Ma vie (Cardan)/Chapitre XIX

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 48).

XIX

LE JEU ET LES DÉS

Il n’est peut-être rien dans ma conduite qui puisse me rendre digne d’éloges, mais, si j’en mérite, ils sont assurément moindres que le blâme que me vaudrait justement, je le sais, mon application immodérée aux échecs et aux dés. Pendant des années j’ai joué à ces jeux — plus de quarante ans pour les échecs, environ vingt-cinq pour les dés, — et je ne veux pas seulement dire au cours de ces années, mais, j’ai honte de le dire, chaque jour. Par là j’ai perdu à la fois la considération, mes biens et mon temps. Il n’est pas resté un coin où abriter ma défense — sauf, si on veut la prendre, qu’on dise que je n’aimais pas le jeu, mais que j’avais en horreur les occasions qui me poussaient à jouer : les calomnies, les injustices, la pauvreté, l’arrogance de certains, le désordre dans la société, le mépris dont je souffrais, ma nature (82) maladive et l’oisiveté imméritée, conséquence de tout le reste. La preuve en est que lorsqu’il me fut possible de remplir un rôle honorable, j’abandonnai celui-là. Ce n’était donc point l’amour du jeu, ni le goût du plaisir, mais la haine de mon état et une façon d’y échapper. Il y a beaucoup de trouvailles remarquables dans mon livre sur les échecs[1] ; mais, à cause de mes occupations, j’en ai laissé échapper beaucoup d’autres, surtout huit ou dix que je n’ai jamais pu retrouver et qu’il semblait impossible de découvrir tant elles dépassaient la pénétration de l’esprit humain. J’ai ajouté ces mots pour avertir les curieux, à l’esprit de qui elles viendraient un jour (et j’espère que cela se produira), de les ajouter comme un couronnement à mon ouvrage.


  1. Voir chap. XLV.