Ma vie (Cardan)/Chapitre LIV

Traduction par Jean Dayre.
Texte établi par Jean DayreHonoré Champion (p. 188-189).

LIV

ÉPILOGUE

Je crois donc être maintenant à l’abri du soupçon d’avoir menti. Moi qui ai vécu avec la passion de la vérité, à laquelle j’ai associé l’amour de Dieu, l’espoir des récompenses éternelles et la possession de tant de science et de sagesse, je ne veux pas tout perdre d’un seul coup. Laissons ceux qui se trompent par ignorance ou qui se plaisent à mentir, grossir ce qu’ils ont entendu, lu ou même vu, dans l’espoir d’en imposer. Mais, demandera-t-on, quel espoir de faire accepter ces histoires dont on ne croirait pas une seule si mille personnes (321) appuyaient le témoignage de celui qui les rapporte ? Ce n’est donc rien autre que l’amour de la vérité. Mais les hommes sont bien différents entre eux, comme les oiseaux carnivores. Les uns, dégoûtants comme les corbeaux et les corneilles, vivent dans les débauches, les vols, les ruses et la cruauté ; les autres, de meilleure race comme les aigles et les faucons, brûlent d’orgueil excessif et de colère. Qu’y a-t-il d’étonnant si ces hommes ne remarquent rien de ce que je raconte, bien que des exemples analogues remplissent les livres de tous les historiens tant sacrés que profanes. Au lieu de ces hommes qui me sont contraires, j’ai pour m’approuver Dieu et le ciel plein de bienheureux et de sages ; j’ai pour moi les infiniment nombreux au lieu du petit nombre, les véridiques au lieu des menteurs, les sages au lieu des fous. Les princes ne devraient avoir qu’un soin : à l’exemple des anciens infliger de justes châtiments à ceux qui se déchaînent contre les hommes honnêtes et savants. S’ils le négligent — sans compter que leur puissance sera abattue — un seul être leur demandera des comptes à tous pour toutes leurs actions. Ainsi donc ce n’est pas pour célébrer ma gloire que j’ai rapporté ci-dessus mes succès dans mon art (me croit-on assez déraisonnable pour vouloir reprendre le faix ?), mais pour faire comprendre aux hommes (tandis qu’ils ont les moyens de rechercher la vérité) l’homme que je suis, (322) c’est-à-dire véridique et honnête et à qui un esprit divin a communiqué sa force. Les actions humaines sont réglées par l’habileté, la raison, Le conseil, l’inspiration, l’occasion, l’élan et le hasard. L’habileté a des effets certains, quand elle est de la nature de celle du forgeron, par exemple. Le conseil des hommes est soumis à leur caprice : s’ils ne sont pas tes amis, rien ne peut les changer, ni aucun bienfait, ni de soudaines preuves de cruauté, comme le montre l’expérience. L’inspiration est un oiseau rare et n’a jamais suffi à personne dans tous les cas. L’occasion, surtout quand elle est prévue, est bonne, mais elle aussi ne luit pas toujours. La raison est la plus sûre chez les gens expérimentés et quand nous y avons appliqué nos soins. De même, le hasard est mauvais ; l’élan irréfléchi est le pire de tout, sauf parfois dans la bataille, parce qu’elle est stupide. Dans le domaine de la raison, je me guide d’après mon livre Actus ; pour les fonctions de l’esprit j’ai le don de la splendeur, que l’on peut indiquer mais non décrire ; pour tout ce qui dépasse les mortels mon esprit familier, qui ne peut être ni décrit ni indiqué et qui n’est pas en mon pouvoir.

FIN