Mœurs financières de la France
Revue des Deux Mondes3e période, tome 48 (p. 432-452).
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MŒURS FINANCIERES
DE LA FRANCE

LES NOUVELLES SOCIÉTÉS FONCIÈRES.

De tous les changemens qui se sont opérés dans les mœurs financières de notre pays, le plus grand, le plus inattendu à coup sûr, est, non pas peut-être encore l’indifférence, mais au moins le refroidissement de la passion publique pour la possession de la terre. Il est permis d’affirmer, sans qu’il soit besoin d’accumuler les preuves historiques ou les exposés statistiques, que pendant plusieurs siècles, le désir de participer à la propriété territoriale n’a cessé d’enfanter tous les mouvemens politiques et les crises sociales qui, du gouvernement féodal à la forme démocratique actuelle, ont successivement modifié notre régime intérieur. Or, dans ces dernières années, il est non moins évident que le torrent n’a plus la même rapidité et que le morcellement du sol, conséquence inévitable de nos lois de succession, n’est plus poursuivi avec la même furie. Si, par exemple, le produit des droits perçus pour les mutations de propriété devient tel que, par leur fréquence, il fait presque absorber en renouvellemens périodiques la valeur totale de la propriété individuelle par la communauté ou l’état, — cette revendication extrême du socialisme, — ce n’est point à la volonté persévérante d’acquérir à tout prix une parcelle de la terre où vivent ses habitans qu’on est en droit de l’attribuer, mais au partage des héritages spécialement.

Certes, nous sommes loin de prétendre que, dans beaucoup de nos départemens encore, l’ouvrier des champs ne souhaite pas de posséder la terre qu’il cultive, de même que l’ouvrier des fabriques la maison qu’il habite ; dans certaines contrées, et malheureusement à notre avis dans le moins grand nombre, partout où le petit propriétaire peut, sur un étroit espace, subsister aisément avec sa famille, là où le travail de ses bras seuls lui donne un produit suffisant, le prix de la terre augmente encore en capital et en revenu, et l’ardeur de l’acquérir ne s’est point ralentie. Les départemens du Nord-Ouest en fournissent le plus éclatant exemple. En Normandie, en Bretagne, l’élevage du bétail, la vente du lait, du beurre, de la viande, de l’herbe, des pommes, du cidre, du bois procurent de si faciles bénéfices qu’il n’est besoin pour ainsi dire que de l’assistance passive de l’homme aux progrès successifs des saisons : le travail manuel n’est ni excessif ni intermittent. S’il se plaint d’années variables, plus ou moins abondantes, le cultivateur n’a point à redouter des chômages ruineux ou de véritables disettes, et, la demande des matières alimentaires qu’il récolte croissant sans cesse, il recherche avec la même impatience qu’autrefois l’occasion d’acquérir ce sol privilégié où l’existence lui est si douce. On n’en saurait dire autant des contrées où le prix de la main-d’œuvre s’est tellement accru par la nécessité d’enrôler des ouvriers de passage, que l’emploi des machines doit s’y substituer à bref délai au travail manuel, non plus que des localités encore plus malheureuses où des fléaux importés du dehors ont anéanti les productions locales et détourné, momentanément il faut l’espérer, les capitaux et les hommes. Au centre et au midi de la France, la valeur de la terre a réellement diminué. La grande culture, devenue plus onéreuse, n’est plus recherchée par cette classe de fermiers riches et habiles qui formaient une corporation toute-puissante ; la petite culture est impraticable ; on entend dire partout que les baux ont baissé, et que nombre de propriétaires sont forcés de cultiver à perte les fermes abandonnées. Le phylloxéra a tué la vigne dans beaucoup de contrées où la substitution de cette nouvelle culture aux anciennes avait brusquement élevé la fortune des habitans à un chiffre inouï que l’apparition de l’insecte apporté d’Amérique a fait ensuite disparaître non moins rapidement. Les mûriers, les oliviers ont été frappés comme la vigne, et aucune appropriation plus fructueuse n’a été donnée aux champs dévastés. Aussi le métayage dans notre Midi, le fermage au Centre, ont-ils vu décroître avec leurs bénéfices le nombre des exploiteurs et des acquéreurs de la terre.

À ces causes incontestables de la tiédeur actuelle avec laquelle est recherchée la propriété foncière, il faut enfin ajouter l’entrain qui pousse toutes les classes de la population non pas vers les villes en général, mais vers les grandes villes, centres de consommation plus abondante et de jouissances matérielles plus vives. Les relevés officiels de l’administration, les études des économistes ont donné sur le peu de progrès de la population française en général, et sur ses déplacemens, les renseignemens les plus explicites. Aujourd’hui c’est donc une vérité acquise que, si en d’autres pays l’ouvrier s’expatrie et émigré, chez nous il fuit les champs en même temps que le capital s’en détourne.


I

Quels autres désirs ont remplacé l’ancienne passion dominante ? A quelles satisfactions l’activité générale s’empresse-t-elle de courir ? Quels biens le travail de chacun s’efforce-t-il de conquérir aujourd’hui ?

