour ainsi dire, songer qu’à former une pépinière de porte-graines, dont les produits, récoltés en temps plus convenable les années suivantes, permettraient d’ajouter progressivement à l’étendue des nouveaux herbages. Si l’on calcule la dépense et la perte de temps, on trouvera dans bien des cas que ce moyen est plus cher que le troisième.

Cependant il ne faut pas se dissimuler que l’établissement d’un herbage ne soit rendu parfois beaucoup plus coûteux par la nécessité où l’on se trouve d’acheter toutes les graines. Aussi, pour se soustraire à cette obligation, a-t-on souvent recours au 2e moyen que j’ai indiqué. Avec lui on peut être certain obtenir des semences bien mûres, parce que les autres ne se détachent pas du foin : malheureusement, à côté des bonnes se trouvent les mauvaises qu’il n’est pas possible d’en séparer, et cette circonstance paraîtra toujours des plus fâcheuses à tous ceux qui ont médité sur la composition des pâturages naturels. À la vérité, il en est de si heureusement formés que l’objection perd, quand on les a en vue, une grande partie de sa force. Je serai le premier à conseiller de profiter sans hésitation de leur voisinage, toutes les fois qu’il y aura lieu. Mais j’ai assez fait voir, dans ce qui précède, que ce cas est trop rare ; aussi le mentionnais-je ici plutôt comme une exception que comme une règle d’une application habituelle. Quoiqu’il en soit, quand on croit pouvoir recourir a ce moyen, voici comment on s’y prend, d’après Pictet, dans quelques cantons de la Suisse, pour se procurer la graine en plus grande abondance qu’on ne pourrait le faire par le simple balayage des greniers ou autres lieux où on dépose les foins avant de les donner aux animaux : « On établit un grillage en bois en remplacement de la paroi de planches qui, par son inclinaison, rapproche le fourrage de la base des râteliers placés verticalement, comme ils le sont dans la plupart des écuries et des étables de ce pays ; la base de ces râteliers étant à 15 ou 18 po. du mur ou de la paroi de la grange, laisse des intervalles par lesquels les graines des prés s’échappent et tombent dans des boîtes, des tiroirs ou coffres placés sous la crèche, d’où on peut les tirer, lorsqu’on présume qu’ils sont à peu près remplis de graines. »

L’agronome genevois, en recommandant cette pratique pour remédier à la cherté de la fenasse ou graine de foin dans le canton qu’il habite, a du reste bien soin de prescrire, afin de l’obtenir sans mélange, de faire rigoureusement et préalablement arracher, à la pousse de l’herbe, les plantes qui, connue l’arrête-bœuf, le plantain à larges feuilles, etc., etc., le saliraient inévitablement de leurs semences inutiles ou nuisibles.

Quant au 3e moyen, en le comparant au premier, chacun, selon la position dans laquelle il se trouve, sera à même d’opter pour l’un ou l’autre. Il suffira d’indiquer ici que les espèces fourragères, considérées comme les plus avantageuses en France, c’est-à-dire la plus grande partie de celles dont il sera question dans la suite de ce chapitre, sont cultivées pour graines dans les belles propriétés de M. Vilmorin, et qu’on peut se les procurer avec entière sécurité dans la maison de commerce qui porte son nom, à Paris.

En général, les semences les moins vieilles, surtout parmi les graminées et quelques légumineuses, sont celles qui lèvent le plus promptement, le plus complètement, et qui donnent lieu à la végétation la plus vigoureuse. Il faut donc tâcher de se les procurer de la dernière récolte. Si on le sachète, il faut veiller a ce qu’elles soient nettes, bien pleines, sans autre odeur que celle du bon foin, et surtout pesantes, ce qui est le meilleur indice de leur complète maturité et de leur bonne qualité. — Dans quelques espèces, la couleur est aussi un indice assez certain. Ainsi les graines de trèfle et de luzerne sont d’abord d’un jaune doré ; en vieillissant elles prennent une teinte rougeâtre. Il en est de même de celles de la lupuline. Les semences de sainfoin passent du gris au noir, etc., etc. — Du reste, il est toujours sage d’essayer en petit les graines que l’on n’a pas récoltées soi-même. Après en avoir laissé tremper une quantité ou un nombre déterminé dans l’eau à une douce température, afin d’obtenir plus promptement le résultat de l’expérience, on fera donc bien de les semer de manière à constater leur qualité.

Quoiqu’on ait proposé beaucoup de recettes, toutes merveilleuses, pour préserver les graines, dans la terre, du ravage des insectes, les disposer à une plus prompte et plus facile germination, et même pour ajouter, pendant toute la durée de la végétation, à la vigueur des plantes qui en proviendront, je ne sache pas qu’aucun de ces moyens, dont plusieurs sont plus nuisibles qu’utiles, puisse être recommandé, si ce n’est peut-être le chaulage pour celles des graminées dont on a reconnu la disposition à être atteintes de la carie et du charbon. La meilleure préparation de toutes les semences fourrageuses et autres, c’est l’humidité modérée et chaude qu’elles trouvent dans un sol perméable aux gaz atmosphériques ; et le meilleur préservatif contre l’insuccès, c’est l’opportunité des semis.

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§ ii. — Préparation du sol.

Quelques plantes fourragères peuvent à la vérité réussir dans les terrains marécageux ; mais, d’une part, les bestiaux et surtout les moutons s’accommodent fort mal de semblables localités, et, de l’autre, toutes les herbes qui font la base des meilleures prairies-pâturages redoutent par-dessus tout une humidité stagnante. Partout où cette humidité existe, le premier soin du cultivateur doit donc être de lui procurer un écoulement suffisant. (Voy. l’article Dessèchement.) — Lorsqu’au contraire les terrains se trouvent dans le voisinage d’eaux courantes, on sait trop de quelle importance il est de pouvoir les arroser pour qu’il soit besoin de recommander de les disposer de manière à favoriser le plus possible les irrigations. (Voy. le chap. Arrosemens.)

Il importe ensuite de les nettoyer le plus exactement possible des graines et des racines vivaces des mauvaises herbes, ce qu’on obtient à l’aide de labours plus ou moins nombreux, donnés pendant une jachère complète, ou mieux une culture sarclée qui a le double avantage, tout en atteignant aussi efficacement le même but, de payer par ses produits, d’abord la préparation du sol, et de plus une grande partie de l’engrais qu’on lui donne, et qui devra cependant profiter beaucoup encore au succès du pâturage. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de remarquer qu’une terre, qui n’était pas par trop épuisée par les cultures antérieures, se trouvait ainsi préparée de la manière la plus complète et la plus profitable à recevoir des semences herbagères. — Dans le cas où l’on ne pourrait disposer que d’une faible quantité d’engrais déjà préparés, et où l’on jugerait plus utile de lui donner une autre destination, un parcage serait fort avantageux. — Enfin, à défaut de ces deux moyens, une récolte enfouie produirait encore un très-bon effet. Je ne dois pas omettre d’ajouter ici que sur les terres froides, tourbeuses ou uligineuses, l’ecobuage est la meilleure préparation possible pour la création d’un herbage. — Nous verrons tout-à-l’heure qu’on sème aussi les pâturages comme les prairies artificielles sur les céréales, sans autre préparation qu’un hersage de printemps. Quand les terres sont propres et en bon état, ce moyen, par sa glande simplicité, est un des meilleurs.

La profondeur des labours ne peut jamais être trop grande dans un bon fonds. Ce qui a été dit ailleurs à ce sujet me dispensera d’entrer dans de nouveaux détails. J’ajouterai cependant que, pour les fourrages à racines fortes et pivotantes, tels que la luzerne, le sainfoin, etc., il faut de toute nécessité une couche labourable plus épaisse que pour des graminées à racines minces et traçantes, et je rappellerai, comme fait d’une importance toute spéciale dans le sujet qui nous occupe, que, tandis que les labours profonds conservent la fraîcheur pendant l’été, et facilitent l’absorption des eaux surabondantes pendant l’hiver, les labours superficiels exposent les plantes à périr par suite des sécheresses de la première de ces saisons et de l’humidité froide de la seconde.

On a recommandé avec raison d’éviter de semer sur un labour trop récent, surtout s’il a ramené à la surface quelques fragmens du sous-sol, et lorsque la terre est encore creuse et soulevée, auquel cas on courrait le risque de perdre une partie des graines, principalement lorsqu’elles sont fines. — Lorsque le guéret n’est pas assez rassis, pour obvier à cet inconvénient on a recours tantôt au plombage à l’aide de rouleaux d’un poids proportionné à la légèreté du sol ; — tantôt à la herse renversée et chargée plus ou moins de pierres, ou conduite de manière que les dents, au lieu d’être inclinées en avant, le scient en arrière ; — tantôt, enfin, au piétement des animaux, ce qui donne, en pareil cas, au parcage un double but d’utilité.

En général, lorsqu’on est dans l’obligation de donner plusieurs labours, le premier seul doit être profond, les autres n’ayant d’autre but que d’ameublir et de niveler convenablement la couche supérieure du sol, et d’enterrer les engrais, si l’on a cru nécessaire de fumer directement pour le pâturage. — En Angleterre, on regarde comme d’un très-grand avantage, indépendamment de la fumure enterrée, de répandre sur le guéret tout prêt à recevoir la semence un engrais ou un compost pulvérulent destiné à être recouvert en même temps que la semence par un seul hersage. Cette pratique est excellente, surtout dans le cas où l’herbage succède à d’autres cultures qui ont absorbé une grande partie de l’engrais. Dans l’ouest de la France, j’ai vu semer ainsi des prairies sur un mélange de terre végétale, de chaux ou de cendres lessivées et de fumier d’étable, le tout répandu à la volée à la surface du sol, en des proportions que je regrette de n’avoir pas notées, mais qui me parurent peu considérables. Les résultats furent admirables. Je ne doute pas que le noir de raffineries ou le noir animalisé ne produisît, de la même manière, des effets tout aussi marqués. « N’établissez en prairies, disait Pictet, que la quantité de terrain que vous pouvez amplement fumer et convenablement sarcler pendant le temps que vos plantages (les cultures préparatoires) l’occuperont ; vos prairies seront ainsi bien établies et à bon marché. »

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§ iii. — De l’époque des semis et de la manière de les effectuer.

Est-il plus profitable de semer les herbages en automne ou au printemps ? Il n’y aurait jamais eu d’aussi vives controverses sur cette question, si l’on s’était donné là peine de chercher à la résoudre selon les lieux et les circonstances, au lieu de le faire d’une manière absolue. — Toutes les fois que les semis d’automne peuvent réussir, ils sont préférables à ceux de printemps, par la raison qu’ils donnent généralement des produits ou plus abondans ou plus prompts ; — plus abondans, lorsqu’on cultive une plante, même annuelle, qu’on a intérêt à voir se développer et taller beaucoup, comme celles de nos céréales qui sont utilisées accidentellement pour coupage ; — plus prompts, quand il s’agit de plantes vivaces, attendu que les plus précoces d’entre elles ne montent qu’incomplètement à graines la première année, si leurs racines n’ont déjà pris possession du sol avant l’hiver, et si leur touffe ne s’est en grande partie développée avant l’époque des chaleurs. — Pour toutes les herbes qui ne redoutent pas, dans un climat quelconque, les froids de la mauvaise saison ; — sur tous les sols qui ne retiennent pas assez l’eau des pluies automnales pour faire pourrir les graines, et dans tous les cas où les dispositions d’assolement s’y prêtent, je pose donc en fait que les semis de septembre doivent être préférés a ceux de mars. Il est à peine besoin d’ajouter que cette convenance se fait remarquer, plus impérieuse que partout ailleurs, dans les pays chauds et sur les terres légères, élevées et arides, où l’on a surtout à redouter les effets de la sécheresse printanière. Mais dans les circonstances contraires, c’est-à-dire, là où l’on a moins à craindre le manque de pluies que leur surabondance et la rigueur des gelées, principalement dans les sols argileux et les localités basses, il est avantageux de différer l’ensemencement jusqu’au printemps, car en retardant la jouissance on la rend plus assurée.

L’époque des semis est aussi subordonnée à la précocité de la culture qui les précède ; ainsi, après une récolte hâtive ou une prairie artificielle fauchée aux approches de juillet, on trouvera le temps de préparer convenablement la terre à un ensemencement d’automne, tandis qu’après d’autres cultures plus tardives, il en sera le plus souvent autrement. — Pour semer sur une céréale, il faut de toute nécessité choisir le printemps, dans la crainte que les graminées fourragères ne dominent les blés ou ne les affament, ce qui ne peut avoir lieu avec cette précaution, parce qu’elles ne prennent leur plus fort développement qu’après la moisson.

Dans les climats favorisés par des pluies estivales, il peut y avoir parfois de l’avantage à devancer le mois de septembre. On cite en Angleterre des semis du milieu et de la fin de juin qui ont parfaitement réussi, et Ch. Pictet, qui habitait Genève, recommande de ne pas dépasser les premiers jours d’août ; dans la plupart de nos départemens, le succès qu’on pourrait se promettre de l’observation rigoureuse de tels préceptes serait extrêmement casuel.

On sème toutes les plantes herbagères des pâturages à la volée, eu une seule fois, lorsque les graines sont à peu près de même grosseur ; — en deux fois, lorsqu’il en est autrement. Sitôt que la surface du terrain a été convenablement préparée, on répand, après les avoir préalablement mêlées ensemble, les semences les plus volumineuses ; puis on les recouvre immédiatement par un hersage d’autant plus énergique qu’on croit utile de les enfoncer plus profondément. — On mêle également ensuite, et on sème sur ce hersage les semences les plus fines, que l’on enterre par un hersage plus léger, ou même par un simple roulage, selon que l’état de la terre et l’espèce de la graine l’exigent. Quand on sème au printemps sur un froment d’automne, il est des cultivateurs qui se bornent à répandre la semence sans aucune préparation du sol et sans la recouvrir, dans la crainte presque toujours mal fondée de nuire à la récolte du grain. — D’autres, mieux instruits par l’expérience, hersent d’abord le blé sans s’inquiéter de briser une partie de ses feuilles (voy. l’art. Froment), sèment ensuite, et recouvrent en passant une seconde fois une herse plus légère. Cette méthode, sur les terres tenaces et encroûtées, est sans nul doute la meilleure. — Sur les terrains légers, les hersages pourraient avoir des inconvéniens si l’on ne modérait beaucoup leur énergie. En pareil cas, à la deuxième de ces opérations, ou substitue avantageusement un roulage.

Quant à la quantité de graines à employer sur des espaces donnés, elle est extrêmement variable d’espèces à espèces. Je l’indiquerai approximativement en parlant de chacune en particulier, en faisant observer toutefois, avec M. Vilmorin, qu’un point semblable ne peut être déterminé exactement, attendu que non seulement une livre de la même semence peut contenir un nombre très-différent de germes, suivant le terrain où elle aura été récoltée et la température de l’année ; mais, de plus, qu’il est nécessaire, selon les circonstances diverses, de semer plus ou moins épais ; — un mauvais terrain demande plus de semence qu’un bon ; — sur une terre médiocrement préparée ; — par un temps sec et défavorable ; — dans une situation exposée à des gelées tardives ; — sous toutes les conditions, enfin, défavorables à un semis, il faut le faire plus épais que si le sol et la saison le favorisent.

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§ iv. — Des autres modes de formation des herbages.

Parmi les pratiques autres que les semis, dont quelques cultivateurs anglais se sont récemment avisés, il en est une, a mon gré, beaucoup plus singulière que profitable, dont je dois cependant dire quelques mots : c’est la transplantation par plaques. Ces plaques, enlevées sur des terres bien gazonnées, sont transportées sur d’autres terres destinées à être converties en pâturages permanens, et placés à 6 pouces les unes des autres, de sorte qu’on estime que la dépouille d’un acre peut servir à en planter 9. — Si le champ dont on enlève la surface doit rentrer dans la rotation des plantes économiques, on le dénude en entier, excellente méthode pour détruire en un instant tous les bons effets de l’herbage sur les cultures suivantes ; s’il doit rester en pâturage, la charrue à écobuer, en découpant parallèlement des bandes longitudinales de 6 po. de large, laisse intactes d’autres bandes enherbées de 3 po. ; puis, lorsque les premières ont été enlevées, elle recommence un travail analogue, perpendiculairement au premier, de manière qu’il reste sur toute la pièce de petits monticules d’herbe de 3 po. carrés, séparés les uns des autres par des sentiers ou espaces vides de 6 po. ; après quoi on donne au champ ainsi maltraité une copieuse fumure, ou on le recouvre d’un abondant compost, dont une bonne terre végétale fait la plus grande partie. — Quant à la transplantation sur le second champ, elle n exige d’autres précautions que la promptitude et le soin de bien affermir les plaques dans le sol, pour défendre les racines contre les vicissitudes des saisons. — Aucun animal ne doit être ensuite introduit sur le nouveau pâturage, qu’après la maturité et la dispersion des graines. — On estime que les seuls frais de découpage et de transplantation du gazon pour un acre (40 ares) s’élèvent à 2 liv. 9 s. 6 den. (59 fr. 40 c.) — Si l’on ajoute à cela la récolte perdue sur le terrain totalement ou partiellement dépouillé ; — le tort qu’on lui fait pour les années suivantes ; — les frais de fumure ; — l’impossibilité d’utiliser avant la seconde année les produits du terrain planté, et si l’on compare toutes ces dépenses et non-recettes aux frais et résultats d’un semis fait avec discernement, je doute fort que l’avantage ne reste pas tout entier à ce dernier mode, et je suis par conséquent convaincu qu’une semblable méthode, si elle est parfois utile, ne peut l’être que dans des cas fort exceptionnels.

Mais il existe un autre moyen de transplantation, parfois même de marcottage ou de bouturage, qui, pour n’être pas d’un emploi très-étendu, n’en est pas moins assez souvent d’une utilité réelle. Les Anglais l’emploient à peu près exclusivement, je crois, pour la propagation du fiorin (Agrostis stolonifera), l’une des plantes fourragères dont ils font le plus de cas, et les personnes qui l’ont, depuis quelques années, essayé en France, à ma connaissance, soit pour les plantes qui, comme l’agrostis d’Amérique, croissent lentement de graines et tallent beaucoup, soit pour celles qui, comme l’herbe de Guinée (Panicum altissimum) ne donnent pas encore une grande quantité de bonnes semences dans nos régions, ont eu lieu d’en être satisfaites. — Ce moyen consiste, tantôt à ouvrir à des distances proportionnées au développement futur des touffes, de petites rigoles peu profondes au fond desquelles on étend les tiges déjà en partie enracinées, ou même sans racines, des plantes traçantes ; de manière que leurs extrémités se touchent, puis à couvrir à l’aide du râteau, et à rouler la surface du sol ; — tantôt à faire un semis en petit à bonne exposition, lorsque les dernières gelées ne sont plus à craindre, et à mettre le plant en place, au cordeau et au plantoir, dès qui’il est assez fort pour supporter cette opération ; — tantôt enfin, dans la crainte que la lenteur du premier accroissement de la plante ne compromette le succès du semis, à moins de sarclages et de binages trop répétés, à la cultiver d’abord plus ou moins clair dans un jardin, et à la diviser ensuite par éclats, lorsque l’état des touffes le permet, pour repiquer en définitive comme précédemment. Je répète que ces diverses méthodes sont rarement employées. Je crois donc suffisantes les indications que je viens de donner.
ve sujet. — Des soins d’entretien des herbages en général, et des pâturages en particulier.
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§ ier. — De la destruction des herbes et des animaux nuisibles.

Les plantes inutiles ou nuisibles aux troupeaux abondent dans une foule d’herbages. Il est d’une telle importance pour le cultivateur de connaître au moins les principales d’entre elles, que j’entrerais immédiatement dans d’assez longs détails à ce sujet, si, d’après l’ordre adopté dans cet ouvrage, je ne devais renvoyer le lecteur au dernier chapitre de ce livre ; me bornant ici à quelques généralités qui perdront malheureusement de leur intérêt par suite de leur isolement.

Parmi les plantes considérées comme nuisibles, il en est qui sont réellement telles par suite de leurs propriétés délétères ; — d’autres, parce qu’elles communiquent à certains produits des animaux, au laitage et au beurre, par exemple, une saveur désagréable, ou encore parce qu’elles rendent plus difficile la transformation de ces mêmes produits ; — d’autres seulement, parce que les bestiaux ne les mangent pas ou les mangent avec répugnance, et qu’elles donnent par conséquent des foins rejetés ou de très-peu de valeur, quoiqu’elles occupent la place de bonnes plantes. — Il est aussi des herbes fort bonnes dans les pâturages, et qui deviennent nuisibles dans les prairies à cause de leur peu d’élévation, qui les soustrait en grande partie à la faulx.

Nous verrons que c’est surtout dans les lieux bas et humides que se multiplient le plus abondamment les mauvaises herbes. Là, le meilleur moyen de les détruire, au moins en grande partie, c’est de changer la nature même du terrain, en facilitant l’écoulement des eaux stagnantes qui le couvrent ou le pénètrent pendant une partie de l’année. Par ce moyen, on fera promptement disparaître toutes les espèces des marais.

Si, lorsque le sol est convenablement égoutté, il conservait encore quelques restes de sa disposition tourbeuse ; s’il était encore aigre, comme le disent si justement les habitans des campagnes, les amendemens calcaires et alcalins, tels que la chaux, les cendres de bois, de tourbe, les cendres pyriteuses, etc., achèveraient indubitablement de le bonifier.

En des positions analogues, il a aussi été reconnu qu’un des meilleurs et des plus simples moyens de détruire une grande partie des mauvaises herbes, c’était de les faire pâturer au printemps aussitôt que l’état du sol le permet. La plupart des herbivores broutent sans inconvénient ces plantes lorsqu’elles sont jeunes encore, et beaucoup ne repoussent plus que faiblement, tandis que les bonnes graminées, par suite de leur disposition à taller d’autant plus qu’elles sont plus fréquemment coupées, s’emparent du terrain, et, si les circonstances défavorables qui les en avaient précédemment exclues ne se représentent pas, elles s’y maintiennent par la suite sans souffrir de concurrence. — J’ajouterai que les engrais d’origine animale paraissent plus nuisibles qu’utiles aux plantes marécageuses. Est-ce par suite d’une action délétère sur celles-ci, ou seulement parce qu’elles augmentent davantage la force végétative des gramens et des légumineuses, et les mettent ainsi à même de dominer dans le pâturage ? Toujours est-il, quelle qu’en soit la cause, que, dans le cas dont il s’agit, les déjections que les animaux laissent sur le terrain semblent concourir pour quelque chose au but qu’on veut atteindre.

Il est des plantes dont on doit se débarrasser en les arrachant a la pioche ou à l’échardonnoir. Cependant, si cette méthode est la plus sûre, elle est aussi la plus longue et la plus coûteuse, et elle n’est même pas applicable à toutes les espèces, puisqu’on en rencontre, telles que la fougère, dont les racines étendent leurs réseaux jusqu’au sous-sol, à quelque profondeur qu’il se trouve. D’ailleurs, lorsque ces plantes sont très-nombreuses, et que leurs touffes offrent peu de volume, telles que les orties, par exemple, l’arrachage est impossible[3]. Il faut alors, non seulement se bien donner de garde de les laisser grainer, mais encore les faucher, s’il est possible, jusqu’à 4 et 5 fois dans le cours de l’année, surtout à l’époque des chaleurs. Rarement elles résistent longtemps à une pareille mutilation.

Pour ajouter aux effets d’un fauchage persévérant et répété, ou plutôt pour rendre mutile sa prolongation, on a proposé dans de vieux livres une recette que quelques faits postérieurs semblent justifier. C’est, après avoir coupé rez-terre la tige de la plante qu’on veut détruire, de la fendre un peu et d’introduire à la place de la moelle une certaine quantité de sel marin. Dans une lettre toute récente, écrite par M. Trochu, qui a rendu d’immenses services à l’agriculture de Belle-Isle-en-Mer, à M. le duc Decazes, on voit que ce moyen, tout empirique qu’il paraisse, lui a fort bien réussi pour la destruction des ronces, et, je crois, des fougères.

La destruction des mousses s’opère au moyen de hersages ou de ratissages plus ou moins multipliés, et dont l’énergie doit être proportionnée à la ténacité du sol. Ces opérations produisent d’ailleurs d’excellens effets sur les pâturages, en les ouvrant au influences atmosphériques et en préparant l’émission de nouvelles racines. C’est à leur aide que l’emploi des composts et des simples amendemens acquiert véritablement toute son efficacité. Il n’est pas sans exemple que sur un herbage ainsi gratté, une simple couche de sable (voy. le § 4) ait empêché pour long-temps le retour des mousses et sensiblement favorisé la végétation des bonnes plantes.

Cependant il peut arriver encore que tous ces moyens soient insuffisans. On doit alors en conclure que l’herbage est en entier à renouveler, et, pour cela, toutes les fois que la position le permet, il faut pendant quelques années le remplacer par des cultures économiques. Je ne reviendrai pas ici sur ce sujet important, que j’ai taché de développer page 458 et suivantes.

Au nombre des animaux les plus nuisibles aux prairies, il faut compter la taupe, parfois le mulot, le hanneton, la courtilière, la fourmi et le criquet ou plus vulgairement la sauterelle. Il en sera également parlé dans un chapitre particulier de cet ouvrage. Malheureusement, les zoologistes n’ont point encore assez cherché à appliquer leurs études aux progrès de l’art agricole. On connait fort imparfaitement la manière de vivre de beaucoup d’animaux destructeurs de la végétation, et, plus malheureusement encore, en apprenant à la connaître, on est souvent bien loin de trouver les moyens de les détruire. Qui ne déplore maintenant l’effrayante multiplication des hannetons dans la plupart de nos contrées, et qui pourrait dire que, pendant les trois années que sa larve destructrice passe dans la terre, il a trouvé un moyen praticable d’arrêter ses ravages ? Qui pourrait se flatter d’avoir mis à la disposition de tous les cultivateurs un moyen efficace et complet de détruire la terrible alucite des grains, le charançon même, et d’éloigner sans retour de nos guérets ces bandes nomades de mulots ou ces nuées de sauterelles qui ne redoutent, en masse, d’autres ennemis que les intempéries des saisons ?

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§ ii. — De l’épierrement, de l’étaupinage et de l’affermissement du sol.

Les pierres, qui ont, dans les prairies, le très-grave inconvénient d’entraver la fauchaison, et d’ajouter beaucoup, non seulement aux frais d’acquisition et d’entretien des faulx, mais encore au temps qu’on est obligé de passer à les aiguiser, ne sont pas aussi nuisibles sur les pâturages. Là, à la vérité, lorsqu’elles ont un certain volume, elles occupent une place précieuse, et il est par conséquent presque toujours avantageux de les enlever ; cependant, eu certains cas, elles rendent le service d’opposer un obstacle permanent à l’évaporation produite par l’action des rayons solaires, Ceux qui ont parcouru la vaste plaine de la Crau ont pu acquérir à chaque pas une preuve remarquable de cette vérité ; car c’est autour des galets qui la couvrent en grande partie, et que les moutons roulent devant eux en les repoussant du nez, que croissent les herbes les plus fines, les plus fraîches et les plus recherchées de ces animaux. Il ne serait donc pas impossible qu’en des localités particulièrement arides, on dût éviter d’épierrer trop rigoureusement. Quelques-uns de nos lecteurs ont lu sans doute l’histoire des choux monstrueux que Duhamel obtint sur un terrain presque couvert de dalles de couleur blanche. Il serait facile d’ajouter à cet exemple plus d’un fait analogue pour prouver, si c’était ici le lieu, combien un corps aussi peu conducteur de la chaleur que la plupart des pierres, interposé entre l’atmosphère et la terre, peut conserver de fraîcheur à cette dernière ; mais nous n’en arriverions pas moins à cette conclusion, que l’épierrement des herbages est généralement utile.

Quant à l’étaupinage, c’est une opération aussi importante que facile et bien connue. Les baux en imposent l’obligation aux fermiers ; ce serait de la part de ceux-ci une négligence impardonnable de ne pas s’en occuper chaque année, au printemps, lorsque les herbes ne commencent pas encore à monter, avec un soin d’autant plus minutieux qu’il s’agit d’herbages fauchables ; car, dans ce cas surtout, il y va de leur intérêt autant que de celui du propriétaire. La méthode la plus ordinaire est de répandre la terre des monticules, à l’aide de la pelle ou de la bêche, par un mouvement des bras analogue à celui que l’on fait en répandant les engrais, de manière à ne pas amonceler la terre plus en un endroit que dans l’autre. Ce travail, loin d’être dommageable, est au contraire utile aux herbes environnantes, qui se trouvent recevoir ainsi une sorte d’amendement en couverture, ou, en adoptant l’expression difficile à traduire de nos voisins, un véritable top-dressing. — Quand le nombre des taupinières est considérable, pour les détruire, on substitue la herse aux instrumens à main. Cette méthode procure une grande économie de travail et de temps. Elle ne donne pas des résultats aussi réguliers, mais elle n’en a pas moins aussi ses avantages. Ainsi, sur les vieux herbages, elle contribue à détruire les mousses, et elle produit un binage toujours fort utile en pareil cas. J’ai vu des pâturages très-détériorés qu’un simple hersage énergique donné en long et en travers a pu améliorer sensiblement pour plusieurs années.

D’un autre côté, il pourrait arriver que les plantes nouvellement enracinées fussent fortement endommagées par une semblable pratique, et que le sol, déjà trop soulevé par l’action des gelées, loin de demander à être remué de nouveau, se trouvât au contraire fort bien d’être affermi autour des racines. Ce cas se présente fréquemment sur les terres légères, calcaires ou tourbeuses sujettes au déchaussement. Là, l’étaupinage, s’il y a lieu, se fera à la bêche, à la herse renversée ou à la rabattoire (voy. pag. 386), et le plus souvent il devra encore être suivi d’un roulage. — C’est au printemps et en automne, lorsque la terre n’est ni assez sèche pour rendre le travail difficile ou inefficace, ni assez humide pour être gâcheuse, qu’il convient d’entreprendre ces utiles opérations. Elles sont surtout nécessaires au printemps pour remédier aux effets de l’hiver.

Afin de réunir, à l’aide d’un seul instrument, les avantages du nivellement du sol et de son affermissement, on a inventé et on utilise depuis longtemps en Normandie une machine connue sous le nom de coupe-taupe, dont je donne ici le dessin (fig. 643) de profil en A, de face en B et sur son plan en C. — Elle se compose : 1o de deux soles a et b, fig. C, de 14 à 17 centimètres d’équarissage sur 2 mètres de longueur ; 2o de trois traverses c, d, e, de même grosseur que les soles et assemblées avec elles à tenons et mortaises : cet assemblage est établi de manière que la herse présente la forme d’un trapèze de 2 mètres environ de longueur sur un mètre 83 cent. de largeur à sa partie postérieure ; 3o de deux entretoises g, f, de 9 à 12 centim. de grosseur, chevillées sur les 3 traverses, à deux chevilles chacune ; 4o d’une lame de fer ou couteau h, i, k, l, de 12 millimètres d’épaisseur au talon, amincie à son tranchant, et d’un mètre 83 centim. Les deux extrémités h, i et k, l de ce couteau sont saillantes de 22 cent. de chaque côté, et recourbées en dessus d’environ 12 millim. de hauteur. Il est solidement fixé sur le devant de l’instrument et dans sa partie inférieure : savoir, aux deux soles a et b par deux écrous, et à la 1re traverse e par une lame de fer recourbée à cet effet et contenue par des écrous ; 5o de deux crochets q et r, pour attacher les chevaux. « Cet instrument, dit de Perthuis, " dont l’inventeur n’est pas connu, devrait être adopté par tous les propriétaires de grands herbages. Nous l’avons fait exécuter nous-mêmes, et nous en avons reconnu l’avantage et les excellens effets. »

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§ iii. — Du dessèchement et des irrigations.

Il y a beaucoup encore à apprendre sur la manière dont l’eau agit dans l’acte de la végétation, soit par elle-même, à son état de pureté, soit comme dissolvant de substances nutritives ou délétères contenues dans le sol, et combinées à une quantité plus ou moins considérable de ces substances ; soit enfin par suite de la présence et du dépôt à la surface du sol, des matières favorables ou défavorables qu’elle tient en suspension. De là résultent assez souvent, aux yeux des théoriciens, des doutes qui ne manquent pas de gravité, sur le choix des eaux les plus favorables aux irrigations. Il est vrai que toutes n’agissent pas exactement de la même manière et ne produisent pas au même degré les mêmes effets ; mais, en définitive, à l’exception de celles qui sont surchargées de certains sels minéraux nuisibles, heureusement peu abondans dans la nature, ou de sels terreux qui obstruent les spongioles des racines (auquel cas la pratique est bien vite éclairée par l’observation la plus superficielle des faits), toutes activent puissamment la croissance des herbes, de sorte qu’en définitive, il est bien plus utile de savoir utiliser, quelles qu’elles soient, celles dont on peut disposer selon chaque localité, que de chercher péniblement à reconnaître leur supériorité ou leur infériorité sur d’autres eaux qu’on n’a pas à sa proximité. Mais deux effets généraux, à peu près indépendans des qualités relatives des eaux qui les produisent, et qui ont dû depuis longtemps fixer sérieusement l’attention des herbagers, c’est, d’une part, le succès frappant des arrosemens de toutes sortes, à l’aide d’eaux courantes ou rendues telles au moment où on les emploie, de façon qu’elles ne séjournent pas ou ne séjournent que peu de temps à la surface du sol, et, de l’autre, les résultats tout contraires que donnent les eaux stagnantes. Là où elles se conservent, les plantes médiocres ou mauvaises remplacent bientôt les bonnes, et non seulement le fourrage qu’elles procurent ne plaît nullement aux bestiaux, mais, qui plus est, dans beaucoup de cas, il est évidemment nuisible à leur santé. De là le besoin d’assainir les terrains marécageux plus impérieux encore que celui d’arroser les autres.

Les fâcheux effets de la permanence des eaux se font surtout sentir, dans le voisinage des rivières dont le cours est peu rapide, sur les terrains longtemps submergés et sans écoulement possible pendant la belle saison. En pareil cas, les améliorations sont difficiles ; car, si l’on a recours à un endiguage général, il faut se décider à sacrifier une partie du terrain pour exhausser l’autre, c’est-à-dire qu’il faut creuser des fossés d’autant plus rapprochés et plus profonds que l’on a besoin d’élever davantage les chaussées intermédiaires. Or, cette opération peut être souvent tellement dispendieuse par rapport aux résultats qu’on est en droit d’en attendre, qu’elle effraie à juste titre celui qui ne voit dans l’agriculture qu’un placement utile de ses fonds, et qui ne spécule pas seulement pour les générations futures. Avant donc de l’entreprendre, il faut se rendre un compte exact de la hauteur à laquelle on devra élever le niveau du sol pour le soustraire aux eaux stagnantes ; — de la profondeur que l’on pourra donner aux fosses selon la nature du terrain, puisque, plus cette profondeur peut être grande, plus on obtiendra de matériaux de remblais, et moins on sacrifiera d’espace ; — et enfin de la distance à laquelle ces fossés devront être les uns des autres, tout calcul fait de leur profondeur et de leur largeur.

Pour le dessèchement des terres labourables, on évite autant que possible les fossés ou les tranchées ouvertes, parce que, d’une part, ces sortes d’excavations prennent beaucoup de place, et que, de l’autre, elles entravent les travaux de la charrue. Sur les herbages, et particulièrement les pâturages, le second inconvénient n’existe plus, et le premier est presque toujours compensé par l’avantage que présentent les clôtures (voy. le § 6).

Lorsque le terrain à dessécher a une pente suffisante, et lorsque, dans des circonstances différentes, il est au moins plus élevé que le niveau des eaux environnantes, le dessèchement est ordinairement plus facile. Je ne fais que rappeler ici qu’on doit recourir, dans le premier cas, à des rigoles d’écoulement habilement dirigées ; dans le second, à des puisards ou puits perdus (voy. p. 136 et suiv.).

Quant aux irrigations, elles peuvent avoir lieu, comme on l’a vu, par submersion, par infiltration, et quelquefois par suite du rejaillissement des eaux. Le premier et le troisième moyens ne sont applicables que dans un certain nombre de localités privilégiées ; le second l’est, du plus au moins, à peu près partout ; car, à défaut de cours d’eau naturels, on peut en créer, au moins momentanément, d’artificiels. J’ai souvent été surpris de voir combien peu on ménageait les eaux des pluies sur une foule de terrains en pente, que les orages sillonnent en tous sens, sans que l’humidité ait le temps de pénétrer à une profondeur assez grande pour s’y conserver au profit de la végétation, ou, en adoptant l’expression énergique des habitans de nos campagnes, pour en fondre la couche végétale jusqu’au sous-sol. — Dans les Vosges, on ne perd pas une goutte du précieux liquide. Voici comment M. le baron Roguet rend succinctement compte de la manière dont on s’y prend sur les montagnes d’une pente rapide : « On construit successivement, à partir du plus haut du terrain, des rigoles parallèles, d’autant plus rapprochées les unes des autres, et d’autant moins inclinées que le sol est plus escarpé. Quelquefois même, un bourrelet de terre, en contrebas de chaque rigole, offre un meilleur obstacle aux eaux qui, retenues de gradins en gradins, s’écoulent lentement sans écrêter le sol, de manière qu’on puisse arroser autant de fois et aussi longtemps qu’il est nécessaire. — Les rigoles dont il est question sont à la fois rigoles d’arrosage et de dessèchement. Ou leur donne habituellement un fer de bêche de large et de prolondeur. »

Sur les terrains plats et humides, on dirige les rigoles non plus perpendiculairement, mais parallèlement ou obliquement a la pente ; enfin, les terrains de pente moyenne exigent concurremment l’emploi des procédés de dessèchement et d’arrosage utilisés sur les pentes escarpées et sur les terrains plats. Lorsque ces terrains sont situés de manière qu’on puisse les faire profiter des eaux produites accidentellement sur une partie du plateau supérieur, et qui s’écoulent presque toujours en pure perte par les chemins qu’elles creusent et dégradent, les résultats sont tels qu’on doit faire des vœux pour qu’ils soient appréciés partout comme ils le sont dans le pays que je viens de citer. « Là, ajoute M.  Roguet, un canal supérieur, n’ayant qu’une très-légère inclinaison, retient les eaux des parties les plus élevées ; des rigoles de dessèchement, tracées en guise de ruisseaux secondaires le long des parties creuses du sol jusqu’au ruisseau au fond de la vallée, déchargent dans celui-ci, pendant les temps humides, l’excédant du canal-réservoir ; des maîtresses rigoles creusées le long des arêtes du terrain, et communiquant avec les rigoles de dessèchement par des rigoles d’arrosage, très-légèrement inclinées, permettent, pendant les sécheresses, de faire successivement séjourner aussi longtemps qu’il est nécessaire, les eaux tirées du canal-réservoir sur les zones de la partie à arroser. Cette opération n’exige d’autre manœuvre que celle de fermer avec une pierre les rigoles maîtresses (celles d’écoulement l’étant à leur origine), immédiatement au-dessous de la rigole d’arrosage que l’on veut remplir pour humecter la petite bande de terrain inférieure et juxtaposée. » — Les rigoles maîtresses ont 1 pied d’ouverture, plus ou moins, suivant l’abondance des sources ; leur nombre et leur tracé sont, comme on le conçoit, fixés par la configuration du sol.

