Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 19

Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 528-568).
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CHAPITRE XIX. - des maladies et des attaques auxquelles les végétaux cultivés sont sujets, et des moyens d’y remédier..

Les chapitres précédens, qui développent d’une manière aussi complète et aussi claire qu’il nous a été possible de le faire, les principes théoriques et pratiques de la culture des plantes qui font l’objet principal de l’agriculture européenne, ne suffisent pas encore pour assurer au cultivateur la récompense de ses travaux : les végétaux cultivés sont sujets aux attaques de maladies organiques et d’agens extérieurs qui compromettent plus ou moins gravement leur développement ou leur existence ; un grand nombre de plantes parasites, souvent presque imperceptibles, des végétaux plus ou moins inutiles ou nuisibles, non seulement absorbent, au détriment des bonnes plantes, les sucs nourriciers du sol, mais encore développent chez celles-ci des affections maladives fort redoutables ; enfin, une foule d’animaux de toutes les classes vivent aux dépens des diverses parties du végétal, et menacent continuellement de détruire nos récoltes, depuis l’instant où le laboureur les a confiées à la terre et même encore après qu’il les a rentrées dans ses greniers. Il faut donc indiquer aux cultivateurs les moyens sanctionnés par l’expérience, que l’état actuel de nos connaissances nous offre, pour nous mettre à l’abri de ces divers agens destructeurs, ou du moins diminuer leurs ravages.

Sect. Ire. Des maladies organiques et agens externes. 
 ib.
§ Ier. Lésions accidentelles. 
 ib.
§ 2. Lésions internes. 
 530
§ 3. Lésions externes ou blessures. 
 531
Sect. II. Des plantes nuisibles en agriculture. 
 533
Art. Ier. Plantes nuisibles aux céréales. 
 534
§ Ier. Des parasites internes. 
 ib.
§ 2. Plantes nuisibles par leur voisinage. 
 540
Art. II. Plantes nuisibles aux herbages. 
 ib.
§ Ier. Des mauvaises herbes. 
 ib.
§ 3. Plantes parasites externes. 
 542
Art. III. Plantes nuisibles aux cultures économiques, industrielles et forestières. 
 543
Sect. III. Des animaux nuisibles en agriculture. 
 544
Art. Ier. Des mammifères nuisibles. 
 545
§ Ier. Carnassiers : Hérisson, Taupe, Fouine, Putois, Belette, Loutre, Loup, Renard. 
 ib.
§ 2. Rongeurs : Rat, Souris, Mulot. 
 549
Art. II. Des oiseaux nuisibles. 
 551
Art. III. Des mollusques nuisibles. 
 553
Art. IV. Des insectes nuisibles. 
 555
Partie Ire. Tableau des insectes nuisibles. 
 ib.
§ Ier. Insectes destructeurs des céréales. 
 ib.
§ 2. Insectes attaquant les cultures potagères et autres. 
 556
§ 3. Insectes dévastateurs des arbres fruitiers. 
 558
§ 4. Insectes nuisibles aux prairies. 
 559
§ 5. Insectes attaquant les provisions. 
 ib.
§ 6. Insectes nuisibles aux bestiaux. 
 561
§ 7. Insectes et crustacés attaquant les poissons. 
 563
Partie. II. Description des espèces les plus nuisibles, et des moyens qu’on peut opposer à leurs ravages. 
 ib.
§ Ier. Calandre du blé ou charançon. 
 ib.
§ 2. Alucite des grains. 
 564
§ 3. Cadelle ou troglossite mauritanique. 
 565
§ 4. Hannetons, vers-blancs ou mans. 
 566
§ 5. Sauterelles et criquets. 
 567
§ 6. Courtilières. 
 568


Section 1re . — Des maladies organiques et agens externes.

Les plantes, aussi bien que les animaux, sont sujettes à des désordres et à des infirmités qui peuvent altérer leur santé, les empêcher de remplir le but qu’on se proposait en les cultivant, et même amener leur fin prochaine. Mais, il faut l’avouer, si la médecine appliquée à l’espèce humaine est encore un art empirique, bien souvent trompé par la variété infinie des maladies, la pathologie végétale est encore tout-à-fait dans l’enfance, aussi bien pour la connaissance des affections maladives que pour celle des moyens curatifs. Les cultivateurs ont recueilli quelques faits isolés, incomplets, ont proposé quelques remèdes empiriques ; un petit nombre de physiologistes ont cherché à en former un corps de doctrine : M. Tessier dans son Traité des maladies des grains, Bosc, dans le Cours d’agriculture, M. De Candolle, dans sa Physiologie végétale, d’une part ; Duhamel, Plenck, Wildenow, Smith, Ré, M. de Mirbel, M. Turpin, de l’autre, se sont plus ou moins occupés de ce sujet difficile, mais il laisse encore beaucoup à désirer. Réduits à ne point en former un ensemble satisfaisant, nous ne pourrons ici donner que quelques généralités sur les lésions accidentelles, internes et externes des végétaux, et indiquer quelques pratiques suivies de succès dans plusieurs maladies spéciales.

§ 1er . — Des lésions accidentelles.

Les cultivateurs savent combien la succession favorable ou défavorable du temps concourt au succès ou aux mauvaises chances de l’agriculture. A vrai dire, chez la plante, d’une organisation infiniment plus simple que l’animal, attachée d’ailleurs au sol qui l’a vue naître, et privée ainsi des moyens de fuir les agens nuisibles, l’histoire des maladies n’est presque qu’une simple conséquence de l’influence des agens extérieurs, tels que le sol, l’eau, l’air, la chaleur, la lumière, l’électricité (Voir le chap. I de ce livre) ; et de plus, sous le point de vue pratique, c’est particulièrement sur cette influence qu’il est utile d’appeler l’attention du cultivateur.

Les effets de la température sont les plus importans, parce que les conséquences en sont plus graves. Chacun connaît les fâcheux accidens de plusieurs genres qui résultent des gelées, non seulement pour les végétaux exotiques ou imparfaitement acclimatés, mais encore pour les plantes indigènes ou cultivées de temps immémorial. Il existe quelques moyens généraux de diminuer les fâcheux effets de la gelée sur les plantes : 1° On peut, au moyen de paillassons, de toiles, de treillis, de simples canevas, de paillis grossiers en litières ou en fougères, abriter les végétaux du rayonnement nocturne, et par suite du dépôt de la rosée qui, lorsque la température de l’air n’est que de peu de degrés supérieure à 0°, se transforme en gelée blanche et cause quelquefois la perte des bourgeons et presque toujours la coulure des fleurs ; cette pratique est susceptible d’un grand nombre d’applications aussi bien dans l’agriculture que dans le jardinage.— On peut avoir recours, dans le même cas, à des arrosemens superficiels avec une eau à la température des sources ou des puits, et qu’il faut avoir soin de répandre avant le lever du soleil : cette eau, en fondant la gelée blanche, empêche la transition subite de l’état glacé à une température élevée, qui parait être cause de la désorganisation des tissus délicats qu’il s’agit de préserver.— On a aussi recommandé, dans le même but, de secouer la rosée, et, pour les blés, de promener une corde assez forte qui courbe les tiges et parait enlever les petits glaçons : deux ou un plus grand nombre de personnes s’alignent dans le champ, de distance en distance, et marchent en portant la corde assez bas pour que les tiges soient fortement abaissées : il est indispensable que cette opération ait lieu avant que les rayons du soleil viennent frapper le champ. — Un autre moyen dont on obtient aussi de bons résultats dans diverses circonstances, c’est de brûler devant les espaliers, les arbres, les champs, les coteaux qu’on suppose frappés de la gelée blanche, du fumier ou de la paille mouillée dont la fumée intercepte les premiers rayons du soleil, et, en réchauffant l’air, fond les petits glaçons.— 2° Pour les végétaux vivaces ou ligneux qui passent l’hiver en plein air, et redoutent les gelées de nos climats, on peut les en abriter, soit en les empaillant avant l’époque des froids, c’est-à-dire en enveloppant de paille ou de fougère les tiges et les branches ou bien les rameaux seulement, suivant la délicatesse de l’individu ; soit en couvrant de litière, de feuilles, etc., ou même simplement de terre, les basses tiges, les racines ou les tubercules qui restent dans le sol durant l’hiver et pourraient y être détruits par les gelées.— 3° Enfin, pour les arbres et arbustes qui n’ont pas été protégés contre les froids, ou pour lesquels la protection donnée n’a pas suffi, on peut au printemps, quand l’apparition des bourgeons indique bien les parties qui ont souffert, rabattre les rameaux gelés sur les parties saines. — Une dernière lésion, résultat de la fâcheuse influence des gelées, consiste dans la désarticulation des parties, d’où résulte la chute des feuilles, des fruits, et même des jeunes rameaux chez plusieurs végétaux, comme la vigne. On a donné à cette affection le nom de champlure.

L’action de la chaleur occasione aussi des affections dangereuses et communes : on en a désigné sous le nom de brûlure ou brouissure, plusieurs de caractères très-différens. On nomme plus particulièrement brûlure, la lésion qu’éprouve un arbre exposé contre un mur à toute l’ardeur du soleil, ou transporté d’un lieu abrité, tel qu’un bois, une pépinière épaisse, etc., à une vive lumière, et dont l’écorce se fend, s’écaille, se sépare du tronc, se dessèche et noircit ; les branches frappées de la sorte ne se nourrissent plus qu’imparfaitement et quelquefois périssent. Les gelées, en soulevant l’écorce, produisent le même effet. Pour garantir les arbres de ces inconvéniens, on enveloppe souvent les troncs et les grosses branches de paille ou de toiles grossières ; mais il vaut beaucoup mieux les abriter avec des planches qui préservent des rayons du soleil sans entretenir l’humidité ; l’écorce se rétablit alors plus ou moins promptement. — On appelle encore brûlure le dépérissement des racines, causé par la sécheresse extrême du sol ; ce mal atteint les céréales principalement dans les terrains sablonneux ou graveleux, qui ont peu de profondeur, et aux expositions chaudes ; on le voit quelquefois s’étendre presque soudainement, se développer sur de grandes étendues, et ruiner les récoltes. Lorsque cela arrive au commencement de l’été, la récolte est perdue entièrement, l’épi se desséchant complètement : quand c’est plus tard, le grain est ce qu’on appelle retrait ; dans tous les cas, la paille perd beaucoup de sa qualité. On reconnait le froment brûlé a la blancheur de sa tige et de son épi.

On désigne plutôt sous le nom de brouissure, l’espèce de brûlure qu’éprouvent les jeunes bourgeons des arbres ou des plantes, par l’effet d’un soleil ardent, d’un vent sec ou des hâles ; les bourgeons encore tendres deviennent subitement noirs ; les extrémités des branches se dessèchent et périssent. On peut attribuer cette affection à l’évaporation qui se fait par les rameaux a l’état de bourgeons et non consolidés ; évaporation qui est très-considérable, et qui n’étant plus remplacée par la même quantité de sève, permet à l’ardeur du soleil de les dessécher, et par conséquent de les frapper de mort, comme l’écorce dans le cas dont nous venons de parler. Les arrosemens, tout ce qui peut activer la végétation, tels sont les remèdes les plus convenables a administrer. — Enfin, on désigne encore sous le nom de brûlure, l’effet produit par l’eau des rosées et par les gelées blanches, sur les feuilles et les fleurs, et dont nous avons parlé tout-à-l’heure.

Chez les céréales et beaucoup d’autres végétaux cultivés, si, lorsque les jeunes tiges sont tendres et vertes, il survient tout-à-coup de grandes chaleurs et de la sécheresse, au lieu de grossir, elles se dessèchent, les graines mûrissent trop promptement, et par conséquent n’acquièrent ni leur grosseur, ni leurs qualités.

On ne sait que trop bien que, si pendant la floraison, il tombe des pluies abondantes, continuelles, surtout accompagnées de vent ou d’une température froide, les poussières des étamines sont délayées, dissoutes, en sorte que les fleurs avortent et coulent. Cet accident fait trop souvent disparaître pour la vigne l’espoir de la plus belle récolte ; mais les céréales et beaucoup d’autres plantes n’en sont pas à l’abri, et, malheureusement, on ne peut offrir aucun moyen au cultivateur pour remédier à cette espèce de coulure.

On connait également bien d’autres effets des mêmes agens extérieurs : une pluie froide, persistante, qui pénètre jusque dans la texture du grain en lait, lui donne un grand volume, mais il n’acquiert ni poids, ni qualité, à cause de l’abondance de son écorce et de la petite quantité de farine qui n’est pas de garde. — Si cette pluie se prolonge jusqu’au moment de la moisson, le grain, au lieu de se perfectionner et d’achever sa maturité, germe et se gâte au milieu des champs.

Les vents impétueux, accompagnés de fortes pluies, les orages, occasionent aussi un tort considérable en faisant verser les récoltes : les tiges, dans ce cas, plus ou moins ployées, subissent une espèce d’étranglement ; la sève, interrompue dans son cours, ne monte plus jusqu’aux épis et aux graines ; les mauvaises herbes prennent le dessus et étouffent les bonnes plantes ; celles-ci, entassées et mouillées, s’échauffent et finissent souvent par fermenter, noircir et pourrir. Il n’est aucun moyen direct d’apporter remède au versement des récoltes ; mais on peut le prévenir, d’abord en multipliant les haies et les plantations d’arbres, ou en plaçant de distance en distance, dans le champ qu’on suppose en danger de verser, des perches transversales attachées à des piquets ; en second lieu, comme ce sont ordinairement les récoltes trop fortes qui courent le danger de cet accident, on y obvie en semant deux années de suite des récoltes épuisantes, en ne mettant pas de fumier, en semant clair, ce qui fait obtenir des tiges moins nombreuses mais plus résistantes, en coupant les feuilles au printemps, enfin, pour les céréales, en donnant la préférence aux variétés à petits épis. Lorsque ces précautions n’ont point été prises, et que le versement a lieu, si c’est peu avant la maturité complète, il est ordinairement avantageux de moissonner sans retard ; mais, si cela arrive environ un mois avant cette époque, comme les herbes s’élèveraient au-dessus des tiges, et que la perte pourrait être complète par suite de la pourriture, il n’y a souvent pas d’autre moyen de salut que de couper immédiatement pour en faire un fourrage abondant et d’excellente qualité.

La grêle cause des ravages semblables et souvent bien plus considérables, puisqu’elle hache les récoltes, meurtrit les tiges et les rameaux, et répand dans le champ un froid glacial qui suspend la végétation pendant un temps plus ou moins long. Pour les plantes annuelles ainsi maltraitées par la grêle, il n’y a souvent rien de mieux à faire que de les retourner et de les enterrer en semant le champ en vesce d’hiver, en navette, en haricots, en navets, etc. — Les moyens proposés pour prévenir les ravages de la grêle sont illusoires, à l’exception des Assurances dont nous avons parlé précédemment (page 303 de ce volume).

Les grains qui ont subi les altérations causées par les accidens dont nous venons de parler, sont menus, chétifs, ridés, et portent des signes qui les font désigner dans le commerce par les noms de blés échaudés, blés maigres, blés coulés, blés stériles, blés versés, etc.

[19:1:2]
§ ii. — Des lésions internes.

Les affections produites par le dérangement des fonctions de la vie végétale sont les moins connues : les unes paraissent avoir pour cause la faiblesse, d’autres l’excès de la végétation.

L’abondance des sucs séveux cause parfois des dérangemens plus ou moins graves, principalement chez les végétaux ligneux. Pour toutes les plantes, nous voyons généralement la stérilité, c’est-à-dire l’avortement des fleurs et des fruits, être la suite d’une trop grande vigueur. L’abondance excessive des engrais ou leur mauvaise qualité altèrent la marche des sucs végétatifs, et par suite les fonctions organiques jusque dans leur essence : les organes deviennent difformes, changent de couleur, exhalent une odeur insolite qui nuit à la qualité des produits ; les plantes poussent trop en feuilles et pas assez en fruits ; enfin, dans certains cas, il se développe de véritables maladies. C’est ainsi que les mûriers blancs, placés près des fumiers ou dans des sols trop engraissés, sont sujets à la gangrène humide, sorte d’ulcères d’où découle une sanie acre et noirâtre qui accélère souvent leur mort. — Dans les années très-pluvieuses, beaucoup de végétaux éprouvent une sorte de pléthore ou d’hydropisie : l’eau ne s’élabore plus dans les vaisseaux ; les huiles, les résines ne peuvent se former ; les fruits sont sans saveur ; les graines ne mûrissent pas, et sont sans fécule ; les feuilles tombent ; les racines se couvrent de moisissiures et pourrissent. — Lorsque cette humidité coïncide avec une température élevée, elle détermine les plantes à pousser trop en feuilles ou en pousses herbacées, état considéré comme heureux lorsqu’il s’agit de la culture des prairies, et comme une maladie lorsque ce sont les fleurs ou les fruits qui étaient l’objet principal des soins du cultivateur. — Ou conçoit que, pour ces affections, écarter leur cause, lorsque cela est au pouvoir de l’homme, voilà le seul moyen d’y porter remède.

Dans les arbres, les flux des sucs séveux sont parfois considérables et donnent naissance à des affections très-dangereuses. Un mauvais élagage, lorsqu’on coupe de grosses branches latérales, notamment aux ormes, aux marronniers, et en général aux arbres des routes et promenades, cause, au printemps, un écoulement de sève ascendante ; elle coule sur l’écorce, y dépose des matières terreuses ordinairement blanchâtres, qui obstruent l’action superficielle de l’écorce, et tendent aussi à désorganiser celle-ci en s’infiltrant entre elle et le bois ; elle détermine, par suite, des ulcères plus ou moins graves dans les parties inférieures. — L’écoulement appelé pleurs de la vigne est du même genre, mais ne parait pas altérer gravement la santé de ce végétal. — Ces flux paraissent avoir pour cause la succion trop forte des racines, alors que les feuilles ne sont pas assez développées pour en absorber ou exhaler les produits. — On observe aussi chez plusieurs végétaux des extravasations de sucs propres : telle est la gomme des cerisiers, pruniers, etc., rarement nuisible à leur santé, si ce n’est en causant des obstructions, lorsqu’elle s’insinue dans les vaisseaux de la plante. Cette affection est ordinairement le résultat d’un sol, d’une exposition, ou d’un climat mal appropriés aux végétaux : le meilleur moyen d’y remédier serait de choisir une meilleure situation ; on peut aussi couper la partie attaquée, et y apposer un emplâtre. — Quand la sève monte trop abondamment, il arrive souvent qu’il se forme à l’intérieur, dans les parties solides, des fissures où la sève s’épanche et altère profondément les tissus en s’y corrompant.

Toutes ces affections passent souvent à l’état gangreneux et dégénèrent en ulcères, terme analogue à ce qu’il exprime dans le règne animal, et qui désigne des plaies compliquées d’accidens particuliers dus à la nature des sucs spéciaux qu’elles transsudent. — Les uns laissent suinter des sucs acres et corrosifs qui désorganisent les bords de la plaie, et, en empêchant l’écorce de s’étendre, maintiennent cette plaie ou même l’augmentent : c’est ce que nous voyons chez les ormes, les mûriers, que ces ulcères peuvent faire périr. — M. de Candolle fait observer que ces accidens semblent plus graves chez les végétaux qui vivent près des fumiers et dans les terrains gras. — D’autres ulcères sont occasionés par les contusions qu’éprouvent les végétaux, lesquelles, en rompant la continuité du tissu interne de l’écorce, y déterminent des dépôts de sucs acres ; ceux-ci, lorsqu’ils ne peuvent se frayer un passage à l’extérieur, se glissent, par leur poids et la corrosion qu’ils exercent, entre l’écorce et le bois, et désorganisent ainsi les parties les plus essentielles à la vie. Il résulte de là des gouttières ulcérées très-dangereuses.

Le seul remède connu et appliqué uniformément à tous les ulcères, c’est de couper toute la partie ulcérée ou pourrie jusqu’au vif, et de transformer ainsi la plaie compliquée en plaie simple qu’on traite comme nous le dirons tout-à-l’heure.

Les affections produites par débilité dans la végétation peuvent provenir de la faiblesse des organes ou du défaut de sucs nutritifs. Un des plus remarquables est l’étiolement total ou partiel, auquel on donne aussi les noms de chlorose et pâleur, produit par l’absence ou l’action trop faible de la lumière, et qui a pour effet l’alongement, la décoloration et la tendreté des tiges et des feuilles, ce dont le cultivateur, le jardinier surtout, ont su tirer parti dans beaucoup de circonstances.

Une affection du même genre est l’ulcère ou jaunisse, qui arrive naturellement au milieu de l’automne, mais accidentellement par suite de la suspension de l’activité organique, annonçant, dans ce cas, des changemens analogues à ceux qui s’opèrent à l’époque de la chute des feuilles.

Le dépérissement des feuilles et des tiges, que Plenck appelle phthisie végétale, et qu’on désigne aussi sous le nom de consomption, est le résultat d’un grand nombre de causes très-diverses : comme la privation de sucs nutritifs, la végétation dans un sol aride ou contraire à la plante, ou bien sous un climat défavorable, une transplantation mal faite, une blessure profonde, des érosions chancreuses à la racine, la défoliation pendant l’été, un excès de floraison et de fructification, l’invasion de plantes ou d’insectes parasites. — La nature du sol parait étre une des principales causes des affections de ce genre : Un sol maigre ne porte que des plantes chétives ; elle y éprouvent avant l’âge les infirmités de la vieillesse ; l’écorce des arbres est sillonnée d’érosions cancéreuses ; leur tissu abonde en matières terreuses et salines ; leurs branches se dessèchent ; enfin leur tronc se dégarnit, ou, comme on le dit, se couronne.

Une bonne appropriation des végétaux que l’on cultive aux diverses natures de terre qu’on a à exploiter, l’amélioration du sol par des amendemens et des engrais convenablement choisis, tels sont les moyens d’éviter les inconvéniens qui résultent de ces affections presque aussi variées que les genres et les espèces du règne végétal, et dont le nombre se multiplie à mesure que les observations deviennent plus exactes. — Les arbres surtout sont sujets à une foule d’affections de ce genre. Ainsi, les propriétaires de Peupliers, dans beaucoup de contrées de la France, se plaignirent récemment du dépérissement d’une multitude de ces arbres, chez lesquels on n’observait à l’extérieur que quelques taches noirâtres produites par un écoulement de sève. Ainsi encore, en Angleterre et en Écosse, on a depuis peu remarqué deux maladies très-fâcheuses qui se sont emparées des Mélèzes ; la 1re est une plaie qui se forme à l’écorce, à deux pieds environ au-dessus du sol, et de laquelle exsude une grande quantité de résine : ces plaies se forment d’ordinaire des deux côtés de l’arbre alternativement jusqu’à ce qu’elles atteignent le sommet ; alors l’arbre meurt du haut en bas ; quelquefois les plaies sont opposées, et dans ce cas le vent brise l’arbre, ou bien elles entourent une branche qui tombe au bout de peu de temps. L’autre maladie est la destruction du cœur du bois, que M. Stephens attribue à la mort du bois parfait, survenant lorsque les sucs élaborés dans l’écorce et les feuilles sont empêchés, d’une façon quelconque, de passer en quantité suffisante par les rayons médullaires, de l’aubier au bois. M. de Candolle pense que l’humidité habituelle de l’atmosphère et le défaut d’une lumière assez intense sont les causes de ces maladies, et qu’on pourrait les prévenir en plantant les mélèzes sur les pentes, surtout à l’exposition du nord, et en les espaçant davantage.

Nous pourrions multiplier beaucoup, mais sans grande utilité, les citations d’exemples analogues pour d’autres végétaux.

[19:1:3]
§ iii. — Des lésions externes ou blessures.

Les affections qui sont le résultat de lésions externes ou de blessures peuvent provenir de causes très-diverses : le mouvement de la sève interrompu, gêné ou trop abondant, produit, comme nous venons de le voir, des ruptures et des écoulemens qui deviennent quelquefois sanieux, d’où naissent des érosions qui minent peu-à-peu la substance organique et dégénèrent souvent en ulcères plus ou moins dangereux. — Le dépôt de matières qui se concrètent, l’introduction, sous l’épiderme ou à la surface, de plantes ou d’animaux parasites, interceptent la transpiration ou la détournent à leur profit. — Enfin, les plaies, qui vont nous occuper, résultent de blessures, et sont souvent compliquées de contusions, de déchirures, de fractures, qui les aggravent. Ces lésions, très-souvent mortelles pour les plantes herbacées, sont en général peu dangereuses pour les végétaux ligneux, qu’on guérit ordinairement sans difficulté en rendant la plaie nette, ou y appliquant un emplâtre. Ce qui va suivre ne sera donc applicable qu’aux arbres et arbustes.

Les fractures occasionées par les vents, par la foudre, par la chute d’arbres voisins, les déchirures provenant de la dent des animaux, sont les plaies les plus dangereuses ; il n’y a souvent pas de meilleur remède que de rabattre au tronc si ce sont les branches qui ont été brisées, et rez-terre si le tronc lui-même a souffert.

Les fentes qui se produisent naturellement à l’écorce en raison de la croissance, ou qu’on y fait quelquefois pour favoriser l’accroissement, sont des accidens rarement suivis de lésions. Il n’en est pas de même des fentes longitudinales considérables qu’éprouvent les arbres par suite des grands froids, et qui altèrent profondément le bois lorsqu’elles ne font pas périr les individus. On y a quelquefois remédié, pour des végétaux précieux, en rapprochant les parties désunies au moyen de liens très-forts, tels que des cercles de fer, etc. Ces fentes sont quelquefois rayonnantes, partant du centre et suivant à peu près la direction des rayons médullaires ; on leur donne alors les noms de cadran ou cadranure. La maladie appelée roulure consiste en ce que la partie celluleuse de chaque couche ligneuse se désorganise d’une manière analogue aux gelivures, d’où résulte dans ces couches des intervalles vides ou peu remplis de tissu cellulaire. On nomme gelivures quand elles sont anciennes, faux-aubier quand elles sont récentes, les couches d’aubier désorganisées en partie par la gelée, et qui, revêtues d’une nouvelle zone ligneuse, peuvent se conserver quelquefois dans les vieux troncs ; si l’arbre a éprouvé durant sa vie deux ou trois fois le même accident, on trouve alternativement dans sa coupe des zones de bois sain et de bois gelé : c’est ce qu’on appelle gelivures entrelardées. On peut facilement reconnaître la date des gelivnres en comptant le nombre des couches. « C’est ainsi, dit M. de Candolle, qu’on trouve souvent dans les vieux troncs des traces de l’hiver de 1709. » Le plus ordinairement on ne s’aperçoit de ces accidens que lorsqu’il n’est plus temps d’y porter remède.

Les plaies transversales produites en cassant ou coupant une branche, ne sont pas toujours sans danger, la nature ne présentant aucun moyen direct pour les recouvrir ; telle est l’origine des cavités ou gouttières qui se creusent dans le bois et réduisent souvent à l’écorce les gros et vieux arbres qu’on dirige en têtards, tels que les saules, les châtaigniers, les peupliers, etc. ; l’olivier taillé est fréquemment soumis au même accident.

Les moyens de guérir ou diminuer les inconvéniens des plaies, aussi bien dans les cas d’élagages que dans la coupe des taillis et l’abattage des arbres, consistent à ne pas laisser ces plaies baveuses, et à leur donner une coupe oblique qui procure l’écoulement de l’eau, et fait que s’il se développe un bourgeon du côté supérieur, l’écorce, se trouvant alors alimentée, pourra former un bourrelet latéral capable de recouvrir la plaie. S’il s’agit d’une branche latérale, on doit la couper près du tronc et de manière à présenter une coupe oblongue que l’accroissement de l’écorce recouvrira comme une plaie verticale. Les forestiers savent cependant que pour quelques arbres, comme les conifères, les rameaux latéraux doivent être coupés à un pouce du tronc, parce que si l’on coupe à la naissance des branches, il se forme un trou qui pénètre jusque dans le bois, tandis que ces tronçons, en se desséchant, ferment la plaie.

Les plaies qui mettent à nu le corps ligneux méritent toujours de fixer l’attention, parce qu’elles peuvent devenir graves ; l’air agit sur le carbone du bois et diminue sa solidité ; l’eau dissout les parties attaquables, les amollit et les désorganise. Le bois résiste mieux que l’aubier à cette désorganisation, et les bois durs mieux que les bois tendres. Les Conifères, à cause de la résine que contient leur bois, résistent mieux aussi à l’action de l’eau. On évite autant que possible ces inconvéniens, lorsque la surface de la plaie est lisse et ne présente aucune anfractuosité, parce que l’eau pouvant s’écouler, la destruction est plus lente ; les bois coupés à tranche nette souffrent donc moins que ceux rompus ou à tranche baveuse, qui permettent l’infiltration des eaux. Il y a moins d’inconvéniens lorsque ce sont des surfaces verticales qui sont dénudées que quand ce sont des surfaces horizontales, parce que l’eau s’y arrête moins ; aussi les coupes transversales produisent-elles des accidens plus graves que les plaies longitudinales.