Il n’est douteux pour personne que le goût de la propriété mobilière s’est développé dans une énorme proportion depuis que les titres qui la représentent ont été multipliés comme l’on sait. Tout ce mouvement industriel et commercial, fruit des découvertes scientifiques de notre siècle, a eu pour symbole et signe extérieur des titres transmissibles de main en main, constitutifs d’une propriété non moins sérieuse que la propriété immobilière, procurant des revenus faciles à percevoir et dans bien des cas moins précaires et moins variables que la rente même de la terre. À ces avantages très réels ajoutons le besoin de plus en plus vif et sans cesse aiguisé de la consommation sous toutes ses formes, on peut même aller jusqu’à dire le droit pour chacun de se faire une plus large place au banquet de la vie, et nous nous expliquerons sans peine comment la fortune privée se compose principalement aujourd’hui des valeurs mobilières, avec lesquelles on peut payer presque comptant les objets dont l’envie se fait sentir, et qui gonflent ce que, dans un langage accepté universellement, on appelle le portefeuille de chacun. Pas n’est besoin, pour en déterminer le nombre, d’établir de longs inventaires. Nous traitions ici même, il y a quatre ans, la question de la constitution de la compagnie des agens de change à Paris et nous faisions ressortir alors l’importance des transactions opérées au parquet ; mais les progrès que nous entrevoyions ont dépassé toutes les limites prévues. Que l’on mette, en effet, auprès de la cote de la Bourse de 1877 la cote officielle d’aujourd’hui et que l’on compare : celle-ci a doublé d’étendue. Que l’on énumère à la suite des valeurs négociées par les agens de change celles dont le marché libre se fait l’intermédiaire, la progression apparaîtra encore plus grande. Le nombre des sociétés qui, sous diverses dénominations, font l’office de maisons de banque, n’était, sur la cote officielle de la Bourse de Paris avant 1870, que de neuf seulement ; en 1876, il s’est élevé à 16 ; aujourd’hui, en 1881, il atteint le chiffre de 58 sociétés françaises, auxquelles il faut en ajouter 13 qui, sous des noms étrangers, n’emploient que notre propre capital. Pour toutes celles qui se négocient sur le marché libre, il serait difficile d’en relever la quantité ; on peut se renseigner à ce sujet dans les journaux financiers, dont le nombre croît tous les jours, et à côté desquels et par lesquels se fonde invariablement une maison de commissions et de courtages.

Enfin, outre les sociétés par actions cotées ou non sur le marché officiel et le marché libre de Paris, qui s’occupent de dépôts, de reports, d’opérations au comptant ou à terme, on doit mentionner les créations semblables récemment faites dans les plus grandes villes de province, dont les bourses locales cotent les cours. Que si l’on veut aller jusqu’aux extrémités du monde de la spéculation, il faut même ne pas oublier la corporation des changeurs, qui pullule partout, quelquefois même au grand préjudice de ses cliens.

Nous avons à diverses reprises exposé l’organisation de plusieurs des établissemens financiers grâce auxquels les moyens de crédit ont été de plus en plus mis à la disposition du public, par l’usage des chèques, des bons à vue ou à terme, des comptes-courans, etc. Au nombre de leurs opérations, ils comprennent tous l’achat et la vente des valeurs de Bourse : en comparant leurs comptes-rendus actuels avec ceux d’il y a quelques années, on verrait les progrès obtenus. Nous ne voulons désigner nominalement aucune de ces sociétés, mais, dans l’une des plus importantes, là où les opérations de Bourse au comptant se chiffraient par une somme de 9 millions chaque semaine, il faudrait aujourd’hui en inscrire plus de 25, soit près d’un milliard et demi de francs par année pour l’achat et la vente de titres. Sans pousser plus loin cette comparaison, il suffit de faire appel à l’expérience de chacun pour mettre hors de contestation le progrès incessant de la richesse mobilière en France, attesté par l’accroissement parallèle des titres qui la représentent.

Faut-il se féliciter sans réserve de ce changement de mœurs ? Une telle question soulèverait bien des controverses. La possession individuelle du sol entraîne avec elle de telles conséquences morales et politiques qu’on la regarde comme la base la plus solide des sociétés humaines, et il n’y aurait intérêt à en reprendre la défense que si, dans la situation actuelle, un péril sérieux semblait la menacer. Mais il n’en est pas ainsi, fort heureusement, et si les avantages de la propriété mobilière frappent davantage les yeux, c’est qu’ils sont plus nouveaux et qu’ils ouvrent de plus larges perspectives à l’amour assurément permis du bien-être.

La propriété mobilière, on ne saurait assez le redire, est née des. découvertes de la science moderne et d’un effort de l’industrie humaine comparable aux plus grands dont l’histoire fasse mention. Notre siècle, dont tous les travaux peuvent ne pas mériter la même louange, laissera, en ce qui touche les œuvres de la science proprement dite, un renom qu’aucun autre ne semble de voir surpasser. Certes, dans le domaine du beau, le XIXe siècle n’a pas été stérile, et notre patriotisme est intéressé à l’affirmer ; mais son caractère particulier, ses titres à une gloire incontestée, résident spécialement dans les découvertes scientifiques appliquées à la conquête du bien matériel et à la possession de ce monde fini où vit l’homme et sur lequel sa puissance s’exerce avec une supériorité de plus en plus assurée. Or ces feuilles volantes, ces carrés de papier qu’on nomme les titres de notre fortune mobilière demeurent le symbole des découvertes de la science qui a donné naissance à tant d’entreprises : on leur doit à cet égard considération et respect.

La richesse mobilière, en outre, fruit du progrès du travail matériel, constitue le plus actif instrument avec lequel ce travail doit se développer encore, puisque c’est à l’aide de la transmission dès valeurs mobilières que se constitue principalement le crédit par-dessus tout et plus que le capital même nécessaire à l’extension de l’industrie et du commerce.

Entre la possession de titres transmissibles de la main à la main, presque sans frais, dont l’achat et la vente ne coûtent que des droits minimes, sur lesquels on emprunte sans formalités judiciaires ni délais, et la propriété de terres ou de maisons dont il faut constater l’origine, rechercher les titres constitutifs, avec des délais interminables de purge d’hypothèques, quelle différence pour la multiplicité, le bon marché et l’utilité des transactions ! Si la propriété immobilière offre des garanties de sécurité plus grandes ; si elle n’est pas exposée à se perdre, à disparaître par le moindre accident, en retour, elle se prête à moins d’emplois profitables ; elle exige aussi des soins plus absorbans et présente des vicissitudes et des aléas dangereux. C’est pour y échapper que la plupart des capitalistes renoncent à la propriété immobilière ou n’y consacrent qu’une part relativement minime de leur fortune, se bornant dans les villes comme dans les campagnes à posséder les immeubles qu’ils occupent, en y cherchant les jouissances du luxe, les agrémens de la résidence, non les bénéfices de l’exploitation.

