Ma tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle/33

(Volume II, tome 3p. 125-142).
Partie 3, chapitre XXXIII.




CHAPITRE XXXIII.


Je me confesse au vicaire : comment
il veut me donner l’absolution.


Ma tante me sermonna tant, en me disant que ce ne serait que pour quelque temps, et que sitôt qu’elle aurait trouvé une bonne occasion, qu’elle allait chercher pour moi, elle m’emploierait différemment, que j’y consentis pour lui complaire.

Je commençai donc à balayer dans l’église, à secouer, épousseter et ployer les chappes et ornemens, et à récurer les lampes et les chandeliers de cuivre argenté… j’allai même au catéchisme et aux instructions du vicaire, qui devait m’apprendre à répondre la messe… mais il me parut bientôt qu’il était d’humeur à vouloir m’en faire chanter une première, à moi-même.

C’était un homme de trente ans, tout au plus, d’assez bonne mine, et qui me regardait toujours d’un air qui semblait deviner quelque chose de mon travestissement.

Un jour enfin, et il n’y avait guères qu’un mois que j’étais au presbytère, le curé m’ayant engagée à approcher des sacremens, pour me disposer à une grande fête qu’on allait célébrer, je dus commencer par la confession, et c’était le vicaire qui devait m’entendre.

Intimidée et troublée par toutes les réflexions que j’avais déjà faites sur l’irrégularité de ma conduite, je m’approchai du confessionnal en tremblant, et les questions pressantes et insidieuses du vicaire achevèrent de me démonter… Je balbutiai, je me coupai… bref, comme j’étais de bonne foi, et que par un motif de religion même, je voulais tranquilliser ma conscience, je finis par lui avouer mon sexe, et les raisons qui m’avaient portée, ainsi que ma tante, à tromper le bon curé sur ce point.

Le vicaire, enhardi par l’aveu de ce secret, qu’il avait eu déjà la clairvoyance de deviner à-peu-près, me dit, d’un air caffard, que comme il était à ce tribunal de pénitence pour entendre tous les autres pécheurs, il n’avait pas alors le temps de me dire beaucoup de choses nécessaires et relatives à l’état de ma conscience ; mais que nous avions l’occasion de nous revoir, puisque je demeurais, ainsi que lui, au presbytère… que je me retirasse donc, pour lui laisser expédier les autres, et que j’allasse le lendemain matin à sa chambre, sans rien dire au curé ni à ma tante, et que là, tête-à-tête, nous achèverions l’examen de cet article important ; et il me renvoya.

Je ne savais trop si je devais aller chez ce vicaire ; je ne sais quoi m’inspirait de l’éloignement pour sa chambre. Trois fois je vins jusqu’à sa porte, et trois fois je me retirai sans oser frapper… Il me semblait qu’on ne devait se confesser que dans un confessionnal !… « Eh bien, me disais-je, il en a peut-être un chez lui… Et puis, le curé, qui est un saint homme, ne dit-il pas tous les jours que le bon Dieu est par-tout et qu’il voit tout… et le vicaire ne le répète-t-il pas aussi chaque fois qu’il fait le catéchisme… puisqu’il le sait si bien, il pense donc qu’il est dans sa chambre comme à l’église !… je dois donc le croire aussi, moi… et, comme m’a dit ma tante, cette méfiance que j’ai du vicaire, est encore un péché dont il faut que je m’accuse à lui… Entrons donc »…

Et je m’avançai plus hardiment cette fois ; et, après avoir fait, bien dévotement un bon signe de croix, je frappai un petit coup à sa porte.

Il m’ouvrit… Je ne sais s’il m’attendait déjà, ou si je l’avais surpris pour avoir été trop matin, mais il me parut d’abord qu’il n’avait sur lui qu’une simple et longue soutane, et rien par-dessous.

Je m’excusai d’être venue de si bonne heure, et voulus me retirer pour lui laisser achever sa toilette, en lui disant que je reviendrais un peu plus tard,… mais il me retint sous le prétexte que les affaires de conscience ne souffraient aucun retardement ; que souvent la grâce de Dieu, qui nous donnait dans un moment la componction et le repentir, nous manquait dans un autre ; et que quelquefois la perte d’une seule minute pouvait occasionner la perte d’une ame !