Les plaies qui n’attaquent que les parties extérieures de l’écorce sont peu importantes ; ces blessures ne deviennent graves que quand elles ouvrent un passage aux sucs laiteux, gommeux, résineux, qui abondent dans certaines écorces, ou bien lorsqu’elles mettent à nu un tissu très-parenchymateux et susceptible de pourriture.

Toutes ces plaies se guérissent souvent naturellement par suite de la direction du cambium qui tend à former un bourrelet croissant aux deux bords ; il s’ensuit que la longueur de la plaie est de peu d’importance comparée à sa largueur : étroite, elle est promptement recouverte et le corps ligneux est peu altéré ; large ou circulaire, il lui faut des mois, des années pour se recouvrir ; quelquefois elle ne se couvre jamais, et il en résulte la mort du végétal.

Empêcher l’action de l’atmosphère sur la plaie, c’est le seul moyen de favoriser la réunion de l’écorce ; voilà pourquoi les cultivateurs recouvrent ces plaies de diverses manières. Une simple planche clouée ou fixée de toute autre manière est un moyen bien grossier ; le meilleur abri de ce genre, c’est l’onguent de Saint-Fiacre, que Forsith composait comme il suit : bouse de vache, une livre ; plâtre, demi-livre ; cendre de bois, demi-livre ; sable siliceux, une once ; on pulvérise d’abord ces trois dernières substances, puis on les mêle avec la première. La manière d’employer cet onguent consiste à l’étendre sur la plaie à l’épaisseur d’un huitième de pouce ; on saupoudre de sable, on presse ce sable, et on répète l’opération jusqu’à ce que la surface soit unie comme une pierre ; cette pâte a l’avantage de ne pas se fendiller et elle remplit bien son but, abriter de l’air les surfaces dépouillées d’écorce. Dans la confection de ces emplâtres, qui varient à l’infini, et que l’on compose souvent tout simplement de bouse de vache et de terre franche, auxquelles il est bon d’ajouter un peu de menue mousse, on peut encore employer avec avantage les matières cireuses ou résineuses, mais il faut rejeter avec soin les substances huileuses et celles qui sont un poison pour les plantes.

Ainsi, tout ce qui concerne la guérison des plaies des arbres se réduit à protéger le plus possible le corps ligneux contre l’action de l’air et de l’eau, en favorisant le développement de l’écorce, ou y suppléant par des abris artificiels ; et on peut presque dire que c’est à l’emploi diversement modifié de ces emplâtres préservatifs, que se réduisent presque tous les pansemens chirurgicaux des végétaux.

L’effeuillaison ou la défoliation qui prive le végétal des organes les plus importans de la nutrition, est un accident sans gravité quand il n’est pas total ou presque total ; la nature répare bientôt cet accident par le développement de bourgeons axillaires qui donnent naissance à de nouvelles feuilles ; c’est ce qu’on voit sur les arbres défeuillés par la grêle, chez les mûriers effeuillés pour la nourriture des vers-à-soie, et dans quelques autres circonstances. Lorsque l’effeuillaison a lieu par la volonté de l’homme, comme dans le mûrier, on a soin de laisser quelques feuilles à l’extrémité des rameaux, afin que ces feuilles attirant la sève, celle-ci dans sa route nourrisse les branches et produise un développement plus prompt des bourgeons. Les effets de la grêle ou de la dent des bestiaux sont d’ailleurs plus graves, parce que, outre que ces précautions ne sont pas prises, il y a souvent contusion et déchirure ; aussi est-on quelquefois obligé de rabattre les rameaux les plus maltraités.

La compression des organes et particulièrement de l’écorce, comme il arrive lorsqu’on serre un arbre avec une corde, ou que ce lien n’est pas relâché en proportion de l’accroissement de la tige, produit des effets analogues à la section annulaire de l’écorce ; cette ligature empêche, en tout ou en partie, la descente des sucs élaborés dans les feuilles, et donne lieu à la formation d’un bourrelet supérieur et inférieur.

La flagellation, c’est-à-dire l’action de frapper les branches avec des perches ou des gaules pour s’éviter la peine de cueillir certains fruits, tels que les pommes, les noix, les olives, etc. cette pratique en usage dans beaucoup de contrées, inflige souvent aux arbres des lésions compliquées des effets de l’effeuillaison, de la contusion et de la plaie. En agissant de cette manière, on fait d’abord avec les fruits tomber les feuilles, ce qui n’est pas sans inconvénient pour les végétaux à feuilles persistantes, comme l’olivier ; en second lieu, on rompt les petits rameaux qui portent les bourgeons fruitiers pour les années suivantes ; on entame souvent l’écorce des grosses branches, de façon à déterminer une multitude de petites plaies qui se transforment quelquefois en ulcères ; en tous cas, les coups dont on frappe l’écorce la meurtrissent et produisent plusieurs des fâcheux effets de la contusion ; enfin, en précipitant lourdement les fruits à terre, on les meurtrit aussi, ce qui hâte considérablement leur pourriture. Cette pratique est donc condamnable sous tous les rapports, et doit être proscrite en bonne agriculture.

La décortication ou l’enlèvement de l’écorce, est une autre pratique, accidentelle ou faite avec intention, qui peut gravement compromettre la santé et même la vie des arbres ; le premier cas rentre dans les plaies dont nous avons parlé précédemment. Lorsqu’on exécute volontairement la décortication totale, elle a pour but de donner plus de dureté au bois, ou de se procurer l’écorce pour des usages particuliers ; il s’ensuit la mort du végétal ; mais cela était entré dans les prévisions du cultivateur. — On la fait quelquefois partielle, comme dans l’incision annulaire afin de diminuer la force de végétation de l’arbre, le porter à fruit, ou empêcher la coulure des fleurs. Des entailles ou des trous de tarière faits dans l’écorce, et même jusque dans le corps ligneux, ont le même but en procurant un écoulement de sève. Il en est de même de l’arcure ou courbure des branches, de la torsion ou du pincement des jeunes rameaux, qui sont recommandés dans la culture de plusieurs végétaux. — Dans la greffe, la taille, l’ébourgeonnement et dans beaucoup d’autres pratiques agricoles, on cause encore des plaies aux végétaux : loin de chercher à y remédier, on se propose, en les exécutant, un but utile ; nous n’avons donc point à nous en occuper ici. C. B. de M.

Section ii. — Des plantes nuisibles en agriculture.

Un auteur allemand, Teindi, a fait un Traité sur les mauvaises herbes seulement ; on pourrait en composer un non moins étendu sur les plantes parasites et microscopiques nuisibles aux végétaux cultivés. Contraints de nous réduire ici aux données pratiques les plus positives, nous ne donnerons pas la description botanique de tous les végétaux dont le cultivateur doit repousser la multiplication ou détruire la race, nous n’en ferons pas même une énumération complète ; ce travail aurait peu d’utilité, et, avec les moyens spéciaux qui seront indiqués dans les articles suivans, il nous suffira de dire, d’une manière générale, que l’agriculteur soigneux de ses récoltes et qui désire l’amélioration progressive de son fonds, doit détruire exactement toutes les plantes adventices sauvages ou cultivées, toutes les mauvaises herbes, tous les végétaux parasites qui viennent habituellement ou accidentellement salir ou infester ses cultures. Avant de parler de ceux qui nuisent plus particulièrement soit aux céréales, soit aux prairies, soit aux cultures industrielles ou forestières, nous renverrons à la section du Nettoyage du sol (Chap. VIII de ce livre, p. 231 et suiv.), où il est question de la destruction des mauvaises herbes dans les champs cultivés en général, et des moyens d’y parvenir selon les espèces à détruire et l’état de la culture. C. B. de M.

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Article ier. — Plantes nuisibles aux céréales.

Parmi les plantes que les cultivateurs redoutent comme les fléaux des céréales, les unes les attaquent directement et désorganisent leur tissu, ce sont les parasites intestines ou biogènes de M. de Candolle ; les autres ne leur préjudicient que par leur voisinage.

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§ ier. — Des Parasites internes.

Nous rangeons dans cette classe la rouille, le charbon, la carie et même l’ergot, les trois premières à l’exemple de la plupart des botanistes, la dernière sur la foi de M. de Candolle. Les cultivateurs, il est vrai, et même plusieurs naturalistes regardent ces affections comme tout autre chose que des productions cryptogamiques ; ils y voient de véritables maladies, des altérations propres du tissu végétal, sur la nature et les causes desquelles ils ne sont d’ailleurs pas d’accord ; car ils les ont prises tour-à-tour pour des ulcères, pour des tumeurs analogues aux gales, c’est-à-dire recelant des œufs d’insectes, pour des pustules logées dans la cavité des stomates ou pores exhalans, pour un développement anormal de la globuline ou molécule élémentaire du tissu, etc., et ils les ont attribuées successivement aux attaques des insectes, à la moisissure du grain de semence en terre, à l’accumulation surabondante et à la mauvaise élaboration des sucs nourriciers par suite du trouble des fonctions d’exhalation et de respiration, au déchirement des utricules et à l’extravasion de la sève, à une sorte de fermentation ou de germination, etc. Au milieu des nuages qui voilent encore à nos yeux les causes des maladies des végétaux, nous avons préféré l’hypothèse qui lève le plus facilement les difficultés du sujet, et qui présente en sa faveur le plus d’observations positives. Elle s’appuie en effet sur les recherches anatomiques et microscopiques de Fontana, de Banks, de Bénédict Prévost et de M. Ad. Brongniart ; sur les analyses chimiques de Davy et de M. Dulong d’Astafort, qui ont trouvé dans la carie et le charbon des produits analogues à ceux que donnent les champignons ; enfin, sur l’autorité de Bulliard, de MM. de Candolle, Persoon et Fries, qui, s’étant spécialement occupés des végétaux cryptogames, sont les plus capables de décider si les corps qu’on découvre dans les tissus altérés sont des champignons ou n’en sont pas.

Toutes les parasites biogènes se développent sous l’épiderme des végétaux, le soulèvent, le rompent et, s’épanouissant au dehors, répandent une poussière composée de corps regardés comme leurs graines ; elles épuisent les plantes sur lesquelles elles vivent en se nourrissant de leurs sucs ; souvent même elles les déforment, les tuent ou les empêchent de porter des graines. MM. Knight et de Candolle ont observé qu’elles se développent surtout lorsqu’à un mois de juin très-sec succède un mois de juillet chaud et pluvieux.

Comme causes prochaines des maladies des plantes en général, et par conséquent des céréales aussi, M. Unger reconnaît une prédisposition spécifique dépendant de l’organisation de chaque espèce, la plénitude de la sève, la jeunesse de la plante, la mollesse des parties, un terrain trop fumé ou trop gras, et en général une vitalité énergique, mais mal équilibrée dans ses fonctions ; puis, comme causes occasionelles, une atmosphère habituellement chargée d’eau, comme elle l’est, par exemple, dans les bois et les prairies humides, en Angleterre, en Hollande, dans les printemps et les automnes pluvieux ; l’absence de la lumière, des changemens subits dans l’atmosphère, une longue sécheresse, des semailles trop épaisses, le séjour de l’eau.

I. De la Rouille. — On comprend et confond ordinairement sous le nom de Rouille (Ruggine, Nebbia, ital. ; Rost, Grœserrost, allem. ; Blight, Blast, Red rust., angl.) plusieurs affections des feuilles et des tiges des graminées. M. de Candolle en distingue trois formes dont il fait autant d’espèces : 1o  La véritable rouille (Uredo rubigo, DC). Elle attaque la plupart des céréales, mais surtout l’orge et le froment ; elle se développe presque toujours à la surface supérieure des feuilles sous la forme de pustules ovales, très-nombreuses et très-petites, puisque leur longueur n’est que de 1/6 à 1/2 ligne, ayant un aspect blanchâtre qui résulte du soulèvement de l’épiderme, et répandant, quand elles l’ont rompu, une poussière fine, d’abord jaune, puis rousse. Cette poussière se détache facilement et elle est quelquefois si abondante qu’elle jaunit les habits des personnes qui traversent un champ de blé attaqué de rouille. Vue au microscope, elle est toute composée de globules ou capsules très-petites. Le blé abondamment chargé de rouille ne donne que des grains peu nombreux et souvent rabougris.

2o  L’Urédo linéaire (Ur. linearis, Pers.). Il croît très-rarement à la surface supérieure des feuilles ; il s’établit presque toujours sur leur gaine, sur leur face externe ou sur la tige. Il est formé de pustules alongées, étroites, d’un jaune assez vif, et d’une consistance plus compacte que celle de la vraie rouille. Au microscope, chaque pustule se montre composée de capsules oblongues, à peu près cylindriques, beaucoup plus grosses et plus longues que celles de la rouille. L’épeautre et le gros blé (Triticum turgidum) y sont, d’après M. Vaucher, moins sujets que les autres céréales.

3o  La Puccinie des graminées (Puccinia graminum) croît sur toutes les parties de ces plantes, même quelquefois sur les glumes et les barbes des épis. Elle consiste (fig. 704) en pustules ovales ou linéaires qui, au moment où elles percent l’épiderme, sont déjà presque noires, et le deviennent complètement en peu de temps. À l’aide du microscope, on voit que ces pustules sont composées de petites plantes qui ressemblent à des massues B, C, c’est-à-dire qui, sur un pédicelle blancet Fig. 704. filiforme, portent une capsule noire, oblongue, divisée par une cloison et un petit étranglement en deux loges, dont l’inférieure représente un cône renversé, tandis que la supérieure est un peu arrondie et plus grande.

Non seulement on a confondu la Puccinie des graminées et l’Urédo linéaire avec la Rouille, mais encore, comme elles naissent souvent mêlées entre elles, notamment les deux premières, on a cru qu’elles étaient toutes les trois des états divers d’un même champignon, et que la diversité de leurs apparences était une conséquence de leur développement dans des circonstances différentes. Mais M. de Candolle a trouvé des plantes de blé qui portaient l’un ou l’autre de ces champignons ; il a vu que ceux-ci conservaient leur forme, depuis leur première apparition jusqu’à leur dispersion, et que, quand ils étaient mêlés, chacun végétait de son côté. On a pris aussi la Puccinie des graminées pour un état particulier du Charbon, et on les a désignés tous les deux par les noms de noir et de mouchet. L’Urédo linéaire et la Puccinie, quoique plus gros que la Rouille proprement dite, sont moins épuisans, parce que la quantité en est toujours moindre.

Analysée par la voie humide, la rouille a donné à M. Guiart fils, de la chlorophylle, une matière cireuse et une substance astringente qui recelait probablement plusieurs principes, mais qui n’a pu être décomposée, vu la faible quantité qui était soumise à l’opération.

C’est dans les champs ombragés et humides, à la suite des pluies ou des brouillards suivis d’un soleil ardent, que la rouille se développe avec le plus d’intensité. Losana cependant assure qu’elle est fréquente dans les années sèches et chaudes, mais il reconnait qu’elle l’est également dans les saisons remarquables par les alternatives de pluie et de chaleur. En général, les terrains gras long-temps pâturés, ou défrichés depuis peu, sont favorables à sa production. On regarde comme une chose certaine en Angleterre que les fromens semés dans le voisinage de la mer, ou fumés avec des varecs dans lesquels on a répandu du sel marin, sont fort peu sujets à la rouille ; on dit aussi dans le même pays, et en Amérique, qu’elle attaque plus fréquemment et plus abondamment les céréales semées clair que les céréales semées épais. Elle sévit d’autant plus sur les plantes, qu’elles sont plus vigoureuses. Si celles qu’elle atteint sont jeunes, le tort qu’elle leur cause n’est pas considérable, et, suivant Bayle Barelle, une pluie qui lave les feuilles suffit pour les remettre en bon état ; mais il devient plus grand lorsqu’elle apparaît après la formation de l’épi et avec abondance ; dans ce cas, les grains restent légers et rabougris.

La paille rouillée a peu de valeur ; elle est une mauvaise nourriture pour les bestiaux, et le fumier dans la composition duquel elle entre est de mauvaise qualité.

Le cultivateur n’a en sa puissance aucun moyen de guérir de la rouille les blés qui en sont infestés ; il est réduit à laisser faire la nature qui les en débarrasse quelquefois, soit par de copieuses ondées, soit de quelque autre manière que nous ignorons ; ou à les faucher, si l’épi n’est pas encore formé, comme on le fait dans la Toscane et à Bologne. En prenant ce dernier parti, il a assez de chances de voir se développer une nouvelle génération de feuilles exemptes de rouille, et, dans tous les cas, il a moins à redouter le mal pour les récoltes suivantes, puisque les sporules du parasite n’ont pu se répandre encore.

Quant aux moyens préservatifs les seuls qu’indique M. de Candolle, outre les soins généraux d’une bonne culture, c’est de ne pas semer les céréales dans les lieux bas et humides, et de ne pas faire succéder dans les assolemens une céréale à une autre qui aurait déjà été attaquée de la même maladie. On pourra se conduire aussi d’après la connaissance des autres circonstances indiquées comme favorables ou contraires à la naissance de la rouille, en se tenant toutefois pour averti que leur influence n’est pas parfaitement avérée. On fera bien de ne pas couper les blés rouillés les premiers, afin que, s’il vient à pleuvoir pendant la moisson, la paille soit lavée, et que les grains attendris deviennent plus ronds.

La maladie que Re appelle carolo, ruggine ou brusone, parait n’être que la rouille du riz. Elle consiste en taches roussâtres qui se montrent sur les feuilles, et ensuite quel-fois sur les tiges, et d’où s’échappe une poussière jaunâtre, d’abord insipide et inodore, puis un peu acide et d’une odeur argileuse. Elle se jette sur les plantes vigoureuses, qui trahissent sa présence par un vert plus foncé, et qui y sont sujettes dans leur jeunesse, comme dans un âge plus avancé. Elle parait due à l’excès d’engrais ; elle ne se manifeste jamais, dans les vieilles rizières. Faucher le riz, faire écouler l’eau de la rizière, voilà les seuls moyens qu’indique Re pour la combattre.

II. Du Charbon. — Le parasite qui constitue le Charbon (Flugbrand, Russbrand, Nagelbrand, allem. ; Carbone ou Fuliggine, ital. ; Loose smut, angl.) est l’Uredo Carbo, DC. (U. segetum, Pers. ; Cœoma seget., Link. ; Ustilago seget., Dittm.) (fig. 705, A) qui attaque l’axe de l’épi, les glumes et la surface des graines, ou, selon M. Ad. Brongniart, le petit pédicule qui supporte les organes floraux B d. A la fin de sa vie, il les recouvre d’une poudre très-abondante, noire ou d’un brun verdâtre, toujours visible à l’exterieur, très-légère, inodore et quelque peu visqueuse quand elle est fraîche Fig. 705. mais se laissant facilement emporter par les vents quand elle est sèche ; enfin composée de capsules parfaitement sphériques, extrêmement petites et à demi transparentes. M. Ad. Brongniart, qui en a suivi tous les développemens dans l’orge, depuis le moment où il se forme au sein des épis à peine longs d’un centimètre, a vu dès l’origine les globules dont il se compose légèrement adhérens les uns au autres et réunis en masses compactes, de couleur verdâtre, dans des cavités quadrilatères Cc, que présentait le tissu cellulaire et que séparait une couche ou deux de cellules très-petites b d. Mais, par les progrès de la végétation, les cloisons celluleuses finissaient par disparaître ; les globules s’isolaient complètement, et leur couleur devenait noire. Leur développement avait causé l’avortement des organes de la fructification Bc, dont on ne retrouvait plus que des rudimens sur le pédicelle tuméfié, et avait détruit une partie des enveloppes de ces organes b c.

En général, il sort fort peu de tiges d’un pied frappé de charbon, et ces tiges sont grêles. On les distingue dans le froment, non seulement à ce signe et à la couleur noirâtre des épis, mais encore, avant même que l’épi ait paru, à leur feuille supérieure qui est tachée de jaune et sèche à son extrémité. M. Tessier a rencontré le charbon sur des fromens faibles comme sur des fromens vigoureux, dans différens terrains et a diverses expositions, mais plus particulièrement sur le blé de mars ; il soupçonne que les espèces barbues y sont moins sujettes que les espèces dépourvues d’arêtes. Suivant le même auteur, toutes les variétés d’orge en sont également attaquées, quels que soient le sol et l’exposition où elles se trouvent placées. Dans une expérience faite sur la même céréale, il s’est assuré que plus le grain était enterré profondément, plus il fournissait de pieds charbonnés.

Toutes les céréales sont sujettes au charbon : il cause peu de dommage au froment, parce qu’il ne l’attaque ni fréquemment ni violemment, et parce que sa poussière se disperse avant la moisson, de sorte qu’il n’en arrive à la grange que la petite quantité que peuvent receler les épis restés dans le fourreau ; mais il est plus funeste à l’orge et à l’avoine qui en reçoivent des atteintes plus souvent réitérées et plus rudes, et qui en propagent davantage les germes, toutes les deux les entraînant avec elles à la grange, soit parce que leurs glumes se décomposent moins et ne leur livrent pas aussi facilement passage avant la récolte, soit, ce qui est particulièrement le cas de l’avoine, parce qu’elles se charbonnent plus inégalement, les épis ou même les grains étant ordinairement en partie sains, en partie malades, tandis que chez le froment l’ordinaire est de voir les épis affectés en entier. Cette persistance de la poudre charbonneuse sur les épis d’orge et d’avoine a été bien constatée par M. Vilmorin, qui, après la moisson faite et rentrée, ayant besoin de cette poudre pour des expériences, a pu trouver dans les gerbes une quantité de panicules ou d’épis tout-à-fait ou en partie intacts, quoique charbonnés, et qui ayant examiné à la loupe, après le battage, le grain de masses d’orge et d’avoine plus infestées que les autres, a reconnu sur sa surface une quantité de globules de charbon.

De même que la poudre de la carie, celle du charbon noircit souvent le visage des personnes qui battent de l’orge ou de l’avoine, mais elle les fait moins tousser. Elle ne parait pas communiquer de qualité délétère à la farine, avec laquelle au surplus elle n’est jamais mêlée qu’en très-petite quantité dans le froment. Le tort qu’elle cause aux cultivateurs consiste essentiellement dans la diminution de la quantité de la récolte. Cette diminution doit se mesurer non seulement au nombre des épis charbonnés qui paraissent hors de leur gaine, mais encore à la quantité de ceux que leur état de faiblesse y tient renfermés. La paille de froment, d’orge et d’avoine charbonnée déplaît aux bestiaux ; on ne sait si elle les incommode.

Il résulte des expériences de M. Tessier que le charbon peut se communiquer par contagion, et qu’on peut empêcher sa reproduction par les mêmes moyens employés contre la carie. Cependant il parait beaucoup moins contagieux que cette dernière, et moins susceptible d’être prévenu par le chaulage ou par le sulfatage. Il est arrivé à M. Vilmorin d’avoir plus de charbon dans la moitié d’une pièce semée avec de l’avoine chaulée que dans l’autre moitié dont la semence n’avait pas reçu de préparation, tout étant égal d’ailleurs ; d’autres fois le résultat a été en sens inverse ; d’autres fois enfin il y a eu parité. Le sulfatage a produit, en général, des effets plus prononcés que le chaulage, mais les exceptions ont encore été saillantes : il est vrai que lorsque le chaulage et le sulfatage ont montré le moins d’efficacité, ils avaient eu lieu par aspersion, méthode quelquefois à peine suffisante pour le froment et peu convenable pour l’avoine et l’orge qui sont beaucoup moins propres que le grain de froment à s’imprégner d’une dissolution quelconque, et pour lesquelles on devrait par conséquent augmenter non seulement l’énergie de la préparation détersive, mais encore la durée du bain, ce qui augmenterait les dépenses. C’est probablement la crainte de cette augmentation de frais qui a empêché les cultivateurs d’appliquer au charbon de l’orge et de l’avoine les moyens que maintenant ils emploient généralement contre la carie du froment. Toutefois la chose vaut la peine d’être essayée, le sulfatage surtout qui a parfaitement réussi à M. Le Blanc dans le dép. de la Haute-Garonne. Thaer, prétendant que la maladie ne se transmet point par les semences, qu’elle se reproduit d’elle-même sur les terrains mouilleux et excessivement gras sous l’influence d’une température humide et chaude, enfin qu’elle affecte non seulement l’épi, mais la plante entière, ne voit d’autres moyens de la prévenir que de semer avec tous les soins convenables, sur un sol bien choisi et bien égoutté, des grains accomplis ; il croit aussi que la nature de l’engrais peut exercer une influence sur la production du charbon. M. de Candolle, dans l’idée que la poussière charbonneuse qui se répand sur la terre est absorbée par les jeunes plantes, pense qu’une rotation de culture telle que les céréales ne reviennent pas à des intervalles trop rapprochés sur un même champ, peut seule diminuer l’effet du à cette cause.

Sous le nom d’Uredo destruens, M. Duby, auteur du Botanicon gallicum, a fait une espèce à part du Charbon du millet, à cause de l’irrégularité et de la forme oblongue des sporules dont se compose ce champignon parasite. Suivant M. Tessier, l’épi, serré étroitement entre les feuilles supérieures de la tige, ne les écarte qu’avec peine ; il paraît communément au dehors sous la forme d’un cône alongé recouvert d’une peau grise qui se déchire et laisse apercevoir un corps composé de filets et d’une matière noire dans toute sa longueur, excepté à la partie inférieure où elle est grise, plus ferme et plus compacte. Ce charbon n’exerce pas de grands ravages sur le millet.

On a fait de même une espèce particulière du Charbon du maïs (Uredo maydis, DC), qui attaque la tige à l’aisselle des feuilles, ou les fleurs mâles, ou les graines elles-mêmes. La partie attaquée grossit et devient une tumeur d’un blanc rougeâtre ou cendré, d’abord charnue, puis entièrement remplie d’une poussière noirâtre, presque inodore, très-abondante, légère et composée de globules semblables à ceux de la carie, si ce n’est qu’ils sont plus petits. Ces tumeurs ont depuis la grosseur d’un pois ou d’une noisette, qu’elles présentent sur les fleurs mâles, jusqu’à celle du poing qu’elles dépassent même quelquefois sur les tiges et sur les graines ; elles sont enveloppées par l’épiderme distendu, qui, lorsque l’Urédo est parvenu à sa maturité, se rompt au moindre choc, et laisse échapper la poussière qu’il renferme.

D’après les observations de M. Bonafous, cette production parasite du maïs se forme indifféremment sous l’influence de l’humidité et de la sécheresse. L’opinion commune est cependant qu’elle se développe préférablement dans les lieux et les années humides ; elle est devenue plus fréquente dans le Piémont depuis qu’on y arrose le maïs. Suivant le même auteur, elle ne paraît pas non plus dépendre de la nature des engrais ou du sol ; enfin elle n’épargne pas les pieds les plus vigoureux, et elle s’attache plus aux variétés tardives qu’aux variétés précoces. Sa poussière n’est pas plus malfaisante que celle de L’Uredo Carbo. Tillet et Imhof ont conclu de quelques expériences qu’elle n’est pas contagieuse ; le fait aurait besoin d’être vérifié.

Dans le but de préserver le maïs de cette maladie, on a conseillé de chauler la semence, de ne pas arroser les champs, et surtout d’apporter une attention scrupuleuse dans le choix des graines : ces précautions ne suffisent pas toujours ; un moyen efficace pour délivrer le maïs de ces tumeurs, c’est de les enlever quand elles apparaissent.

M. Dulong a trouvé dans l’Urédo du charbon une matière analogue à la fungine ; une matière azotée, soluble dans l’eau et dans l’alcool, analogue à l’osmazome végétal ; une matière (azotée ?) soluble dans l’eau, insoluble dans l’alcool ; une matière grasse, une petite quantité de cire, une matière colorante brune, un acide organique libre ou en partie uni à la potasse et peut-être à la magnésie, du phosphate de potasse, du chlorure de potassium, du sulfate de potasse, du sous-phosphate de chaux, un sel à base d’ammoniaque, de la magnésie et une très-petite quantité de chaux sans doute unies à un acide organique, enfin du fer.

III. De la Carie. — On désigne sous le nom de Carie (Golpe, Volpe ou Fama, ital. ; Schmier-Stein ou Faulbrand, all. ; Smut balls, angl.) une maladie qu’on a souvent confondue avec le charbon, parce que, comme celui-ci, elle affecte les parties de la fructification, mais qui cependant s’en distingue par des caractères bien tranchés. L’Uredo Caries, DC, qui la constitue et que la fig. 706 représente à différens degrés de maturité dans Fig. 706. le grain entier ou coupé a b c d, est logé dans l’intérieur même de la graine ; il forme une poussière grasse au toucher, d’un noir tirant sur le brun ou l’olivâtre, remarquable, quand elle est fraîche, par sa fétidité, et qui ne se répand pas au dehors du grain pendant la végétation de la plante ; ses globules e, f sont opaques ou à demi transparent et un peu plus grands que ceux du charbon ; leur diamètre varie de 1/140 à 1/280 de ligne, d’après M. Tessier. Les grains cariés sont légèrement ridés, un peu grisâtres, plus arrondis et plus petits qu’à l’ordinaire ; leur poids, par rapport à celui du froment sain, est à peu près comme 2 à 5. La poudre de carie analysée par Fourcroy a donné une huile verte, butireuse, acre et d’une odeur infecte, une matière végéto-animale, de l’acide phosphorique, et de l’ammoniaque libre ; d’autres chimistes y ont trouvé de l’acide oxalique libre. Elle est inflammable et insoluble dans l’eau.