Dans beaucoup de lieux, et cette pratique devrait être encore plus générale, les cultivateurs industrieux ont bien soin d’attirer vers leurs pâturages ou leurs prairies les eaux surabondantes des pluies. Ils les reçoivent en masses souvent assez considérables, dans des mares ou bassins creusés partout où se dirige la pente du terrain. Lorsque cela se peut, ils les retiennent à la partie supérieure des prés, par des barrages peu dispendieux, et celle excellente méthode, qui leur permet parfois d’activer, après la fauchaison, la végétation des regains, les met encore à même, lors du curage qui suit l’écoulement, d’amasser, pour la réunir l’année suivante aux composts, une bonne quantité de terre riche en parties nutritives, et toujours très-propre à cette destination.

De tous les pâturages, les plus mauvais sont ceux qui reposent à peu de profondeur sur un sous-sol imperméable, qui restent sous les eaux pendant une partie de l’année, et qui se dessèchent rapidentent pendant l’autre partie, au point de perdre toute fraîcheur. Dans une semblable situation, on ne trouve d’autre moyen d’amélioration que d’ajouter à la profondeur de la couche végétale ; — il est assez curieux que les irrigations en offrent parfois un moyen facile, soit que l’on ne cherche à obtenir chaque année qu’une mince couche limoneuse qui recouvre l’herbe sans la détruire, soit qu’on ait recours dans son entier à la méthode, beaucoup plus connue en Italie qu’en France, sous le nom de colmates (voy. pages 122 et suivantes de ce volume).

Lorsque les eaux d’irrigation sont vaseuses, à moins qu’on ne les emploie par submersion avant que l’herbe ait commencé à s’élever, on ne peut plus s’en servir que par infiltration. Ce dernier mode a donc sur l’autre l’avantage de pouvoir être appliqué pendant tout le temps de la végétation, sauf celui où la maturation des foins s’effectue ; encore cette considération n’est-elle relative qu’aux prairies, et nullement aux pâturages. — Du reste, il n’est pas indifférent de régler de telle manière ou de telle autre l’époque et la durée des arrosemens sur les herbages. — En général, ceux d’automne et du commencement de l’hiver sont fort utiles, parce qu’ils apportent sur le sol une couche limoneuse fécondante ; ceux de printemps et surtout d’été activent puissamment la végétation, mais il faut dans bien des circonstances savoir en user modérément. Voici comment un praticien anglais, dont M. de Dombasle a cru devoir reproduire en grande partie le travail dans la 6e livraison de ses Annales, développe la méthode d’irrigation qu’il a adoptée et pratiquée avec un succès suivi sur divers points du pays qu’il habite.

« Au commencement d’octobre, dit M. Stephens, on doit nettoyer et mettre en état toutes les raies d’arrosage et de dessèchement ; on doit réparer les bords des canaux lorsqu’ils ont été endommagés par le piétinement des bestiaux. Après cela, l’eau étant généralement abondante à cette époque de l’année, l’irrigation doit commencer ; le premier travail de l’irrigateur consiste à détourner l’eau dans le canal de conduite, la rigole principale, ou, si l’herbage est divisé en plusieurs parties distinctes, il faut distribuer convenablement l’eau dans chaque canal de conduite ; alors on commence à placer les barrages temporaires dans la première raie d’irrigation, et on y laisse entrer l’eau de la maîtresse rigole, en augmentant l’ouverture jusqu’à ce que l’eau reflue sur chaque bord, d’une manière uniforme et en quantité suffisante, d’une extrémité à l’autre de la raie, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’eau soit lâchée dans toutes. L’irrigateur doit faire sa ronde pour examiner si l’eau coule bien également sur toute la surface de la prairie ; il détruira les obstacles qui pourraient en gêner le cours, et fera en sorte que partout le gazon soit recouvert d’un pouce d’eau. Lorsque tout est dans l’ordre voulu, on doit laisser couler les eaux pendant les mois d’octobre, novembre, décembre et janvier par périodes de 15 à 20 jours consécutifs. Entre chaque période on doit laisser le sol se ressuyer complètement en retirant les eaux pendant 5 et 6 jours, afin de donner de l’air au gazon ; car il est peu d’herbes parmi celles des diverses espèces, que l’on trouve dans les prairies arrosées qui puissent résister à une immersion totale plus longtemps prolongée. En outre, si la gelée devient forte et si l’eau commence à se congeler, il est urgent de la retirer, de suspendre l’irrigation, sans quoi toute la surface du sol ne formerait qu’une nappe de glace ; or, partout où la glace s’empare du sol, elle finit par le soulever, au grand préjudice des plantes qui se trouvent alors déchaussées. — Tous ces préparatifs d’automne ont pour but de faire profiter l’herbage des ondées qui ont lieu à cette époque de l’année et qui entraînent avec elles une grande quantité de débris animaux et végétaux très-propres à enrichir et fertiliser le sol… — En février, il faut que l’irrigateur surveille l’arrosage, encore de plus près, parce qu’à cette époque, l’herbe commence à végéter de nouveau ; en conséquence, si, lorsque la température s’est radoucie, on laisse trop longtemps l’eau couler sans interruption sur la prairie, il s’y forme une écume blanchâtre extrêmement nuisible à la jeune herbe. On a également à craindre la gelée à cette époque, car si les eaux ont été détournées de dessus le pré, trop tard dans la soirée, pour que la surface ait pu se bien ressuyer avant le moment du gel, les plantes alors très-tendres en souffriront beaucoup. Pour prévenir le premier de ces inconvéniens, on ne doit arroser que par périodes de 6 ou 8 jours ; et, pour éviter le second, il faut toujours retirer les eaux de bonne heure dans la matinée… — Dans le mois de mars, l’irrigateur peut suivre les mêmes instructions que pour février, à moins que l’on ne se trouve dans un climat où l’herbe est déjà suffisamment élevée pour présenter une pâture assez abondante à toute espèce de bétail ; dans ce dernier cas, il faut dessécher complètement l’herbage avant d’y faire entrer les animaux… — De la fin de mars au commencement d’avril, il faut employer l’eau avec plus de réserve encore ; on ne la laisse couler que par périodes de 5 à 6 jours, et comme dès-lors la température devient de plus en plus chaude, on ne doit, jusqu’à la fin de mai, prolonger chaque arrosage que pendant 2 à 3 jours. — Vers le commencement de juin, toute irrigation doit être suspendue ; car alors l’herbe est assez haute et assez touffue pour couvrir le sol de manière à laisser au soleil peu d’action desséchante sur les racines, et parce que les eaux déposeraient sur les feuilles un sédiment terreux qui rendrait le fauchage difficile et qui détériorerait beaucoup les fourrages… — Enfin, après la fenaison de la première coupe, on conduit quelquefois de nouveau les eaux à la surface du sol pendant un jour ou deux….»

On voit que tout ceci s’applique plus aux prairies qu’aux pâturages, et surtout qu’aux pâturages ouverts aux troupeaux pendant presque toute l’aunée. Pour ceux-là, les irrigations par submersion ne sont qu’accidentellement profitables ; les irrigations par infiltration ont au contraire l’avantage de pouvoir être appliquées sans humecter assez le sol pour le rendre inabordable au gros bétail. Quant aux moutons, à moins qu’on ne les destine à la boucherie et qu’on ne veuille les engraisser promptement, il ne faut pas perdre de vue que l’arrosage d’été produit une végétation si rapide et si aqueuse qu’elle pourrait dans bien des cas leur communiquer la pourriture.

En résumé, les arrosemens sous toutes les formes, pour peu qu’ils soient convenablement dirigés, sont le principal élément de fécondité des herbages naturels ou artificiels, temporaires ou permanens. — Sous l’influence des climats méridionaux, ils peuvent sextupler leurs récoltes. Aussi un cultivateur des plus distingués du midi (M. A. de Gasparin), dans son style énergique et rapide, en parlant des prodiges du plan incliné, représentait-il la fécondité du sol, par ces quatre mots : chaleur multipliée par humidité.

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§ iv. — Des engrais et des amendemens.

C’est l’opinion de quelques agronomes, que les engrais sont plus profitablement employés sur les terres labourables que sur les herbages permanens, et que ceux qui ne peuvent s’en passer doivent être rompus. Cette opinion peut être parfois fondée, mais à coup sûr elle ne l’est pas toujours, et, loin de chercher a la généraliser, je crois qu’il faut au contraire éviter de lui donner trop de portée, attendu que l’opinion contraire, partout où elle a prévalu, est devenue la source d’importantes améliorations. En fumant les prairies, on peut bien mieux se procurer, par suite de l’augmentation de fourrages, les engrais nécessaires aux champs labourables, et, en définitive, toute la question se réduit à savoir si la valeur vénale du surplus des foins est en rapport avec les frais de fumure ; or, à bien peu d’exceptions près, la réponse ne peut être douteuse.

En traitant la question qui nous occupe actuellement, il nous importe d’abord de distinguer les pâturages des prairies, et parmi ces dernières, de faire encore la différence de celles qui sont accidentellement ou ne sont jamais pâturées. — Les pâturages reçoivent, en échange de la nourriture qu’ils procurent aux bestiaux, une partie, sinon la totalité des engrais qui en proviennent ; — les prairies, au contraire, abandonnent une ou plusieurs fois chaque année leurs produits sous la faulx, sans rien recevoir en compensation. Toutes circonstances égales, elles doivent donc avoir et elles ont, en effet, plus besoin d’être fumées que les pâturages.

Il existe, à la vérité, des prairies tellement améliorées par suite des débordemens périodiques des cours d’eau ou des irrigations limoneuses, qu’elles peuvent se passer indéfiniment de toutes fumures. Ce sont alors autant de sources de prospérité pour le pays qui les possède et des moyens que la nature accorde à leurs heureux habitans pour élever, sans effort, les produits de leur culture au-delà de tout ce que le travail le plus opiniâtre et l’industrie la mieux entendue pourraient accorder dans d’autres contrées. — Il existe aussi des herbages sur lesquels l’abondance et la qualité des eaux suppléent aux engrais ; — enfin, on en rencontre que la fertilité seule du sol défend pendant un fort long temps contre les effets de l’épuisement ; mais en général, la fécondité des prairies décroit tôt ou tard, surtout si l’on y fait habituellement deux coupes dans le cours de chaque saison. — Il faut donc les fumer ; « mais, la mesure d’engrais dont elles ont besoin peut être faible en compairaison de ce qu’elles rendent de produits conversibles en fumiers ; et tandis que, sous les assolemens de la culture des grains, les champs reproduisent en élémens d’engrais moins qu’ils n’exigent et ne consomment, les prairies qui ont été amendées, au contraire, rendent, par l’excédant de produit qu’elles donnent, après l’équivalent de ce qu’elles ont consommé, au moins le double d’engrais de ce qui leur avait été appliqué. Il n’y a donc aucun doute que la manière la plus certaine d’augmenter les engrais, c’est de les appliquer aux prairies ; par cette méthode on s’est procuré des prés, et on s’est donné la possibilité de fumer complètement les champs dans des lieux où auparavant cela était impossible. Lorsque cette vérité est si généralement reconnue par les gens de l’art, comment se fait-il que, dans la plupart des contrées, on fume si rarement les prairies ? La première avance est le plus souvent trop difficile ; car, lors même que le fumier qu’on donne aux prairies revient au tas surement et multiplié, cela ne s’effectue cependant pas dès la première année, mais seulement après le laps de six ou sept ans, puisque l’effet du fumier se prolonge durant ce temps et plus encore. C’est un capital qui, durant cet espace de temps, est triplé, quadruplé et plus encore ; mais il faut en faire l’emploi, et à beaucoup de gens cela paraît impossible à exécuter sans que leurs champs en soient appauvris. » (Thaer, Principes raisonnés d’agriculture.)

On confond généralement sous le nom d’engrais, les fumiers proprement dits et les divers amendemens ou stimulans de la végétation, qu’on emploie simultanément avec eux ou isolément pour l’amélioration des prairies. Cependant, jamais l’action différente des uns et des autres ne fut plus nettement marquée. — Les premiers agissent évidemment, en ajoutant à la puissance végétative de toutes les plantes en contact desquelles ils se trouvent ; — les derniers ne semblent profiter qu’à un certain nombre de végétaux, et contribuent bien plus à la destruction qu’au développement de la vigueur des autres. J’ai souvent été à même de faire cette remarque en étudiant comparativement les effets, sur les herbages, des composts simplement formés de terre et de fumier d’étable, et de ceux dont la chaux ou quelque autre oxide alcalin faisait partie. Je parlerai donc séparément des uns et des autres.

En Allemagne, il n’est pas sans exemple qu’on utilise sur les prairies des fumiers longs d’étable. On les répand le plus ordinairement avant l’hiver, afin que les pluies entraînent dans le sol les parties solubles qu’ils contiennent, et le printemps suivant, par un temps sec, on enlève au râteau les pailles non décomposées, pour les réunir aux autres engrais de la ferme, ou même les employer une seconde fois comme litière. — Plus communément on a recours à des fumiers consommés, parce qu’il est moins difficile de les répandre également. Lorsqu’on est à même de faire choix des espèces, il est avantageux de préférer les fumiers les moins actifs, ou, en termes vulgaires, les moins chauds, comme ceux de vache et de cochon, pour les terrains les plus exposés aux effets de la sécheresse ; — les plus chauds, tels que ceux de cheval et de mouton, au contraire pour les prés bas plus humides que secs. — Les expériences répétées aux environs de Paris par mon collaborateur Payen, prouvent que le noir animalisé produit dans tous les cas, quoiqu’a petite dose, des effets fort bons et qui paraissent plus durables que ceux du noir de raffinerie, dont l’activité n’est révoquée en doute par personne, mais que son prix élevé et son action passagère rendent moins propre cette destination qu’à beaucoup d’autres. — Dans quelques départemens du nord on emploie fréquemment la poudrette.

Tantôt on fait usage de ces engrais divers sans les mélanger à d’autres substances et à l’état sec ; tantôt, comme dans quelques parties de la Suisse, de l’Italie, de l’Allemagne, etc., on arrose les pâturages avec le jus de fumier fort étendu d’eau. Dans ce dernier pays, dit Thaer, on destine principalement à la fumure des prairies les liziers, urines ou engrais liquides qui s’écoulent immédiatement des écuries, des étables, ou en temps de pluie, des tas de fumiers et surtout des égouts des toits à porcs, que l’on recueille ordinairement en des réservoirs particuliers. Ce genre d’engrais est très-efficace. Quelquefois un ruisseau voisin ou un canal établi à cet effet, qui recueille les eaux de pluie et les conduit sur une prairie rapprochée, fournit l’occasion d’y diriger ces engrais liquides, et de les étendre sur le pré.

Dans mon opinion, le meilleur moyen d’utiliser toutes les matières fertilisantes pour la fécondation des herbages, c’est de les transformer en composts. Par ce moyen, non seulement la répartition parfaitement égale en devient plus facile, mais les diverses substances liquides et même gazeuses sont absorbées de manière qu’il ne s’en fait aucune déperdition et que toutes se trouvent d’ailleurs généralement combinées dans la masse de façon à produire des effets infiniment plus durables.

La manière la plus ordinaire de former ces composts, est de réunir sur la lisière du terrain à améliorer, les fumiers d’étable et les terres destinées à les composer ; celles qui provenaient de cultures jardinières étaient naguère et sont encore, dans quelques parties de l’ouest, prisées, pour cette destination, presque à l’égal du fumier. A. leur défaut on recherche les curures d’étangs, de fossés, de marres ; — les boues des villes et celles des chemins fréquentés ; — les déblais desséchés et convenablement mûris des localités marécageuses ; — les terres gazonneuses qu’on a pu se procurer sans inconvéniens dans le voisinage ; — enfin, faute de tout cela, la terre prise autant que possible à la partie inférieure des champs limitrophes, parce que c’est presque toujours, par suite de l’effet des pluies, la plus riche et la plus profonde. — On mélange et on remue plusieurs fois ensemble ces diverses substances pendant le cours de la belle saison, et on les répand parfois à une assez forte épaisseur, d’après des considérations qui trouveront bientôt leur place, soit dans le cours de l’automne, soit au commencement du printemps.

A. Thouin, dans son Cours de culture, rapporte qu’il a vu en Belgique, aux environs de Malines, employer les cadavres des animaux de voirie, et particulièrement ceux des chevaux, à la fertilisation des terres. Voici, selon lui, les procédés usités pour composer cet engrais trop peu connu, bien qu’il ait perdu une partie de ses avantages depuis les travaux sur la meilleure manière d’utiliser les animaux morts, de M. Payen. — On fait une fosse de 2 pieds de profondeur sur 20 pieds en carré dans un lieu sec ; un lit de mottes de gazon de bruyère, de 6 pouces d’épaisseur, est placé au fond de cette fosse. On rassemble un nombre quelconque de cadavres de chevaux qu’on coupe, chacun en plusieurs parties, après en avoir enlevé la peau. Sur le lit de bruyère du fond on étend une 1re couche de chair ainsi découpée, de manière que les morceaux de cheval soient placés à peu de distance les uns des autres ; on les recouvre d’un lit de gazon de bruyère semblable au 1er, puis de nouvelle chair, et ainsi de suite, de manière à former une espèce de couche montée carrément, et que l’on recouvre ensuite d’assez de terre du voisinage, pour que l’odeur cadavérique ne se fasse pas sentir au dehors, et que tous les gaz qui s’échappent puissent, étant retenus, se combiner avec la masse de terre. — Au bout de 6 semaines ou 2 mois, on mélange le tout, on rejette les os, et on amoncelle de nouveau cette masse dans la même forme, puis on la couvre d’une nouvelle couche de terre. Elle reste dans cet état, et, l’année suivante, on la répand sur les terres qu’on veut graisser, et auxquelles elle communique, à petite dose, une fertilité prodigieuse pendant plusieurs années.

A peu près dans la même contrée, on rencontre fréquemment dans les grandes fermes une fosse destinée à recevoir les engrais réservés spécialement pour les prairies. C’est là qu’on accumulée côté des mauvaises herbes produites par le sarclage, des débris du bûcher, des balayures de la maison, du fenil et de la cour, les résidus du battage des grains, et toutes les autres substances animales ou végétales susceptibles de fermentation. — On y joint fréquemment la poussière et les matières excrémentitielles ramassées sur les chemins, et on facilite la décomposition et le mélange du tout en arrosant de temps en temps avec du jus de fumier. Lorsque la masse entière est en état d’être utilisée, on en forme des composts avec de nouvelle terre et une faible quantité de fumiers plus riches. Le principal but de cette pratique est d’abord de ne rien laisser perdre de ce qui peut ajouter aux engrais, et ensuite de ne pas mêler à ceux qu’on réserve pour les cultures économiques des germes de plantes nuisibles.

A côté de ces mélanges de fumier et de terre il faut placer les terres mêmes sans addition immédiate d’engrais, telles qu’on peut les enlever dans des localités naturellement fécondées par suite d’une bonne culture. Il est de fait qu’elles forment à elles seules, lorsqu’on les emploie en quantité suffisante, et qu’elles sont d’une nature un peu différente de celle de l’herbage, un fort bon compost et un amendement dont les effets sont marqués et durables. Ceci me conduit à parler des divers amendemens qui conviennent aux prairies.

La seule action physique de nouvelles molécules terreuses peut produire sur les prairies, comme sur toute autre culture, des effets très-favorables. C’est ainsi qu’on peut améliorer sensiblement les herbages qui couvrent des sols argileux ou tourbeux, humides et froids, en les recouvrant à leur surface de sable maigre qui absorbe facilement la chaleur, ou qui diminue peu-à-peu leur porosité ; c’est ainsi encore que, dans le même cas, les déchets pulvérulens des houillères, et les terres bitumineuses qui remplissent les faux filons, employés avec réserve, produisent les meilleurs effets. — A plus forte raison, lorsqu’aux propriétés physiques s’en joignent de chimiques, ou, en d’autres termes, lorsque les mêmes substances agissent à la fois, à la façon des engrais, des amendemens ou des stimulans, les résultats sont très marqués. — On a parlé ailleurs des composts dans lesquels la chaux se rencontre en proportion plus ou moins grande : leur action sur les herbages est puissante. — Il est certain qu’ils contribuent non seulement à la destruction des mousses, mais de la plupart des mauvaises herbes qui surabondent surtout dans les prés bas, et qu’ils favorisent au contraire le développement et la croissance de végétaux plus utiles, parmi lesquels on a dès longtemps remarqué que dominent les légumineuses. On peut donc supposer que, malgré les différences importantes qui les caractérisent, il y a quelque analogie, sons ce rapport du moins, entre les effets de la chaux et ceux du plâtre. — Ceci doit donner lieu à de nouvelles expériences qui ne manqueront pas d’importance dans les contrées où l’on ne possède que la première de ces substances. — Mais la chaux n’agit pas seulement de cette façon, elle active la décomposition des nombreux détritus végétaux qui se trouvent sur les fonds humides. — Elle forme avec leurs élémens de nouvelles combinaisons appropriées aux besoins de la vie des plantes ; elle corrige l’acidité des terrains uligineux on tourbeux, et, dans tous ces cas, elle favorise encore la croissance des bonnes plantes ; aussi, pour moi, qui ai mille fois été à même d’apprécier ses actifs résultats, est-elle un des meilleurs, des plus prompts et des plus sûrs moyens d’amélioration des prairies basses, lorsque les végétaux nuisibles commencent à les envahir.

Les cendres lessivées, — celles de tourbes agissent, sinon de la même manière, du moins d’une manière analogue quant à ses résultats pratiques ; — les cendres pyriteuses sont aussi excellentes ; — enfin je me bornerai à rappeler ici la puissance stimulante du plâtre sur les luzernes, les trèfles, etc. — Sur les terres légères et sèches, les argiles marneuses produisent les plus heureux effets.

Dans tout ce qui précède, afin d’éviter des redites, je n’ai point parlé des quantités à employer. On trouvera à ce sujet toutes les données possibles aux chapitres 3 et 4 de ce volume. Toutefois il est bon de faire observer que les proportions doivent varier sans cesse, eu égard à diverses circonstances que chacun doit savoir apprécier par soi-même. — Bien souvent aussi le choix des amendemens ou des engrais est réglé, non en raison de leurs qualités relatives, mais d’après la facilité plus ou moins grande avec laquelle on peut se les procurer.

Les époques les plus favorables au transport et à la répartition sur le sol des substances diverses dont il vient d’être parlé sont dépendantes surtout de la position des herbages. — Il serait peu prudent de fumer avant l’hiver des prairies sujettes aux imputations, car, si les eaux débordent, elles entraîneraient en totalité ou en grande partie les sucs extractifs des engrais. La même chose aurait inévitablement lieu sur les terrains soumis aux longues irrigations d’hiver et de printemps ; mais là, le concours des engrais n’est pas nécessaire. — Sur les prairies sèches qui en ont le plus besoin, j’ai déjà dit qu’on répandait parfois les fumiers longs en automne. Cette coutume paraît avoir en Allemagne de nombreux partisans, parce que les particules de fumier entrent mieux en terre, et qu’une semblable couverture protège les plantes herbagères contre les effets du froid ; mais souvent aussi on a cru lui trouver des inconvéniens, parce que le long fumier fournit une retraite aux souris, aux mulots et aux insectes et par conséquent les attire ; et aussi parce que cette couverture chaude rend les plantes trop délicates au printemps, hâte trop leur végétation, et, par là, leur rend d’autant plus nuisibles les gelées tardives qui surviennent après qu’on a enlevé les pailles. — Quant aux engrais consommés et aux composts qui conviennent également aux prairies ou aux pâturages plus secs qu’humides, la fin de l’automne semble préférable, en ce sens que les effets de la fumure se font sentir plus promptement et par conséquent plus complètement l’année suivante.

Les amendemens calcaires et alcalins, avons-nous vu, conviennent surtout aux bas herbages, et pourtant il est important de remarquer qu’ils n’opèrent que fort imparfaitement sur les terrains mal égouttés. L’eau en surabondance noie, pour ainsi dire, leurs effets. Le moment de les répandre est donc subordonné à l’état du sol. Bien souvent on trouvera avantageux de saisir celui qui suit immédiatement la fauchaison, pour les prairies, et de devancer le plus possible l’époque à laquelle la terre devra être sur-saturée d’eau, pour les pâturages. Dans des cas assez nombreux, du reste, il est difficile d’entrer dans les herbages au moment où on voudrait les fumer ou les amender, parce qu’ils sont alors trop mouillés. On s’en rapprochera toujours le plus possible.

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§ v. — De l’entretien des herbages par des semis partiels.

Il peut arriver qu’après l’extraction des mauvaises herbes, ou par suite de la longue durée du pâturage, il se forme des vides qui se rempliraient lentement, si on abandonnait ce soin à la seule nature. À la vérité, c’est un indice d’épuisement qui doit engager à changer pour quelque temps la destination de semblables herbages ; mais, sans parler de l’impossibilité où l’on se trouve parfois d’introduire à leur place des cultures économiques, il est telles circonstances où l’on a intérêt à prolonger le plus possible leur durée. Les semis partiels en offrent le moyen ; toutefois, pour devenir efficaces, il faut qu’ils aient été préparés par les travaux d’assainissement et de conservation dont il a été parlé dans les paragraphes précédens, et dont ils forment pour ainsi dire le complément.

Ces semis s’opèrent, selon les lieux, en automne ou au printemps. Le premier élément de leur succès, c’est que le hersage qui les précède ait été énergique et aussi complet que possible. En pareil cas, le scarificateur remplace la herse avec avantage, parce que la forme de ses contres et la facilité qu’on trouve à le diriger, permettent de le faire mieux pénétrer. Il ne faut pas s’effrayer de voir bon nombre de plantes mutilées, coupées même par suite de l’action de cette machine, car on a remarqué que la division des touffes est déjà par elle même un bon résultat. On ne doit pas s’attendre non plus à une grande régularité dans le travail des coutres mais cette régularité n’est nullement indispensable, comme on le conçoit très-bien, puisqu’une simple herse, pour peu que ses dents soient assez fortes, assez aiguës, et qu’elle soit suffisamment chargée, produit ordinairement des résultats satisfaisans.

Le terrain ainsi préparé, il est encore utile de le rouler en temps convenable pour unir le mieux possible sa surface, si l’on a fait choix d’espèces dont les graines soient très-fines et très-coulantes, comme celles du trèfle blanc, par exemple, l’une des meilleures plantes qu’on puisse employer en lui adjoignant, dans le cas où les vides seraient un peu considérables, une ou deux des graminées qui paraissent présenter le plus d’avantages et de chances de réussite dans la localité. — Si les graines sont plus grosses, le roulage est inutile avant leur dispersion.

Après le semis, qui ne sera fait, bien entendu, qu’aux endroits où le besoin s’en fera sentir, on devra se hâter de répandre le plus également possible le compost qui aura été préalablement préparé pour cette destination ; puis on roulera de nouveau, afin de recouvrir les graines et de les affermir dans le sol.

Ce moyen, sanctionné maintes fois par la pratique, a le plus souvent donné des résultats très-satisfaisans. — Les dépenses qu’il occasione sont subordonnées à la facilité plus ou moins grande de se procurer les engrais et les terres nécessaires à la formation du compost.

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§ vi. — Des clôtures.

Partout où les pâturages entrent pour une partie importante dans le système d’assolement et d’éducation des animaux, il est utile de les diviser en petits enclos : 1° parce qu’il est plus facile alors de répartir convenablement les animaux selon leur espèce, leur âge, etc. ; 2° parce que ces mêmes animaux, distribués sur chaque enclos en nombre proportionné à son étendue, parcourent moins d’espace et gâtent une moins grande quantité d’herbes pour chercher celles qu’ils appètent le plus ; 3° parce qu’on a remarqué qu’ils se trouvent beaucoup mieux à l’abri que donnent les haies contre les fortes chaleurs de l’été et contre les vents de printemps et d’automne, que sur de plus grands espaces où ils jouissent de moins de tranquillité ; 4° parce qu’en les faisant passer au besoin d’un enclos dans l’autre, on permet à l’herbe de recroître dans celui qu’on leur fait quitter ; 5° parce qu’enfin les clôtures en elles-mêmes présentent par leurs produits, des avantages de plusieurs sortes.

Dans les riches pâturages d’une partie de la Normandie, de la Charente-Inférieure, etc., les fossés qui séparent les enclos servent en même temps à égoutter les terres pendant la mauvaise saison. Leur largeur et leur profondeur sont combinées en conséquence, et, assez souvent, ils ne sont bordés d’aucune haie, dans la crainte de diminuer les effets de l’évaporation, l’étendue et la qualité de l’herbage. — En des localités où l’on n’a pas à redouter comme là l’excès d’humidité, il est rare qu’on ne plante pas les berges de haies propres à donner de l’ombrage, et à procurer de temps en temps quelque bois de chauffage. — Ailleurs enfin, comme on peut le remarquer dans presque tous nos départemens de l’ouest, on remplace entièrement les fossés, lorsqu’ils sont inutiles à l’assainissement du sol, par des haies dans lesquelles les têtards de chêne, de frêne, d’orme, etc., se trouvent assez rapprochés pour se toucher de leur feuillage sur chaque ligne.

Cependant, on ne doit pas se dissimuler que les haies, et surtout les haies à baliveaux, ont, par rapport aux pâturages, deux inconvéniens parfois assez graves : celui d’occuper par elles-mêmes beaucoup de place, et de nuire par leurs racines à la production de l’herbe dans leur voisinage ; — celui d’intercepter la lumière au point que, sous leur influence, les plantes s’étiolent et perdent une partie de leur qualité nutritive. Mais ces inconvéniens, qui naissent de l’abus, ne condamnent pas l’usage. Il est possible de choisir des arbres à racines plus pivotantes que traçantes, et, tout en cherchant à produire un ombrage salutaire, on peut facilement éviter d’outre-passer le but en les plantant à des distances trop rapprochées. La plupart, je dirai presque toutes les pâtures des deux rives de la Loire sont entourées de haies à baliveaux ; — on plante souvent sur leur surface des lignes de peupliers, de frênes, de saules, ou même, en dépit de leur disposition à tracer, d’ormeaux taillés en têtards ; et lorsque ces plantations sont faites avec discernement, elles ne paraissent pas sensiblement nuisibles aux herbages. Le fussent-elles un peu, il est certain qu’elles ne seraient jamais aussi dommageables que profitables ; car, non seulement l’abattis des branches, qui a lieu tous les 3 ans, est fort lucratif, mais la feuillée, qu’on enlève en automne aux frênes et aux ormeaux, produit un supplément de fourrage d’autant moins à dédaigner qu’il convient parfaitement aux vaches, et qu’il leur donne un lait excellent. — Le beurre qu’on en obtient, à cette époque de la saison, est particulièrement estimé.

Je sais que beaucoup d’agriculteurs n’approuvent pas, en général, la plantation d’arbres, et notamment du frêne, dans les haies. Il est curieux, à côté de ce que l’expérience de tout un pays m’a mis à même de rapporter ci-devant, de lire le passage suivant dans un ouvrage justement estimé, celui de sir John Sinclair ; il prouve combien il est difficile de généraliser les théories en agriculture, et combien les effets peuvent changer avec les positions. « Les racines des arbres, en s’étendant dans le champ dans toutes les directions, nuisent au reste de la haie, endommagent ou font rompre la charrue, et interrompent les travaux de culture. Les grains qui croissent à l’ombre sont toujours de peu de produit, inégalement mûrs, et ne peuvent pas se rentrer en même temps que ceux du reste du champ. Dans les saisons humides et tardives, il est même rare qu’on y recueille le grain en bon état, et quelquefois il est entièrement perdu. — Le frêne, en particulier, est un formidable ennemi pour les céréales. L’influence de ses racines pour absorber l’humidité et les principes nourriciers du sol s’aperçoit facilement par le cercle qui se trouve formé autour de chaque arbre dans les terres arables. Aussi l’a-t-on appelé le larron complice du propriétaire, parce qu’il dérobe chaque année, au profit du fermier, dix fois la valeur qu’il acquiert lui-même. — Sous ces arbres, les herbages sont aussi fort inférieurs, comparés à ceux du reste du champ. » (Code d’agriculture.)

De tout ceci, ou ne doit pas plus conclure qu’il ne faille jamais planter de baliveaux dans les haies, que, de ce que j’ai dit, on ne peut induire qu’il faille en planter partout. J’ai souvent remarqué que leur influence fâcheuse se faisait sentir davantage du côté du nord que du midi du tronc, et surtout qu’elle s’étendait beaucoup plus dans les terrains peu profonds que dans les autres. Il y a pour cela deux raisons : d’abord les premiers de ces terrains contiennent une moindre quantité d’humidité, et ensuite la proximité de leur sous-sol force les racines à s’étendre au lieu de pivoter. En voilà plus qu’il ne faut pour expliquer de grandes différences dans les résultats qu’on a pu observer en des localités différentes.

vie sujet. — Des meilleurs moyens d’utiliser les produits des herbages par le pâturage.

Il y a trois manières de récolter les produits des herbages : — 1° le pâturage proprement dit, qui doit nous occuper plus spécialement ici ; — 2° le fauchage et la consommation en vert au parc ou à l’étable ; — 3° le fauchage à l’époque de la maturité des herbes, et la transformation en foin.

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§ ier. — Des pâturages dans les prairies.

Est-ce une bonne ou une mauvaise méthode de faire pâturer les prairies à certaines époques de l’année ? À ce sujet les auteurs se sont prononcés de manières fort différentes. Tachons de trouver dans l’observation des faits la solution du problème. — Dans un assez grand nombre de lieux, on met les troupeaux sur les herbages fauchables pendans une partie de l’hiver et du printemps. Je dis les troupeaux, parce qu’en effet les pâturages de cette saison sont d’ordinaire réservés aux bêtes à laine. — Presque partout où les regains ne sont pas assez abondans pour procurer une coupe de quelque importance, on les fait également consommer sur pied en automne, et à cette époque c’est aux bêtes à cornes qu’on les abandonne. — Le pâturage des prairies n’est possible que dans ces deux cas.

Au printemps, la présence des bestiaux peut avoir deux inconvéniens principaux : — celui de piétiner un sol encore mal égoutté : — et celui de retarder la croissance des herbes et de nuire par cela même à la production du foin. Sans nul doute cela arrivera, si, d’une part, le terrain n’est pas suffisamment ressuyé, si sa nature très-argileuse le prédispose à un tassement trop considérable, et si, de l’autre, on laisse les animaux séjourner assez longtemps pour que les gramens n’aient plus la possibilité de monter convenablement avant l’époque ordinaire de la fauchaison ; mais, hors ces deux cas, qu’il est facile de prévoir et très-important d’éviter, le pâturage présente généralement plus d’avantages que d’inconvéniens. — Les moutons et notamment les brebis nourrices s’en trouvent à merveille. En broutant particulièrement les espèces les plus précoces qui devanceraient les autres dans leur maturité, et diminueraient plus tard la qualité du foin, ces animaux égalisent en quelque sorte la croissance des herbes ; — ils contribuent beaucoup, connue je l’ai dit, à la destruction des plantes inutiles, au profit des graminées ; — la pression qu’ils exercent à la surface des terrains poreux, faciles à soulever, est d’un très-bon effet ; — enfin leurs excrémens, en dépit de tout paradoxe, contribuent sensiblement à maintenir la fertilité du sol et à améliorer les fenaisons suivantes. Quant à la durée d’un tel pâturage, il est d’une haute importance de ne pas la prolonger outre mesure. Le moment où il convient de fermer la prairie, est déterminé par l’état d’avancement ou de retard de la végétation, selon les années. « Si le printemps est chaud, dit Thaer, le pâturage doit cesser dès le 20 avril dans la partie septentrionale de l’Allemagne, ou du moins au commencement de mai ; si la température est froide et que l’herbe ne pousse que faiblement, on peut le prolonger jusqu’au 10 mai. » — Dans la partie moyenne de la France, ce serait plus d’un mois trop tard. Beaucoup de personnes pensent qu’il ne faut pas continuer de faire pâturer les prairies au-delà du terme des dernières gelées un peu fortes, et les anciens usages de parcours ont en effet fixé le 25 mars.

Dans les pays où l’on n’élève pas de moutons, le pâturage de printemps a moins souvent lieu, parce que la pesanteur des bêtes bovines rend le premier inconvénient dont j’ai parlé plus fréquent et plus grave. Leurs excrémens sont aussi moins profitables que ceux des moutons, non seulement parce qu’ils communiquent à l’herbe qu’ils recouvrent une saveur qui en éloigne les bestiaux même après qu’ils ont été enlevés, mais parce qu’avant qu’on ait pu les répartir, ce qu’il est impossible de faire fort également, ils sont en grande partie détruits par une foule d’insectes qu’ils attirent et auxquels ils servent de refuge. Beaucoup de personnes croient aussi que les bêtes bovines ont moins besoin que les brebis de cette première nourriture verte ; j’avoue que je ne suis pas de leur avis, et que je la regarde comme fort utile à leur santé. Quoi qu’il en soit, le pâturage au moyen des boeufs, même au printemps, peut être, en des circonstances favorables, une bonne pratique.

Il est beaucoup de localités où en automne le pâturage des prairies basses pourrait devenir fort nuisible à la santé des bêtes ovines : on a remarqué maintes fois qu’il leur occasionait la pourriture ; aussi, après la récolte des foins, livre-t-on les regains plutôt aux bœufs et aux vaches qu’aux moutons. Cette nouvelle pousse d’herbe, dit fort bien Thaer, qui, dans plusieurs localités, n’est jamais plus forte que dans cette partie de l’année, est très-avantageuse au gros bétail ; elle donne aux vaches une augmentation de lait très-sensible. À cette époque on a beaucoup moins à redouter les empreintes que les pieds du bétail laissent sur la terre, parce qu’au printemps, même sur les sols spongieux et mous, ces empreintes s’effacent par suite de l’effet des gelées. Les engrais que le pâturage laisse dans les prairies leur sont aussi d’un grand avantage, surtout lorsqu’on a soin de diviser et épandre les excrémens des animaux, travail très-léger qui doit être imposé au berger. Le bétail à cornes trouve souvent jusqu’à la fin de novembre une bonne nourriture sur ces pâturages.

Les Anglais tiennent si fort à faire pâturer les prairies qui leur appartiennent en propre, qu’ordinairement ils n’en tirent qu’une seule récolte de foin chaque année ; qu’ils prolongent le pâturage de printemps pour les bêtes à laine, et que, bientôt après la fauchaison, ils mettent les bêtes bovines sur ces mêmes prairies, à moins que le voisinage des grandes villes, la facilité de se procurer des engrais et le prix du foin ne les engagent à adopter un autre système. Ils pensent généralement que dans les localités plus éloignées, partout où les cultivateurs ne peuvent compter, pour la production des fumiers, que sur les propres ressources de leurs fermes, un double fauchage quelque temps répété est une cause de ruine pour les herbages. — Assez fréquemment même ils consacrent des prés une année entière au pâturage, dans le but de les améliorer. Cette dernière méthode toutefois est, je suppose, peu fréquente et ne paraît pas fondée en raison ; car si le pâturage, en tant qu’il ne fait que retarder un peu la croissance des herbes, donne évidemment puisqu’il n’enlève en fertilité, il pourrait fort bien arriver le contraire lorsque la soustraction continuelle des feuilles priverait en grande partie les plantes de leur nourriture aérienne et que les racines fraient par conséquent à peu près seules chargées de l’entretien de la vie. Yvart a fait autrefois quelques expériences qui viennent à l’appui de cette théorie. « Nous avons divisé, dit-il, en deux parties des prairies qui avaient été jusqu’alors soumises au même traitement sous tous les rapports ; dans lesquelles la nature du sol, l’exposition et toutes les autres circonstances essentiellement influentes sur la végétation étaient aussi égales qu’il est possible, et que nous avions l’intention de défricher l’année suivante. Nous avons fait pâturer l’une, à diverses reprises, depuis le commencement du printemps jusqu’à l’époque du fauchage, et nous avons fait faucher l’autre, à laquelle les bestiaux n’avaient pas touché, à l’époque où la majeure partie des plantes entrait en fleurs. La totalité ayant ensuite été rigoureusement soumise au même traitement, défrichée et ensemencée en diverses natures de céréales et autres productions, nous avons constamment reconnu que la partie fauchée donnait des produits supérieurs à la partie pâturée. La différence était d’autant plus sensible, que la prairie était naturellement plus sèche et la terre de qualité moins bonne…..»