Après ce beau et dévot préambule, il voulut me faire asseoir. Je voulais me mettre à genoux… mais il s’obstina à me faire mettre sur une chaise qu’il approcha de sa bergère, sur laquelle il s’étendit fort librement.

« Mon enfant, me dit-il, nous ne sommes pas ici à l’église, et l’on peut y prendre des postures moins contraintes ; ainsi, mettez vous à votre aise, et ne nous gênons pas ».

Ce début me parut un peu leste pour une préparation à un sacrement !

« Savez-vous, ma fille, continua-t-il en me prenant les mains d’une manière encore plus libre, que vous avez commis un gros péché, en vous déguisant ainsi sous un habit scandaleux… et que je suis embarrassé pour la pénitence que je dois vous ordonner ?

» Comment, donc ! dis-je ? en baissant les yeux, toute confuse ? un habit scandaleux ? — Eh mais, oui ; un habit qui laisse voir toutes les formes voluptueuses et attrayantes qu’une jeune fille doit cacher avec soin… Voilà vos jambes et vos cuisses toutes découvertes, en promenant sa main tout le long… il est vrai qu’elles sont admirablement bien faites !… mais c’est encore une tentation que cela donne de plus. — Mais, mon cher monsieur, cela ne peut pas tenter puisqu’on ne sait pas que c’est à une fille. — Oh, oh ! qu’on le devine aisément, allez ! et je n’en ai même pas été la dupe plus d’un jour. De plus, voilà encore ici d’autres jolies choses qui annoncent bien décidément votre sexe ». Il caressait mon sein. Je n’aurais pas voulu le laisser faire, et je n’osais l’en empêcher de peur de sa colère, qui pouvait être dangereuse pour ma tante et pour moi… d’ailleurs, je ne devais pas encore lui supposer de mauvais desseins, craignant aussi de retomber dans le péché de la défiance que j’avais eue de lui, et que ma tante m’avait si fort défendue… Je lui dis seulement qu’en habillement de fille, ces marques de mon sexe paraîtraient encore davantage.

« Cela se peut, reprit-il, mais elles étonneraient moins ; et les égards que l’on doit à ce sexe aimable, serviraient de porte-respect, au lieu que dans un garçon, qui ne doit pas avoir de ces éminences intéressantes, la surprise fixe les yeux dessus, et excite des désirs criminels que l’on retient d’autant moins, qu’on suppose moins de décence à la personne déguisée.

» Vous m’effrayez, monsieur ! et vraiment je n’ai pas pensé commettre tant de mal ; c’était au contraire pour empêcher les autres d’en commettre à mon sujet, et d’avoir de ces désirs criminels dont vous parlez, que ma bonne tante avait imaginé de me travestir ainsi. — Comment ! monsieur le curé ne sait pas que vous êtes une fille ? — Non, monsieur, très-certainement. — Allons donc, vous ne me le ferez pas accroire… Il est vieux véritablement, et ses yeux ne sont pas bien clairs ; mais il a de bonnes lunettes, qui lui rapprochent et lui éclaircissent les objets… et en voilà qui ont dû frapper sa double visière »… et il reportait toujours les mains sur ma gorge… Puis, en me tirant sur ses genoux… Avouez-moi le fait, mon enfant. Quoique je vous aie dispensée des formules et des postures humiliantes auxquelles on est assujéti dans le temple du Seigneur, ne vous en regardez pas moins ici comme au saint tribunal de la pénitence, et pensez bien que déguiser la vérité, c’est encore aggraver ses premières fautes, et se rendre indigne d’en recevoir le pardon.

