Ma vie (Cardan)/Chapitre XI

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 29).

XI

PRUDENCE

Persister dans son dessein, même si le choix fut médiocre, vaut quelquefois mieux que bien choisir et varier (50) ensuite, fût-ce seulement par suite de l’ardeur des désirs et de l’inconstance, de l’écoulement et de l’inanité des choses humaines. Aussi, m’étant fixé une règle dans cette entreprise très difficile, pour traiter à la fois de moi-même et de la sagesse, je compris que, comme d’autres choses, celle-là était fort aisée. D’abord, les buts étant très divers et chacun choisissant ce qui lui convient, il y a tant de manières, tant d’événements, de dispositions, d’occasions que personne n’oserait raisonnablement me reprendre, à moins d’être mieux informé que moi de mes affaires et de mes pensées (ce qui est tout à fait impossible). Cela établi, il s’agit de déterminer quelle est la meilleure manière d’atteindre le but, si elle est permise ; ensuite, — et ceci dépasse notre capacité de réflexion, — quel est le moyen le plus commode ; puis, comment retenir l’acquis ; enfin, comment employer ce que l’on a obtenu. Dès le début, j’ai indiqué combien j’étais peu apte à l’εὐβουλία ou φρόνησις. Car si ces mots ne marquent que la prudence, c’est comme si nous disions sagesse humaine ; or rien que nous connaissions, à l’exception des seuls hommes, n’est doté de prudence. Aucun des autres êtres vivants ne la possède. Quant aux êtres divins, ils ont mieux, c’est l’intuition. (51) Pour l’harpocratique, du moment que c’est une autre espèce, il n’en est pas question ici. Donc en ce qui concerne la prudence, il en fut ainsi. D’après l’apparence les opinions furent diverses, car chacun mesure tout selon son propre esprit. Je comprends que je manque et que j’ai beaucoup manqué de cette douceur humaine et de ce discernement ; et encore, ce peu a été gâché par mes desseins que j’ai indiqués plus haut.