Un autre motif, résultant d’observations tout aussi positives, de ne pas laisser pâturer longtemps de suite une prairie, c’est que plusieurs espèces de graminées destinées à produire du foin, et plus spécialement celles qui atteignent une grande hauteur, supportent difficilement d’être souvent broutées. — En général, sur les terrains constamment pâturés, l’herbe s’épaissit, mais ne s’élève plus autant.

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§ ii. — De la dépaissance des pâturages.

Nous aurons encore sous ce titre deux choses à examiner : — 1° Quels sont les pâturages qui conviennent le mieux aux divers herbivores ? — 2° Comment, à quelle époque, et dans quelles proportions il convient de répartir ces derniers sur les herbages.

Les bêtes bovines sont, de toutes, celles qui endommagent le moins les herbages, en ce sens qu’elles broutent les herbes à une certaine hauteur, et que jamais elles ne les arrachent. Aussi, on doit leur réserver les pâturages les plus féconds, et de la meilleure qualité. — On a cru remarquer « que les herbages les plus nouveaux sont généralement les plus appropriés à l’état des jeunes animaux, parce qu’ils les développent et les nourrissent plus qu’ils ne les engraissent. Les herbages anciens, au contraire, dont l’herbe a plus de corps, plus de soutien, dont les sucs, moins aqueux, sont plus élaborés et plus disposés à l’assimilation, conviennent essentiellement aux animaux adultes, parce qu’ils leur procurent promptement l’embonpoint et la graisse dont ils ont besoin, lorsqu’ils sont consacrés à la boucherie ; on doit les dispenser avec beaucoup de sobriété au animaux qu’on désire conserver, pour le travail ou pour tout autre objet, dans un état moyen entre la maigreur et l’obésité, qui sont également à redouter. — Il est d’observation que les herbages les plus bas et les plus humides sont moins propres à engraisser les bœufs qu’à augmenter la quantité du lait des vaches, et on doit les destiner préférablement à ce dernier objet, lorsque les circonstances le permettent. — Les herbages élevés, ouverts et très-exposés à l’action des vents, conviennent moins aussi, pour la production du lait, comme pour l’engraissement, que ceux qui sont bas, clos, et abrités. — On observe encore en plusieurs endroits que les herbages nouveaux, aqueux, marécageux, garnis d’herbes grossières, sont plus convenables ordinairement à la fabrication du fromage qu’à celle du beurre qui, à son tour, est généralement plus abondant et de meilleure qualité sur les herbages anciens, sains et fertiles. — Enfin, on a observé également que le beurre se conserve plus longtemps, et qu’il est plus ferme et plus consistant lorsqu’il provient du pâturage dans les herbages anciens naturellement fertiles et non engraissés, que lorsqu’il résulte d’herbages alternés avec les cultures céréales qui ont exigé des engrais ou des amendemens, et surtout lorsque ces derniers sont d’une nature calcaire, ce qui doit être pris en considération dans les assolemens. » (Cours complet d’agriculture théorique et pratique.)

Le cheval tond l’herbe un peu plus court que le bœuf. Ses déjections, fortement alcalines, lorsqu’on n’a pas le soin de les disséminer peu après qu’elles ont été produites, nuisent aux plantes avec lesquelles elles se trouvent en contact immédiat. Cet inconvénient, joint à celui du piétinement, dont les effets sont très-marqués par suite de la forme de son pied, explique pourquoi, dans les anciens baux, ou stipulait communément qu’on n’en mettrait pas plus d’un certain nombre sur telle ou telle étendue de pâturage. — Les herbages qui lui conviennent ne sont donc ni ceux dont l’aridité exclut les engrais chauds, ni ceux que leur humidité rendrait trop faciles à défoncer.

Les bêtes à laine pincent l’herbe beaucoup plus près encore que le cheval. Elles l’arrachent même par un mouvement de tête bien connu, lorsqu’elle est encore trop jeune pour avoir formé une touffe de quelque épaisseur et poussé des racines en suffisante quantité. Aussi se garde-t-on bien de mettre des moutons sur des pâturages ou des prairies tout nouvellement formés. Ces animaux, redoutant par-dessus tout l’humidité du sol, se plaisent sur les herbages élevés, arides même. Cependant ils se trouvent fort bien des pacages plus riches, pour peu qu’ils soient sains. Dans quelques parties des Pyrénées-Orientales, notamment aux environs de Pratz-de-Mollo, à l’époque où les troupeaux, sortant de leurs quartiers d’hiver, se répandent dans les campagnes, les propriétaires les plus heureusement situés afferment momentanément aux bergers les pièces enherbées qu’ils sont dans l’intention de rendre pour quelques années à la culture, ou les herbages féconds dont on extrait le soir les animaux pour les parquer sur les terres arables ; — ceux dont les habitations sont plus élevées, par conséquent moins accessible et presque toujours d’un moindre rapport, s’estiment heureux de fournir le pâturage en compensation du fumier qu’il produit ; — enfin, ceux qui résident à des élévations plus grandes encore, paient de quelques indemnités le séjour des troupeaux que la pauvreté de leurs guides prive de meilleurs pâturages.

De tous les herbivores, la chèvre est un de ceux que l’on doit considérer comme le moins délicat sur le choix de sa nourriture, mais aussi comme l’un des plus vagabonds et des plus destructeurs. Elle se contente, au besoin, des herbages les plus escarpés et les plus couverts de broussailles. Lorsqu’on lui en livre d’autres, il faut apporter la plus rigoureuse attention à défendre contre ses atteintes les haies et les plantations voisines.

Quoique, trop souvent, on réunisse pèle-mêle sur les mêmes pâturages les animaux les plus différens, cette pratique ne doit pas être approuvée. A la vérité, chaque espèce ayant une manière différente de brouter l’herbe, et ceux-ci pouvant utiliser ce qui ne convient pas à ceux-là, il n’est pas douteux qu’on ne puisse ouvrir les pâturages à plusieurs ; mais si on les y laisse ensemble, ils se gênent et se privent mutuellement de la nourriture qui leur convient le mieux. Il est donc infiniment préférable de les répartir successivement, lorsque cela se peut, sur chacun des enclos dont j’ai fait ressortir l’avantage en parlant des clôtures. Les Hollandais nous ont donné sur ce point d’excellens exemples : — chez eux, les bœufs et les vaches passent les premiers ; — quelques chevaux leur succèdent lorsque l’état et la nature du sol le permettent ; — viennent ensuite les moutons ; — puis parfois des cochons qui déterrent et détruisent les racines charnues ou tuberculeuses des mauvaises herbes. Après ces animaux, il est nécessaire de râteler çà et là la surface du sol qu’ils ont fouillé, puis, bien entendu, de donner aux graminées le temps de repousser.

Lorsqu’on fait passer les bestiaux de leur régime d’hiver au pâturage, il importe que ce soit le plus tôt possible, et que la transition ne soit pas trop brusque. Par ce double motif, bien plus encore que pour ne pas donner aux herbes les plus précoces le temps de s’élever assez pour être délaissés, on fera bien d’ouvrir les herbages au printemps, aussitôt que l’état du sol le permettra. On ne craint point ainsi les inconvéniens qui pourraient résulter d’une nourriture verte trop succulente et prise, tout d’un coup, en trop grande quantité.

Depuis ce moment jusqu’à ce que les pluies continuelles ou les trimas de l’hiver mettent un obstacle plus ou moins long à l’entrée des bestiaux sur les terres, le pâturage se continue dans beaucoup de lieux sans discontinuer. Dans d’autres cependant on l’interrompt pendant une partie de la saison des fortes chaleurs et de la sécheresse, d’une part, parce qu’il ne présente alors presque aucune ressource au bétail, et de l’autre, parce qu’on craint, en mettant la terre trop a nu, d ajouter à son aridité, et de faire périr une partie des herbes qui la couvrent.

Il serait fort difficile d’indiquer, même approximativement, le nombre d’animaux de chaque espèce qu’il convient de mettre sur une étendue donnée de pâturage ; car cela dépend de sa fertilité, de la saison, et du plus ou moins de nourriture que les troupeaux reçoivent à l’étable en diverses saisons. Tout ce qu’on peut dire, c’est que, lorsque l’herbage est trop chargé, les bestiaux pâtissent, et, ne trouvant pas la nourriture suffisante, ils rongent les plantes jusqu’au collet et souvent les arrachent. — Lorsqu’au contraire ils sont en trop petit nombre, ils foulent aux pieds et détériorent presque autant d’herbes qu’ils en mangent ; ils délaissent toutes les plantes qui les appètent le moins, et c’est une raison pour qu’elles se multiplient davantage ; car, s’ils ne les ont pas broutées lorsqu’elles étaient tendres, ils y toucheront bien moins encore à mesure qu’elles durciront, de sorte qu’à moins d’une surveillance, trop rare chez la plupart des cultivateurs, elles mûriront et répandront annuellement leurs graines au grand détriment du reste de l’herbage pour les années suivantes.

Un excellent moyen d’éviter les inconvéniens divers qui résultent de la dispersion des animaux en trop petit ou en trop grand nombre sur les pâturages ou les prairies, c’est de faire la part a chacun, et de limiter l’étendue qu’il peut parcourir. Pour cela, dans beaucoup de contrées, notamment dans presque tout l’ouest de la France, on attache les animaux à une corde, dont la longueur est en rapport inverse avec l’abondance des herbages, et qui est fixée à un piquet qu’on déplace chaque jour, pour le rapprocher de la partie non broutée. On évite ainsi de multiplier outre mesure les clôtures ; — les bestiaux se nourrissent abondamment sans rien gaspiller ; — l’herbe est tondue également ; — les engrais peuvent être chaque soir répandus ou réunis à la masse des fumiers ; — Enfin, lorsque le pâturage a lieu sur des plantes légumineuses, les limites dans lesquelles on le restreint font disparaître tout danger.

Section ii. — Des prairies.

Les détails précédens abrégeront nécessairement beaucoup ce qui me reste à dire des prairies, ou du moins des prairies permanentes, plus vulgairement connues sous le nom de naturelles. Elles ne diffèrent en effet parfois des pâturages proprement dits que par la manière dont on récolte leurs produits. — Pâturages et prairies de graminées ont la même origine. — Ce que j’ai dit de la formation des uns ; — du meilleur choix possible des plantes qui les composent ; — de la manière de les semer lorsqu’on juge convenable de le faire ; — de les entretenir et de les améliorer, se rapporte à très-peu près aux autres. Lorsqu’il existait des différences importantes, j’ai dû déjà les faire ressortir dans chaque paragraphe, et, pour ne pas diviser les matériaux qui se rangeaient naturellement sous chaque titre, autant que pour éviter plus loin des répétitions sans cela inévitables, j’ai cru devoir encore réunir, dans plusieurs parties de la 1re section de ce travail, ce qui aurait pu se rapporter, peut-être d’une manière plus spéciale, aux herbages dont il me reste à parler. C’est ainsi que je n’aurai plus à revenir sur l’étaupinage, les irrigations, etc.

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ier sujet. — Des prairies à base de graminées.

Si, d’un côté, les grandes hauteurs et les lieux très-secs produisent rarement des herbes assez élevées pour être fauchées, souvent les lieux bas et marécageux ne peuvent admettre le pâturage. Hors de ces deux cas, la position des herbages de l’une et l’autre sorte est à peu près la même ; c’est-à-dire qu’on cherche à les placer dans des sols ou à des situations plus humides que les terres arables. — Lorsque l’humidité est excessive et stagnante, elle constitue les prairies marécageuses ; — lorsqu’elle est due aux inondations ou aux infiltrations périodiques des cours d’eau, elle donne naissance aux prairies basses ; — enfin lorsqu’elle n’est le produit que des eaux de pluie plus ou moins habilement dirigées des terrains voisins sur les prairies, ces dernières prennent communément le nom de prés secs.

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§ ier. — Des prairies marécageuses.

Dans les localités où les eaux séjournent constamment, la nature des herbages est telle qu’on ne doit compter sur leurs produits, lorsqu’on peut les récolter, que pour ajoutera la masse des fumiers. Je dirai même à ce sujet que cette ressource n’est pas encore appréciée partout autant qu’elle devrait l’être (Voy. l’article Engrais végétaux). A la vérité, sur les bords des étangs et des marais, quelques graminées, dont il sera parlé, disputent le terrain aux plantes aquatiques. Presque toutes, en mûrissant, acquièrent une dureté telle que la faulx pourrait à peine les abattre, et que les animaux les rejetteraient ; mais il en est qui, coupées en vert, procurent un assez bon fourrage après qu’on les a laissées se dépouiller de leur surabondance d’eau en les exposant pendant une douzaine d’heures aux effets du soleil.

Lorsque les eaux ne sont stagnantes qu’une partie de l’année, les végétaux marécageux qui ne pourraient supporter quelques mois de sécheresse, disparaissent pour faire place à d’autres plantes, sortes d’amphibies du règne végétal, qui peuvent vivre sous l’eau et dans l’air, et parmi lesquelles se rencontrent en plus ou moins grand nombre des herbes fourragères. La quantité de celles-ci augmente à mesure que la durée de l’inondation est plus limitée, de sorte que toutes les fois qu’on peut entrer dans ces sortes de prairies pendant la 2e partie de la belle saison, faucher à sec et faire sécher le foin, on peut être certain que ce foin, bien que fort médiocre, pourra en définitive être utilisé. Cependant il ne faut pas prendre en considération la seule durée de l’inondation. La nature des eaux est pour beaucoup dans les effets qu’elles produisent ; au moins ai-je souvent remarqué que celles des rivières peu rapides qui favorisent surtout la propagation des joncs, des stipes, etc., nuisent infiniment plus promptement à la qualité des herbages que les eaux d’un cours plus vif.

Le foin des prairies longtemps couvertes d’eaux stagnantes est toujours dur et souvent fort malsain. Un de mes fermiers en récolte chaque année de semblables dans la commune de Brisarthe, non loin de la rivière. Lorsque la nécessité le force à l’employer autrement qu’en très-petite quantité, à la nourriture de ses bœufs, ces animaux, bien que dans des étables fort saines, perdent en peu de jours leur énergie ; leur poil cesse d’être lisse; ils se couvrent d’une multitude de poux qui disparaissent presque aussitôt qu’on leur donne une autre nourriture, et ils maigrissent à vue d’œil. — On conçoit qu’en pareil cas il faut être bien à court d’autres fourrages pour recourir à celui-là. Heureusement, dans les années où les prairies artificielles manquent par suite de l’aridité de la belle saison, le marais se découvre plus tôt que de coutume, et le foin qu’il produit est de meilleure qualité. Dans les années, au contraire, où les fourrages herbagers réussissent, ce foin ne doit servir en grande partie que de litière. — Cette destination dans une ferme où une portion du terrain reçoit du chanvre, où, par conséquent, les pailles sont moins abondantes que dans d’autres, ne laisse pas d’être importante.

En général, les foins des prairies marécageuses exigent plus de soin que d’autres à l’époque de la récolte. Il est bon, pour éviter leur complet endurcissement, de les faucher de bonne heure et de les faner avec une attention toute particulière, car, sans cette dernière précaution, ils noircissent et perdent le peu d’odeur qu’on doit cherchera leur conserver. J’ai été fort surpris de lire dans thaer que, dans quelques cantons d’Allemagne, on préfère les foins bruns aux foins verts. Là, au lieu d’éparpiller l’herbe fauchée, on la laisse en andains jusqu’à ce qu’on la mette d’abord en petites meules, puis en grosses meules qu’on piétine fortement, de manière que le tout s’échauffe et se transforme pour ainsi dire en une masse tourbeuse, dont on détache ensuite les fragmens à l’aide d’une hache ou d’une bêche. — Les foins marécageux sont tout disposés à se décomposer de la même manière. Mais en France, on évite le plus possible que pareille chose arrive. — Lorsqu’ils sont vaseux, probablement on pourrait les améliorer à l’aide de la machine à battre.» Quoique je n’aie pas encore eu l’occasion d’exécuter ce travail, dit M.mathieu de Dombasle, je suis convaincu a n’en faisant passer du foin de cette espèce dans la machine pourvue du râteau et du ventilateur, on trouverait le moyen le plus efficace qu’il soit possible d’imaginer pour le débarrasser de la poussière, par l’effet du bail âge énergique suivi d’une forte ventilation. »

On sait que, dans divers pays, on mêle le regain avec de la paille au moment où on l’entasse après la fauchaison. On a remarqué que cette pratique facilite la dessiccation complète de la masse du regain ; il est probable que si l’on avait quelques restes d’une semblable mêlée ou de vieille paille, on en tirerait lion parti en les faisant entrer dans un second mélange avec le foin des prairies très-humides. — Pour le rendre plus appétissant, il serait souvent assez facile d’y joindre une petite quantité de mélilot. — Enfin, il est encore un moyen que la cherté du sel rend malheureusement impraticable dans nos campagnes, malgré son efficacité reconnue : il consiste saupoudrer légèrement de cette substance chaque couche des foins dont on craint que la dessiccation ne soit pas assez complète au moment où on les élève en meule. Le sel prévient leur fermentation future, ajoute à leur qualité, et les rend plus agréables aux bestiaux.

Il est aussi d’autres méthodes purement mécaniques de hâter et de compléter la dessiccation des foins, dont il a été parlé dans le xie chapitre de ce livre, auquel je renvoie le lecteur. — Je n’ai rien à ajouter non plus aux moyens précédemment indiqués de changer la nature des terrains marécageux et d’améliorer leurs produits.

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§ ii. — Des prairies basses.

Le passage des prairies marécageuses aux prairies basses n’est pas toujours sensible. Cependant les dernières, telles que je les ai définies, se distinguent essentiellement par la qualité de leurs herbages. Elles occupent souvent de larges vallées sur les bords des fleuves ou des rivières qui les couvrent de temps en temps, sans nuire autrement à leurs foins que lorsque les débordemens vaseux, source de fécondité en automne, après les coupes, surviennent accidentellement dans le cours de la belle saison. Quelque prolongée que soit la submersion en hiver, elle n’offre aucun inconvénient pour la qualité des herbes. — Lorsque ces prairies s’égouttent facilement, leur sol, recouvert par des alluvions continuelles, est d’une richesse plus qu’ordinaire, et donne par conséquent naissance à des herbages d’une abondance remarquable ; mais, lorsque le fond en est plus bas que le lit de la rivière, il se forme alors une couche végétale semi-tourbeuse, dont les produits sont de qualité fort inférieure.

À côté de ces prairies, il faut classer celles qui longent les cours d’eau moins considérables, et sur lesquelles diverses constructions, propres à élever le niveau du liquide, le font refluer à volonté. Tantôt ces constructions ont pour but principal de faciliter les irrigations ; — tantôt, elles sont au contraire destinées à faire marcher des moulins ou d’autres usines. Alors, quoique la question d’arrosage devienne très-secondaire, il n’est pas impossible, en combinant convenablement l’époque des barrages, de tirer parti d’une telle position, pour obtenir plusieurs coupes d’un fort bon foin.

On trouve aussi dans les vallées, au pied des montagnes et des collines, des terrains à la superficie desquels l’eau coule sans y séjourner. Ils donnent assez souvent, pendant toute la belle saison, une grande quantité d’herbes de bonne qualité, qu’on a soin de faucher dès que l’état du fonds le permet, et dont on emporte le foin immédiatement, soit pour le faire consommer en vert à l’étable, soit pour le sécher. Si, au lieu de s’étendre à la surface, l’eau pénétrait jusqu’au sous-sol et y séjournait, ces mêmes terrains rentreraient encore dans la classe des prairies marécageuses ; mais, comme ils offrent ordinairement de la pente, les travaux d’amélioration sont faciles.

Dans toutes ces localités, le peu de fermeté du sol rend le pâturage à peu près impossible. La fauchaison est alors bien plus profitable sous ce rapport et sous plusieurs autres.

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§ iii. — Des prairies hautes et moyennes.

Selon la position qu’elles occupent, elles peuvent être excellentes ou très-médiocres. Leur qualité dépend de la nature et de la fertilité du terrain qu’elles recouvrent, ainsi que de celles des collines environnantes que les cours d’eau pluviale dépouillent à leur profit, et surtout de l’abondance de ces mêmes cours d’eau dont l’excédant doit pouvoir s’échapper à travers le sous-sol dans les saisons pluvieuses à l’excès, sans cependant s’écouler à d’autres époques avec une trop grande rapidité. — En pareil cas, il serait possible de citer plusieurs exemples d’une fertilité prodigieuse ; mais des circonstances si heureusement combinées sont rares, beaucoup de prairies hautes sont trop sèches pour donner du regain ; — beaucoup même ne donnent pas toujours une herbe fauchable. Il en est dont le sous-sol relient les eaux au point qu’elles sont marécageuses une partie de l’année, quoiqu’elles deviennent brûlantes dans l’autre. Aussi, à mesure que l’on apprécie mieux les avantages des prairies artificielles, ces sortes d’herbages perdent-ils considérablement de leur importance aux yeux des cultivateurs instruits, et sont-ils successivement défrichés partout où les bons assolemens gagnent du terrain. — Si l’on n’a eu qu’elles en vue, je conçois fort bien l’opinion récemment émise dans un journal, que les prés naturels sont une superfétation et une dépense inutile, en ce sens qu’ils occupent une place qui pourrait presque toujours rapporter davantage tout calcul fait du prix de terme, de la somme des produits, et en définitive du bénéfice net.

On a quelquefois cherché à évaluer comparativement le produit des prairies permanentes et des terres arables. Un auteur justement célèbre les a divisées en 6 classes, dans l’ordre décroissant de leur fécondité ; puis, mettant en regard les unes des autres chaque classe correspondante, il est arrivé à ce résultat moyen que la valeur d’un champ, dans l’assolement triennal, n’est à celle d’un pré que comme deux à trois, lorsque des circonstances de localité n’apportent pas quelque changement à cette proportion. — En prenant pour point de départ l’assolement quadriennal, d’autres écrivains ont trouvé au contraire que le champ rapportait plus que la prairie. Pour ma part, j’avoue que j’ai appris à me méfier beaucoup de ces calculs dont la précision séduit plus qu’elle n’éclaire, et que je n’attache pas grande importance à des moyennes qui ne peuvent guider utilement la pratique locale, ainsi que le prouve suffisamment le peu de concordance qu’elles présentent entre elles dans les livres. — La valeur d’une prairie à base de graminées, même médiocre, peut être considérable dans les lieux où les terres arables ne sont pas propres à produire avec sûreté les meilleures plantes à fourrage ; — une bonne prairie peut au contraire être moins estimée dans les fermes où non seulement on récolte beaucoup de paille, mais où la nature des terres favorise la culture de la luzerne, du trèfle, des choux et d’autres plantes propres à faciliter l’hivernage du gros bétail ou des troupeaux. — À cette considération principale se joint celle de la proximité ou de l’éloignement de l’herbage du corps des bâtimens ; — les casualités d inondations intempestives ; — les travaux plus ou moins considérables d’entretien, etc., etc.

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iie sujet. — Des prairies à base de légumineuses.

L’introduction et la propagation rapide des prairies artificielles a été presque partout le principal, parfois le seul élément des améliorations qu’on remarque depuis un demi-siècle dans notre économie rurale. Heureusement cette vérité est désormais assez sentie pour se propager, eu quelque sorte, d’elle-même. — Parmi les terrains les moins propres aux cultures économiques, il en est que leur nature condamne à rester en pâturages ; — d’autres que leur position basse ou marécageuse doit faire réserver en prairies permanentes. En dehors de ce double moyen de pourvoir à la nourriture des herbivores, les prairies légumineuses en offrent un troisième sur les terres arables où elles se marient avec le plus grand avantage aux cultures qui ont pour but direct l’alimentation de l’homme, ou la production des plantes industrielles.

Dans l’état actuel de l’agriculture française, malgré le développement que prennent chaque année l’éducation et l’engrais des animaux, leur nombre, aux yeux des économistes, n’est guère plus de la moitié de ce qu’il devrait être. Il est pénible, en effet, de voir une partie essentielle de la population connaître à peine la viande de boucherie dont elle approvisionne les villes. — D’un autre côté, au milieu de ses inévitables variations si dommageables, tantôt au cultivateur par suite de l’abaissement du prix et du défaut de vente, tantôt au consommateur par une cause contraire, on ne peut pas dire qu’en définitive la production des grains dépasse en rien les besoins d’une population incessamment croissante. Il fallait donc trouver les moyens, pour qu’aucun intérêt ne fût froissé, d’augmenter le nombre des bestiaux et par conséquent celui des fourrages, sans étendre les prairies aux dépens des terres labourables. — La première pensée fut d’utiliser les années de repos de la terre ; — la seconde, d’obtenir davantage sur de moindres espaces, à l’aide de meilleures combinaisons de cultures. — Les prairies artificielles en offrirent les moyens. Le passé leur doit déjà beaucoup, et l’avenir peut leur devoir immensément encore.

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§ ier. — Des principaux avantages des prairies légumineuses, dans le système de culture alterne.

Les principaux avantages des prairies artificielles en elles-mêmes, sont : 1° de demander pour la nourriture d’un même nombre de bestiaux une étendue beaucoup moins considérable de terrain, que les pâturages et la plupart des bonnes prairies de graminées ; — 2° de disposer, en général, très-bien la terre à recevoir les plantes économiques les plus habituellement cultivées et du plus haut produit ; — 3° de faciliter, conjointement avec les racines fourragères, l’adoption du système de culture qui a pour base la nourriture du gros bétail et même des troupeaux à l’étable pendant la plus grande partie de l’année, parfois même pendant toute l’année.

Les deux premières propositions méritent ici quelque examen. Je parlerai avec plus de détails de la troisième au § iii.

D’après les évaluations de Gilbert pour l’ancienne généralité de Paris, évaluations qui reposent sur des données aussi nombreuses que précises, la production moyenne d’une étendue déterminée de terrain en prairie graminée, n’est à très-peu près que la moitié de celle d’une luzerne ; un peu plus de la moitié de celle d’un champ de trèfle, et elle s’élève sensiblement moins que le produit d’un sainfoin et même d’une culture de vesces.

Thaer, en généralisant les expériences qui lui étaient personnelles ou bien connues, arrive à des résultats plus frappans encore, puisque, sans faire la distinction des diverses prairies artificielles entre elles, il estime qu’en terme moyen, avec leur concours, on obtient d’une étendue de moitié plus petite, une nourriture tout aussi abondante. — Enfin j’ai rappelé précédemment que le résultat d’une enquête faite par le bureau d’agriculture de Londres a élevé jusqu’aux deux tiers la différence en faveur des prairies artificielles et des cultures-racines sur les herbages d’une autre nature.

On se rend facilement compte de semblables faits, en considérant, d’une part, que la plupart des légumineuses sont à la fois plus fourrageuses et plus nourrissantes, à poids égal, que les graminées, et de l’autre, qu’on donne aux champs destinés à recevoir les premières une préparation et des soins de culture tout différens de ceux qu’on accorde, parfois seulement, et presque toujours avec trop de parcimonie, aux dernières.

Quant à la seconde proposition, qui se rattache directement à un bon ou mauvais système d’assolement, j’aurai peu de choses à ajouter a ce qui a été dit au chap. X. — Il est reconnu généralement que toutes les cultures herbagères, alors surtout que, comme les principales de nos légumineuses, elles couvrent complètement le terrain de leur épais feuillage, lorsqu’on ne les réserve pas pour graines, et qu’on les enfouit en partie quelque temps après leur dernière coupe, donnent au sol plus de fertilité qu’elles ne lui en enlèvent, fussent-elles fauchées jusqu’à 2 et 3 fois chaque année, ainsi que la luzerne. Que cela soit dû, conformément à l’opinion de M. De Candolle, à la nature même des sécrétions de leurs racines ; selon d’autres, à l’absorption continuelle de sucs nutritifs qu’elles font dans l’atmosphère au profit de la terre ; à la décomposition graduelle des détritus qu’elles laissent dans la couche labourable ; à ces diverses causes réunies, ou à toute autre moins appréciable dans l’état actuel de nos connaissances chimiques, il ne reste guère de doute sur la véracité du fait en lui-même. — Or, on conçoit de quelle importance peut être en agriculture une récolte qui, loin d’enlever quelque chose, ajoute au contraire à l’ancienne fécondité du sol pour les récoltes suivantes ; — qui permet d’équilibrer conformément aux exigences des assolemens et aux besoins de la consommation, la production des denrées indispensables, d’une part à l’existence de l’homme, de l’autre à l’entretien de la vie des animaux, et qui, le plus souvent, sans ajouter aux frais de culture, augmente considérablement les profits de toutes sortes. Aussi, le premier coup a-t-il été porté dans bien des lieux à la routine triennale, par l’introduction des trèfles sur la sole de jachères, et cette plante, la seule dont il faudrait parler pour les rotations à court terme, si elle réussissait partout et toujours, est-elle un des éléments en quelque sorte indispensable de l’assolement quadriennal.

Nous verrons bientôt, en nous occupant des diverses espèces de légumineuses fourragères en particulier, à quelles conditions on peut espérer de les faire concourir, chacune selon sa nature et les circonstances, à ces importans résultats.

[18:2:2]
§ ii. — Des procédés généraux de culture spécialement applicables aux prairies légumineuses.

L’époque à laquelle on doit semer les plantes fourragères de cette utile et nombreuse famille n’est pas encore et ne peut être déterminée rigoureusement. Cependant, les praticiens, tandis que les auteurs recommandaient l’automne ont généralement opté pour le printemps, parce qu’ils ont cru remarquer que les légumineuses dont les jeunes tiges et les jeunes feuilles sont toujours pleines de sucs aqueux, même celles qui redoutent le moins le froid quand elles ont accompli leur croissance, ont beaucoup plus à souffrir que les graminées des alternatives de gelées et de dégels d’un premier hiver. — Contre un fait d’observation il n’y a rien à objecter ; — mais d’autres cultivateurs ont éprouvé aussi que, selon les espèces et les localités, les semis d’automne, surtout dans les climats qui manquent de pluies printanières, offraient de grands avanges. Laissons donc chacun prendre conseil de sa position particulière. En pareil cas, quelques essais ne peuvent être sérieusement dommageables, pécuniairement parlant.

La quantité de semence qu’on doit employer est un second point d’une importance particulière, relativement à la prospérité future des prairies légumineuses. — « Les nuages qu’a répandus sur tant de parties de l’agriculture, la manie de tout généraliser, dit Gilbert, semblent s’être épaissis sur cette question. » En effet, les variations qui se trouvent à cet égard dans les anciens auteurs sont à peine croyables. — « Je conviens d’abord, ajoute l’agronome précité dont l’excellent ouvrage, couronné par la Société centrale d agriculture, en est arrivé de nos jours à sa sixième édition, je conviens que les plantes dont sont formées ces prairies deviendront plus grandes, plus grosses, plus vigoureuses ; qu’elles donneront enfin plus de fourrage lorsque la semence aura été économisée, que lorsqu’elle aura été prodiguée. Les exemples que cite M. Tull ; les expériences faites après lui par MM. de Châteauvieux, les membres de la Société de Bretagne, et Duhamel, ne laissent aucun doute à cet égard ; mais, la quantité de fourrage est-elle donc le seul avantage qu’on doive rechercher dans les prairies artificielles ; n’est-ce pas à la qualité qu’il faut surtout s’attacher ? Or, il est hors de doute que la luzerne, le trèfle et spécialement le sainfoin, semés dru, sont d’une qualité bien supérieure à celle de ces plantes semées plus clair. Le défaut des plantes de prairies artificielles est en général d’avoir des tiges trop grosses, trop dures, qui opposent une trop grande résistance à l’action de la mastication, et surtout à celle des sucs dissolvans de l’estomac. Cet inconvénient diminue, il disparaît même presque entièrement lorsque la semence n’a pas été épargnée. Les tiges sont déliées, tendres, ne s’élèvent pas à une aussi grande hauteur ; mais, comme elles sont plus nombreuses, elles gagnent en quelque sorte d’un côté ce qu’elles perdent de l’autre. — Un autre avantage important, c’est que les plantes très serrées étouffent, des la première année, les plantes étrangères qui leur disputent le terrain ; elles rendent inutiles les sarclages si dispendieux et quelquefois même si nuisibles aux herbages nouvellement sortis de terre. L’un des plus grands fléaux pour les prairies artificielles, dans nos climats du moins, surtout pour le trèfle et la luzerne, c’est la sécheresse : les tiges se défendent contre elle ; elles dérobent le sol qu’elles recouvrent à l’action de la chaleur du soleil, et s’opposent à l’évaporation de l’humidité qu’il contient.… — Une autre considération qui ne parait pas moins importante et que je tire de la constitution même de ces plantes, c’est qu’étant très-serrées, leurs tiges sont bien moins difficiles à sécher, et, quoique je n’aie pas été à même de faire cette comparaison, je suis persuadé qu’une récolte de luzerne qui aura été semée dru, sera sèche deux ou trois jours plus tôt que celle dont les tiges auront été plus espacées, et tous ceux qui savent quel est le prix de l’économie d’un jour seulement pour des fourrages coupés, et surtout des fourrages artificiels, ne regarderont pas cet avantage comme peu important. — On m’a souvent objecté que les prairies semées trop dru ont une durée bien moins longue que les autres ; c’est une vérité que j’ai observée plusieurs fois, mais c’est précisément cette circonstance qui détermine beaucoup d’agriculteurs à ne pas épargner la semence. Pressés par l’expiration trop prochaine de leurs baux, ils se hâtent de retirer de la terre le fruit de leurs avances ; si elle donne moins longtemps, elle donne des jouissances plus promptes… Cependant, si l’extrême n’est pas aussi nuisible que l’extrême contraire, il n’est pas sans inconvénient. N’en eut-il d’autre que d’occasioner une dépense inutile, ce serait déjà beaucoup. On peut admettre comme principe général, que les plantes vivaces doivent être moins serrées que les plantes annuelles, et qu’elles doivent l’être d’autant moins qu’elles sont plus vivaces… — On doit savoir encore que la nature du sol, la quantité d’engrais qu’il a reçue, le temps de l’ensemencement, la température atmosphérique et bien d’autres circonstances encore, doivent apporter des variations dans cette fixation, etc., etc. — À ce long extrait, je n’ai rien à ajouter. J’indiquerai, en parlant de chaque espèce en particulier, quelles sont, dans quelques circonstances principales, les proportions de semences qui me semblent convenables.

La préparation du terrain n’offre aucune particularité, sinon que l’épaisseur de terre végétale qui suffit à la rigueur aux céréales, est insuffisante pour les fourrages vivaces dont les longues racines, comme celles de la luzerne et du sainfoin, pivotent profondément. Ce n’est pas que le soc puisse atteindre, ainsi qu’elles le font à la longue, jusqu’au sous-sol ; mais il n’en est pas moins d’observation qu’un champ défoncé à une profondeur de 12 à 15 po. (0m 325 à 0m 406) donne naissance à des herbages d’une végétation plus belle, plus productive dès les premières années, et, chose moins facile à expliquer, plus durable cependant qu’un champ de même nature labouré à 6 ou 7 po. (0m 162 à 0m 189) seulement.

On sème encore parfois quelques prairies artificielles en lignes. Toutefois cette pratique est si peu fréquente et paraît offrir généralement si peu d’avantages, que je ne m’arrêterai pas à en parler. — Un sujet plus important est de savoir s’il vaut mieux les semer seules ou en même temps que les céréales. Pour le trèfle, la lupuline et quelques autres légumineuses, la pratique a sanctionné la seconde méthode qui est devenue générale. Mais il n’en est pas tout-à-fait de même de la luzerne, du sainfoin, etc. Plusieurs agriculteurs ont cru reconnaître qu’un pareil mélange était nuisible aux plantes à longue durée, tandis que d’autres, s’ils lui ont reconnu de légers inconvéniens, ont trouvé que ces inconvéniens étaient plus que compensés par les avantages. Toutes les observations qui me sont personnelles m’ont amené à partager entièrement cette dernière manière de voir.

Les semis d’automne, faits immédiatement sur ceux de céréales de la même saison, dont l’usage est peu répandu, n’exigent qu’un léger hersage, ou, selon les circonstances, un roulage de plus. Souvent même on confie à la première pluie le soin de recouvrir les graines de prairies. — Les semis de printemps sur céréales de mars sont dans le même cas. On juge quelquefois prudent de ne répandre les semences herbagères que lorsque la céréale est levée et déjà un peu forte, dans la crainte que la croissance trop rapide de la légumineuse ne nuise à ses produits, comme il n’est pas sans exemple que cela soit arrivé dans les terres très-favorables à la végétation du trèfle ; mais la manière de couvrir n’est pas pour cela changée — Enfin, le semis de printemps sur un blé d’automne n’exige pas non plus habituellement autre chose qu’un hersage, du reste assez profitable à la récolte du grain, pour que les frais qu’il entraîne soient amplement couverts par l’augmentation de produit.

Dans toutes ces circonstances, on voit que les frais de culture de la céréale ne sont vraiment augmentés que du prix d’acquisition des graines de la prairie ; tandis que si cette dernière devait être semée seule, elle exigerait la plupart du temps les mêmes travaux de préparation que le blé lui-même. Certes, une telle considération est importante. Reste donc à savoir si le semis simultané devra nuire plus tard à l’une des deux récoltes, et si, dans le cas où il en serait ainsi, il pourra nuire au point de balancer en perte le bénéfice notable que procurent la diminution des frais de main-d’œuvre et le produit de la moisson. Or, il peut arriver que la première question soit parfois résolue affirmativement, mais je doute qu’il en puisse jamais être ainsi de la seconde. — Peut-être, la légumineuse répandue sur un blé ne lèvera pas aussi complètement et ne se développera pas aussi vite que si elle eût été semée seule ; mais les bons cultivateurs savent qu’en prenant les précautions convenables on peut obtenir une prairie suffisamment touffue après une récolte très-lucrative de grain, et, si la première coupe est retardée, ils s’en consolent facilement par la vente de leur blé et l’emploi de sa paille.