Les pieds qui doivent donner des grains cariés ont, dès le moment où ils lèvent, des feuilles d’un vert foncé comme celui de la feuille de chêne, et les tiges ternes ; l’odeur infecte et les globules se font apercevoir dans l’épi, même avant qu’il soit sorti de ses enveloppes. Quand les épis cariés se montrent, ils sont bleuâtres et étroits, mais ensuite ils deviennent plus larges que les épis sains ; leur maturité est plus hâtive, et ils se chargent d’une plus grande quantité de grains ; leur légèreté fait qu’ils restent droits. Les étamines ne s’alongent pas et les anthères ne contiennent pas de pollen. M. Tessier a trouvé fréquemment des épis sains sur des pieds qui en offraient de viciés ; des grains sains mêlés avec des grains cariés dans le même épi ; enfin quelquefois des grains à moitié sains et à moitié cariés.

Entre toutes les céréales, le froment est le plus sujet à la carie, peut-être même y est-il seul exposé ; mais toutes les espèces et variétés de froment n’y sont pas également exposées. Les blés du nord la contractent plus facilement que ceux du midi ; les blés durs, qui en général appartiennent au midi, n’en offrent point naturellement ; il en est de même des barbus, excepté celui dont les épis sont roux ou blancs et les barbes divergentes. Les épeautres en sont quelquefois perdus. Le froment de mars y est plus sujet que les blés d’automne.

Tillet et M. Tessier ont reconnu, par des expériences réitérées, que différens engrais, la nature du sol et les brouillards ne sont pas la cause de la carie ; cela n’empêche pas de croire que l’humidité de l’atmosphère et du sol ne puisse contribuera sa production. Les mêmes observateurs l’ont fait naître mainte et mainte fois en infestant de noir, nom sous lequel on la désigne quelquefois, des grains sains, et surtout en l’inoculant près du germe. On a pu obtenir ainsi une quantité d’épis cariés quatre fois plus grande que celle des épis sains ; mais on n’a pu faire naître la maladie dans les grains d’épis formés, en les saupoudrant de carie à différentes époques. Plus la carie est vieille, moins elle a d’action sur le blé nouveau ou vieux ; plus le blé est vieux, moins la carie nouvelle ou vieille l’infecte facilement ou abondamment. Elle retarde la germination et la pousse des grains qui en sont tachés. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que l’huile qu’on retire de la carie par la distillation à feu nu, ayant été mise en contact avec du blé sain, lui a fait produire près d’un tiers d’épis cariés.

Toutes choses égales d’ailleurs, plus le grain était enterré profondément, plus M. Tessier, dans ses expériences, récoltait de carie. On a aussi remarqué que les ensemencemens par un temps hâleux ou sur des labours récens favorisent sa production ; peut-être le mal, dans ce dernier cas, vient-il de ce que la herse enfonce le grain plus avant. Un observateur, M. Thomassin, assure que les fromens coupés avant leur maturité ne reproduisent pas la carie ; une expérience de M. Girou de Buzareingues tend à faire croire le contraire. Elsner lait observer que le fumier non encore élaboré par un repos prolongé l’amène très-souvent, sans doute parce que la fermentation n’y a pas détruit les sporules de l’Urédo qu’on y a jetés avec les pailles et les criblures des blés cariés.

Quand la poussière de la carie est abondante, comme elle sort de son enveloppe dans l’opération du battage, elle cause des démangeaisons aux yeux des batteurs, et les fait tousser ; en s’attachant au blé sain, elle lui donne cette apparence défavorable qu’on désigne dans le commerce par les expressions de blé moucheté, blé bouté ; elle nuit aussi à sa qualité, car les blés mouchetés empâtent les meules, graissent les bluteaux, et rendent défectueuse la mouture du blé sain qui leur succède ; de plus ils fournissent une farine terne et onctueuse qui n’est pas de garde ; enfin, le pain fait avec de la farine de blé moucheté a une teinte violette et un peu d’acreté ; on soupçonne que ce pain est malsain. Sous ces différens rapports, la carie cause un tort réel aux cultivateurs, mais peu important comparativement à la diminution qu’elle occasione dans le produit de la récolte. Cette diminution consiste non seulement dans le nombre des épis cariés, nombre qui est assez souvent le quart de celui des épis sains, mais encore, quand la maladie est intense, dans l’infériorité du poids de ceux-ci.

S’il est vrai que la carie se propage, surtout en s’attachant dans les bâtimens de la ferme aux substances qui doivent servir d’engrais et principalement aux grains de semence, il est clair qu’il faut non seulement s’abstenir de porter sur les champs des fumiers qui n’ont pas encore subi une fermentation convenable, mais encore mettre une grande attention dans le choix de la semence et la dépouiller par tous les moyens possibles des germes dont elle peut être infestée. Pour les qualités de la semence, nous renvoyons à l’article Froment où il en est question. Quant aux procédés de purification, ils sont physiques ou chimiques. Les moyens physiques consistent essentiellement dans les frictions, la ventilation et les lavages ; les moyens chimiques se réduisent à l’emploi de substances assez caustiques et assez corrosives pour altérer la poudre de la carie, sans désorganiser le grain ; les premiers éloignent, emportent avec eux les germes du mal, et les autres le détruisent.

On sépare quelquefois les épis cariés des épis sains par le triage à la main. Dans une année où les premiers ne sont pas très-nombreux, une femme épluche par jour environ 60 gerbes, donnant 1 ¼ setier de blé. Dautres fois, sachant que les tiges cariées sont plus courtes que les autres, ou se contente de couper les épis les plus saillans des gerbes, ou de frapper les tiges soit sur les parois d’un tonneau, soit sur une perche à hauteur d’appui. On a proposé de déterger le grain battu en le roulant dans de l’argile sèche, du sable, des cendres, etc. Mais les moyens mécaniques les plus employés sont le criblage et le vannage. (Voyez ce Vol., p. 342.)

En suivant l’ordre des opérations et la gradation des effets, on passe des procédés qui viennent d’être indiqués aux lavages. L’eau pure exerce deux genres d’effets : 1o elle agit par le frottement quand on la fait couler sur le blé, ou qu’on y plonge celui-ci en l’y remuant ; 2° les grains cariés étant plus légers que les grains sains, restent ou s’élèyent plus facilement à sa surface, d’où il est facile de les enlever. Pour être plus sûr qu’ils surnagent tous, on fera bien de remuer la masse de temps en temps et d’augmenter la densité de l’eau par l’addition de sel commun, comme c’est la coutume en Angleterre où l’on rend la dissolution assez forte pour qu’elle puisse supporter un œuf. L’eau de lavage doit être plusieurs fois renouvelée.

Comme tous ces moyens sont le plus souvent insuffisans, on les complète et même on y supplée par l’emploi des substances caustiques et corrosives. Les plus énergiques parmi celles dont l’usage est plus général, sont, outre les substances vénéneuses dont nous ne parierons pas, le sulfate de cuivre ou vitriol bleu, la chaux, le sel commun, l’urine, l’eau de fumier, les fientes d’animaux. Le sulfate de cuivre, qui ne donne pas lieu à de graves accidens, a été employé d’abord par Bénédict Prévost : c’est le plus efficace de tous les remèdes contre la carie. Supposons qu’on ait 100 mesures de blé à traiter, on met dans une cuve 14 mesures égales d’une eau contenant en dissolution 1/150 de son poids de vitriol ; dans un autre vase de la capacité de 2 ou 3 hectolitres, on jette du blé et l’on verse dessus la dissolution, de manière qu’elle le recouvre de la hauteur de la main ; puis on remue, on enlève les grains qui surnagent, et au bout d’une demi-heure on verse le blé dans un autre vase de même capacité où l’on répète le traitement. Enfin on le place sur une corbeille ou un filtre quelconque pour le débarrasser de l’eau saturée de vitriol. La chaux, dont il a déjà été question à l’article du froment (Voy. p. 377), est un peu moins efficace que le vitriol bleu.

Le sel marin, les lessives de cendres, les urines putréfiées, l’eau de fumier, la fiente de pigeon, sont souvent mêlés avec la chaux dans le chaulage ; toutes ces substances ajoutent à l’action de la chaux celle des alcalis qui forment la base des sels inhérens à leur composition. Tel est en particulier le cas du sel marin et des urines ; on a même des exemples de blés dont la faculté germinative a été détruite par l’ammoniaque qu’ont dégagée les urines dans le chaulage. Cependant, d’un autre côté, ces substances, surtout si elles sont solides, doivent aussi, excepté le sel, exercer une action en sens inverse, parce qu’elles interposent entre les matières actives d’autres matières inutiles pour l’objet qu’on se propose. Après avoir été soumis à l’action quelconque de l’un de ces ingrédiens, le blé doit être écarté de tout ce qui peut receler la poussière de carie ; il ne faut ni le laver ni le laisser s’échauffer en tas.

On peut suivre des procédés très-divers pour le lavage et l’immersion dans une des dissolutions indiquées. — Au sud de l’Ecosse, on trempe successivement dans deux cuves, contenant l’une de l’eau, l’autre des urines d’étable, deux vases d’une moindre capacité, dont le fond est en fil-de fer, et qui contiennent le blé à purifier ; on plonge plusieurs fois, on remue, on écume, et l’on renouvelle l’eau aussi souvent qu’on le juge nécessaire, jusqu’à ce qu’elle sorte à peu près complètement claire. Ailleurs, on place le blé sur des corbeilles pour le descendre dans le bain, ou bien on l’y verse peu-à-peu, en enlevant au fur et à mesure les grains surnageans, etc.

Les huiles essayées par M. Tessier contre la carie en ont empêché le développement sans retarder la germination.

On n’a pas encore songé à fixer par des expériences les limites de quantité, de concentration et de durée d’action, en dehors desquelles les préparations employées contre la carie n’exercent pas une action assez marquée, ou deviennent funestes à la germination de la graine.

IV. De l’Ergot. — L’ergot est une des maladies les plus singulières des graminées ; il en attaque un grand nombre, mais particulièrement le seigle, la seule céréale qui, outre le maïs, y soit sujette. C’est une excroissance (fig. 707) dure, compacte, cassante, cylindrique ou un peu anguleuse, Fig. 707 présentant à peu près la forme d’une corne obtuse, ordinairement blanche ou grise à l’intérieur, d’un noir tirant sur le violet à l’extérieur. Elle occupe la place du grain et sort d’entre les glumes ; sa longueur est très-variable, mais ne dépasse pas 18 lignes. Son poids, d’après M. Tessier, est à celui du seigle à peu près comme 9 à 14, ou comme 5 à 8, suivant qu’on les compare l’un à l’autre sous leur forme entière ou à l’état pulvérulent. Suivant le même agronome, on l’observe plus particulièrement parmi les seigles semés sur des terres récemment défrichées, parmi ceux qui sont mélangés de vesce, dans les saisons et les terres humides, dans les parties basses des lieux en pente, sur les bords des chemins, dans les terres maigres et sablonneuses. Suivant Baumé, les seigles cultivés plusieurs années de suite sur le même terrain, sont fort exposés à ses atteintes.

M. de Candolle regarde l’Ergot comme une végétation cryptogamique, qu’il appelle Sclerotium clavus. Il est inutile de dire ici les raisons sur lesquelles il fonde sa manière de voir, que d’autres botanistes ne partagent pas ; elles ne nous paraissent pas sans réplique, mais du moins son opinion est bien aussi satisfaisante que le vague où nous laissent les partisans du système opposé. Il vaut tout autant regarder l’ergot comme un champignon que de le définir, avec M. Unger, un embryon qui se dévore lui-même.

Vauquelin a trouvé dans le seigle ergoté, comme substances immédiates, deux matières colorantes, l’une jaune, l’autre violette qui peut être enployée dans la teinture, une matière huileuse, douceâtre et très-abondante, un acide indéterminé, de l’ammoniaque libre, enfin une substance végétoanimale très-abondante et très-disposée à la putréfaction ; par conséquent, ni amidon, ni sucre, ni mucilage, ni albumine, matières dont est presque entièrement composée la farine de seigle à l’état ordinaire.

Lorsque l’Ergot se trouve mélangé en quantité notable dans les farines de seigle ou de froment, il donne lieu à des vertiges, à des étourdissemens, à la gangrène des extrémités, et même à la mort. On lui attribue aussi la propriété d’exciter les contractions de la matrice et de faciliter les accouchemens.

Il est facile de séparer l’ergot du bon grain par le crible et le van, ou même l’épluchage a la main. Dans les pays où il est très-commun, comme, par exemple, dans la Sologne, on ferait bien de le récolter pour le détruire. Si les circonstances indiquées comme favorables à sa propagation sont vraies, on devra, chercher à y soustraire le seigle.

[19:2:2]
§ ii. — Des plantes qui nuisent aux céréales par leur voisinage.

Il a déjà été question ailleurs (t. I, p. 231 et suiv.) des mauvaises herbes, qui ne font de tort aux cultivateurs qu’en envahissant spontanément et occupant inutilement le sol destiné aux céréales ; nous ne parlerons donc ici que de quelques autres plantes qui, non seulement sont inutiles, mais encore directement nuisibles, soit aux moissons elles-mêmes, soit à l’homme.

En général, tous les grands végétaux nuisent aux blés, non seulement parce qu’ils les privent, en l’absorbant eux-mêmes, d’une nourriture qui aurait pu leur profiter, mais encore parce qu’ils leur ravissent en partie les bienfaits de la chaleur et de la lumière solaire ; il est vraisemblable aussi qu’ils les contrarient par la concurrence et l’entrecroisement de leurs racines. On s’accorde à dire que les ormes plantés le long des routes exercent une influence défavorable sur les céréales situées dans leur voisinage. Duhamel a même reconnu que la sphère de cette influence s’agrandit à mesure qu’ils avancent en âge, de telle sorte que restreinte d’abord à quelques pieds autour de leur tronc, elle s’étend ensuite à une distance considérable. Aussi, dans les pays à blé, proscrit-on des champs les plantations d’arbres et même les haies.

À ces effets généraux, quelques végétaux joignent une action spéciale. Ainsi, l’effet un peu pernicieux que produit le noyer sur les blés qui croissent sous son feuillage, parait venir de ce que les pluies dissolvent quelques portions de la matière astringente contenue dans les feuilles, et la portent sur le blé et dans le sol. Le Coquelicot et la Crète de coq (Rhinanthus crista-galli) effritent la terre, parce que, renfermant des sucs âcres, ils laissent transsuder quelque matière qui l’altère. Vraisemblablement le Cirse des champs, qu’on regarde comme nuisible à l’avoine, l’Erigeriondere et l’Ivraie (Lolium temulentum), qui passent pour nuire au froment, excrètent quelque matière contraire à la végétation de ces céréales. Cependant aucune de ces plantes n’agit comme cause réellement moroifique.

On adresse à l'Epine-Vinette un reproche plus grave ; on l’accuse de faire naître la rouille ou même la carie et le charbon sur les céréales. Malgré la généralité de cette croyance qui a en sa faveur les recherches nombreuses et quelques expériences faites par Yvart, les botanistes doutent encore qu’elle soit fondée. Ils admettent bien que l’épine-vinette peut exercer quelque action pour la production de la rouille dans les céréales, mais c’est au même titre que les autres buissons, c’est-à-dire en raison de son ombrage. On a cru que l’épine-vinette étant souvent chargée d’un Æcidium. (Æ. Berberidis), la poussière de cet æcidium tombait sur le blé, et lui communiquait la rouille dont il a la couleur. Mais, comme il est fort différent de l’urédo, il faut, dans cette hypothèse, admettre qu’il y a transformation d’espèces, ce qui est contre toutes les analogies. On fait d’ailleurs remarquer que, dans certaines provinces où l’épine-vinette abonde, par exemple dans les environs de Dijon, on ne lui attribue point d’action fâcheuse, et que des effets assez semblables à ceux de l’épine-vinette se rencontrent dans une foule de localités où cet arbuste n’existe pas. Il n’est donc pas démontré que l’épine-vinette soit une cause spéciale de rouille, de charbon ou de carie pour les céréales ; mais, d’un autre côté, il est vraisemblable que sa floraison coïncidant pour l’ordinaire avec celle du blé, le principe qui fait la base de l’odeur désagréable qu’elle répand alors, ou des effluves quelconques sorties de ses fleurs, ou même son pollen, contrarient la fécondation du blé.

Enfin, il est quelques plantes dont les graines étant récoltées avec celles des céréales, communiquent au pain des propriétés désagréables ou délétères. Ainsi, les graines du Muscari, introduites par la mouture dans la farine du blé, donnent au pain de l’âcreté, une amertume excessive et permanente, et le pointillent de noir : celles de la Nielle (Lychnis Gythago) lui communiquent une couleur noirâtre et un arrière-goût amer, mais innocent ; celles de l’Ivraie, une amertume et une âcreté sensibles, et, lorsqu’elles sont en quantité considérable, elles le rendent capable de produire un assoupissement ou une ivresse accompagnée quelquefois de symptômes très-fâcheux.

Pour détruire ces herbes importunes ou nuisibles, il faut les arracher dans leur jeunesse, ou les couper, en imprégnant, s’il se peut, de quelque dissolution corrosive, par exemple de sulfate de fer, les instrumens servent à les détruire. Pour en prévenir l’invasion, on doit semer des graines pures de tout mélange, et tenir la terre dans un état continu d’assolement et de culture. J.Yuig.

[19:2:2]
Art. ii. — Plantes nuisibles aux herbages.
[19:2:2:1]
§ ier. — Des mauvaises herbes

En jetant un coup-d’œil sur la Flore française, nous voyons qu’aucune plante in-embryonée[1] ne peut être considérée comme fourragère ; plusieurs au contraire sont nuisibles aux herbages. De ce nombre sont surtout les Mousses (Musci, Juss.), dans les prairies moyennes et élevées ; les Fougères (Filices, Juss.) » dont les espèces communes font sur les sols profonds et frais le désespoir du cultivateur, parce qu’elles s’y multiplient en dépit de tous ses efforts ; enfin les Prèles (Equisetaceœ, DC.) qui abondent dans les lieux humides et n’y donnent cependant aucun ou presque aucun produit.

Au nombre des Embryonées, dans la grande division des Monocotylédones et dans la famille des Cyperoïdes (Cyperaceœ, Juss.), presque tous les Carex ou Laiches (Carex) doivent être rejetés à cause de la dureté de leurs fanes sèches et la disposition tranchante de leurs feuilles qui les rendent dangereuses pour les animaux ; — Les Scœnus (Scœni) répugnent aux herbivores ; — les Scirpes (Scirpi) présentent à la vérité quelques espèces qui ne leur déplaisent pas autant, mais tous pourraient être remplacés par de meilleurs fourrages ; — les Souchets (Cyperi) sont dans le même cas.

Viennent ensuite les Graminées, parmi lesquelles on ne trouve au contraire, à vrai dire, dans nos climats, aucune espèce qui ne convienne plus ou moins aux bestiaux, bien qu’il soit avantageux d’en écarter plusieurs, soit à cause de leur dureté, soit par suite du peu d’élévation ou d’abondance de leurs fanes, etc.

Dans la famille des Joncs (Jonceœ), diverses espèces qui se multiplient abondamment sur les fonds humides occupent inutilement beaucoup d’espace.

Dans celle des Alismacées (Alismaceœ), il est aussi plusieurs herbes inutiles, d’autres nuisibles. — Au nombre des premières il faut ranger le Butome en ombelle (Butomus umbellatus, Lin.) et le Plantain d’eau (Alisma plantago, Lin.), — parmi les secondes, le Veratre blanc (Veratrum album, Lin), plante âcre et vénéneuse, même après la dessiccation, et la Colchique d’automne (Colchicum automnale, Lin.), dont toutes les parties ont une odeur forte, nauséabonde, et dont les feuilles, par leur abondance, nuisent essentiellement à la récolte et à la qualité du foin.

Les Liliacées ne donnent aucun produit fourrager, mais rarement elles sont assez abondantes pour nuire beaucoup aux herbages par leur végétation. J’ai cependant vu des prés entièrement envahis par la Fritillaire (Fritillaria meleagris, Lin.), comme on en trouve parfois d’occupés en grande partie, sur les hauteurs et dans les lieux plus secs qu’humides, par diverses espèces d’Ail (Allium vinéale, oleraceum, etc.) qui communiquent au laitage, au beurre et même au fromage une saveur à laquelle il est difficile de s’habituer.

Ailleurs, les Orchidées dominent, et, dans cette belle famille, les Orchis mâle et panaché (Orchis mascula et variegata, Lin.), parfois l’Orchis militaire (Orchis militaris, Lin.) sont si abondans que les herbes disparaissent presque en entier à l’ombre de leurs fleurs.

Dans la division des Dicotylédones, les Aristoloches (Aristolochiœ) communiquent au foin une odeur repoussante. Celle qui porte le nom de clématite (Aristolochia clematitis, Lin.) trace beaucoup dans les lieux humides, et doit être particulièrement détruite avec soin. Cependant on a exagéré ses dangers, et je dois dire que j’ai vu souvent des vaches en manger, à la vérité en petite quantité, sans en être incommodées.

Au nombre des Polygonées (Polygoneœ), les Patiences (Patientiœ, Lin.), dont les larges feuilles et les tiges coriaces occupent inutilement de grands espaces, telles que la Parelle (Rumex aquaticus, Lin.), et même la grande Oseille (Rumex acutus, Lin.), auxquelles les ruminans ne touchent jamais en vert lorsqu’on les laisse libres du choix, et qui ne sont pas susceptibles d’être transformées en foin, sont par conséquent des plantes nuisibles. Nous ajouterons que le Poivre d’eau (Polygonum hydropiper, Lin.) est considéré comme dangereux pour les animaux.

Dans la famille des Lysimachies ou des Primulacées (Lysimachiœ, Juss.), on doit proscrire la Lysimache commune (Lysimachia vulgaris, Lin.), qui se propage avec rapidité le long des cours d’eau, et la Primevère (Primula veris, Lin.), qui envahit souvent une grande partie du terrain, et qui ne peuvent être converties en foin, la première, à cause de la dureté de ses tiges presque ligneuses, la seconde, parce qu’elle est trop peu élevée ; la Globulaire commune (G. vulgaris, Lin.), qui déplait aux animaux, etc. Parmi les Pédiculaires (Pediculares), la P. des marais (Pedicularis palustris, Lin.) est regardée comme nuisible aux moutons ; la Cocrète (Rhinanthus crista-galli, Lin.) donne un très-mauvais foin.

Les Labiées (Labiatœ) et les Personnées ou Scrophulaires (Scrophulariœ et Pediculares, Juss.) sont généralement repoussées par le gros bétail, quoique plusieurs espèces soient du goût des bêtes à laine. Dans les prairies basses, la Germandrée (Teucrium scordium, Lin.), lorsque les vaches sont forcées d’en manger, communique à leur lait une saveur fort désagréable ; la Menthe aquatique (Mentha aquatica, Lin.) empêche dit-on, la coagulation du beurre ; le Stachys des marais (Stachys palustris, Lin.) se multiplie beaucoup sans utilité par le moyen de ses traces. Il en est de même de la Scrophulaire aquatique (Scrophularia aquatica, Lin.). Toutes les Linaires, surtout la commune (Linaria vulgaris, Lin.), qui abondent dans les localités plus sèches qu’humides, doivent être détruites. Sur les terrains plus élevés, on a recommandé avec raison de détruire aussi les Sauges (Salviœ), et notamment les espèces suivantes : la Sauge officinale, S. officinalis Lin., et celle des prés (S. pratensis, Lin.), la S. sauvage (S. sylvestris, Lin.), la sclarée (S. sclarea, Lin.), la Cataire (Nepeta cataria, Lin.), la Bétoine (Betonica officinalis, Lin.), la Ballote noire (Ballota nigra, Lin.), et le Marrube commun (Marrubium vulgare, Lin.), qui répugnent généralement aux bestiaux ; le Lierre terrestre (Glecoma hederacea, Lin.), la Cardiaque officinale (Leonurus cardiaca, Lin.), qui tracent ou s’élèvent beaucoup au détriment des bonnes herbes ; la Mélisse calament (Melissa calamenta, Lin.), dont l’odeur repousse les animaux et se communique aux foins, etc., etc.

Les Solanees (Solaneœ) sont assez souvent vénéneuses, du moins en vert. La Douce-amère (Solanum dalcamara, Lin.), dont la propagation est très-rapide, gâte aussi le foin en lui communiquant son odeur nauséabonde ; les Molènes (Verbascum nigrum, album, etc.) ne sont jamais touchées par le bétail ; — les Jusquianes (Hyosciami) ; — la Stramoine épineuse (Datura stramoniurn) ; — la Mandragore et la Beiladone (Atropa mandragora et belladona, Lin.) seraient très-nuisibles à sa santé, si la faim le forçait d’y toucher.

Les Borraginées ne sont pas non plus en général de bonnes plantes fourragères. La Consoude (Symphitum officinale, Lin.), qui leur appartient, nuit beaucoup, par son développement, à celui des plantes voisines, à la quantité et à la qualité de leur foin. La Vipérine (Echium vulgare, Lin.) déplaît également aux herbivores.

La Lobelia brûlante, Lin., qui appartient aux Campanulacées, leur est nuisible.

Parmi les Flosculeuses, il faut rechercher avec un soin particulier, pour les arracher, le Cnicus des champs (Cnicus arvensis), l’un des plus communs et des plus nuisibles, à cause de ses racines traçantes et des es graines nombreuses ; — les Chardons marie et à feuilles d’acanthe (Carduus rnarianus et acanthoïdes, Wild.) ; celui qu’on a nommé acaulis, parce qu’il n’a presque pas de tiges, mais dont les racines sont longues et traçantes ; — l’Onoporde à feuilles d’acanthe (Onopordium acanthium, Lin.) ; — la Carline commune (Carlina vulgaris, Lin.), et la Bardane (Arctium Lappa, I in.), qui envahissent des espaces considérables ; — la Centaurée chausse-trape (Centaurea calcitrapa, Lin.), ainsi que les Tussilages (Tussilago farjara et petasites, Lin.), trop connus par leur rapide propagation.

Dans l’ordre des Radiées, plusieurs espèces offrent à un degré plus ou moins marquant les mêmes inconvéniens : ce sont, diverses Aunées (Inulœ), principalement la britannique (Inula britannica, Lin.), et la disentérique (I. disenterica, Lin.) ; — la Cinéraire et le Séneçon des marais (Cineraria palustris et Seneclo paludosus) ; — les Mille-feuilles eupatoire et sternutatoire (Achillea ageratum et ptarmica, Lin.), etc., etc.

Dans l’ordre des Rubiacées, les Caille-lait ou Galium sont à la vérité mangeables en vert, mais leur foin est à peu près nul ; celui des marais (G. palustre, Lin.) est surtout nuisible par la rapidité avec laquelle il se répand et se substitue aux autres herbages.

Au nombre des Caprifoliacées, l’Hièble (Sambucus ebulus, Lin.) se propage avec une rapidité d’autant plus malheureuse que non seulement les bestiaux ne le mangent pas, mais qu’il communique aux autres herbages une odeur qui leur répugne fortement.

On a remarqué dans bien des cas que la plupart des plantes de la famille des Ombelliféres, qui croissent dans les pâturages secs et élevés, peuvent donner d’assez bons fourrages, tandis que celles des lieux humides sont généralement dangereuses ou tout au moins inutiles, parce qu’elles ne sont pas susceptibles de se transformer en foin. Parmi les espèces vénéneuses à divers degrés, il faut citer, d’après les auteurs, les Myrrhis sauvage et des marais (Chœrophyllum sylvestre et palustre, Lin.) ; la Ciguë aquatique (Cicuta virosa, Lin.) ; le Phellandrium aquatique (Ph. aquaticum, Lin.) ; la Ciguë des jardins (Contum maculatum, Lin.) ; les Berles à petites et à larges feuilles (Sium angustifolium et latifolium, Lin.), etc. et, parmi les espèces simplement délaissées, les Œnanthes fistuleux à feuilles de persil et à feuilles de bourrache (Œnantha fistulosa, crocata et pimpinelloides, Lin.), etc. ; les Sison aquatique et verticillé (Sison aquaticum et verticillatum, Lin.) ; le Buplèvre épineux (Buplevrum spinosum, Lin.) ; l’Eryngium des champs (Eryngium campestre, Lin.), etc., etc.

