Mœurs financières de la France
Revue des Deux Mondes3e période, tome 51 (p. 755-782).
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MŒURS FINANCIERES
DE LA FRANCE

LES TITRES DES SOCIÉTÉS DE CHEMINS DE FER.

Si la propriété mobilière, dans les dernières années de ce siècle, a pris en France un développement prodigieux, les titres de nos sociétés de chemins de fer en forment l’élément principal. Plus encore que les titres de rentes sur l’état ils la représentent aux yeux du public. A ne prendre que les six grandes compagnies des chemins de fer, celles du Nord, de l’Est, de l’Ouest, de Paris-Lyon-Méditerranée, d’Orléans et du Midi, les trois millions cinquante-neuf mille actions et les vingt-six millions quatre cent vingt-huit obligations[1] qu’elles ont créées circulent en plus de mains, excitent plus de sollicitudes que nos sept cent quatre-vingt dix-sept millions de rentes, 5, 4 1/2, 4 et 3 pour 100[2]. Que l’on ajoute aux six grands réseaux les sociétés formées pour l’exécution des lignes secondaires et des chemins locaux, dont les titres, principalement placés en province, y jouissent d’une grande notoriété, et l’on concevra sans peine quelle popularité s’attache à cette nature de valeurs. Quand on s’est habitué à constituer sous un certain mode le capital qui aide à travailler, à vivre, à organiser l’avenir, à pourvoir aux besoins de la famille, toute altération possible de ce mode préféré, tout changement dans la fortune des sociétés ainsi constituées éveillerait des craintes universelles qu’il est sage de prévenir.

La question du régime des chemins de fer, de leur exploitation, de leur rachat, soulevée tout récemment et devenue bien vite l’objet de vives controverses, paraît donc de celles qui, pour les possesseurs de la fortune mobilière, offrent un intérêt de premier ordre ; actionnaires et créanciers des compagnies de chemins de fer, tous se sentent touchés par des projets qui atteindraient directement ou indirectement les valeurs dont ils jouissent. Quoique l’intérêt général, supérieur à cet intérêt particulier, assuré en définitive de ne pas être violé, s’impose de préférence aux préoccupations du gouvernement et des chambres, on ne saurait néanmoins négliger dans les résolutions à prendre ce côté secondaire d’un problème qui, dans le temps où nous sommes, sera plus ou moins bien résolu, selon que l’opinion publique obéira à des idées justes ou à des mouvemens irréfléchis. Il y a peu de temps encore, lorsque M. Allain-Targé était ministre des finances, on semblait toucher au moment où le régime de nos chemins de fer, sinon en totalité, du moins en partie, allait subir une grande transformation : l’avènement au pouvoir de M. Léon Say et les explications très catégoriques qu’il a données à ce sujet, la formule adoptée par lui : Ni émission, ni conversion, ni rachat, la convention nouvelle qu’il a signée avec la compagnie d’Orléans et qui peut servir de modèle à d’autres, permettent d’espérer que les choses resteront à peu près dans leur état actuel et qu’il sera possible, sans le bouleverser, d’y introduire de sérieuses améliorations. Il ne faut pas toutefois se dissimuler que certaines circonstances étant données, même étrangères au débat, les objections soulevées contre les arrangemens prémédités pourraient faire accepter par le pouvoir exécutif des projets en apparence populaires, au fond dangereux ou peu mûris. On l’a bien vu le jour où une improvisation de M. Raspail, excluant de toutes les fonctions d’administrateurs des sociétés financières les députés et les sénateurs, a été favorablement et soudainement accueillie par la chambre. Comme député, M. Allain-Targé reproduirait plus aisément et avec moins de responsabilité les mesures qu’il n’avait pas cessé de croire utiles étant ministre. Il est donc plus que jamais nécessaire de prendre toutes les précautions désirables pour amener la solution qui rassurera chacun des intérêts en jeu, celui des porteurs de titres de nos sociétés de chemins de fer, dont le nombre est encore appelé à s’accroître par suite des appels qu’il faudra faire aux capitaux privés, celui du public jaloux de se servir des moyens de transport perfectionnés, enfin l’intérêt national représenté par l’état. Au risque d’être accusé de redites, et après le très concluant travail publié ici même par M. Lavollée a la date du 1er mars, et complété par celui de M. Paul Leroy-Beaulieu le 1er avril, nous pensons qu’il nous sera encore permis de rappeler tous les précédens de la question aujourd’hui soulevée pour en tirer une conclusion justifiée. Comment les divers gouvernemens qui se sont succédé en France ont-ils compris cette question si grave ? dans quel esprit l’ont-ils abordée ? quel a été à cet égard le sentiment universel et permanent des masses ? Après les éminens travaux des ingénieurs, des écrivains spéciaux, des administrateurs, cette simple revue historique peut encore avoir son utilité, car en interrogeant la conscience du public, plus accessible à des instincts qu’à des études réfléchies, en s’adressant à la simple équité et à la raison vulgaire, on a chance de mettre en lumière le vrai but à atteindre, et s’il semblait acclamé par une sorte de cri général, les moyens pour y parvenir ne feraient pas défaut.


I

Avant de rechercher comment doit se constituer et s’exploiter la propriété des chemins de fer, rappelons quel en est le caractère, comment elle est comprise, quel jugement, en général, le public porte sur elle et ce qu’il en attend. A coup sûr, et dans l’esprit de tous, la nature de cette propriété est telle qu’il semble bien difficile d’en faire une propriété privée ; on a distingué, et l’opinion générale a sanctionné cette division, les chemins de fer en lignes d’intérêt général et en lignes d’intérêt local, selon que les unes répondaient aux nécessités stratégiques, aux grandes divisions du territoire, rattachant les extrémités au centre, parcourant les lieux de production et de consommation les plus importans, tandis que les autres satisfaisaient seulement à des besoins locaux et déterminés, se reliant le plus souvent aux premières, mais pouvant être différées ou même négligées. Dans les lignes d’intérêt général, chacun, pour ainsi dire, est juge et partie : il s’agit réellement d’une propriété universelle, commune à tous, revêtue d’un caractère national. La gestion même d’un tel bien comporte des conditions spéciales qui la rattachent encore plus étroitement à l’ordre public. Le privilège concédé pour établir une circulation forcée, au travers de tous les immeubles fonciers, par laquelle la liberté des mouvemens est perpétuellement entravée, constitue une véritable souveraineté dont les signes visibles frappent bien autrement la vue et s’imposent plus à l’esprit que telle autre partie du domaine de l’état, les monumens eux-mêmes, par exemple, les grandes routes, etc. On ne saurait le nier, ces bandes, interminables de terrains protégés par d’infranchissables barrières, qui s’étendent d’une frontière à l’autre, que parcourent avec fracas des convois énormes traînés par de gigantesques machines enflammées, ne paraissent pas pouvoir constituer des entreprises privées en dehors de la vigilance et de l’action directe du gouvernement, en France surtout où le sentiment intime des masses se retourne sans cesse vers lui pour tout ce qui touche à ses intérêts moraux et matériels.

Jusqu’à présent l’histoire de nos chemins de fer a bien montré que dans leur exécution ce caractère de propriété publique leur a été reconnu ; c’est ainsi que le gouvernement a cru devoir jouer le rôle de promoteur d’abord, d’ouvrier de la première heure, puis, lorsqu’il a appelé l’industrie privée à son aide et qu’il a modifié en partie la nature de cette propriété publique pour la partager avec des compagnies particulières, il a conservé son droit de tutelle, de surveillance, de décision. Trois périodes distinctes se rapportant à trois régimes différens ont successivement vu naître et se développer l’organisation du moyen de transport perfectionné auquel est principalement due la prospérité matérielle dont nous jouissons. La première correspond à la monarchie constitutionnelle qui a pris fin en 1848, la seconde à l’empire, la dernière à notre troisième république. Toutes trois ont-elles obéi aux mêmes principes et produit les mêmes heureux résultats ?

La loi de 1842 constitue l’acte le plus important du gouvernement de 1830 : il avait été précédé par d’autres, puisque la concession du chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire date de 1823 et que l’approbation de la petite ligne de Saint-Germain à Paris, qu’on peut appeler la tête des grands réseaux, a obtenu l’approbation des chambres en 1835. Dès l’année 1841, 499 kilomètres de chemins de fer étaient exploités, donnant un revenu brut de 13 millions, et depuis plus de trois ans[3] le gouvernement hésitait entre le système de la concession de nouvelles lignes à l’industrie privée et la construction par l’état d’un grand réseau national, lorsque la loi du 11 juin 1842 arrêta les bases du régime qui, dans ses traits essentiels, prévaut encore aujourd’hui.

La simple citation de quelques-uns des articles de cette loi suffit pour en faire apprécier la, grandeur. L’article 1er était ainsi conçu :

Il sera établi un système de chemins de fer se dirigeant : 1° de Paris sur la frontière de Belgique, par Lille et Valenciennes ; sur l’Angleterre, par un ou plusieurs points du littoral de la Manche qui seront ultérieurement déterminés ; sur la frontière d’Allemagne, par Nancy et Strasbourg ; sur la Méditerranée, par Lyon, Marseille et Cette ; sur la frontière d’Espagne, par Tours, Poitiers, Angoulême, Bayonne ; sur l’Océan, par Tours et Nantes ; sur le centre de la France, par Bourges ; 2° de la Méditerranée sur le Rhin, par Lyon, Dijon et Mulhouse ; de l’Océan sur la Méditerranée, par Bordeaux., Toulouse et Marseille.