De ce délaissement de la propriété immobilière par les petits capitaux en raison de la difficulté de la mise en valeur, par les moyennes fortunes qu’attire la fixité des rentes mobilières et par les grandes pour des motifs de convenances personnelles, il serait néanmoins téméraire de prédire une révolution complète dans les mœurs de notre pays ; mais, soit dans ses procédés de culture, soit dans son mode de se constituer, la propriété foncière devra se prêter à des modifications sérieuses ; il s’en est déjà produit, et c’est sur l’une des plus récentes et des plus significatives que nous voulons arrêter l’attention du lecteur.


II

Substituer entièrement la propriété collective immobilière à la propriété individuelle est depuis longtemps le rêve des penseurs ou des sectaires qui, sous prétexte de progrès, ne tendent à rien moins qu’à ramener les sociétés modernes aux âges barbares où la propriété n’existait d’aucune façon. Introduire au contraire sous une nouvelle forme cette propriété collective à côté de celle qui sert de base à l’édifice social, sans en diminuer la solidité, n’a été le fait que de rares esprits dont l’initiative a, depuis un demi-siècle à peine, produit dans les affaires industrielles les plus féconds résultats. Au premier rang nous rappellerons les noms de MM. Emile et Isaac Pereire. C’est à eux qu’est due la création à Paris de la Société immobilière, qui peut être signalée comme le point de départ d’opérations nouvelles et de l’application directe à la propriété du sol et des immeubles d’un procédé déjà expérimenté pour d’autres objets. Sans doute, toute société par actions, quand elle était par exemple créée pour l’exploitation d’usines, de mines, de chemins de fer, se composait de propriétaires non-seulement indivis, mais collectifs et innomés ; en réalité, il s’agissait plutôt d’une industrie à exercer en commun que de la possession d’un terrain quelconque et d’un immeuble proprement dit. La Société immobilière, fondée avant la grande exposition de 1855, dans l’intention de construire des maisons et tout d’abord le Grand-Hôtel du boulevard des Capucines qu’on voulait ouvrir aux étrangers à l’instar des hôtels américains, offrit le premier exemple significatif de l’association d’actionnaires en vue de l’acquisition du sol et de l’exploitation d’immeubles bâtis. Ces mêmes titres d’actions et d’obligations que toutes les entreprises de travaux publics, dans lesquelles MM. Pereire avaient joué un si grand rôle, venaient de populariser à ce point qu’on doit leur attribuer la constitution propre de la richesse mobilière, étaient ainsi utilisés au profit d’une propriété immobilière réelle et durable. Nous n’avons point l’intention de refaire l’histoire de la Société immobilière et des phases diverses qui ont abouti à une ruine complète : l’insuccès final dont elle fut victime n’a été le fait ni de son principe, ni même de sa gestion, mais seulement des circonstances politiques et de l’extension de ses opérations à Marseille, commencées en vue d’un programme à réaliser qui fut brusquement changé contre la volonté des administrateurs de la société. Cette première tentative ayant échoué, d’autres du même genre, comme l’ouverture de la rue Impériale à Lyon, n’ayant donné que des résultats insignifians, il fallut le vif mouvement d’affaires produit après 1872 et les nécessités de la construction à Paris pour voir se produire les efforts tout récens que nous voulons décrire.

Sous l’empire, sous l’administration de M. le baron Haussmann, l’ouverture des grands boulevards et des nouvelles rues, l’élargissement et l’assainissement des anciens quartiers avaient donné un essor immense à l’industrie du bâtiment ; il n’est pas téméraire d’affirmer que, dans les dernières années, les travaux n’ont pas été moins importans et cela dans la zone même où avait opère la Société immobilière, conjointement avec MM. Pereire, propriétaires, comme elle, de vastes terrains. C’est à la suite du boulevard Malesherbes, près du parc Monceau, dans la plaine qui s’étend au-delà du faubourg du Roule, que les constructions se sont d’abord élevées ; puis les limites se sont élargies, le mouvement s’est étendu jusqu’à Chaillot et Passy, et l’avenue des Champs-Elysées forme aujourd’hui la ligné médiane d’un énorme chantier de bâtisses qui, après avoir atteint la rive droite de la Seine, l’a franchie et, sur la rive gauche, se répand du côté des Invalides et du champ de Mars. Sur bien d’autres points, l’essor n’a pas été moins vif, et il suffirait de citer au centre l’ouverture de l’avenue de l’Opéra, du boulevard Saint-Germain, le nivellement de la Butte-des-Moulins, etc., pour prouver que le temps actuel n’est point inférieur au régime précédent. Or, c’est précisément pour accomplir une grande partie de l’œuvre présente que des essais heureux de propriété collective ont été tentés, et c’est sur ce point qu’il est bon d’entrer dans quelques détails techniques.