Beaucoup de Renonculacées sont malsaines, telles que les Anémones des bois et la passefleur (Anemone nemorosa et pulsatilla, Lin.) ; l’Adonis printanier (Adonis œstivalis, Lin.) ; — presque toutes les Renoncules, qui perdent à la vérité en partie cette fâcheuse propriété en se desséchant, mais qui n’en donnent pas moins un très mauvais foin ; comme, la petite douve (Ranunculus flammula, Lin) ; la R. lancéolée (R. lingua, Lin.) ; la R. petite Chélidoine (R. ficaria, Lin.) ; la R. printanière (R. auricomus, Lin.) ; la R. scélérate (R. sceleratus, Lin.) ; la R. bulbeuse (R. bulbosus, Lin.) ; la R. âcre (R. acris, Lin.), etc. ; — les Aconits, et notamment le Tue Loup et le Napel (Aconitum lycoctonum et napellus, Lin.) ; — l’Actée des Alpes (Actea alpina, Lin.) ; — l’Erysimum alliaria ou alliaire ; le Sisymbrium des marais (S. palustre, Lin.) nuisent, le premier à la qualité du lait, le second à celle du foin.

Le Millepertuis crépu (Hypericum crispum, L.), heureusement peu commun, est un poison violent pour les moutons.

Parmi les Malvacées, les Mauves, les Altnées et Alcées occupent inutilement beaucoup de place, puisqu’elles sont délaissées par les bestiaux.

Dans la famille des Joubarbes (Sempervivœ), la J. vermiculaire (Sedum acre, Lin.), qui a le défaut de gâter le foin, se propage d’autant plus facilement dans les localités arides, que ses feuilles succulentes peuvent vivre presque sans le concours des racines.

Dans celle des Euphorbiacées (Euphorbiaceœ), toutes les espèces du genre Euphorbe (Euphorbia) sont dangereuses, à cause de l’âcreté de leurs sucs propres.

Enfin, pour citer, parmi les plantes qui se propagent avec le plus de facilité dans les herbages, un dernier exemple, entre bien d’autres qu’il serait possible d’ajouter en envisageant des localités plus restreintes, il faut parler de l’Ortie dioïque (Urtica dioïca, L.), que les bestiaux n’appètent pas en vert, et qui n’est pas susceptible de donner un bon foin.

On a vu ailleurs (pag. 231 et suiv., et page 472) quels sont les moyens de détruire les mauvaises herbes de diverses sortes : il serait superflu d’y revenir ici.

[19:2:2:2]
§ ii. — Des plantes parasites

Les parasites nuisibles aux herbages sont peu nombreuses ; elles se réduisent en France à l’Orobanche, la Clandestine et la Cuscute ; encore, les deux premiers genres, auxquels on peut disputer le nom de vraies parasites, ne se subdivisent qu’en un petit nombre d’espèces rarement assez fécondes pour causer de grandes dommages dans les prairies.

L’Orobanche commune (Orobanche vulgaris, Lim.) et l’O. majeure (O. major, Lin) croissent cependant très-communément dans les terrains secs où dominent les légumineuses. Au dire de M. de Candolle, la première nuit sensiblement en Italie à la culture des fèves. Toutes deux attachent une ou quelques-unes seulement de leurs racines sur celles des ajoncs, des genêts et de divers autres arbustes de la même famille, dont elles causent parfois la mort. — L’Orobanche rameuse (O. ramosa, Lin.) vient dans les blés et la plupart des lieux cultivés. C’est elle, dit Bosc, qui cause souvent de si grandes pertes dans les récoltes de chanvre, sur les racines duquel elle aime principalement à croître, et dont elle fait immanquablement périr la tige. On a vu des propriétaires être forcés d’interrompre la culture de leurs chènevières pendant plusieurs années consécutives pour s’en débarrasser, et encore ne pas complètement réussir. En effet, les graines des orobanches subsistent long-temps dans la terre sans germer lorsqu’elles sont enterrées profondément, ou peut-être seulement lorsqu’elles ne trouvent pas une racine sur laquelle elles puissent s’implanter. Un cultivateur soigneux doit donc arracher avant la maturité des graines tous les pieds qu’il trouve dans les champs lorsqu’il y en a peu ; et, lorsqu’il y en a beaucoup, le meilleur moyen est de substituer, pendant plusieurs années, au blé, au chanvre, etc., des cultures de pommes-de terre, de haricots, de maïs et autres plantes qui demandent pendant l’été des binages qui détruisent immanquablement les pieds d’orobanche avant la maturité de leurs graines.

Les Clandestines (Lathreœ clandestina et squammaria, Lin.) viennent surtout dans les lieux frais et dans le voisinage des arbres, au milieu de mousses dont la présence est beaucoup plus nuisible que la leur.

Quant à la Cuscute (Cuscuta), appelée teigne, rache, perruque par les cultivateurs, c’est une plante filiforme de la famille des Convolvulacées, dont les graines germent en terre, et dont les tiges, dépourvues de feuilles, s’élèvent sans appui jusqu’à ce qu’elles aient pu rencontrer les végétaux auxquels elles s’accrochent au moyen de suçoirs, et dont elles tirent plus tard toute leur nourriture ; on la trouve surtout dans les prairies naturelles et artificielles, dans les champs de lin, de houblon, et parfois de blé. Du pied sur lequel elle s’est fixée, elle étend ses rameaux comme autant de greffes sur ceux du voisinage, de sorte que dans le cours de quelques mois, un seul individu peut envahir un espace considérable et faire périr toutes les herbes qui le couvrent. Lorsque la cuscute se développe sur des plantes annuelles, on doit se hâter de les arracher et de les brûler ; plus tôt on fera cette opération, moins on verra s’étendre les ravages, et plus on sera certain d’avoir devancé le moment de la floraison qui a lieu dans le courant de l’été. Lorsque ce sont des plantes vivaces qui en sont attaquées, des luzernes, par exemple, on les coupe entre deux terres pour les brûler ensuite de la même manière. A la place des pieds qui ont été ainsi mutilés, quoiqu’ils repoussent quelquefois, si on en a coupé un certain nombre, il sera bon, pour utiliser les vides, de semer de préférence du sainfoin, parce qu’il est de toutes les plantes légumineuses la moins attaquable par la cuscute. On a recommandé aussi de détruire cette parasite par le feu, à l’aide de la paille que l’on étend sur les places qui en sont infestées, et on a éprouvé que ce moyen, très-efficace en lui même, ne laissait cependant aucune trace sur les luzernes, dont les longues racines se développent peu de temps après en nouvelles tiges exemples de toute contagion. O.-L-T
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Art. iii. — Plantes nuisibles aux cultures économiques, industrielles et forestières.

Chaque plante ayant son organisation individuelle et son mode de vivre à part, a aussi ses ennemis particuliers et ses maladies spéciales ; c’est assez dire que nous n’aurons que fort peu de généralités à donner à cet égard pour les cultures économiques, industrielles et forestières, qui réclament de notre part des articles isolés, dans lesquels ces notions seront beaucoup mieux placées qu’ici, et auxquels, par ce motif, nous renvoyons nos lecteurs. Mentionnons simplement quelques plantes parasites très-nuisibles à un grand nombre d’arbres. En tête nous devons placer les Lichens, les Mousses, les Hépatiques, qui naissent assez indifféremment sur les écorces de tous les arbres, et même sur les rochers et les bois morts. Ces végétaux sont nuisibles en maintenant, par leur ombre et leur abri, de l’humidité à la surface de l’écorce, en servant d’habitation aux insectes qui s’y cachent et y déposent leurs œufs, en augmentant les gerçures et les fentes de l’écorce où elles s’implantent, et par suite en hâtant sa destruction. Les cultivateurs savent qu’on les détruit assez facilement, soit en les raclant à l’aide de couteaux émoussés et de brosses, soit par un lavage à l’eau de chaux, pourvu que leur développement ne soit pas encore très-grand ; ce dernier moyen a l’avantage de détruire en même temps les insectes, leurs larves et la plupart de leurs œufs.

Le Lierre commun (Herdera hélix) agit d’une façon analogue, mais sur de bien plus grandes proportions, et nuit beaucoup aux arbres en les serrant à la manière de liens très-forts, et en implantant dans les crevasses des écorces ses nombreux crampons. Il est facile d’enlever les lierres ou du moins d’en arracher les pieds au bas des arbres, avant qu’ils aient atteint de grandes dimensions.

Le Gui (Viscum) est une véritable parasite qui se multiplie en abondance et nuit beaucoup à plusieurs de nos arbres les plus utiles. Ses graines, entourées d’une matière gluante, se fixent facilement sur tous les corps, notamment sur les branches, et y germent bientôt ; la racine, qui périt promptement si elle se trouve sur un corps brut ou mort quelconque, lorsqu’elle a au contraire rencontré l’écorce d’un arbre vivant, y implante l’espèce de disque ou d’épatement qui la termine, et pousse alors de nombreuses tiges qui croissent dans une direction quelconque. La racine du gui traverse l’écorce des plus gros arbres, et, au bout de quelque temps, se trouve greffée si intimement sous le corps ligneux, que tous les sucs de celui-ci traversent sans difficulté du sujet dans cette greffe. Du reste, il ne parait pas y avoir d’adhérence entre le gui et l’écorce de son support ; cette écorce forme bourrelet autour du gui, en sorte que celui-ci ne reçoit point les sucs élaborés dans les feuilles, mais il aspire la sève qui monte dans le corps ligneux. Le gui nuit donc aux arbres en arrêtant la marche des sucs descendans, dont une partie ne va plus alimenter les racines, et en attirant à lui la sève ascendante et la consommant au préjudice des feuilles. Il est évident que le seul moyen de débarrasser les arbres de ces parasites, c’est de les couper à la base de manière à les empêcher de repousser et de donner des graines. C. B. de M.

Section iii. — Des animaux nuisibles en agriculture.

Le nombre des animaux redoutables aux cultivateurs est très-considérable, et on peut dire que tous peuvent lui nuire d’une manière ou d’une autre ; en effet, nos animaux domestiques, lorsqu’ils ne sont pas attachés ou gardés, ravagent nos cultures et dévorent nos récoltes. Le chien, le furet, le chat, qui nous aident à détruire certains animaux nuisibles, peuvent eux-mêmes se rendre déprédateurs. Enfin l’homme, qui est lui-même son plus utile serviteur, devient quelquefois le plus grand ennemi du cultivateur. D’un autre côté, plus de la moitié des animaux sauvages se nourrit de matières végétales, et, parmi ceux qui s’alimentent de substances animales, la plupart font la guerre aux espèces qui vivent elles-mêmes de plantes. « Ainsi le règne végétal, considéré dans son ensemble, dit M. de Candolle, est un vaste laboratoire ou une vaste association d’êtres par lesquels la matière brute est sans cesse transformée en matière organique, et devient par là propre à soutenir la vie du règne animal, tandis que celui-ci, immédiatement ou médiatement, vit tout entier aux dépens du règne végétal, et serait sans lui incapable de maintenir sa propre existence. » Mais l’homme, dans ses vues particulières, n’a pas intérêt à protéger cette harmonie universelle ; de même que lui vit aux dépens de bien des êtres qui sont obligés de lui obéir ou de disparaître devant sa puissance ou son adresse, de même, les végétaux et les animaux qui lui conviennent doivent être préférés et l’emporter sur tous les autres.

Les moyens divers par lesquels les animaux nuisent aux produits de l’agriculture, sont actifs et variés : les uns dévorent les feuillages et les jeunes bourgeons des végétaux, ce sont les plus redoutables, surtout lorsqu’ils portent leurs attaques au moment même de la naissance des plantes ; d’autres vont déterrer les graines confiées au sol pour en faire leur pâture, ou, vivans sous terre, s’en repaissent en cachette et les accumulent pour la saison d’hiver ; il en est qui s’attachent aux racines des végétaux, soit pour s’en nourrir, soit pour se creuser des galeries, et qui causent souvent ainsi les plus grands désastres. De nombreuses espèces vivent des fruits ou des graines qui sont l’objet des soins du cultivateur, et il en est qui déposent leurs germes dans les grains pour les poursuivre et les dévorer tout à leur aise dans nos greniers ; enfin, des classes entières d’êtres vivans, cherchent dans les plantes, non plus seulement le vivre, mais le couvert : ils s’y logent et s’y nourrissent, ou s’y abritent et s’y cachent seulement, ou y déposent leur progéniture, et, par tous ces actes, ils occasionent des accidens et souvent des maladies fort dangereuses pour les végétaux.

Avant d’entrer dans la revue détaillée de ces êtres malfaisans pour nos cultures, et des moyens spéciaux de s’opposer à leurs ravages ou de les écarter, indiquons quelques circonstances générales préservatrices pour les végétaux utiles.

Presque tous les animaux recherchent la tranquillité et la sécurité ; au nombre des circonstances qui les multiplient, il faut donc compter l’existence de grands espaces abandonnés à eux-mêmes, comme les forêts qui sont les repaires d’une foule d’animaux nuisibles, depuis le sanglier jusqu’aux hannetons ; comme les dunes, les landes, les bruyères, qui recèlent des légions d’animaux nuisibles qui se jettent sur les terrains cultivés dès qu’une cause quelconque a favorisé leur développement. On peut conclure de là qu’on augmente la multiplication des animaux nuisibles par les méthodes de culture qui laissent longtemps certaines terres sans être remuées.

Beaucoup d’animaux nuisibles, notamment de la classe des insectes, ne peuvent vivre que sur une espèce ou un petit nombre d’espèces de plantes. En faisant succéder, pendant une ou plusieurs années, des végétaux qui ne leur conviennent pas, on éloignera donc les chances de leur multiplication.

La malpropreté, le désordre, l’incurie, apportés dans le rangement et la conservation des produits de l’agriculture, sont des causes qui multiplient sans cesse les animaux nuisibles et augmentent leurs ravages.

L’une des causes qui favorisent le plus le développement des animaux nuisibles, c’est la destruction irréfléchie des autres animaux qui les détruisent eux-mêmes ; ainsi, des mammiféres, des oiseaux, des insectes qu’on poursuit journellement, rendent au contraire de signalés services : tels sont le hérisson et même la taupe, destructeurs des limaces, des vers, et d’une foule d’insectes ; les fourmis, destructives de beaucoup de pucerons, et surtout un grand nombre d’oiseaux insectivores.

Le gouvernement peut exercer une grande influence sur les améliorations agricoles qui résulteraient de la destruction des animaux nuisibles, principalement en tenant la main à l’exécution des lois concernant l’échenillage, et en les étendant aux hannetons ; et aussi en offrant des récompenses à ceux qui auront détruit une certaine quantité de ces êtres malfaisans : cela existe déjà pour les loups, et plusieurs propriétaires se sont bien trouvés, comme en Suisse, de proposer des primes par chaque boisseau de hannetons apporté.

Pour terminer ces généralités, nous ne pouvons mieux faire que de citer les réflexions d’un illustre botaniste. « La cause qui a rendu jusqu’ici peu fructueux les efforts de l’homme contre les animaux nuisibles et les mauvaises herbes, c’est que chacun, frappé du mal présent, a attaqué l’espèce qui lui nuisait dans un point donné, tandis que son voisin en attaquait une autre. Il serait préférable, si la chose était possible, que tous les efforts d’un grand pays se tournassent à la fois contre une même espèce d’animaux ou de plantes nuisibles, de manière à en détruire les œufs ou les graines. Alors on pourrait en attaquer d’autres graduellement, et on diminuerait ainsi sensiblement leur nombre ; tandis qu’aujourd’hui, chaque champ, chaque territoire rend à son voisin les animaux ou les herbes que celui-ci s’était donné la peine de détruire chez lui. Ainsi, l’industrie se trouve découragée ; et, pour vouloir attaquer à la fois toutes les espèces, on reste en réalité toujours en face du même nombre d’ennemis. Au surplus, il faut ajouter ici que si des combinaisons spéciales d’influences atmosphériques développent de temps en temps dans nos pays des légions d’une certaine espèce d’animaux nuisibles, d’autres influences tout aussi inconnues viennent également de temps en temps les détruire. » de Candolle

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Article ier. — Des mammifères ou quadrupèdes nuisibles.

Il n’y a aujourd’hui en France, parmi les mammifères, qu’un petit nombre des carnassiers, de rongeurs, de ruminans et de pachydermes qui puissent être nuisibles à l’agriculture.

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§ ier. — Mammifères carnassiers.

Famille des Carnivores. — Les animaux nuisibles compris dans cette famille, sont la fouine, la belette, le putois, la loutre, le renard, le loup et le chat sauvage.

Fouine (Mustela Foina, L.). Pendant l’été la Fouine (fig. 708) vit dans les bois, mais elle se Fig. 708. glisse de nuit dans les habitations isolées et les jardins, où elle mange la volaille, les œufs et les fruits. En hiver elle s’y établit à demeure, et se tient perpétuellement en hostilité avec les cultivateurs, à qui elle fait cependant quelque bien en détruisant les rats, les souris, les mulots et même les belettes. On lui fait la guerre avec des lacets de fil de laiton ; avec des assommoirs, tels que celui de la fig. 709 dont le bâtonnet ab se désarticule Fig. 709. en b quand l’animal appuie le pied sur la marchette ; avec des trébuchets plus ou moins semblables à celui de la fig. 710, qui se ferme par le Fig. 710. jeu de a, et qui est retenu fermé par b, b ; avec des pièges de fer qu’on place à l’ouverture des trous par où elle entre dans les greniers ; avec de petits chiens courans à jambes torses qui la poursuivent jusqu’au dehors du bâtiment, où on la tue à coups de fusil ; avec des poisons qu’on introduit dans de petits oiseaux, dans des cœurs de mouton, dans des œufs, mets qu’elle préfère, et qui servent aussi d’appâts dans les pièges. Si l’on parvient à traquer dans une seule pièce toutes les fouines qui sont dans une habitation, on les y tue à coups de bâton. On attirera les mâles en cachant, soit près d’un piège, soit dans un lieu où l’on se tiendra à l’affût, quelque objet frotté avec la vulve d’une femelle, si l’on parvient à en prendre une en chaleur, et l’on pourra faire longtemps usage de cette amorce, si on lave la vulve dans de l’huile qu’on emploiera à la place. La même manœuvre est conseillée contre le loup et le renard. Une fouine qui a pénétré dans un colombier ou un poulailler, y massacre tout ce qu’elle peut attraper, quitte à revenir la nuit suivante pour consommer, et, si elle a des petits, emporter ce qu’elle a été forcée d’abandonner la veille. Dans ce cas, on peut être sûr de la tuer a l’affût, la seconde nuit. — Ces moyens de destruction ne doivent pas faire négliger ceux de précaution ; il faut habituer les poules à coucher et à pondre dans le poulailler, tenir ceux-ci bien clos pendant la nuit, crépir exactement les colombiers, en munir l’entrée de feuilles de fer-blanc, etc.

Belette (Mustela vulgaris, L. fig. 711). Elle a à peu près les mêmes habitudes que la fouine, mais parait avoir encore plus de goût pour la Fig. 711. volaille et les œufs qu’elle transporte les uns après les autres dans son trou. Sa petitesse la dérobe davantage aux poursuites de l’homme. On dresse contre elle les quatre-de-chiffres, les traquenards (fig. 713), et les autres pièges ci-dessus indiqués. On la fait, dit-on, sortir de son trou en y introduisant de la rhue. Sa morsure passe pour venimeuse.

Putois (Mustela putorius, L.). Plus grand que la fouine, et reconnaissable à l’odeur infecte qu’il répand. Il vit près des lieux habités, cause de grands dégâts dans les garennes, ainsi que dans les basses-cours et les colombiers, où il s’introduit quelquefois pendant la nuit. Mêmes moyens de destruction que contre ses congénères.

Loutre (Lutra vulgaris). La loutre se nourrit surtout de poisson, et c’est par conséquent pour les étangs qu’elle est le plus redoutable. Tout l’art de la chasse à la loutre consiste à lancer l’animal dans un lieu où il n’y a que fort peu d’eau ; autrement elle échappe facilement aux chiens. On reconnaît sa présence dans le voisignage des étangs, a ses excrémens qui sont remplis d’écaillés et d’arêtes, et qu’elle a l’habitude de déposer sur quelque pierre blanche lorsqu’elle en rencontre une dans le voisinage. Quand on a découvert le chemin qu’elle suit habituellement, on y tend un traquenard (fig. 713), ou bien on la tue à l’affût.

Loup (Canis lupus, L.). Comme le loup est fort redoutable pour les troupeaux, on a imaginé toutes sortes de moyens, soit pour les préserver de ses attaques, soit surtout pour le détruire. Une simple lanterne portant quatre verres de différentes couleurs, suffit pour l’écarter d’un parc de brebis pendant la nuit ; on la suspend au côté de l’enceinte opposé à la cabane du berger. Les grandes chasses à courre et à tir, avec chevaux, lévriers et chiens courans ; les battues pour lesquelles tous les hommes armés d’une commune sont mis en réquisition au besoin ; enfin l’affût : tels sont les moyens par lesquels on attaque directement et tue le loup. Mais plus ordinairement on emploie, pour lui donner la mort ou le prendre vivant, des moyens détournés très-divers. Ainsi, par exemple, on met une pincée de noix vomique dans un cadavre de mouton ou de chien qu’on dépose surtout en hiver dans un lieu solitaire, après l’avoir traîné dans les chemins et sur la lisière des bois. Assez souvent on suspend à des arbres de forts hameçons garnis de viande qu’il happe et avale en entier, car il ne mâche pas. Quelquefois on établit dans un chemin étroit un hausse-pied (fig. 712) dont la marchette ff, appuyée sur la traverse c, la fait tomber quand elle est foulée par l’animal, de sorte que le petit morceau de bois plat auquel est attachée la corde e, n’étant plus retenu par la traverse c, le nœud coulant se relève avec l’arbre a en même temps qu’il se resserre et saisit l’animal. Plus souvent on a recours au traquenard simple (fig. 713) ou double, dont les demi-cercles, à, Fig. 713. d’abord fixés en ddd se rapprochent par l’effet de la détente d’un ressort b, quand l’animal marchant sur la planchette c, décroche en e les demi-cercles a, et le saisissent par le museau ou par la patte.

Les autres pièges sont destinés à emprisonner le loup : ce sont les enceintes et les fosses. L’enceinte formée d’un seul rang de pieux a une porte disposée de manière à rester fermée quand l’animal, ayant pénétré dans l’enceinte, où l’appellent les cris d’une oie, d’un chien ou d’un mouton qu’on y a placé, a rencontré des ficelles transversales correspondant à un bâton qui maintenait la porte à demi ouverte ; la porte de la double enceinte, au contraire, est établie de manière à revenir, après avoir été poussée, à l’état d’écartement où elle était d’abord ; l’intervalle entre les deux rangs circulaires de pieux n’est que juste ce qu’il faut pour laisser passer le loup ; celui-ci, une fois qu’il y est entré, comptant trouver le moyen de pénétrer dans l’intérieur de la double enceinte où l’on a placé une proie, tourne continuellement dans l’étroit passage, parce qu’il ne sait pas faire volte face, et qu’en poussant pour avancer la porte bâillant en dedans, il se ferme à lui-même l’issue qu’il cherche. Les fosses profondes de 8 à 10 pieds, et larges de 6 a 8 pieds, sont recouvertes tantôt simplement de baguettes, de mousse et de feuillage, tantôt de trappes à simple bascule ou à deux bascules qui se relèvent au moyen de contre-poids, quand elles ont été abaissées. Le plus souvent elles ne sont entourées d’aucune enceinte ; quelquefois elles sont bordées d’un double rang de pieux placés verticalement et recouverts d’une claie, ou obliquement dirigés et s’affrontant par le haut pour former une sorte de toit ; on place sous la galerie ainsi formée un chien ou un mouton, et le loup, après avoir cherché en vain à les saisir du dehors, s’élance et tombe dans la fosse.

Renard (Félix vulpes, L.). Les cultivateurs voisins des bois ont beaucoup à redouter, pour leurs basses-cours, leurs ruches et leurs vignes, le rusé et patient renard ; mais les chasseurs riches ou de profession se chargent volontiers de les délivrer de cet ennemi, dont ils peuvent d’ailleurs se défaire par les moyens employés contre le loup, ou par des assommoirs, des lacets en fil de laiton, et des fumigations. Différentes compositions dans lesquelles entrent en général des chairs grillées, du galbanum et du camphre, sont indiquées comme propres à servir d’appâts pour le renard. Il faut prendre les plus grandes précautions pour que le piège ne conserve pas les marques de la présence de l’homme, et surtout l’odeur qui lui est propre. La personne qui dresse un piège, qui traîne un appât sur le terrain où elle veut attirer la bête, fera donc bien de frotter la semelle de ses souliers et le piège lui-même, avec les substances qui servent d’appâts ou avec de la graisse. Elle devra aussi laisser autant que possible à l’emplacement qu’elle a choisi, son apparence naturelle.

Famille des Insectivores. — On a dit que le Hérisson commun (Erinaceus europœus, Lin.) (fig.714), qui appartient à cette famille, allait Fig. 714. à la maraude des pommes et d’autres fruits qu’il rapportait sur ses épines. Non seulement le fait n’est pas avéré, mais encore il est douteux que le hérisson touche jamais aux substances végétales ; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il a un grand appétit pour la chair ; aussi fait-il sa pâture de taupes, de rats, de mulots, d’escargots, de limaces, de vers de terre, de larves de hannetons et en général de tous les insectes, c’est-à-dire d’animaux dont le cultivateur est bien aise de se débarrasser ; et, comme d’ailleurs il est craintif, qu’il ne cherche ni à mordre, ni à griffer, au lieu de le détruire on devrait chercher, pour l’avantage des jardins, à en propager l’espèce qui devient rare.

Ce carnassier insectivore écarté, il n’en reste qu’un qui soit préjudiciable aux cultures en France ; c’est la Taupe (fig. 715). Cet animal vit essentiellement, sinon exclusivement, de la chair des petits animaux, notamment des grenouilles, des vers de terre, des vers-blancs et autres larves d’insectes. Sous ce rapport il est donc plus utile que nuisible au cultivateur, mais d’un autre Fig. 715. côté il lui cause beaucoup de dommage : 1° en bouleversant les semis ; 2° en s’emparant, pour faire son nid, de tiges de diverses graminées qu’il saisit par la racine et fait descendre sous terre ; 3° en creusant peu au-dessous de la surface de la terre de nombreuses galeries, qui dérobent aux plantes situées au-dessus l’appui et la nourriture, et qui deviennent des retraites pour d’autres animaux nuisibles, et des obstacles aux irrigations, ou qui, dans le voisinage des rivières, peuvent miner les digues et fournir un passage aux eaux ; 4° en coupant les racines qu’il rencontre ; 5° enfin en élevant des monticules qui rendent la surface des prairies inégales et le fauchage difficile. Néanmoins, tout n’est pas perte pour le cullivateur dans ces opérations de la taupe ; il faut y voir aussi une sorte de labourage, et lorsqu’on étend les taupinières à mesure qu’elles se forment, la terre neuve qui est ainsi continuellement ramenée à la surface fait beaucoup de bien à la prairie ; d’ailleurs, parmi les plantes dont la taupe entame les racines, il en est quelques-unes dont on est bien aise de se débarrasser, notamment le colchique d’automne, auquel elle a préférablement recours en cas de famine.

Ce mammifère vit solitaire et vient rarement à la surface du sol. Il se tient habituellement au pied d’un arbre, d’une haie ou d’un mur, dans un gite d’où il s’éloigne trois ou quatre fois par jour, principalement le matin et le soir, pour chercher sa nourriture et construire ses galeries. Il habite préférablement dans les terres douces et meubles, à moins qu’elles ne soient souvent labourées ou sujettes aux infiltrations et aux inondations. Le mâle est plus fort que la femelle. Celle-ci met bas, au printemps, et peut-être une seconde fois à une autre époque de l’année, 2 à 5 petits. Elle prépare en hiver, pour les y déposer, un nid souterrain couvert d’une voûte solide, dans un endroit élevé et ordinairement protégé par une haie ou un buisson ; on voit 4 ou 5 grosses taupinières fort rapprochées au-dessus de cette demeure. De son gîte la taupe creuse à peu près en ligne droite une galerie principale qu’elle prolonge quelquefois à plusieurs centaines de toises et d’où elle ouvre d’autres boyaux accessoires ; de distance en distance elle rejette en dehors la terre et forme ainsi les taupinières. La profondeur de ces chemins souterrains, les dimensions des monticules varient suivant l’âge et le sexe de l’animal et suivant le degré de chaleur ou de froid. La taupe travaille dans toutes les saisons, mais c’est au printemps qu’elle montre le plus d’ardeur à l’ouvrage. On empoisonne les taupes en imprégnant de noix vomique, d’arsenic ou d’autres drogues vénéneuses, les substances animales qu’elles recherchent pour leur pâture, et en plaçant ces préparations dans leurs galeries. On a remarqué que des noix simplement bouillies dans la lessive leur sont funestes, et ce moyen de destruction serait économique si elles consommaient plus volontiers le fruit. Les odeurs fortes leur sont contraires ; aussi a-t-on conseillé de les expulser de leur demeure en y introduisant de l’ail infusé dans l’huile de pétrole, préparation dont l’odeur seule paraît leur causer des convulsions. On les prend aussi en leur donnant la chasse ou avec des pièges.