» Mais, monsieur, je ne peux pas vous avouer ce qui n’est pas. — Quoi ! monsieur le curé n’a jamais touché ces deux jolis petits pécheurs-là ? Et il les retouchait encore. — Non, monsieur, certainement. — Et il ne les a jamais baisés ? et il voulut les baiser lui-même…

» Monsieur, lui dis-je, en le repoussant avec émotion, monsieur le curé est un saint homme qui ne s’est jamais permis, vis-à-vis de moi, des libertés indécentes. — Ah ! vous vous obstinez à le nier !… Vous ne voulez donc pas que je vous donne l’absolution de vos fautes ? — Monsieur, je suis venue vous la demander pour celles que j’ai commises. — Eh bien, détaillez-les-moi donc. — Mais je vous les ai toutes déclarées hier, et je ne sache pas en avoir fait d’autres depuis… — Mais votre histoire avec le curé ?… — Monsieur, vous l’offensez, et moi aussi. Il est un respectable prêtre, et je suis une honnête fille. — Oui, qui se déguise en garçon pour coucher chez un homme. — Tous les prêtres, quoique des hommes, ne sont pas tous des débauchés… — Ah, ah ! une épigramme que vous me lancez !… C’est encore un péché de plus pour lequel je vais vous donner une pénitence… Or donc, puisque le curé vous a recommandé le silence sur cet article, dont vraisemblablement le bon vieillard vous donne l’absolution comme il peut… je ne vous ferai plus de question à ce sujet, et je vous en donnerai même aussi mon absolution… qui vaudra mieux que la sienne… mais lorsque vous aurez fait la pénitence que je vous impose, et qui n’est pas rude ; c’est de m’embrasser… Venez, ma charmante pécheresse, et je vais vous absoudre ».

Alors il se leva vivement, m’embrassa malgré moi, sans que je pusse m’en défendre, tant j’étais abasourdie de ses discours. Il me dit que nous allions d’abord déjeûner avec des confitures et de bon chocolat qu’il m’avait préparé, et qu’ensuite nous procéderions à mon absolution générale, avec la permission même de continuer mon déguisement ; qu’il ne me demanderait qu’une chose, c’était d’être discrète à son égard comme je l’étais à celui du curé, et qu’il se persuadait que bientôt je ne voudrais plus que lui seul pour confesseur et directeur… Alors il avança à son armoire pour en tirer des pots de confiture ; moi, au contraire, je me rapprochai de la porte pour sortir de chez lui… mais je ne l’osai pas. La crainte de mettre ma tante dans l’embarras, si le vicaire révélait mon travestissement au curé, et la promesse qu’il me faisait de m’en donner l’absolution, et la permission de le continuer, me retenaient dans cette chambre, malgré les impulsions secrètes qui me poussaient à en sortir.

Pendant ce combat intérieur qui se passait en moi, entre la pudeur qui me paraissait en risque, d’un côté, et l’intérêt de mes affaires, de l’autre, le vicaire avait couvert sa table de conserves, de gêlée et de fruits confits, et avait fait mousser dans des tasses du chocolat qui était effectivement apprêté d’avance, et qu’il avait tenu tout chaud devant le feu… Il me rattrapa donc, hésitant près de la porte, et me fit rasseoir en me disant de ne plus penser au sacrement ; que la confession était finie ; qu’il n’y avait plus ni pénitente ni confesseur, mais deux bons enfans qui pouvaient et qui devaient devenir deux bons amis… qu’il ne tenait qu’à moi de voir combien il voulait sincèrement être le mien ; et pour me le prouver, il me caressait et m’embrassait toujours en me servant et me faisant manger malgré moi.

« Mais, monsieur le vicaire, lui dis-je enfin, est-ce donc comme cela qu’on administre le saint sacrement de la pénitence ?… Et moi, qui me confesserais comme d’un grand péché, si je m’étais laissée embrasser par un autre, n’en fais-je donc pas un plus mortel de me laisser embrasser par un homme d’église ?

» Oh ! non, reprit-il, c’est bien différent ! Dieu nous a donné, à nous autres prêtres, comme jadis Jésus à ses apôtres, le pouvoir de lier et de délier… d’ailleurs, vous devez bien le savoir… Est-ce que le bon curé ne vous en fait pas autant ? — Je vous ai déjà dit, lui répondis-je, premièrement, que monsieur le curé ne me connaît pas pour être une fille ; secondement, qu’il est trop vertueux pour abuser de mon sexe s’il le connaissait. — Dites donc trop vieux, reprit-il vivement et avec malignité… Au surplus, tant mieux si le bon homme ne le sait pas ! gardons ce secret-là entre nous deux, et vous verrez, telle chose qu’il en soit, que vous ne perdrez pas au change ».