Après l’exposé de ce plan vraiment national dont aucun pays n’a présenté l’équivalent, l’article 2 de la loi déterminait le mode d’exécution en y faisant concourir tous les intéressés :

L’exécution des grandes lignes de chemins de fer définies par l’article précédent, aura lieu : 1° par le concours de l’état, dés départemens traversés et des communes intéressées ; 2° de l’industrie privée, dans les proportions et suivant les formes établies par les articles ci-après.

Néanmoins ces lignes pourront être concédées en totalité ou en partie à l’industrie privée, en vertu de lois spéciales et aux conditions qui seront alors déterminées[4]. La proportion pour laquelle chacune des parties était appelée à concourir à l’œuvre nouvelle demeurait ainsi fixée : dans les dépenses pour les indemnités de terrains et de bâtimens expropriés, deux tiers seraient remboursés à l’état par les départemens et les communes traversées ; l’autre tiers, ainsi que la totalité des dépenses relatives aux terrassemens, aux ouvrages d’art et stations, restait à la charge de l’état seul ; aux sociétés privées auxquelles l’exploitation des chemins serait donnée à bail, incomberait l’établissement de la voie, y compris la fourniture du sable, le matériel et les frais d’exploitation, les dépenses d’entretien et de réparation du chemin, de ses dépendances et du matériel. Disons tout de suite que la loi du 19 juillet 1845 abrogea la disposition par laquelle les départemens et les communes devaient rembourser à l’état les deux tiers des sommes dépensées pour l’achat des terrains.

Après avoir énuméré les dépenses qui restent à la charge des compagnies auxquelles l’exploitation des chemins de fer serait donnée à bail, le dernier alinéa de l’article 6 portait que le bail réglerait la durée et les conditions de l’exploitation, ainsi que le tarif des droits à percevoir sur le parcours. L’article 7 ajoutait qu’à l’expiration du bail, la valeur de la voie de fer et du matériel serait remboursée à dire d’experts à la compagnie par celle qui lui succéderait ou par l’état.

Dans le projet primitif du gouvernement, le bail devait être seulement approuvé par ordonnance royale ; un traité conclu pour l’exploitation n’entraînait pas les mêmes conséquences qu’une concession entière déléguant à des compagnies privées le droit d’exproprier. M. Dufaure, rapporteur de la commission législative, fit valoir que, dans un bail comme dans une concession, la question de l’établissement des tarifs présentait la même gravité et que, s’il fallait une loi pour régler les conditions des concessions et fixer le maximum des tarifs, le pouvoir législatif devait aussi intervenir pour déterminer dans les baux d’exploitation le prix des transports qui exercent une telle influence sur toute notre économie sociale. L’avis de l’éminent orateur prévalut.

Nous soulignons à dessein ce mot de bail dans les citations qui précèdent pour faire ressortir le véritable esprit de la loi de 1842. Le dernier alinéa de l’article 2, rapporté plus haut, en vertu duquel des concessions pouvaient être accordées à des sociétés privées, laissait entrevoir la faculté de constituer, comme on le reprochait à cette loi, des propriétés séculaires ; mais à part cette réserve conclue dans des termes généraux, tous les autres articles ne s’occupent que d’exploitation donnée à bail, et la discussion aux chambres ne porta que sur ce point.

Il fallait d’abord à l’aide d’un bon classement des chemins de fer chercher les lieux où le besoin des échanges est le plus développé, où le mouvement des hommes et des choses est le plus actif ; .. mais il fallait surtout que ces communications dont l’utilité commerciale, politique et sociale est si grande pussent être parcourues à bon marché, et après avoir examiné le mode d’exécution des grandes lignes, M. Dufaure n’hésitait pas à préférer le mode de l’exploitation à bail au système de la concession.

« Quand on concède à une compagnie l’exécution d’un chemin de fer, elle demeure chargée de payer les terrains, les ouvrages d’art, le matériel, etc. Pour couvrir toutes ces dépenses, il faut bien lui accorder des tarifs élevés, des jouissances séculaires. Mais les tarifs élevés annulent en quelque sorte les intérêts qui s’attachent à l’existence des chemins de fer : les jouissances séculaires sont de véritables aliénations. S’il faut apporter aux travaux d’importantes modifications, si les tarifs doivent être remaniés dans l’intérêt général du commerce, un siècle s’écoulera avant que l’état puisse recouvrer le moyen d’opérer ces changemens, ou bien il faut qu’il rachète la concession à des prix exorbitans. Dans le système de l’exploitation à bail, il en est autrement. La compagnie est exonérée des plus fortes dépenses qui restent à la charge de l’état, des départemens et des communes ; elle n’a besoin que de tarifs moins rémunérateurs et moins forts, d’une jouissance moins longue ; par l’exploitation donnée à bail, les intérêts du présent et de l’avenir sont conciliés. » N’était-ce pas là le vrai langage de l’homme d’état ? Ce système de la loi de 1842 dont on vient de voir l’exposé sommaire ne répondait-il pas à tous les besoins ? La participation des départemens et des communes trop vite abandonnée, en les dissuadant des dépenses bien moins utiles auxquelles ils se sont depuis ce moment tant de fois livrés, en les intéressant étroitement à l’œuvre principale du XIXe siècle, n’eût-elle pas introduit dans le régime des chemins de fer un élément qui lui manque et ranimé la vie provinciale qu’on se plaint de voir s’éteindre ? Toutes ces réflexions s’imposent encore à l’esprit, bien qu’elles ne présentent plus qu’un intérêt rétrospectif depuis que, sous la pression d’événemens ultérieurs, la législation, œuvre de la monarchie constitutionnelle, a dû être l’objet de graves modifications.


II

Lorsqu’éclata la révolution de février 1848, cette catastrophe sans cause dont notre pays n’a pas encore réparé les désastres, le réseau des chemins de fer exploités ne dépassait guère 3,500 kilomètres. De 1848 à 1852, la fortune des sociétés concessionnaires eut, comme le crédit public lui-même, à subir de rudes atteintes, et la construction ainsi que l’exploitation de lignes nouvelles se trouvaient exposées à des difficultés financières telles que le gouvernement et les chambres se virent contraints de substituer d’autres modes de concours aux anciens contrats abandonnés ou méconnus. Sept années plus tard, grâce aux mesures adoptées, la longueur des chemins concédés montait à plus de 16,000 kilomètres.

Avant d’indiquer les dispositions légales dont ce progrès fut le fruit, il importe de signaler la première apparition du titre mobilier qui le représente et dont la création reste pour ainsi dire la vraie cause de la popularité qui s’attache aux valeurs des chemins de fer dans notre pays, à savoir l’obligation 3 pour 100 émise par les compagnies concessionnaires aux environs de 300 francs et remboursable à 500 pendant la durée même de la concession. C’est la compagnie du Nord qui s’en est servie la première en rachetant le chemin d’Amiens à Boulogne, en vertu du décret du 19 février 1852. Dès la même année, la compagnie de Lyon procéda à une émission de plus de cent quatre-vingt mille de ces mêmes titres que toutes les autres compagnies adoptèrent et qui assurèrent le succès des emprunts dont le chiffre s’accrut sans cesse pour répondre à l’extension incessante des réseaux. Si l’on voulait constater à tous les points de vue l’influence de ce simple fait économique sur la constitution de la fortune publique, on devrait signaler tout ce que notre passion française pour l’économie a trouvé d’alimens journaliers dans ces titres, actions et obligations des six grandes compagnies, sorte de billets à vue revêtus de signatures de premier ordre, comme on dit en banque, et que nul danger de protêts n’a pu atteindre. Enfin les obligations des chemins de fer remboursables avec plus-values n’ont-elles pas constitué aussi une véritable assurance préférable à bien des égards aux assurances contractées avec aliénation de capital ou suspension d’intérêts ? Si les. assurances sur la vie ont bien tardé à s’acclimater dans notre pays, au contraire de ce qui s’est fait en Angleterre et en Amérique, par exemple, il faut avouer que l’achat et la mise en réserve de nos obligations de chemins de fer, ainsi que des obligations à lots des villes et du Crédit foncier, les ont utilement remplacées ; le profit tout entier est resté dans les mains économes des souscripteurs de ces titres, au lieu de fournir des dividendes aux sociétés d’assurances.

Deux mesures importantes se rattachent à la période écoulée sous le second empire : la constitution des six grandes compagnies qui remonte à l’année 1852 et le régime des conventions conclues avec ces mêmes compagnies en 1858 et en 1859. Nous ne pourrions suivre pas à pas les diverses combinaisons à l’aide desquelles les anciennes lignes concédées et exécutées purent être rattachées et, comme on disait alors, fusionnées entre elles pour constituer les six grands réseaux qui existent encore aujourd’hui. On en avait composé un septième au profit de la compagnie du Grand-Central, qui n’a pas tardé à se liquider. Le système des fusions, qu’on accusa plus tard d’avoir créé des monopoles nuisibles au commerce, produisit à bref délai les meilleurs résultats. C’est, en effet, par la concentration des forces particulières que les capitaux privés fournis en abondance ont achevé l’œuvre commencée par l’état, de même que c’est par l’administration uniforme de sociétés similaires que de grandes facilités de circulation et qu’un abaissement notable des tarifs ont été obtenus. Grâce à ces fusions, le gouvernement lui-même a pu exercer sur l’exploitation des chemins de fer un contrôle et une surveillance mieux définis. Tout d’abord il a réduit dans une forte proportion ses propres dépenses. De 1852 à 1858, sa part dans les sommes dépensées pour la construction des chemins de fer n’a plus été que de 2,700,000 francs, tandis qu’à la fin de 1851, il avait consacré à cette même œuvre 880 millions contre 580 seulement fournis par les compagnies.