M. de Dombasle qui fait quelquefois biner au printemps les céréales semées en automne, a trouvé que ce moyen est un des plus efficaces pour assurer la réussite du trèfle et des autres prairies artificielles. Après avoir parlé de l’insuffisance de la herse dans les terres fortes, surtout lorsqu’elles sont disposées en billons, il ajoute : « Avec la binette, l’opération se fait partout avec uniformité, et on modifie l’action de l’instrument en employant alternativement, selon que l’exigent la dureté du sol, les cornes ou la lame tranchante. Une semaille de trèfle couverte ainsi se trouve certainement placée dans les circonstances les plus favorables pour la germination de la graine et la prompte croissance des jeunes plantes. J’ai ensemencé cette année (1825) par ce procédé, 12 hectares de trèfle ou de ray-grass sur des fromens, dans des terres argileuses, où la réussite du trèfle est en général très-casuelle, à cause de la difficulté d’y couvrir convenablement la semence, et on n’y rencontrerait pas un mètre carré où les plantes n’aient parfaitement réussi. »

Un autre moyen d’assurer la réussite des prairies légumineuses, tant dans les céréales de printemps que dans celles d’hiver, est le pâturage au moment de la semaille. « Je dois, dit encore le savant rédacteur des Annales de Roville, la connaissance des avantages de cette pratique à l’un des hommes de France qui possèdent à la fois le plus d’instruction pratique sur l’art agricole, et les plus vastes connaissances en agronomie et en économie politique, à M. le vicomte Emmanuel d’Harcourt. Mes expériences ont parfaitement confirmé les résultats qu’il avait obtenus, et je considère cette pratique comme un des moyens les plus certains d’assurer la réussite d’une récolte de trèfle, de luzerne ou de sainfoin. Je répands un hectolitre de plâtre par hectare, en même temps qu’on sème la prairie artificielle, c’est-à-dire la moitié seulement de ce qu’on met ordinairement sur un trèfle à sa seconde année, et, au printemps suivant, j’en répands encore une même quantité si la récolte me paraît en avoir besoin. — Le plâtre, employé avant la germination des graines, produit des effets tellement énergiques, qu’il est bon de prendre quelques précautions pour empêcher que le trèfle nuise trop considérablement, par la vigueur de sa végétation, à la céréale à laquelle on l’associe. »

L’amendement ou plutôt le stimulant par excellence pour les légumineuses est donc le plâtre (Voy. pag. 71 et suiv.). Du reste, tous les engrais dont j’ai parlé dans la section précédente peuvent être employés avec un égal succès sur les herbages de diverses sortes.

Lorsque les prairies légumineuses sont semées assez épais, il est rare qu’elles aient besoin de sarclages. Il faut qu’elles ne végètent que faiblement ou qu’on les ait semées dans des terrains bien infestés de mauvaises herbes, pour que celles qui se montrent d’abord ne soient pas bientôt détruites. Annuelles, elles sont peu à redouter, puisqu’on les fauche avant qu’elles aient pu grainer ; vivaces, elles sont rarement nombreuses sur les terrains bien assolés. Il peut arriver cependant que quelques-unes de ces dernières fassent un tort réel aux herbages artificiels de quelque durée. Aussi, je suis loin de dissuader de les détruire dans leur jeunesse, autant que faire se pourra, soit à la main, soit à la binette. — À cette époque, il faut déjà commencer à regarnir les vides trop considérables en répandant des graines de la même ou de toute autre espèce susceptible d’ajouter à la masse des fourrages sans nuire à leur qualité.

Plus tard, les binages pourront encore être utiles pour raviver une prairie sur le retour. Si mieux on n’aime la défricher quand on la voit par trop faiblir, un hersage énergique, un ou deux traits de scarificateur, et l’application d’un riche compost devront encore lui rendre quelques années de fécondité ; mais ce sera le dernier effort de la nature et la dernière ressource de l’art.

[18:2:3]
§ iii. — De l’emploi du produit des prairies légumineuses considéré comme base du système d’éducation des animaux à l’étable.

On étend trop souvent le pâturage jusqu’aux prairies artificielles. Les graves inconvéniens qui résultent, on peut dire journellement, de cette coutume sur la santé des animaux, devraient la faire abandonner, sauf le seul cas où ces prairies, arrivées au terme de leur existence, ou manquées au semis, ne sont point assez garnies pour être profitablement fauchées. En cet état, les légumineuses se trouvent mêlées à une foule d’herbes adventices qui diminuent leur fâcheuse influence. Encore, si elles dominent beaucoup, faut-il prendre la précaution de mettre le gros bétail an piquet pour fixer sa ration du jour, et, dans tout état de cause, n’introduire les troupeaux que lorsque le soleil a pompé une partie des sucs gazeux accumules durant la nuit dans les jeunes tiges et les feuilles de ces plantes dont l’abus cause si facilement la météorisation.

La véritable manière de faire consommer en vert ou en sec les fourrages légumineux, c’est à l’étable, ou, faute d’étables assez saines et assez grandes pour y laisser constamment les animaux, dans une cour disposée convenablement pour cette destination ; ou encore dans des parcs mobiles transportés chaque année près des soles qui doivent fournir la plus grande partie des fourrages.

On a fait contre ce système, ou plutôt contre le système général des prairies artificielles substituées en tout ou en partie au pâturage, plusieurs objections qui toutes se réduisent à 3, savoir : le besoin d’air et d’exercice pour les animaux, et la moindre qualité de certains de leurs produits ; — la casualité des récoltes de trèfle ou d’autres légumineuses ; — l’augmentation de frais de diverses sortes. — Il convient d’examiner séparément ces différens points.

Quant au besoin d’air et d’exercice, et à la qualité des produits, il faut s’entendre. Il est certain que dans beaucoup de lieux la mauvaise disposition et les étroites dimensions des étables rendent indispensable de n’y renfermer que le moins possible les bestiaux ; mais cette difficulté n’est pas insurmontable, puisque partout on peut trouver en plein air un emplacement où il sera facile d’étendre la litière et d’affourager comme à l’étable, à toutes les époques où l’on est dans l’usage de laisser vaguer les animaux. — En second lieu, pour ceux de travail, le repos est bien plus souvent nécessaire que l’exercice, de sorte que l’objection tombe encore d’elle-même en ce qui les concerne. — Restent donc les jeunes animaux, les vaches laitières et les moutons. A leur égard, les avis sont partagés, et, pour ma part, j’avoue que je ne crois pas qu’on doive les tenir constamment renfermés en de trop étroites limites. Il m’est démontré que les jeunes élèves se développent mieux lorsqu’on les abandonne entièrement à eux-mêmes, au pâturage pendant une partie de la journée. Je dirai aussi, tout en reconnaissant combien il est avantageux de donner du fourrage vert aux vaches, au moins au milieu du jour, pendant les fortes chaleurs et à l’époque où la plupart des herbages ont perdu leur fraîcheur, que l’exercice qu’on leur permet de prendre le soir et le matin est éminemment favorable à leur santé comme à la sécrétion et à la bonne qualité de leur lait. — Enfin, conformément aux opinions assez généralement répandues parmi les bergers, je crois encore que le système de nourriture à l’étable, pour les moutons, doit s’allier à celui du pâturage, autant dans l’intérêt des animaux que par suite de l’impossibilité de faire autrement dans beaucoup d’exploitations agricoles.

La casualité des récoltes que donnent les prairies artificielles n’est guère plus grande que celle de tout autre herbage. A la vérité, dans les domaines dont le sol est varié, si l’on s’obstinait à cultiver partout du trèfle ou de la luzerne, il pourrait bien arriver que ces plantes ne donnassent pas les produits qu’on croyait devoir en attendre, ou qu’elles manquassent même tout-à-fait, de sorte que, faute de prairies permanentes ou de pâturages, on se trouverait fort embarrassé de pourvoir à la nourriture des herbivores ; mais un cas semblable ne peut être prévu dans une exploitation bien dirigée et bien assolée. Si les légumineuses y manquent, ce ne sera ni parce qu’on les aura placées sur une sole qui ne leur convient pas, ni parce qu’on n’aura pas pris les soins nécessaires à leur culture ; la saison seule aura été un obstacle à leur succès, et la saison aurait tout aussi bien arrêté le développement d’autres herbes. Le meilleur moyen d’échapper à la disette accidentelle des fourrages, c’est de varier les produits fourragers ; et, à ce sujet, il faudrait parler longuement des racines, si cette tâche n’était déjà remplie. Je rappellerai seulement qu’elles offrent cela d’avantageux, dans leurs rapports avec l’alimentation à l’étable ou au parc, que, lorsqu’elles surabondent, elles permettent d’augmenter le nombre de bœufs à l’engrais ; — qu’elles sont d’ailleurs susceptibles d’être utilisées pour la nourriture de l’homme, et qu’elles se prêtent en outre, dans l’état industriel de la France, à divers usages qui leur assurent, dans beaucoup de localités du moins, un débit assuré.

L’augmentation des frais est une objection plus fondée, quoique souvent on s’en exagère l’importance. Il est certain que la nourriture, à l’étable exige pour le fauchage journalier, le transport du fourrage, la distribution des litières et le travail des fumiers, plus de matériel et de main-d’œuvre. Cette augmentation dans le cheptel mort, et le nombre de journaliers, est surtout sensible dans les grandes exploitations. Le capital en circulation doit y être nécessairement plus considérable, mais aussi c’est là que l’augmentation de produits est plus importante, car elle est toujours en rapport avec les avances qu’on peut faire au sol. Refuser ces avances là où elles sont profitablement possibles, ce serait à peu près laisser un champ fertile en jachère pour éviter les frais de labour, ou perdre la moisson dans la crainte de payer les moissonneurs.

Les avantages les plus marqués que présente la consommation, à l’étable, du produit des prairies légumineuses et des racines fourragères, sont les suivans : 1° la diminution détendue de terrain réservé pour la nourriture du bétail. Cette proposition a été suffisamment démontrée précédemment.

L’économie de nourriture. En effet, les animaux ne détruisent pas seulement les herbes pour s’en nourrir ; ils leur nuisent plus ou moins, soit en les foulant aux pieds, en se couchant dessus, ou en les rendant moins appétissantes par leur haleine ; — soit en répandant leurs excrémens en trop grande quantité sur un seul point : — soit enfin en les broutant de trop près pendant les fortes sécheresses, ou même en les arrachant dans quelques cas. Contre ces divers inconvéniens, la nourriture à l’étable est un remède certain ; là, tout se consomme et rien n’est perdu.

L’abondance de cette même nourriture pendant toute l’année lorsque l’assolement est bien entendu ; — la convenance de fourrages verts à l’époque des sécheresses, et de racines aqueuses alliées au foin pendant l’hiver ; — enfin, la possibilité de réserver pour une année moins féconde l’excédant de nourriture d’été que le bétail n’a pas consommé.

La moindre déperdition d’engrais : parce que, sans nier que ceux qui sont disséminés sur les pâturages, lorsqu’on prend le soin de les répandre, soient véritablement profitables, il est bien certain qu’ils le sont infiniment moins dans ce cas que si on les utilisait à la culture des champs ou à la formation de composts propres à être répandus sur les herbages.

L’amélioration du bétail, en ce sens qu’avec les soins convenables, qui consistent à le mener a l’abreuvoir, à le faire baigner et à lui faire prendre de temps en temps l’exercice qui convient à son espèce, à son âge et à sa destination ultérieure, on peut, non seulement le conserver en parfaite santé dans les cas ordinaires, mais le préserver de la plupart des maladies les plus dangereuses qui l’atteignent au pâturage, telles que l’inflammation de la rate, la météorisation, la pourriture, etc.

6° Enfin, la plus grande facilité de faire succéder les récoltes fourragères et celles de grain dans un court espace de temps, et l’accroissement de valeur des produits au sol, ainsi que j’ai tâché de le démontrer en traitant des assolemens.

Section iii. — De l’étendue relative des herbages et du nombre de bestiaux nécessaires dans chaque exploitation.

S’il est vrai que les fourrages, de quelque nature qu’ils soient, sont une base indispensable de toute exploitation agricole, après avoir étudié les moyens de se les procurer, Il devient d’une haute importance de savoir proportionner leur étendue à celle des autres cultures économiques ou industrielles. La question qui se présente à ce sujet est fort complexe ; aussi ne doit-on pas s’attendre à la voir résolue dans un livre avec une rigueur mathématique ; car, pour qu’il en fût ainsi, non seulement il faudrait savoir positivement quelle étendue de pâturage ou de prairies peut suffire à la nourriture d’une tête de bétail, ce qui varie, pour les mêmes espèces, en raison de la différence du climat, de la nature, de la position du sol et de la qualité des plantes fourragères, mais il faudrait aussi indiquer le nombre des bestiaux de chaque sorte que l’on doit élever, engraisser on entretenir, ce qu’il n’est possible de faire, pour chaque localité, qu’après avoir étudié tout le système de culture qu’on a cru devoir y adopter.

Je connais peu de sujets en agriculture qui aient davantage appelé la discussion que la première partie de ce problème multiple, et malheureusement chacun, en voulant le résoudre, n’a pas toujours assez senti qu’il fallait étendre les observations au-delà des étroites limites de telle ou telle contrée, ou éviter de donner aux résultats de ces mêmes observations, quelque précises qu’elles fussent, un caractère de généralité. — Si l’on suppose un sol parfaitement de même nature, exposé ici au soleil et aux étés sans pluies de la Provence, la au ciel nuageux, aux vents humides et aux marées pluvieuses de la France occidentale, on aura, dans le premier cas, une garigue inféconde, où les cistes et la lavande peuvent seuls épanouir leurs fleurs à côté du myrte, et dont l’unique habitante parait être la cigale ; — dans le second, un pâturage vert encore au milieu de la saison des sécheresses et couvert de gras troupeaux. Puis, transportez ce même terrain dans la plaine de Nîmes, ou dans la riche Toscane, à côté de quelques-uns de ces cours d’eau qui répandent sur tout ce qu’ils approchent une fécondité inconnue aux régions du nord, au lieu d’un pâturage, vous verrez une riche prairie tomber et renaître 5 ou 6 fois sous la faulx dans le cours d’une seule saison.

Lorsque l’influence du climat se complique de la variété des terrains et des herbages, la question devient encore plus insoluble ; car il y a tout autant de différence entre un coteau à couche labourable peu épaisse, une lande sablonneuse ou crayeuse et un vallon profond on une terre à luzerne, qu’entre les saisons du nord et du sud de la France ; — entre le produit du petit nombre de plantes qui végètent parfois à grande peine sur les mauvais fonds, et celles bien plus nombreuses qui prospèrent sur les bons ; — enfin, entre les herbages fauchables ou de pâturage dont on abandonne insoucieusement la formation au hasard, et ceux dans lesquels on associe avec discernement les espèces les plus propres à bien garnir le terrain, à croître, à mûrir ensemble, et à procurer aux bestiaux la meilleure nourriture possible.

Dans les calculs que Gilbert a faits avec un soin particulier sur toute l’ancienne généralité de Paris, tandis qu’il ne portait le produit moyen des 138,000 arpens de prairies artificielles qui y existaient de son temps, qu’à 2,500 livres de fourrage sec pour chacun d’eux, il estimait que l’arpent de luzerne en donnait 4,604, — celui de trèfle, 3,561, — celui de sainfoin, 2,946, — et celui de vesces, 2.733. Or, si l’on cherchait à calculer de la même manière la différence des produits des pâturages naturels et artificiels, il est hors de doute que cette différence serait proportionnellement, en faveur des seconds, beaucoup plus tranchée encore.

Ce n’est pas tout : assez ordinairement on range les animaux herbivores, eu égard à la quantité de nourriture qu’il convient de donner à chaque espèce, de la manière suivante : — un cheval, — un bœuf, — une vache, forment chacun une tête à laquelle correspondent 3 têtes de veaux d’un an, ou une tête l/2 d’un veau du 2 ans, ou, selon les races, de 6 a 12 têtes de bêtes ovines ; mais on sent qu’une telle évaluation est encore d’un vague tout aussi grand, car non seulement la plupart des chevaux mangent davantage que les bêtes à cornes, mais le bœuf mange plus que la vache, et, certes, il n’y a pas d’exagération à dire qu’une belle vache normande consomme trois fois autant de fourrage qu’une vache solognote ; tandis que 14 à 15 brebis de la seconde de ces contrées équivalent à peine à la moitié de ces animaux, bien nourris et de belle race, quoique de même espèce, tels qu’on peut les rencontrer dans le Berry.

À côté de toutes ces difficultés, auxquelles ajoute encore la différence de nourriture des bestiaux dans les localités où les racines peuvent être profitablement cultivées et dans celles où le fermier n’a encore d’autres ressources que le foin et les pâturages, on sent combien il est difficile d’arriver à calculer d’une manière seulement approximative l’étendue des divers herbages, d’après les quantités nécessaires de chacun d’eux, pour entretenir une ou plusieurs têtes de bétail, puisque, hors de localités assez restreintes et souvent dans des exploitations tout-à-fait voisines, les animaux, selon la race à laquelle ils appartiennent ou le régime auquel on les soumet, mangent ou beaucoup plus ou beaucoup moins, tandis que les prairies peuvent donner des produits complètement différens.

En terme moyen, Thaer admet qu’un cheval de labour, nourri à l’écurie, demande annuellement, outre l’avoine ou autres grains qu’il suppose lui être donnés en suffisance, 7,500 livres de Berlin de gros fourrage, dont un tiers en foin, soit 2,500 livres, et les deux tiers en paille ; qu’une bonne vache laitière de taille moyenne, ou un bœuf de trait nourri à l’étable, consomme, dans le même espace de temps, en nourriture et en litières, 4,500 liv. de paille et pareille quantité de foin (les diverses nourritures vertes étant réduites à cette espèce). Il a calculé que, lorsque ces animaux sont mis pendaut le jour au pâturage, ils ont assez de 4, 000 livres de paille et de la quantité de racines qui, réduite en foin, ferait l’équivalent de 3,800 livres : en tout 6,500. A Roville, les chevaux reçoivent par tête, pendant 6 ou 7 mois de l’année, une ration de 10 kilog. de foin ou de luzerne sèche, avec une addition de grains et de carottes qui représente encore une quantité à peu près égale de fourrage sec. Pendant le reste de l’année, ils sont nourris de fourrages verts avec un peu de grain, et l’on peut supposer que leur ration, pendant cette partie de l’année, forme l’équivalent de la ration donnée en fourrage sec. On ne peut donc s’éloigner beaucoup de la vérité, en évaluant à 20 kilog. de foin par jour, ou à 7,300 kilog. par an, la consommation de chaque cheval pour tous les genres de nourriture. — La ration des bœufs à l’engrais, tant en foin qu’en racines et en tourteaux, doit être considérée comme approximativement égale à celle des chevaux. — Celle des vaches peut s’évaluer à moitié de celle des chevaux et des bœufs à l’engrais. — Quant à la ration de la bergerie, elle est environ pour chaque tête de bête adulte, d’un kilog. de foin ou l’équivalent en racines ou en nourriture prise aux pâturages, etc. La consommation de chaque bête à laine représente donc à peu près 365 kilog. de foin par an.

Yvart portait, en terme moyen, d’après la pratique d’Alfort, la provende de chaque tête de gros bétail à 5 et 6,000 kilog.. quoiqu’il eût reconnu qu’elle est parfois beaucoup plus considérable ; tandis que Gilbert, faisant à la vérité abstraction des pailles, de l’avoine, du son, et, très-probablement, quoiqu’il ne le dise pas, des herbages de pâture consommés annuellement par les mêmes animaux, n’estimait qu’à 4,000 livres (2,000 kilog.) le fourrage sec qu’on leur donnait de son temps dans la généralité de Paris.

De ces données, telles diverses qu’elles soient, il ressort cependant une vérité utile : c’est que, si l’on ne peut présenter des calculs tout faits aux cultivateurs d’un pays entier, chacun, selon les circonstances et les lieux dans lesquels il se trouve, — d’après la connaissance qui lui est acquise des herbages, et, si je puis m’exprimer ainsi, de la capacité des animaux qu’il possède, pourra facilement arriver, pour son propre compte, à savoir combien, avec l’aide des pâturages et des racines fourragères, il lui faut d’étendue de prairies de diverses sortes, pour entretenir tel ou tel nombre de bestiaux ; et ceci est fort important, non seulement en théorie, mais en pratique, car il vaut mieux vendre du foin dans les années ordinaires, que des bestiaux dans les mauvaises, et les engrais qu’on obtient toujours en quantité plus considérable d’animaux copieusement nourris, l’augmentation de produit en chair, en laitage et même en force musculaire, sont des compensations plus que suffisantes à un léger surcroît de consommation.

Après avoir cherché ce qu’une étendue donnée de prairie peut nourrir de têtes de bétail, il reste à savoir combien de bestiaux, de toutes sortes on doit entretenir sur l’exploitation, pour obtenir la quantité d’engrais suffisante à la production des grains et des autres produits de la culture.

Dire au juste et d’une manière absolue ce qu’il faut de fumier pour fertiliser une étendue donnée de terre pendant un temps voulu, et, en étendant cette proposition, combien de têtes de bétail il faut pour produire les engrais raisonnablement nécessaires pour cela, est tout aussi difficile que d’indiquer de la même manière la quantité de tel ou tel herbage qui doit suffire partout à la nourriture d’un cheval, d’un bœuf, etc. — La qualité chimique, la disposition physique du sol ; — le retour plus ou moins fréquent des récoltes céréales ou industrielles ; — la durée des prairies artificielles et bien d’autres circonstances font varier la quantité d’engrais en raison de la fertilité du sol. Ainsi, dans un champ crayeux où l’on ne peut rien obtenir qu’à force de fumiers ; — dans un sable qui laisse s’écouler avec l’eau des pluies tous les sucs extractifs qu’il contient ; — en des localités où deux piailler, comme le froment et le lin ou le chanvre, se succèdent sans interruption, on ne jugera certainement pas qu’il ne faille pas plus d’engrais que dans une terre franche, profonde et substantielle ; — sur un fonds argilo-sableux assez compacte pour retenir au profit des racines l’eau et les engrais qu’elle dissout ; — sur un champ rendu tous les 5 ou 6 ans à la production des herbages naturels ou artificiels, ou fécondé de 4 en 4 ans par une récolte partiellement enfouie, etc.

Cependant, à défaut de règles bien précises et bien générales, il n’est pas impossible d’arriver à des données utiles. — Pour les fermes dites à grain, nous avons vu un agronome praticien, bien connu par ses belles expériences sur les assolemens, trouver que, chez lui (Voy. pag. 267), chaque bête bovine ou chevaline consommait tout juste, en paille de froment et d’avoine et en fourrages verts et secs, ce que peut fournir un demi-hectare de chaume de ces céréales, et un demi-hectare de bonne prairie artificielle, tandis qu’elle donnait en fumier 12 tombereaux de 3,600 à 4,000 livres chacun (l,800 à 2,000 kilog.) par an, c’est-à-dire autant qu’il en faut dans l’assolement adopté à la Celle-Saint-Cloud, de sorte qu’il arrivait à cette conclusion qu’une seule tête de bétail suffit pour deux hectares et qu’un quart de l’exploitation seulement doit être cultivé en prairies artificielles.

Aux yeux de beaucoup de ceux qui se sont soigneusement occupés de leur comptabilité agricole, la culture des grains est une des plus productives, sinon la plus productive, pour la grande généralité de la France, lorsqu’elle est bien combinée ; car, soit dit en passant, si on la charge, comme dans l’assolement triennal avec jachère, de 3 années de loyers et d’impôts du terrain pour deux récoltes ; — du prix exorbitant des labours de la première année et de celui des engrais, il est fort douteux qu’elle donne habituellement, et je pourrais attester qu’il est même assez rare qu’elle donne un bénéfice net de quelque importance. — Le propre d’un mauvais assolement est à la fois de diminuer la production des fumiers et d’augmenter le besoin qu’on éprouve de s’en procurer. — Le but d’un bon assolement est, au contraire, non seulement d’ajouter à la masse des engrais, mais encore de les employer, à quantité égale, bien plus profitablement et par conséquent plus économiquement; d’où il doit résulter non seulement que sur des étendues égales on obtient plus de blés, mais encore qu’il est possible d’étendre davantage leur culture sur la ferme. — On sent combien il serait avantageux qu’un quart de la propriété pût suffire pour fumer tout le reste. Toutefois, il devient indispensable de faire observer, à propos de l’exemple que je viens de citer, que d’une part M. de Vindé récolte par hectare, tout regain compris, jusqu’à 1200 bottes de fourrage, poids marchand de 10 à 11 livres, c’est-à-dire plus de 12,000 livres, ce qui serait, pour beaucoup de lieux, une estimation évidemment forcée ; et que de l’autre, en nourrissant ses troupeaux de toutes sortes à l’étable et en leur donnant une litière très-abondante, il obtient une quantité d’engrais qui dépasse, par tête de bétail, ce qu’on peut espérer dans les circonstances ordinaires (de 21,600 à 24,000 kilog.).

À Roville, la nourriture de chaque cheval étant, comme il a été dit plus haut, de 7,300 kilog., la quantité de fumier produite par tête est de 25 voitures du poids moyen de 650 kil. chacune, en tout 16,200 kil. ou 222 kil. de fumier par 100 kil. de fourrage ; et cependant la litière est toujours en quantité suffisante pour absorber toutes les urines, car l’écurie est construite de manière qu’aucune partie de ces dernières ne peut en sortir, en sorte qu’on est forcé de les faire absorber dans la rigole qui règne derrière les animaux. — Quant aux bœufs à l’engrais, M. de Dombasle a trouvé bien souvent qu’une écurie contenant 12 de ces animaux, du poids de 3 à 400 kil. chacun, donnait 9 voitures de fumier par semaine, ce qui fait, par tête de bœuf, pour l’année entière, 39 voitures, soit 25,300 kil., c’est-à-dire beaucoup plus que les chevaux, quoique la masse des alimens soit à peu près la même. Cette différence vient d’abord de ce que ces derniers passent une partie du temps hors de l’écurie, tandis que les bœufs n’en sortent pas pendant toute la durée de l’engraissement ; et, probablement aussi, de ce que les excrémens du bœuf, étant plus liquides que ceux du cheval, exigent plus de paille pour les absorber. — Les vaches, dont la ration est environ moitié moindre que celle des bœufs, produisent du fumier à peu près dans la même proportion que ces derniers relativement à la quantité de nourriture, c’est-à-dire approchant d’une vingtaine de voitures. — Les moutons produisent environ 600 kil. de fumier chacun, en déduisant celui que l’on peut raisonnablement imputer aux agneaux, et celui qui est disséminé au parcage. Comme ils consomment par tête de bête adulte 1 kil. de foin ou l’équivalent, on voit que 100 kil. de foin ne produisent ici que 164 kil. de fumier[4]. — Enfin les cochons, dont le nombre est très-variable sur la ferme, donnent encore une certaine quantité de fumier qui n’a pu être évaluée comparativement à la nourriture de chaque animal.

D’après ce calcul, chaque cheval produisant 25 voitures de fumier, si l’on estime à 50 de ces voitures la quantité nécessaire pour fumer un hectare, il faudra 2 chevaux par hectare ; — un peu moins de 2 bœufs de travail ; — environ 1 ½ bœuf à l’engrais ; — 3 vaches ; — et, en admettant qu’on ne fît jamais parquer les moutons, environ 50 de ces animaux dont je suppose ici que les excrémens auront été réunis à la masse générale des engrais pour compenser le défaut d’énergie de ceux des bêtes à cornes.

À la vérité, au lieu de 50 voitures de fumier, c’est-à-dire de 32,500 kil. par hectare, il est des lieux où l’on en met et où l’on peut en mettre raisonnablement moins ; mais il en est aussi où cette quantité ne paraîtra que suffisante. À la vérité encore, ce n’est pas à beaucoup près tous les ans qu’il faut revenir à une pareille fumure. Il est des terres qui ne comportent pas une grande quantité d’engrais à la fois, mais qui ont besoin d’être fumées souvent ; — d’autres au contraire qui gardent mieux l’engrais, de sorte que ce ne peut être qu’après avoir fait une étude approfondie des divers terrains de chaque exploitation, de l’assolement qui lui convient le mieux et de l’étendue de soles qu’on devra fumer chaque année, qu’il deviendra possible de savoir de combien d’engrais on aura besoin.

En quelques circonstances on fume tous les deux ans ; — le plus souvent, c’est tous les trois ou quatre ans ; — parfois seulement tous les six ans. — Dans l’assolement quadriennal, que je prendrai pour terme moyen, pour peu que les terres soient de bonne qualité, on ne répand annuellement de fumier que sur un quart de celles qui sont régulièrement assolées. (Voy. l’art. Assolement.)

Ainsi, partout et toujours en agriculture, les circonstances locales veulent être d’abord attentivement étudiées. Le savoir qu’on rencontre dans les livres doit pouvoir faciliter cette étude, et, lorsqu’ils sont bien faits, guider encore l’esprit intelligent vers les améliorations possibles. Heureux l’auteur consciencieux qui pourra approcher de ce double but, et qui saura faire comprendre l’utilité des théories en les dépouillant du faux brillant dont on les a trop souvent entourées !

Section iv. — Des diverses plantes fourragères propres à être cultivées sous le climat de la France.

[18:4:1]
§ ier. — Des graminées.

La famille des graminées, dont les semences farineuses fournissent aux habitans d’une grande partie du monde leur principale, trop souvent presque leur seule nourriture, est aussi celle dont les espèces nombreuses font partout la base des pâturages et des prairies naturelles. — Dans beaucoup de lieux, elles concourent essentiellement à la formation des prairies semées.

Parler de toutes les graminées plus ou moins propres à la nourriture de nos bestiaux, au pacage ou à l’état de foin, ce serait reproduire presque en entier l’une des parties es plus étendues de la flore française. Tel ne peut être notre but. Dans ce paragraphe, le lecteur retrouvera seulement les espèces les plus recherchées ou les plus dignes de l’être comme fourrages, soit à cause de l’abondance ou de la qualité supérieure de leurs produits, soit par suite de leur rusticité et de la propriété si précieuse aux yeux de l’agriculteur, décroître sur les terrains les moins féconds et dans les localités les moins favorisées.

En présentant ce travail dans un ordre différent de celui qui a été adopté dans d’autres ouvrages, j’ai eu en vue non seulement de me rapprocher davantage des classifications naturelles qui me paraissent plus satisfaisantes pour l’esprit, mais encore d’arriver à faire mieux ressortir, par le moyen de très-courtes descriptions, les différences principales qui caractérisent les plantes des divers groupes et des genres dont je devrai parler. — À l’aide de ces descriptions, quelque incomplètes qu’elles dussent paraître dans un traité spécial de botanique, et des figures que j’ai fait faire toutes sous mes yeux en consultant minutieusement la nature[5], j’espère qu’on pourra assez facilement reconnaître et distinguer entre elles les espèces, même les plus faciles à confondre si l’on s’en rapportait à l’aspect, sans considérer quelques-uns des détails d’organisation.

Flouve (Anthoxanthum) genre qui appartient à la première division des graminées, c’est-à-dire à celle dont toutes les espèces ont des panicules ou des épis, dont chaque épillet (Voy. page 366) n’est composé que d’une fleur, et qui se trouve aussi l’un des premiers de cette grande division dans les classifications botaniques. — Ses caractères sont : une glume à deux valves inégales sans arête (Voy. b, fig. 644) ; — une balle à deux valves aiguës, oblongues, portant chacune une arête (Voy. a) à la partie extérieure, et renfermant deux étamines.

La Flouve odorante (Anthoxanthum odoratum, Lin) (fig. 644) est vivace. Elle a des tiges à 2 ou 3 articulations, s’élevant rarement au-dessus de 10 à 11 po. (0m271 à 0m300) ; — des feuilles plus ou moins velues, assez courtes ; — un épi ovale, jaunâtre ; — des fleurs à balles (a), d’un roux foncé sous les valves de la glume représentée isolée en b, et portant chacune une arête ou barbe, de longueur différente. — c représente une fleur ou un épillet entier.

Cette espèce se trouve sur des terrains de nature et d’expositions fort différentes : sur des coteaux arides, dénudés de végétation ; à l’ombre des bois et même dans les prairies basses. Ses tiges, généralement peu élevées, la rendent d’un faible produit ; mais si elle ne peut faire seule de bonnes prairies à faucher, elle a deux qualités qui la recommandent à l’attention des cultivateurs : sa grande précocité et l’odeur aromatique qui la fait avidement rechercher par tous les herbivores. Sous le premier point de vue, grâce à sa rusticité, elle convient aux pâturages secs ; sous le second, lorsqu’on mêle en petite quantité ses graines à celles des autres plantes de prairies, elle ajoute à la saveur et à la qualité du foin. — Elle est, du reste, assez commune dans les prés.

Vulpin (Alopecurus), genre assez voisin de la flouve, et dont les caractères sont : une glume à deux valves, uniflore, sans arête ; — une balle, dont une des valves seulement est munie d’une arête extérieure ; — des fleurs en panicules ou épis serrés et cylindriques.

Le vulpin des prés (Alopecurus pratensis, Lin) (fig. 645) a une tige simple, droite, de 1 à 3 pieds (0m325 à 1 mètre) ; — les fleurs serrées sur une grappe en forme d’épi cylindrique, mou, blanchâtre, velu ; — les feuilles lisses et terminées en pointe aiguë. — a représente les deux valves cotonneuses de la glume ; — b les deux valves réunies de la balle, d’où sortent les organes sexuels, et à l’une desquelles adhère une barbe ou arête genouillée.

Sur tous les points de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne, ce vulpin est considéré comme une de nos graminées fourragères les plus précieuses par sa précocité et l’abondance de ses produits. — Son foin, quoique un peu gros, convient également à tous les bestiaux, et surtout aux vaches et aux chevaux. Fig. 645.

La rapidité avec laquelle il accomplit les diverses phases de sa végétation, rapidité si grande qu’il n’est pas rare de le voir épiller deux fois la même année, lorsqu’il a été fauché de bonne heure une première fois, rend assez difficile de l’allier avec d’autres gramens ; cependant il en est, tel que le ray-grass, la houque et diverses bonnes espèces, qui arrivent à leur point de fauchaison lorsque les tiges du vulpin des prés sont encore succulentes.

Cet excellent fourrage aime la fraîcheur autant qu’il redoute une humidité stagnante. Il convient particulièrement aux prés bas, aux étangs desséchés, mais il s’accommoderait fort mal des fonds marécageux. — Il ne redoute nullement les froids de nos climats, aussi peut-on le semer de bonne heure en automne ou au printemps. — M. Vilmorin recommande de répandre environ 20 kilog. de graines par hectare.

Fig. 646.

Le Vulpin des champs (Alopecurus agrestis, Lin.) (fig. 646) est vivace. Il se distingue facilement du précédent, non seulement à ses glumes absolument glabres, mais à la simple inspection de sa panicule cylindrique beaucoup plus grêle et plus alongée,qui prend souvent une teinte d’un vert purpurin. — a glume ; — b balle extraite de la glume et vue au moment de la floraison.

Il s’élève communément moins, mais il talle peut-être plus encore que le vulpin des prés, et s’il donne en définitive un fourrage moins abondant, il possède en compensation la propriété de mieux réussir sur les terrains élevés, de qualité même médiocre. On le voit souvent croître spontanément dans les champs cultivés. Après la moisson des céréales, il procure aux troupeaux un pâturage excellent. — Yvart s’est bien trouvé de le mêler parfois à des trèfles et à d’autres prairies artificielles.

Le Vulpin genouillé (Alopecurus geniculatus, Lin.) (fig. 647), vivace, a les panicules plus courtes que les deux espèces précédentes ; sa couleur est d’un vert plus franc ; — ses fleurs, quelquefois tout-à-fait glabres à la base de l’épi, sont légèrement velues à la sommité, — ses tiges sont fortement genouillées.

Fig. 647.

Ce vulpin, qui croît naturellement au bord des étangs et dans beaucoup de lieux humides, est particulièrement propre aux terrains marécageux. Son fourrage est de meilleure qualité que celui de beaucoup d’autres plantes de semblables localités. Les vaches, les bœufs et les chevaux s’en accomodent et s’en trouvent fort bien.

Fléole (Phleum). Glume à deux valves tronquées et surmontées de deux pointes, à une seule fleur ; — balle plus petite que la glume. (Voy. les détails de la fig. 648.)

Fig. 648.

Fléole des prés (Phleum pratense. Lin .), Thimothy des Anglais, fléau, etc. (fig. 618), vivace ; sa tige, articulée, droite, feuillue, s’élève au-delà de 3 pieds (1 mètre) ; — l’épi, cylindrique, grêle et serré, est long d’environ 4 po.; — les balles sont petites, blanches à l’extérieur, vertes sur les côtés.

Ce gramen, justement vanté par les Anglais à cause de l’abondance de ses fanes et de la bonne qualité de son fourrage pour les bestiaux de toutes sortes, a depuis longtemps été semé isolément pour en faire des prairies artificielles. — Il se plaît de préférence et donne ses meilleurs produits dans les terrains humides, quelle que soit d’ailleurs leur composition, argileuse, sableuse ou même tourbeuse. — « Dans les terres sablonneuses de Bonny (Loiret), j’en ai vu, dit M. Vilmorin, des pièces excellentes chez feu M. le comte de Chazal, qui en obtenait depuis 1000 jusqu’à 1400 bottes de 5 à 6 kilog. par hectare. Le foin de cette plante, quoique gros, est très-bon. Le thimothy étant une des graminées les plus tardives, si on l’emploie pour former le fonds d’une prairie permanente, on doit éviter de lui adjoindre les espèces très-hâtives. Les agrostis, les fétuques des prés et élevée, sont celles qui, sous ce rapport, iraient le mieux avec lui. — On peut encore employer très-avantageusement le thimothy en pâture, même sur des terrains médiocres, pourvu qu’ils aient de la fraîcheur ; M. de Chazal en faisait également un grand emploi de cette manière. — La graine se sème en septembre et octobre, ou en mars et avril, à raison de 14 à 16 livres par hectare.»

La Fléole noueuse (Phleum nodosum, Lin.) est facile à distinguer par ses racines bulbeuses, par ses tiges remarquablement coudées aux articulations, par sa panicule plus courte et ses glumes parfois purpurines encore plus distinctement ciliées.

Cette espèce, qui se plaît dans les mêmes terrains que la précédente, n’est ni plus précoce ni aussi productive.

Phalaris (Phalaris). Glume uniflore, à deux valves égales creusées en nacelle, et non tronquées comme dans le genre précédent ; — balle à deux valves inégales, pointues et de moindre longueur que la glume ; — fleurs en panicule ou sorte d’épi cylindrique. (Voy. les détails de la fig. 649.)

Phalaris roseau (Phalaris arundinacea, Lin.), Ruban d’eau ; — Rubanier ; — Alpiste roseau, etc. (fig. 649), vivace ; tiges droites de 4 à 5 pieds, poussant facilement des racines de chacun de leurs nœuds ; — feuilles lisses, larges et longues ; — panicules blanchâtres nuancées de violet. Il existe une variété bien connue par ses feuilles rubanées de vert et de blanc.

Fig. 649.

Quoique cette belle graminée ait en quelque sorte l’apparence d’un roseau, elle en diffère cependant essentiellement par le fait. Ses liges, dans leur jeunesse, produisent sous la faulx un fourrage tendre et nourrissant. — Elle abonde à la vérité dans les prairies humides ou arrosées de la Lombardie, de la Suède, et on la retrouve fréquemment en France dans des lieux analogues ou sur les bords des fleuves ; mais, bien qu’elle ne croisse spontanément que dans les terrains presque aquatiques, des expériences récentes dues à MM. Vilmorin, dans le Gâtinais, Jacquemet-Bonnefonds, près d’Annonay, et Descolombiers, aux environs de Moulins, tendent fortement à faire croire que la même plante peut utiliser des terres calcaires assez maigres , des terrains granitiques très secs, et qu’elle résiste même mieux que beaucoup d’autres à des étés peu pluvieux.

