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IX

J’entrai donc.

Quel fut mon étonnement lorsque j’aperçus ma femme habillée comme elle l’était une heure auparavant et occupée à lire près de la cheminée.

Elle se retourne nonchalamment au bruit que je fis et me dit avec le plus grand calme :

— Je vous attendais.

Je parvins à dompter mon émotion, et m’appuyant contre la cheminée en face de Paule, je dis à mon tour :

— Pourquoi m’attendiez-vous ?

— Parce que mon verrou, en tombant tout à l’heure à mes pieds, au moment où je le poussais, m’a fait deviner vos projets. C’est vous, n’est-ce pas, qui vous êtes livré à ce petit travail de voleur ou d’amant ?

— Ou de mari, ajoutai-je, quoiqu’ils soient rarement obligés d’avoir recours à de pareils moyens. Oui, c’est moi.

— Vous l’avouez ?

— Je l’avoue, dis-je d’une voix ferme. Mon rôle auprès de vous est ridicule et j’ai résolu de ne plus le jouer.

— Qu’espériez-vous donc, si je ne m’étais pas aperçue de votre stratagème ?

— J’espérais vous prouver mon amour.

— En me faisant violence, dit-elle avec un sourire de dédain.

— Oui, en vous faisant violence, si vous m’y aviez contraint ; mais Dieu m’est témoin qu’avant d’en arriver à cette extrémité j’ai tout tenté pour vous attendrir. Ni ma patience, ni ma délicatesse, ni mes prières n’ont pu vous émouvoir.

— Croyez bien que je suis en ce moment moins émue que jamais.

— Vous ne pouvez pas l’être moins ; vous ne l’avez jamais été.

— Vous n’en savez rien. En tous cas, votre conduite de ce soir m’a indignée, et je vous déclare, pour n’avoir plus à y revenir, que toutes vos tentatives seront désormais inutiles.

— Ah ! c’est ma conduite de ce soir qui vous dicte cette détermination ?

— Oui.

— Ce n’est pas vrai ! m’écriai-je tout à coup avec violence, car jusqu’à ce jour vous n’avez rien à me reprocher, je vous ai comblée de soins, d’attentions, de prévenances, et vous n’avez pas eu pitié de moi ! Quel motif vous a fait agir avec cette rigueur ? Je veux le savoir.

Elle garda le silence.

Alors, dans une surexcitation nerveuse impossible à décrire, je lui pris les poignets, je les serrai avec force, je l’obligeai à se lever et je lui dis :

— Répondez, je le veux.

— Vous me faites mal, s’écria-t-elle.

— Répondez, je veux que vous me répondiez.

— Eh bien ! non, je ne répondrai pas ! Jamais la violence n’aura raison de moi. Ah ! vous ne me connaissez pas encore ! Eh bien ! apprenez à me connaître ; cela vous servira pour l’avenir. Ce que je veux, je le veux bien, allez ; et ce que je ne veux pas ne peut jamais s’accomplir. Vos forces s’useront contre ma volonté et vous vous épuiserez dans une lutte inutile.

Pendant qu’elle me parlait avec cette dureté, et que chacune de ses paroles me frappait au cœur, le croiriez-vous, mon cher ami, je ne pouvais m’empêcher de la regarder et de l’admirer.

Ses longs cheveux s’étaient dénoués et retombaient épars sur ses épaules, je voyais sa poitrine palpiter sous le corsage qui la couvrait à peine ; ses yeux avaient des ardeurs que je ne leur connaissais pas, et à travers ses lèvres plus colorées, plus sensuelles que jamais, apparaissaient des dents charmantes que la colère faisait s’entrechoquer.

— Ah ! que tu es belle ! m’écriai-je.

Et, oubliant tout ce qu’elle venait de me dire, réunissant ses deux mains dans ma main gauche et les tenant serrées, j’essayai de la main droite d’approcher sa tête de mes lèvres.

Elle lutta avec tant d’énergie, et déploya tant de force pour se soustraire à mon étreinte, qu’elle s’échappa bientôt de mes bras et qué j’allai retomber, brisé, sur le fauteuil où elle fait précédemment assise.

Alors, insultant à ma défaite, elle se croisa les bras et me dit :

— Croyez-vous encore venir à bout de moi par la violence ?

— Vous me haïssez donc ! m’écriai-je éperdu et des larmes dans les yeux.

Ainsi qu’il arrive dans la plupart des crises nerveuses, l’attendrissement succédait à la colère.

Cette étrange fille, touchée peut-être par ma douleur, attendrie sans doute comme je l’étais à la suite de la lutte qu’elle venait de soutenir, prit un des coussins de sa chambre, l’approcha de mon fauteuil, s’assit et me dit :

— Non, je ne vous hais pas.

Je la regardai ; ses yeux n’avaient plus leur expression habituelle, ils étaient tendres et bons.

— Alors, lui demandai-je, si vous ne me haïssez pas, pourquoi me faites-vous souffrir ainsi !

— Ne m’interrogez pas à ce sujet, me dit-elle avec douceur, je vous assure que je ne puis vous répondre. Mais, je vous le jure, loin de vous haïr, j’ai pour vous une véritable affection, j’apprécie toutes vos qualités, j’ai été sensible à toutes vos prévenances, et pour être franche, je vous avouerai que je ne vous en veux déjà plus de votre tentative de ce soir et de votre emportement de tout à l’heure. Je suis trop intelligente, croyez-le bien, pour ne pas les expliquer et les excuser.

— Pourquoi, lui dis-je, ne m’avez-vous jamais parlé avec cette douceur et cette raison ?

— J’avais peur de vous voir vous méprendre sur la nature des sentiments que vous m’inspirez et d’encourager un amour auquel je ne saurais répondre.