La constitution des grands réseaux date de 1852, le régime des conventions a été inauguré en 1858. Une certaine lassitude n’avait pas tardé à suivre le grand effort tenté par les nouvelles compagnies et leur position financière paraissait même gravement altérée. La liquidation prématurée de la compagnie du Grand Central, premier symptôme de cette faiblesse, pesait lourdement sur les sociétés qui s’en partageaient les dépouilles. Plusieurs mauvaises récoltes successives préparaient une crise que la trop prompte exécution de grands travaux publics ne manquerait pas de précipiter. Pour ne pas les arrêter, pour leur donner même un plus vif essor, le gouvernement proposa et les chambres adoptèrent de nouveaux traités avec les grandes compagnies, dont le principe et les conséquences n’ont jamais été mieux exposés que dans de brèves paroles prononcées devant la chambre des députés par le directeur-général des ponts et chaussées et des chemins de fer, M. de Franqueville. En répondant à une attaque dirigée contre des conventions déjà mises en vigueur depuis quelque temps, le commissaire du gouvernement exposait qu’en 1859 les lignes de fer se divisaient en deux réseaux : l’ancien, comprenant les concessions primitives, fructueuses et rémunératrices pour ceux qui les exploitaient, et le nouveau, formé de lignes moins productives ajoutées ou à ajouter aux anciennes. L’ancien devait se suffire à lui-même : au nouveau, dont sans un secours de l’état l’exécution ne pouvait être poursuivie, on accordait une garantie destinée à couvrir l’intérêt et l’amortissement du capital fourni par les sociétés mêmes. Une annuité de 4.85 pour 100 suffisait à ce double but.

Mais il fallait éviter que les compagnies ne fissent profiter l’ancien réseau, dont le revenu leur était réservé, de tout le trafic qu’elles auraient pu détourner du nouveau, couvert par la garantie de l’état. On avait donc établi qu’au-delà d’un certain maximum déterminé pour chaque compagnie, l’excédent du revenu net des anciens réseaux serait affecté au nouveau et viendrait à la décharge de la garantie. Ce déversoir, comme on l’a appelé, n’a pas été établi arbitrairement. Pour déterminer le revenu réservé dans chaque ligne, on a calculé, en dehors des frais d’exploitation et d’entretien, l’intérêt à payer aux actionnaires et aux obligataires, en ajoutant pour ces derniers une soulte équivalant à la différence entre l’intérêt de 4.65 pour 100 donné par l’état et la dépense réelle incombant à la compagnie pour l’intérêt des obligations, qui lui coûtaient, au prix de l’émission, 5 pour 100 environ sans compter l’amortissement.

Après avoir ainsi exposé le principe des conventions, M. de Franqueville ajoutait que, d’après les calculs les moins optimistes sur l’accroissement de trafic dont les nouvelles lignes seraient susceptibles et grâce aux sommes déversées par l’ancien réseau, la garantie de l’état cesserait en 1885 ou en 1886 et qu’à ce moment l’état non-seulement commencerait à recouvrer les avances faites par lui à titre de garantie, mais entrerait en partage des bénéfices nets dans la proportion fixée par chacune des conventions successivement adoptées.

Il démontrait enfin que, sans se rapporter à une date aussi lointaine, et envisageant à l’heure présente les résultats déjà obtenus par le concours de l’état dans l’œuvre générale des chemins de fer, le profit qu’il en tirait dépassait de beaucoup l’importance de ses propres sacrifices. Les subventions directes accordées jusqu’alors par l’état sous forme de travaux ne dépassaient pas 1,400 millions : en admettant que l’ensemble des garanties d’intérêt à payer chaque année atteignît en bloc 400 millions, c’était un total de 1,800 millions à rémunérer ; or, déjà, les dépenses faites procuraient au public sur le prix des transports comparé avec ce qu’on aurait payé sur les routes de terre 700 millions de bénéfice en un an (statistique de 1864) pour les marchandises et de 160 millions pour les voyageurs avec une économie de 40 millions d’heures. Quant à l’état, le service gratuit des postes, le transport des militaires, lui représentaient, pour cette même année, un boni direct de 136 millions, sans compter le produit des taxes de toute nature, etc.

On comprend l’effet produit par ces simples renseignemens sur l’esprit des représentai du pays et l’empressement avec lequel ils se prêtèrent aux nouveaux projets du gouvernement. La longueur totale des lignes concédées aux compagnies s’élevait alors à 19,500 kilomètres dont 8,000 appartenant à l’ancien réseau et plus de 11,000 au nouveau. L’exploitation était complète sur plus de 13,000 kilomètres ; les résultats obtenus justifiaient donc les deux grandes mesures adoptées de l’organisation des six grands réseaux et du régime des conventions. L’intérêt de tous était satisfait, les capitaux privés recevaient une rémunération satisfaisante, et le prix des titres qui les représentaient s’élevait de plus en plus : une idée nouvelle se fit jour alors dans les conseils du gouvernement sous la pression de l’opinion publique, et l’on dut aborder la question des chemins d’intérêt local construits et exploités à bon marché.

Cette création dernière du gouvernement impérial n’a pas produit les effets attendus, et son insuccès ne tarda pas à exercer une influence mauvaise sur la situation même des chemins d’intérêt général : avant d’en résumer l’histoire spéciale, il convient de faire ressortir un des caractères particuliers du régime des conventions elles-mêmes.

Née d’une pensée à coup sûr très intelligente des besoins du moment, et grâce à des combinaisons heureuses, l’entente établie entre les intérêts particuliers des compagnies et celui de l’état réalisa les espérances de ses auteurs : aucun mécompte n’atteignit leurs calculs. Le revenu réservé des grandes compagnies avait été établi avec une si merveilleuse justesse que deux d’entre elles (et ce ne furent pas celles qui prirent la moindre part aux extensions de leur réseau), la compagnie du Nord et la compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée, n’eurent jamais recours pour la construction de nouvelles lignes à la garantie d’intérêt : pour trois autres, le Midi, l’Est et l’Orléans, le moment du remboursement des avances de l’état est déjà venu, bien avant, on le voit, l’époque fixée par l’honorable M. de Francqueville : le partage des bénéfices n’est pas aussi prochain, puisqu’à mesure que de nouvelles lignes, toujours plus onéreuses aux compagnies, ont été acceptées par elles, le capital nouveau qu’elles nécessitent amoindrit le produit des autres. On peut cependant prétendre que pour le Nord et le Lyon ce partage ne devrait pas être éloigné. En dehors toutefois du succès mathématique des conventions, ne peut-on dire que ce régime même n’a pas été conçu avec la même hauteur de vues que celui de 1842 ? Il a mis les grandes compagnies vis-à-vis de l’état en rivalité d’intérêts, en discussion de profits, et a fourni aux désirs assurément très légitimes de bénéfices l’occasion de se produire avec une certaine âpreté. Ainsi, l’administration des compagnies a été accusée de placer l’intérêt de leurs actionnaires avant l’intérêt général, d’obéir, par exemple, au principe qu’il faut faire rendre à la marchandise tout ce qu’elle peut payer, c’est-à-dire tirer l’entier profit que les tarifs sont aptes à procurer, tandis que le préambule de l’ordonnance du 15 novembre 1846 avait affirmé que les chemins de fer ne peuvent, ne doivent être exploités que dans l’intérêt de tous. Alors se sont produites les accusations de complaisance de l’administration envers les grandes compagnies dans l’homologation, on devrait dire l’approbation des tarifs, d’abandon regrettable de la souveraineté de l’état, d’aliénation de la propriété nationale. Mal fondés pour la plupart, ces reproches ont jeté sur le régime des conventions un peu de discrédit dont les conséquences subsistent encore.

Il reste enfin, pour achever l’exposé des mesures prises sous le second empire, à relater la loi relative aux lignes d’intérêt local, dont l’étude dépasse les limites que nous nous sommes prescrites, mais dont le développement n’a pas manqué de réagir sur la fortune des grandes compagnies.

La pensée qui a donné naissance à cette loi de 1865 s’est clairement manifestée dans l’exposé de motifs présenté à l’appui du projet et dans le travail qu’une commission spéciale venait à cette occasion de remettre au ministre des travaux publics pour préciser les caractères spéciaux dont les nouvelles entreprises devaient être revêtues. Un chemin d’intérêt local, disait-on, est destiné exclusivement à relier les localités secondaires aux lignes principales en suivant soit une vallée, soit un plateau, et en ne traversant ni grandes villes ni chaînes de montagnes. Ces chemins ne peuvent guère s’étendre sur une longueur de plus de 30 à 40 kilomètres et ne nécessitent pas un service de nuit. Après avoir reproduit cette quasi-définition des chemins de fer d’intérêt local, l’exposé de motifs ajoutait : « La loi dont nous venons de retracer l’esprit général répond, nous ne saurions trop le redire, à un intérêt de premier ordre : elle est destinée à jouer un rôle analogue à celui de la loi de 1836 sur les chemins vicinaux, qui, en sillonnant le territoire de nombreuses voies, affluens des grandes routes décrétées en 1811 par Napoléon Ier, a fait pénétrer jusque dans les plus humbles villages l’activité, la richesse et avec elles les lumières et la civilisation. »

C’était, en effet, pour satisfaire d’une façon définitive à l’intérêt de tous les habitans du sol français, comme pour rattacher cette grande œuvre au souvenir des glorieux travaux de l’empereur Napoléon Ier que son neveu avait été le principal instigateur de la loi nouvelle. Malheureusement les dispositions prises ne répondirent pas à ces espérances, et les plus graves abus ne tardèrent pas à se produire dans la construction des nouveaux chemins de fer et dans la constitution des sociétés qui en furent chargées.