Les nouvelles constructions se distinguent surtout par leur importance, leur luxe, et les fortes dépenses qu’elles nécessitent. Paris, après nos désastres, après le départ momentané des étrangers et des habitans les plus aisés, a vu revenir bientôt et en plus grand nombre que jamais cette population riche, prodigue, qui veut des demeures somptueuses et les paie sans marchander. Pour les construire, la bourse des petits propriétaires n’était pas suffisamment garnie. Dans les nouveaux quartiers où l’air et l’espace pouvaient s’obtenir largement, on a d’abord recherché les terrains les plus proches, qu’on a payés à des prix assez bas, 200 francs le mètre par exemple, dans le voisinage du parc Monceau : on y a construit des hôtels et des maisons de premier ordre avec des dépenses variant de 800 francs à 1,000 francs le mètre. Mais le terrain n’a pas tardé à croître en valeur à mesure que la demande dépassait l’offre ; les derniers mètres vendus place Malesherbes au-delà de l’ancien boulevard extérieur ont dépassé 500 francs le mètre : dans la plaine, ils valent encore plus de 300 francs. Sur les bords de la Seine, à l’extrémité des avenues qui partent de l’Arc-de-Triomphe, on ne trouve plus que de petites parcelles ; entre Chaillot et Passy, s’il existe toujours de grandes propriétés, on se refuse à les morceler : dans le quartier Marbeuf, qu’une nouvelle opération tentée par la Société des immeubles de Paris va transformer entièrement, ce sont les prix du faubourg Saint-Honoré qui sont visés.

Pour rendre sensible cet accroissement de valeur de la propriété immobilière à Paris, il est bon de rappeler que, lorsque la Société immobilière s’est fondée au capital de 24 millions, elle acquit d’abord rue de Rivoli des terrains qui, mis en adjudication par la ville, n’avaient point trouvé d’acquéreurs, qu’elle en a payé sur le boulevard des Capucines à 825 francs seulement le mètre, et qu’elle a pu réunir à 175 francs le mètre près de 3 hectares 1/2 sur le boulevard Malesherbes. Si de la place Saint-Augustin au boulevard de Courcelles le moindre emplacement était libre, combien vaudrait-il aujourd’hui ? Quant à la rue de Rivoli et au boulevard des Capucines, la valeur du terrain a certainement triplé.

Le prix de la construction a suivi une progression semblable. La préfecture de la Seine détermine chaque année le tarif des prix qui doivent être appliqués dans le règlement de tous les travaux : c’est ce qu’on appelle la série des prix de la ville ; or elle a été élevée trois fois depuis quelques années et dépasse de plus de 50 pour 100 le tarif antérieur à 1870. Il a fallu à cet égard suivre l’augmentation du prix des matériaux de construction et surtout le renchérissement de la main-d’œuvre. Tous les corps de métier ont obtenu, soit par un accommodement amiable, soit par le moyen infaillible des grèves, une augmentation de salaires portés à un grand tiers en sus. La grève des ouvriers charpentiers, qui tiennent le premier rang parmi les corps de métiers, va peut-être encore fournir un bien regrettable exemple de ces aspirations irrésistibles à une hausse sans cesse croissante du prix des journées. Comme les grèves éclatent toujours pendant que les constructions sont en cours et que les entrepreneurs ne peuvent, en vertu d’une jurisprudence constante, les invoquer à titre de cas de force majeure pour justifier un retard dans l’exécution ou en faire un article de dépense imprévue, force leur est la plupart du temps de se soumettre et de subir les exigences des ouvriers.

Sans traiter incidemment la question de la hausse des salaires, intimement liée à la hausse du prix des objets de consommation, il suffit de la mentionner, ainsi que le renchérissement des matériaux de construction, pour justifier l’accroissement de dépenses que nécessitent les nouvelles propriétés bâties. A Paris, le mètre construit ne saurait descendre au-dessous de 1,200 francs pour des maisons d’habitation relativement modestes ; quant aux autres, il atteint de 1,500 à 1,800 francs. Pas n’est besoin qu’un immeuble s’étende sur une grande surface pour valoir plus d’un million. Sans être élevée sur des terrains à 2,500 francs le mètre, comme il vient d’en être vendu sur l’emplacement de l’ancien hôtel des postes ou à 2,000 francs en moyenne, comme dans la nouvelle avenue de l’Opéra, une construction qui coûte 1,500 francs environ le mètre sur un terrain payé de 800 à 1,000 francs le mètre ne peut appartenir qu’à une petite classe de propriétaires. Or, au moment où le besoin de constructions luxueuses se faisait sentir, les sociétés d’assurance sur la vie, dont on regrettait récemment encore que le nombre fût si réduit en France, se sont tout d’un coup multipliées et agrandies, et ont recherché les placemens les plus solides pour des sommes très importantes. Le rendement des rentes sur l’état et des obligations de nos chemins de fer, seul mode d’emplois mobiliers autorisé par les statuts de ces sociétés, devenant de moins en moins rémunérateur à mesure que le prix d’achat s’en élevait en proportion de la demande dont elles étaient l’objet, et, au contraire, le taux des loyers ne cessant de s’accroître par suite de l’augmentation de la population parisienne, toutes les compagnies d’assurance ont tenu à placer en acquisition d’immeubles les réserves qui servent de gage à leurs contrats ; faute d’en trouver, elles en ont construit, et c’est ainsi qu’à l’heure actuelle les seules compagnies d’assurance sur la vie possèdent pour 173,500,000 francs de maisons à Paris.