M. Dralet a fait de la chasse des taupes à l’affût un art qui a ses principes et ses règles, fondés presque tous sur un seul point de fait : savoir que la taupe vient réparer les dommages faits à ses travaux dès qu’elle s’en aperçoit et qu’elle se croit seule. On cherche d’abord les gîtes et les galeries, puis on opère suivant les cas qui se présentent :

1o Supposons celui d’une seule taupinière (a fig. 716) : on l’enlève d’abord avec la houe et Fig. 716. l’on s’assure si elle n’a pas de communication avec d’autres. Pour y parvenir, on tousse dans l’ouverture qu’on a faite, c’est-à-dire à l’entrée des galeries, et l’on en approche en même temps l’oreille. Si la taupinière n’a pas de communication avec d’autres, la taupe, peu éloignée, est effrayée par le bruit, et on l’entend s’agiter ; alors on découvre avec la houe la galerie a b jusqu’en b, où l’on rencontre la taupe. Mais l’animal, connaissant le danger, a peut-être eu le temps de s’enfoncer verticalement en terre, suivant b c ; alors on le prend en creusant jusqu’en c ou en versant de l’eau en b et le forçant ainsi à s’y présenter. Si au contraire, en toussant, on ne l’entend pas se remuer, c’est une preuve qu’il y a une communication de cette taupinière avec d’autres, et alors on opère comme dans les cas suivans ;

2o Lorsque la taupe a élevé deux taupinières (ab, fig. 716) on fait une brèche d e longue de le plus de 9 pouces, dans la galerie qui les joint, et l’on ferme avec un peu de terre les deux orifices de la galerie d et e. La taupe ne tardera pas à venir réparer le dommage, et suivant le côté où elle se sera présentée, on découvrira la galerie de d en a ou de e en b. On peut aussi l’attendre au passage et la cerner entre le bout du manche de la houe qu’on aura posé derrière elle, et l’un des points d e qui sont bouchés.

3o Si la taupe a fait 3 taupinières (cde, fig. 716), on pratique deux ouverturefg, hi chacune entre deux taupinières consécutives, et, suivant le côté où l’animal se présente, on opère comme précédemment.

4o On peut toujours ramener au cas précédent ceux où le nombre des taupinières est supérieur à trois. Pour cela on ouvre toujours la première brèche au milieu de la chaîne que forment les taupinières et les galeries ; si la portion où s’est montrée la taupe comprend trois taupinières, on agit comme dans le troisième cas ; si elle en comprend un plus grand nombre, on la subdivise comme il vient d’être dit.

5o Si la taupe, ne venant pas souffler aux brèches, cesse aussi de souffler aux taupinières fraiches, c’est qu’elle s’est jetée dans la grande galerie pour regagner son gîte ; on l’y attaque en pratiquant plusieurs ouvertures à proximité du gite.

6o Se trouve-t-on près d’une taupinière extrême au moment où la taupe y souffle, on l’y retient prisonnière en donnant un grand coup de houe sur la galerie qui y aboutit.

7o Le cas le plus embarrassant pour le taupier est celui où de vieilles taupinières sont situées à proximité d’une des taupinières fraîches ou de plusieurs. Pour opérer avec sécurité, il faut commencer par intercepter toutes les communications entre celles-ci et celles-là, puis opérer comme dans les premiers cas.

Si l’on attaque plusieurs taupes à la fois, on doit être très-actif et très-vigilant, parce que, lorsqu’on est occupé à en guetter une, d’autres peuvent avoir le temps de traverser les parties des boyaux qu’on a mises à découvert. Pour s’apercevoir plus facilement de leurs mouvemens, on y plante de petits étendards de paille ou de papier dont l’agitation ou la chute indique la présence des taupes, auxquelles on rend encore le passage plus difficile, en plaçant dans la brèche une petite motte de terre. On reconnaîtra encore si une taupe vient souffler à une taupinière d’où l’on est obligé de s’éloigner, en l’aplatissant légèrement avec le pied.

Plusieurs pièges ont été inventés pour prendre les taupes. Le plus simple est un tube creux dans lequel elles entrent facilement en poussant une soupape, mais d’où elles ne peuvent sortir, parce qu’un rebord du tube ne permet pas à la soupape de s’ouvrir de dedans en dehors. Tantôt une seule extrémité est munie d’une soupape, l’autre restant fermée par un fond plein ou un grillage ; tantôt chacune a la sienne. Le cylindre doit avoir un diamètre un peu plus grand que celui des galeries. Dans les environs de Paris, on emploie généralement pour la même fin une pincette élastique dont les extrémités sont maintenues écartées l’une de l’autre par une plaque de tôle percée et légèrement retenue sur leurs bords. On fait aussi des pièges du même genre en croix de St. -André, au moyen d’un ressort placé dans l’angle supérieur. Le piège imaginé par le vicomte de Beaulaincourt (fig. 717) est une sorte de double collet : deux fils de laiton attaches en RR à la surface supérieure d’une planchette la traversent librement en UU, se courbent en cercle le long d’une rainure pratiquée dans deux anses de bois tenant à la planchette, Fig. 717. traversent de nouveau celle-ci par deux autres trous a a, et viennent, en se réunissant solidement avec un bout de cordon b qui a passé par un trou central dont elle est percée, s’engager dans un anneau o suspendu à l’extrémité d’un ressort à boudin d. Le piège est maintenu dans l’état de tension au moyen d’une petite fourche c dont la tête peut entrer légèrement dans le même trou que le cordon b et dont les deux branches divergentes barrent jusqu’à un certain point la galerie où elles sont placées ; c’est en les dérangeant que la taupe fait partir le ressort et se trouve prise par un des collets. Dans d’autres pièges du même genre, les collets sont simplement attachés à des cerceaux, à des branches élastiques fichées en terre et courbées, et ils sont maintenus en place, soit par une motte de terre affleurant une planchette qui est suspendue elle-même à la branche élastique, et que la taupe doit déplacer, soit par quelque cheville qui se décroche aisément quand elle est remuée, comme cela a lieu dans certaines souricières. Tous ces pièges sont d’un emploi avantageux, lorsque les taupes font des monticules fort éloignés les uns des autres, et surtout quand ils sont dressés sur la route qui conduit au gite de la taupe. Les fumigations sulfureuses ou autres ne réussissent qu’autant qu’on est parvenu à confiner la taupe dans une partie de sa demeure, qui n’a point d’autre issue que celle où l’on opère.

Quand on ne veut pas se donner la peine de détruire les taupes dans les prairies, on se borne à étendre les taupinières le plus tard qu’on le peut, c’est-à-dire lorsque l’herbe commence déjà à grandir, attendu que si l’on s’y prend trop tôt, il se forme bientôt un grand nombre de nouvelles taupinières.

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§ ii. — Mammifères rongeurs.

Genre rat (Mus). — Dans ce genre, tel que le circonscrivent les naturalistes modernes. Fig. 718. nous trouvons quatre ou cinq espèces qui font tort aux cultivateurs en France : 1° Le Rat noir (fig. 718) ou commun (Mus ratus, L.), qui vit dans les maisons, tue les poussins et les pigeonneaux, mange le grain, creuse les murs, ronge la paille et le foin, en un mot, qui causerait des dommages incalculables, s’il était aussi multiplié que la souris. Plus gros et moins rusé que celle-ci, il devient plus facilement la proie du chat, qui cependant ne le mange pas volontiers. On l’empoisonne avec la mort aux rats, c’est-à-dire avec de la graisse mêlée avec du pain et de la graine de ménisperme (coque du Levant) en poudre, qu’on remplace, quand on juge qu’il ne peut y avoir de danger pour les enfans ou pour d’autres animaux, par du verre pilé, du vert-de-gris ou de l’arsenic. On se sert aussi d’une éponge qu’on a fait griller avec du beurre salé ; cette préparation excite chez le rat qui l’a dévorée une soif ardente, et l’eau qu’on met à sa disposition devient elle-même une cause de mort pour lui. On le prend aussi avec des pièges de diverses sortes, notamment avec de grandes souricières ou ratières, qu’on amorce avec du lard, du fromage, des noix rôties, etc. — Deux méthodes pour le faire tomber dans un réservoir d’eau où il se noie, sont indiquées par M. Loudon. 1re : On accoutume les rats à venir manger sur un tonneau peu élevé, mais large et couvert d’un plancher de bois ; au bout d’une semaine, on le remplit d’eau à une hauteur de 6 pouces environ, on place au milieu un morceau de brique ou de pierre qui s’élève d’un pouce ou deux au-dessus de la surface de l’eau, et l’on remplace le couvercle de bois par une peau de parchemin à laquelle on fait plusieurs incisions croisées au centre, et sur laquelle on place l’appât. Les rats qui tombent à travers ces ouvertures s’empressent de se réfugier vers la pierre, et leurs lamentations, qui ne tardent pas à être suivies de combats, attirent vers le lieu fatal tous les rats du voisinage. — 2e : La trappe inventée par M. Paul de Starton (fig. 719 et 720) est très Fig. 719. Fig. 720. ingénieuse. On l’établit sous quelque appentis qu’on sait être fréquenté par les rats, ou dans lequel on les a habitués à se réunir, et l’on en rend les abords séduisans en l’entourant de fagots, de menu bois, de paille, etc. Le piège se réduit essentiellement à une auge nm, à une trappe hc qui y est pratiquée, à une sorte de vase en cône renversé b sur lequel s’ouvre la trappe, à un petit conduit cc qui part du fond de ce vase, enfin à un tonneau où le conduit cc aboutit et qui est enfoncé en terre. Ce tonneau est en partie rempli d’eau ; à sa paroi est adaptée une bascule qui, en s’abaissant momentanément, laisse glisser dans l’eau le rat qui a cru y trouver un refuge. La trappe est dans une sorte de défilé LJ au-delà duquel est placé l’appât ; elle ne doit pas céder à la première pression que fait la patte du rat ; c’est pour cela que le bout opposé au contre-poids h est garni d’une lame de fer et appuie sur un petit rebord de forme courbe. Comme leurre, on emploie de la drêche peu colorée qu’on oint d’huile de carvi, et de la paille de froment.

Souris (Mus musculus, L.). Nous n’avons rien à dire de particulier de cette espèce (fig. 721), qui ne vit guère dans les champs et que Fig. 721. l’on combat avec les armes employées contre les rats.

Surmulot (Mus decumanus, Pall.). Plus grand que le rat noir qu’il détruit partout où il pénètre. Vorace, hardi et recherchant moins les grains que la chair, il fait la guerre à tous les petits animaux et se bat contre les chats. Il est des lieux où l’on ne peut sauver de sa dent les couvées de toute espèce qu’avec des précautions sans nombre, car il perce les murs. Il habite volontiers dans le voisinage des cimetières, des voiries, des rivières et des grands établissemens ; on le fait sortir de son trou en y versant de l’eau ou l’enfumant pour l’assommer à coups de bâton dans des sacs placés à l’entrée ; on lui dresse des pièges de toute espèce, on le poursuit avec des chiens dressés à cette chasse, et on l’empoisonne. Il faut varier souvent les appâts.

Mulot (fig. 722) ou grand rat des champs Fig. 722. (Mus sylvaticus, L.). Un peu plus gros que la souris et le campagnol. Il vit dans le voisinage des forêts et dans les pays de montagnes, d’où il se répand dans les champs à l’époque des semailles et des moissons pour y dévorer autant de grains qu’il le peut. Il fait de grandes provisions pour l’hiver. Il est très-commun dans certains cantons, et sa multiplication, habituellement moindre que celle du campagnol, est parfois étonnante ; elle devient alors un fléau. Il est moins nuisible aux plantes cultivées dans les champs qu’aux arbres dont il ronge l’écorce et endommage les racines. Il ne fouit pas volontiers et se réfugie dans les trous pratiqués par d’autres animaux. Mêmes moyens de destruction que pour le campagnol.

Vraisemblablement cette espèce est souvent confondue avec le Rat champêtre (Mus campestris, Fr. Cuv.) et le Rat des moissons (Mus messorius).

Genre Campagnol (Arvicola). Le Campagnol ou petit rat des champs (fig. 723), vit principalement Fig. 723. de grains qu’il sait mettre à sa portée en sapant les tiges ; il se tient donc surtout dans les champs ; mais il se jette aussi dans les prairies hautes où il ronge des racines, ainsi que dans les jardins et dans les bois, où il consomme des fruits. Il fait de grandes excursions pour se procurer sa nourriture, mais il revient toujours à sa première demeure. Au rebours des mulots, il creuse sans cesse de nouveaux trous et ne fait pas de provisions. Les oiseaux de proie, les nocturnes surtout, les petits mammifères carnassiers, les chats, détruisent beaucoup de campagnols ; quelques chiens les chassent avec fureur. Ils périssent aussi par milliers dans les inondations et après les grandes pluies ; néanmoins leur nombre est toujours trop considérable pour le cultivateur. On les combat donc par différens procédés : dans les terrains forts, par l’ouverture de fosses profondes de 18 à 20 pouces, plus larges en bas qu’en haut, et dont on aplanit bien les parois ; par le forage, c’est-à-dire, en pratiquant des trous dans le sol au moyen de tarières ; par les fumigations sulfureuses répétées sur les trous ouverts dans l’intervalle d’une nuit, après qu’on a bouché tous ceux qu’on avait trouvés ouverts la veille ; dans tous les terrains, en inondant leurs demeures, en y introduisant des bâtons ferrés, en faisant fouiller le terrain par les cochons, ou suivre la charrue par des enfans qui tuent tous les animaux que le soc amène au jour, en dressant des chiens pour les chasser, en recourant aux préparations empoisonnées, etc.

Lérot (Myoxus Nilela, Gm.). Nos vergers, et surtout nos espaliers de pêchers ou d’abricotiers sont quelquefois dévastés par le Lérot, espèce qui appartient au même genre que le Loir, mais qui n’est pas de la même espèce, quoiq’uon lui donne souvent ce nom. On le chasse la nuit pendant qu’il mange, en portant devant soi une lumière artificielle, et a coups de bâton. On lui tend des pièges lorsqu’il sort de son sommeil d’hiver, parce qu’alors il est affamé ; on l’attire avec des fruits huileux, ou de la viande. Son habitation se fait reconnaître à la mauvaise odeur qui en sort, et aux excrémens qui sont à l’entrée.

Hamster (Cricetus). Le Hamster commun, qu’on appelle aussi cochon de seigle, marmotte de Strasbourg, n’habite en France que l’Alsace ; il creuse en terre des trous qui ont jusqu’à 5 ou 6 pieds de profondeur, et il les remplit de grains dont il peut à chaque voyage apporter jusqu’à 3 onces dans ses abajoues. On n’indique pas de méthode particulière pour sa destruction.

Nous croyons inutile de parler ici du lièvre, du daim, du cerf, du chevreuil et du sanglier, animaux qui sont l’objet de la chasse proprement dite, et qui ne peuvent pas causer de grands dommages au cultivateur.

Comme moyen de destruction pour tous les animaux qui se cachent dans des trous ou des terriers, M. Thénard a indiqué l’emploi de l’hydrogène sulfuré : on mêle exactement dans un mortier ou un poêlon 4 onces (en général 4 parties en poids) de limaille de fer et 3 de fleur de soufre ; on place ensuite le mélange dans un autre vase et on l’humecte partout d’eau bouillante en le remuant ; il se forme presque aussitôt du sulfure noir ; quand l’action, commence à s’affaiblir, on ajoute 4 nouvelles parties d’eau en 2 fois, à 7 minutes d’intervalle, et quand la matière couverte d’une couche du liquide n’est plus qu’à la température de la main, on l’introduit dans des flacons au moyen d’un entonnoir et d’une cuillère de fer. Ces flacons doivent avoir 2 tubulures, l’une pour l’introduction de l’acide sulfurique, l’autre pour donner issue au gaz hydrogène sulfuré. On ajoute l’acide par portions, après avoir engagé l’extrémité du tube qui passe par la 2e tubulaire dans le trou qu’on veut infecter, et en l’assujettissant par du plâtre ou de la terre glaise. Si quelque fente du sol ou du mur laisse échapper du gaz, on y versera quelques gouttes d’acide sulfurique faible sur une très-petite quantité de chlorure de chaux. J. Y.

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Art. ii. — Des oiseaux nuisibles.

C’est surtout à l’égard de cette classe d’animaux qu’il convient d’agir avec précaution dans les attaques qu’on doit lui porter, et même, en France où il existe une conspiration permanente contre la gent volatile, nous avons peut-être plus besoin de faire valoir les services qu’elle rend, que d’indiquer les moyens de la combattre. On connait ce fait arrivé dans le Palatinal, où, une prime ayant été offerte par tête de moineaux dont les cultivateurs se plaignaient beaucoup, après leur destruction, les dégâts bien plus redoutables causés par les insectes devinrent tels, qu’on se hâta d’offrir une prime pour l’importation des oiseaux qu’on avait considérés comme des ennemis, tandis qu’ils n’étaient que des serviteurs un peu dispendieux.

Les oiseaux ne sont guère nuisibles à l’agriculture que par la consommation qu’ils font des graines et fruits pendans par racines ou confiés à la terre pour semences. Quelques-uns cependant arrachent les jeunes plants en cherchant leur nourriture dans les terres fraîchement remuées, et d’autres coupent ou déchiquètent les jeunes bourgeons naissans ; mais ces dégâts sont peu graves et ne méritent point à leurs auteurs une guerre à mort.

Quant aux oiseaux granivores, on range parmi eux les Corbeaux, les Corneilles, les Freux, les Pies, les Geais, les Grives, les Merles, les Etourneaux, les Alouettes, et bien d’autres ; mais c’est à tort, car tous sont omnivores, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent de substances animales et végétales : en sorte que, s’ils sont nuisibles au cultivateur en été et en automne, parce qu’ils déciment les graines qu’il était sur le point de récolter, ou lui ravissent une partie de celles déposées dans le sol pour la germination, ils lui rendent en compensation, pendant toutes les saisons, de signalés services en détruisant partout d’immenses quantités d’insectes. Faisons remarquer que plusieurs semblent préférer cette dernière nourriture, et qu’en tous cas, les insectes, par la destruction desquels ces oiseaux sont utiles au cultivateur, deviennent leur seule nourriture pendant la saison où les provisions sont rares, tandis que nos grains ne sont à leur portée qu’à des époques où les vivres de tout genre abondent. Depuis quelques années, les cultivateurs semblent élever plus de plaintes sur les ravages que leur causent les insectes, et beaucoup de personnes pensent qu’on peut attribuer leur multiplication à la destruction irréfléchie des oiseaux. M. Loudon, la Société d’horticulture de Berlin, celle d’histoire naturelle de Gorlitz qui soutient que la diminution des fruits est en raison de celle des oiseaux ; les Sociétés de Metz et de Mâcon, ont publié des Mémoires sur l’utilité des oiseaux. « De l’autre côté de la Manche, dit un de ces écrits, nous ne détruisons pas ces oiseaux en entomovores, au contraire nous les protégeons ; le paysan même les respecte et ne permet point a ses enfans de s’en emparer. Nos campagnes en sont plus vivantes ; en hiver nos bois et nos bosquets sont peuplés de ces animaux, et en été les insectes ne pullulent pas au point d’être nuisibles. On voit, pendant les travaux des champs, des volées de corneilles s’abattre sur les sillons, fouiller la terre fraîchement remuée et se repaître des larves d’insectes qu’elle renferme ; lorsqu’on tue ces oiseaux, l’ouverture du gosier prouve qu’ils ne mangent pas de blé, mais seulement les insectes. » Au reste, ces oiseaux sont utiles ou nuisibles au cultivateur à des degrés fort divers.

Les Perdrix (Perdix cinetea et rufa), les Cailles (Perdix cothurnix), les Bruans ( Emberisa, Lin.), les Alouettes (Alauda), vivent bien un peu aux dépens de nos récoltes, mais elles consomment une bien plus grande quantité de fourmis si funestes aux champs et aux jardins, et de graines des plantes agrestes qui, sans les oiseaux, couvriraient bientôt le sol de leurs produits inutiles ou nuisibles. Ces oiseaux nous rendent donc des services, et, dans notre pays où la chasse est libre, ce moyen suffit grandement pour en limiter la reproduction.

Il n’en est pas de même des Pigeons (Columba), qui vivent en très-grande partie aux dépens du cultivateur. Mais les Pigeons ramiers (Columba palumbus, Lin.) sont peu nombreux, et les Pigeons de nos colombiers (Columba Livia, Lin.) sont des oiseaux domestiques dont la multiplication peut convenir dans la basse-cour, devant toutefois être limitée dans de justes proportions par le cultivateur et réglée par la loi dans l’intérêt général. Pour éviter leurs déprédations dans les champs récemment ensemencés, on doit y poster des enfans ou des chiens comme gardiens, et n’ensemencer que la portion de terre qu’on peut presque immédiatement recouvrir.

Le Corbeau commun (Corvus corax, Lin.), le Corbeau corbine (C. corrone, Lin.), le Freux, la Corneille (C. cornix, Lin.), vivent de tout, même des petits animaux vivans, des charognes, insectes, graines, etc., etc. ; mais ils paraissent préférer les vers de terre, les larves de hannetons (vers-blancs), les mulots, les crapauds, tous les animaux nuisibles à l’agriculture ; ce sont eux qui suivent souvent le laboureur pour profiter de ce qu’il met à découvert. C’est dans les terres ensemencées qu’ils causent des dégâts, soit en fouillant le sol meuble, soit en déterrant les graines de pois, de haricots, de vesces, et même le blé. Il en est de même des Pies (Pica) et des Geais (Corvus glandarius, Lin.), qui mangent cependant davantage les fruits des vergers.

Les Grives (Turdus musicus, Lin.), les Etourneaux (Sturnus vulgaris, Lin.), ne sont guère nuisibles qu’au jardinier et au vigneron, par la grande consommation de fruits rouges et de raisins qu’ils font ; car, en général, ils vivent d’insectes et rendent ainsi à l’agriculture un grand service. Les etourneaux suivent même les troupeaux pour les délivrer des taons, des asiles, des stomoxes, des mouches et autres insectes qui les tourmentent.

Les Pics et notamment le Pivert ou Pic-Vert (Picus viridis), creusent des trous profonds dans les troncs des arbres pour y faire leurs nids ; ils causent ainsi un tort assez grand aux forestiers ; mais, en compensation, combien ils détruisent d’insectes qu’ils vont chercher jusque sous les écorces les plus dures ! Et les fourmis, combien ils en avalent en leur tendant pour appât leur longue langue rétractile et gluante qu’elles prennent pour un ver et à laquelle elles viennent s’attacher !

Les Gros-Becs (Loxia coccothraustes, Gm.), et les Bouvreuils (Pyrrhula vulgaris, Briss.), sont généralement nuisibles, et les cultivateurs peuvent leur faire la chasse, parce que, pendant l’hiver et surtout au printemps, ils vivent de boutons et font ainsi quelquefois beaucoup de tort aux arbres fruitiers ; ils sont au reste assez rares. Il n’en est pas ainsi des Pinsons (Fringilla cœlebs, Lin.), des Chardonnerets (F. carduelis, Lin.), des Linotes (F. cannabina), des Verdiers (F. chloris, Gm.), etc. qui vivent bien principalement de graines, mais recherchent surtout celles peu volumineuses des plantes sauvages.

Le Moineau (Fringilla domestica), le plus commun de tous nos oiseaux, semble frappé de réprobation. On regarde comme certain qu’il mange annuellement plus d’un demi boisseau de blé ; mais, en compensation, Richard Bradley a calculé qu’il détruit dans une semaine 3,360 bruches ou autres insectes. On peut donc considérer comme douteux s’il est plus nuisible qu’utile. Néanmoins, comme sa hardiesse est extrême et qu’il vient piller nos produits avant la récolte, dans les granges, les greniers, les cours et jusque dans les habitations ; comme sa multiplication est très-rapide, il semble convenable de laisser à son égard aux chats et aux enfans toute latitude de destruction. Ce moyen suffit le plus souvent, mais il en existe un grand nombre d’autres plus prompts et plus efficaces encore. Ainsi, comme les moineaux se couchent ordinairement dans les haies, un homme se place, lorsque la nuit est close, à une des extrémités de cette haie, tenant étendu un Rafle ou filet contremaillé, composé (le trois rets les uns sur les autres, de 6 pieds de large, attaché à 2 bâtons ; un autre homme se place derrière avec une lumière, et un 3e va attaquer la haie à l’extrémité opposée et revient doucement retrouver les autres en frappant légèrement la haie avec un bâton ; les moineaux effrayés se sauvent du côté de la lumière et s’embarrassent dans le filet où on les prend ; cette chasse, surtout à certaines époques, est extrêmement destructive. — On peut aussi disposer un grenier de manière qu’il n’y ait que deux fenêtres, dont l’une est garnie d’un filet contremaillé fixé à demeure, et l’autre de volets croisés qu’on puisse fermer à volonté de la cour ou de l’intérieur, ; à l’aide d’une poulie de renvoi et d’une corde ; on attire les moineaux dans ce grenier par de mauvaises graines, et lorsqu’ils y sont entrés en foule, on ferme la fenêtre a volets ; tous les moineaux se jettent aussitôt vers celle fermée du filet et s’y prennent. — Les pots, que dans beaucoup de lieux on présente aux moineaux pour faire leur nids, permettent la destruction d’un grand nombre ; on peut disposer ces pots sur les branches d’un arbre sec, ou le long des murailles. — Du reste, les fantômes et divers épouvantails sont d’une faible défense contre les moineaux, qui s’y accoutument et les bravent très promptement. Plusieurs enfans ne suffisent pas toujours pour les empêcher de marauder dans les chènevières et autres récoltes dont ils sont très-avides. Les moineaux attaquent moins les seigles et les fromens barbus que les autres espèces.

Quant aux oiseaux entièrement insectivores tel que le Martinet (Hirundo apus, Gm.), l’Hirondelle (Hirundo rustica, Lin.), les Fauvettes, Pouillots, etc. (Sylvia hortensis et orphea, S. Ptotonotarius, Lin.), les Roitelets (S. regulus, et S. troglodytes, Lath.), le Rossignol (Motacilla luscinia, Gm.), le Rouge-Gorge (Motacilla rubecula), la Mésange (Parus major, Lin.), et une foule d’autres à becs effilés ou très-larges, non seulement on ne doit pas chercher à les détruire, mais au contraire le cultivateur doit les protéger ; il serait même à désirer que le gouvernement proposât des mesures législatives qui missent un terme à la destruction que les petites chasses et les enfans font de ces serviteurs tout-à-fait désintéressés, qui ne cessent de travailler pour nous sans rétribution.

L’échenillage exécuté avec soin pourrait détruire un grand nombre de chenilles sans doute, mais pas assez pour faire disparaître leurs ravages ; il ne détruit guère que les œufs déposés avant l’hiver. Mais les chenilles des pontes printanières qui naissent peu après ces pontes, et dont le nombre est immense, lui échappent ; à côté de ces chenilles marchent les innombrables cohortes des insectes de toutes les classes et de leurs larves, qui dévorent le bois, l’écorce, les racines, détruisent les fleurs, les embryons des fruits et s’établissent à demeure dans le fruit même. Quelles mesures de police rurale, quelles lois pourraient être efficaces contre de tels ennemis ? Les lois de la nature qui, toujours bonne, toujours prévoyante, a placé le remède à côté du mal ; ce remède, nous le trouvons dans les oiseaux que nous venons de citer, qui vivent presque exclusivement d’insectes, et ne peuvent se nourrir de graines. À côté d’eux il en est d’autres, tels que les Pics (Pici), les Torcols (Yunx torquilla, Lin.), les Grimpereaux (Certhia familiaris, Lin.) etc., qui, doués d’un instinct partilier, s’attachent de préférence aux larves cachées dans les écorces et dans l’intérieur même des arbres ; ils enfoncent leurs becs effilés dans ces galeries pour surprendre le mineur, en frappant sur l’arbre à coups redoublés pour le faire sortir.

Et c’est à ces petits êtres si industrieux, si inoffensifs, si utiles, destinés par le Créateur à conserver, à animer nos forêts silencieuses, nos bosquets, nos plantations, qui récréent à la fois la vue par la vivacité de leurs couleurs et l’ouïe par l’agrément de leurs chants ; c’est à ces petits êtres, disons-nous, que nous permettons à une jeunesse imprévoyante et inconsidérée de déclarer une guerre cruelle, acharnée, constante, capable enfin d’anéantir les espèces si l’on ne se hâte d’y mettre un terme ! Déjà l’Ecosse tout entière n’entend plus le chant du rossignol ! Mais un mal beaucoup plus grave qui nous menace, c’est la multiplication excessive des insectes malfaisans. Pouvons-nous ne pas le craindre lorsque nous voyons nos enfans fureter sans obstacles jusqu’au moindre buisson pour découvrir les nids, déranger les couvées, prendre à pure perte les jeunes à peine éclos, attendre ceux qui échappent, secondés alors par une foule de chasseurs, à l’abreuvoir, à la pipée, à la tendue, leur dresser enfin des pièges de toute sorte ? C. B. de M.

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Art. iii. — Des Mollusques nuisibles.

Parmi les mollusques, deux genres seulement sont sensiblement nuisibles aux intérêts de l’agriculture : ce sont les Hélices ou Limaçons (Hélix), et les Limaces (Limax) appelées loches dans diverses contrées.