Le Phalaris, ou Alpiste des Canaries (Phalaris canariensis, Lin.), dont il a été parlé ailleurs sous d’autres rapports (Voy. pag. 410 et fig. 650), peut aussi servir de fourrage.

Les chevaux s’accommodent assez bien de sa paille fauchée après la maturité des graines, quoiqu’elle soit en cet état dure, et qu’elle doive communément être préalablement brisée. En Angleterre, où on cultive çà et là cette plante pour sa graine, et où on la regarde sous ce point de vue comme une récolte fort incertaine, eu égard au climat, on se console en partie de la voir manquer, parce qu’elle donne toujours au moins un fourrage vert plus estimé, d’après Loudon, que celui de tous les autres végétaux culmifères.

Fig. 650.

Le Phalaris Fléole (Phalaris phleoïdes, Lin.) est beaucoup moins élevé que le rubanier ; — ses feuilles sont larges et courtes ; — ses fleurs, réunies en une sorte d’épi grêle assez semblable à celui de la fléole des prés, mais dont les épillets sont portés sur des pédoncules rameux. — On le rencontre ordinairement sur les terrains élevés et peu fertiles ; aussi est-ce en pareille situation qu’on peut recommander de l’utiliser. Il fournit un herbage recherché de tous les bestiaux, et surtout des bêles à laine, qui le broutent avidement sur les pâturages où ils le rencontrent encore jeune.

Panis (Panicum). Glume uniflore, bivalve, à la base de laquelle se trouve une troisième valve placée en dehors du côté plane de la fleur. — fleurs en panicules. (Voy. la fig. suivante.)

Le Panis élevé (Panicum altissimum, Vilm.), Herbe de Guinée (fig. 651), vivace, a les tiges droites, lisses, marquées d’une nervure longitudinale blanche, s élevant parfois à plus de 4 pieds ; il forme des touffes fort larges d’un vert gai ; — sa panicule est lâche, alongée ; — ses fleurs verdâtres.

L’herbe de Guinée est fort estimée en Amérique comme fourrage. Il y a longtemps qu’on a cherché à l’introduire en France, où elle a été plusieurs fois confondue avec d’autres panis ; mais ce n’est que depuis une quinzaine d’années que les essais sont devenus fructueux, puisque jusque là on n’avait pu parvenir à la faire grainer. Maintenant, la plupart de ses graines arrivent à maturité ; et le petit nombre de celles qui sont fertiles se ressèment et lèvent fort bien d’elles-mêmes, non seulement dans nos départemens méridionaux, mais sous le climat de Paris. — Ce n’est que la seconde année que chaque touffe acquiert toute sa force. Elle est alors tellement féconde en tiges et en feuilles, qu’elle présente une masse on peut dire extraordinaire d’un fourrage particulièrement propre à être donné en vert aux chevaux, aux vaches et aux bœufs. C’est une excellente acquisition pour nos pays.

En Amérique, c’est par la division et la plantation des touffes qu’on multiplie fréquemment cette graminée, afin d’avancer d’une année le moment de ses plus riches produits. Le même mode pourrait être adopté en France. — Quand on veut semer, ce ne peut être, dans nos régions du centre, avant la fin d’avril ou le courant de mai ; encore choisit-on une exposition chaude et abritée. — Si l’on semait en place, ce devrait être fort clair ; mais, jussqu’à présent, dans la crainte de compromettre l’avenir de cultures encore si précieuses, autant que pour régulariser mieux leurs résultats, on repique en juin chaque plant, en rayons espacés les uns des autres de 12 à 15 po. (0m325 à 0m406).

Le Panis ou Millet d’Italie (Panicum italicum, Lin.), voy. p. 404, fig. 569, — et le Millet à grappes ou commun (Panicum miliaceum, Lin), voy. même pag., fig. 568, — sont plutôt cultivés pour leurs graines que pour leur fourrage.

Cependant, semés épais en terrains légers et à exposition chaude, ils produisent un fort bon fourrage vert réservé, dans quelques contrées, pour les vaches laitières dont il augmente et améliore les produits.

Le Moha, Millet de Hongrie (Panicum altissimum, Willd.), dont il a été parlé aussi (voy. pag. 404, fig. 570), est cultivé depuis quelques années sur divers points de la France, notamment à la ferme-modèle de Grignon. Vantée d’abord outre mesure, cette espèce, étudiée depuis comparativement avec celle d’Italie, s’est cependant montrée constamment supérieure comme fourrage, parce que ses tiges sont à la fois plus nombreuses et plus minces. Le moha est très-fourrageux sur les fonds légers et substantiels de nature sableuse ou sablo-argileuse. M. Vilmorin a éprouvé que dans les terres calcaires, même d’assez bonne qualité, il ne donne pas à beaucoup près d’aussi riches produits.

La culture de ce millet ne diffère en rien de celle des autres. Il aime des champs richement fumés. On l’y répand à la volée de la fin d’avril au milieu de mai.

Paspale (Paspalum). — Ce genre diffère du précédent, dont il se rapproche sous divers autres rapports, par l’absence de la troisième valve qui caractérise les panis. (Voyez les détails de la figure suivante.)

Le Paspale stolonifère (Paspalum stoloniferum, Bosc ; — Milium latifolium, Lin.) (fig. 652), vivace, est une plante du Pérou que Bosc a fait connaître en France et recommandée à l’attention des cultivateurs du midi du royaume comme un excellent fourrage ; elle existe depuis longtemps dans les carrés du Jardin des plantes de Paris, où elle ne donne malheureusement que peu de graines, parce qu’on ne doit la semer que tard, et que les froids arrêtent ta végétation avant l’entière maturation. — « Cette espèce, disait l’agronome que je viens de citer, est vivace, s’élève de 2 à 3 pieds, et chacun de ses nœuds inférieurs prend successivement racine, de sorte que, dans le courant d’une année, une seule graine peut fournir de quoi couvrir plusieurs toises carrées en fourrages ; ses feuilles larges sont si tendres et si sucrées, ainsi que les tiges, que j’ai trouvé du plaisir à les mâcher. On peut sans doute les couper trois ou quatre fois l’année dans les parties méridionales de la France. »

Agrostis (Agrostis), genre très nombreux que M. De Candolle a divisé en deux : sections ; — l’une dont toutes les espèces se rapprocheraient beaucoup des pâturins, si leurs épillets n’étaient uniflores ; tels sont les Agrostis vulgaires, stolonifères, etc. ; — l’autre à balles, portant une arête sur le dos et offrant par conséquent plus de rapport avec les avoines, dont elles diffèrent également par leur fleur unique, comme les Agrostis paradoxa, rubra, etc.

L’Agrostis vulgaire (Agrostis vulgaris) (fig. 653), vivace, a les tiges longues de 1 a 2 pieds, assez droites ; les feuilles peu longues ; — la panicule finement ramifiée, ovoïde, de couleur violâtre ou roussâtre, et à pédicules sensiblement plus alongés que dans l’espèce suivante. — Elle est également commune dans les prés, les bois et les champs. Son fourrage est fin et délicat.

L’Agrostis stolonifère ou traçante (Agrostis stolonifera, Lin.) (fig. 654), vivace, a des tiges nombreuses, couchées, rameuses à leurs bases, et poussant des racines de tous les nœuds qui se trouvent en contact avec le sol. Cette plante, vulgairement connue sous les noms de Trainasse, Terre nue, etc., n’est autre chose que le Fiorin, ou du moins qu’une variété peu distincte du Fiorin tant vanté des Anglais. D’après Georges Sinclair, c’est l’Agrostis stolonifera latifolia, Chez M. Vilmorin on cultive sous le nom de Fiorin deux variétés, l’une dont les panicules étalées au moment de la floraison se resserrent ensuite, l’autre dont les panicules restent toujours ouvertes. Toutes deux ont des dimensions plus fortes que notre Agrostis stolonifera. — Dans les champs, cette plante est a bon droit redoutée des cultivateurs. — Comme fourrage, attendu qu’elle a la propriété de croître sur presque tous les mauvais terrains de nature fort diverse, et notamment dans les localités tourbeuses, froides, humides, et qu’elle procure un foin de bonne qualité, on peut en tirer un parti avantageux.

Sa graine est si fine qu’il ne faut presque pas la recouvrir et qu’on ne doit pas en répandre au-delà de 4 ½ à 5 kilog. par hectare. — On peut la semer en septembre ou en mars. En Angleterre, on propage généralement le fiorin en éclatant ses touffes ou même à l’aide de ses tiges non enracinées. Pour cela, après un labour préalable, on creuse à 9 ou 10 pouces de distance les unes des autres de petites rigoles de moins de 2 pouces de profondeur, au fond desquelles on étend longitudinalement les tiges de manière que leurs extrémités se touchent. — On recouvre au râteau et on roule la surface du sol. — Six mois après elle se trouve verdoyante, et si cette sorte de bouturage a été fait de bonne heure au printemps, on peut compter sur une abondante récolte en automne.

Quoique j’aie dit que cette plante s’accommode de presque tous les terrains, elle croît beaucoup moins dans les localités sèches et élevées ; là on ne peut guère espérer la faucher, mais elle produit encore, ainsi que la suivante, un bon pâturage.

L’Agrostis d’Amérique (Agrostis dispar, Mich.) (fig. 655), vivace, a, comme l’espèce précédente, la tige élevée et un peu dure ; — sa panicule lâche, forme une pyramide régulièrement verticillée. — C’est le Herd-Grass, herbe aux troupeaux, ou le Red-top-grass des Etats-Unis, où elle produit sur les terrains humides et tourbeux un fourrage abondant et de bonne qualité. Dans les essais qui ont été faits en France, notamment par M. Vilmorin, pour y propager cet agrostis, il a très-bien réussi sur des terres sablo-argileuses et même calcaires fraîches, sans humidité. Comme en Amérique, il y donne des masses de fourrage considérables.

A cause de la très-grande finesse de la graine et de la lenteur du premier développement de la plante, on a proposé de la repiquer comme nous avons vu qu’on le fait pour quelques autres espèces, et c’est d’autant plus facile pour celle-ci que ses touffes tallent considérablement, et qu’on peut en diviser une seule en une foule d’éclats. — Si l’on aime mieux semer, il ne faut répandre que 7 à 8 livres de semences par hectare et les recouvrir fort peu.

L’Agrostis des chiens (Agrostis canina, Lin.) s’élève à peu près à la même hauteur que le précédent ; ses feuilles sont plus longues, mais moins nombreuses sur chaque tige. Il appartient à la section des agrostides fausses-avoines. Je l’ai vu parfois réussir passablement sur des sols assez secs, quoiqu’il préfère les prairies basses et humides. — Selon qu’il occupe la première ou la seconde position, il donne un foin remarquable, comme celui du fiorin, par la propriété qu’il possède de conserver longtemps sa fraîcheur après avoir été fauché, ou procure un fort bon pâturage pour les moutons.

L’Agrostis paradoxale (Agrostis paradoxa, Lin.) s’élève davantage que les deux précédens. Dans les localités abritées des provinces du midi, où il croit spontanément, telles que la Provence, l’Hérault, etc., il est très-fourrageux ; aussi suis-je disposé, en consultant mes souvenirs, à croire avec M. Boitard, qu’il serait plus productif que la plupart de ses congénères. — Son foin, quoiqu’un peu dur, plait aux chevaux et aux ruminans. — Cette plante, particulièrement propre à nos contrées méridionales, se trouve cependant aussi dans celle du centre, et il serait facile et utile de l’essayer au moins en petit.

Jusqu’ici, sans exception, toutes les graminées dont j’ai parlé sont à épillets uniflores. On pourra facilement en distinguer les genres suivans, dont les épillets, également disposés en panicules, sont à plusieurs fleurs.

Sorgho (Sorghum vulgare, Wild. — Holcus sorghum, Lin.) (Voy. pag. 405, fig. 571). Fleurs géminées, l’une mâle ou stérile, et l’autre hermaphrodite, dont la glume est à deux valves, et la balle à trois valves, la seconde aristée, la troisième portant un nectaire velu.

Lorsqu’on se propose de cultiver le sorgho comme fourrage, on le sème presque toujours à la volée, et très-épais, dès que les gelées printanières ne sont plus à craindre. — D’autres fois, après l’avoir semé en ligne ou à la volée, on éclaircit progressivement les pieds de manière à ne laisser en définitive sur le terrain que ceux que l’on destine à donner leurs graines. — Il n’est pas difficile d’obtenir ainsi, sur de petites étendues de terrain, deux récoltes différentes, l’une et l’autre assez productives dans les climats méridionaux.

Le sorgho coupé ou arraché en vert avant que ses tiges deviennent dures, est un excellent fourrage pour tous les ruminans, mais surtout pour les jumens nourrices, les vaches laitières et tous les jeunes animaux.

Houque (Holcus). Glume bivalve, tantôt à deux, tantôt à trois fleurs, dont une ne contient le plus souvent que des étamines ; — balle à deux valves dont l’extérieure porte sur le dos une courte arête, sur l’une des fleurs seulement. (Voy. les détails de la figure suivante.)

La Houque laineuse (Holcus lanatus, Lin.) (fig. 656), vivace, se distingue au premier abord par le duvet cotonneux qui abonde sur la gaine des feuilles : — la couleur blanche ou violâtre de la panicule, et la disposition particulièrement velue de ses glumes ; — ses feuilles sont larges et tendres ; — ses tiges s’élèvent peu dans les lieux arides, mais elles atteignent près d’un mètre dans les prés bas qui paraissent lui convenir de préférence. Elle fait le fonds des meilleures prairies d’une partie du centre de la France, où je l’ai vue fort belle, même dans des terrains très-secs, tels que beaucoup de ceux des environs de Paris.

Les personnes qui ont entrepris de la cultiver seule, et qui n’ont pas craint de bien préparer le terrain, ont toujours obtenu des résultats fort satisfaisans. — On peut aussi mélanger la houque à la plupart des autres gramens, sans craindre qu’elle ne les devance ou ne reste beaucoup en arrière à l’époque de la maturité, parce qu’elle tient le milieu entre les espèces tardives et hâtives, et qu’elle a d’ailleurs l’avantage de se conserver encore verte et succulente quelque temps après la fructification. — Toutes ces circonstances réunies en font une de nos plantes les plus précieuses pour la formation des prés et des pâturages ; — ajoutons qu’elle convient à tous les bestiaux.

La Houque molle (Holcus mollis. Lin. — Avena mollis, D. C.) (fig. 657), vivace, quand on la voit en panicule, a un aspect fort différent de la précédente. Par la disposition de ses épillets, elle ressemble aux avoines parmi lesquelles M. De Candolle l’a placée. — La gaine des feuilles est sensiblement glabre, et les articulations des tiges sont garnies de houpes soyeuses. Ces mêmes tiges sont éparses et traçantes, ainsi que les racines. Cette espèce, qu’on ne devrait employer qu’à défaut de la précédente, attendu qu’elle est moins productive et peut-être aussi moins avidement recherchée des bestiaux, paraît être cependant moins difficile encore sur le choix du terrain et des expositions.

Mélique (Melica). Glume à deux valves scarieuses, renfermant le plus ordinairement deux fleurs hermaphrodites, et le rudiment imparfait d’une troisième, porté sur un pédicelle ; — valves de la balle ventrues. (Voy. les détails de la fig. 659.)

La Mélique ciliée (Melica ciliata, Lin.) (fîg. 658), vivace, ne s’élève pas habituellement au-dessus de 1 pied à 18 pouc. (0m325 à 0m487). Ses tiges sont grêles, garnies de feuilles étroites, glabres ; ses fleurs sont réunies en une panicule, le plus ordinairement simple, chaque épillet en comprend deux fertiles dont l’une a les balles soyeuses, et une stérile.

Les méliques croissent naturellement sur les coteaux pierreux, arides, et c’est là leur principal avantage ; car, sur les bons terrains, il est facile de les remplacer par de meilleurs fourrages. Celle qui nous occupe ici convient a tous les bestiaux, mais elle est peu fourrageuse et peu nutritive.

La Mélique élevée (Melica altissima) (fig. 659), vivace, se distingue aisément de la précédente à sa panicule très-rameuse et à ses fleurs sans barbes. Elle est originaire de Sibérie.

Yvart en faisait un cas particulier. « Elle nous paraît, disait-il, être une plante précieuse, par la vigueur et la précocité de sa végétation ; elle élève quelquefois ses tiges, nombreuses et droites, jusqu’à la hauteur de 1 mètre, et elle s’accommode de terrains peu fertiles. — En somme, je la crois préférable aux espèces indigènes. »

Avoine (Avena). Glume bivalve, renfermant deux ou un plus grand nombre de fleurs hermaphrodites ou polygames ; — balle à deux valves, dont l’extérieure porte une arête plus ou moins genouillée, qui manque cependant quelquefois sur une des fleurs ; — fleurs en panicule.

Ce genre, dont on a indiqué ailleurs les espèces et les variétés semées en grand pour leurs grains, en renferme plusieurs autres propres à l’être plus spécialement comme fourrages. La plus importante de toutes, sous ce point de vue, est sans contredit la suivante.

L’Avoine élevée (Avena elatior, Lin.), Fromental (fig. 660), vivace, improprement connue, sur quelques points de la France, sous le nom de ray-grass, s’élève à plus d’un mètre ; sa tige est garnie de feuilles larges ; sa panicule est longue, mais étroite ; ses épillets sont à deux fleurs, dont une seule (a) se trouve communément fertile et à barbe nulle ou très-courte ; et l’autre (b), stérile ou imparfaite, à barbe fort longue. — Elle redoute davantage l’excessive humidité que la sécheresse ; aussi, c’est une des meilleures plantes pour les prés hauts et moyens. — Dans ces derniers, lorsqu’ils sont établis sur une terre argilo-sableuse, fertile, elle donne des produits d’une abondance remarquable, et son foin, quoiqu’un peu dur, comme celui de la plupart des graminées très-élevées, et quoique sujet à sécher sur pied, est de bonne qualité ; mais cette double disposition doit engager à le faucher de bonne heure. — On a proposé avec raison de la semer dru, et de la mêler à des plantes de la famille des légumineuses, telles que le trèfle, la lupuline, le sainfoin, etc. On peut répandre sans inconvénient jusqu’à 100 kil. de graines par hectare.

L’Avoine jaunâtre (Avena flavescens, Lin.) (fig. 661), Avoine blonde, petit fromental, vivace ; — elle a des tiges grêles qui s’élèvent d’un tiers moins environ que celles de la précédente, et dont la panicule ordinaire. ment moins lâche, d’une couleur qui a donné son nom à l’espèce, est composée d’épillets au moins moitié plus petits que ceux du véritable fromental, et qui renferment deux ou plusieurs fleurs hermaphrodites, dont toutes les valves externes des balles sont aristées et nettement divisées, au sommet, en deux pointes acérées. (Voy. les détails de la fig. 661.)

Cette avoine, qui croit naturellement sur les coteaux et dans les prés secs, se sème rarement seule. Mêlée à d’autres herbes, dans les terrains élevés, sans aridité, elle augmente à la fois la quantité et la qualité des foins, avantage qui lui est du reste commun avec les deux espèces suivantes. — On la sème au printemps.

L’Avoine pubescente (Avena pubescens, Lin.), Avoine velue, Avrone (fig. 662), vivace, s’élève de 2 à 3 pieds (0m650 à 1 mètre) ; ses feuilles inférieures sont larges, courtes, molles et très-velues ; — ses épillets, sensiblement plus gros que ceux de l’avoine jaunâtre, luisans, quelquefois rougeâtres ou violets à leur base, et comme argentés à leur sommet, sont d’ailleurs composés de fleurs hermaphrodites, beaucoup plus volumineuses et souvent réunies au nombre de trois dans chaque glume, comme le représente le détail de la figure.

Mieux que les précédentes, elle s’accommode des terrains secs et élevés ; on l’y voit croître spontanément avec vigueur, et lorsqu’on la sème, elle produit, seule ou mélangée, un fourrage durable, particulièrement propre aux chevaux. — On peut semer, selon la qualité du sol, de 50 à 60 kilog. par hectare.

L’Avoine des prés (Avena pratensis, Lin.) (fig. 663), vivace, s’élève moins que l’avrone ; ses feuilles glabres sont plus étroites et plus longues, sa touffe talle davantage. — Sa panicule est plus resserrée, presqu’en forme d’épis ; — ses épillets sont encore plus alongés, panachés de blanc et de violet pâle, et composés d’environ 5 fleurs, fixées sur deux rangs opposes l’un à l’autre.

Cette espèce habite les prés et les champs ; elle redoute l’humidité excessive, et résiste assez bien à la sécheresse. — Son fourrage est excellent et très-recherché de tous les herbivores. On peut la semer de même, et à peu près dans les mêmes proportions que les espèces précédentes. G. Sinclair, qui ne lui croit pas des qualités nutritives égales à celles des avoines pubescente et jaunâtre, lui a reconnu la propriété de s’accommoder particulièrement des sols calcaires.

Canche (Aira). Comme dans les avoines, la glume est bivalve ; elle contient deux fleurs hermaphrodites ; la balle est aussi à deux valves dont l’extérieure porte également une arête plus ou moins genouillée, mais qui part de la base et non plus du dos de la balle.

La Canche flexueuse (Aira flexuosa, Lin.) (fig. 664), vivace, a été appelée aussi Canche de montagne, parce qu’elle affecte les lieux secs et élevés. C’est plutôt une plante de pâturage que de prairie. Ses tiges nombreuses, mais grêles, sont peu fourrageuses. — Elle forme à sa base une touffe assez fournie de feuilles courtes, glabres et jonciformes ; ses fleurs, réunies en panicule lâche et divergente, ont des balles luisantes et argentées. Cette espèce, qui forme assez fréquemment la base des herbages très-élevés, est recherchée de tous les ruminans. Elle produit un des meilleurs pâturages pour les moutons.

La Canche aquatique (Aira aquatica, Lin.). — Voy. Pâturin canche (Poa airoïdes, D. C).

La Canche élevée (Aira cœspitosa, Lin.), vivace, qui est un peu plus feuillue que là précédente, forme un gazon assez épais sur les terrains ombragés ; mais il lui faut de la fraîcheur. — Dans les clairières où elle réussit, elle est fort recherchée des vaches, et on lui a reconnu la propriété de repousser plus épaisse et de s’améliorer par l’effet du pâturage.

Fétuque (Festuca). Ce genre, qui se rapproche des poa ou pâturins, et des bromes, diffère des premiers par ses balles très-acérées, le plus souvent munies d’arêtes ; et des seconds, parce que l’arête de la valve externe de la balle, lorsqu’elle existe, est aiguë et part du sommet. — Ce dernier caractère le distingue aussi du genre Aira.

La Fétuque des près (Festuca pratensis, Lin.) (fig. 665), vivace, a des tiges qui s’élèvent parfois a plus d’un mètre. — La panicule est généralement peu considérable, et composée d’épillets plus volumineux que les suivans ; ces épillets contiennent de sept à un plus grand nombre de fleurs. — Les valves des balles sont dépourvues d’arête. (Voy. les détails de la figure.

Cette plante, une des meilleures que l’on puisse employer pour l’ensemencement des prés bas, à cause de l’abondance et de la bonne qualité du fourrage qu’elle produit, n’a d’autre défaut que d’être un peu tardive ; aussi a-t-on recommandé, avec raison, de ne l’associer qu’à des espèces de la seconde saison. — Semée seule, elle doit l’être à raison d’une cinquantaine de kilog. par hectare.

La Fétuque élevée (Festuca elatior, Lin.) (fig. 666), vivace s’élève davantage que la précédente ; — ses feuilles sont plus larges et plus nombreuses encore ; ses panicules plus amples, à épillets de grandeur moyenne ; ces derniers contiennent un moindre nombre de fleurs. Les valves, membraneuses sur les bords, portent de courtes arêtes qui se brisent facilement, et disparaissent en grande partie dans les herbiers.

Cette espèce se rapproche beaucoup de celle qui précède, par ses qualités et ses inconvéniens. — Elle est cependant encore plus tardive et donne un foin un peu plus dur ; mais, d’un autre côté, on a remarqué qu’elle est plus durable et sensiblement plus productive. En somme, il faut la regarder comme une des graminées les plus utiles pour concourir à la formation des prairies permanentes. — Elle croît naturellement sur les pâturages montagneux, et réussit cependant fort bien dans les plaines fraîches et abritées, et dans des terrains de diverses natures.

La Fétuque ovine (Festuca ovina, Lin.), grande fétuque ovine, fétuque rouge (fig. 667), vivace, a été souvent confondue avec l’espèce suivante, dont elle diffère cependant plus encore par ses qualités que par ses caractères botaniques. — Elle a les feuilles plus longues et plus larges ; les panicules plus volumineuses ; — les balles portent des arêtes visibles à l’œil. (yoy. les détails de la figure.)

« Cette espèce, signalée par Linné comme une plante par excellence pour la nourriture des moutons, a failli plus tard perdre entièrement cette réputation, parce que les botanistes lui avaient réuni, à titre de variété, une plante fort voisine d’elle, mais qui est réellement une espèce distincte et que les moutons ne mangent pas. C’est sur cette dernière qu’avaient porté très généralement les essais de culture, et de là étaient nées les préventions défavorables. Une observation faite en 1826, ayant reproduit les doutes avec plus de force qu’auparavant, j’ai fait de nouvelles recherches pour les éclaircir, et, avec l’aide principalement de M. J. Lindley, botaniste très-exact, qui a bien voulu faire pour moi dans l’herbier de Linné, les confrontations nécessaires, je suis parvenu à connaitre que, non seulement notre fétuque ne se rapportait pas à l’échantillon de celle de Linné, mais qu’elle n’existe même pas dans son herbier. — Elle a été décrite par Sibthorp, sous le nom de Festuca tenuifolia, qui désormais devra servir à la distinguer. »

« À l’égard de la vraie fétuque ovine, la même vérification m’a fait reconnaître que c’était la plante que j’avais recommandée et cultivée depuis longues années, sous les noms incertains de fétuque rouge et ovina major. On a pu voir, dans les éditions précédentes du Bon Jardinier, que, sans la reconnaître alors sous son vrai nom, je la regardais comme une espèce précieuse pour établir des pâtures sur les mauvais terrains. — Elle n’a peut-être pas cependant en France, pour la nourriture des moutons, le degré particulier de mérite que Linné et Gmélin ont cru lui reconnaître en Suède et en Sibérie. J’ai remarqué chez moi que les moutons ne la pâturent bien qu’en hiver, et qu’en été ils ne mangeaient guère que les pieds isolés, ce qui paraît être une indication pour la semer plutôt mélangée que seule. Je l’emploie souvent de cette manière, mais j’en fais aussi des pièces séparées, à raison des ressources qu’elle offre pour l’hiver, et de l’avantage qu’elle possède éminemment de s’établir avec vigueur sur des terres arides, soit calcaires, soit siliceuses, et de les couvrir d’un gazon épais et durable… Si l’on sème la fétuque ovine seule, il faut environ 30 kilog. de graines à l’hectare. » Vilmorin.

La Fétuque à feuilles fines (Festuca tenuifolia, Sibt.) (fig. 668), vivace, croît en touffes épaisses et serrées. — Ses feuilles très-fines sont roulées en tubes d’un vert blanchâtre : — ses tiges ne s’élèvent guère au-delà de 8 à 10 pouces (0m217 à 0m271) ; elles sont grêles, nombreuses, et supportent des panicules assez serrées. Les balles ne pointent point d’arêtes. (Voy. a, fig. 668.)

Cette espèce comme la véritable Fétuque ovine de Linnée, a l’avantage de croître sur les sables et les sols crayeux les plus arides : mais, comme on vient de le voir, elle plait moins qu’elle aux moutons qui la mangent cependant durant l’hiver. Quelques personnes ont cru remarquer que les vaches la refusaient : notre confrère Vilmorin s’est assuré que chez lui elles la paissent au contraire fort bien, d’où il résulte que lors même qu’elles auraient contracté l’habitude de meilleurs herbages, il ne serait pas difficile de les accoutumer à celui-là.

La Fétuque traçante (Festuca rubra, Lin.), vivace (voy. b, fig. 668), Fétuque duriuscule de quelques auteurs, mais la véritable Fétuque rouge de l’herbier de Linné et du Jardin des Plantes de Paris. — Elle produit annuellement des traces nombreuses ; — ses tiges, peu feuillées, sont susceptibles de prendre dans les bons terrains un assez grand développement ; — ses feuilles sont étroites, roulées, pubescentes en dedans, assez longues ; — ses épillets, réunis en panicules volumineuses, se composent de 4 ou 5 fleurs plus souvent vertes que rougeâtres, et ses balles sont très-longues ; — ses touffes radicales ne tallent pas autant que celles des deux espèces précédentes.

Cette Fétuque est propre à former des pâturages sur les terrains les plus ingrats et aux expositions les plus arides où elle croît naturellement. Dans les prés plus frais où on la rencontre aussi quelquefois, elle devient presque méconnaissable. Là elle donne un foin fauchable de bonne qualité ; toutefois c’est une des Fétuques les moins productives hors des mauvais sols ; — 35 kil. environ de graines par hectare.

Paturin (Poa). Tandis que dans la plupart des fétuques les balles sont garnies d’arêtes, elles en manquent constamment dans les poa ; ce dernier genre se distingue encore du précédent par la forme moins aigue de ces mêmes balles ; — le nombre des fleurs varie de 2 à 20.

Le Paturin flottant ou Fétuque flottante (Poa, ou Festuca fluitans, Lin.) (voy. fig. 669 et page 409), s’élève à 2 ou 3 pieds ; ses tiges sont épaisses, molles, les unes droites, les autres flottantes ; ses feuilles sont larges ; — ses épillets contiennent de 8 à 12 fleurs et plus, et forment comme autant de petits épis à deux rangs sur chaque pédicelle ; ses balles sont sans arêtes. (Voy. les détails de la figure.)

Nous avons fait connaître ailleurs les usages économiques de cette plante et indiqué déjà qu’elle peut être employée aussi comme fourrage. En effet, tous les ruminans et les chevaux la mangent en vert avec avidité, et on la voit croître, prospérer même dans les prés les plus marécageux, sur les bords des étangs, et autres lieux ou il serait difficile de demander a tout autre végétal aquatique de meilleurs et de plus abondans produits.

Le Pâturin commun (Poa trivialis, Lin.), vivace, est en effet une des plantes les plus communes des herbages naturels. Il est facile de le confondre, au premier aspect, avec le pâturin des prés, dont il diffère cependant par la languette alongée et comme déchiquetée, qui se trouve à la base externe des feuilles, par la forme plus aiguë de celles-ci, la rudesse de leur gaine et par la racine fibreuse. Il croit dans les plaines les plus arides, où il n’acquiert à la vérité qu’une faible hauteur, et dans les prés naturellement frais où il s’élève souvent au-delà de 2 pieds, partout son fourrage est un de ceux que préfèrent les bestiaux. Quoique plus tardif d’une quinzaine de jours que l’espèce suivante, il doit être fauché de bonne heure, attendu qu’il sèche promptement sur pied après sa floraison. — Pour le semer seul, il faut répandre 18 kil. environ de grains par hectare.

Le Pâturin des prés (Poa pratensis, Lin.) (fig. 670), vivace, porte à l’ouverture de la gaine de chaque feuille une membrane courte et très-obluse ; sa racine est traçante. — Il croit comme le premier, tantôt grêle et chétif sur le bord des routes, les berges desséchées des fossés, etc., tantôt succulent et fourrageux dans les prés bas. — Il est précoce et d’une dessiccation très - prompte ; aussi, dans les mélanges naturels avec des herbages plus tardifs, a-t-il presque toujours perdu une partie de ses qualités quand il tombe sous la faux : c’est d’autant plus fâcheux, que, cultivé seul ou associé à des plantes également précoces, il peut donner un foin de première qualité. — La quantité de graines est à peu près la même que pour le pâturin commun.

Le Pâturin des bois (Poa nemoralis, Lin.) ou Pâturin à feuilles étroites (Poa angustifolia) (fig. 671), a les tiges grêles, faibles et penchées lorsqu’elles croissent dans les lieux ombragés, moins élevées et mieux soutenues dans les localités découvertes ; — ses feuilles n’ont point de membranes à leur origine. Cette plante, condamnée à chercher l’air et la lumière à l’ombre des taillis, conserve en rase campagne la même disposition à pousser verticalement ses tiges ; aussi n’est-elle pas ce qu’on appelle gazonneuse, mais, en compensation de cet inconvénient qui n’en est un que lorsqu’elle est semée seule, elle présente des avantages précieux. — Sa précocité est telle que, dès le mois de mars, elle offre déjà une masse assez importante de verdure lorsque les autres espèces commencent à peine à végéter. — Son foin est abondant et très-nourrissant, même dans les terrains de nature sèche et de qualité médiocre. Ce poa robuste est fort durable ; associé à d’autres graminées également fines, nul n’est plus propre à procurer partout, excepté peut-être dans les localités humides à l’excès, le meilleur foin connu.

Le Pâturin à crête (Poa cristata, Lin.), qui a aussi des feuilles très-étroites et sensiblement plus courtes que celui des bois, forme une touffe gazonneuse, mais peu élevée. — Sa panicule en épis est beaucoup plus serrée que dans les espèces précédentes. Il se rapproche un peu, sous ce rapport, du Pâturin comprimé (Poa compressa) qui n’a été recommandé par les auteurs que parce qu’ils ont cru à tort reconnaître en lui le Bird-grass des Américains, qui parait être plutôt l’Agrostis dispar, et dont il ne possède nullement les qualités. Je dois dire cependant que cette espèce est regardée par G. Sinclair et Davycomme une des plus nutritives.

Le pâturin à crête a pour principal mérite décroître sur les terrains sablonneux de peu de valeur. Il est fort inférieur aux autres comme fourrage, non qu’il soit moins recherché des bestiaux, mais parce qu’il est moins productif.

Le Pâturin aquatique (Poa aquatica, Lin.) (fig. 672), vivace, s’élève de 1 à 2 mètres. Sa tige épaisse, succulente, à feuilles larges et tendres, marquées d’une tache brune à la gaine, est surmontée d’une panicule diffuse.

Cette espèce habitante des terrains marécageux, des bords des étangs et des fleuves est très-propre à utiliser les localités longtemps submergées.

Ainsi que la fétuque flottante, elle fournit une quantité considérable de fourrage vert succulent et fort du goût des animaux. Comme on doit commencer à la faucher de bonne heure, il est rare qu’on n’en obtienne pas au-delà de doux coupes par an. Le Paturin canche (Poa airoïdes de D. C. Aira aquatica de Lin.) (fig. 673), vivace, est facile à distinguer des précédens, à la seule inspection de ses tiges : les unes couchées, donnant naissance, à tous leur nœuds, à une touffe de racines ; les autres s’élevant, perpendiculairement aux premières, au-dessus de chacune de ces touffes ; à la forme de ses feuilles planes, larges, arrondies au sommet, etc. C’est une des plantes de marais qui plaisent le mieux aux bestiaux. On les voit souvent aller la chercher jusque dans l’eau ; aussi, lorsqu’elle est fauchée verte, la mangent-ils avec grand plaisir à l’étable et au râtelier ; — sèches, elles ne sont plus guère propres qu’à servir de litière.

Le Pâturin des marais (Poa palustris, Lin.) est sinon la même espèce venue dans l’eau que le pâturin commun, au moins une espèce infiniment voisine qui en diffère seulement, d’après M. de Candolle, par ses feuilles proportionnellement plus étroites, et dont la gaine n’est pas rude au toucher ; ses épillets parfaitement glabres et ses balles dont la valve externe porte 5 nervures dorsales. — Comme le précédent, il est propre à utiliser des terrains excessivement humides, ou couverts, une partie de l’année, d’eaux stagnantes.

Brize (Briza). Ce genre diffère des pàturins parce que les valves des balles sont très-ventrues et à peu près cordiformes ; — panicule divergente : — épillets pendans d’une extrême mobilité.

La Brize tremblante (Briza media, Lin.), Amourette (fig. 674), a des tiges hautes de 1 à 2 pieds (0m325 à 0m650) ; elle a été surnommée tremblante, parce que les pédoncules, qui supportent les épillets de forme ovale arrondie, sont tellement déliés qu’ils s’agitent au moindre souffle du vent.

Cette plante peu fourrageuse n’est remarquable que par la finesse et la bonté de son foin particulièrement recherché des moutons. J’ai vu des terrains sablo-argileux très-arides dans lesquels elle croissait abondamment. Sa présence ajoute beaucoup, aux yeux des cultivateurs, à la bonne qualité des herbages.

Brome (Bromus). Glume à deux valves renfermant de 5 à 18 fleurs. — La valve extérieure de la balle est grande, concave, et porte une barbe ou arête qui part un peu au-dessous du sommet ou du milieu d’une petite échancrure ; — l’intérieure, concave en dehors et ciliée sur les deux bords (voyez les détails de la fig. 675.)

Le Brome des prés (Bromus pratensis, Koel.) (fig. 675), vivace, qui présente quelque analogie avec le suivant, s’élève rarement au-dessus de 2 pieds ; les gaines des feuilles, surtout de celles qui se trouvent à la partie inférieure de la plante, sont velues ; — les feuilles le sont aussi, quoique beaucoup moins hérissées que dans la figure ; — la panicule est étalée ; — les 5 à 8 fleurs que contient chaque épillet sont très-pointues et surmontées d’arêtes égales à leur propre longueur.

Au nombre des défauts que l’on reproche aux Bromes comme fourrage, il en est deux qui méritent surtout de fixer l’attention des cultivateurs. Les tiges de plusieurs d’entre eux, une fois desséchées, sont dures, et les barbes longues et aiguës qui accompagnent les balles, non seulement repoussent les bestiaux dès le moment de la floraison, mais peuvent les incommoder beaucoup plus tard, lorsque, mêlées avec le foin, elles s’arrêtent à leur palais, sous leur langue, ou se fixent dans leurs gencives. Aussi doit-on considérer ces plantes bien plutôt comme fourrages verts que comme propres à donner du foin. « Mais il est des terrains et des circonstances où une plante, médiocre d’ailleurs, peut devenir très-utile ; c’est ainsi que sur un sol calcaire, trop pauvre même pour le sainfoin et où il s’agissait d’obtenir des fourrages quelconques, le Brome des prés m’a donné des résultats plus satisfaisans qu’aucune autre espèce. Il s’y est établi vigoureusement, de manière à fournir une bonne pâture et même à devenir fauchable, mieux que le Fromental et le Dactyle. Il en a été de même sur des sables fort médiocres. On peut donc ranger cette plante au nombre de celles qui, par leur vigueur et leur rusticité, sont en état de réussir sur les plus mauvais terrains, et d’y offrir des ressources et des moyens d’amélioration que l’on n’obtiendrait pas d’espèces plus précieuses. Sa durée paraît être longue ; elle a été chez moi de 5 à 6 ans en très-mauvaises terres…..Un hectare emploie 90 à 100 livres de graines. » Vilmorin.

Le Brome des seigles (Bremius secalinus, Lin) (fig. 676), a la tige simple, haute parfois d’un mètre et plus, glabre ; — ses feuilles ont aussi la gaine glabre et le limbe à peine velu, — sa panicule est peu garnie ; — les 5 ou 8 fleurs de chaque épillet sont presque cylinques et à arête moins rude que dans le Brome des prés.