Il avait été stipulé pour ces chemins que les départemens et les communes pourraient les établir directement ou accorder leur concours à des concessionnaires, l’état devant ajouter des subventions jusqu’à concurrence d’une somme totale de 6 millions. On trouva bientôt moyen d’éluder toutes les prescriptions de la loi. Loin d’être réduites à une longueur de 30 à 40 kilomètres, loin de se borner à desservir des localités particulières et d’éviter des tracés dispendieux, grâce à la connivence des autorités départementales, plusieurs des lignes concédées par elles se soudèrent les unes aux autres, traversèrent plusieurs départemens successifs, prétendirent s’assurer de longs parcours et des transports abondans, firent concurrence aux grandes lignes et aspirèrent en un mot au rôle de chemins d’intérêt général. Dans beaucoup de cas, sous la pression d’influences politiques, on ferma les yeux sur ces transgressions à la loi ; il n’est pas besoin de rappeler les désastres financiers qui ont suivi la création de ces entreprises, dont plusieurs ont abouti à des procès scandaleux ; Il suffit pour montrer à quel point, sous prétexte d’intérêt local, on avait essayé de constituer des concurrences aux grands réseaux, de citer entre autres le chemin d’Orléans à Châlons et à Rouen et le singulier projet d’une ligne de Dunkerque à Perpignan. La longueur totale des chemins ainsi concédés était de 4,381 kilomètres et, à la fin de l’empire, en mars 1870, une demande venait d’être adressée au corps législatif pour introduire les changemens nécessaires dans la loi de 1865 et sauvegarder la situation des grands réseaux illégalement menacée.


III

La date néfaste de 1870-1871 ouvre la dernière période qu’il nous reste à examiner. Pendant la guerre, comme à l’occasion de nos troubles civils, les chemins de fer avaient rendu de tels services, il devenait si nécessaire de donner le plus d’alimens possible au travail national, que de toutes parts surgirent de nouvelle demandes de concessions. Les anciennes compagnies s’empressèrent de proposer, à l’aide de la révision de leurs contrats, de développer leurs réseaux, et l’état se vit contraint de racheter des lignes à moitié construites et d’en construire lui-même. Ce fut l’heure des projets les plus téméraires et des spéculations les plus audacieuses. L’assemblée nationale eut même à se prononcer sur la demande d’une ligne directe de Calais à Marseille, faisant double emploi avec les chemins du Nord et de Lyon. Au milieu d’une telle effervescence, il fallut donc que le gouvernement et les grandes compagnies cherchassent le moyen de satisfaire l’impatience publique, sans compromettre l’œuvre ancienne, et tout au contraire en l’améliorant. De leur entente naquirent les nouvelles conventions de 1875 et de 1878, de même que c’est au mouvement général des esprits qu’il faut rapporter la conception des vastes travaux qui porte le nom de son auteur et que l’on appelle le plan de M. de Freycinet.

Les lois de 1875 ont reproduit exactement, les conventions de 1859. Chacune des six grandes compagnies s’est engagée à joindre de nouveaux prolongemens à son second réseau, et l’état, de son côté, a dû accroître le chiffre possible des garanties à leur accorder. Cette extension, qui comprenait des lignes de moins en moins productives, ne portait point atteinte aux intérêts des actionnaires protégés par le revenu réservé de l’ancien réseau, mais elle diminuait les chances d’amélioration pour l’avenir, puisque l’excédent de ce revenu, le déversoir, s’appliquerait à un nombre plus grand de kilomètres moins productifs : elle reculait ainsi les époques où la garantie d’intérêt prendrait fin, où les compagnies pourraient rembourser une partie des sommes avancées, à plus forte raison, où le partage des bénéfices avec l’état deviendrait possible. En échange de ce sacrifice, le gouvernement s’assura un seul avantage. Au lieu d’une soulte de 1 fr. 10 consentie à forfait, à prélever dans le produit brut avant de déterminer le revenu garanti et qui représentait la différence entre l’intérêt de 4.65 pour 100 consenti par l’état et l’intérêt réel payé par les compagnies pour leurs obligations, il fut stipulé dans les conventions de 1875 que le taux réel de l’émission des obligations fixerait le montant de la soulte.

En vertu de ces nouveaux contrats, 3,000 kilomètres environ on été ajoutés au réseau des chemins de fer, et il n’y a qu’à louer la sagesse et les heureux résultats des dispositions prises ; mais la loi de 1878, qui a constitué le réseau de l’état, et l’approbation du plan si vaste de M. de Freycinet, méritent-elles la même approbation sans réserves ? Quand on se reporte aux circonstances qui ont précédé le vote de la loi de 1878, il semble que l’établissement des chemins de fer de l’état a été l’effet d’un pur hasard, sans prévision aucune de ses conséquences. En présentant aux chambres un projet pour l’incorporation de divers chemins d’intérêt local dans l’ensemble des chemins d’intérêt général, en demandant l’approbation de conventions passées avec les compagnies des Charentes, de la Vendée, de Bressuire à Poitiers, de Saint-Nazaire au Croisic, d’Orléans à Chalons, de Clermont à Tulle, d’Orléans à Rouen, etc., le ministre des travaux publics déclarait qu’il s’agissait seulement d’arracher à la ruine des sociétés incapables de poursuivre leurs entreprises et de ne pas enlever aux populations nombreuses de l’Ouest et du Centre des espérances longtemps caressées. A défaut d’autres, l’état, après la plus sérieuse appréciation de la valeur véritable, devint donc l’acquéreur momentané d’un réseau de 2,615 kilomètres, dont 1,575 étaient déjà exploités. Mais le ministre n’avait pas plus résolu de constituer une propriété perpétuelle pour l’état que de le charger de l’exploitation définitive. Il se fit au contraire autoriser à assurer l’exploitation provisoire des lignes rachetées à l’aide de tels moyens qu’il jugerait les moins onéreux pour le trésor, et la loi de finances qui devait pourvoir au paiement du capital assurerait de même les ressources à l’aide desquelles il serait fait face à l’insuffisance des recettes.

L’hésitation de l’opinion publique, à ce moment, justifiait bien cette incertitude du gouvernement lui-même. Ainsi, il avait été question d’abord, pour les chemins de fer situés dans l’Ouest, par exemple, que la compagnie d’Orléans les achetât et les exploitât : mais vingt-sept départemens, représentés par leurs conseils-généraux et leurs chambres de commerce, protestèrent contre une solution qui semblait mettre tous leurs intérêts à la merci d’une société privée. L’état dut en conséquence s’en charger et constituer un septième réseau qui, de provisoire, a semblé devoir être définitif, non-seulement au point de vue de la propriété, mais de l’exploitation elle-même, nonobstant l’absence de liaison entre toutes les petites lignes qui le composent, alors que le trafic s’en échappe partout après un bien faible parcours, d’où résulte une proportion très forte entre la dépense et la recette, la première s’élevant à 78 pour 100 de la seconde, sans compter des frais exceptionnels en sus et sans donner aucune rémunération au capital engagé.

Si l’on voulait traiter la question de l’exploitation en France des chemins de fer par l’état comparée avec celle des compagnies, il faudrait reconnaître que celle du réseau auquel on a fini par donner le nom de réseau de l’état ne peut servir d’exemple. Aucun rapprochement n’est possible entre nos grandes compagnies organisées en vertu d’un plan largement et méthodiquement conçu, avec des points de départ et d’arrivée de la plus haute importance, des parcours mûrement étudiés, portant en un mot les signes les plus évidens de l’utilité publique, et ce réseau composé de petits tronçons épars, entourés et traversés par deux grandes compagnies, sans grande utilité stratégique, politique ou même commerciale. Bien qu’on ait attribué à un des administrateurs du réseau de l’Etat cette affirmation qu’il subsisterait comme une menace ou une leçon vis-à-vis des six compagnies, on ne peut vraiment croire à une solution définitive en ce sens, et le doute devient encore plus grand lorsque l’examen des projets conçus par M. de Freycinet montre dans l’avenir la possibilité de laisser l’état exposé à exploiter encore lui-même, quoique toujours à titre provisoire, une partie considérable des nouveaux chemins qu’il s’agit d’exécuter sur toute la surface du territoire à des distances énormes les uns des autres et sans aucun point de raccordement entre eux.

Le réseau de l’État venait donc d’être ainsi constitué lorsque, désireux d’imprimer au travail national une plus grande activité, jaloux d’établir des relations étroites entre les grands ports maritimes, les frontières et les villes de premier rang au moyen des chemins de fer, des canaux et des rivières, M. de Freycinet, ainsi que l’avait fait en 1842 un de ses éminens prédécesseurs, présenta, en 1878, au chef de l’État un rapport général sur un ensemble d’entreprises dont la dépense estimée par lui à 4 milliards ne tarda pas à être évaluée à plus de 6. Il demanda tout d’abord à compléter jusqu’au chiffre de 40,000 kilomètres le réseau de toutes les lignes ferrées qui n’en dépassaient guère 21,000, et il se plut à énumérer en même temps les améliorations à apporter aux voies fluviales et aux ports. L’opinion publique accueillit avec faveur ces projets, mais certains doutes s’élevèrent bien vite sur la facilité d’exécution et sur l’époque où elle deviendrait possible. En ce qui concerne les chemins de fer, le classement supplémentaire des lignes dites d’intérêt général comprenait 5,400 kilomètres déjà concédés, mais non exécutés, près de 3,000 énumérés dans les lois antérieures et qui n’avaient été l’objet d’aucune concession, plus de 9,000 enfin dont le ministre proposait le classement sans rien préciser quant à l’époque du commencement des travaux et quant à la priorité de rang à accorder aux uns sur les autres. La question du mode d’exploitation restait toujours indécise ; comme pour le réseau de l’état le provisoire pouvait devenir la règle, à défaut de bail consenti à une compagnie, le gouvernement devait lui-même exploiter.

