Ma vie (Cardan)/Chapitre XX

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 49).

XX

LE VÊTEMENT

Je pense exactement de moi ce qu’Horace disait de son Tigellius ; j’irais jusqu’à dire qu’Horace a parlé de moi sous ce nom : « (83)Rien de constant chez cet homme : souvent il courait comme s’il fuyait l’ennemi ; bien souvent il marchait comme s’il avait porté les objets du culte de Junon. Il avait souvent deux cents esclaves, souvent dix seulement. Tantôt il ne parlait que de rois, de tétrarques, de rien que des grandeurs. Tantôt il disait : Je ne souhaite qu’une table à trois pieds, une coquille de sel pur, une toge qui me défende du froid, si grossière soit-elle ! »

Vous en demanderez la raison ou plutôt les raisons ? Les voici : c’est la diversité de mes pensées et de mes habitudes, et aussi le soin de ma santé physique ; en changeant souvent de ville ou de maison, il me fallait changer aussi de vêtements que je ne pouvais vendre, à cause de la perte subie de ce fait, ni garder inutiles ; d’où la néces sité m’imposa sa loi. Une autre cause, non moindre et non moins pressante, (84) c’est que les études font négliger la famille ; et de ce manque de soins domestiques découle la négligence dans le vêtement : on en possède beaucoup, il en reste peu pour l’usage. Pour cette raison je suis loin de mépriser l’opinion de Galien, d’après laquelle un homme doit se contenter de quatre vêtements, ou de deux si on ne compte pas la chemise. On peut ainsi, ou mieux on doit les varier suivant l’occasion et le but. Il suffit donc, je pense, de quatre vêtements de divers poids, lourd, très lourd, léger et très léger : en les portant deux à deux, on obtient quatorze combinaisons et on n’use que le vêtement qui recouvre les autres.