Cette espèce, moins rustique peut-être que la précédente, donne un fourrage vert aussi abondant ; mais en mûrissant elle devient encore plus dure. — Il est important de faire observer qu’elle est annuelle, et que, quoiqu’elle se ressème d’elle-même comme presque toutes ses congénères avec une facilité trop souvent désespérante pour le cultivateur, cette circonstance n’est pas ici ; à son avantage, à moins qu’on ne veuille la faire entrer dans un assolement où elle ne doit occuper le sol qu’une année. Autrement, il faudrait ou la ressemer annuellement, ou ne la faucher que beaucoup trop tard.

Le Brome doux (Bromus mollis, Lin.), qui ressemble beaucoup à celui du Seigle, en diffère cependant essentiellement par ses dimensions, en tout presque moitié moindres, par le duvet cotonneux et épais qui couvre les feuilles, les épillets et jusques aux nœuds de la tige. — C’est encore une espèce annuelle que l’on peut trouver parfois avantageux de mêler à quelque légumineuse de semblable durée, pour ajouter à la masse de fourrage vert ou coupage qu’on cherche à récolter sûr des sols légers et peu féconds. — On peut en dire autant du Brome des champs (Bromus arvensis, Lin.), qui a peut-être même l’avantage d’être un peu moins dur que la plupart des autres.

Le Brome stérile (Bromus sterilis, Lin.), peu connu en France comme fourrage, est considéré en Angleterre comme une des graminées les plus riches en matières nutritives. G. Sinclair et Davy le mettent sur la même ligne, sous ce rapport, lorsqu’il est fauché en fleur et non en grains, que les meilleurs pâturins, la Fétuque élevée, etc.

Dactyle (Dactylis). Genre nui diffère fort peu des Bromes par ses caractères et surtout ses usages comme fourrage. — La glume est à deux valves inégales, courbées en carène ; elle renferme de 3 à 8 fleurs ; les valves de la balle sont aussi courbées en carène ; l’une d’elles porte à son sommet une arête très-courte.

Le Dactyle pelotonné (Dactylis glomerata, Lin.) (fig. 677), vivace, s’élève de 2 pieds à 1 mètre ; ses feuilles, larges d’un centimètre environ, sont rudes au toucher ; sa panicule est composée d’épillets petits, nombreux, ramassés par pelotons et tournés presque tous du même côté de chaque pédicule.

Cette plante est, comme les Bromes, fort peu propre à la formation des prairies à faucher, parce que ses tiges durcissent outre mesure après la floraison ; mais, comme les Bromes aussi, soit qu’on la coupe en vert ou qu’on la réserve en pâturage, elle présente l’avantage réel de réussir sur les terrains les plus médiocres et les plus secs. — Le Dactyle gloméré est robuste, précoce ; de toutes les graminées, c’est une de celles qui repoussent et se maintiennent le mieux sur de mauvais sols.

Cynosure (Cynosurus). Genre qui diffère particulièrement de ceux qui le précèdent et le suivent, par la présence d’une braclée foliacée et découpée qui accompagne chaque épillet à sa base ; — glume bivalve contenant de 2 à 5 fleurs ; — les valves de la balle entières.

Cynosure ou Cretelle des prés (Cynosurus cristatus, Lin.) (fig. 678), vivace ; tiges de 15 à 18 po. (0m406 à 0m487), assez feuillées ; — Épillets sessiles, en forme de crête ou plutôt de peigne conique et à deux rangs de dents.

Cette plante a le mérite de croître dans les terrains secs, quoiqu’elle s’accommode mieux des autres. — En général, elle ne convient pas à la formation des prairies fauchables, parce qu’en se desséchant, ses épis à bractées rudes la rendent peu agréable aux bestiaux : mais elle est assez productive et fort du goût des moutons comme pâture. Froment (Triticum). (Voy. pag. 365)

Nous avons dit que les fromens pouvaient accidentellement, et sans diminution notable de la récolte suivante, être fauchés ou pâturés au printemps, et nous avons indiqué dans quelles circonstances une telle pratique devenait avantageuse ; je dois seulement la rappeler ici, bien plus comme une exception à la règle générale que comme une coutume qu’on puisse étendre et généraliser sans inconvénient ; mais, à défaut des fromens annuels, on a recommandé de cultiver comme fourrage des fromens vivaces, et, malgré l’anathème porté contre lui par tous les cultivateurs, on a fait voir que le Chiendent n’était pas sous ce point de vue sans quelques avantages. Il n’est pas inutile d’indiquer le parti qu’on peut tirer d’une plante aussi commune.

Le Chiendent (Triticum repens, Lin.), dont les racines longues et rampantes poussent avec une si grande facilité des tiges de chacune de leurs articulations, s’élève parfois jusqu’à un mètre et plus ; ses feuilles sont vertes, molles, velues, fort du goût des bestiaux. Il fait en partie la base des prairies justement célèbres connues sous le nom de Prévalaie, et on le retrouve communément dans un grand nombre de pâturages estimés principalement pour la nourriture habituelle des vaches laitières ou nourrices. — Il parait que les chevaux s’accoutument fort bien à manger les racines de chiendent, ramassées à la surface des champs nouvellement labourés, et qu’ils se trouvent à merveille d’une semblable nourriture, ainsi que le démontre la pratique de diverses parties de l’Espagne et de l’Italie.

Ce végétal, dont la rusticité fait si souvent le désespoir du laboureur, s’accommode surtout des terrains substantiels, plutôt humides que secs. Il résiste facilement à d’assez longues submersions, et donne, en pareille position, un fourrage aussi abondant et meilleur que bien d’autres plantes aquatiques ou semi-aquatiques. Sur les bords des fleuves, de toutes les eaux à cours rapides, ses longues et flexueuses racines retiennent les terres d’une manière efficace ; ses tiges nombreuses arrêtent le limon qui ajoute annuellement à l’élévation du sol, et n’en donnent pas moins de fort utiles produits au moins en vert.

Seigle (Secale). (Voy. pag.383 et suivantes.)

Le Seigle d’hiver, ainsi que le froment et surtout l’orge, peut être cultivé spécialement comme fourrage. Semé en automne, il procure l’une des premières, et, dans quelques lieux, la principale nourriture verte dont on puisse affourrager les bestiaux après la consommation des racines hivernales. — Il donne même un assez bon coupage pendant les hivers doux, et l’on sait que, dans ce dernier cas, une pareille récolte n’exclut pas celle des grains.

Le Seigle de la Saint-Jean, semé vers l’époque dont il a pris le nom, est particulièrement propre à cette destination. Dans les contrées où l’on en fait usage, notamment en Saxe, on commence à le faucher en automne ; on le fait ensuite pâturer jusqu’à la fin de l’hiver, puis on le laisse monter au printemps.

La précocité du seigle, et la facilité avec laquelle il pousse dans les terres légères qui ne conviennent ni au froment ni même à l’orge, devrait le faire rechercher plus généralement pour créer des fourragères semblables à celles que l’on remarque encore fréquemment en Italie et aux environs de quelques-unes de nos grandes villes, pour la nourriture des vaches que les nourrisseurs tiennent à l’étable.

Ivraie (Lolium). Epillets aplatis, solitaires sur chaque dent de l’axe, et à peu près parallèles à cet axe ; glume bivalve contenant un grand nombre de fleurs.

L’Ivraie vivace (Lolium perenne, Lin.) (fig. 679), — ray grass d’Angleterre, a les tiges droites, hautes de 1 à 2 pi. (0m325 à 0m650), à feuilles glabres, longues, assez étroites : les épillets sans barbes. — C’est le gazon anglais utilisé si fréquemment dans nos jardins pour former ces tapis de verdure qu’aucune autre graminée ne pourrait égaler en finesse et en fraîcheur. Il est moins employé dans la grande que dans la petite culture, et paraît mieux convenir aux climats du Nord qu’à ceux du sud de l’Europe. — On peut, je crois, poser en fait que celle Ivraie ne convient en France, comme prairie à faucher, que dans les fonds bas et frais où elle dépasse ses dimensions ordinaires, et où elle donne un très-bon fourrage si elle est associée à d’autres gramens d’une végétation aussi rapide que la sienne ; car on doit la couper de bonne heure, sous peine de la voir sécher et durcir au point d’être rebutée même par les chevaux. — En des circonstances moins favorables, elle s’élève rarement assez pour donner un foin passable ; mais sur les terres argilo-sableuses qui ne se dessèchent pas trop rapidement, elle peut encore procurer des pâturages précieux, par suite de leur précocité ; de leur aptitude à s’épaissir et à se fortifier d’autant plus qu’ils sont broutés de plus près, et foulés davantage par le piétinement des troupeaux. — Cette plante est a juste titre considérée comme l’une de celles qui contiennent, sous un petit volume, le plus de substance nutritive ; aussi, lorsque, dans la vaste plaine de la Crau, les moutons soulèvent les cailloux pour y chercher les tiges grêles et déliées qui croissaient à leur ombrage, une très-petite quantité leur suffit, et les bergers ont coutume de dire que bouchée fait ventrée (bouccado vao ventrado). — Néanmoins, le ray-grass, dans les situations ou les terrains arides, est d’une faible ressource et peut presque toujours être remplacé avantageusement par quelque autre graminée. — Pour semer un pré, on emploie environ 50 kilog. par hectare.

En Angleterre, il n’est pas rare d’associer cette graminée à diverses légumineuses, et notamment au trèfle rouge ou blanc, pour former des prairies qui peuvent se conserver au-delà de 4 ans, et qui sont considérées comme d’un excellent produit.

L’Ivraie d’Italie (Lolium Italicum) (fig. 680) Fig. 680. , vivace, que divers auteurs considèrent comme une simple variété de la précédente, en diffère cependant, non seulement parce qu’elle ne talle ou ne gazonne pas autant, mais parce que ses tiges sont plus élevées, ses feuilles plus larges, d’un vert plus blond, et ses fleurs constamment barbues. — Comme le Lolium perenne, celui-ci est vivace ; cependant, d’après des observations précises, dues à M. de Dombasle, M. Vilmorin et plusieurs autres, il ne paraît pas qu’on puisse en obtenir des produits satisfaisans pendant plus de 2 ans, du moins comme prairie fauchable.

On a prétendu que cette plante cultivée depuis un certain temps, avec un succès fort remarquable dans le pays qui lui a donne son nom, par sa propriété de croitre dans les localités arides, devait être au sud ce que la précédente est au nord de l’Europe ; et il est de fait que je l’ai vue sur des sables où je doute que l’autre eût réussi pareillement. Toutefois, je ne pense pas qu’année commune on trouve grand avantage a la cultiver, sans le concours des irrigations, sur les terrains secs et médiocres pour lesquels on l’a si fort préconisée. — Dans les sols frais et substantiels, l’Ivraie d’Italie végète avec une vigueur des plus remarquables ; sa croissance est si rapide qu’on peut obtenir, même au centre de la France, la première année d’un semis différé jusqu’en mai, trois fortes coupes d’un excellent fourrage. On citerait peu d’exemples d’une pareille abondance sur d’autres graminées. — L’ensemencement d’un hectare exige de 40 à 50 kilogrammes de graines.

Elyme (Elymus). Chaque glume renferme de deux à quatre fleurs ; est à deux valves unilatérales ; — les épillets sont géminés ou ternés sur chaque dent de l’axe.

L’Elyme des Sables (Elymus arenarius, Lin.) (fig. 681), est dans toutes ses parties d’une couleur blanchâtre ; Fig. 681. ses feuilles sont nombreuses, longues ; — ses tiges, qui ne sont pas beaucoup plus hautes, se terminent par un long épi pubescent. Elle croit naturellement sur les dunes dont elle contribue puissamment à fixer les sables. — L’aptitude avec laquelle cette plante et quelques-unes de ses congénères supportent les sécheresses les plus continues, et peuvent prospérer dans les sols les moins substantiels, ont fait désirer de la voir essayer comme fourrage. À la vérité, les bestiaux refusent de la manger sèche, mais ses fanes vertes leur procurent une nourriture saine, et qui, d’après les expériences des chimistes, abonde en parties assimilables. Ces réflexions me semblent de nature à être méditées par les habitans des bords de la mer, et les propriétaires des terrains ensablés. Malheureusement, pour qui voudrait faire des essais sur la culture de cette élyme ou de toute autre, il faudrait trouver d’abord le moyen de s’en procurer des graines. Quelque petite qu’en fût la quantité, en peu de temps on pourrait, grâce aux racines traçantes de la plante, et à ses féconds épis, étendre l’expérience à une plus grande étendue de terrain. Orge (Hordeum). (Voy. page 386).

Orge escourgeon (Voy. page 387), l’une des espèces d’hiver les plus hâtives et les plus productives en tiges et en feuilles, est aussi celle que l’on cultive le plus ordinairement comme fourrage, pour le donner en vert aux chevaux, aux jeunes poulains, surtout aux vaches laitières et à tous les animaux fatigués ou malades. Voici ce qu’en dit Olivier de Serres : « Avec le seul orge chevalin ou d’hiver, fait-on aussi de bon farrage. On sème cest orge quand et en semblable terre que l’autre farrage ; et de mèsme, le bestail le paist en campagne durant l’hiver. Si de ce l’on se veut abstenir, gardé jusques au printems, cest orge est fauché ou moissonné en herbe ; mais petit-à-petit pour de jour à autre le faire manger aux chevaux, dont profitablement ils se purgent, de là prenans le commencement de leur graisse. Tout autre bestail gros et menu s’en porte aussi très bien, si on le paist modérément de ceste herbe : car, de leur en donner à discrétion seraient en danger de s’en trouver mal, par trop de reptection, tant abondante est elle en substance. Couppé à la fois, cest orge eu herbe, séché et serré au grenier comme autre foin, est aussi bonne viande pour tout bestail en hiver, et, avenant que la coupe en soit tost faicte, comme sur la fin d’avril ou commencement de may, le reject de ses racines conservé, produira gaillardement nouvelle herbe et grain avecque, le tems n’estant extraordinairement chaud. »

La grosse Orge nue (Voy. page 388) est aussi cultivée fréquemment comme fourrage. Elle se sème au printemps ; ses produits sont regardés par la plupart des nourrisseurs de Paris comme préférables à tous autres pour rafraîchir les vaches ou les ânesses laitières, renouveler leur lait et augmenter à la fois sa qualité et sa quantité.

L’Orge noire (Voy. page 387), par suite de la propriété singulière qu’on lui a reconnue de ne pas monter, si on attend, pour la semer, le mois de mai ou seulement la fin d’avril, paraîtrait très-propre à remplir la double destination de plante fourragère et à grain. Il est probable qu’on pourrait la faucher plusieurs fois la première année, sans nul inconvénient pour l’année suivante. — Elle occuperait ainsi deux ans de l’assolement et donnerait double produit sans exiger double culture.

L’Orge des prés (Hordeum secalinum, Schreb.), Orge faux seigle, etc, est une des espèces sauvages que l’on rencontre le plus souvent dans les prairies basses ; — ses tiges sont grêles, ses feuilles assez rares ; — ses épis diffèrent de ceux de l’Orge queue de souris ou de murailles, parce qu’ils sont plus courts et garnis de barbes moins longues et beaucoup plus fines. (Voy. fig. 682.)

Fauchée de bonne heure, cette espèce produit un foin fin et de fort bonne qualité. Si on la laissait approcher de la maturité, ses barbes acquerraient une rudesse désagréable aux bestiaux, et ses feuilles radicales jauniraient promptement. En résumé, comme fourrage annuel fauché ou pâturé, elle est loin de valoir celles de ses congénères que je viens de citer. Tout au plus peut-elle une première années, mélangée en petite quantité à d’autres fourrages plus durables qu’elle, augmenter leurs produits sans nuire à leur succès futur, puisqu’elle laisse le terrain entièrement libre dès la seconde année. Pour cela il est clair qu’il faut qu’elle soit coupée avant la formation de ses graines.

Maïs (Zeamaïs) (Voy. pag. 396 et suivantes. — Plante monoïque à fleurs mâles rameuses et terminales, dont chaque glume est biflore. — Les fleurs femelles sont serrées en épis axillaires cachés sous des spathes et dont les styles sortent en houppes soyeuses ; — leur glume est uniflore. — La tige est haute de 1 à 2 mètres, selon les variétés ; — les feuilles longues, succulentes et larges.

Non seulement dans beaucoup de lieux le maïs en grains fait une partie essentielle de la nourriture des hommes et des animaux de travail et d’engrais, mais ses fanes vertes et ses feuilles même desséchées produisent un fourrage dont on ne connait pas assez généralement l’importance. — Quand on commence à le couper avant la sortie des fleurs mâles, aucune plante des prairies n’est autant du goût des bestiaux et ne les nourrit mieux à dose égale. Aussi évite-t-on de leur en donner à discrétion dans la crainte d’accidens assez graves qui se renouvelleraient d’autant plus fréquemment qu’on ne prendrait pas la précaution de le laisser se faner, après l’avoir coupé, pendant assez de temps pour lui enlever par l’évaporation une partie de ses sucs aqueux.

L’usage modéré du maïs vert est également profitable à tous les herbivores ; il les rafraîchit, les maintient frais et luisans au milieu des chaleurs de l’été. Les bœufs et les vaches en sont particulièrement avides ; il augmente la quantité du lait de ces dernières et lui donne un goût exquis.

Dans le midi, quelques cultivateurs font macérer les feuilles sèches de maïs en versant dessus de l’eau bouillante tantôt pure, tantôt légèrement salée, ce qui ajoute beaucoup à la qualité du fourrage. — Après la récolte des grains, les tiges écrasées, hachées et humectées sont encore du goût des bestiaux ; et, si l’on ajoute foi aux analyses curieuses de Sprengel, elles contiennent en cet état 74 pour cent de parties nutritives, c’est-à-dire presque autant que les tiges sèches du millet et beaucoup plus que la paille de froment. On sème le maïs fourrage épais, à la volée, depuis la fin d’avril jusqu’à celle de juin et même le milieu de juillet, cependant, quoique cette méthode soit la plus ordinaire, d’habiles cultivateurs préfèrent les semis en lignes. Ils fument le terrain au printemps et le sèment par petites parties de 15 en 15 jours, se ménageant ainsi pendant 3 ou 4 mois une ample récolte de l’un des meilleurs fourrages verts connus, tout en disposant leur sol, par les binages, à recevoir l’automne suivante une belle culture de froment.

[18:4:2]
§ ii. — Des plantes légumineuses[6].

Lupin (Lupinus). Calice à deux divisions ; — carène bipétale ; — étamines soudées à la base et à anthères, les unes rondes, les autres oblongues ; — gousses coriaces, oblongues, à plusieurs grains ; — fleurs en épis ; — feuilles digitées et à stipules adhérentes au pétiole.

Le Lupin blanc (Lupinus albus, Lin.), annuel, se distingue suffisamment du lupin bigarré, dont il se rapproche le plus, par la couleur blanchâtre de ses fleurs alternes, disposées en grappes droites et dépourvues de bractées ; par la lèvre supérieure de son calice qui est entière, etc. ; il s’élève à plus de 2 pieds (0m650). — Cette plante, qui a l’avantage incontestable de croître fort bien sur les sols de très-médiocre qualité, dans les graviers et les sables ferrugineux, connue sur les argiles les plus maigres, et de résister partout à la chaleur, vient au contraire assez mal à l’humidité et dans les terrains calcaires à l’excès ; elle craint les froids du nord et du centre de la France ; aussi ne peut-on l’y semer que vers la mi-avril, à raison de 10 à 12 décalitres par hectare.

Le lupin en vert est un assez bon pâturage pour les moutons ; lorsqu’on le cultive sur une terre de la nature de celles dont je viens de parler, c’est ordinairement ou pour le faire pâturer sur place par ces animaux, ou pour l’enfouir au moment de la floraison. Dans l’un et l’autre cas, il présente un moyen puissant et peu coûteux d’amélioration. — On a quelquefois donné les tiges sèches de lupin aux bœufs, qui mangent les sommités en cas de pénurie d’autres fourrages, mais qui rejettent toujours la partie inférieure, à moins qu’elle n’ait été préalablement pilée ou hachée. — Les grains macérés dans l’eau sont un excellent aliment pour les ruminans.

Dans quelques parties du midi, notamment aux environs de Bordeaux, on cultive aussi le Lupin à feuilles étroites (Lupinus angustifolius, Lin.).

Anthyllide (Anthyllis). Calice à cinq divisions, renflé à partir de sa base, et rétréci vers son orifice, velu, persistant ; — étendard plus long que les ailes et la carène ; — gousse petite, renfermée dans le calice, et à une ou deux graines seulement ; — feuilles ternées ou ailées, avec impaire plus grande que les autres folioles, et à stipules adhérentes au pétiole.

« L’Anthyllide vulnéraire (Anthyllis vulneraria, Lin.), vivace (fig. 683), est une plante indigène que Fig. 683. nous avons souvent rencontrée dans les prés et les pâturages secs ; que les bêtes à laine, les chevaux, les chèvres et les bœufs mangent, et qui nous parait propre à utiliser les sols les plus ingrats. Ses racines, vivaces et pivotantes, fournissent des tiges herbacées, un peu velues, couchées dans l’état de nature, et formant une touffe étalée d’environ 34 centimètres. Ses feuilles ailées ont peu de folioles, et ses fleurs jaunes sont ramassées en têtes géminées. » Yvart (Cours complet d’agriculture théorique et pratique).

Trèfle (Trifolium). Calice tubuleux, à cinq divisions ; — carène d’une seule pièce, plus courte que les ailes et Fig. 684. l’étendard ; — gousse petite, renfermée dans le calice, et de deux à quatre graines ; — feuilles ternées ; — fleurs réunies en tête ou eu épis serrés.

Le Trèfle commun (Trifolium pratense, Lin.), grand Trèfle rouge, Trèfle de Hollande, etc., en anglais, Clover (fig. 684), vivace, a des tiges plus ou moins rameuses, longues de 1 pied à 1 p. ½ (0m325 à 0m487), redressées, peu ou point velues dans l’état de culture ; ses 3 folioles sont elliptiques, glabres ou très-peu velues, à peine dentées ; ses fleurs sont d’un rouge pourpre, disposées en tête serrée, portant à sa base deux feuilles formant une sorte d’involucre ; la division inférieure du calice est presque double des autres en longueur. (Voy. les détails de la figure.)

De toutes les légumineuses fourragères, celle-ci est la plus répandue dans la grande culture. Ses avantages nombreux ont a peine besoin d’être rappelés.

La culture du trèfle paraît avoir été complètement inconnue d’Olivier de Serres, et, longtemps après cet écrivain, elle était encore fort peu répandue en France, si l’on en juge à la manière dont en parle Duhamel. Ce fut, je crois, l’Allemand Schoubart qui enseigna l’un des premiers à le semer parmi les céréales de printemps, afin de le récolter pendant l’année de jachère. Ses efforts durant une partie du siècle dernier furent couronnés d’un succès si national, qu’ils lui valurent le titre de noble de Kléefeld (champ de trèfle) chez nos voisins, peu de temps avant que Parmentier s’immortalisât chez nous en y répandant la culture de la pomme-de-terre. — On peut juger par la lecture des auteurs allemands qu’à cette époque de l’apparition du trèfle dans les assolemens triennaux, on ne tarissait pas sur ses éloges. Ce végétal précieux, disait-on, n’épuisait nullement le sol, il l’améliorait au contraire par ses racines et par ses feuilles pleines de sucs, que la troisième coupe rendait à la terre, et d’ailleurs il lui aidait à absorber les sucs nourriciers de l’atmosphère. — Il tenait le terrain tellement meuble et propre, qu’un seul labour y assurait aussi bien, si ce n’était mieux que ne l’eût fait une jachère, la réussite d’une récolte de blé. — Le fourrage abondant et succulent qu’on obtenait ainsi de la jachère procurait par la nourriture à l’étable et l’excédant de foin qu’on avait à sa disposition, une rente du bétail beaucoup plus élevée, et une véritable surabondance d’engrais. — On croyait pouvoir, à l’avenir, se passer de prés, de pâturages et de tous autres moyens de nourrir les herbivores. — Le trèfle était enfin considéré comme le tout de l’agriculture ; sur lui et sur l’abolition du pacage et de la jachère, reposait le bonheur du genre humain !…

Or, à cette époque, un semblable engouement était tout naturel ; car les inconvéniens inhérens à la culture du trèfle sont en grande partie la suite de son trop fréquent retour sur les mêmes soles, et l’expérience seule pouvait les faire connaître. On s’aperçut depuis qu’en effet, s’il n’épuisait pas le terrain sur lequel on voulait le ramener de 2 en 2 ou de 3 en 3 ans, il l’effritait au point de ne pouvoir plus s’y soutenir ; — que par suite de cet inconvénient fort grave en lui-même, il cessait d’être une culture nettoyante, et qu’il ne pouvait plus en aucune façon remplacer en pareil cas la jachère, attendu qu’il était souillé de mauvaises herbes ; — que son fourrage, consommé sur pied dans les lieux où l’on conservait l’usage des pâturages, offrait des dangers, à moins qu’on ne l’associât à quelque autre, et qu’il était assez difficile de le sécher convenablement. — Enfin, on trouva aussi que l’impossibilité de le conserver plus de 2 ou, à la rigueur, de 3 ans, était une chose fâcheuse ; mais, sous ce point de vue, la facilité que donne la rapidité de sa croissance de le faire entrer dans les assolemens à court terme, sans perdre pour ainsi dire un seul instant de la rente du sol, dut paraître dans tous les temps, comme elle l’est en effet, une compensation suffisante à sa courte durée. — Quoi qu’il en suit, en se défendant de l’abus, et en prenant les diverses précautions qui ont été indiquées à l’article Assolement, et dans le cours des premières sections de ce chapitre, les pompeux éloges de Schoubart et de ses contemporains sont bien près de la réalité.

Le trèfle se plait de préférence dans les terrains frais et profonds de nature sablo-argileuse ; et, quoiqu’il soit parfois assez difficile d’en obtenir de beaux semis dans les terres fortes, une fois qu’il y a établi ses longues racines, il y vient bien. — Sur les sols dans lesquels le calcaire ne se trouve pas en proportion excessive, il réussit aussi, pourvu que le fonds en soit argileux. — Quant aux sols très-légers, ils lui conviennent moins qu’à la lupuline. Celle-ci y pousse plus vigoureusement, et n’a pas au même point que lui l’inconvénient de soulever et de diviser à l’excès la couche végétale.

Le plus souvent (Voy. p.487 et suiv.) on sème le trèfle au printemps, avec les avoines, les orges, les blés de mars ou d’automne, le maïs ; — d’autres fois avec le lin, ce qui exige, comme je l’ai rappelé en parlant de cette plante, quelques précautions ; — avec le colza, etc. — L’automne ne convient pas dans nos régions moyennes. Elle ne convient guère mieux dans les départemens méridionaux. Là, les hivers sans neige détruisent fréquemment le trèfle, ou, s’ils sont fort doux, ils lui permettent d’acquérir un développement tel, et sa précocité devient si grande au printemps suivant, qu’il peut fleurir avant la moisson, et causer un notable dommage à la céréale. Afin de parer autant que possible à ce double résultat, on choisit donc généralement le printemps, quoiqu’il soit rare que les pluies soient assez abondantes dans la France méridionale, à cette époque, pour assurer le succès des semis. — Cependant, divers cultivateurs, parmi lesquels je cite avec confiance M. Louis de Villeneuve, ont trouvé préférable de semer clair dans les 15 premiers jours d’octobre, avec le blé, et, lorsque le froid acquiert plus tard une certaine intensité, de répandre de nouveau, à la fin de février, un tiers environ de semence en sus de la quantité ordinaire. Lorsque le trèfle d’automne nuit au blé par son rapide développement, chance du reste fort rare, on peut se procurer une sorte de dédommagement en coupant ce dernier très-haut, et en fauchant de suite le chaume. « On obtient ainsi un mélange de trèfle et de paille qui fait un excellent fourrage. Si on doit avoir une assez grande quantité de terre en trèfle, il est prudent d’en semer une partie en automne, et l’autre au printemps. » (Essai d’un manuel d’agriculture, etc. Toulouse, 1825.)

De la fin de février à celle de mars ou même d’avril, selon les localités et la température des saisons, on fume quelquefois le trèfle. Toutefois, cette précaution est rarement nécessaire dans un bon assolement et sur des terres d’une fertilité moyenne.

Partout où les frais de transport n’ajoutent pas excessivement à la valeur du plâtre, c’est aussi après la cessation des gelées qu’on répand ce puissant stimulant, en choisissant un temps calme, et au moment où les feuilles sont humectées par la rosée ou par une pluie. Dans tous les lieux où le pâturage a pénétré, on le regarde, en principe, comme indispensable à la culture du trèfle ; il est certain qu’aucun engrais ne peut mieux assurer la réussite de cet excellent fourrage, et, par une conséquence désormais bien appréciée, le succès de l’assolement dont il fait partie.

Autrefois on laissait assez souvent le trèfle occuper le sol 3 années, y compris celle du semis : mais alors il était rare que la 3e il pût être employé autrement qu’au pâturage. On regarde aujourd’hui avec raison comme beaucoup plus profitable de le rompre à la fin de la seconde année, et même, quoiqu’il fût le plus souvent possible d’obtenir 3 coupes, on enfouit la dernière pour ajouter à la fécondité du sol. Il y a loin de cette pratique raisonnée à la coutume de quelques cantons de l’Allemagne, d’utiliser même les racines de cette légumineuse à la dépaissance du bétail : à la vérité, elles lui procurent une nourriture de bonne qualité ; mais si l’on met en ligne de compte les frais d’extraction et le tort qu’on fait au sol, on se convaincra facilement qu’en définitive il y a plus de perte que de profit à agir de la sorte.

Dans beaucoup de contrées on ne cultive le trèfle que comme plante fourragère — dans d’autres on le fauche une seule fois de bonne heure au printemps de la seconde année et on le laisse monter et fleurir pour en récolter la graine ; — dans d’autres, enfin, on ne spécule que sur la production de celle-ci et, dans la persuasion qu’elle est infiniment plus belle et plus marchande lorsque la fructification n’a pas été retardée par une coupe, on ne fauche pas du tout cette seconde année. — Dans ces deux derniers cas, la culture du trèfle devient véritablement culture économique et ne peut plus être considérée comme améliorante, mais ses produits sont parfois considérables. « Il n’est pas rare, dit Bosc, qu’un arpent de trèfle en bon fonds donne 1500 kil. de graines nettoyées, qui, à 50 centimes le kilog., font 750 fr., revenu énorme, vu que les tiges et les feuilles, quoique alors épuisées de matières nutritives, peuvent encore être employées à la nourriture des bestiaux. » J’ai vu rarement des récoltes qui approchassent de semblables produits. Cependant elles sont ordinairement assez lucratives pour indemniser richement le cultivateur des soins qu’elles nécessitent, des difficultés de l’égrainage et des frais d’acquisition de machines propres à l’effectuer. Je regrette de ne pouvoir entrer, dans ce chapitre dont je crains d’avoir déjà dépassé les bornes, en des détails suffisans sur cette importante matière qui se rattache bien plus à une question de culture économique et commerciale qu’à une simple question de culture fourragère. On trouvera sans doute occasion d’y revenir dans le 2e livre de cet ouvrage.

Le grand Trèfle normand, que M. de Laquesnerie a fait connaître sous le nom de Trèfle du pays de Caax, est une variété du trèfle commun plus élevée et plus tardive qu’elle. « Les semis que j’en ai faits, dit M. Vilmorin, m’ont mis a même de reconnaître cette double vérité. Il ne donne ordinairement qu’une coupe, mais qui souvent équivaut aux deux coupes du trèfle ordinaire. Son fourrage est plus gros, et la plante m’a paru être plus durable. Ce trèfle doit-il être préféré à l’espèce ordinaire ? Je ne prendrai pas sur moi de résoudre cette question qui, d’ailleurs, est probablement susceptible de solutions opposées dans des terrains et des circonstances différentes. Cette espèce est encore trop récemment connue pour qu’il soit possible d’en porter un jugement ; mais j’ai cru devoir l’indiquer aux cultivateurs comme un sujet intéressant d’épreuve et d’observation. »

« Le Trèfle d’Argovie est une autre variété du trèfle rouge, cultivée depuis quelques années en Suisse, et qui paraît posséder des qualités importantes. On assure qu’il dure 4 à 5 ans, ce qui lui a fait donner le nom de trèfle perpétuel. Je n’ai pas encore été à même de vérifier ce point ; mais ce que j’ai reconnu en lui et qui me paraît encore plus intéressant, c’est une disposition très-prononcée à monter en tiges et une précocité d’au moins 15 jours sur le trèfle ordinaire ; il est d’ailleurs vigoureux et à larges feuilles. Si les caractères que présente en ce moment cette variété sont confirmés par des épreuves plus nombreuses, et s’ils se conservent sans altération sensible pendant une suite de générations, ce sera certainement une acquisition précieuse pour l’agriculture. » Vilmorin.

Le Trèfle intermédiaire (Trifolium intermedium, Lin.), en anglais Marl clover ou Cow-grass se distingue du trèfle commun par la disposition moins serrée et plus alongée de ses fleurs ; par la longueur plus grande des 3 folioles de chaque feuille, la forme des divisions du calice dont les 2 supérieures sont courtes, les 2 moyennes plus longues et l’inférieure plus longue encore. — Dans le trèfle commun, les stipules sont glabres, ovales, terminées par un faisceau de poils ; — dans le trèfle intermédiaire, elles sont étroites, longues et garnies de poils épars dans toute leur longueur.

Cette espèce est beaucoup plus vivace que la précédente ; on lui a reconnu l’avantage de croître sur des terrains de nature fort diverse et de résister, au moins aussi bien que le trèfle blanc dont je parlerai tout-à-l’heure, aux effets des fortes sécheresses. Le fait est qu’on la voit continuer de fleurir dans les herbages lorsque les graminées qui se trouvent près d’elle ont perdu toute leur fraîcheur, et qu’elle repousse encore sous la dent des animaux qui en sont avides. J’ai été souvent à même de faire ces remarques chez moi. — Quant à la somme de ses produits et à la qualité nutritive de ses fanes, le trèfle intermédiaire est de beaucoup inférieur à celui des prés. Aussi ne peut-il entrer en concurrence avec lui dans la culture alterne ; mais, considéré comme plante de pâturage, il lui est au contraire incontestablement préférable, tant à cause de sa longévité que par suite de sa rusticité et de la propriété qu’il possède à un haut degré, de végéter dans les terrains arides de toute nature, une fois qu’il est parvenu à s’y bien établir.

Le Trèfle blanc (Trifolium repens, Lin.), petit Trèfle de Hollande (fig. 685), vivace, a Fig. 685. des fleurs blanches portées chacune sur un pédoncule particulier d’une très-grande longueur ; ses trois folioles, dentées en scie, sont plus arrondies que dans les espèces précédentes ; ses tiges, presque ou entièrement glabres, sont rampantes à leur base et naturellement couchées sur la terre. Les pédicelles de chaque feuille sont, comme les pédoncules, d’une longueur remarquable.

Cette espèce serait peu propre à remplacer le trèfle rouge, comme prairie artificielle sans mélange ; mais son mérite n’en est pas moins bien connu des cultivateurs ; on le retrouve plus ou moins abondant dans presque tous les pâturages ; à peine visible dans les terrains arides ou privés des élémens calcaires qui lui conviennent à un si haut degré, il se développe et apparaît tout-à-coup au milieu des graminées à la suite d’une fumure ou d’un simple amendement à base de chaux, ce qui, par parenthèse, a donné lieu plusieurs fois à d’étranges conjectures sur la croissance spontanée des végétaux. — Sa racine centrale pivote à une profondeur telle qu’il résiste très-bien à la sécheresse, même sur les sols les plus légers ; d’un autre côté, les tiges latérales se couvrent de distance en distance de racines fibreuses qui pompent leur nourriture à une beaucoup moindre profondeur. De là sans nul doute la propriété du trèfle blanc de croître dans les argiles comme dans les sables, quelle que soit l’épaisseur de la couche végétale.

On emploie fort avantageusement cette plante pour former le fonds des prairies et des pâturages sur lesquels dominent les graminées. Dans quelques lieux on la sème seule à raison de 5 à 6 kil. au moment de leur formation, et on abandonne à la nature le soin de faire le reste. On sait combien il est préférable de former en entier le mélange. — Le trèfle blanc est une des meilleures légumineuses connues pour regarnir les herbages vieillis, d’après le procédé qui a été indique page 479 de ce chapitre.

Le Trèfle incarnat (Trifolium incarnatum, Lin.), Farouch, Farouche, Trèfle de Roussillon (fig. 686), a des fleurs rosées ou purpurines disposées en long épi Fjg. 686. conique, non accompagné de feuilles ; son calice, dont les divisions sont égales, est très-velu et marqué de côtes ; les folioles seront arrondies, en forme de coin à la base, à pédicelles fort courts, surtout vers le haut.

« La culture de ce fourrage annuel, longtemps limitée à quelques-uns de nos departemens méridionaux, s’est étendue depuis dans plusieurs de ceux du nord, et deviendra probablement, d’ici à peu d’années, générale en France. Quoique le trèfle incarnat ne donne qu’une coupe, et que son fourrage sec soit inférieur en qualité à celui du trèfle ordinaire, cependant il est peu d’espèces qui puissent rendre d’aussi grands services à l’agriculture, attendu que presque sans frais, sans soins et sans déranger l’ordre des cultures, on en peut obtenir d’abondantes récoltes de fourrages. Il a de plus le mérite d’être très-précoce, et, soit en pâturage, soit coupé en vert, d’offrir au printemps des ressources pour la nourriture du bétail, presqu’avant aucune autre plante. On sème ce trèfle en août ou au commencement de septembre, ordinairement sur les chaumes, après les avoir retournés par un très-léger labour à la charrue ou à l’extirpateur. Cette façon ou du moins l’ameublissement de la surface du sol par des hersages répétés, est nécessaire pour la graine mondée qui a besoin d’être recouverte à la herse ; mais lorsque l’on a de la graine en gousse, il suffit de la répandre sur le chaume sans aucune préparation préalable, et de passer ensuite le rouleau ; elle réussit presque toujours très-bien ainsi, surtout lorsqu’on s’est pressé de semer aussitôt après l’enlèvement de la moisson. On voit par là avec quelle facilité les pays dépourvus de fourrages, ceux surtout qui suivent l’assolement triennal, pourraient améliorer leur situation agricole. Qu’un fermier, par exemple, sème ainsi une portion de ses chaumes d’avoine, je supposerai le quart, dans les premiers jours de mai s’il veut couper en vert, du 15 au 25 s’il récolte en sec, tout peut être débarrassé. Il est encore à temps de lever les guérets sur cette portion de sa sole, et de lui donner toutes les façons de jachère. Ainsi, sans dérangement aucun, il aura obtenu de cette partie de ses chaumes une forte provision de fourrages, entre la récolte et l’époque où naturellement il y aurait mis la charrue. Le trèfle incarnat offre une ressource précieuse pour regarnir un trèfle manqué, en jetant simplement de la graine en gousse sur les clairières, ou même, au moyen de hersages ou ratissages suffisans, de la graine mondée.