A côté d’elles se sont formés des groupes d’entrepreneurs qui, à l’imitation de certaines spéculations tentées sous le dernier empire, mais sur une plus vaste échelle, ont poursuivi le même travail en vue, il est vrai, de résultats différens. Par une entente habile, des entrepreneurs de maçonnerie, de charpente, de menuiserie, de peinture, etc. se sont associés, sous la direction d’architectes expérimentés, pour acheter des terrains, y élever des maisons en y travaillant chacun selon leur spécialité, afin de les louer d’abord et de les vendre ensuite avec partage proportionnel de profit ou de perte. Ces associations temporaires d’hommes déjà possesseurs de ressources importantes ont trouvé dans les nouveaux établissemens de crédit un tout-puissant concours. Le nombre toujours croissant des sociétés financières, l’augmentation des dépôts qui leur sont confiés, ont permis de prêter temporairement à ces groupes d’entrepreneurs et à un intérêt élevé des sommes considérables qui avaient pour gage non-seulement le profit très rémunérateur à obtenir par la vente des immeubles construits, mais la valeur des terrains en tout ou partie, et les premiers débours faits par les constructeurs eux-mêmes sous forme de matériaux et de salaires aux ouvriers payés de leurs propres deniers. Nulle combinaison, en ces derniers temps, n’a plus servi à faciliter la construction des immeubles à Paris, à en élever le prix et le rendement, à développer un mouvement d’affaires considérable. De la capitale, l’exemple a déjà été suivi dans plusieurs grandes villes ; les localités recherchées pour leur situation privilégiée ou leur caractère spécial, comme les bords de la mer et les stations de bains, en voient chaque jour surgir d’heureuses imitations ; il ne manquera pas de s’en produite d’autres, et la combinaison des groupes de constructeurs absorbera encore bien des millions de francs ; mais de tous les modes nouveaux de constituer la propriété immobilière, celui qui promet les résultats les plus considérables est la création des nouvelles sociétés foncières, qui datent à peine de deux ou trois ans.

La première fondée, la Rente foncière, est, pour ainsi dire, un démembrement de l’ancienne Société immobilière, dont la dissolution avait été prononcée en 1872 et dont la société de Crédit mobilier renouvelée elle-même restait le principal créancier. Une combinaison naturelle vint à l’aide des deux établissemens et facilita la liquidation du débiteur ; ce fut la formation d’un groupe nouveau, patronné par le Crédit mobilier, qui racheta à la Compagnie immobilière les plus importans des immeubles qu’elle possédait encore, entre autres le Grand Hôtel du boulevard des Capucines. La Rente foncière fondée au capital de 40 millions et présidée par M. le baron Haussmann, a conclu immédiatement avec le Crédit foncier un traité très avantageux en vertu duquel la moitié des immeubles possédés par elle pourrait à concurrence de 50 pour 100 de leur valeur devenir le gage de prêts consentis à un intérêt inférieur à 5 pour 100, jusqu’à une limite de 200 millions de francs.

La Société des immeubles de Paris, presque contemporaine de la Rente foncière, a pris naissance sous le patronage de la Banque hypothécaire de France, rivale du Crédit foncier. Il va sans dire que les sociétés dont le but est l’acquisition d’immeubles ont besoin sans cesse de capitaux pour pouvoir se développer ; quelle qu’en soit l’importance, le capital social ne peut leur suffire, elles ne progressent qu’en empruntant : si donc elles trouvent à émettre des obligations dont l’intérêt et l’amortissement restent inférieurs au revenu des immeubles achetés ou construits, aucun mode d’emprunt n’est préférable. A défaut d’émission d’obligations, si un établissement ami leur procure à des conditions modérées l’argent nécessaire, le résultat sera le même et le bénéfice certain. La Banque hypothécaire a joué. auprès de la Société des Immeubles parisiens, comme le Crédit foncier auprès de la Rente foncière, le rôle de prêteur utile et bienveillant.

C’est avec des conditions de succès peut-être encore plus certaines que viennent d’être créées la Foncière lyonnaise et la Foncière de France et d’Algérie, au même capital que la Société des immeubles, soit 100 millions de francs chacune. Le conseil d’administration de la Foncière lyonnaise est présidé par M. Henry Germain, député de l’Ain, dont l’autorité en matière financière est grande, que la chambre des députés a nommé pendant plusieurs années vice-président de la commission du budget et dont l’élévation à la présidence de cette même commission serait assurément ratifiée par l’opinion publique. La Foncière lyonnaise a été constituée par le Crédit lyonnais dont M. Henry Germain a été aussi le principal fondateur et qui, depuis le moment où nous en avons parlé ici en même temps que des principaux établissemens financiers siégeant à Paris, a pris un développement considérable. Le chiffre des bilans mensuels du Crédit lyonnais dépasse 800 millions : avant peu il atteindra 1 milliard ; pour qui a pu apprécier la sévérité de ses directeurs en ce qui concerne les avances à faire et les emplois de fonds, pour qui sait la prudence avec laquelle ils évitent l’immobilisation des placemens, ou constituent des réserves et amortissent chaque année les dépenses extraordinaires, ce chiffre de 1 milliard qui aurait paru il y a quelques années invraisemblable, ne sera que le point de départ de progrès encore plus significatifs. Le concours du Crédit lyonnais ouvre donc à la Foncière lyonnaise un vaste champ d’activité. Si des occasions pressantes s’offraient à celle-ci pour acheter dans de bonnes conditions des immeubles que ses ressources immédiates ne lui permettraient peut-être pas de payer assez promptement, elle trouverait dans le Crédit lyonnais un prêteur bien pourvu de capitaux et tout disposé à consentir des prêts sérieusement gagés. Sans aborder l’analyse des opérations de la Foncière lyonnaise, quelques faits récens permettent d’en prévoir le succès : c’est ainsi qu’elle a dû procéder à une fructueuse émission d’obligations garanties par son capital social et porter au double ce capital lui-même. Par une entente avec le Crédit foncier analogue à celle qui avait eu lieu pour la Rente foncière, elle s’est aussi procuré de larges ressources à un taux d’intérêt inférieur au revenu qu’elle tire de ses immeubles déjà construits, en même temps que, par des reventes de terrains à des entrepreneurs, cliens du Crédit lyonnais, elle a réalisé des bénéfices dont profiteront les exercices futurs. Enfin la Foncière lyonnaise vient de contribuer elle-même à la création de la Foncière de France et d’Algérie, qui aurait pu devenir pour elle une rivale redoutable, mais qui, par l’accord conclu sous l’influence de M. Germain, président du Crédit lyonnais, et de M. Christofle, gouverneur du Crédit foncier, ajoutera un élément de succès de plus à ceux qui ont été énumérés ci-dessus.