Il suffit de lire dans le projet de loi présenté, après le rapport adressé au président de la république sur le classement des lignes d’intérêt, général, les noms des cent cinquante-quatre chemins successivement inscrits dans le tableau A pour rester convaincu qu’en dressant cette liste, M. le ministre des travaux publics cédait surtout au besoin de faire acte de conciliation politique entre les défenseurs des intérêts locaux et affichait un programme plutôt qu’il n’exposait un plan vraiment sérieux. Ces lignes ferrées dont le numéro 1 désigne celle d’Armentières à Lens par Don, et le n° 154 celle de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port, où l’on indique une série de raccordemens dont le point de départ reste à choisir, n’ont pour la plupart figuré dans le tableau A, réservé aux chemins d’intérêt général, que pour prendre rang et acquérir un droit éventuel aux libéralités ultérieures de l’état. Le tableau B, dressé à la suite, qui comprenait les seuls chemins d’intérêt local, présentait une suite de noms au moins aussi notoires, et l’on s’est même demandé pourquoi ces chemins locaux déjà concédés et en partie en cours d’exécution n’avaient pas été élevés au rang des privilégiés du tableau A, alors qu’ils auraient offert l’occasion de travaux immédiats, tandis que rien ne rendait obligatoire dans un délai déterminé l’exécution des chemins d’intérêt général. En ce moment, un bruit curieux à relater circula dans les cercles politiques. Le tableau A, disait-on, a rallié, dans le vote des chambres, le plus grand nombre des votes, parce qu’il satisfait à beaucoup de prétentions locales sans en désespérer aucune, et surtout parce qu’il laisse en suspens la question du régime auquel devra être soumise l’exploitation des chemins de fer, que beaucoup voulaient voir revenir à l’état. Tant qu’ils ne seraient pas exécutés, et les favorisés du premier tableau n’avaient obtenu aucune assurance sur le moment de cette exécution laissée tout entière à la décision des chambres, il n’y avait rien à redouter pour le système d’exploitation définitif. Le ministre lui-même, en déclarant que le mode présenté par lui ne serait que provisoire, ne se prononçait ni pour ni contre tel ou tel régime ; il se bornait à dire « qu’il avait voulu répondre aux vœux du pays en assignant un but à son activité, en promettant un emploi national à ses capitaux, en délimitant le domaine exact de la viabilité ferrée d’intérêt général et en ouvrant par la suite le champ à l’initiative départementale pour la viabilité d’intérêt local. »

Ces pensées étaient louables à coup sûr, mais dénotent-elles un esprit très pratique ? donneront-elles tout ce qu’elles promettent ? En décidant, sans en fixer la date, l’exécution de courts tronçons séparés par des distances énormes, en la confiant à l’état, à charge par lui, s’il ne peut les donner à bail, de les exploiter provisoirement, le gouvernement a renouvelé et augmenté dans de plus grandes proportions l’expérience qu’il avait faite en créant le réseau de l’état. Au lieu d’un seul, il peut en quelque sorte en avoir dix, aussi difficiles, aussi coûteux à exploiter. N’y a-t-il pas un sérieux embarras financier à redouter à cet égard ? et cet embarras ne s’est-il pas considérablement accru depuis qu’aux cent cinquante-quatre lignes d’intérêt général présentées par M. de Freycinet, la chambre en a ajouté beaucoup d’autres et que la loi du 2 avril 1879 a porté le classement à cent quatre-vingt-une lignes nouvelles ? Avant tout et pour l’exécution des travaux, les moyens prévus suffisent-ils ? Cette dépense de près de quatre milliards applicable aux chemins de fer seuls sera-t-elle supportée en dix ans, comme on se l’est promis, sans qu’il en résulte aucun dommage pour le crédit public ? En un mot, le plan de M. de Freycinet se développera-t-il sans encombre ?

Pour assurer l’exécution d’un ensemble de travaux qui imposait à l’état une si énorme dépense, le ministre des finances avait à se préoccuper de trouver des ressources financières suffisantes, sans nuire cependant à deux opérations alors en cours, le remboursement complet à la Banque de France de ses avances pendant la guerre et la reconstitution non encore achevée de nos forces militaires. L’emprunt seul pouvait y faire face, et l’accroissement si rapide de la fortune publique permettait d’y recourir facilement. Ce iut alors que, par une combinaison dont beaucoup d’esprits furent séduits, à l’imitation des obligations émises par les grandes compagnies pour solder les travaux qui leur ont coûté pendant une longue période une somme annuelle d’environ 400 millions, on imagina de créer en quelque sorte des obligations d’état, amortissables à un prix supérieur à celui de l’émission, mais devant laisser l’avenir libre du fardeau que le présent était capable de supporter. La dette perpétuelle fut réservée pour parer en quelque sorte aux grandes nécessités publiques ; pour les chemins de fer, on a créé le 3 pour 100 amortissable.

Une sérieuse controverse a été soulevée sur la valeur théorique de cette nouvelle forme d’emprunt. Sans l’aborder ici, on peut reconnaître que la faveur publique n’en a pas encore consacré l’usage. Les cours cotés à la Bourse montrent que le 3 pour 100 amortissable ne se paie pas ce qu’il vaut mathématiquement par rapport à nos autres rentes sur l’état ; l’émission du dernier milliard offert au public n’est pas encore achevée, en ce sens que, selon le terme consacré, cet emprunt n’est pas classé : il est dans les gros portefeuilles, et le public, tenu en garde par la probabilité de nouvelles émissions, ne se presse pas de l’absorber. Ces obligations d’état lui plaisent moins d’ailleurs que les obligations si connues des chemins de fer, constituant des unités complètes, semblables les unes aux autres, d’un chiffre égal et qui offrent au possesseur d’un seul titre un bien de tous points pareil à celui de l’heureux capitaliste qui en réunirait plusieurs milliers.

Quel que soit d’ailleurs l’empressement plus ou moins vif avec lequel le 3 pour 100 amortissable est recherché, il faut avant tout examiner l’emploi plus ou moins étendu qu’on en veut faire et fixer ainsi l’émission plus ou moins abondante qui sera nécessaire. Or il devient chaque jour plus difficile de résister aux exigences universelles à l’endroit des travaux de chemins de fer. Après le classement des lignes d’intérêt général et celles d’intérêt local, après les favorisées des tableaux A et B, sont venus les projets de chemins à voie étroite ou sur routes, chemins vicinaux en quelque sorte à établir de village à village et pour lesquels l’état ne manquerait pas d’apporter son appoint aux sacrifices des départemens et des communes, ainsi qu’il l’a fait décider par les chambres pour les chemins de fer d’intérêt local, avec, il est vrai, un maximum déterminé. On a tant parlé de vie à bon marché, de profits à tirer de la modicité du prix des transports et de la rapidité des parcours et des échanges que l’opinion publique ne s’est pas bornée à réclamer le prompt établissement des voies ferrées qui les procurent. ; elle affirme, en outre, que le temps est venu de faire égale justice à tous, de répandre sur tous les bienfaits dont quelques-uns seulement ont joui, alors que, payés par l’état, ils l’ont été réellement par l’universalité des citoyens, en un mot de faire baisser pour tous le prix de l’existence. De là à jeter un œil d’envie sur les possesseurs des grands réseaux, à soulever là question de la propriété et de l’exploitation des chemins de fer, la pente était naturelle, et comme témoignage de ces dispositions hostiles, on a vu reparaître les projets de concurrence déjà connus, d’affermage des chemins de fer à prix réduits, et, signe des temps, la demande de concession d’une ligne directe de Calais à Marseille, comme il y a dix ans.

Bien qu’une polémique très vive se soit engagée sur les questions soulevées à cette occasion et ait donné lieu à de très remarquables travaux[5], tant sur le danger du rachat des chemins de fer et de leur exploitation au point de vue de la prospérité des finances de notre pays que sur les droits et les devoirs des grandes compagnies pour l’établissement des tarifs, comme aussi sur le contrôle et la surveillance du gouvernement, nous ne croyons pas à de sérieuses modifications de la situation actuelle, mais nous ne saurions cependant dissimuler le désir que de promptes mesures soient prises pour l’améliorer à nouveau, et nous croyons que ce résultat peut être aisément obtenu par une nouvelle entente entre les compagnies et l’état, ainsi qu’en témoigne le traité que M. le ministre des finances vient de passer avec la compagnie d’Orléans.