Presque toute terre à froment ou à seigle, pourvu qu’elle soit saine, peut porter du trèfle incarnat ; j’en sème beaucoup et j’en vois semer avec succès sur des sols très-divers ; il ne manque chez moi que sur des terrains excessivement calcaires qui se gonflent beaucoup par l’effet des gelées. Quelquefois nos hivers font périr cette plante, mais cet accident est rare. — On emploie de graines mondées 20 kil. à l’hectare, et de graines en gousse, environ 8 hectolitres, ou, en poids, 90 à 100 livres. » Vilmorin.

À cette excellente notice je n’aurais rien à ajouter, si le trèfle incarnat n’était, aux yeux de la plupart des cultivateurs qui en ont étudié l’usage, une plante assez épuisante. Sans chercher à expliquer un fait qui n’est peut-être pas encore suffisamment constaté, j’ai dû cependant le désigner à l’attention des personnes qui voudront faire de nouveaux essais à ce sujet.

M. Balbis a désigné sous le nom de Trèfle de Molineri (Trifolium Molineri), une espèce fort voisine de la précédente, dont les fleurs sont rosées au lieu d’être d’un rouge vif et profond. Elle croît spontanément assez avant dans le nord, ce qui a fait penser à quelques personnes qu’elle devait y remplacer celle du Roussillon. Les essais qui ont été jusqu’ici tentés ont amené à ce résultat, que le Molineri, par suite de sa disposition à vivre 2 ans, est plus lent dans son développement, et qu’il est sous plusieurs rapports inférieur à l’espèce plus généralement cultivée.

Il existe encore dans le midi une variété tardive du Farouche ordinaire. On en fait cas notamment aux environs de Toulouse, parce qu’il ne commence à fleurir que lorsque l’autre est déjà en grande partie consommé, et parce que, lorsqu’on est obligé de regarnir un trèfle ordinaire à l’aide du trèfle incarnat, comme cela arrive assez fréquemment, celui-ci s’accorde beaucoup mieux avec lui pour l’époque de la fauchaison.

Mélilot (Melilotus). Ce genre diffère essentiellement du précédent par ses gousses saillantes hors du calice ; le port de toutes les espèces qui le composent est d’ailleurs fort différent ; — leurs fleurs, jaunes ou bleuâtres, sont disposées en grappes alongées, axillaires ; — des trois folioles de chaque feuille, les deux inférieures, au lieu d’être insérées comme la 3e au sommet du pétiole, le sont plus bas, etc. etc.

Le Mélilot officinal (Melilotus officinalis, Lam.) s’élève jusqu’à un mètre ; ses tiges sont droites, dures, rameuses ; — ses fleurs sont jaunes, quelquefois blanches : c’est une plante bisannuelle, à racines pivotantes et fibreuses. (Voy. la fig. 687 et ses détails.)

Les motifs qui ont engagé Gilbert, et, depuis lui, plusieurs agronomes, à recommander la culture du mélilot comme fourrage, c’est que tous les animaux le mangent avec plaisir, et que l’odeur qu’il communique aux foins des autres plantes ajoute à leur qualité ; — qu’il est vert et fourrageux pendant presque toute l’année ; — qu’il réussit enfin sur les terres d’une grande médiocrité, où il résiste à de fortes sécheresses. Tout cela est vrai, et il peut arriver qu’il y ait dans certains lieux de l’avantage à cultiver cette plante ; mais son fourrage, qui perd beaucoup en se desséchant, lorsqu’on le fauche de bonne heure, devient tellement ligneux à l’époque de la floraison, que les animaux n’en broutent plus que les sommités. Cette double considération fait qu’en général on a renoncé avec raison à la culture du mélilot annuel partout où il a été possible de lui substituer la lupuline, qui s’accommode comme lui des sols sablonneux et chauds, ou le sainfoin, qui prospère sur les fonds calcaires. Fig. 687.

Le Mélilot blanc de Sibérie (Melilotus alba, Lam.) est facile à confondre avec la variété blanche du mélilot ordinaire ; ses tiges s’élèvent cependant beaucoup plus, elles ont de 2 à près de 3 met. ; — ses folioles, d’un vert clair à leur surface supérieure, sont pâles et parsemées de quelques poils à la partie inférieure du limbe ; — ses fleurs, constamment blanches, sont plus petites et disposées en grappes beaucoup plus alongées. — Divers auteurs l’ont indiqué comme trisannuel ; chez moi, où j'en ai fait autrefois quelques essais et où depuis 7 à 8 ans il se ressème de lui-même avec une extrême facilité, il n’a jamais dépassé deux ans.

Comme le précédent, il réussit dans les localités les plus arides, mais j’ai éprouvé qu’en pareil cas on ne devait pas compter pour la 1re année sur une coupe de quelque importance. La seconde, il présente tous les avantages et les inconvéniens de l’espèce annuelle. Quelques personnes, en le semant très-épais, à raison de 25 à 70 kil., en ont obtenu de bon foin ; — d’autres, en le semant conformément au conseil donné par A. Thouin avec de la vesce de Sibérie, ont obtenu un coupage vert dont les herbivores de toutes sortes sont avides, mais dont l’usage immodéré causerait promptement la météorisation.

Le Mélilot bleu (Melilotus cœrulea, Lam.), Lotier odorant, Trèfle musqué, etc., se distingue suffisamment à la couleur bleue de ses fleurs. Il est annuel. On le dit cultivé communément dans quelques parties de l’Allemagne à cause de sa rusticité. Cette espèce s’élève moins et procure par conséquent un foin moins dur que les précédentes ; elle est du reste très-feuillue, et ses fleurs, comme toutes celles des mélilots, sont fort recherchées des abeilles.

Luzerne (Medicago). — Calice cylindrique ; — étendard écarté, réfléchi ; — gousse plus ou moins courbée en forme de faulx ou tortillée en spirales. — Toutes les luzernes sont à feuilles ternées, à folioles dentées en scie et à fleurs presque toujours disposées en petites grappes lâches.

La Luzerne cultivée (Medicago sativa, Lin.), vivace (fig. 688), a les tiges droites, hautes Fig. 688. d’un à deux pieds, glabres et peu rameuses ; — ses folioles sont ovales-lancéolées, dentées vers leur sommet seulement ; — ses fleurs violettes, purpurines, bleuâtres ou jaunâtres, donnent naissance à des gousses glabres, étroites, contournées en forme d’escargot.

De toutes les plantes fourragères, la luzerne est la plus productive. A côté de cet avantage qui résume tous les autres, elle présente cependant deux inconvéniens qui contribueront toujours à restreindre sa culture : d’une part, quoiqu’elle vienne en des terrains de diverses sortes, il faut, pour qu’elle y prospère, qu’ils soient en même temps profonds, substantiels et d’une consistance moyenne ; — de l’autre, ainsi que j’ai dû le répéter en traitant des assolemens, plus sa durée est longue, moins il est possible, sans compromettre l’avenir, de la ramener fréquemment sur le même sol. En vert, elle offre les mêmes dangers que le trèfle et la plupart des légumineuses.

La luzerne préfère à toutes autres les bonnes terres franches, les sables gras, les dépôts limoneux bien égouttés et les terres argilo-sablo-marneuses. Elle languit dans les localités arides et sur les fonds compactes, d’une humidité froide. Elle redoute également les sols calcaires à l’excès, lors même qu’ils ne seraient tels qu’à une certaine profondeur. — A la vérité, M. de Dombasle l’a vue réussir momentanément sur des coteaux d’une argile marneuse presque partout très-tenace, d’une fertilité au-dessous de la moyenne, et reposant sur un sous-sol en apparence imperméable à ses racines, ou, dans beaucoup de cas, sur une marne pure appelée dans le pays chalin, d’une infertilité presque absolue ; mais elle y a peu duré, et ses produits ont été en définitive si médiocres qu’il a fallu renoncer à l’y cultiver.

On sème le plus habituellement la luzerne au printemps, sur de l’orge ou de l’avoine. Comme elle craint le froid, surtout pendant sa première jeunesse, dans les terrains bas et exposés aux gelées tardives, il est prudent d’attendre le mois de mai. — Yvart avait adopté la coutume de la semer sur de l’escourgeon ou du seigle d’automne. (Voy. page 470)

Il est rare, lorsque l’on veut conserver une luzernière aussi long-temps et en aussi bon état que possible, qu’on ne la recouvre pas de quelques-uns des engrais pulvérulens, des composts dont il a été précédemment parlé, ou de plâtre, et quelquefois alternativement des uns et de l’autre, ce qui, dans mon opinion, est une excellente pratique. On peut fumer une fois de la fin de l’hiver au commencement du printemps, vers la moitié de la durée de la prairie, et plâtrer à petites doses de deux années l’une sur les jeunes pousses déjà développées de la première coupe.

Olivier de Serres appelait la luzerne la merveille du ménage des champs. En effet, il n’est pas rare qu’elle fournisse dans les climats méridionaux, qui lui conviennent particulièrement, lorsqu’on peut l’arroser, jusqu’à 5 et 6 coupes. — Duhamel rapporte qu’un arpent de luzerne lui avait donné, sur un sol assez médiocre, 20,000 livres de fourrage sec. Cependant, terme moyen, on ne doit compter que sur trois coupes que Gilbert évalue, d’après un grand nombre d’observations, à 2,519 livres la première, 1400 la seconde, 685 la dernière ; en tout 4,680 livres par arpent de Paris. — Cette quantité peut être très-habituellement augmentée à l’aide de quelques avances d’engrais et de plâtrage.

Il a été parlé ailleurs (Voy. le chap. X) des avantages et Fig. 689. des inconvéniens faciles à éviter de la luzerne dans ses rapports avec les autres cultures économiques et notamment celle des grains.

La Luzerne faucille (Medicago Falcata, Lin), (fig. 689), vivace, a 3 caractères principaux qui la distinguent de l’espèce cultivée : d’une part la forme de ses gousses comprimées, oblongues et courbées en forme de faucille ; — de l’autre la couleur jaune rougeâtre de ses fleurs ; — enfin la position de ses tiges couchées inférieurement et se redressant à peine à leur partie supérieure.

Le seul avantage que cette plante trop vantée pourrait présenter sur l’espèce précédente serait la faculté de croître en des terrains fort médiocres ; mais, d’après plusieurs essais, il est à craindre qu’elle n’y donne jamais que des produits tout aussi médiocres, à moins peut-être qu’on ne la sème avec d’autres fourrages graminéens d’une longue durée. Je crois, du reste, que les essais dont je parlais tout-à-l’heure ne se sont pas étendus a un assez grand nombre de localités pour en empêcher d’autres.

« La Luzerne rustique (Medicago média ?). Il croît naturellement en France une luzerne voisine de l’espèce cultivée, mais qui en diffère par la disposition de sa tige à s’étaler plutôt qu’à se dresser, et par sa végétation un peu plus tardive : c’est celle que j’appelle ici luzerne rustique. D’après plusieurs observations qui m’ont été communiquées et celles que j’ai faites moi-même, j’ai lieu de croire qu’elle est en effet plus rustique et moins difficile sur le choix du terrain que l’espèce que nous cultivons. Elle est très-vigoureuse et produit souvent des tiges de 4 pieds et plus de longueur. Quoique les essais que j’en ai faits ne soient pas assez avancés pour que j’en puisse porter un jugement assuré, cette plante me paraît cependant offrir assez d’intérêt pour que je croie devoir l’indiquer aux cultivateurs et appeler sur elle leur attention. Elle est intermédiaire entre la luzerne ordinaire et la luzerne faucille, et je soupçonne, sans en être assuré, que c’est la plante désignée par Persoon (Synopsis plantarum) sous le nom de M. media. » Vilmorin.

La Luzerne lupuline (Medicago lupulina, Lin.), Minette dorée, Trèfle jaune, etc. (fig. 690) — Bisannuelle ; tiges dépassant rarement 1 pied (0m325), Fig. 690. couchées, nombreuses ; — feuilles pétiolées, à folioles ovales, un peu élargies vers le sommet ; — fleurs fort petites, jaunes, en épi ovale, et portées sur des pédoncules axillaires plus longs que les feuilles ; — légumes petits, striés, réniformes et ramassés en tête.

Divers auteurs ont confondu cette plante avec le mélilot houblonet (Melilotus Lupulina de Lam.). La description que j’en donne rend toute méprise impossible.

La lupuline, dont il faudrait à peine parler si elle ne venait que sur les terres à trèfle, a sur celui-ci l’avantage fort important de réussir dans les sols médiocres et très-légers. Elle est devenue en quelques lieux pour les assolemens des terres à seigle, ce que le trèfle est aux assolemens des terres à froment. Une qualité aussi précieuse est de nature à augmenter rapidement le nombre de ses partisans. Il ne faut pas croire toutefois qu’on en obtiendra des récoltes sèches qui puissent approcher, même de loin, de celles du trèfle ; mais elle offre en vert beaucoup moins de danger comme pâturage et elle n’épuise pas davantage le sol.

On sème la lupuline avec les céréales de printemps, à raison d’une quinzaine de kil par hectare.

Lotier (Lotus). Calice tubuleux ; — ailes de la fleur plus courtes que l’étendard, rapprochées longitudinalement par le haut ; — gousse oblongue, droite, cylindrique ; — stipules grandes, distinctes du pétiole et présentant l’aspect de folioles.

Le Lotier comiculé (Lotus corniculatus, Lin.), Trèfle cornu, etc. (fig. 691), vicace, a des tiges très-feuillues, longues de 6 pouces à 1 pied, faibles, velues ou non velues ; — ses folioles sont ovales, cunéiformes, parfois glabres comme la tige ; — ses fleurs jaunes, réunies en tête déprimée, sont portées sur des pédoncules très-longs.

Chacun connaît cette jolie plante, qui vient à côté du trèfle blanc dans presque tous les herbages, où elle résiste très-bien à l’aridité du sol et à la sécheresse de l’atmosphère. Elle reste fort petite dans les situations défavorables, mais elle s’élève beaucoup plus sur les fonds de meilleure qualité, et elle y est très-fourrageuse. Le Lotier corniculé, quoi qu’un praticien anglais, M. Woodward, nous informe que dans les localités humides il parvienne à une plus grande hauteur que les trèfles, et qu’il y donne des produits supérieurs à la plupart d’entre eux, n’a point, à ma connaissance, été cultivé en France de manière à justifier un si pompeux éloge. J’ignore même si on l’a jamais semé seul ; mais ce que je regarde comme certain, c’est que, contre une opinion autrefois accréditée, il n’est rejeté par les animaux, ni comme pâturage, ni à l’état de foin. La seule remarque que j’aie été à même de taire, et qui puisse justifier jusqu’à un certain point le préjugé qui s’était élevé contre lui, c’est que les moutons broutent plus volontiers ses feuilles que ses fleurs. Il en est de même du trèfle blanc. — Malheureusement un obstacle plus réel à l’extension de sa culture, dans les pâturages artificiels, c’est le peu d’abondance de ses graines.

Le Lotier velu (Lotus villosus, Vilm.) est considéré par quelques auteurs comme une simple variété du précédent. D’autres le regardent comme une espèce distincte, parce que ses dimensions sont beaucoup plus considérables, qu’il affectionne des localités différentes, qu’il est plus grenant, etc.

Quoi qu’il en soit, espèce ou variété botanique, ce lotier est bien plus fourrageux que l’espèce précédente ; il croit à merveille dans les terrains frais, humides même et ombragés. Il est d’une longue durée, et se prête très-bien à la culture. M. Vilmorin, d’après les essais qu’il en a faits, ne doute pas qu’il ne soit une bonne plante à cultiver, peut-être seule, et à plus forte raison dans les mélanges destinés à former des prairies à bases de graminées. — Il faut le semer en mars ou avril, à raison d’environ 8 kilog. par hectare.

Galéga ou Rue de chèvre (Galega). Calice en cloche, à 5 divisions pointues, presque égales ; — la gousse est oblongue, droite, comprimée. Les feuilles sont ailées et à stipules distinctes du pétiole. Le Galéga officinal (Galega officinalis, Lin.) a des tiges hautes d’environ 1 mètre, cylindriques, abondamment garnies de feuilles de 13 à 15 folioles longues, obtuses et quelquefois échancrées au sommet ; — des fleurs disposées en épis pédoncules et axillaires plus longs que les feuilles, bleuâtres ou blanches ; — des gousses grêles et fort longues, marquées de stries obliques.

Il était tout naturel qu’une plante de cette famille et d’un aspect aussi fourrageux attirât l’attention des cultivateurs ; aussi beaucoup d’auteurs l’ont-ils recommandée dans diverses parties de l’Europe. Il parait que, vers la fin du siècle dernier, M. Ammermuller, curé dans le Wurtemberg, après plusieurs expériences, en répandit la culture dans les environs de Derdinguen. J’ignore si elle s’y est maintenue, mais je suis d’autant plus disposé à en douter, que toutes les fois qu’on a essayé de donner en France le galéga aux animaux, après y avoir quelquefois goûté, ils l’ont délaissé. A la vérité, je ne sache pas qu’on ait poussé l’expérience plus loin ; mais à cette présomption déjà très-défavorable, se joint le fait matériel de la dureté des tiges, dès l’époque de la floraison. — Il faudrait donc faucher de très-bonne heure si l’on voulait obtenir un foin mangeable.

Je n’ai parlé de cette belle légumineuse que pour prémunir ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de l’essayer, contre des apparences trop flatteuses.

Gesse (Lathyrus). Calice en cloche, à 5 divisions, dont les deux supérieures plus courtes ; — style aplati, élargi au sommet ; stygmate velu : gousse oblongue, comprimée, à plusieurs graines anguleuses ou globuleuses ; — de 2 à 6 folioles ; — stipules en demi-fer de flèche.

La Gesse cultivée (Lathyrus sativus, Lin.), annuelle (fig. 692), a les tiges hautes de 1 à 2 pi. (0m325 à 0m650), un peu grimpantes, glabres et ailées. — Ses feuilles sont à 2, plus rarement à 4 folioles longues, et Fig. 692 plus étroites proportionnellement que dans celle des prés ; — les fleurs sont solitaires, de couleur variable, mais jamais jaunes ; — les légumes sont ovales, larges et canaliculés sur le dos ; — les pédicelles sont axillaires, uniflores, articulés un peu au-dessous de la fleur, et munis à leur articulation, de une, quelquefois de 2 bractées qui ne s’alongent et ne deviennent vraiment visibles, comme l’indique la figure, que pendant le développement de la gousse ; — les vrilles sont ramifiées.

Cette espèce redoute une humidité excessive ; du reste, elle est peu difficile sur le choix du terrain. Bien des personnes la préfèrent à la vesce, pour affourrager les bêtes ovines, parce qu’elle est, dit-on, moins échauffante. Du reste, les bœufs, les vaches et les chevaux la mangent avec un égal plaisir en vert ou en sec. — On sème aussi la gesse en automne ou au printemps. La première de ces saisons doit être préférée généralement dans le midi, la seconde dans le nord et le centre qui, du reste, convient mieux à cette culture.

Quand on cultive la gesse comme fourrage vert, on la fauche par petites portions, depuis le commencement de la floraison. — Si on veut la transformer en foin, on attend que la maturation soit déjà avancée. — Il a été dit ailleurs qu’on peut aussi spéculer sur ses produits en graines.

La Gesse velue (Lathyrus hirsutus, Lin.) se distingue suffisamment de la précédente par sa tige, ses folioles pubescentes, son calice et son légume velus.

C’est à M. le baron de Wall, propriétaire aux environs de Givet, qu’on doit en France les premiers essais sur la culture de cette plante fourragère. Elle est rustique et peut rivaliser dans ses produits avec la vesce d’hiver. On la sème en automne.

La Gesse chiche (Lathyrus cicera, Lin.), Jarosse, petite Gesse, etc., diffère surtout de la première espèce, d’après M. de Candolle, par ses gousses sans appendices membraneux ; par ses pédoncules de moitié plus courts et dont l’articulation est placée beaucoup plus bas.

On la cultive dans l’Ouest, le bas Poitou, et sur plusieurs points du Midi, notamment aux environs de Montpellier, principalement pour les moutons. On la regarde comme trop échauffante pour les chevaux. On mange aussi quelquefois ses graines, soit à la manière des petits pois, soit en farine mêlée à celle des céréales ; cependant, d’après des expériences consignées plusieurs fois dans divers journaux, il paraîtrait qu’à dose trop considérable elle peut occasioner des accidens graves et même la mort. — On la sème dès la fin d’août ou le courant de septembre, à raison de 2 à 3 hectolitres par hectare.

La Gesse des prés (Lathyrus pratensis, Lin.) (fig. 693). — Vivace ; — tiges de 1 à 2 pi. (0m325 à 0m650), anguleuses, grêles ; — folioles lancéolées, sensiblement moins longues que dans l’espèce cultivée, à 3 nervures très-apparentes ; — stipules sagittées presque aussi longues que les folioles ; vrilles simples ; — fleurs réunies de 2 à 8 au haut du pédoncule, de couleur jaune ; — légumes comprimés, terminés par le style persistant de la fleur ; — pédicelles axillaires sans bractées.

Cette plante très-vivace croît dans les terrains de diverses sortes ; elle aime l’humidité et cependant résiste parfaitement bien à la sécheresse, au moins dans les terres argileuses, ainsi que j’ai eu depuis long-temps occasion de le remarquer chez moi. — Elle y croît dans les terres labourables, même très-peu profondes, avec une facilité beaucoup trop grande aux yeux du laboureur. Dans une petite pièce de terre engazonnée et plantée d’arbres fruitiers, sur une terrasse fort aride, lorsque les graminées sont à peine fauchables, cette gesse, formant ça et là des touffes épaisses, les dépasse de beaucoup dans sa croissance et produit un fourrage fort recherché de tous les animaux herbivores.

Cette circonstance m’engagea à en envoyer un certain nombre de graines à M. Vilmorin, qui n’en a pas été aussi content dans les terres arides du Gâtinais, qu’il en avait conçu l’espérance, d’après ce que je lui avais écrit. — Toutefois, je crois encore que la Gesse des prés pourrait occuper fort utilement des terrains de peu de valeur de la nature de ceux dont je parlais tout-à-l’heure. Ma conviction à cet égard étant fondée sur des faits, je ne puis qu’engager à de nouveaux essais.

Pois (Pisum). Voy. pag. 419 et suivantes de ce volume.

Vesce (Vicia). Calice tubuleux à 5 divisions, dont les deux supérieures sont plus courtes, comme dans les gesses ; — style filiforme, formant un angle droit avec l’ovaire, velu à sa partie supérieure dans toute sa longueur, et en dessous seulement vers le sommet ; — gousse oblongue, à plusieurs graines, dont l’ombilic est latéral ; — folioles nombreuses ; — stipules petites.

La vesce commune (Vicia sativa, Lin.) (Voy. page 424 et fig. 694), varie beaucoup dans son port et la forme des folioles. Celles-ci, toujours assez larges, sont tantôt aiguës, tantôt, comme nous les représentons, obtuses et même concaves au sommet ; mais, quels que soient du reste la pubescence ou le manque de poils de la tige, sa position couchée ou grimpante, etc., etc., un caractère qui distingue nettement cette espèce des suivantes, c’est qu’elle appartient à la section des vesces qui ont les fleurs presque sessiles à l’aisselle des feuilles. — Ses stipules sont petites, tachées de noirâtre ; — ses gousses sont comprimées, brunâtres ; — les graines qu’elles contiennent ne sont point chagrinées. Il est à remarquer que les divisions de son calice sont presque égales.

Cette vesce, dont on connaît deux variétés, l’une de printemps, l’autre d’automne, est un des fourrages annuels les plus répandus et les plus avantageux : d’abord parce qu’il est très-propre à utiliser la jachère, et ensuite parce qu’on peut semer la variété estivale jusqu’en juin, si l’on s’aperçoit à cette époque que les autres récoltes fourragères sont compromises.

Les vesces réussissent généralement dans les terrains qui conviennent à la bisaille. Toutefois il est utile de faire observer que celle d’hiver redoute une excessive humidité, et celle de printemps, surtout lorsqu’on la sème tard, un fonds trop sec. — Il est assez ordinaire de semer l’une ou l’autre sans engrais ; cette coutume, parfois excusable, ne l’est jamais lorsqu’on considère sa culture comme préparatoire à quelque autre récolte épuisante. Du reste, elle consomme par elle-même assez peu d’engrais lorsqu’on ne la laisse pas grener.

Si l’on veut donner la vesce en vert à l’étable, il faut prendre les précautions qui ont déjà été recommandées plusieurs fois pour la plupart des légumineuses. — Pour la transformer en foin, on doit la couper au moment de l’épanouissement des dernières fleurs, c’est-à dire lorsqu’une partie des gousses sont déjà formées, parce que c’est le moment où elles contiennent le plus de parties nutritives.

La Vesce bisannuelle (Vicia biennis, Lin.), Vesce de Sibérie (fig. 695), est une plante bisannuelle Fig. 695. dont les tiges, le plus souvent simples, longues, mais moins feuillues que dans l’espèce précédente, portent à l’extrémité d’assez longs pédoncules axillaires ; — plusieurs fleurs disposées en épis irréguliers, de couleur bleue ; — ses feuilles sont composées de 8 à 10 et 12 folioles lancéolées, et leur pétiole se termine en vrilles presque toujours rameuses.

Elle a été depuis longtemps recommandée par Muller, comme une des plantes fourrageuses les plus rustiques et les plus propres à procurer une nourriture verte aux bestiaux pendant tout l’hiver. Comme elle s’élève beaucoup trop pour se soutenir, A. Thouin proposait de la semer avec le mélilot de Sibérie, dont la végétation offre beaucoup d’analogie avec la sienne. Cette plante ne craint pas le froid. Si on voulait en tenter la culture, il faudrait la semer dès le commencement de l’automne pour qu’elle devint fauchable l’année suivante, car sa croissance est peu rapide. Ce motif, joint à la nécessité de lui donner des soutiens, sont peut-être les deux causes qui ont le plus empêché sa propagation. — Il est à désirer que de nouveaux et plus nombreux essais soient entrepris.

La Vesce multiflore (Vicia cracca, Lin.) (fig. 696) est vivace. Ses tiges grimpantes sont susceptibles de s’élever jusqu’à 1 mètre et plus ; elles sont grêles, rameuses, très-feuillues ; — ses feuilles ailées, terminées par une vrille assez souvent simple, sont de 14 à un plus grand nombre de folioles, tantôt lancéolées et aiguës, le plus souvent ovales et obtuses, terminées par une petite pointe centrale ; ses pédoncules portent jusqu’à 30 fleurs violâtres, auxquelles succèdent des légumes courts de 5 à 7 et 8 graines.

Cette espèce, qui a l’avantage d’être vivace, croit naturellement sur la lisière des bois et dans le voisinage des haies auxquelles elle s’enlace. Plusieurs auteurs anglais, parmi lesquels Fig. 696 il faut citer le Dr Plot et Anderson, en font un grand éloge. Le fait est que les bestiaux la mangent avec plaisir et s’en trouvent fort bien. On a remarqué qu’elle contenait une moindre surabondance d’eau que la Vesce cultivée. Je regarde comme assez vraisemblable qu’en la semant comme prairie artificielle parmi des graminées d’une longue durée, on en obtiendrait de bons produits.

Indépendamment des espèces précitées, il en est encore quelques autres, telles que la Vesce des haies (Vicia sepium), dont on parle dans tous les ouvrages anglais ; la Vesce des buissons (Vicia dumetorum), etc., que les bestiaux recherchent, et qui pourraient peut-être offrir quelque intérêt.

La Fève (Vicia faba), Féverolle, etc. (Voy. page 411).

Ers ou Lentille (Ervum). Calice à 5 divisions profondes, linéaires, égales ou presque égales, de la longueur de la corolle ; stigmate glabre, en tête ; légume oblong, enveloppant étroitement les graines qui forment par conséquent saillie.

L’Ers ervillier (Ervum ervilia, Lin.), Orobe officinale, Komin, Vesce ervilière, annuelle (fig. 697), a des tiges droites, rameuses, à 4 angles, qui s’élèvent Fig. 697. de 10 à 12 po. (0m271 à 0m325), très-feuillues et à feuilles composées d’un très-grand nombre de folioles. Le pétiole se termine par un faible rudiment de vrille ; les stipules sont à 3 divisions ; les fleurs, au nombre de 3 ou 4 au plus, sont portées sur le même côté du pédoncule ; le légume contient de 2 à 4 graines.

L’ers ervillier est utilisé à la nourriture des animaux, soit en griain, soit comme fourrage vert ou sec. En grain on a cru remarquer qu’il n’était pas sans danger ; cependant on emploie souvent sa farine mêlée a du son. ou pour augmenter le lait des vaches, ou pour la nourriture des autres bestiaux. M. de Villeneuve ajoute souvent aux pommes-de-terre dont ses bœufs mangent, dans la saison, de 130 à 140 livres par paire, de la farine d’ers, pétrie avec un peu d’eau et de sel. Il affirme, avec beaucoup d’autres, que cette même farine est très-dangereuse pour les cochons. — Quant aux fanes, elles sont tellement nourrissantes et échauffantes, qu’il faut en modérer l’usage, et ne les donner aux animaux de travail que pour augmenter leur énergie.

On sème cette plante en automne ou au printemps, à raison de 60 kilog. environ a l’hectare. Elle a la précieuse propriété de résister aux sécheresses, et de prospérer dans les terrains calcaires fort médiocres.

Lentille (Ervum lens). Voy. page 423 et suivantes.

Sainfoin (Hedisarum). Calice persistant, à 5 divisions subulées ; carène aplatie ; gousses plus ou moins comprimées, de forme irrégulièrement arrondie et à une seule graine.

Le Sainfoin commun (Hedisarum onobrychis, Lin.), Crête-de-coq, Esparcette, Sainfoin de Bourgogne, etc. (fig. 698), a une tige droite, rameuse, Fig. 698. de 1 à 2 pi. d’élévation ; des feuilles ailées avec impaire, ordinairement à 17 ou 19 folioles ; des stipules minces, sèches et demi-transparentes ; des fleurs en épi terminal, de couleur rose, à ailes très-courtes et à divisions du calice aussi longues que la corolle ; des légumes raboteux, garnis de pointes piquantes qui leur donnent l’aspect de crêtes.

Le sainfoin est un des fourrages les plus précieux, non seulement parce qu’il est excellent en lui-même, mais parce qu’il croit dans les terrains très-médiocres de nature sableuse ou calcaire, et qu’il les améliore sensiblement. C’est surtout dans le midi que la faculté de résister aux sécheresses le rend d’une haute importance, bien que dans beaucoup de lieux on ait déjà trouvé de l’inconvénient à le ramener trop souvent aux mêmes places.

Les renseignemens suivans ont été transmis à la direction de la Maison rustique du 19e siècle, par M. le baron d’Hombres Firmas.

« L’esparcet qu’Olivier de Serres appelle une herbe fort valeureuse, est cultivé très en grand dans quelques communes du département du Gard, et depuis longtemps justement apprécié des paysans, qui lui attribuent leur bien-être. Les plus âgés se rappellent et conviennent tous qu’avant son introduction, leurs troupeaux étaient beaucoup moins considérables ; qu’ils ne tenaient pas la moitié des bêtes de labour qu’ils emploient aujourd’hui ; qu’ils avaient moins de terres en rapport, et que, faute de travail ou d’engrais, elles ne rendaient pas d’aussi bonnes récoltes.

« Les frais de culture du sainfoin ne sont pas considérables, la graine est peu chère, et l’on ne fume pas la terre, à moins qu’on n’ait des engrais de reste, qui, dans ce cas cependant, ne sont pas perdus. On fait un premier labour en novembre ou décembre, un mois après on en fait un second, et l’on sème au commencement d’avril ; les labours sont faits avec l’araire du pays, attelée de deux bœufs ou deux mules. On sème à la main, en employant à peu près deux fois autant de semence que si c’était du blé, parce que le fourrage épais est plus délicat, ses tiges étant moins fortes. Ensuite on passe sur la terre la herse, pour recouvrir la semence, ou, faute de cet instrument, on emploie pour briser les mottes et unir la terre, une claie de parc ou une planche sur laquelle monte le conducteur du cheval qui la traîne. Si l’on fait épierrer ou du moins ôter les plus grosses pierres, les plus saillantes, ce ne sera que mieux, et l’on pourra faucher de plus près.

« Lorsqu’il y a des arbres isolés au milieu d’une terre, on a grand soin de laisser un intervalle, sans semer autour de leur pied ; nous avons vu périr des noyers et des gros chênes sans autre cause apparente ; aussi, dans tous les baux à ferme de ce pays, on prescrit de laisser un rond de deux pas de rayon au tour des arbres, et la même distance entre les allées de mûrier qui bordent ou divisent les terres.

« Quelquefois on sème le sainfoin avec de la paumelle (orge n°6) ou de l’avoine ; on avance alors d’un mois l’époque des semences, et l’on obtient une récolte la même année. Mais c’est moins avantageux qu’on ne croit, la paumelle et la prairie artificielle en souffrent l’une et l’autre : elles réussiront toujours mieux si on les sépare.

«  On dit qu’en Provence on sème le sainfoin en automne. Nos hivers sont peu rigoureux ; cependant quelques essais nous persuadent que des petites gelées et des dégels alternatifs sont très-contraires à cette plante lorsqu’elle est jeune, quoiqu’un froid plus rigoureux ne lui porte pas atteinte quand elle a pris de la force.

« C’est vers le milieu de mai, pendant la floraison de l’esparcet, qu’on le fauche, quand on le destine à la nourriture des animaux. On le coupe plus tard, comme je le dirai tout-à l’heure, lorsqu’on veut recueillir sa graine ; la première année cette récolte est peu considérable, mais la seconde il est déjà en bon rapport, et dans les bonnes terres il acquiert 7 décimètres de hauteur. Un champ de 2 hectares produit 20 charretées de 10 quintaux métriques de fourrage sec.

«  Lorsque la température est favorable à la végétation, on fait une seconde coupe au commencement d’août, qui rend à peu près un quart de la première en regain tendre, qu’on garde pour les agneaux. Je parle des bonnes terres, nous en avons peu qui soient susceptibles d’être fauchées deux fois.

« Le sainfoin sec reste d’un beau vert, conserve une odeur agréable ; tous les bestiaux le mangent avec délices : c’est une nourriture fort saine et qui n’est pas indigeste comme la luzerne. Nous en donnons à nos chevaux à discrétion, sans le moindre inconvénient.

« La floraison durant près de trois semaines, la maturité des graines arrive graduellement. Celles du bas des épis se détachent et tombent, s’il fait du vent, quand celles du milieu sont à peine mûres, qu’un peu plus haut elles sont toutes vertes, et que les sommités présentent encore des fleurs à peine écloses. Si l’on fauche trop tôt, les graines stériles dominent ; si l’on fauche trop tard, on n’a pas demi-récolte ; il faut savoir choisir le moment convenable ; mais, quand on préfère la qualité à la quantité, à Saint-Hippolyte par exemple, où nous sommes jaloux d’avoir de la bonne graine, nous attendons que la floraison soit prête à finir. La réputation méritée de cette graine, ce qui fait qu’on la recherche dans cette commune, tient à cette précaution et à l’usage où nous sommes de réserver, pour le laisser grener, un pré de sainfoin ou le côté de ce pré le plus vigoureux, le plus beau, et toujours de la première année. Par ce moyen, non seulement les graines sont plus pures, mais celles qui mûrissent les premières, qui se détachent des épis et tombent en fauchant, ne sont pas perdues ; une partie du moins, si le temps la favorise, se trouve semée naturellement, et épaissit la prairie pour les années suivantes.

« On fauche le sainfoin de graine au commencement de juin, de grand matin, avec la rosée, afin qu’il s’égrène moins ; le lendemain, au milieu du jour, après avoir étendu les draps par terre, on y porte, avec une fourche de bois, une certaine quantité de sainfoin ; pour peu qu’on frappe dessus avec le même instrument, les graines s’en séparent ; on l’enlève et on l’entasse à côté pour recommencer l’opération sur une nouvelle quantité de sainfoin.

« Le sainfoin qu’on a laissé grener a les tiges plus dures, il a perdu ses feuilles et ses sommités, il est par conséquent moins succulent ; mais les mules s’en accommodent fort bien, quoique d’une qualité inférieure. Il ne vaut que le tiers ou la moitié du premier coupé.

« On garde les bœufs ou les mules dans les sainfoins fauchés, quand ils ont repoussé, en août ou en septembre. Les bêtes à laine broutent de trop près, on leur en défend l’entrée ; cependant, après les pluies d’automne, on y mène paître les brebis prêtes à mettre bas, et les jeunes agneaux. Les cochons doivent toujours en être éloignés.

« Les feuilles, les graines, les débris qui tombent au fond des greniers à foin, sont une nourriture appétissante pour les chevaux, en les criblant pour en enlever la poussière. Nous ne leur donnons pas cependant de la graine mûre au lieu d’avoine, comme on dit que cela se fait dans d’autres pays, parce qu’elle est plus chère.

« Au bout de 5 à 6 ans nos sainfoins dépérissent ; ils perdent en qualité comme en quantité, en ce qu’ils sont mêlés de mauvaises plantes. Nous sommes dans l’usage de les défricher ordinairement dès la quatrième année. Arthur Young attribue cette pratique à la brièveté des baux, à la mauvaise gestion des fermes, à l’ignorance de l’importance des bestiaux. Mais, calculons le revenu d’un sainfoin pendant quinze ans, en supposant qu’il ne dégénérât pas, et le produit en foin ou en froment et en légumes, si l’on change le pré artificiel trois fois de place dans ce même temps, le résultat est en faveur de notre méthode. Est-ce donc là une preuve que l’agriculture française est dans l’enfance, comme le célèbre agronome que j’ai cité a voulu le dire ? »

[18:4:3]
§ iii. — Des diverses autres plantes herbacées, cultivées ou propres à l’être comme fourrages.[7]

Le Jonc de Botnie (Juncus bottnicus), famille des joncées. — « On regarde généralement les plantes appartenant à la famille des joncées comme peu nutritives ; elles sont pour la plupart dédaignées du bétail et elles lui deviennent souvent préjudiciables ; cependant, comme partout, on trouve des exceptions. Le jonc de Botnie en est un exemple. Cette plante est recherchée avec avidité des moutons, des vaches et des chevaux, et, d’après l’expérience de toutes les personnes qui ont le bonheur d’en posséder une grande quantité dans leurs pâturages et leurs prairies, ces animaux s’en trouvent parfaitement bien. Il forme le gazon le plus fourré que j’aie jamais vu ; mais il ne se plaît que dans les terres riches en sel commun. La grande quantité de ce sel, que contient le jonc de Botnie, est ce qui le fait rechercher avec tant d’avidité par les moutons et par les autres bestiaux, et qui le rend si favorable à leur santé. On pourrait semer cette plante précieuse dans des pâturages humides ; en ayant soin d’amender le sol avec du sel, je suis persuadé qu’elle viendrait bien partout ; néanmoins les terrains calcaires et crayeux paraissent moins lui convenir… » Sprengel, Trad. des annales de Roville.

La Bistorte (Polygonum bistorta, Lin.), famille des polygonées, est cultivée comme prairie artificielle, dans une partie de la Suisse et du Jura. En général, elle est plus vigoureuse dans les localités humides que partout ailleurs ; cependant je l’ai vue réussir assez bien dans les terrains légers, mais richement fumés du Jardin des Plantes de Paris. Son fourrage, un peu dur, est assez abondant. Il parait convenir surtout aux vaches et aux moutons.