Comme le constate le rapport lu, le 11 août dernier, par M. Sauret, son président, à l’assemblée générale des actionnaires de la Foncière de France et d’Algérie, cette œuvre nouvelle du Crédit foncier ne constitue pas le moindre des services qu’il a rendus et doit rendre à la propriété immobilière. On se rappelle les vicissitudes par lesquelles a passé depuis son origine la société fondée par décret du 28 mars 1852 sous le nom de Banque foncière de Paris, devenue bientôt le Crédit foncier de France et dotée par l’état d’une subvention de 10 millions, avec un véritable privilège pour tous les départemens où des sociétés foncières n’existaient pas auparavant. Le privilège n’a pas été conservé, mais l’état n’a pas abandonné son action tutélaire, puisqu’il nomme encore le gouverneur et les sous-gouverneurs de la société et qu’il lui a maintenu la faculté de mettre des obligations à lots. En 1854, en 1857, de grandes modifications avaient été apportées au régime intérieur du Crédit foncier ; en 1859, la mesure qui détachait du Comptoir d’escompte, auquel il appartenait depuis 1848, le Sous-Comptoir des entrepreneurs pour le placer sous L’égide du Crédit foncier, marquait un pas en avant ; la création de la Foncière de France et d’Algérie est plus significative encore. Pour consentir des prêts à long ou court terme sur des propriétés, il importe qu’elles soient en rapport ; sur des maisons, il faut les construire, et le Sous-Comptoir des entrepreneurs a favorisé la construction des maisons qui sont devenues le gage des emprunts au Crédit foncier. Mais, pour construire, il faut posséder le terrain nécessaire, l’acquérir, le distribuer : ce sera l’objet de la Foncière de France et d’Algérie ; elle achètera pour bâtir, louer ou vendre, passant chaque jour d’une opération à une autre et fournissant sans cesse ample matière à de nouveaux emprunts hypothécaires. Avec un champ d’entreprises aussi étendu, qui comprend toute la France et l’Algérie, avec la faculté non-seulement de mettre en valeur les terrains propres à bâtir, mais d’entreprendre des exploitations agricoles et industrielles, quel rôle peut jouer une société forte de tout l’appui du Crédit foncier et qui, loin de s’isoler et d’agir seule, prend au contraire pour coopérateurs le Crédit lyonnais et la Foncière lyonnaise ! Toutes les opérations projetées par elle devront, en effet, d’après un traité devenu définitif, être proposées à l’acceptation de ces deux derniers établissemens et, en cas d’adhésion, seront exécutées en commun. On ne saurait trop louer l’esprit de modération et de prudence qui a dicté cette résolution. Puisse-t-il inspirer tous ceux qui président aux destinées de nos grands établissemens de crédit ! Dans un temps où les affaires si nombreuses laissent place à chacun, où tant de besoins restent à satisfaire, où le public n’a même pas encore conscience des exigences qu’il ne manquera pas de formuler, ce ne serait que par un heureux et facile accord entre les sociétés financières qu’il serait possible de répondre eu toutes Les demandes et de mettre à la disposition du travail en général ce magnifique instrument qui s’appelle le crédit.

Une disposition particulière des statuts de la Société foncière de France et d’Algérie lui permet aussi d’aborder une série de vastes opérations qui semble manquer à ses émules. Elle se propose, en effet, non-seulement de traiter de l’ouverture des rues dans les villes, mais aussi de soumissionner de grands travaux publics. L’ancienne Société immobilière avait eu la même ambition ; à Paris, elle avait achevé la rue de Rivoli ; à Marseille, elle avait construit la rue Impériale. Percer des boulevards, créer des quartiers rentre bien dans le cadre d’une société foncière, mais c’est peut-être le dépasser que de terrasser des routes, creuser des canaux ou construire des chemins de fer ; en tout cas, ces entreprises multiples peuvent fournir matière à de grands développemens.

La Foncière de France et d’Algérie clôt jusqu’à présent la série des nouvelles sociétés foncières. Nous ne voulons pas dire qu’elle est destinée à réussir mieux que ses aînées, ni qu’elle comblera toutes les lacunes, et qu’après elle la mobilisation de la propriété foncière sera complète : nous avons tenu seulement à bien préciser son caractère et à montrer qu’il s’adapte aux nouvelles mœurs de notre temps. Le succès de chaque entreprise dépend avant tout de ceux qui la dirigent et, tout en reconnaissant que les sociétés foncières nouvelles réunissent à cet égard les meilleures conditions, nous nous attachons surtout à faire ressortir, avec leur objet, le sentiment public qu’elles expriment en quelque sorte. Ce sentiment manifeste est celui qui inspire à chacun l’envie de participer à la propriété commune sous la forme préférée aujourd’hui, la forme mobilière ; or faire du sol, des constructions qu’il supporte et des revenus qu’il procure, des titres en papier qu’on plie et dépose dans un portefeuille, qu’on se passe de la main à la main, semble le dernier mot du progrès ; c’est, en tout cas, à notre époque, le fait saillant et universel ; il n’y a qu’à le constater en l’expliquant.


III

On vient de voir le Crédit foncier jouant un rôle actif dans la création des sociétés nouvelles dont l’utilité a été démontrée ; les avantages directs ou indirects qu’il est appelé lui-même à en recueillir ne peuvent faire l’objet du moindre doute et valent bien qu’on s’y arrête.