La mesure radicale qui consiste à faire racheter par l’état aux compagnies l’ensemble de leurs réseaux a perdu tout crédit depuis que les pièces du procès ont été mises sous les yeux du public. Au point de vue financier, elle ne supporte plus l’examen. L’état aurait à payer aux obligataires l’intérêt et l’amortissement de leurs créances et aux actionnaires des dividendes égaux au moins à celui de la dernière année d’exploitation ; or l’année 1881 présente d’excellens résultats qu’il serait très onéreux de prendre pour base du rachat. Enfin les compagnies devraient être remboursées du prix de tout le matériel qui leur appartient, à compenser, il est vrai, mais pour quelques-unes seulement, avec les sommes avancées par l’état à titre de garantie, dont le total, à la fin de 1881, s’élevait à 700 millions. En somme, et tout compte fait, aux 26 milliards de notre dette nationale, aux 10 milliards des dettes départementales et communales, la dette spéciale des chemins de fer ajouterait encore 14 milliards. Et dans quel intérêt financier l’état se chargerait-il d’un tel fardeau ? A-t-il à se plaindre de la position qui lui est faite, et les 1,400 millions qu’il a consacrés à la construction des chemins de fer, lorsque la part des compagnies est de 8 milliards, ne lui rapportent-ils pas assez ? On a vu les profits que les conventions lui ont procurés dès le début. Or, en 1879, le bulletin de statistique du ministère des finances a évalué pour cet exercice les recettes réellement perçues par le trésor sur les chemins de fer à 148 millions, et à 77 millions 1/2 les économies obtenues sur les transports faits par lui : ensemble 225 millions. Le réseau de l’état, qui a coûté 350 millions, n’entre pas dans ces calculs ; il appartient en entier au domaine public, et les grands réseaux ne lui reviendront que dans soixante-dix ans environ. Mais déjà cet usufruit ne laisse pas, comme on voit, d’être très fructueux, et l’on ne comprendrait pas, s’il ne s’agissait que d’un avantage financier, ce projet de devancer l’époque de l’entrée en jouissance définitive par un rachat qui ferait surtout la fortune des actionnaires des compagnies. En réalité, ce n’est pas à eux que l’on a jamais voulu être utile ou seulement agréable.

Serait-ce que l’état, en devenant immédiatement propriétaire des chemins de fer, en tirerait un meilleur profit que les compagnies actuelles ? Poser cette question, c’est la résoudre. L’exploitation par l’état n’a jamais, ni en France ni ailleurs, passé pour économique et rémunératrice. On a pu soutenir, quoique la comparaison sérieusement faite entre nos sociétés et celle des autres pays prouve le contraire, que les six grandes compagnies exploitent chèrement, qu’on trouverait de nouveaux fermiers à meilleur compte, mais personne n’a sérieusement affirmé qu’en faisant valoir lui-même sa propriété, l’état en retirerait un profit qui compenserait, et au-delà, la dépense du rachat anticipé. Les travaux déjà cités, tout particulièrement ceux de M. Krantz et de M. Lavollée, ne laissent aucun doute sur ce point. Existerait-il d’autres raisons de moindre importance qui rendraient cette solution désirable ? Faut-il mentionner le désir de voir rentrer sous l’influence gouvernementale toutes les fonctions, tous les emplois que distribuent les administrateurs des compagnies ? Le gouvernement veut-il devenir le maître absolu des centaines de mille fonctionnaires soldés par elles ? La proposition déposée à la chambre par M. Raynal, par laquelle aucun employé commissionné et subvenant aux caisses de retraite ne serait privé de sa place sans révision et sans appel, indique bien la portée d’une ingérence de l’administration publique dans le fonctionnement du personnel ; mais c’est à un ordre d’idées plus élevées qu’il semble juste d’attribuer le désir de voir entrer les chemins de fer sous l’autorité exclusive de l’état.

Ailleurs, en Allemagne notamment, les intérêts militaires et stratégiques, le désir d’une prompte unification de l’empire, recommandent cette concentration. En France, ce sont les besoins sociaux, ceux de la production et de la consommation, au point de vue alimentaire surtout, qui protestent contre l’abandon à des possesseurs privilégiés et non désintéresses de l’élément qui entre pour la plus grosse part dans le prix des objets nécessaires à la vie. Mais cette indépendance des grandes compagnies est-elle donc entière ? En dehors des mesures ruineuses du rachat et de l’exploitation des chemins de fer par l’état, n’existe-t-il pas d’autres moyens d’obtenir de nouvelles améliorations dans le transport des hommes et des choses ? Un simple coup d’œil jeté sur cette importante question suffit pour indiquer la solution.


IV

Les grandes compagnies sont liées avec l’état par des traités qui assurent à celui-ci la surveillance et le contrôle pour tout ce qui touche non-seulement à la facilité, à la sécurité, mais encore aux prix des transports. Aux compagnies qui exploitent au point de vue commercial appartient l’initiative de la fixation des prix au-dessous d’un maximum déterminé, mais tout changement de ces prix doit être homologué, c’est-à-dire approuvé par l’administration publique. Or, les traités dont il s’agit ont grandement profité aux compagnies, de même que l’augmentation des réseaux, comme nous venons de le voir, a grandement profité à l’État. Les cours cotés pour les actions, et les obligations des chemins de fer montrent que les 8 milliards dépensés par elles ne sont pas mal employés. Ainsi les obligations émises d’abord aux environs du pair à 300 francs valent près de 400 francs, soit un tiers en sus : le revenu des actions s’est élevé, impôt compris, en 1880, à 74 fr. pour le Nord, 33 fr. pour l’Est, 35 fr. pour l’Ouest, 56 fr. pour l’Orléans, 70 pour le Lyon et 40 fr. pour le Midi. Ce revenu s’applique à un capital actions qui n’est pas demeuré stationnaire ; pour le Nord, il était encore en 1861 de 150 millions ; depuis 1864, il monte à 300 : et alors que les actions primitives ont touché jusqu’à 100 francs et se négociaient à 1,300, les actions doubles en nombre reçoivent encore 74 francs chacune et se négocient à 2,400 francs. Le Lyon a porté son capital en différentes émissions de 266 millions à 345. Le revenu a varié de 75 francs, sous l’ancienne constitution, à 70 fr. sous la dernière, et le prix de l’action a monté de 1,000 à 1,790 francs (cours du 2 janvier 1882). La prospérité de ces deux compagnies est telle que jamais elles n’ont dû recourir à la garantie et que l’on peut entrevoir le moment du partage des bénéfices avec l’état. Pour les quatre autres compagnies, leur capital n’ayant point varié depuis l’établissement du régime des conventions et le revenu réservé étant resté le même, l’élévation du prix des cours est seule à considérer. De 1864 à 1882 les actions de l’Est ont monté de moins de 600 à 775 fr., et celles du Midi de 800 à 1,360 ; l’Orléans a été coté 1,340 francs, et l’Ouest 840 fr., quand les cours de la période précitée se maintenaient entre 500 et 600 francs.

Du rapprochement de ces chiffres ressort bien, il nous semble, la preuve des avantages obtenus par les compagnies comme par l’état, grâce au régime des conventions, et la voie qu’il s’agit de suivre semble donc tout indiquée.

Ce dont il faut se préoccuper maintenant, et presque exclusivement, c’est de l’intérêt général et public, pourvu que l’on ne porte pas atteinte à la fortune présente des compagnies obtenue par tant de soins et une si recommandable gestion. Cet intérêt général qui a d’ailleurs profité dans la plus large proportion du plus utile instrument de tous les progrès modernes, comment pourrait-il être satisfait ? Sans aucun doute, par l’accroissement toujours incessant des chemins de fer, et aussi par le meilleur marché du prix des transports rendus de plus en plus faciles et rapides. Pour les chemins d’intérêt général, trois chiffres en résument les progrès : à la fin de 1848, on en comptait environ 2,200 kilomètres exploités ; dix ans après le chiffre s’élève à 8,690, soit quatre fois autant ; de 1858 à 1868 l’augmentation est du double, le total monte à 16,258. Une nouvelle période décennale ne signale plus qu’un quart en sus : en 1878, l’exploitation atteint 22,150 kilomètres, y compris le réseau de l’État. Ainsi la progression continue toujours, mais va en s’affaiblissant à mesure que les bonnes lignes deviennent plus rares. Aujourd’hui il faut poursuivre l’œuvre, les localités le réclament, le gouvernement l’a promis, le plan de M. de Freycinet s’impose. Comment l’exécuter ? Tout d’abord la rente amortissable a fait face aux dépenses, mais voici que l’émission en devient difficile : celle du dernier milliard n’a pas réussi, le gouvernement hésite, et M. Léon Say, à qui incombe le soin de veiller sur le crédit public, déclare qu’on ne peut recourir à l’emprunt ni en 1882 ni en 1883. A défaut du trésor public, c’est donc aux compagnies qu’il faut avoir recours : leur crédit est intact, elles négocient tous les jours sans bruit, et en les vendant à leurs gares, de grosses quantités d’obligations qui se paient près de 400 francs ; qu’elles se chargent donc de construire les nouvelles lignes d’intérêt général ; le système de la garantie-et du revenu réservé en fournira le moyen aux unes ; le recul du partage des bénéfices pourra être offert aux autres. Cette première partie de l’œuvre à accomplir ne présente pas de grandes difficultés.

Il n’en est pas ainsi de la seconde, c’est-à-dire du meilleur marché des transports. On se heurte ici à des difficultés si grandes que, pour les résoudre, on n’avait rien imaginé de mieux que le rachat ruineux des chemins de fer et l’exploitation par l’état. Puisqu’il faut renoncer à ces chimères, puisque le rachat partiel, celui d’une seule ligne, même de l’Orléans, ne pourrait se faire sans compromettre tout l’édifice, il ne reste en définitive qu’à s’entendre avec les compagnies. Or le maintien des tarifs actuels acquis par celles-ci à titre onéreux et payé près de 8 milliards, c’est leur fortune entière, le revenu de leurs actionnaires, le gage de leurs dettes : y toucher, c’est jeter l’effroi dans ce nombre immense de porteurs qui votent dans tous nos collèges électoraux. D’un autre côté, ne pas diminuer le prix des transports, c’est mécontenter un plus grand nombre encore d’électeurs ; on comprend les perplexités de ceux qui nous gouvernent, ballottés entre ces influences contraires. Or est-il donc vrai que les tarifs soient exagérés et qu’il soit possible de les réduire ?