Et, s’animant à mesure par l’indécence de tous les propos qu’il me tenait, il se leva, et me faisant lever aussi, il voulut m’entraîner du côté de son lit…

« Eh bien ! eh bien ! monsieur le vicaire, lui dis-je, en résistant à ses efforts, que faites-vous ?… où me menez-vous donc ?… — Au confessionnal, où je vais vous donner l’absolution. — Fi, donc ! monsieur, m’écriai-je, en le repoussant, j’avais cru jusqu’à présent que vous plaisantiez ou que vous vouliez m’éprouver ; mais je n’aurais jamais attendu pareille chose d’un homme de votre caractère. Je ne veux pas de votre absolution. — Comment, petite endurcie ! vous tombez donc dans l’impénitence finale ?… vous persévérez dans votre péché, et vous refusez les moyens que je vous offre de vous sauver !… — Mais, monsieur, ces moyens-là me damneraient plutôt. — Eh bien ! dit-il, hors de lui, damnons-nous donc ensemble. Je veux aller au même enfer que mon curé… ou vous faire convenir que je sais mieux mener en paradis que lui »… Et me poussant fortement sur son lit, pour m’absoudre malgré moi… je ne sais trop auquel de ces deux si différens séjours il allait me faire trouver, lorsque de grands coups précipités, frappés à sa porte, lui firent lâcher prise, et nous retirerent tous deux du chemin équivoque dans lequel il voulait entrer avec moi…

Il me conjura, à basse voix, de me mettre à genoux devant une chaise près de son fauteuil, et de ne rien dire… et il ouvrit. C’était ma tante.

Sans avouer encore que j’eusse révélé le secret de mon sexe au vicaire, je lui avais dit qu’à cause du grand nombre de ses pénitens, il m’avait engagée à venir me confesser chez lui le matin. Etonnée de me voir tant tarder à retourner, et le curé m’ayant déjà demandée, elle accourait pour me chercher.

Elle fut édifiée de me trouver à genoux… Mais me voyant échauffée et toute rouge… « Eh, mon Dieu ! monsieur le vicaire ! vous l’avez donc bien grondé, lui dit-elle ; il est vrai que c’est un petit drôle qui est bien espiègle… mais ça ne peut pas encore avoir commis de péchés mortels ; et, outre la menterie, la gourmandise, la désobéissance et la paresse… je ne crois pas que sa confession puisse rouler sur autre chose…

« Eh mais ! dit le vicaire, jugeant à ce discours que ma tante ne savait pas que je lui avais déclaré mon sexe, et en me faisant des signes, ces péchés-là méritent assez de fortes pénitences mais votre neveu a la contrition, il m’a promis de ne plus retomber, et j’allais lui donner l’absolution quand vous avez frappé… c’est comme s’il l’avait… et je lui ai dit que s’il voulait se laisser conduire, je le mettrais dans le chemin du paradis. Mais comme vous nous avez interrompus, et que les actes de ce sacrement sont des mystères secrets, nous y procéderons une autre fois. A présent, la bonne tante, profitez de l’occasion, puisque vous voilà, et prenez une tasse de chocolat… ». Et il lui en versa, après lui avoir avancé une chaise.

Ma tante avait du coup d’œil et de la prudence : elle devina bien vîte à mon air, qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire ; mais elle calcula en même temps qu’il fallait tout savoir au juste, avant de prendre un parti, et que celui de heurter le vicaire n’était pas le plus sage… Elle fit donc mine de ne rien soupçonner, accepta sa tasse de chocolat avec bien des remercîmens, la but sans me faire à moi-même aucune question, et demanda ensuite au vicaire la permission de me remmener, parce que monsieur le curé avait besoin de moi.

Il joua de même aussi fort bien son jeu. Il nous reconduisit jusqu’au bas de son escalier, et ayant eu l’attention de faire passer ma tante la première, il me serra la main par-derrière elle, en me recommandant de ne lui rien dire, jusqu’à ce qu’il m’eût parlé en particulier dans le courant de la journée… Me voilà donc hors de chez le vicaire, et ma bonne tante m’a encore retirée d’une situation bien critique.


Fin de la troisième partie.