Quoique fondé depuis près de trente ans, quoique reconstitué à plusieurs reprises, le Crédit foncier ne semble pas avoir joué en France le rôle auquel il était destiné, et cela en dépit des efforts de tous les habiles gouverneurs placés successivement à sa tête. Sans aucun doute ses opérations se sont largement accrues, la masse des prêts qu’il a consentie est énorme ; grâce surtout au mode d’obligations à lots, dont le privilège lui est demeuré à l’encontre de toutes les sociétés financières libres, il a pu recueillir un nombre toujours croissant de capitaux. Ses emprunts anciens et nouveaux, — et le succès récent des obligations communales à 4 0/0 vient encore de l’attester, — ont été contractés à un taux tellement rémunérateur pour lui-même, qu’il a pu, par une mesure des plus hardies et des plus heureuses, abaisser tout d’un coup l’intérêt que lui payaient ses débiteurs, à la seule condition pour ceux-ci de ne se libérer désormais qu’en numéraire, et non plus en restituant au Crédit foncier ses propres obligations, lorsqu’ils veulent anticiper sur leurs versemens futurs ou éteindre leur dette par avance. Le Crédit foncier, qui ne prête jamais avec son capital de garantie, mais qui n’est qu’un simple intermédiaire entre les obligataires, ses propres créanciers, et des emprunteurs opérant un amortissement annuel, n’avait pu dans l’origine refuser à ces derniers le droit de lui rapporter pour anticiper leur libération les propres titres qui avaient fourni matière à leurs emprunts. Or, après 1870, les obligations foncières étant tombées au-dessous du pair, une spéculation intelligente les recueillit, les restitua au Crédit foncier, et en éteignant d’anciennes dettes gagna toute la différence qui existait entre le prix d’acquisition des obligations à la Bourse et le pair. Le Crédit foncier, pour se défendre contre le retour de pareilles opérations qui réduisaient le nombre de ses prêts et diminuaient ainsi le chiffre de ses bénéfices annuels, a profité de la première occasion offerte et prescrit le paiement en numéraire en échange d’une diminution d’intérêt.

Le Crédit foncier ne prête pas seulement sur hypothèque aux propriétaires d’immeubles, mais aux communes sur des annuités inscrites dans leurs budgets, et d’autre part, il émet des obligations foncières et communales dont le chiffre doit correspondre à celui de ses prêts, tout en gardant une certaine proportion avec son capital social. Au 31 juillet 1881, le total des prêts hypothécaires s’est élevé à 1,059,005,000 francs contre 1,006,066,000 francs d’obligations foncières et celui des prêts communaux à 655,692,000 fr. contre 596,000,000 francs d’obligations communales, ensemble 1,714,697,000 francs de prêts contre 1, 602,066,000 francs d’emprunts en obligations. A la date du 31 décembre 1880, l’ensemble des prêts montait à 1,572,521,000 francs contre 1,426,364,000 fr., capital produit, d’obligations en circulation. L’exercice actuel n’étant pas encore fermé et une nouvelle émission d’obligations restant encours, il est mieux de comparer les chiffres de la précédente année avec ceux de l’année 1872, par exemple. Au 31 décembre 1872, l’ensemble des prêts ne dépassait pas 1,376,485,000 francs et le capital produit par l’émission des obligations foncières et communales atteignait 1,314,274,000 francs. De 1872 à 1880, on le voit, la différence n’est pas très grande, et on comprend aisément que les directeurs du Crédit foncier se soient préoccupés de donner plus d’extension à leurs opérations. L’année 1881 promet des résultats meilleurs, puisqu’à la fin du mois d’août dernier, les nouveaux prêts hypothécaires consentis depuis le mois de janvier s’élevaient à 148 millions et demi contre 118 millions seulement dans la même période de 1880. Il n’est pas sans intérêt de faire ressortir, dans ces chiffres mêmes, tout le profit que le Crédit foncier a retiré du mode d’émission d’obligations à lots, dont ses adversaires lui contestent l’usage légal et qu’il vient de remplacer tout récemment pour ses prêts communaux par des obligations à 4 pour 100 d’intérêt : dans le total des émissions de 1872, les obligations foncières à lots figuraient pour 265,137,000 francs, contre 626,788,000 francs d’obligations sans lots, et les obligations communales à lots pour 55,621,000 francs contre 387,974,000 francs d’obligations sans lots. En 1880, la proportion est tout autre ; dans le total des obligations foncières on ne trouve plus que 25,817,000 francs d’obligations sans lots contre 940,427,000 francs d’obligations à lots, et dans le total des obligations communales, 46,619,000 francs d’obligations sans lots contre 519,905,000 francs d’obligations à lots. De tels changemens méritaient bien d’être notés.

Nonobstant l’importance des sommes ci-dessus, peut-on dire que le Crédit foncier compte parmi ses cliens la véritable propriété immobilière, pour l’avantage de laquelle il semblait avoir été créé ? Assurément non. Les prêts aux communes, si profitables qu’ils soient aux populations rurales, ne s’adressent point aux propriétaires eux-mêmes : les prêts hypothécaires sont encore aujourd’hui spécialement consentis sur des immeubles urbains, et Paris en absorbe la plus grosse part. Il en était de même, il y a plus de vingt ans, lorsque la loi du 28 juillet 1860 constituait, au capital de 20 millions, le Crédit agricole à côté du Crédit foncier. On sait quelle fut la destinée de cette société annexe, qui devait, au bénéfice de la propriété rurale, remplir le rôle que jouait, au bénéfice de la propriété urbaine, le Sous-Comptoir des entrepreneurs. Faute d’emplois agricoles proprement dits, le Crédit agricole dut recourir à des placemens qui non-seulement compromirent sa propre fortune, mais parurent atteindre celle du Crédit foncier lui-même. Grâce au dévoûment des gouverneurs alors en exercice et au relèvement des finances égyptiennes, œuvre simultanée de la France et de l’Angleterre, le Crédit foncier n’eut point à souffrir d’une crise heureusement conjurée ; il y trouva même les élémens d’une énorme réserve qui lui permettra d’augmenter son capital social, comme il demande à y être autorisé, afin d’offrir une nouvelle garantie à ses émissions d’obligations. Le Crédit agricole ayant disparu, c’est par d’autres créations parallèles que le gouverneur actuel s’est efforcé d’agrandir la sphère d’action du Crédit foncier. On lui doit, entre autres, la constitution du Crédit foncier algérien, de la Société foncière de France et d’Algérie et les accords conclus avec les sociétés foncières dont il vient d’être question.