Le genre Limaçon, trop connu des cultivateurs pour que nous cherchions à le décrire, appartient aux coquillages de la classe des univalves ; il comprend un grand nombre d’espèces qui toutes vivent aux dépens des végétaux et dont quelques-unes sont tellement multipliées qu’elles causent de grands désastres dans les champs et surtout les jardins. Le grand escargot, connu vulgairement sous le nom d’Escargot des vignes (Hélix pomatia, Lin.), est de ce nombre ; sa coquille, ordinairement de plus d’un pouce de diamètre, est d’un gris fauve avec des bandes plus pâles et des stries. L’animal est gris. L’Hélice chagrinée ou la jardinière (Hélix adspera, Mull.) est de toutes peut être la plus commune ; sa coquille, moins volumineuse que celle de l’espèce précédente, est jaunâtre, rugueuse, avec des bandes brunes ; elle a l’ouverture blanche ; l’animal est verdâtre. L’Hélice livrée (Hélix nemoralis, Lin.) est encore plus petite ; sa coquille est jaune, unie, rayée de bandes brunes, ou brunâtres, plus ou moins nombreuses, avec le bord interne de son ouverture de couleur foncée. Enfin, dans le midi on cite également, parmi les espèces les plus répandues et les plus dévastatrices, malgré leur petite taille, L’Hélix rodostome (Helix pisana, Mull.), dont la coquille est globuleuse, blanche, rayée et tachetée de bandes et de points jaunes.

Tous les limaçons restent cachés, soit dans le sol même, soit aux pieds des murs de clôture ou dans les anfractuosités des rochers, pendant la partie la plus chaude des journées de la belle saison. C’est la nuit, ou lorsque le temps est doux et sombre, qu’ils sortent de leurs retraites et qu’ils se jettent avec avidité sur les jeunes végétaux. C’est donc le soir, un peu tard, le matin de bonne heure, ou après la pluie, qu’il faut leur faire la chasse. Pendant l’hiver ils se retirent également dans les trous les mieux garantis des gelées, ils ferment l’ouverture de leur coquille par une substance d’un aspect cartilagineux, et passent ainsi jusqu’à 5 et 6 mois sans manger. Cette époque est celle où il est le plus facile de les détruire, parce qu’on les trouve en grand nombre dans les mêmes cavités. C’est aussi celle où les limaçons sont le plus recherchés des personnes qui les aiment. Il paraît que les Grecs et les Romains en faisaient beaucoup d’usage comme aliment. On retrouve dans leurs auteurs qu’ils construisaient des espèces de garennes où ils les engraissaient. Ils estimaient surtout ceux qui venaient des îles de Sardaigne et de Chio, de la Sicile, des Alpes, de la Ligurie et de l’Afrique. En Silésie, aux environs de Brunswick, et dans d’autres contrées, on est encore dans l’usage de garder les limaçons qu’on a ramassés pendant l’été, dans des fosses faites exprès, recouvertes en treillage, et dans lesquelles on les nourrit avec des herbes particulières dont font partie le thym et le serpolet, pour les manger à l’époque des froids. On sait que les Brabançons et les Liégeois en forment une espèce de hachis dont ils sont très-friands ; que les Suisses, les Bourguignons, etc., les font cuire avec leurs coquilles dans de l’eau de fontaine à laquelle on ajoute parfois du vin, et qu’on les assaisonne ensuite après les avoir extraits de leur coquille, avec du bouillon, des épices, quelques tranches d’orange ou de citron et du beurre frais. « On en fait aussi, dit Valmont de Bomare, de petits pâtés très-estimés des gourmands. Nous avons vu, ajoute-t-il, aux environs de La Rochelle, des paysans occupés dans les campagnes a ramasser une très-grande quantité de petits limaçons à coque bigarrée de jaune et de noir, que l’on mettait dans des barriques remplies de branches croisées çà et là, afin que les limaçons pussent s’y disperser sur des surfaces multipliées. Cette récolte de limaçons était destinée pour l’Amérique, et il y a des années où les négocians du pays font commerce de ces animaux vivans. Ces limaçons se collent contre les branches ou les parois de la futaille, et de cette manière ils peuvent faire le voyage sans périr de faim, parce qu’ils ne dissipent que peu de leur humeur visqueuse. Il y a des pays où on les flait cuire dans leur coquilles, sur la braise, et on les mange ainsi. »

Nous avons cru devoir entrer dans ces courts détails, pour faire voir que si la chasse aux hélices est accompagnée de quelque ennui, et exige, par sa lenteur, un certain emploi de temps, elle ne laisse pas, d’un autre côté, d’être assez fructueuse. Il y a donc une double raison pour ne pas la négliger. Ajoutons que de tous les moyens proposés pour détruire ces animaux, c’est aussi le plus sûr. Malheureusement, ce qui est praticable en jardinage et sur de petits enclos, cesse de l’être en grand. Dans les champs et les bois, les blaireaux et surtout les hérissons suppléent à l’homme ; la multiplication de ce dernier animal complètement inoffensif pourrait devenir un bienfait dans un grand nombre de localités, car les hérissons non seulement détruisent les escargots, les limaces, les vers de terre, et en général tous les insectes, mais on les a vus se nourrir de taupes, de mulots et même de jeunes rats.

Les Limaces (Limax) sont des mollusques nus dont l’organisation, à la coquille près, puisqu’elles n’en ont pas, se rapproche beaucoup de celle des limaçons. Les espèces les plus destructives sont la Limace rouge, les Limaces noire et cendrée, et la Limace agreste, qui est d’un blanc sale.

Comme on l’a fort bien dit dans tous les livres : « Les limaces mangent la plupart des plantes que l’homme cultive, presque tous les fruits qu’il préfère. C’est principalement dans les semis qu’elles font de grands ravages, parce que les herbes tendres leur plaisent davantage, et que chaque coup de dent est la perte d’un pied. Dans certains cantons et dans certaines années elles sont un véritable fléau. »

C’est la Limace agreste qui, par sa désolante multiplicité, cause, malgré sa petite taille, le plus de dommages aux cultures champêtres et jardinières. Presque toutes les plantes cultivées conviennent dans leur jeunesse à sa voracité. Cachée pendant le jour près des racines ou sous les petites mottes qui lui procurent de l’ombre, et ainsi à l’abri des recherches de ses ennemis, elle se répand le soir a la surface du sol, et, d’un semis qui donnait la veille les plus riches espérances, il ne reste souvent le lendemain matin aucune trace.

On connaît et on met en usage plusieurs moyens pour détruire les limaces. Comme il serait difficile de faire la chasse aux petites espèces autrement qu’en leur tendant des pièges, dans les jardins on dispose ça et là des planches, des ardoises ou toutes autres pierres plates qui laissent entre elles et le sol un léger intervalle ; dans les champs on répand sur le terrain infesté un grand nombre de feuilles de choux sous lesquelles ces animaux se retirent et s’attachent de préférence. Le lendemain dans le coûtant du jour, on enlève ces feuilles pour les donner aux cochons qui les mangent avec d’autant plus d’avidité que le nombre des limaces est plus considérable, ou aux volailles qui les recherchent et les détruisent en fort peu de temps jusqu’à la dernière. Dans certains cantons on regarde comme le meilleur moyen à employer pour se débarrasser de ces mollusques, de laisser les dindes parcourir dès le matin les champs de blé, de colza, de navette, de carottes, etc., etc., qu’ils commencent à dévaster. « Je les ai vus, dit Bosc, disparaître en peu de jours d’une ferme qui en était infestée, par l’acquisition que fit le propriétaire d’un troupeau de ces animaux. Les poules, les canards, rendent le même service, mais il est plus difficile de les conduire. Au reste, il est rare que les limaces (je veux dire les jeunes, car les vieilles ne sont jamais très-nombreuses) soient communes deux années de suite. Un été sec et chaud, un hiver très-froid, leur sont également funestes ; elles périssent alors par millions. Un hiver très-doux ne leur est guère plus avantageux, parce qu’alors elles sortent de leurs retraites, et que les corbeaux, les plus dangereux de tous leurs ennemis, en font une grande déconfiture. » Il est vrai que ces animaux redoutent beaucoup les intempéries des saisons ; cependant nous connaissons des localités où tous les ans ils sont plus ou moins à craindre.

Plusieurs substances minérales qu’il est ordinairement assez facile de se procurer, font périr les limaces ou tout au moins les éloignent efficacement des terrains sur lesquels on les répand. Tels sont la chaux, les cendres, le sable très-fin, etc. Lorsqu’on les met en contact avec la première de ces substances, on les voit immédiatement se contracter, rejeter en abondance une matière visqueuse qui entraîne avec elle les molécules alcalines, et si l’effet se prolonge, elles changent de couleur, se raidissent et meurent. Les cendres non lessivées produisent à un moindre degré des effets analogues ; aussi partout où l’on peut saupoudrer la surface de la terre de l’une ou des autres, n’a-t-on à peu près rien à craindre des limaces tant qu’une pluie ou un arrosement n’a pas éteint la chaux ou aggloméré les cendres, auquel cas il faudrait recommencer l’opération. Le sable fin, tant qu’il n’est pas mouillé, s’attache au corps toujours glutineux de l’animal et paraît opérer sur lui, soit en gênant ses mouvemens de progression, soit de toute autre manière, un effet si désagréable, qu’il rebrousse immédiatement chemin dès qu’il rencontre un pareil obstacle. O. L.-T.

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Art. iv. — Des insectes nuisibles.
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Partie i. — Tableau des insectes nuisibles dans l’agriculture et l’économie rurale.

Quoiqu’on décrive spécialement aux articles de la vigne, de l’olivier et des principales cultures, les divers insectes qui ravagent ces végétaux, l’agronome n’en doit pas moins étudier avec soin les races malfaisantes qui dévastent ses productions les plus essentielles, comme les céréales et frumentacées, les plantes légumineuses, les herbes potagères, les arbres fruitiers, enfin qui attaquent les comestibles en général, ou les bestiaux et autres animaux domestiques. Non seulement il s’agit de rechercher les procédés les meilleurs pour la destruction de ces petits et dangereux assaillans, mais encore comment on doit s’opposer à leur multiplication. En effet, si l’on ne connaît pas les habitudes ou mœurs des insectes, on ne pourra point les anéantir aussi avantageusement, puisque les méthodes doivent être appropriées aux genres d’ennemis que l’on veut combattre avec succès.

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§ ier. — Insectes destructeurs des céréales.

Les graminées, en général, sont infestées par trois principales classes d’insectes : 1o  des Coléoptères ; 2o  des Lépidoptères ; 3o  et des Diptères.

Parmi les premiers, le Taupin strié (Elater striatus, Fabr.), dans l’état de larve, cause de grands dégâts en rongeant les racines du froment ; mais personne n’ignore que la famille des Charançons ou Becmares, et surtout la Calandre (Calandra granaria), ne détruise immensément de grains, en dévorant, à l’état de larve surtout, l’intérieur farineux du blé. Sa forme est assez connue pour nous épargner sa description. La tête de l’insecte parfait porte un bec ou trompe longue, cylindrique, un peu courbée, avec des mandibules dentelées, des mâchoires velues. Le corps est de forme elliptique, déprimé, dur ; les pattes sont robustes et avec des crochets pour se cramponner. La couleur de l’animal est brune, très-ponctuée. On a remarqué que même moulue et mêlée au pain, la calandre n’a pas les qualités vésicantes attribuées aux autres coléoptères ; elle contient plutôt du tannin. Tous les moyens préconisés pour la destruction de cet insecte dans les greniers sont insuffisans ; seulement le froid arrête leur multiplication et leurs ravages ; aussi une ventilation fréquente et l’agitation par le crible et la pelle sont avantageux, car ces insectes aiment le repos et la chaleur. Par le mouvement on force plusieurs de ces larves à fuir ; on les amasse alors avec des balais en un tas, et on les tue avec de l’eau bouillante, ou on les écrase. — Le riz est également attaqué par une Calandre (Curculio oryzæ). Le Curculio sanguineus est aussi ennemi du seigle, et l’orge est atteinte par une Altica cœrulea.

En Provence, il est une autre larve qui endommage beaucoup les grains, et qu’on nomme Cadelle (Tenebrio mauritanicus, L., rangée parmi les Trogossita.Fabr). Cette larve grosse et vorace, ronge également le pain, les noix, et n’épargne pas même les écorces d’arbres ; mais à l’état parfait, l’insecte ne touche plus au blé. En le tenant dans des sacs, on le met à l’abri de la cadelle ou Trogossite mauritanique (fig. 724).

Parmi les Lépidoptères funestes aux frumentacées, l'Alucite des grains ou teigne des blés (fig. 725) (Alucita granella), qui jadis causa tant de ravages dans l’Angoumois, et sur laquelle Duhamel et Tillet ont publié un traité en 1762, est la plus connue. On sait que cette fausse teigne paraît offrir plusieurs espèces, car celle qui exerça tant de destruction sur les seigles et même l’orge en 1770, a été rangée dans le genre Æcophora, Latr. ; et une autre, aussi commune sur les fromens, est rapportée par le même entomologiste, parmi les Yponomeuta. Ces larves ou chenilles grises-blanches s’insinuent une seule en chaque grain, y dévorent toute la farine, puis lient plusieurs de ces grains ensemble, et forment des tuyaux d’une soie blanche, dans lesquels elles passent à l’état de nymphe pour se transformer en teignes. L’œuf de ce lépidoptère est insinué dans le grain par un trou imperceptible, à sa partie la plus tendre ; la larve se tient renfermée dans l’enveloppe du grain, c’est la mesure de sa nourriture et de sa taille, puis elle soulève une calotte tégumentaire du son pour sortir. — On n’a encore trouvé aucun moyen bien efficace de faire périr ce dangereux ennemi dont la propagation est si énorme, sinon par la chaleur de 36 à 40 degrés Réaum.,qui peut le faire périr sans altérer le germe du blé. Les saisons chaudes favorisent la multiplication des alucites ; elles fuient le grand jour et le mouvement ; c’est pourquoi il convient de remuer souvent les tas de blé et de ramasser toutes les larves qui s’en échappent pour les détruire. La Phalænasecalina fait avorter aussi les épis de seigle.

Parmi les Diptères, on avait fait peu d’attention à ces petites espèces de mouches qui causent des ravages secrets dans les moissons, avant Olivier. Ce savant entomologiste a commencé cette importante recherche, quoique déjà Linné avait dit (Acta Stockholm, 1760, p. 182) que la seule espèce décrite par lui sous le nom de Musca frit détruisait, chaque année, la cinquième partie de toute la récolte d’orge du royaume de Suède, ou plus de cent milles tonnes, d’une valeur de plusieurs millions. Olivier s’est assuré que diverses mouches du genre Oscina (les Osc. pumilionis, lincata, etc de Fabricius) piquent, soit les collets des tiges, soit le chaume tendre du blé, y déposent leurs œufs, et les jeunes larves dévorant la substance interne/interceptent ainsi la sève nourricière, en sorte que l’épi demeure sec et stérile. On ne saurait dire combien les moissons perdent ainsi de grains. Il parait que la Tephritis strigula, Fabr., cause les mêmes dommages. Quant aux espèces de Sapromyza (de Fallen et Meigen), mouches très-petites, noires ou cendrées, lisses, avec de fortes pattes et de gros yeux, leurs larves s’insinuent aussi dans le chaume des céréales et d’autres graminées, à l’époque de la sève sucrée, ou avant la fructification qui est ainsi empêchée. Cette étude n’a pas été encore bien approfondie, car on doute même si l’ergot du seigle n’est point une maladie engendrée par l’effet de la piqûre d’une mouche, comme L. Martin, agronome anglais, l’a pensé.

Nous pourrions joindre à ces faits ceux concernant d’autres graminées, soit des pays chauds ( comme la Canne-à-Sucre, attaquée par des Coléoptères, etc.), soit de contrées tempérées et même froides qu'infestent les Phalæna calamitosa, mesomela, panthera, secalina, etc.

On sait aussi que les sorghos, millets, les semences des panics et autres frumentacées, sont la proie des Anobium paniceum et minutum, Fabr., que les Ténébrions, les Blaps détruisent les farines (Blaps mortisaga, (fig. 726) ; la larve du Tenebrio molitor est fréquente dans les moulins, y dévore la farine et le son ; elle est recherchée pour nourrir les rossignols. L'Hispa atra concourt à disséquer aussi diverses tiges de graminées. Enfin nous n’énumérons point ici les funestes passages des sauterelles qui, loin d’épargner les moissons, semblent les dévorer avec plus de prédilection que les autres végétaux. Nous devons renvoyer ce genre de calamité aux causes générales qui multiplient immensément, en certaines années, les insectes, surtout dans les climats secs et chauds, comme après des hivers trop doux, qui en ont épargné les larves, ou chenilles et œufs : il en est parlé plus loin.

D’ailleurs, les graminées produisent deux principes essentiellement nutritifs, la fécule, dans leurs graines ou périsperme, et la matière sucrée dans leurs tiges les plus succulente. Si elles président surtout à l’alimentation de l’homme, elles attirent pareillement un grand nombre d’autres animaux qui en extraient leur substance. On ne doit donc pas être surpris que la plupart des insectes phytophages les dévastent de préférence. Nous en verrons encore des exemples en traitant des espèces qui saccagent nos autres comestibles, également farineux ou féculens : genre de trésor dont chaque être prétend tirer sa part aux dépens de l’avare dépositaire.

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§ ii. — Insectes attaquant les cultures potagères et autres.

Nous sommes loin de vouloir exposer ici l’histoire complète de la multitude de ces ennemis ; cependant il importe d’appeler l’attention journalière sur des espèces d’insectes qu’il serait dangereux d’ignorer, puisqu’on leur livrerait en quelque sorte le champ de bataille sans défense.

Ce qu’on nomme plantes oléracées consiste en herbes dont les racines, les tiges et feuilles, non moins que les fruits ou fleurs, servent à notre nourriture. Elles sont également ravagées sous terre, dans leurs racines, par les Courtilières ou Taupes-grillons (Gryllus gryllo-talpa (fig. 727), et par les vers-blancs des Hannetons (Melolontha vulgaris) comme par une foule d’autres scarabéides. Tous les agriculteurs connaissent ces races si détestables pour les jardins. On ne peut y porter remède qu’en s’efforçant d’en écraser le plus possible. Les Scarabéides lamellicornes (à antennes en feuillets) sont particulièrement dangereux aux plantes potagères ; les Géotrupes fouillent les fumiers et terreaux ; le Læthrus cephalotes Fabr, avec ses mandibules tranchantes, coupe les jeunes pousses, lesgermes des plantes ; les Scarabæus stercorarius et vernalis, le Trox horridus, Fabr ; l' Oryctes nasicorne (Oryctes nasicornis, fig. 728), sous les couches de tan, ne blessent, ne déchirent, n’arrachent, ne rongent pas moins de jeunes plantes que les autres Phyllophages et Xylophiles ; les Scarabæus fullo, Melolontha villosa, farinosa, des Trichius, des Cetonia, coupent les feuilles et fleurs ; les Passalus charpentent de grosses patates, les Lucanus ; les Sinodendrum (Sinodendron cylindrique) (fig. 729), taillent, avec leurs fortes mâchoires, les tiges printanières des arbres. Ce sont les fumiers et autres engrais ou matières excrémentitielles qui amassent surtout une multitude d’espèces de Bousiers, Copris ; l' Aphrodius fimetarius, les Coprophages et Coprobies, Onthophages (Onthophage taureau) (fig. 730), de la même famille, ne se bornent pas à placer leurs œufs et leurs larves dans ces débris de végétaux ou de matières en décomposition, ils nuisent au développement des plantes qu’on y sème ; tels sont encore les Escarbots (Hister unicolor) (fig. 731) et les Bostriches (Bostriche capucin) (fig. 732).

Dès l’état cotylédonaire, la plupart des légumes de nos jardins sont dévorés par les Altises, qu’on appelle Puces, parce qu’à l’aide de leurs grosses et longues cuisses, elles sautent. (Telles sont les Chrysomelæ saltatoriæ de Lin.). Le dommage est d’autant plus grand que les cotylédons, en périssant si tendres sous la morsure de ces petits insectes, laissent mourir la plante qu’ils étaient destinés pour ainsi dire à allaiter dans son enfance.

Les plants d’asperges sont non seulement désolés par le Criocerus asparagi, d’un rouge ponceau, et rendant un petit cri lorsqu’on le saisit, mais encore par le C. duodecim punctatus.

Parmi les Altica, si funestes aux plantes potagères, la plus nuisible de ces puces de jardin est la Chrysomela oleracea, d’Olivier. Les plantes semi-flosculeuses sont également désolées par la Chrysomela sericea (rangée sous le genre Cryptocephalus), et les artichauts éprouvent les plus grands dommages de la Cassida viridis, L. (Casside verte) (fig. 733). Les plantes liliacées et les oignons reçoivent de graves atteintes de la Chrysomela merdigera et d’autres Crioceris de Geoff. (Lema de Fab.) Des Donacies, ou Lepturus, ont des larves qui s’enfoncent jusque sous les eaux pour ronger les racines de la berle (Sium latifolium). La même plante nourrit une espèce de Charançonite, le Lixus paraplecticus, Fabr. (Curculio, L.), auquel on attribue la cause de la paraplégie des chevaux qui l’avalent. Ce même insecte habite aussi sur le Phellandrium aquaticum, autre ombellifère, mais vénéneuse par elle-même.

D’autres Chrysomélides, les Chr. helxines et nemorum (Chrysomèle sanguinolente) (fig. 734), n’épargnent pas non plus les herbes des jardins, comme celles des prairies ; elles s’attaquent surtout aux jeunes feuilles les plus tendres, au lieu que les Curculionides recherchent les tiges et les sommités. On trouve les laitues et autres syngenèses attaquées spécialement par les Chrysomèles.

Les plantes de la famille des crucifères, comme choux, raves, etc., sont moins ravagées par des coléoptères (excepté le Psylliodes napi, les Thrips, les Cistèles (Cistèle sulfureuse) (fig. 735), le Curculio alliariæ, que par des lépidoptères particuliers à ces végétaux, et dont les chenilles montrent une prédilection dans leur goût pour cette classe de saveur spéciale. En effet, les papillons dits Brassicaires (Papil. raparia et naparia, brassicaria) ; plusieurs Phalènes (Phal. oleracea, Phal. caja, la Noctua gamma, funeste aux potagers, etc.), à l’état de larves, rongent nuit et jour leurs feuilles ; d’autres espèces, les Phal. brumata, urticata, cæruleo-cephala, etc., partagent leur choix sur d’autres herbes de nos jardinages ou sont moins exclusives. Le houblon est rongé par une Pyrale et par l’Hepiala humularia (Hépiale du houblon) (fig. 736) ; le cerfeuil, par la Phalæna umbettaria, la capucine par des Brassicaires, l’œillet par une Chenille arpenteuse, les pois par la Phalæna exsoleta, les laitues par la Phal. togata, le trèfle par la Phal. antennulata, etc. On connaît peu de moyens de se garantir contre ces ennemis, si ce n’est un échenillage assidu et le secours de quelques oiseaux insectivores ; car toutes les lotions et liqueurs fétides préconisées contre ces insectes nuisent également aux plantes potagères.

Il est, parmi les hémiptères, plusieurs races de Punaises terrestres ou Géocorises pentatomes, qui fréquentent les végétaux crucifères ; telles sont les Cimex oleraceus et ornatus des choux. Une autre grosse espèce, le Lygæus ou Cimex apterus (Lygée aptère) (fig. 737), infecte également les jardins.

Les diptères offrent des espèces très-malfaisantes pour nos potagers ; ce sont les grandes Tipulaires terricoles, dont les larves s’enfonçant sous le terreau, le tan, les engrais, pénètrent jusqu’aux racines des plantes, et causent des dommages d’autant plus grands qu’on ne les aperçoit pas d’abord pour y remédier. Ainsi la Tipula oleracea, commune également dans les prairies, et la ruffa des asperges, ravagent les légumes de toute sorte. La Tipula hortulana abonde au printemps. On connaît les Bibions précoces (Bibio, Geoffr. ou Hirtea, Fabr.), dites mouches de Saint-Marc et de Saint-Jean : le mâle est noir, la femelle présente un thorax rouge. On regarde sa larve et celle de la Thereva (Bibio plebeia, Fabr.), avec celle du Nemotelus hirtus, comme pernicieuses aux bourgeons des plantes qui en périssent. D’autres tipules passent l’hiver dans nos maisons (les Trichocera de Meigen) ou se cachent sous de vieux champignons (les Mycetobia, Boletophila) ; enfin, un autre genre de diptères ou mouches, l’Eristhalis narcissi, Fabr. (Merodon de Meigen), à l’état de larve, se niche dans le cœur des bulbes de narcisse pour le dévorer.

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§ iii. — Insectes dévastateurs des arbres fruitiers.

Le nombre en est si considérable que nous insisterons peu sur ceux qui n’attaquent que les troncs ou parties ligneuses ; on en traite d’ailleurs à l’article des arbres forestiers ; nous ferons observer toutefois qu’on a passé sous silence des Buprestides et Elater creusant fortement les bois, comme le dermestoïdes, la Lampyris cœrulea, l'Omalisus suturalis, les Ljmexylon navale (Lymexylon naval) (fig. 738), si pernicieux aux chantiers ; des Hister, des Erotylus, des Mordella, des Dendrophagus, les Cerambyx, Leptura (Lepture éperonnée) (fig. 739), etc. On ne peut négliger la larve de Saperda ou Cerambyx carcharias, qui détruit si souvent les plus belles plantations des peupliers ; ni celle du C. linearis, qui ravage les jeunes coudriers ; ni les Necydalis, rongeant les saules (Nécydale fauve) (fig. 740), ni la Chrysomela populi, ni la Galeruca calmariensis (Galéruque de la tanaisie) (fig. 741), destructive des charmilles, etc.

Aux premiers jours du printemps, une armée immense de Chenilles assiègent nos arbres à fruit, s’y promènent pour les ravager, et menacent toutes nos espérances ; telles sont les Processionnaires (Bombyx neustria), les Phal. castralis, hiemalis, geometra, etc., sur les abricotiers, pruniers, cerisiers, et les Pyralis pomana (Pyrale des pommes) (fig. 742), vitis, Phal. antiqua, brumata, etc., sur les arbres à pépins, pommiers, poiriers, etc.; la Phal. grossulariata, sur les groseillers ; la Tinea (Yponomeuta) padella, en société nombreuse sur les arbres à noyaux ; les Cossus ligniperda, les Pithyocampa, les espèces poilues, sur une foule d’autres végétaux.

Sans doute nos fruits courent les plus grands risques en présence de tant de rongeurs ; mais ceux ci ont aussi pour ennemis, outre les oiseaux, des races vengeresses, les larves d'Ichneumonides et de Chalcides, qui détruisent bon nombre de ces chenilles en les perçant de leurs dards, et en les chargeant de leurs œufs. Ainsi le Calosoma sycophanta fait une grande consommation des processionnaires ; une armée de légers coureurs, d’autres coléoptères carabiques, avec les Cicindèles, les Staphylins, se régalent chaque jour de cette abondante pâture ; mais cela n’empêche pas les soins indispensables de l'échenillage.

Ensuite arrivent les immenses générations des Pucerons et autres Aphidiens. Peu de jeunes végétaux en sont exempts, et ces hémiptères en extraient une sève sucrée qui, exsudant ensuite de leur corps, attire les Fourmis nuisibles à leur tour par leur acidité et leur instinct déprédateur.

On a tenté diverses lotions amères ou fétides contre les pucerons et les fourmis qui les suivent. Ces moyens sont préférables aux fumigations étouffantes du soufre brûlant qui tuent les jeunes pousses, et aux corps gras ou résineux qui fatiguent également les végétaux. C’est ainsi qu’on a conseillé des lotions avec de l’eau imprégnée d’essence de térébenthine délayée avec de la terre, selon de Thosse ; depuis peu l’on a découvert un moyen plus efficace dans des aspersions faites avec de l’eau chargée d’essence de houille fétide ; c’est ainsi qu’on parvient à écarter le Puceron lanigère, si funeste aux pommiers de la Normandie, qui s’est tant répandu depuis l’an 1812, et que l’on croit originaire de l’Amérique. Toutefois , il ne faut pas moins laisser multiplier les larves des Coccinella, dites lions des pucerons parce qu’elles en font un énorme carnage sans toucher aux végétaux. Les Érotyles leur ressemblent dans d’autres contrées (Erotyle bigarré) (fig. 743). Il en est de même des larves de Syrphus et autres Muscides (Musca, L.), qui sucent avec une étonnante rapidité ces pucerons, espèce de bétail nourricier pour ces races carnassières, et pour des Némotèles, des Hémérobes.

Outre les pucerons, il y a des Psylla des Kermès, qui fatiguent d’autres végétaux, comme le Kermès du figuier, celui du châtaignier, etc.

Les Cochenilles ou Coccus se multiplient aussi de préférence dans les serres d’orangerie, sous les feuilles des hespéridées, surtout par la chaleur humide ; il faut les en délivrer le plus qu’on le pourra.

