Éditions Édouard Garand (p. 7).

III


Les jours qui suivirent l’arrivée de Jules à M… furent pleins de jolis et touchants incidents qui, enchaînés et mis en gerbe, formèrent un charmant bouquet de tendresse d’une part, de gentillesse de l’autre : une idylle, quoi !

Mandine était devenue joyeuse, vive et gaie comme un pinson, tandis que mon ami Jules négligeait les parties de pêche, les marches dans les bois à l’aventure, dont il s’était tant promis de jouir quand nous étions en ville. Les deux jeunes gens ne se quittaient plus et il devint évident qu’un amour sérieux s’était déclaré entre eux.

Ma tante avait tout l’ouvrage de la maison sur le dos. Cependant elle ne disait rien et trimait fort, heureuse et flattée des attentions que Jules portait à son idole.

L’oncle Toine, toujours taciturne, ne disait mot non plus, mais il guettait tout ce qui se passait avec des yeux sournois et méfiants. S’il était content de la présence de mon ami à la maison, il n’en laissait rien paraître.

Il s’ouvrit à moi cependant, un jour que j’étais aux champs avec lui.

— Heu !… c’qui fait c’garçon au gouvernement ? demanda-t-il soudain.

— Comme beaucoup d’autres, répondis-je en souriant, il écrit… il fait un travail de routine.

— Va garder sa place longtemps, j’crois. Doit pas s’éreinter à l’ouvrage, c’pas ?… Y gagne six cents piastres par année. Fait cinquante piastres par mois, une piastre soixante-six par jour !… Hum… Met-y quéqu’chose de côté ?

— Je ne sais pas, mais c’est très possible…

— Oui, oui, c’est comme tous ces becs-fins de la « Chambre », ça s’met tout sus l’dos et ça crève de faim ! Ça veut péter… trop haut !

Je vis bien qu’il était au courant du petit roman qui se déroulait dans sa maison, et qu’il n’en était pas trop ravi.

Ma tante, au contraire, était aux anges de voir sa Dine admirée de Jules et concluait à une dénouement tout beau, tout rose.

Jules était sérieusement épris et il n’avait pas tardé à me faire part de son amour pour ma cousine, sans cependant me faire de confidences quant à ses projets pour l’avenir. Je le savais assez honnête garçon pour n’avoir aucun doute sur la loyauté de ses intentions et j’étais loin de croire que le petit roman, à peine ébauché, ne pût être jamais autre chose qu’un incident passager, une amourette d’enfants, une petite fièvre d’été que l’automne aurait vite calmé et guérie.

Cependant la nouvelle d’une maladie grave de mon père me rappela soudain à Ottawa, et comme Jules avait encore à jouir de plus d’un mois de vacances, je partis seul de M… et revins à la maison paternelle pour assister aux derniers moments de mon père, qui fut enterré deux jours plus tard. En ma qualité d’aîné, j’eus à m’occuper des affaires de la famille, voir à toucher les assurances et autres détails, et presqu’un mois s’écoula avant que je pus songer à retourner chez mon oncle Toine, pour leur faire mes adieux et rapporter mon mince bagage.