— Ces dernières paroles, ma chère Paule, se sont pas d’accord avec ce que vous disiez tout à l’heure. Si vous me reconnaissez des qualités, si vous avez pour moi une véritable affection, je puis espérer.

— Non, non, fit-elle en m’interrompant avec vivacité ; vous ne pouvez rien espérer, et c’est justement pour cela que j’hésitais à vous ouvrir mon cœur. Je craignais le raisonnement que vous venez de faire.

— Avouez qu’il est assez logique.

— Très-logique, j’en conviens ; sans quoi je ne l’aurais pas redouté.

— Je ne vous comprends pas.

Elle garda le silence.

— Voyons, repris-je, car je voulais profiter des dispositions où elle semblait se trouver, fiez-vous à ma vive tendresse. Ce n’est pas un mari qui vous parle, je le suis du reste si peu, c’est un ami qui aura pour vous toutes les indulgences. Peut-être avez-vous au cœur un de ces amours de jeune fille, de cousine à cousin, par exemple, auxquels on attache une importance exagérée. Eh bien ! loin de vous en faire un grief, je vous traiterai comme une enfant malade, je vous entourerai de soins et j’attendrai votre guérison.

— Non, me dit-elle, ce n’est pas cela.

— Alors je cherche et…

— Vous ne trouverez pas, et il est préférable pour vous que vous ne trouviez pas. Dites-vous : « C’est comme cela, » et essayez d’en prendre votre parti.

— Ce parti, ma chère amie, est impossible à prendre ; je suis votre mari, légalement du moins, si je ne le suis pas de fait.

— Ce mariage n’a pas dépendu de moi, vous l’avez voulu contracter envers et contre tous. Rappelez vos souvenirs : vous me rencontrez pour la première fois, un soir, aux Champs-Élysées : ai-je tourné la tête de votre côté, avez-vous l’ombre d’une coquetterie à me reprocher ? Non.

Vous vous rendez chez Mme de Blangy, vous lui parlez de moi et de vos projets ; que vous a-t-elle répondu ? « Paule ne vous convient pas, renoncez à elle. » Cependant vous vous faites présenter chez moi, vous plaisez à mon père, à ma mère, pouvais-je vous fermer la porte d’une maison où je n’étais pas la maîtresse ? Je me suis contentée de vous montrer une froideur que je ne ressentais même pas, car, je vous le répète, vous m’avez été tout d’abord sympathique. Trois semaines s’écoulent, et vous ne craignez pas de demander ma main. Toute ma famille essaye de me persuader que vous me convenez sous tous les rapports, et j’en suis moi-même convaincue. Je résiste pourtant, et mon père, qui m’a déjà vue refuser trois mariages, sans avoir donné un seul bon motif de non refus, commence à se fâcher et me menace du couvent. Le couvent ! Me voyez-vous, à vingt ans, retourner au couvent, moi qui n’ai pas d’idées religieuses ! J’ai peur et je finis par dire à mon père : « Que votre volonté soit faite ! » Mais à vous, je vous dis : « Renoncez de vous-même à vos projets ; je ne puis pas vous refuser, mais retirez votre demande. Vous méritez d’être heureux et je ne saurais contribuer à votre bonheur. » Au lieu de vous tenir pour averti, vous n’attachez aucune importance à ces paroles, vous persistez à me prendre pour une enfant qui ne connaît rien à la vie ; avec cette fatuité particulière à tous les hommes, vous ne doutez pas de vous faire aimer et vous m’épousez. Voyons ! je m’en rapporte à vous, est-ce ma faute, et pouvez-vous me reprocher ce qui vous arrive ?

— Alors, répliquai-je au bout d’un instant de silence, pour vous avoir aimée au point d’être sourd à tous les avertissements, me voici condamné à perpétuité au plus affreux des supplices ; celui de Tantale.

Elle me prit une main que je n’eus pas le courage de lui retirer et elle me dit :

— Ce supplice ne sera pas aussi pénible que vous croyez. Je saurai l’adoucir à force de dévouement et de bonne tendresse. Si je ne vous aime pas, comme vous désirez l’être, du moins, je n’aimerai jamais personne, je vous en fais le serment, car vous êtes le seul homme qui auriez pu me plaire. Vous n’aurez jamais à me reprocher aucune coquetterie vis-à-vis de vous, ni avec ceux de vos amis que vous pourrez me faire connaître. Ma vie se passera, si vous le désirez, entre ma mère, vous et Mme de Blangy. Le monde pourra vous croire le mari le plus heureux et le plus aimé, tant on me verra vous entourer de prévenances et de soins. Enfin, je serai pour vous la meilleure des sœurs.

Je réfléchis longtemps en silence à tout ce qu’elle venait de dire, j’essayai d’envisager froidement la situation qu’on voulait me faire et d’y prendre goût. Mais tout à coup mon sang se mit à bouillonner, ma chair se révolta, et, me levant, je m’écriai :

— Non, je n’accepte pas le marché que vous me proposez. Je vous aime avec passion, avec délire, et je ne puis pas consentir à vivre à vos côtés comme un frère. Je vous ai épousée pour que vous soyez ma femme, il faut que vous la soyez.

— Ah ! répliqua-t-elle, on m’avait bien dit que tous les hommes étaient égoïstes et matériels. Vous ne valez pas mieux que les autres. Eh bien ! je vous le répète, acceptez ou n’acceptez pas ce que je vous propose, je n’en serai pas davantage à vous. J’ai dit, et je vous prie maintenant de me laisser ; j’ai besoin de repos, je suis brisée, et si vous avez des prétentions à être un mari, du moins j’imagine, vous ne voudrez pas être un tyran.