Enfin, dès avant la maturité de nos fruits, ils sont déjà rongés au cœur par une foule de larves appelées des vers, et qui appartiennent à plusieurs races d’insectes.

D’abord, les fruits farineux ou féculens sont recherchés par les Bruchus, Geoff., les Ptinus fur, et P. latro, P. scotias, P. sulcatus, les Anobium ou Vrillettes (Vrillette marquetée) (fig'. 744), les Byrrhus pilula et autres à l’état de larve, les Anthrenus qui n’épargnent rien ; ainsi le Bruchus pisi se niche dans les pois et vesces ; plusieurs Anthribus ou Rhinomacer, et des Rhychœnus attaquent beaucoup d’autres semences légumineuses (Rhinomacer curculionoïde) (fig. 745). Les Forficules auricularia et minor causent de grands dégâts parmi les fruits de nos jardins (ForficuLe biponctuée, mâle) (fig. 146).

La plupart des prétendus vers qui se trouvent dans les fruits pulpeux, les cerises, les framboises et fraises, viennent de teignes ; cependant il en est aussi beaucoup qui sont dus à des œufs de mouches des genres Carpomyza, Tephritis (Fabr. et Latr) et Ortalis de Fallen. Ainsi, à l’Ile-de-France, presque tous les jeunes citrons sont percés par la larve du Tephritis citri ; nos bigarreaux contiennent fréquemment celle de l’Ortalis (Musca) cerasi ; les noyaux, les pépins des autres fruits, dès leur naissance, renferment des œufs déposés par ces genres de diptères encore peu étudiés dans leurs espèces. Les mouches à ailes vibrantes, qui planent sur les fleurs, appartiennent à cette famille.

Les fruits oléagineux, noix, noisettes, au contraire, voient leur coque percée par des Curculio nueum (Charançon des noisettes) (fig. 747) ou des Attelabus (Attelabe du coudrier, fig. 748) ; il n’est pas jusqu’à des Acarus ou Mite qui ne s’y recèlent. D’ailleurs, chacun connaît assez les insultes des Guêpes, des Fourmis, des Bourdons, contre les fruits les plus sucrés, et les piqûres de quelques Cynips sur les figues ; des Diplolèpes élevant des galles sur plusieurs rosacées Diplolépe de la galle (fig. 749), et celles de diverses Punaises, Tingis pyri, etc., qui en sucent les sucs en même temps qu’elles y répandent leurs odeurs fétides ou dégoûtantes.

Les Mouches à scie (Tenthredo) sans attaquer les fruits eux-mêmes, sont fort nuisibles à beaucoup d’arbustes, notamment aux rosiers, en perçant, rongeant, trouant, à l’aide de leur instrument dentelé, les jeunes tiges et les feuilles de plusieurs arbres de la même classe, les pruniers, les poiriers, etc. Ainsi ces hyménoptères ont des larves à pieds nombreux, simulant des chenilles, qui dévorent le feuillage de nos arbres à pépins et a noyaux, et qui s’opposent aussi à la multiplication de leurs fruits.

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§ iv. — Insectes pernicieux aux prairies.

La grande calamité pour celles-ci vient de la famille des Sauterelles et Criquets. Personne n’ignore les déplorables déprédations du passage des Sauterelles (Grillus migratorius, Gr. apricatorius, Gr. linolea et autres espèces), qui, après avoir tout ravagé, finissent par se dévorer elles-mêmes. On a vu des milliards de ces insectes entassés par les vents sur certaines contrées, à tel point qu’on les ramassait par boisseaux et dans de grands sacs. Les Grillus campestris et notre Grillon domestique, faisant entendre son cri nocturne près des foyers, dans les chaumières, viennent fureter dans nos provisions ; tous ces insectes rongent les herbes, comme les autres Criquets (Acridium), et les Tuxates (Grillus acrida), notamment le T. à grand nez (fig. 750), les grandes Sauterelle, Locusta viridissima des campagnes, la Sauterelle grise (fig. 751).

C’est encore à l’état de chenilles que les Phalœna calamitosa, la Noctua graminis, les Tinéides du genre des Crambus, désolent surtout les meilleurs pâturages et se multiplient au milieu des foins. Ces insectes sont en même temps dégoûtans pour les bestiaux, qui ne peuvent pas s’empêcher d’en avaler. Plusieurs de ces petits papillons qui en naissent, et qui, d’ailleurs, sont fort jolis, ont été décrits et figures par Hubner, par Germar, etc. Il faut y ajouter aussi d’autres Alucites que celle du froment, ou des Adela, des Æcophora, dont le nombre et les espèces font même le désespoir des plus habiles entomologistes.

Les Cicadaires ou Cigales et Ranâtres, le Cercope écumeux (Cicada spumaria, Cercopis sanguinolente (fig. 752), si remarquables au printemps dans les prairies, par l’écume qu’elles y déposent, épuisent de sève ou font faner plusieurs glumacées dans leur fructification naissante. Tous ces épis blanchissans et stériles de seigle et d’autres céréales ont été atteints, soit par la Phalœna cecalina, soit par les Cicadaires, tandis que les larves des Tipules travaillent dans les racines, que des Tanypus, autres tipulaires culiciformes se creusent des demeures dans des galles, que diverses mouches déjà notées, en traitant des céréales, n’épargnent pas les autres graminées. Il faut citer encore le Sepsis cynipsea, espèce de mouche attaquant les fleurons des syngenèses, etc., et diverses Cétoines rongeuses, comme la C. dorée (fig. 751), et la C. à deux cornes (fig. 754).

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§ v. — Insectes attaquant les provisions animales et végétales, ou comestibles.

1° Les substances végétales.— Deux fléaux en ce genre nous ont été communiqués avec les substances commerciales des deux mondes ; ce sont les Blattes et les Termites. La Blatta orientalis et la B. americana, L. ou Kakerlack, Blatte américaine (fig. 757), est commune aussi dans les régions septentrionales. On ne peut conserver aucun genre de comestible qu’elle ne dégrade et n’infecte ; elle butine de nuit dans les habitations, ronge particulièrement les farines, le pain dans les boulangeries, les moulins, les cuisines, etc. ; de plus, elle répand une odeur détestable ; rarement elle se sert de ses ailes, mais elle court très-vite et fuit l’éclat du jour, dans des fentes et des trous, ce qui empêche qu’on ne détruise ce malfaisant orthoptère.

Les Termites sont des névroptères plus particuliers aux climats chauds, également ennemis du jour comme tous les voleurs. Ainsi le Termès lucifuge (fig. 756 et 757) qui représente la larve, Termes lucifugum), malheureusement multiplié dans les chantiers de Rochefort, y a déjà causé les plus grands dommages parmi les magasins de la marine.

Les Termites, appelés aussi fourmis blanches, ont plusieurs rapports avec les fourmis, et vivent en sociétés composées de trois ou quatre sortes d’individus à l’état de larve, de nymphe et d’insecte parfait ; également laborieux, voraces, et d’autant plus dévastateurs qu’ils sont omnivores, ils se creusent des routes souterraines dans les objets qu’ils rongent. Le Termès atroce, le mordant, le belliqueux, le destructeur ou le fatal, le pou de bois, le voyageur, sont autant d’espèces ravageuses ; celui à cou jaune (Termes flavicollis) attaque, en Provence, les olives.

Parmi les Lépidotères, nous avons signalé déjà ceux qui ravagent le blé dans les greniers ; mais la farine nourrit spécialement une espèce de larve de Tinéide (Phalœna, L. ; Aglossa farinalis, Latr.), Phalène de la farine (fig. 758), ainsi désignée parce que l’insecte parfait n’a point de trompe, et ne mange plus en ce dernier état, tandis qu’il est fort vorace et gras à l’état de ver. Parmi les Coléoptères à longs becs, plusieurs Rynchènes et autres Curculionides se multiplient dans les fécules, comme le Curculio palmarum qui vit de sagou. Divers Mélasomes nocturnes, outre les Blaps déjà signalés, viennent saccager les substances alimentaires ; tels sont les Pimélies, les Erodies, les Nyctélies, tous privés d’ailes. Il faut y joindre des Opatrum, les Tenebrio culinaris et cadaverinus de Fabr., Ténébrion de la farine ou des trogossites (fig. 759). D’autres fourragent dans les meilleurs champignons comestibles, comme les Boletophagus taxicornes.

Rongeurs des substances animales.— Le nombre de ceux-ci est considérable. Parmi les Coléoptères les plus destructeurs, il faut placer en première ligne les Dermestes laniarius, lardarius, trifasciatus, etc., le Dermeste du lard (fig. 760) ; la Vrillette{Anobium pertinax), qui, étant touchée, contrefait la morte et se laisserait plutôt brûler que de se remuer ; les Ptinus, les Bruchus déjà signalés ; la Necrobia violacea et les Nitidules (Nitidule biponctuée) (fig. 761), qui détruisent les chairs salées non moins que les charognes. On ne peut passer sous silence aussi le grand rongeur des pelleteries, Dermestes pellio, les Staphylins, les Silpha et Nécrophores que toute chair attire d’abord.

La famille des Teignes est surtout la plus coupable de ces goûts carnivores, à l’état de larves. Telles sont surtout les Botys, qui pénètrent dans les matières les plus grasses, et l’Aglossa pinguinalis (Aglosse de la graisse) (fig. 762), rongeant les cuirs ou peaux à l’état frais. On ne peut pas garantir les tapis et autres tissus en laine ou en poils, contre les ravages perpétuels des Tineatapezana, sarcitella, pellionella, flavifrontella, etc. (Noctuelle trapézine(fig. 763), et de tous ces vers rongeurs qui se pratiquent des fourreaux de leurs excrémens, avec une si redoutable industrie.

On sait aussi combien plusieurs Diptères, en été, hâtent la corruption et le dégât des viandes, par leurs œufs bientôt transformés en vers ou larves des Mouches créophiles. Ainsi les Musca vomitoria, grosse espèce bleue ; la Musca carnaria, dite vivipare, car ses œufs éclosent immédiatement ; la Musca cæsar, si commune sur les charognes ; la Musca putris, qui recherche les corps pourris, les ulcères (la piophyla de Fallen), les Mouches du vieux fromage (Muscacasei), méritent d’être remarquées. Elles prouvent, par les œufs déposés dans ces matières animales, que les vers ne s’y engendrent point spontanément, comme le suppose le vulgaire. Leurs larves semblent avoir la propriété de hâter encore la putréfaction des matières qu’elles dévorent. On peut ajouter à ces espèces les Scatophaga (Musca stercoraria, L.) et les vers des latrines ou autres lieux analogues, des Eristhalis tenax (vers à queue de rat) dont la vie est si dure, E. sepulchralis, cryptarum, etc.

Joignons à ces espèces celle qui contribue à faire aigrir le vin ou la bière et le cidre, la Musca cellaria (Notophila de Fallen) ; elle dépose ses œufs dans les vaisseaux à vin des caves et celliers ; on en accuse également l’Ips cellerier (fig. 766). Enfin, les Acarus (Mite domestique (fig. 767 grossie à la loupe), se développent par myriades sans nombre dans les vieux fromages, les viandes sèches ou fumées, comme sur toutes les matières animales en putréfaction ; la nature faisant ainsi servir les débris de la mort à la multiplication de la vie. La grandeur et la puissance des animaux, de l’homme lui-même, ne les mettent point à l’abri des insultes des moindres races, et le chétif Cousin suffit pour tourmenter ce roi du monde. Aucune race n’est plus importune sous tous les climats ; car il n’est point de relation de voyages qui n’entretienne des insupportables cuissons causées par les nuées inévitables des Moustiques et maringouins (Culex pipiens et pulicarius), non seulement sous les climats brûlans, mais jusque sous les cieux glacés des Lapons et des Esquimaux, et non pas uniquement pour la peau nue de l’homme, mais pour les bestiaux qui ne peuvent se soustraire à leurs dards acérés et brûlans. Il y a plus : d’autres moustiques encore plus petits et noirs se multiplient sous les humides ombrages des forêts ; décrits sous les noms de Rhagio par Fabr., et de Simulium par Meigen, leur piqûre imperceptible est tellement fatigante lorsqu’ils pénètrent même dans les parties génitales si sensibles des bestiaux, qu’ils excitent une sorte de rage et jettent ces animaux dans des états convulsifs de fureur qui les font périr.

On sait quelle frayeur causent les Taons, Tabanus bovinus,etc. (Taon des bœufs, fig.766), à des troupeaux de bœufs ; ils les mettent en fuite. Une espèce appelée tsaltsalya en Nubie, est redoutable même au lion, et poursuit les hommes avec férocité. Une autre espèce, le Chrysops cæcutiens,s’attaque aux yeux des chevaux et les aveugle au milieu des campagnes sans qu’ils puissent retrouver leur chemin.

Joignons à ces insultans Diptères tant d’autres espèces piquantes, le Stomoxe (Stomoxe piquant) (fig. 767), le ConopsCalcitrans,Conops rufipède (fig.768), qui, suçant le sang des jambes à l’homme, dans les temps orageux, et surtout aux bestiaux, ne leur laisse aucun repos jour et nuit ; et ces Syrphus qui ressemblent à des bourdons velus, dont la seule approche, annoncée par la sibilation de leurs ailes vibrantes, fait frissonner toute la peau du corps qu’ils menacent.

Les plus dangereux des Diptères Athéricères sont les Œstres, sans contredit. Leur famille semble instituée pour vivre dans la peau et le corps même de nos bestiaux, le bœuf, le cheval, l’âne, le chameau, le mouton, le renne (Œstre du renne (fig.769). le cerf, les antilopes, le lièvre, ou la plupart des herbivores ; l’homme lui-même n’en est point exempt en Amérique. Le genre entier des Œstrus présente l’aspect d’une grosse mouche velue, dont les poils colorés par zones imitent ceux des bourdons ; ils ont les ailes grandes ; les femelles portent à l’extrémité de leur abdomen un stylet perçant, composé de plusieurs lames pour ouvrir la peau dure d’un animal, et pour y faire pénétrer des œufs qui doivent s’y changer en larve rongeante ; ces larves, en effet, creusent leur nid dans les tissus cellulaires, pompent les sucs et forment une sorte de cautère naturel sur le dos des bestiaux, qui ne peuvent s’en garantir, et à tel point que des oiseaux du genre Buphaga viennent en quelques pays extraire avec leur bec ces dangereuses larves. M. Clark, savant vétérinaire anglais, qui a fait un ouvrage sur ces œstres, en énumère trois familles d’après le lieu d’habitation qu’elles choisissent sur les bestiaux. Les œstres qui vivent sous la peau y forment des tumeurs ou bosses remplies de pus dont ils s’engraissent ; tels sont les cuticoles purivores ; ceux qui s’insinuent dans le nez, les sinus frontaux et l’arrière-bouche ou pharynx, comme chez le mouton, sont les cavicoles lymphivores ; enfin ceux qui, déposés vers l’anus du cheval, ou pénétrant par les voies digestives jusque dans l’estomac et autour du pylore, sont les gastricoles chylivores: il est à remarquer que la nature a donné à ces larves, non des pattes, mais des poils épineux qui leur permettent de s’accrocher aux intestins des bestiaux ; elles ne se laissent expulser, avec les excrémens, qu’à l’époque de leur dernière métamorphose, pour se reproduire dans une vie libre et extérieure ; en ce dernier état, ces œstres ne mangent point. On les trouve fréquentant les bois et les pâturages ; ils font quelquefois entrer leurs œufs par centaines dans un animal qui n’en périt pas ; cependant Valisneri et d’autres auteurs ont attribué aux œstres des accidens graves et même des causes d’épizootie. Les œstres du lièvre et d’autres rongeurs appartiennent au genre Cutebera.

Après ces insectes, il en est sans doute de moins dangereux, les Tanystomes ou Asilus (A. crabriformis et A. forcipatus), les Anthraxdont la piqûre inflammatoire cause une sorte de furoncle ou charbon ; les Volucella, les Mulio, les Empis, les Bombylius, des Nemotelus, etc. Toutefois, il n’en résulte que des tourmens passagers, comme on pourrait le dire des Bourdons et Guêpes ; mais il est une autre classe plus dommageable.

Les anciens ont appelé Bupreste l’insecte auquel ils attribuaient la mort ou le gonflement des bœufs quand ils l’avalaient. Ce n’est point notre genre Bupreste qui produit cet accident attribué plutôt de nos jours à une sorte d’empansement ou d’enflure, d’indigestion d’herbes et contre laquelle on a préconisé l’emploi du vinaigre ou du sel ; mais il parait vraisemblable que des insectes vésicans, tels que le Meloë de mai, ou Proscarabée (Meloe proscarabœus et majalis), des Cantharides, le Mylabris cichorii (cantharide des anciens et des Chinois), des Lytta, Cerocoma, Zonitis, et divers coléoptères à élytres mollasses, ne sont pas avalés sans péril par les herbivores. Ils causent de violentes inflammations viscérales et de l’irritation jusque dans les voies urinaires. On a rapporté à un Charançonite, le Curculio (Lixus) paraplecticus (Lixe paraplectique fig. 770), cette maladie des chevaux, qui paralyse leurs membres postérieurs ; cependant ce fait ne paraît pas suffisamment prouvé, et il paraît dû à toute autre cause, et plutôt à des végétaux vénéneux aquatiques, ombellifères, comme le phellandrium et les œnanthe, œthusa, etc.

Les chevaux sont encore infestés par une mouche presque sans ailes, courant comme une araignée sur leur corps ; c’est l’Hippobosca equina (Hippobosque des chevaux, fig. 771) ; une autre espèce est familière aussi sur les moutons et d’autres bestiaux ; c’est le Melophagus vulgaris), Mélophage commun (fig. 772).

Les oiseaux de basse-cour sont également attaqués par des Ornithomyes, ou mouches de genre analogue. La plupart de ces insectes parasites portent leurs œufs dans leurs oviductes assez longtemps pour qu’ils passent à l’état de larves avant d’être pondus. Cela était nécessaire afin que celles-ci, dès leur naissance, pussent s’attacher à l’animal qui les nourrit.

Ces demi-aptères nous conduisent naturellement à la nombreuse série des Aptères parasites des animaux. Nous ne nous arrêterons point au genre assez connu des Puces (Pulex irritans) et du Nigua (P. penetrans), qui s’enfonce, sous le nom de chique, dans les chairs de l’homme et de divers animaux dans les climats chauds ; mais on ne peut passer sous silence les Tiques et les Ricins des chiens, des bœufs et chevaux, etc. Tels sont les Ixodes, Ixode reduve (fig. 773), les Cynorœsthes d’Hermann, les Smaris, les Reduvius, les Gamasus, qui s’accrochent dans la peau et la chair, au moyen de pinces didactyles, d’un bec avec des palpes filiformes, pour sucer le sang et se remplir le corps presque à la manière des sangsues. Ces Ricins, d’abord imperceptibles sur les arbustes des bois où ils vivent cachés, gagnent les bestiaux, les chiens qui y passent, et dès lors trouvent sur ceux-ci une nourriture abondante ; ils ne lâchent prise que par la force. Il en est à peu près de même du Rouget (Leptus autumnalis), espèce de mite rousse qui fréquente ou même rend malades les haricots et autres plantes des vergers ; elle s’attache, en automne surtout, aux jambes des passants et à divers animaux ; elle leur cause des rougeurs et démangeaisons vives dont on ne se débarrasse bien que par des lotions vinaigrées. (Olivier ; Obs. dans les Mém. d’agricult., 1787.)

Les Poux sont des espèces presque aussi nombreuses que les divers animaux qui les portent ; chaque oiseau semble avoir le sien en particulier, et l’on sait combien ils sont fâcheux pour les poules, les pigeons ; car ils infestent leurs habitations. La plupart se rapportent à la famille des Acariens (Acarus, L.). Parmi ceux-ci se multiplient aussi les Sarcoptes ou insectes de la gale, non seulement de l’homme, mais de la plupart des races d’animaux domestiques. On sait qu’ils ont la fâcheuse propriété de communiquer ces maladies, en se transmettant d’un individu galeux, teigneux, dartreux, ladre, où ils pullulent, à un individu sain. Ces parasites ou épizoïques ont, à l’état complet, huit crampons ou pattes, et un bec acéré pour sucer. Il paraît qu’en distillant dans la plaie une liqueur irritante, ils y font affluer le sang ou les humeurs. Quelques-uns se nichent sous l’épiderme comme les Cirons, et y pratiquent des chemins couverts.

Parmi les insectes aptères, les plus hideux et redoutables par leur venin, sont surtout les Aranéides. Le Scorpion roux d’Europe (Scorpio occitanus d’Amoreux), ou Scorpion roussâtre (fig. 776), blesse vivement de son dard caudal recourbé : une légère cautérisation par l’ammoniaque en est le remède le plus convenable. Il y a de grandes Aranéides, telles que les Tarentules ou Lycoses, et les Thérïdions dont les morsures ne sont point exemptes de danger, surtout dans les temps et les pays chauds ; le même moyen de guérison parait le plus efficace. On redoute aussi la morsure de la Scolopendre roussâtre (Scolopendra morsitans, fig. 775), pour les animaux, surtout au nez, aux lèvres, etc. Elle cause une enflure plus ou moins douloureuse.

Enfin, des insectes deviennent fort nuisibles pour des insectes utiles. Les larves de divers coléoptères des genres Clerus ou Trichodes s’insinuent dans les ruches, et font de grands dégâts des larves ou nymphes d’abeilles ; tels sont les T. apiarius Fabr., ou Attelabus apiarius (clairon des ruches (fig. 776). La Chrysomela cerealis, qui vit sur le genêt, paraît nuisible aussi aux édifices de cire des apiaires ; les Frelons s’emparent de leurs trésors. Des espèces de Tinéides, surtout du genre des Galleria, pénètrent dans les ruches ; la G. cereana (Galerie de la cire (fig. 777) ronge et dissout dans son estomac la cire par une action singulière ; il en est de même de la G. alvearia qui attaque jusqu’au couvain et à l’espérance de nouveaux essaims. Le Philante apivore (fig. 778) tue les abeilles sur les fleurs.

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§ vii. — Des insectes et crustacés attaquant les poissons.

Il ne reste plus à dénoncer que les races aquatiques les plus nuisibles dans les viviers et autres lieux où l’on multiplie le poisson. Les ennemis redoutables du jeune alvin ou fretin avec lequel on peuple les étangs, sont : les écrevisses, Astacus fluviatilis ; leurs dures et tranchantes mâchoires ou mandibules déchirent facilement ces petits poissons encore si tendres. Il y a, de plus, d’autres crustacés, tels que les Pœcilopodes, qui s’attachent sur de plus grands poissons ; ainsi l’Argule foliace se fixe sur de grosses truites et des carpes ; il parvient même à les tuer. les Caliges (Monoculus piscinus), quoique petits, attaquent, comme le précédent, même les brochets et les perches, et leur nuisent beaucoup. On peut ajouter que d’autres Monoculus, des Cypris et diverses espèces parasites pénètrent dans les branchies des poissons, les tourmentent et contribuent, par la destruction de ces organes respiratoires, à faire périr les meilleurs poissons.

Nous terminerons cette revue générale en signalant ce petit crustacé décrit par M. Leach (Encyclop. Edinburgh ; tom. vii, p. 433) comme très-dangereux, parce qu’il perce avec une promptitude prodigieuse, quoiqu’à peine long de deux lignes, les bois dans la mer, et que ni les digues les plus épaisses, ni les navires les mieux calfatés n’ont été jusqu’à présent à l’abri de ses petites dents destructives. C’est la Limnoria terebrans.

Ce n’est pas tout, sans doute ; mais ce tableau doit suffire pour montrer combien la classe entière des insectes abonde en races nuisibles à toutes les branches de l’économie rurale et domestique.

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Partie ii. — Tableau des insectes nuisibles dans l’agriculture et l’économie rurale.

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§ 1er . — De la Calandre du blé, ou charançon.

On distingue ce coléoptère en ce qu’il a, comme les autres charançons, un bec alongé, des tarses à quatre articles, des antennes coudées, insérées à la base du bec, formées de huit articles dont le dernier prend la forme de massue. Les élytres sont durs, l’abdomen finit en pointe, les pieds sont terminés par des crochets avec lesquels l’insecte se cramponne fortement.

C’est de tous le plus redoutable par ses ravages dans notre principale nourriture, le froment, car il se multiplie parfois en si grande abondance dans les masses de blé des greniers, qu’il ronge tout et ne laisse exactement que le son ou l’enveloppe du grain. Chaque larve, en effet, toujours isolée en chaque grain, s’y loge et grossit à mesure qu’elle en dévore toute la farine ; alors elle prend la forme de nymphe pour devenir insecte parfait.

La calandre à l’état de larve se présente comme un ver mou, alongé, très-blanc ; son corps a neuf anneaux saillans, arrondis ; sa longueur ne dépasse guère une ligne ; sa tête écailleuse, jaune et arrondie, est armée de mâchoires rongeantes. La nymphe qui lui succède est également blanche, mais transparente, et l’on distingue déjà sous son enveloppe la trompe, les antennes et les membres de l’animal. En cet état, il ne mange pas. Après huit à dix jours de cette somnolence immobile, l’insecte rompt la coque dans laquelle il se tenait emmailloté, soulève une calotte du grain, et la Calandre parait au jour.

Sous cette forme dernière, le Charançon du blé cherche à s’accoupler, puis la femelle pond bientôt ses œufs et les dépose sur les tas de froment ; mais il paraît qu’alors l’insecte est moins destructeur qu’à l’état de larve.

La chaleur atmosphérique hâte beaucoup les dévelopemens et les dégâts des calandres, tandis que pendant un froid vif elles s’engourdissent et restent incapables de nuire. Dès le mois d’avril, sous nos climats tempérés, les calandres pondent et se propagent jusqu’à la mi-septembre ; mais sous les climats chauds, elles s’accouplent même plutôt et plus tard encore. On les trouve accouplées si longuement, et avec tant de ténacité, qu’on peut les balayer et les transporter en cet état sans qu’elles se séparent. Les reproductions des calandres ont lieu plusieurs fois dans l’année (quoique chaque individu meure après sa génération) ; il s’écoule de 40 à 45 jours entre l’accouplement ou le dépôt d’un œuf et sa transformation en insecte parfait. D’après une table formée par la multiplication des calandres, une seule paire de ces insectes, pondant à la fin d’avril des œufs dont les individus se multiplieront jusqu’au milieu de septembre, ou pendant cinq mois, par une température moyenne de 15°, il doit en naitre six mille quarante-cinq calandres. Qu’on juge de l’immensité de ces insectes, sous des températures plus chaudes, et combien de monceaux énormes de blé disparaissent sous les mâchoires de ces armées de rongeurs !

La calandre femelle ne dépose qu’un œuf sur chaque grain de blé, entre la pellicule et la farine ; la larve qui en naît reste parfaitement à l’abri ; ses excrémens servent à boucher le trou par lequel l’œuf a été introduit. Les monceaux de blés attaqués ne le sont pas à la superficie, mais bien à quelques pouces de profondeur, afin que l’insecte soit plus à l’abri ; on n’aperçoit rien qui le décèle extérieurement ; le grain paraît entier : seulement son poids est moindre, et il surnage l’eau, parce qu’il a été vidé par l’insecte.

La calandre n’aime pas à être remuée par le crible ou la pelle ; alors elle déloge et quitte le grain. Elle le quitte aussi dans les temps froids, pour chercher un abri plus cluiud dans les fentes du plancher ou des murs des greniers. Ce ne sont guère que les œufs, ou les larves qui restent engourdie, qui passent l’hiver.

On a cru qu’en mettant le blé dans des caves planchéfiées, pendant l’hiver, on le garantirait des calandres ; mais outre l’inconvénient de l’humidité capable de faire pourrir ou germer le blé, le repos et l’obscurité, à l’abri du grand froid, seraient au contraire favorables à la conservation des calandres. Le criblage est plus efficace ; il peut séparer les larves ; cependant les œufs sont trop bien collés aux grains pour qu’ils se détachent par cette opération. Les fumigations de tabac brûlé, les odeurs fortes, comme celles d’essence de térébenthine, les décodions d’herbes puantes, dont on a conseillé d’arroser le froment, etc., n’ont rien produit d’efficace ; enfoncées dans les tas de blé, les larves n’ont pas lâché prise, et même la vapeur acide et pénétrante du soufre brûlant n’a pu asphyxier ces insectes qui ont besoin de très-peu d’air pour respirer.

L’expérience a constaté qu’une chaleur subite de 39° Réaum. peut faire périr les calandres, mais on ne peut communiquer assez subitement cette température à de grandes masses de blé pour en suffoquer les calandres. Il a fallu jusqu’à 70° d’échauffement à l’étuve pour les faire périr ; mais à ce degré, qui tue larves, insectes, œufs, le germe du blé, trop desséché, peut perdre sa faculté germinative.

Le froid étant cause de l’engourdissement des calandres, on a proposé un ventilateur capable d’entretenir dans les greniers un air assez frais pour arrêter la multiplication des calandres ; ce moyen a été efficace en plusieurs circonstances.