Avant tout, il faut distinguer entre les tarifs ; il y a les tarifs légaux fixant le maximum des prix que les compagnies peuvent percevoir, établis par la loi de concession, uniformes pour toutes les lignes sans distinction entre celles qui ont coûté plus cher à construire et où le transport est bien plus onéreux en raison des courbes, des pentes, des difficultés de traction. Ces tarifs, dont le chiffre n’est jamais appliqué, pourraient être révisés, moins au point de vue pratique que par respect pour la vérité théorique.

Les tarifs généraux sont ceux que les grandes compagnies ont toutes adoptés avec le consentement de l’état et qui forment le droit commun pour tous les transports ; enfin, pour répondre à des besoins particuliers et plier leur exploitation aux exigences variées et incessamment mobiles du commerce, les compagnies ont établi des tarifs spéciaux en vertu desquels certains produits paient des prix de transport beaucoup moins élevés sur plusieurs lignes que sur d’autres : de là réclamations du commerce, plaintes des producteurs non-seulement contre les compagnies, mais encore contre le gouvernement, qui, juge en dernier ressort des questions de tarifs, pourrait refuser l’homologation aux abaissemens exagérés des compagnies et réduire la concurrence à ses justes limites, agir, en un mot, en bon père de famille. Les reproches faits aux tarifs spéciaux, dont il serait utile de réduire le nombre et dont l’administration publique peut corriger les abus, ne sont pas de même nature que ceux adressés aux tarifs généraux, que l’on demande unanimement de diminuer.

Sur le prix des transports, en France, et sur la fixation des tarifs généraux par nos compagnies, M. Krantz jette les plus vives lumières. Le prix de revient du transport se décompose en deux élémens ; le premier comprend les débours réels faits par la compagnie, personnel, matières, entretien de la voie, etc. En 1878, la dernière année dont les résultats aient été publiés, ces dépenses étaient évaluées, pour chaque tonne transportée à 1 kilomètre sur les grands réseaux, à 2 cent. 99, soit 3 centimes. Le taux des salaires, le coût des matières, tendent-ils à décroître ? peut-on espérer une réduction à 2 centimes au lieu de 3 ? À cette dépense il faut ajouter, comme second élément de frais d’exploitation, la rémunération des capitaux engagés, dont le chiffre moyen pour chaque tonne s’est élevé en 1878 à 2 cent. 97 ; de ce chef, aucune atténuation n’est possible. Pour la petite vitesse, le prix de la tonne kilométrique est donc de 5 cent. 96 ; pour la grande vitesse, c’est-à-dire pour le transport des voyageurs et des messageries, le prix moyen kilométrique a été de 5 cent. 17 en 1878. Le réseau des compagnies comprenait 20,554 kilomètres ; il a donné lieu à un transport kilométrique de 5,711,599,879 voyageurs et de 8,356,221,821 tonnes de marchandises ; d’importans services accessoires ont été en outre effectués. Les recettes totales de l’exploitation se sont élevées (impôt déduit) à 924,384,908 fr. et les dépenses (impôts déduits) à 468,440,760 francs, d’où ressort un produit net de 455,944,147 fr. Le rapport de la dépense à la recette est d’un peu plus de moitié. Le produit net mis en regard du capital fourni par les compagnies représente donc 6 pour 100.

Il paraît utile, malgré leur aridité, de présenter ces chiffres, qui font bien comprendre avec quelle prudence on doit toucher aux tarifs généraux établis, d’autant plus qu’ils paraissent modérés par comparaison à ceux des autres pays en général, excepté toutefois la Belgique, où la configuration du pays, plat et sans accidens de terrains, promet des transports peu chers et plus faciles. Un abaissement d’un cinquième seulement dans les produits rendrait la situation des compagnies très précaire et imposerait par contre à l’état de bien grands sacrifices. On doit distinguer toutefois entre le transport des voyageurs et celui des marchandises. Si ce dernier peut surtout donner lieu à des simplifications de classement, à des diminutions de frais de manutention, magasinage, camionnage, etc., à une surveillance plus rigoureuse du gouvernement dans l’établissement des tarifs spéciaux, à l’application stricte du droit commun pour toutes les lignes, sans compter encore de nouveaux abaissemens à accorder pour les longs parcours au profit des plus gros cliens, c’est surtout sur le transport des voyageurs que des réductions devraient être obtenues dans tous les trains ordinaires, tandis qu’en vertu du principe que la vitesse coûte cher et doit être payée, les trains de grande vitesse donneraient peut-être lieu, comme en Allemagne, à des surtaxes. On rencontrerait ici deux intéressés à mettre à contribution : l’état, qui a maintenu l’impôt additionnel du dixième établi sur les voyageurs après en’ avoir affranchi récemment la petite vitesse, et les compagnies, auxquelles un sacrifice égal pourrait être demandé : deux dixièmes de moins à payer procureraient un grand soulagement au public, de même que l’usage des billets aller et retour à prix réduits, déjà admis sur certaines lignes, adopté sur toutes, amènerait un allégement pour les voyageurs pressés, c’est-à-dire pour ceux qui vaquent à des affaires sérieuses.

C’est précisément sur tous ces points que le traité signé au mois de février dernier entre le ministre des finances et la compagnie d’Orléans semblait avoir préparé une solution satisfaisante. En ce qui concerne la continuation des lignes nouvelles indiquées au plan de M. de Freycinet et le moyen de faire face aux dépenses sans rien demander au trésor public, le dernier article de la convention portait que la compagnie rembourserait par anticipation en cinq ans la dette qu’elle a contractée envers l’état au titre de la garantie d’intérêt. D’autres compagnies, le Lyon et l’Est notamment, ont déjà promis de faire de semblables avances. Sous le rapport de la construction, le résultat souhaitable était acquis.

Quant à l’exploitation, la compagnie d’Orléans affermait jusqu’au 31 décembre 1899 une partie à déterminer des lignes du troisième réseau (lignes du nouveau plan) et supportait l’intérêt de l’amortissement du capital dépensé par elle : à l’expiration du bail, s’il n’était pas renouvelé, l’état prendrait la suite des annuités à servir.

De son côté, l’état renonçait pendant quinze ans à exercer le droit de rachat, et si, dans les six derniers mois de cette première période, il n’avait pas dénoncé à la compagnie qu’il entend faire usage de ce droit, l’interdiction serait prolongée pour quinze nouvelles années, et ainsi de suite de quinze ans en quinze ans.

Enfin les tarifs maxima fixés par le cahier des charges pour les voyageurs devaient être diminués de 5 à 6 pour 100, sauf pour les voyageurs des trains rapides, et dans le cas où l’état réduirait ultérieurement l’impôt perçu à son profit sur les taxes de transport à grande vitesse (voyageurs et marchandises), la compagnie était tenue de faire un sacrifice égal sur la part qui lui est attribuée.

Des billets d’aller et retour avec réduction de 25 pour 100 seraient. délivrés pour toute circulation entre deux gares ; la compagnie réviserait le tarif général des transports en petite vitesse et abaisserait les tarifs spéciaux, surtout sur les marchandises de peu de valeur, de même qu’elle abrégerait autant que possible les délais de transport et réglerait les itinéraires au mieux des intérêts du commerce, etc.

Cette convention déjà signée, que d’autres compagnies semblaient disposées à prendre pour modèle, souleva tout d’abord dans la presse entière deux objections. La renonciation, même pour un temps limité, au rachat des chemins de fer par l’état parut exorbitante, bien que l’impossibilité financière de l’opérer ne fît aucun doute. Un abaissement de 5 à 6 pour 100 sur les tarifs maxima des voyageurs en trains ordinaires semblait une faible compensation à l’ajournement du droit de l’état. L’engagement pris par la compagnie de réduire les prix des transports à grande vitesse dans une proportion égale à l’abandon que ferait l’état sur l’impôt perçu par lui, ne paraissait pas non plus promettre au public des résultats utiles, puisque l’impôt de la grande vitesse procure au trésor plus de 80 millions et que la situation du budget ne permettrait pas de renoncer à cette ressource.

Aussi, en présence des critiques formulées, le ministère crut-il devoir, à la rentrée des chambres en mai, présenter un premier projet de loi limité à l’adoption d’un seul article de la convention du 19 février, celui qui était relatif au remboursement anticipé des avances faites à titre de garantie d’intérêt ; la compagnie d’Orléans s’est engagée par un premier traité à restituer à l’état en trois années au plus la somme de 207 millions qui représente au 1er janvier 1882 les avances ainsi reçues par elle en capital et intérêts. Son revenu réservé s’accroîtra de l’intérêt et de l’amortissement de ces restitutions sans que l’augmentation totale puisse excéder 8 millions de francs et l’exercice du droit de rachat par l’état ne sera en rien modifié. Enfin, trois mois plus tard, et à la date du 20 mai, un second projet de loi vient d’être déposé à la chambre des députés, qui reproduit, mais en les améliorant, toutes les autres conditions du traité du 19 février en en ajoutant de nouvelles très importantes. Les stipulations relatives aux facilités de transport, à la classification des marchandises, au remaniement des tarifs généraux et spéciaux, aux réductions pour prix de billets d’aller et retour, sont maintenues. La compagnie s’engage à effectuer toutes ces améliorations dans un délai de trois mois, et elle porte à 7 pour 100 au lieu de 6 pour 100 la réduction promise le 19 février pour le transport des voyageurs. Elle stipule encore en faveur de l’état une notable augmentation des wagons-postes, enfin, au lieu du partage par moitié des bénéfices quand le moment en sera venu, l’état en recevra les trois quarts ; mais les clauses les plus significatives du nouveau traité sont relatives à la cession à l’état par la compagnie de 340 kilomètres rayonnant autour de Nantes qui serviraient à la création d’une compagnie régionale, et à l’acquisition par la compagnie de 320 kilomètres actuellement en construction par l’état, dans les départemens du Centre et notamment dans celui de Maine-et-Loire.