Le Sarrasin (Polygonum fagopyrum, Lin.), même famille. (Voy. page 393 et suivantes.)

Le Plantain lancéolé (Plantago lanceolata. Lin.), famille des plantaginées, a été recommandé en Angleterre par Anderson, en France par Gilbert, et plus récemment en Allemagne par Sprengel. C’est une plante dont les moutons sont avides, et qui serait beaucoup plus propre à être pâturée que fauchée, car au fanage elle se réduit presque à rien. Aussi l’exclut-on soigneusement des prairies. Dans les pâturages il en doit être tout différemment. Là, elle dure fort longtemps et produit un pacage à la fois plus nutritif et plus abondant que les graminées. Le plantain lancéolé est peu difficile sur le choix du terrain.

L’Epervière Piloselle (Hieracium pilosella, Lin.), famille des semi-flosculeuses, décriée comme dangereuse pour les moutons par quelques auteurs, est, au contraire, considérée par Sprengell comme une des plantes les plus propres à changer les sables les plus stériles en pâturages, excellens pour ces animaux. Ses feuilles et ses tiges, dit-il, ne souffrent nullement des gelées, de sorte que celles qui n’ont pas été mangées en automne procurent aux troupeaux, dès qu’ils commencent à pâturer au printemps, une nourriture fraîche qui vient alors très à propos. — La végétation de cette plante commence au mois de mars, et dure tout l’été, même pendant les plus fortes chaleurs. Le pâturage des bestiaux ne lui est nullement nuisible. — On pourrait la semer avec une céréale d’automne.

La Laitue (Lactuca sativa, Lin.), même famille. — « Dans les exploitations rurales où l’on élève beaucoup de cochons, il est d’un grand avantage de semer en diverses fois, en mars, avril et mai, quelques ares de laitues que ces animaux aiment excessivement, et qui contribuent beaucoup à les entretenir en bonne santé pendant l’été ; — un sol très-riche, meuble, fortement amendé et situé près des bâtimens de l’exploitation, est ce qui convient pour cela ; on sèmera, soit à la volée, à raison d’une livre et demie de graines pour 10 ares, soit en lignes à 12 ou 15 pouces de distance, à raison d’une livre seulement pour la même étendue. Dans tous les cas, on enterrera fort peu la semence. — On sarclera et binera soigneusement ; car, sans ces soins, la laitue profite peu. » Calendrier du Cultivateur, 3e édition.

Fig. 699.

La Chicorée (Cichorium intybus, Lin.) (fig. 699), de la même famille, produit, dans des terres de qualités fort différentes, un fourrage précoce, abondant, qui peut être pâturé sur place ou fauché successivement pour être porté à l’étable. — Elle dure 3 ou 4 ans et résiste fort bien à la sécheresse. — On la sème au printemps ou en automne, seule ou avec de l’orge, de l’avoine, du froment ou du trèfle rouge.

Depuis un certain nombre d’années, la culture de la chicorée a pris une certaine extension sur plusieurs points de la France. Dans le nord on en cultive une variété dont on utilise les racines comme succédanées du café. Ces mêmes racines qui se conservent dans le sol, sans craindre les effets de la gelée pendant tout l’hiver, sont, dit-on, une assez bonne nourriture pour les porcs. Cette variété est, du reste, aussi fourrageuse que l’autre.

La Centaurée noire (Centaurea nigra, Lin.), Jacée des prés, etc., famille des flosculeuses, est une plante des sols arides et élevés ; elle fournit un bon pacage aux moutons, et elle ne gâte nullement la qualité des autres foins. Les prairies dans lesquelles elle se trouve en certaine quantité sont fort estimées aux environs de Cléry dans l’Orléanais et ailleurs. J’ai souvent eu occasion de remarquer la facilité avec laquelle elle repousse après avoir été fauchée ou pâturée pendant la saison des plus fortes sécheresses, et cela, sur des terrains de toutes sortes et de très-médiocres qualités. — On pourrait l’essayer seule, à raison de 8 à 10 kilogrammes.

La Petite-Marguerite (Bellis perennis, Lin.), famille des radiées, possède plusieurs qualités qui, indépendamment de sa propriété très-nutritive, la rendent aussi précieuse dans les pâturages qu’inutile dans les prairies. Sa végétation est précoce et de longue durée, car depuis mars elle ne cesse de croitre jusqu’en décembre ; — elle repousse rapidement sous la dent des animaux ; — elle est de longue durée et forme un gazon court, mais épais, excellent pour les moutons, et qui a la propriété de ne redouter nullement le parcours des oies.

La Millefeuille (Achillea millefollium, Lin.), même famille, n’est ni très-fourrageuse, ni très-nourrissante, mais elle a le mérite de croitre sur les terres peu profondes, et de résister à des sécheresses opiniâtres. Semée avec quelques légumineuses rustiques, elle offrirait sans doute une précieuse ressource en été, pour les moutons qui l’aiment beaucoup. Il est bon d’ajouter que dans plusieurs contrées d’Allemagne on arrache ses racines au printemps, pour les donner aux vaches dont elle améliore, dit-on, beaucoup le lait.

Le Grand et le Petit Boucages (Pimpinellœ saxifraga et magna), famille des ombellifères, ont été étudiés chimiquement et recommandés par Sprengel à l’attention des cultivateurs. Le premier, qui a des feuilles très-fines, peu aqueuses et un peu dures, convient parfaitement aux moutons ; il peut être brouté continuellement sans en souffrir ; il se contente d’un sol maigre, pierreux, sablonneux et très-peu profond ; il dure longtemps et conserve sa verdure toute l’année. — Quant au grand boucage, toujours d’après le même auteur, il est fort bon pour le bétail à cornes Cette plante, atteignant dans un terrain convenable une hauteur de 3 à 4 pieds, est plutôt propre à être fauchée qu’à être pâturée. Ce qui la rend surtout précieuse, c’est qu’elle a une végétation très-précoce, qu’elle est bien garnie de feuilles et qu’elle repousse promptement après avoir été coupée, de sorte qu’on pourra en avoir plusieurs coupes dans une année. Outre cela, elle supporte fort bien les plus grandes sécheresses et dure longtemps.

La Berce blanc-ursine (Herarcleum spondylium, Lin.), même famille, toujours d’après Sprengel, pourrait être placée parmi les plantes à fourrage les plus précieuses. Elle ressemble beaucoup au panais : de même que ce végétal, elle pousse des tiges hautes de 3 à 4 p., bien garnies de feuilles ; elle donne par conséquent un fourrage abondant, et très-favorable à la production du lait. — La racine fusiforme de la berce a plus d’un mètre de longueur, et il est probable qu’elle s’améliorerait par la culture ; mais on sent qu’elle exige un sol profond et fertile. À cette condition, elle peut supporter les plus grands froids et les sécheresses les plus prolongées.

Fig 700.

Plusieurs espèces de Choux (Brassica oleracea, Lin.), famille des crucifères, sont cultivées, notamment dans le nord et dans l’ouest de la France, exclusivement comme plantes fourragères ; ce sont : Le Chou cavalier (fig. 700), le meilleur peut-être à cause de son élévation et de l’ampleur de ses feuilles ; — le Caulet, qui s’en rapproche sous tous les rapports ; — le Chou branchu ou de Poitou, moins élevé que le cavalier, mais garni fort souvent de jets nombreux qui se développent tout le long de la tige ; — le Chou vivace, généralement plus élevé que celui de Poitou et moins ramifié à la partie basse de la tige ; — le Chou en arbre de Laponie, qui ne paraît être qu’une variété locale de ce dernier ; — les Choux frisés verts ou rouges, qui diffèrent de tous les précédens par leurs feuilles découpées, parfois presque laciniées ; on les cultive de préférence dans le nord, quoique moins productifs, parce qu’ils résistent mieux aux froids très-rigoureux.

Les avantages principaux des choux dans la grande culture, sont : 1° de procurer une nourriture verte, abondante et très-recherchée du gros bétail en général, pendant tout le cours de l’hiver : dans les contrées où le foin fait encore seul ou presque seul la base de l’alimentation des animaux, ce premier point est surtout d’une grande importance ; — 2° d’exiger l’emploi d’engrais et la pratique de binages qui les rendent une fort bonne culture préparatoire pour d’autres récoltes fourragères ou céréales. Mais, à côté de ces avantages, il faut noter que ces plantes sont assez épuisantes, lors même qu’on ne leur permet pas de monter en graines, parce qu’elles ne laissent aucune de leurs dépouilles sur le sol. Aussi, tant pour leur propre réussite que pour celle des cultures suivantes, faut-il les fumer abondamment.

On sème tous les choux-fourrages en pépinière, le plus souvent en mars et avril, pour les mettre en place de septembre en novembre, aux approches des premières pluies d’automne ; quelquefois en juillet et août, pour les transplanter en avril ou mai, par l’un des procédés qui ont été indiqués pour le colza. — L’espacement varie de 2 à 3 pieds (0m 650 à 1 mètre), selon l’espèce cultivée et la fertilité du terrain. — Pendant toute la durée de leur végétation, c’est-à-dire le printemps de la 2e année, on entretient le sol meuble et net de mauvaises herbes par des labours ou des binages. À cette dernière époque, quelques cultivateurs les laissent monter et même grener pour continuer d’affourrager les animaux de leurs tiges florales jusqu’à l’entier épanouissement, ou pour récolter la graine. (Voy. pag. 7 et suivantes du liv. 2)

Les Choux-Navets (Brassica napo-brassica, Lin.) ont de grosses racines charnues analogues à celles des navets, et qui jouissent de la précieuse propriété de se conserver intactes dans le sol même pendant les fortes gelées, de sorte qu’on peut ne les extraire qu’au fur et à mesure des besoins de la consommation. La manière de les cultiver en grand est la même que pour les précédens ; seulement 12 à 15 po. (0m 325 à 0m 406) suffisent entre chaque pied. Dans quelques lieux, on les sème cependant en place de la fin d’avril à la mi-juin. J’ai éprouvé cette méthode, et j’ai trouvé que, dans un sol bien préparé, elle donnait des résultats plus avantageux que la transplantation.

Le Chou rutabaga (Brassica rutabaga) se distingue particulièrement du chou-navet à la couleur jaunâtre de sa racine et aux découpures plus profondes de ses feuilles. Ses avantages et les soins qu’il exige sont à très-peu près les mêmes. Comme culture potagère, le rutabaga m’a toujours paru préférable au chou-navet à cause de sa saveur. Il n’est pas inutile d’ajouter qu’il se forme plus vite que ce dernier, et que conséquemment on peut, on doit même le semer plus tard.

Les choux à racines charnues sont trop peu répandus dans la grande culture ; ils donnent, dans les terres argilo-sableuses et même sablo-argileuses fertiles ou suffisamment fumées, un produit d’autant plus important que l’emploi des racines n’exclut pas celui des feuilles.

Le Chou-Colza (Brassica oleracea campestris, D.), dont il a été parlé, pag. 2 et suivantes du livre 2, sous d’autres rapports, est aussi cultivé dans quelques lieux comme fourrage. La meilleure manière d’en tirer parti, en pareil cas, est de le semer à la volée sur le chaume, immédiatement après la moisson, à l’aide d’un fort hersage ou d’un seul trait d’extirpateur, à raison de 4 à 5 kilog. par hectare. Lorsque le froid n’endommage pas le semis, on obtient ainsi, dès le premier printemps, un fourrage précieux à cette époque.

Le Chou-Navette (Brassica napus sylvestris, C. V.), Voy. pag. 8 du livre 2, est préféré par quelques cultivateurs à la moutarde blanche, comme fourrage. On le sème à la même époque et de la même manière que le colza, en ayant la précaution d’employer environ le double de graines.

La Moutarde blanche (Synapis alba, Lin.), même famille, est généralement préférée à la moutarde noire (Voy. pag. 10 du livre 2, fig. 5 et 6), comme récolte fourragère ; ainsi que les deux espèces précédentes, c’est sur le chaume qu’on est dans l’habitude de la semer, à raison d’un 10e de kilog. par hectare. Pour peu que le temps ne soit pas trop sec, la moutarde, dont chacun connaît la rapide croissance, donne promptement aux vaches, dont elle améliore le lait, une excellente nourriture jusqu’aux gelées.

La Buniade (Bunias orientalis, Lin.), même famille, est remarquable par la précocité de son fourrage. On peut le faire pâturer ou même le faucher dès la fin de mars ou le courant d’avril. C’est une qualité si importante, qu’on a beaucoup vanté cette plante. Dans les essais que j’en ai faits sur une terre argilo-sableuse aride et très-peu féconde, j’ai obtenu, en petit, de très-bons résultats du semis de printemps en place ; d’autres se sont mieux trouvés, dit-on, de semer en pépinière et de repiquer. En général, la Buniade est très-fourrageuse et paraît peu difficile sur le choix du terrain et les soins de culture ; mais une chose dont les auteurs ne parlent pas et que j’ai éprouvée, c’est que les bœufs et les vaches la repoussent en présence de tout autre fourrage : il en est de même des chevaux. Peut-être cependant pourrait-on les y habituer, et alors ce végétal présenterait des avantages analogues à ceux qu’on retrouve dans la chicorée.

Le Pastel (Isatis tinctoria, Lin.), même famille, se recommande aussi par sa grande précocité. Dès la fin de février, il est déjà en végétation. On lui a reproché d’être peu du goût des bestiaux ; cela est vrai pour les bêtes bovines ; cependant des expériences positives démontrent qu’on peut les y habituer, et qu’elles s’en trouvent assez bien. Quant aux moutons, ils le mangent sans difficulté. On sème au printemps 20 kilog. par hectare.

Fig. 701.

La Spergule (Spergula arvensis, Lin.) (fig. 701), famille des Caryophillées, partage avec la moutarde l’avantage d’utiliser le sol peu de temps après la moisson, et de procurer jusqu’aux gelées un pacage ou un fourrage vert fort recherchés des vaches. Dans les terres médiocres ou tenaces, elle s’élève si peu qu’on ne peut guère en conseiller la culture que sur des sols sablo-argileux, substantiels et frais. Là, je l’ai vue donner en Belgique sur les chaumes, ou après l’arrachage des lins, de fort bons produits. Je conseille donc de l’essayer dans des circonstances analogues, partout où les pluies estivales promettent quelques chances de succès.

Fig. 702.

La Pimprenelle (Poterium sanguisorba, Lin.), famille des rosacées (fig’. 702). Le grand mérite de cette plante, dit M. Vilmorin, parfaitement d’accord en cela avec tous les essais que j’ai faits et vu faire, est de fournir d’excellentes pâtures sur les terres les plus pauvres et les plus sèches, soit sablonneuses, soit calcaires. Elle résiste aux extrêmes de la chaleur et du froid, et offre surtout une ressource très-précieuse en hiver pour la nourriture des troupeaux. Quelques parties de la Champagne pouilleuse ont dû a la pimprenelle une amélioration sensible dans leur situation agricole, amélioration dont bien des milliers d’hectares en France seraient susceptibles. Il paraît que son foin ne convient ni aux vaches ni aux chevaux, quoiqu’il soit excellent pour les moutons ; mais son fourrage vert plaît à tous les herbivores, et elle repousse pendant la belle saison plus vite peut-être qu’aucune autre plante. On la sème en mars ou septembre, à raison de 30 kilog. environ par hectare.

Fig. 703.

La Sanguisorbe (Sanguisorba officinalis, Lin.) (fig. 703), même famille, plus vulgairement connue sous le nom de grande pimprenelle, s’élève beaucoup plus que l’espèce précédente, et n’est guère plus difficile qu’elle sur le choix des terrains. J’en ai vu de belles sur des terres tuffacées, et j’en ai possédé de magnifiques sur des sols argilo-sableux maigres et arides. Je la crois préférable à la pimprenelle comme plus fourrageuse.

Les Courges ou Citrouilles (Cucurbita), famille des Cucurbitacées, dans plusieurs parties de la France méridionale et occidentale, sont cultivées sur de petites étendues pour concourir à la nourriture des ruminans, et surtout des cochons, pendant une partie de la mauvaise saison. Cette nourriture, un peu aqueuse, a besoin d’être mitigée par d’autres alimens. L’espèce que j’ai vue le plus habituellement recherchée est verte, oblongue, de la grosseur de la tête ou davantage, et rayée de blanc ; quelquefois simplement tachetée de cette dernière couleur et presque ronde.

On la sème sans grande précaution lorsque les dernières gelées ne sont plus à craindre, tantôt en des augets, au fond desquels on a déposé quelques engrais, tantôt sans cette précaution, sur des fonds naturellement fertiles, au plantoir ou à la main, à des distances à peu près égales entre chaque pied. D’après le premier procédé, qui est préférable, on répand 4 à 5 graines dans chaque auget, quoique plus tard on ne doive laisser subsister que deux pieds. À mesure que les courges mûrissent, ce qu’on reconnaît à leur changement de couleur, et surtout à la dureté complète de leur écorce, on les cueille ; on les laisse se ressuyer quelque temps en plein air, et on les rentre toutes avant les gelées dans un lieu sec et abrité.

La culture des courges est assez étendue dans les départemens de l’Ain, de Saône-et-Loire, de la Sarthe, de Maine-et-Loire, etc. La, les cultivateurs en font grand cas pour les localités dont le fond est léger, quoique fertile. Au-delà du 49e degré vers le nord, elle ne présenterait plus les mêmes avantages.

§ IV. — Des arbres et arbrisseaux fourragers.

Les végétaux sous-ligneux et même ligneux offrent dans quelques localités, et pourraient offrir dans beaucoup d’autres, des ressources assez importantes pour la nourriture des bestiaux. Comme les plantes herbacées, il y a deux manières principales de les faire consommer : en vert, soit au pacage, soit à l’étable ; — à l’état sec, à l’aide de divers modes de conservation.

Les Bruyères (Ericœ) elles-mêmes, dans les terrains qui ne conviennent qu’à leur végétation, sont quelquefois broutées par les moutons. M. de Morogues en cite des exemples pour la Sologne. D’après les essais qu’il rapporte, ce sont les Erica cinerea et vulgaris dont les mérinos s’accommodent le mieux. Quand les bruyères croissent mêlées à des genévriers, ce dernier arbrisseau rend leur pacage meilleur, parce que les moutons le broutent avec plaisir et profit pour leur santé. On pourrait donc semer le genévrier comme le genêt, s’il ne croissait pas avec une si grande lenteur.

Les Genêts (Genista et Spartium, Lin.), famille des légumineuses, croissent spontanément dans beaucoup de localités sur les terrains qu’on abandonne sans culture pendant un certain nombre d’années. Dans d’autres on les sème, comme l’un des meilleurs moyens d’amélioration des coteaux à pente rapide et des sables arides. C’est le Genêt à balai (Spartium scoparium, Lin.) qui est le plus répandu en France. Je ne me suis jamais aperçu chez moi que le gros bétail y touchât dans les pâturages, mais il procure une bonne nourriture verte aux moutons. L’agronome distingué que je citais tout-à-l’heure en a tiré un fort grand parti dans ses propriétés du Loiret : « Les genêts, dit-il, sont peu coûteux à multiplier ; on en fait ramasser la graine par des pâtres ; le litre revient à 50 ou 60 c., et il en faut 2 à 3 litres par arpent de 20 pieds pour perche. Afin d’éviter les labours, on les sème dans les terres usées et arides avec le seigle et le sarrasin ; au bout de 3 ans la genetière peut être pacagée avec avantage. Heureusement on commence, depuis plus de 20 ans, à se servir de ce moyen pour améliorer les pâturages de la Sologne, et cela seul a déjà produit un bien réel que la généralisation de cette pratique ne fera qu’accroître. »

Le Genêt-velu (Genista pilosa, Lin.), d’après Sprengel, est celui qui tient le 1er rang parmi toutes les espèces de genêts les plus propres à garnir les pâturages des moutons. Voici les raisons qu’il en donne : 1° Il vient fort bien dans les terrains sablonneux et même dans ceux qui, à cause de leur grande aridité, ne produisent que la canche blanchâtre, l’épervière piloselle et quelques autres plantes, partage des terres les plus stériles ; 2° ses tiges et ses feuilles ne gèlent jamais, de manière que, même pendant l’hiver, il procure aux moutons une nourriture abondante ; 3° les rameaux sont mangés en entier ; 4° de toutes les espèces de genêts, c’est celle que les moutons préfèrent, ce dont il est facile de se convaincre dans un pâturage où il se trouve plusieurs autres espèces de ce genre ; 5° ses racines s’étendent à des profondeurs telles que la plante est insensible aux excès de la sécheresse et du froid, et qu’elle tire du sous-sol une grande partie de ses principes nourriciers ; 6° elle ne souffre nullement d’un pâturage continuel ; 7° sa présence non seulement ne nuit aucunement au trèfle, aux graminées, mais elle procure à ces plantes une végétation plus vigoureuse, parce que le genêt velu améliore la couche supérieure du sol ; aussi ne devrait-il manquer dans aucun pâturage à moutons, en sol sablonneux et sec.

La Genestrolle (Genista tinctoria, Lin.) partage une partie de ces avantages. L’analyse nous la montre comme plus nourrissante encore ; elle dure longtemps, est d’une culture facile, parce que la semence, qui est fort grosse, lève aisément, et souffre peu du voisinage des autres plantes. Sprengel recommande de semer ce genêt avec d’autres plantes fourragères en automne ou au printemps, par-dessus une céréale d’hiver.

L’AJonc (Ulex europeus, Lin.), même famille, croit aussi naturellement dans diverses localités sur les terres abandonnées pendant un certain nombre d’années sans culture, après quelques récoltes économiques. — Ailleurs on juge convenable de le semer, dans la persuasion qu’il améliore le sol pour les céréales. On répand alors à la volée une quinzaine de kilog. de semence par hectare. L’ajonc aime les terrains consistans. Il vient de préférence dans les schistes argilo-sableux, sur la crête des fossés où il forme d’assez épaisses clôtures, pendant ses premières années, et sur les friches, où, comme en Bretagne et une partie de la Vendée, on peut en retirer un combustible abondant et de bonne qualité. Lorsqu’on cultive l’ajonc pour fourrage, on le tond ordinairement deux fois, une au commencement et la seconde vers la fin de l’hiver, en ayant soin de prévenir l’entier épanouissement des fleurs, parce que dès lors ses nombreuses épines seraient plus difficiles à briser, et parce que surtout les tiges acquerraient une rigidité telle que la faulx ne pourrait plus les renverser. Lorsque les champs d’ajoncs arrivent à un certain âge, on doit recourir à la serpe. Dans tous les cas, on frappe les branchages au maillet sur un billot, ou on les fait passer sous les meules à cidre pour émousser les piquans qui repousseraient les animaux. En cet état, tous les mangent avec grand plaisir, et ce peut être, à défaut d’autres fourrages, une ressource souvent importante.

Les Pins (Pini) sont aussi, dans les assolemens où l’on juge utile de les introduire pour quelques années, employés à la nourriture des troupeaux. Je ne reviendrai point ici sur le mode de culture applicable à de tels assolemens (Voy. le chap. X) ; mais il est utile d’appeler l’attention des cultivateurs sur le parti qu’on peut tirer des espèces les plus abondamment cultivées, et notamment du Pin maritime (Pinus maritima, Lin.), dont l’usage sous ce rapport est trop peu connu. Je ne puis mieux faire que de laisser parler M. de Morogues : « N’omettons pas ici le parti qu’on peut tirer des branchages de cette dernière espèce. Malheureusement les mérinos en font peu de cas ; mais les bêtes à laine indigènes qui ne les appèlent point en été, les mangent en hiver. Depuis deux ans, M. le comte de Tristan a affourragé de cette manière pendant tout l’hiver deux troupeaux de brebis, race de Sologne, et il s’en est applaudi. — M. de Gauvilliers, président de la Société d’agriculture du département de Loir-et-Cher, a aussi employé avec succès, dans sa terre près de Blois, ces branches pour nourrir les moutons ; et moi-même j’ai fait, de mon côté, plusieurs expériences à ce sujet qui toutes m’ont paru concluantes. — Il ne faut couper les branches de pins qu’au fur et a mesure du besoin, parce que quand elles sont sèches, les moutons paraissent ne s’en pas soucier, tandis qu’ils se jettent dessus avec avidité quand elles sont fraîches et qu’ils y ont été accoutumés. Si par hasard ils y répugnaient, on pourrait, vaincre ce dégoût en trempant d’abord dans de l’eau salée les branches qu’on leur donnerait. Cet expédient, dont on use avec succès pour faire manger (les premières fois, aurait dû ajouter l’auteur) des marrons d’Inde concassés aux brebis mérinos qui allaitent leurs agneaux, réussirait sans doute dans le cas que nous venons de mentionner. » (Essai sur les moyens d’améliorer l’agriculture en France.)

Certes, on ne cultivera jamais des pins comme fourrage dans les lieux où l’on pourra entreprendre des cultures herbagères ; mais on ne doit pas perdre de vue que M. de Morrogues, en les recommandant, parlait aux habitans de la Sologne, et que les circonstances fâcheuses qu’il avait en vue peuvent se présenter malheureusement en bien d’autres lieux. (Voy. l’art. Assolement.)

Beaucoup d’arbres estivaux sont très propres à donner des feuillards qui conviennent également à tous les herbivores. A. Thouin a consacré une partie de l’école pratique du Muséum d’histoire naturelle, et un paragraphe de son Cours de culture, à la formation et à la description de haies à fourrages. Malheureusement les espèces qui conviennent le mieux au bétail ne sont pas généralement celles qui procurent les clôtures les plus défensives, attendu qu’elles doivent être privées d’épines. Cet inconvénient est assez grave ; néanmoins il est telles positions ou l’on pourrait atteindre suffisamment le second but, sans manquer le premier ; or, selon moi, cette question est plus importante qu’on ne parait le croire. Ce n’est pas seulement au Jardin des Plantes de Paris qu’on peut voir de superbes haies qu’une tonture rigide ne fait que rendre plus touffues dans leur mince épaisseur. Tous ceux qui ont parcouru la Belgique en ont pu remarquer de semblables en plein champ, et certes l’abondance des ramées obtenues une ou deux fois dans le cours de la belle saison, lorsqu’elles sont de nature à affourrager les animaux, sont d’autant moins à dédaigner, qu’on peut choisir, pour les abattre, le moment où les prairies offrent le moins de ressources.

Une première condition à rechercher dans les végétaux qu’on destine à former des haies fourragères, c’est : 1o qu’ils plaisent aux bestiaux ; 2o que leur végétation soit le plus active possible, et que de fréquentes tontures ne leur soient pas nuisibles. L’orme, les érables, le charme et divers autres végétaux ligneux remplissent fort bien ce double but.

Quant aux arbres ou arbrisseaux qui ne pourraient former de bonnes clôtures, parce que leurs tiges sont ou trop faibles ou trop disposées à se dégarnir du pied, ou enfin parce qu’ils auraient à souffrir des effets de la tonture, on peut encore les utiliser à la nourriture des bestiaux, en les plantant, comme on l’a conseillé, en taillis, en quelque sorte fauchables chaque année ; — en les arrêtant sur souches très-basses ; — ou en les élevant en têtards, destinés à être coupés tous les 3 ou 4 ans, et dépouillés seulement de leurs feuilles chaque année aux approches de l’automne. Sons les deux premières formes, quelques-unes des espèces qui paraîtraient présenter le plus d’avantage sont les suivantes :

La Luzerne en arbre (Medicago arborea, Lin.), famille des légumineuses, qui est considérée par la plupart des naturalistes comme le vrai cytise, tant vanté des anciens, dont quelques essais avantageux ont été faits, je crois, aux environs de Montpellier, et qui parait très-propre à fournir à la fois dans les régions méridionales un excellent fourrage aux bestiaux et une nourriture de prédilection pour les abeilles. On sait que l’excellent miel du mont Hybla, célébré par Virgile, était recueilli sur les fleurs de ce végétal.

Le Cytise des Alpes (Cytisus laburnum, Lin.), même famille, qui prospère sur les terres sèches, rocailleuses, et dont il est probable qu’on obtiendrait des feuillards abondans et fort du goût des bestiaux. Le Baguenaudier ordinaire (Colutea arborescens, Lin.), même famille. Arbrisseau à croissance rapide qui se plaît aussi dans les terrains sablonneux ou calcaires de peu de valeur, et que toutes les bêtes fauves rongent jusqu’au bois. J’en ai vu des haies tondues depuis long-temps 2 et 3 fois chaque année, sans en souffrir.

Le Caragana ou Arbre aux pois (Robinia caragana, Lin.) ; le Robinier faux-acacia (Robinia pseudo-acacia, Wild.) ; le Robinier sans épines (Robinia inermis), même famille.

Tous les 3 très-propres à être conduits en têtards de 2 à 3 pieds de haut, et à donner à la fin de l’été des branchages abondans et feuillus dont les herbivores de toutes sortes sont avides.

La variété du Robinier connue sous le nom de spectabilis dont les feuilles un peu glaunues sont plus grandes que celles de l’espèce commune, et dont les branches sont entièrement dépourvues d’épines, a, dans ces derniers temps, attiré d’autant plus l’attention des cultivateurs, qu’on est parvenu à l’obtenir franche de pied. M. Michaux, notre confrère, qui s’est tout particulièrement occupé de l’étude des arbres sous le point de vue économique, tout en recommandant d’une manière spéciale la multiplication de cette intéressante variété, ne laisse cependant pas ignorer que si on permettait aux bestiaux de manger l’écorce d’acacia, le principe irritant qu’elle contient en proportions telles que les Indiens de l’Amérique du Nord en emploient les décoctions pour se faire vomir, pourrait produire des accidens fâcheux.

Quant au Robinier sans épines ou Acacia boule, dont j’ai déjà parlé ci-dessus, comme il ne fructifie pas, il est plus difficile de le multiplier en grand. Cependant son feuillage délicat et très-abondant est recherché avec un empressement remarquable par les vaches, les moutons et les chèvres ; — M. Michaux a éprouvé qu’on pouvait le couper au moins deux fois dans le cours de l’été ; qu’il peut être très-utilement conservé en sec pour l’hiver, et il conseille en conséquence de greffer cet arbre en fente sur la racine même ou sur le collet des racines de l’acacia ordinaire, afin de le cultiver en rangées parallèles ou d’en placer les pieds isolés aux endroits qu’on ne pourrait utiliser d’une manière plus profitable.

L’Orme (Ulmuns campestris, Lin.), famille des amentacées, est depuis long-temps et dans beaucoup de lieux utilisé pour la nourriture des bestiaux. Il se conserve parfaitement en massifs plantés sur les terrains d’une pente rapide et tondus chaque année. Il vient bien aussi en haies dans les lieux où l’on peut se défendre contre la disposition traçante de ses racines ; enfin, il forme des têtards d’un grand produit en branches et en feuilles. — L’Orme de Hollande, dont les feuilles sont plus grandes et plus épaisses que celles de l’espèce ordinaire, devrait être généralement préféré.

« Le feuillage des divers Erables, famille des acérinées, en exceptant toutefois celui du negundo (Acer negundo, Lin.), donne frais, ou encore conservé sec pour l’hiver, un aliment très-nourrissant aux bestiaux. L’Erable jaspé est de toutes les espèces de ce genre celle dont la sève est la plus sucrée. Dans le nord des États-Unis, au Canada et à la Nouvelle-Ecosse, les cerfs et les élans se nourrissent presque exclusivement de ses branches de deux années d’existence, ainsi que de ses bourgeons qui se développent de très-bonne heure au printemps, ce qui lui a fait donner le nom de moose-wood (bois d’élan). L’érable jaspé se trouve particulièrement aux endroits élevés, humides et ombragés. Introduit dans les montagnes de la Suisse, des Vosges, de l’Auvergne, etc, il s’y reproduirait naturellement et il ajouterait utilement à la nourriture des chèvres qui seules peuvent gravir les pentes rapides et escarpées de ces montagnes. — On peut encore donner aux bestiaux des ramées du Peuplier suisse, du Peuplier franc et du Peuplier de Canada. Les Indiens de la haute Louisiane nourrissent leurs chevaux, une partie de l’hiver, avec les jeunes branches conservées de cette dernière espèce. » Michaux. Note communiquée.

Le Frêne (Fraxinus excelsior, Lin.), famille des jasminées, est un des arbres les plus utiles sous le point de vue qui nous occupe ici. Je n’ai pas vu couper ses jeunes branches pour affourrager les ruminans à l’étable ; mais dans plusieurs départemens, comme dans celui de Maine-et-Loire, on l’effeuille chaque année en automne avec un soin minutieux pour en nourrir les vaches laitières. Ce sont ordinairement des femmes et des enfans qui sont chargés de monter sur les têtards, toujours peu élevés, pour faire cette cueillette. Ils la font également sur les ormeaux, parfois sur les peupliers, et ces produits, malgré leur grande utilité, au moins en certaines années, ne coûtent cependant qu’un peu de temps, et ne peuvent nuire sensiblement aux arbres à l’époque où on les obtient. Il n’en est pas toujours de même de l’ébranchage.

Lorsque l’on veut conserver des ramées ou feuillards pour l’hiver, on en forme de petits fagots qu’on superpose, après quelque temps de séjour à l’air libre, dans un endroit abrité des grandes pluies, d’où on les retire ensuite au fur et à mesure du besoin. — La feuillée est susceptible aussi de conservation. Aux environs de Lyon, on entasse les feuilles de vigne dans des citernes ou des tonneaux, et après les avoir foulées le plus possible, on les couvre d’eau. On les coupe ensuite à la bêche lorsqu’on veut en faire usage pendant l’hiver. Il paraît que les animaux, une fois accoutumés à ce genre de nourriture, s’en trouvent à merveille. Dans quelques provinces d’Italie, on cueille les feuilles en septembre. On les laisse plusieurs heures étendues au soleil, puis on les entasse de la même manière dans des tonneaux ou des espèces de silhos simplement recouverts de sable, parfois même de paille et de terre.

D’après les analyses que Sprengel a faites des espèces de feuilles employées à la nourriture des bestiaux en Allemagne, on trouverait que celles de chêne contiennent à l’état sec environ 80 pour cent de parties nutritives ; — celles de frêne, 81 ⅔ ; — celles d’orme, 81 ; — celles de charme, 76 1/2 ; — celles d’érable, 77 ; — celles d’acacia, 78 1/2 ; — celles de hètre, 72 1/2 : — celles de peuplier, 76 1/2 ; celles d’aune, 71 1/2 ; — celles de saule, plus de 80 ; — celles de tilleul, 80 1/3 ; — enfin, celles de bouleau, 72 1/2. Toutes ces feuilles étaient sèches lorsqu’elles ont été soumises à l’expérience ; mais il est probable qu’elles avaient été détachées des arbres avant que la sève les eût abandonnées, c’est-à-dire dans le cours de l’été ou le commencement de l’automne. J’ajouterai, avec M. Puvis, que, dans une ferme où l’on a donné pendant plusieurs mois à 3 vaches, comme supplément au pâturage, 24 livres de ramée de peuplier de Virginie, elles consommaient chacune en moyenne 11 livres tant bois que feuilles ; donnaient autant de lait, et étaient aussi bien entretenues que lorsqu’on les affourrageait de 15 à 18 livres de trèfle ! — De tels résultats, quelle que soit la manière de les envisager, doivent, ce me semble, engager à étudier, plus qu’on ne l’a encore fait, l’utilité des feuilles d’arbres comme fourrages, et conduiront très-probablement à étendre leur emploi au-delà de ses limites actuelles.

O. Leclerc-Thouin

  1. On sait que dans beaucoup de lieux les fanes de pommes-de-terre avant leur entière dessiccation sont utilisées pour la nourriture des vaches et des bœufs, qui ne les mangent à la vérité que faute de mieux mais enfin qui les mangent sans en être incommodés. O. L. T
  2. Voici comment ont opéré les deux chimistes anglais et allemand : — Davy, après avoir soumis à l’action de l’eau bouillante seulement les herbes, soit vertes, soit sèches, jusqu’à ce que toutes les parties solubles fussent enlevées, fit ensuite filtrer la liqueur pour en séparer la fibre ligneuse et l’évaporer ensuite à siccité ; le résidu solide de cette évaporation lui paraissant renfermer d’une manière suffisamment exacte la masse de la matière nutritive qu’il désirait connaitre. — Prengel, afin d’arriver à plus de précision, a cherché combien de substance on pouvait extraire des plantes préalablement desséchées et pulvérisées, en les traitant au moyen de l’eau, de l’alcool et d’une lessive alcaline caustique. — D’après le premier procédé, il est probable que toutes les parties rendues ordinairement solubles par suite de la mastication et de la digestion ne furent point enlevées par l’eau ; — d’après le second, on doit penser que le contraire eut lieu, c’est-à-dire qu’il y eut plus de matières dissoutes à l’aide des procédés artificiels employés par l’expérimentateur qu’il n’y en a naturellement dans l’estomac des animaux ; mais, comme les analyses furent faites de la même manière pour chaque série de végétaux, on peut croire, sinon à leur précision rigoureuse, au moins à leurs résultats comparatifs, les seuls que j’aie eu l’intention de présenter ici. j’ajouterai toutefois que, pour arriver à cet égard à des données suffisamment exactes, il faudrait connaître mieux qu’on ne le fait la nature des réactions chimiques qui ont lieu dans les divers organes de chaque espèces d’herbivores et notamment des ruminans. O. L. T.
  3. Je sais qu’on a recommandé de cultiver l’ortie pour affourrager les vaches, et en effet elles la mangent, quoiqu’avec répugnance, à l’état de foin ; mais, chez moi, elles la rejettent constamment au pâturage. Telle plante qui offrirait une ressource dans un très-mauvais terrain devient nuisible dans celui auquel on peut demander mieux. Mon fermier fait donc tous ses efforts pour détruire les orties. Il y est arrivé en grande partie par le moyen que je propose.
  4. A la vérité, le fumier de mouton est plus puissant et plus actif, à poids égal, que celui de bœuf, de vache et même de cheval ; mais il ne demeure pas moins démontré, par de semblales faits, que l’évaluation par tête de bétail, lorsqu’il s’agit de la production du fumier, est fort différente de celle qu’on peut faire, quand on n’a en vue que la quantité de nourriture nécessaire à chaque animal. O. L. T.
  5. Mon confrère Vilmorin, l’un des hommes qui se sont le plus occupés de l’étude comparative des graminées fourragères dans la culture en grand, a mis à ma disposition son excellent herbier. — De nombreuses citations apprendront au lecteur que ce n’est pas à ce seul titre qu’il aura contribué à la rédaction des pages suivantes. O. L. T.
  6. La fleur des légumineuses est composée de deux parties : un calice qui correspond à la glume des céréales, c’est-à-dire qui forme l’enveloppe extérieure de la seconde partie ou de la corolle. Pour l’intelligence de ce qui va suivre, il est nécessaire de savoir que cette dernières est formée de 4 divisions ou pétales, savoir : un à la partie supérieure appelée étendard : c’est ordinairement le plus long ; — 2 opposés sur les côtés, appelés les ailes, et un en bas recourbé et parfois divisé, désigné sous le nom de carène.
  7. Les courtes descriptions qui ont paru jusqu’ici nécessaires pour aider à distinguer les genres nombreux et les espèces souvent fort voisines des mêmes genres de graminées et de légumineuses, maintenant qu’il ne sera parlé que d’espaces prises çà et la dans des familles fort différentes, ne présenteraient pas le même intérêt. Je les ai en conséquence supprimées. O. L. T.