Ma vie (Cardan)/Chapitre XV

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 40-42).

XV

AMIS ET PROTECTEURS

Le premier des amis de ma jeunesse fut Ambrogio Varadeo, à qui m’unissaient l’amour des échecs, de la musique, et la similitude des goûts ; puis Propero Marinone de Pavie ; Ottaviano Scotto[1], milanais, qui m’aida souvent de prêts d’argent ; enfin Gaspare de Gallarate. À Piove di Sacco je liai une étroite amitié avec Giovanni Maria Morosini, noble vénitien, et avec Paolo l’Illyrien, (69) pharmacien. Après mon retour, il en fut de même avec l’archevêque de Milan, Filippo Archinto, et par lui avec Lodovico Maggi, dont l’appui me fut utile et qui me vint en aide. Parmi d’autres, je citerai encore Girolamo Guerrini, joaillier de Milan, de qui j’appris bien des secrets que j’ai rapportés dans mes livres, à la différence de ceux qui pillent les livres. Par son intermédiaire, je pénétrai dans l’intimité de Francesco Bellotto, florentin. Plus tard je devins l’ami de Francesco Croce, jurisconsulte distingué, habile mathématicien et honnête homme, qui m’aida beaucoup dans mon affaire avec le Collège. Donato Lanza, pharmacien, me concilia l’amitié de Francesco Sfondrato, sénateur, de Crémone[2], plus tard cardinal, par qui j’acquis celle du préfet de police, également crémonais, Giovanni Battista Speciano, homme savant et d’une singulière vertu ; ce dernier me fit connaître aussi Alfonso d’Avalos, gouverneur de la province et général de l’armée impériale. C’est également grâce à Sfondrato que j’obtins une chaire de médecine à Pavie. Par la suite, je fus pris en amitié par André Alciat, cet admirable jurisconsulte et orateur, puis par son cousin Francesco, (70) aujourd’hui cardinal, ensuite par deux cardinaux : le très sage Giovanni Morone et Pier Donato Cesi. Ma situation dépend de la protection de ces trois mécènes, auxquels il faut en ajouter un quatrième, Cristoforo Madruzio, cardinal de Trente, d’une illustre famille princière, qui n’est inférieur à aucun autre dans ses bienfaits envers moi et dans sa libéralité envers tous. Puis, pour en revenir à des amis qui soient mes égaux, mon intimité avec l’excellent Panezio Benevento, arétin, plus précieuse pour moi que tout l’or du monde, brilla avec une constance qu’elle tenait de sa propre valeur. De cette époque datent mes relations avec Taddeo Massa, vénérable prêtre romain d’une sagesse et d’une honnêteté singulières et, avant lui, avec Giovanni Meona, secrétaire de Don Ferrante Gonzaga, gouverneur de la province et chef de la milice impériale. Je fus aussi lié avec Charles Borromée et Marc-Antonio Amulio, tous deux cardinaux de grande vertu et avec tant d’autres qu’il serait trop long de citer. Lorsque, grâce à l’action et à l’autorité des cardinaux Borromée et Alciat, je vins à Bologne pour y enseigner la médecine, je fis amitié avec tout l’illustre Sénat de cette ville : ces gentilhommes sont merveilleusement obligeants, (71) humains, sages et magnifiques. Parmi les médecins j’eus deux amis de mœurs irréprochables, d’une science au-dessus du médiocre, tous deux modénais, Camillo Montagnara et Aurelio Stagni. En outre, j’ai montré une bienveillance particulière pour Melchiore della Valle, milanais, et Tommaso Iseo, brescian, ce qui m’attira de graves inimitiés. Je nommerai encore : parmi les cardinaux anglais John Cheke, tuteur du roi Édouard VI pendant sa première enfance ; Claude Laval, ambassadeur du roi de France en Angleterre et prince de Bois-Dauphin ; parmi nos concitoyens Lodovico Taverna, le très distingué préfet de la ville, à la vertu singulière de qui je dois beaucoup ; parmi les professeurs, Francesco Vimercati, philosophe milanais, et André Vésale, un maître de l’anatomie que j’admirais. Dans mon enfance je cultivai aussi l’amitié de deux amis de mon père, Agostino Lavizario, de Come, maître des requêtes au Sénat, et Galeazzo Rossi, forgeron, dont j’ai souvent fait mention. J’ai également parlé ailleurs de Francesco Buonafede, médecin de Padoue. Et je passe sous silence (72) beaucoup de savants mes amis, parce que, même sans mon suffrage, leur érudition les a fait connaître du monde entier. Il me suffit de prouver, par le témoignage de ma reconnaissance, que je n’ai pas oublié ceux dont je voudrais, autant qu’il est en mes moyens, faire survivre le nom en l’écrivant ici. C’est pourquoi j’ajouterai encore le savant Guillaume du Choul, gouverneur du Dauphiné, Bonifazio Rodigino, jurisconsulte et astrologue éminent, ainsi que Giorgio Porro, du canton des Grisons, Luca Giustiniani de Gênes, Gabriele Aratore de Caravaggio, arithméticien distingué. Mais je me liai d’une amitié toute particulière avec Gian Pietro Albuzio, médecin et professeur milanais, avec Marc Antonio Maioraggio, de même qu’avec Mario Gessi de Bologne. Laurent Zehener, médecin de Carinthie, fut aussi de mes amis, ainsi qu’Adrien le Belge, qui me témoigna une rare confiance et à qui je suis redevable de beaucoup de services et de bienfaits.

Quant à la protection du prince de Matelica, elle fut plutôt divine et elle est trop grande pour paraître avoir une origine humaine. Je passe sous silence (73) les vertus singulières de son âme, vertus dignes d’un roi, sa connaissance des sciences et des affaires, l’agrément de son esprit, sa bienveillance, mais que dirai-je des accroissements de sa fortune, de la gloire de son père, de sa sagesse qui dépasse le faîte de la sagesse humaine, et chez tous deux le souvenir des services rendus et de nos anciens rapports d’amitié. Qu’y avait-il en moi qui pût l’engager à tant de bonté ? Ce ne furent ni les services rendus, ni les espérances que je lui inspirais : un vieillard, méprisé par la fortune, abattu et sans agrément. S’il y eut une raison, ce ne fut que l’estime pour mon honnêteté. De tels hommes, ne jugerez-vous pas plutôt que ce sont des Dieux ? eux qui accordèrent à l’amour de la science, à la simplicité des mœurs, à la reconnaissance, à la fidélité, aux travaux continuels, aux efforts et aux entreprises dignes de gloire, tout ce dont les autres ont coutume de gratifier la puissance, les espérances, les services, la longue familiarité et les flatteries.


  1. Ce fut l’éditeur du premier ouvrage scientifique de Cardan : Hieronymi Castillionei Cardani, medici mediolanensis, De malo recentiorum medicorum usu, libellus… Eiusdem libellus de semplicium medicinarum noxa. Venise, 1536. Cf. De libris propriis (I, 61, 65, 67). Scotto publia aussi plus tard De consolatione libri tres, Venise, 1642.
  2. Voir chap. XL.