En outre, l’état donnerait à ferme à la compagnie d’Orléans 600 kilomètres dont elle entreprendrait la superstructure, et parmi lesquels figure la ligne de Limoges à Montauban, et pour cette dernière, la compagnie mettrait à la disposition de l’état 200,000 fr. par kilomètre. Les lignes affermées seraient divisées en deux groupes : l’un serait pris par la compagnie à ses risques et périls, l’autre serait exploité pour le compte de l’état avec des prix maxima de recettes et de dépenses, intéressant la compagnie a augmenter les premières et à diminuer les secondes. Ce bail pendant lequel cesserait le droit de rachat durerait jusqu’au 31 décembre 1899 et pourrait être renouvelé.

A coup sûr, la convention du 19 février, qui avait été ici même approuvée avec une grande autorité par M. Paul Leroy-Beaulieu, a été l’objet d’heureuses modifications. Les chambres voteront-elles sans le modifier le dernier projet de loi qui vient de leur être présenté ? Les autres grandes compagnies s’inspireront-elles de cet exemple et le régime général de nos chemins de fer va-t-il être l’objet d’un remaniement complet ? Nous l’espérons sincèrement pour notre part et nous ne doutons point qu’entre l’état et les compagnies la conciliation se fasse : elle est nécessaire, elle est conforme au sentiment public, elle est indiquée par tous les précédens en cette matière, ainsi que nous devons le résumer en quelques mots.

Les chemins de fer ne sont pas, ne peuvent être l’objet d’une propriété entièrement privée. Leur constitution, leur fonctionnement, les font rentrer dans le domaine public. D’un autre côté, pour les construire et les posséder seul, il aurait fallu que l’état leur appliquât plus de ressources qu’il n’aurait convenu. L’état pourvoit à des besoins politiques et sociaux d’un ordre plus élevé que celui du transport des hommes et des choses, et il le fait sans en retirer aucun profit, tandis qu’il n’est pas dans la nature même des voies ferrées que l’usage en soit gratuit. Donc, pour entreprendre cette énorme dépense, comme pour la faire fructifier commercialement, l’état a dû réclamer d’autres concours. La loi de 1842 a posé la question sur son véritable terrain en appelant à l’aide du trésor public les localités traversées et des compagnies particulières chargées de l’exploitation à bail pour des durées variables, mais non séculaires. L’histoire abrégée de nos chemins de fer a montré sous l’empire de quelles nécessités ces premières dispositions avaient dû être modifiées : d’abord les localités ont été mises hors de cause, puis les baux proprement dits ont été remplacés par des concessions de quatre-vingt-dix-neuf ans, à l’expiration desquels l’état redeviendra propriétaire des chemins de fer et pourra en régler seul l’exploitation. Le tiers de ce laps de temps est déjà écoulé, et depuis lors, à diverses reprises, il a fallu réviser les conventions dans un sens toujours favorable, en définitive, à l’intérêt public, puisque le réseau des voies ferrées s’est considérablement accru, que les progrès de l’agriculture, du commerce et de l’industrie ont été incessans, que le trésor de l’état s’est enrichi, tandis que les compagnies concessionnaires profitaient elles-mêmes du mouvement dans une sérieuse proportion. Inutile d’ajouter que les droits de l’état, en tant que surveillance et tutelle, n’ont, dans tout le cours de cette période de quarante années, subi aucune atteinte.

Aujourd’hui, voici qu’un mouvement très vif de l’opinion publique rouvre la question du régime de nos chemins de fer, de ceux d’intérêt général surtout. Des modifications dans les clauses des conventions sont demandées au nom de l’intérêt public proprement dit, c’est-à-dire au nom de la facilité et du bon marché des transports. Pour indiquer le moyen de répondre à ces préoccupations, de satisfaire à ces désirs légitimes assurément, puisqu’en réalité il s’agit plus d’une propriété publique que d’une propriété privée, il suffit de s’inspirer des leçons du passé, de rappeler à l’état ses propres principes tant de fois exposés, mais nulle part mieux que dans la loi de 1842, et de montrer ensuite aux compagnies en quoi consistent leurs devoirs vis-à-vis de l’état, dont elles sont les usufruitiers, du public, dont elles ont à satisfaire les besoins, de leurs actionnaires, dont elles défendent les intérêts ; or ces derniers seraient-ils compromis par de larges concessions plus que par une résistance prolongée aux arrangemens que proposerait l’état ? Nous n’hésitons pas à penser que la politique d’accommodement est la meilleure, et nous répéterons ce que nous disions en commençant : Par ce temps de brusques soubresauts, de recherche passionnée des succès populaires, de déterminations irréfléchies, il ne faut pas exposer des entreprises comme celles de nos chemins de fer à ce qu’une révolution inattendue les frappe en atteignant à la fois la fortune de l’état lui-même, parce qu’un caprice populaire l’aurait décidé en vertu de l’axiome :

: Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas,

que les foules souveraines se plaisent à appliquer sans le connaître et sans s’autoriser du texte latin.


BAILLEUX DE MARISY.

  1. Nombre d’actions de chemins de fer : Nord, 519,348 ; Est, 559,774 ; Ouest 288,377 ; Paris-Lyon-Méditerranée, 800,000 ; Orléans, 560,521 ; Midi, 247,148. Ajouter actions de jouissance pour autant amorties, 83,832. Ensemble, 3,059,000.
    Nombre d’obligations de chemins de fer : Les six grandes compagnies ont émis 25,572,286 obligations remboursables à 500 francs et 855,834 remboursables à des taux divers. Voici, par compagnie, le nombre des premières : Nord, 2,645,359 ; Est, 2,999,253 ; Ouest, 3,690,355 ; Paris-Lyon-Méditerranée, 9,806,129 ; Orléans, 3,797,891 ; Midi, 2,632,299. A ajouter les obligations à taux divers, 855,834. Ensemble, 26,428,120.
  2. RENTES FRANÇAISES.

    5 0/0 Arrérages 343,348,602 fr. Capital nominal 6,866,972,040 fr.
    4 1/2 « 37,442,486 « 832,655,200
    4 0/0 « 446,096 « 11,152,400
    3 0/0 « 362,699,315 « 12,089,977,100
    3 0/0 Amortissable ancien 19,496,370 « 439,878,547
    3 0/0 Amortissable nouveau 33,667,960 « 1,000,000,000
    Total 797,100,829 fr. Total 21,240,035,287 fr.
  3. Plusieurs groupes s’étaient constitués pour obtenir diverses concessions. En 1830, les lignes de Paris à Rouen et au Havre, de Paris à Orléans, de Lille à Dunkerque, etc., avaient été concédées à des sociétés particulières. La première, dite des plateaux, résilia son contrat dès 1839, ainsi que celle de Lille à Dunkerque. La compagnie d’Orléans ne voulut conserver que le petit embranchement de Corbeil ; la compagnie de Strasbourg resta seule sur pied, mais obtint plus tard la prolongation de sa concession à 99 ans et un secours de plus de 12 millions. Après trois ans d’hésitation, la compagnie d’Orléans, moyennant aussi une prolongation de durée, revint sur ses hésitations. C’est enfin en 1840 que des capitalistes anglais obtinrent la concession du chemin de fer de Paris à Rouen par les vallées.
  4. Ce dernier paragraphe, introduit par amendement dans la discussion, réservait pour l’avenir toute liberté dans le système de l’exécution. Le gouvernement avait reconnu lui-même par avance qu’elle pouvait n’être pas uniforme, puisque les lignes de Rouen au Havre, de Paris à Orléans, de Montpellier à Cette, avaient déjà été concédées à des compagnies et qu’elles auraient dû être classées, comme elles le furent plus tard, dans les grands réseaux.
  5. Si le lecteur voulait recourir aux publications les plus autorisées qui ont paru dernièrement, il y aurait lieu de lui indiquer en première ligne le travail de M. Léon Say, qui a victorieusement démontré l’impossibilité du rachat des chemins de fer par l’état au point de vue de l’équilibre budgétaire, et celui de M. Krantz, après lequel le système de l’exploitation par l’état ne peut plus être défendu. M. Paul Leroy-Beaulieu, M. Emile Level, d’autres encore ont soutenu les mêmes conclusions par les argumens les plus solides ; M. Aucoc, dans ses leçons à l’École des ponts et chaussées et dans ses livres, a exposé avec une autorité irréfutable, les droits de l’état sur l’établissement des tarifs et le rôle de l’administration dans le contrôle et la surveillance des chemins de fer. On trouverait encore, dans un livre récent de M. Mathieu-Bodet sur les finances de la France depuis 1870, les détails les plus complets sur les sacrifices consentis en faveur des chemins de fer. Nul sujet, en aucun temps, n’a été plus mûrement étudié que celui dont nous prétendons Seulement exposer les points principaux et en quelque sorte reproduire l’esprit général, à l’adresse des personnes les moins initiées aux formules techniques, mais auxquelles il est cependant utile de faire comprendre la portée de résolutions qui intéresseraient leur fortune à tant de titres.