D’autres économistes ont proposé, au retour du printemps, d’établir de petits tas de blé à portée des grandes masses. On remue fortement et souvent à la pelle ces masses ; les calandres aimant beaucoup la tranquillité, fuient cette agitation, elles courent se réfugier dans les petits tas laissés en repos ; ou si elles fuient vers les murailles et les fissures des planches, on les ramasse à l’aide de balais. Par ces moyens on en peut détruire une forte quantité. Quand on a réuni le plus possible de ces calandres dans les petits tas de blé, on échaudera ce blé à l’eau bouillante. Ainsi, l’on étouffera les calandres, et on criblera ce blé échaudé pour en séparer les insectes morts. Cette opération faite dès le printemps, a l’avantage de détruire les calandres avant qu’elles pondent ; car les œufs, une fois multipliés, ont mille chances pour de nouvelles reproductions.

Ces procédés peu dispendieux et peu difficiles méritent la préférence sur beaucoup d’autres que nous passons sous silence et dont l’utilité n’est pas aussi bien constatée.

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§ ii. — De l’Alucite des grains.

Deux larves de teignes sont principalement devenues des fléaux pour les blés recueillis dans les greniers, et elles ont causé parfois de tels ravages qu’elles ont excité le zèle du gouvernement pour chercher les moyens de les détruire. L’une est l’Alucite appelée aussi Pou volant ou Papillon des grains (OEcopaora granella, Latreille). Elle fut l’objet d’un ouvrage spécial de Duhamel. et Tillet, sur les blés de l’Angoumois, en 1762. puis de mémoires de beaucoup d’autres auteurs, et en dernier lieu d’un rapport fait en 1831 à la Société royale et centrale d’agriculture de Paris, par M. Huzard fils, après les nombreuses recherches de MM. de La Tremblays, le marquis de {{sc|Travanet, le docteur Guérin, de Marivault, etc.

Bien que l’alucite, à l’état parfait de papillon nocturne, ressemble à celui de la teigne des blés, dite fausse teigne, et soit de même grandeur, voici leurs différences les plus essentielles : L’alucite a des ailes d’une couleur café au lait plus pâle que celle de la fausse teigne (Yponomeuta tritici, Lat., Tinea de L.) et qui n’ont point de taches brunes transversales aussi marquées que chez la fausse teigne. L’alucite porte les ailes plus aplaties, en forme de chappe, ou moins bombées, tandis que la fausse teigne les rapproche autour de son corps en toit incliné. Entre les antennes de l’alucite s’élèvent deux petits palpes ou petites cornes, tandis que la fausse teigne n’a que de longues antennes filiformes. Les papillons de l’alucite ne restent point dans les greniers, mais se répandent dans les campagnes, surtout pendant les temps chauds, tandis que ceux des fausses teignes demeurent sous les toits et dans les maisons. L’alucite, à l’état de larve, se tient complètement renfermée dans le grain, même lorsqu’on agite et manipule les tas de blé ; elle se transforme en nymphe ou chrysalide dans ce grain même et y laisse sa dépouille, pour sortir uniquement à l’état de papillon. Elle ne lie pas ensemble les divers grains de blé à l’aide de soies, pour former des espèces de coques ; on ne découvre donc point, avant l’apparition des papillons, que les grains de blé sont attaqués par l’alucite, à moins d’essayer leur légèreté spécifique, et une chaleur assez vive qui se manifeste dans les monceaux de blé quelques jours avant le départ de ces papillons. Les excrémens de la chenille alucite restent même contenus sous l’enveloppe du grain, et en ferment l’ouverture par laquelle cette teigne s’était introduite dès son dégagement de l’œuf. Enfin les papillons alucites, se répandant, à la fin du printemps, dans les campagnes ou moissons de céréales, surtout pendant la soirée et la nuit, viennent déposer leurs œufs sur les épis de froment. On peut consulter les détails relatifs aux habitudes de cet insecte dans l’ouvrage de Duhamel et Tillet, et le tom. 2e  des Mémoires de Réaumur, p. 486.

La fausse-teigne est plus universellement répartie en France que l’alucite, qui désole particulièrement certaines contrées, en concurrence avec elle. Cette Yponomeula tritici, à l’état de jeune larve, appelée aussi ver des blés, d’abord jaunâtre, devient plus grise et noirâtre en grandissant ; elle arrive à 3 lignes, comme l’a fort bien décrite Parmentier dans son Mémoire sur les blés du Poitou, en 1785. Sa tête et la première articulation sont noirâtres, luisantes ; elle porte sur le dos 3 lignes blanches parallèles ; il y a 12 articulations, dont les 3 premières portent 6 pattes ; il y a 8 fausses pattes aux 6, 7, 8 et 9e articulations, puis 2 crochets à l’extrémité anale. Ces fausses teignes attaquent non seulement le froment, mais aussi le seigle et l’avoine. Petites, elles creusent le grain et s’y cachent ; grandes, elles le rongent entièrement. Dès l’épi, dans les champs, elles ont déjà parfois ravagé le grain, et le seul secouement des gerbes en fait tomber plusieurs, qui se dérobent aux intempéries et au froid sous les fumiers ou les mousses. Elles passent l’hiver engourdies, se transforment en nymphes au printemps, et restent environ 2 mois en cet étal avant de devenir papillons-teignes parfaites. Dans les greniers, la fausse-teigne réunit plusieurs grains de froment au moyen d’un petit cocon de soie blanche ; elle se blottit dans ce fourreau imparfait, en rongeant les grains de blé et rejetant ses excrémens sous forme de points ronds, blanchâtres.

Pour se former en chrysalides, ces vers du blé abandonnent leur coque ou fourreau, rampent le long des poutres ou des planches des greniers, s’y suspendent par la région postérieure du corps, et sans manger, dans cet état presque immobile, elles parviennent à se développer en papillons.

Il est plus facile, en agitant souvent les tas de blé, de diviser les coques de ces fausses-teignes et de froisser ou faire périr leurs larves, que pour celles de l’alucite. On peut aussi, lorsque ces vers montent hors des tas, les écraser ou balayer ; ces soins répétés peuvent en détruire beaucoup ; mais déjà à cette époque, leurs ravages sont terminés ; à l’état de nymphe et de papillon, en effet, ni les alucites ni les fausses-teignes ne prennent aucune nourriture. Seulement, il importe beaucoup de détruire toujours ces insectes, puisqu’ils multiplient si abondamment ; ils se tiennent de préférence dans l’obscurité, et peuvent, d’après ce que Duhamel-du-Monceau et Tiller ont observé, avoir plusieurs générations chaque année. Les uns comme les autres déposent leurs œufs, tant sur les épis dans les champs, que sur les grains de blé entassés dans les greniers, en sorte qu’il n’y a guère d’interruption que pendant l’hiver. Cependant la fausse-teigne se plait davantage dans les greniers, à l’état de papillon, et s’en écarte moins que ne le fait l’alucite.

Plusieurs Sociétés d’agriculture ont proposé des prix en faveur des meilleurs moyens pour détruire ces malfaisans insectes, soit qu’ils attaquent le blé en gerbes, soit qu’ils pénètrent dans les tas de blé des greniers. La chaleur d’une étuve ou d’un four avait paru, à Duhamel et Tillet, le plus sûr procédé pour faire périr ces insectes, et assurément il est efficace, mais dispendieux et capable d’altérer le germe du blé, si la chaleur dépasse 50° R. ; quand il ne s’agit que du blé destiné à la consommation il n’en résulte aucun inconvénient. Cependant le prix du combustible nécessaire pour obtenir cette chaleur dans de grandes quantités de blé, doit être mis en comparaison avec les ravages causés par ces teignes. MM. Marcellin Cadet De Vaux et Terrasse Desbillons ont imaginé récemment deux sortes de brûloirs, plus grands que ceux pour rôtir le café, et propres à chauffer les blés attaqués. Ces sortes de moulins insecticides (ainsi nommés) exigent aussi de la main-d’œuvre pour introduire et retirer les blés de ces machines et entretenir le feu. Les blés en gerbes ne peuvent être soumis à ces manipulations, il faut les battre auparavant.

Quant à l’emploi d’un froid vif pour tuer ces insectes, M. Denarp, et Peneau pharmacien ont constaté qu’une gelée de 6 degrés sous 0 pendant deux nuits a fait périr les alucites et les fausses-teignes, soit leurs œufs, soit leurs larves et leurs insectes parfaits. Mais cette méthode ne peut pas facilement s’obtenir à volonté, même dans des glacières. Cependant un froid moindre suffirait pour engourdir et paralyser ces insectes, et le moyen n’est point à dédaigner. Il prouve que les grandes ventilations ne sont pas non plus sans utilité.

Nous ne nous étendrons point sur d’autres moyens illusoires, comme celui de placer des toisons ou des peaux de moutons sur les las de blé, dans l’espoir que les fausses-teignes y accourront de préférence pour les ronger et qu’on pourra les y tuer sans difficulté. En effet il faut être peu instruit en histoire naturelle pour ne pas savoir que les mœurs des teignes du blé, aimant la substance farineuse, sont tout autres que celles des teignes des pelleteries qui préfèrent les substances animales, et qui appartiennent à des espèces fort différentes.

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§ iii De la Cadelle ou Trogossite mauritanique.

Cet insecte, causant, parmi nos départemens méridionaux, de grands dégâts, surtout à Nîmes, à Montpellier, et à tout le commerce des grains de l’ancien Languedoc, il mérite une attention spéciale. Sa larve blanchâtre, longue d’environ 8 lignes, a une tête écailleuse brune et une tache sur chacun des trois premiers anneaux. L’abdomen est terminé par deux crochets bruns. Cette larve, analogue à celle des boulangers, qui lui est congénère, ou du Ténébrion de la farine (Ten. molitor) dont on nourrit les rossignols, est plus petite. La Cadelle ou Cenegra paraît avoir été apportée d’Alger, avec les blés de Barbarie, car Linné dit avoir reçu de ces pays l’insecte parfait, par son disciple E. Brander ; c’est pourquoi il lui donna le nom de Tenebrio mauritanicus. Ce ténébrion, qu’on nomme panetière dans le Midi, entre quelquefois dans le pain et en dévore la mie jusqu’à la croûte, sans qu’on aperçoive par où il y a pénétré. Pour s’assurer que les larves dites cadelles viennent bien du même insecte, Dorthès en renferma dans une bouteille avec du blé ; elles vécurent jusqu’à l’hiver, mais ne purent s’y transformer eu chrysalide et en insecte. Il s’aperçut que ces larves avaient besoin, pour leur métamorphose, de s’enfermer dans la terre. Alors elles y ont donné le Ténébrion ailé, noir en dessus, brun en dessous du corps, lequel est lisse et plat. Sa tête, armée de fortes mâchoires, est finement pointillée, ainsi que son corselet : celui-ci est échancré en croissant pour s’adapter à la tête, avec des pointes aiguës de chaque côté. Les élytres ou étuis de ses ailes, brunes, sont striés et arrondis. L’insecte porte environ quatre lignes de longueur sur une et demie de largeur. Il se pose sur les grains de blé pour y pondre, mais il ne les ronge aucunement en son état complet ; il dévorerait plutôt alors ses semblables que d’y toucher, et même il attaque en cet état les teignes du blé devenues papillons ; cependant ce ténébrion est vorace de mie de pain.

Si l’on empêchait la Cadelle en larve de s’attacher aux murs et aux planchers des greniers, elle ne pourrait trouver les localités propres à sa transformation et périrait, selon la remarque du même naturaliste. Les poules sont si friandes de ces bestioles, disait Olivier de Serres, qu’elles mangent ces animaux-là jusqu’au dernier, ne touchant au blé tant qu’ils durent.

Parmentier, qui avait observé la cadelle, mais non l’insecte parfait, a vu qu’elle se sert de ses deux crochets abdominaux pour s’accrocher et se suspendre, ou pour se défendre contre d’autres cadelles ; c’est donc une espèce insociable ; on croit même qu’elle attaque les fausses-teignes et les larves des alucites ou celles des charançons du blé ; en ce sens, elle serait moins à redouter[2].

On s’est aperçu que cette larve et l’insecte cherchant la chaleur, viennent jusque dans le lit des personnes qui couchent près des greniers a blé, et qu’ils mordent même vivement le corps de l’homme ; toutefois il n’en résulte aucun accident.

§ IV. — Hannetons, Vers-Blancs ou Mans.

L’abondance, malheureusement trop commune, de ces scarabéides, nous dispense de les décrire. De tous les insectes herbivores, ce sont peut-être les plus funestes par leur voracité. À l’état de larves, ce sont ces gros vers-blancs souterrains qui rongent pendant deux, ou même jusqu’à quatre années consécutives, les plus tendres racines des plantes et les plus dures des arbres. Pendant l’hiver, ces larves, ramassées et s’enfonçant profondément ensemble, vivent à demi engourdies et sans manger, mais, remontant au printemps, elles dévorent tout sous terre dans les temps chauds ; puis, se transformant en nuées immenses, ces coléoptères, après leur noviciat inférieur, viennent ravager le feuillage de tous les végétaux.

Les espèces diverses de hannetons, outre le vulgaire, sont aussi nombreuses que dévastatrices. Engourdis, pendant le jour, dans la chaleur et la sécheresse, à peine le soir arrive qu’ils s’élancent étourdiment (leur nom vient, dit-on, de ala et tonus, ale-ton, à cause du bruit de leurs ailes) et s’entre-heurtant, se culbutant, mâles et femelles, vont rongeant et s’accouplant lourdement, inconsidérément ; leur accouplement dure vingt-quatre heures environ ; le mâle est plus petit que la femelle, et il succombe bientôt sans manger et traînant après cet effort. La femelle dépose ses œufs, d’un jaune clair et un peu alongés, dans la terre qu’elle creuse en la fouillant de ses pattes de devant, jusqu’à un demi-pied de profondeur ; elle périt ensuite. Six semaines après, il éclôt des vers d’un blanc sale ; ces larves molles, ridées, à six pattes, à tête grosse et écailleuse, à treize segmens, sont détestées des jardiniers sous le nom de vers-blancs ou mans ; ils vivent ainsi enterrés pendant trois à quatre années, se changeant alors en nymphe pour devenir hannetons.

Dans leur état de larve, pour passer à celui de nymphe, elles se construisent sous le sol une case unie, tapissée de fils de soie et de leurs excrémens ; ramassées en masse globuleuse, et se gonflant, elles perdent leur peau pour prendre l’enveloppe de nymphe, sous laquelle se dessinent déjà toutes les parties de l’insecte parfait. Dès le mois de février, le hanneton déchire cette coque ou enveloppe et en sort encore mou, humide ; il passe en cet état quelque temps pour se fortifier, puis, à l’approche des beaux jours, invité par la chaleur, il s’élance de ces limbes souterraines ; le contact de l’air le raffermit et colore sa robe à l’état parfait.

Tels sont les dégâts causés par ces insectes qu’ils suffisent en peu de jours pour dépouiller les forêts de leur verdure. C’est au point qu’ils deviennent un véritable fléau ; jardins, vergers, pépinières, prairies, moissons, pommes-de-terre, betteraves, tout est dévasté par leur voracité. Il s’est élevé de tous côtés un cri d’alarme ; les jardiniers, les maraîchers sont ruinés ; voyez surtout les arbres et les plantes d’ornement, dans les terres de bruyère qu’attaque le ver-blanc, et les terrains les mieux peuplés et ameublis ; ces précieuses cultures deviennent le théâtre de prédilection pour les ravages des hannetons ; ils y viennent pondre de toutes parts. Les jardins d’agrément, les végétaux les plus délicats sont le plus horriblement maltraités ; les arbres à fruit saccagés dans leurs racines restent deux années sans produire. Dans notre climat, les hannetons sortent hors de terre en légions infernales à la mi-avril ; ils s’accouplent une ou deux semaines après ; leurs œufs éclosent au bout de vingt à trente jours. La première année, le ver blanc cause des dégâts moins sensibles, mais la seconde année, il s’enfonce au mois de juin pour changer de peau : il remonte ensuite affamé et dévorant jusqu’aux piquets de bois, à défaut de toute racine. Le froid qui le force à s’enfoncer de nouveau, en octobre, le laisse ensuite reparaître la troisième année, pour commettre des ravages incalculables ; car il est devenu plus fort et plus vorace jusqu’à sa transformation.

Malgré de nombreux ennemis qui s’engraissent aussi de ces vers-blancs, comme les taupes, les hérissons, les rats, et plusieurs oiseaux, tels que les corbeaux qui les déterrent avec plaisir, il en reste toujours trop, car ils se multiplient d’autant plus que les cultures sont plus riches. C’est pour cela qu’ils font le désespoir des plus opulentes récoltes du jardinage.

Les meilleurs moyens de destruction du ver-blanc consistent : 1° à recueillir avec soin, au moment du labour et des binages, toutes les larves mises à découvert ; 2° à garnir pendant toute la belle saison, de plants de salade et de fraisiers, ou de bordures en gazon, en pimprenelle ou statice, en les renouvelant plusieurs fois, les terrains occupés par des cultures précieuses, afin d’attirer les vers-blancs et les tuer auprès de ces plantes sacrifiées ; 3o à parsemer de chaux, de suie, de cendres de tourbe, à forte dose, le terrain pour en écarter ces vers. — On a vanté aussi les affusions ou arrosages avec de l’eau rendue puante par la hue et autres herbes dégoûtantes ; mais ces moyens sont insuffisans.

Ce n’est pas le ver-blanc qu’il suffit d’attaquer, ce sont les hannetons femelles à qui surtout on doit déclarer une guerre à mort. Un battage des arbres ou hannetonage pendant le jour, lorsque ces insectes restent cois, depuis les 7 heures du matin jusqu’à 3 ou 4 heures du soir, les faisant tomber, on peut alors en amasser ou écraser par milliers. On a payé 15 et 20 centimes le décalitre de ces hannetons, et l’utilité de cette guerre est moins illusoire que la guerre souterraine toujours désespérante et sans garantie de succès. Il serait à désirer que des réglemens de police devinssent obligatoires pour cette destruction, comme pour l’échenillage ; car l’extermination de ces légions, si elle n’est pas suivie avec persévérance, ne serait que momentanée ; elle laisserait le péril subsister et bientôt s’accroître au-delà de toute prévision dans les meilleures terres, tandis que les sols argileux, tenaces et denses, sont moins assaillis par les vers-blancs. Déjà le département de Seine-et-Oise a voté 3,000 fr. pour la destruction des hannetons. Ces insectes à vol pesant, aimant d’ailleurs à se cantonner dans les terroirs les plus favorables à leur multiplication, peuvent être bornés à des espaces étroits, où une guerre acharnée finirait par les rendre plus rares ; mais il faut le concours des administrations supérieures ; tel est le vœu d’un rapport fait à la Société d’agriculture de Seine-et-Oise en 1834.

On a conseillé encore plusieurs autres méthodes : c’est : 1o d’enfumer les hannetons sur les arbres, pendant le jour, au moyen de flambeaux préparés avec une mèche soufrée, entourée de résine et de cire. On promène ces flambeaux allumés, de manière à suffoquer ces insectes, aux mois de mai et juin, aux heures du jour où ils se tiennent en repos sous les feuilles. Les arbres secoués ou battus avec des gaules, laissent tomber ces hannetons par milliers : il est facile de les ramasser et de les brûler à un feu de paille. 2o La méthode de ramasser les vers-blancs, après la charrue et dans les binages est trop peu efficace ; il en reste des millions dans les terrains voisins non labourés ; et en hiver, d’ailleurs, ces vers sont si profondément enfoncés que la charrue ne les déterre pas. 3o Le sacrifice des laitues ou des fraisiers, pour attirer les vers-blancs, afin qu’ils épargnent les espaliers des jardins, n’est qu’un faible palliatif. 4o L’addition de suie, de cendres de tourbe ou de houille, et de chaux, pour faire périr les vers-blancs, ne peut être ni assez considérable, ni assez profonde pour écarter d’un vaste terrain ces larves ; toutefois, ce serait au moment où les vers-blancs remontent vers la surface du sol, au printemps, que cette pratique conviendrait le mieux.

Les prédictions des retours d’années à hannetons plus nombreux, tous les trois ans, suivant quelques observateurs, n’ont rien de certain. En effet, les hivers longs et rigoureux, ou doux et chauds, n’ont pas toujours manifesté leur influence sur le développement et la multiplicité de ces scarabéides. Les années pluvieuses paraissent, au contraire, diminuer, pour les suivantes, le nombre des œufs déposés par les femelles de hannetons. Celles-ci pondent de 40 à 100 œufs. Ensuite les vers de plusieurs années précédentes forment des essaims pour celles qui succèdent, en sorte qu’on ne peut guère prévoir le degré de leur multiplication.

§ v. — Des Sauterelles et Criquets.

Les Sauterelles qu’on voit si communément sauter dans les prairies, sont, pour les naturalistes, de véritables Criquets, ainsi que les sauterelles de passage, si ravageuses et qui furent une des sept plaies de l’Égypte selon la Bible. C’est à l’aide de leurs longues cuisses postérieures, fortes ou musculeuses, que ces orthoptères s’élancent très-loin. Ils déploient aussi leurs ailes et volent parfois très-haut et à de grandes distances. Ils ont un chant ou plutôt rendent un bruit nommé chant des sauterelles, lequel est produit au moyen du frottement des élytres l’une contre l’autre sur cette partie interne, de chaque côté du corps, qui ressemble à un petit miroir de parchemin, incolore et scarieux chez les mâles seulement.

Les femelles pondent une grande quantité d’œufs réunis dans un parchemin très-mince ; il en sort bientôt des larves qui n’ont encore ni élytres ni ailes, mais, du reste, qui ressemblent aux insectes parfaits ; les nymphes présentent déjà des rudimens ou bourgeons de ces ailerons et étuis sur leur dos ; mais les sauterelles-criquets, dans toutes leurs espèces nombreuses, ne se reproduisent qu’à l’époque où les organes du vol sont développés, et où elles ont quitté leur peau qui se fend sur le dos. Ceci a lieu vers la fin de l’été.

À quelque période de leur vie que ce soit, les sauterelles mangent énormément ; leurs larges intestins formant plusieurs cavités ont été comparés à ceux des ruminans ; on a même prétendu que ces insectes ruminaient. On a vu les criquets-sauterelles, après avoir tout dévoré dans les campagnes où elles fondent en épaisses nuées, se manger entre elles par nécessité, en sorte qu’elles deviennent carnassières dans l’occasion. Cependant, nos véritables sauterelles vertes (Locusta), outre qu’elles ne se multiplient jamais aussi immensément que les criquets de passage (Gryllus), produisent moins de ravages dans les campagnes : au contraire, ces sauterelles-criquets sont si voraces, qu’on a vu des mâles montés pour l’accouplement et tenant leurs femelles embrassées fortement de leurs deux premières paires de pattes, volant ensemble en cet état, finir par ronger la tête de ces femelles qui n’en achevaient pas moins de pondre.

Les sauterelles criquets (Acrydium migratorium, Oliv.), ont près de deux pouces de longueur, une tête verte ou brune, tronquée en devant ; il y a sur le front une ligue et de chaque côté une autre, également noirâtres ; les mandibules sont d’un noir bleu ; le corselet, brun ou verdâtre, est comprimé sur les flancs, avec deux lignes sur le dos et une tache de côté. Le ventre brun-gris tacheté porte une bande brunâtre sur ses côtés. Les élytres brun-clair sont marbrées de noir, et les ailes transparentes ont une teinte verdâtre ; les jambes rougeâtres, les pattes brunâtres et les grosses cuisses tachetées de noir complètent l’aspect de cette sauterelle de passage. On la rencontre en quelques parties de la France ; elle se laisse difficilement saisir. D’autres espèces offrent plusieurs rapports avec elle ; comme les Acrydium lineola, tataricum, italicum, biguttulum, si commun avec le stridulum, dont le cri ennuyeux semble sortir de partout dans les terrains secs et pierreux, et qui est notre criquet vulgaire.

Ces insectes marchent mal et lentement, mais sautent et volent très-bien. On ne peut trop redouter les légions innombrables qui émigrent en troupes si extraordinaires dans certains pays de l’Orient, de l’Afrique et de la Tartarie, dévastant, plus que ne ferait la flamme, toute la végétation des contrées au’ils parcourent, sans que les millions d’individus qu’on s’efforce d’écraser puissent porter remède à un tel fléau.

Souvent ces insectes sont poussés par les vents ; et au coucher du soleil, ils s’abattent comme une averse d’orage, en telles masses que les arbres se courbent sous leurs poids. Une fois les campagnes ravagées, les sauterelles ne trouvant plus rien, périssent de faim par millions, et cependant leurs femelles déposent leurs œufs en quantité incalculable. Leur fécondité en effet est si énorme, que parmi les lieux où elles s’abattent, l’on peut remplir des sacs, des muids entiers de leurs œufs dans une médiocre étendue de terrain. En 1613, un passage de sauterelles aux environs d’Arles, dévasta jusqu’à la racine plus de quinze mille arpens de blé en peu de jours ; malgré des nuées d’étourneaux ou d’autres oiseaux accourus, comme guidés par la Providence, pour les attaquer, on recueillit au-delà de trois mille boisseaux des seuls œufs ; chacune de ces mesures aurait donné près de deux millions de sauterelles, ce qui en fait environ six milliards. Ces sauterelles entraient jusque dans les granges et les greniers pour tout ravager. En 1780, à Boutzida, en Transylvanie, il fallut commander des régimens pour ramasser des sacs de sauterelles ; quinze cents personnes furent chargées de les écraser, de les brûler, de les enterrer ; il n’y paraissait pas de diminution jusqu’à ce qu’un froid aigu les frappa ; mais le printemps suivant, il se leva de nouvelles légions ; il fallut faire lever le peuple en masse pour détruire cette peste, et malgré tant d’efforts, une multitude de pays furent rongés à nu. On poussait avec de grands balais dans des fosses les masses de ces insectes qu’on étouffait ou brûlait en les retenant par des toiles tendues.

Dans plusieurs contrées d’Orient, après que ces insectes ont tout ravagé, les peuples désolés se jettent sur ces ennemis et les dévorent à leur tour. Les Bédouins les font griller à petit feu ; d’autres nations les font sécher, les réduisent en farine et en font une sorte de pain. On en vend au marché à Bagdad. Des Arabes acrydophages en tirent leur nourriture et les conservent dans du beurre, qui sert à les frire ensuite. D’autres les apprêtent avec de la saumure. Un homme en peut manger deux cents par repas ; leur chair a, dit-on, le goût du pigeon. Des enfans de nos contrées méridionales mangent parfois les cuisses de ces sauterelles.

Enfin, quand ces insectes, en masse, viennent à périr dans une contrée, leurs corps entassés se putréfient ; l’odeur infecte qui s’en exhale peut engendrer des épidémies ; les eaux qui en sont corrompues ont déterminé des maladies pestilentielles, soit pour les bestiaux, soit pour l’homme.

Les étés chauds et humides sont favorables à la multiplication des sauterelles ; les temps secs et sereins concourent à leurs voyages. Telle est leur facilité pour ronger les tiges de blé ou d’orge qu’elles semblent les avaler dans leur longueur ; on les a vues attaquer les gros arbres à défaut d’autre nourriture.

Il parait toutefois que d’immenses fumigations avec le soufre, les résines brûlantes, l’acide muriatique (hydrochlorique en vapeur) éloignent ces insectes comme plusieurs autres.

§ VI. — Des courtilières.

Ce sont d’autres orthoptères remarquables par leurs sortes de mains fouisseuses, par leur habitation souterraine et leur vie nocturne, mais très-dommageables parce qu’elles rongent les racines des plantes potagères et pondent jusqu’à trois ou quatre cents œufs luisans, jaunes, dans un terrier bien préparé. Ces œufs éclosent au bout d’un mois, et les jeunes courtilières gris-blanchâtres fourragent déjà les plates-bandes et les carrés les mieux cultivés. Cependant elles détruisent aussi des insectes malfaisans et des plantes inutiles, comme elles deviennent une proie très-friande pour les taupes. En plaçant des vases plats remplis d’eau près des nids de courtilières, celles-ci venant pour se désaltérer, s’y noient souvent. Ces nids se reconnaissent à un renflement du terrain et à la langueur des plantes qui croissent dessus. On peut creuser rapidement à la bêche pour enlever la couvée presque entière. L’eau de savon noir, l’huile rance, les dissolutions de foie de soufre surtout, éloignent ces insectes ; on en a purgé ainsi une garancière qui en contenait peut-être cent mille individus.

Nous avons vu dans la première partie de cet article, qu’il existe beaucoup d’autres insectes plus ou moins nuisibles à l’agriculture, mais nous avons dû nous borner à l’histoire des plus dangereux par leurs ravages.

J. J. Virey.

FIN DU TOME PREMIER.

  1. Ce sont ce es dont on ne connaît qu’imparfaitement les organes de la fructification et dans lesquelles on ne distingue, lors de la germination, aucun embryon proprement dit.
  2. Parmentier, Traité théorique et pratique sur la culture des grains, tom. 2, p. 355 et suiv.