Nous ne saurions, en signalant les efforts tentés récemment pour venir en aide à la propriété foncière, passer sous silence la fondation de la Banque hypothécaire due à l’initiative de M. le baron de Soubeyran, avec le concours de six grands établissemens de crédit. La haute expérience de l’ancien sous-gouverneur du Crédit foncier, l’aide puissante qu’il apportait au nouvel établissement en sa qualité de fondateur de la Banque d’escompte, la participation des sociétés parisiennes les plus riches, promettaient à la Banque hypothécaire un prompt développement ; la faveur publique s’attacha donc à ses débuts, et comme aucun privilège n’existe en matière de prêt foncier, le bruit courut même qu’on allait, dans les principales villes de France, ouvrir des établissemens semblables. Il n’en a rien été cependant. Comment, en effet, procurer à ces sociétés les capitaux qu’elles doivent prêter sur hypothèques avec de longs délais d’amortissement ? Ce ne peut être que par l’émission d’obligations à long terme. Mais comment obtenir du public le placement de ces obligations à des conditions telles qu’il reste entre l’intérêt qui leur est attribué et l’intérêt à recevoir des débiteurs hypothécaires une marge suffisante pour laisser des bénéfices à l’établissement intermédiaire ? Devant ce problème, les plus audacieux ont dû reculer, et la Banque hypothécaire elle-même ne semble pas encore l’avoir résolu à son entière satisfaction, puisqu’elle a changé plusieurs fois le type des obligations qu’elle offre au public. Quoi qu’il en soit, la création de la Banque hypothécaire a produit tout d’abord ce résultat pour les propriétaires emprunteurs de faire baisser le taux de l’intérêt, et c’est pour lutter contre son nouveau rival que le Crédit foncier a été amené à prendre la mesure dont il a été parlé plus haut ; mais est-il possible de la maintenir dans l’avenir ? On se demande si une entente ne s’établira pas entre les deux sociétés pour relever les taux d’annuités au chiffre primitivement établi ; on va même jusqu’à agiter sérieusement la question de l’absorption de la Banque hypothécaire par le Crédit foncier.

Nous n’avons pas de préférence marquée pour l’une ou l’autre de ces solutions. La seconde, plus conforme aux précédens, à nos habitudes, paraît plus simple et plus efficace : il est aisé de concevoir une organisation embrassant toute la surface du pays, n’agissant que là où les affaires se présentent, concentrant les renseignemens et les ressources ; les relations étroites qui existeraient entre un Crédit foncier privilégié et la Banque de France elle-même par la similitude de leurs statuts donneraient à chacun des forces, nouvelles, et par la fusion avec la Banque hypothécaire d’abord et la concession d’un monopole ensuite, le Crédit foncier actuel pourrait réaliser les espérances qui avaient salué son origine.

Mais, d’autre part, la concurrence présente des avantages sérieux, et c’est ainsi que la Banque hypothécaire prête sur les immeubles en plus forte proportion que le Crédit foncier, limité à 50 pour 100 de la valeur hypothéquée ; de plus, on ne saurait trop regretter que l’esprit d’initiative individuelle et locale ne parvienne pas à s’acclimater chez nous pour y produire tout ce dont il est capable. Nos grandes villes, si riches, si industrieuses, pourvues d’instrumens dont elles ignorent elles-mêmes la puissance, arriveront sous peu à compter sur leurs propres forces plus que sur celles de la capitale, sans lesquelles aujourd’hui encore elles n’osent rien créer. De ce mouvement communal naîtront des associations locales mieux surveillées, plus instruites des besoins particuliers et par cela même plus fécondes. Dans ces derniers temps, plusieurs exemples d’initiative locale ont été donnés à Lyon, à Saint-Etienne, à Marseille, à Bordeaux, etc.

Quant au point de vue particulier du crédit hypothécaire et foncier, qu’il soit distribué par une ou plusieurs sociétés, ce qui importe, c’est d’établir un mode régulier et paisible, uniforme s’il se peut, pour l’émission des obligations et les conditions des prêts. La rivalité et la lutte auraient bientôt fait de rendre toute opération plus difficile et de priver la propriété urbaine elle-même des ressources qui ne lui ont pas manqué jusqu’à présent. Pour la propriété rurale, la question qui vient d’être soulevée ne présente pas malheureusement un grand intérêt, car on ne saurait trop le redire, le crédit lui manque presque totalement.

La législation anglaise, sous prétexte défavoriser l’assainissement et l’amélioration du sol, mais en réalité pour permettre au propriétaire d’accroître la production foncière par toute entreprise utile, telle que drainages, engrais, etc., autorise des prêts faits directement par le trésor public ou à l’aide de capitaux fournis par des particuliers. Ces prêts, remboursables en vingt-deux ans, sont passibles d’un intérêt de 6 1/2 pour 100. Tout capitaliste désireux de prêter à la propriété foncière déclare la somme dont il dispose, et la Banque de l’Échiquier la distribue avec ses propres capitaux et en opère le recouvrement. C’est donc à elle seule que le prêteur et l’emprunteur ont affaire, et, comme en cas de non-paiement la procédure d’aliénation est des plus simples, que des fonctionnaires spéciaux sont chargés de veillera l’exécution des engagemens pris, on peut affirmer qu’en Angleterre le crédit de la terre, quant à la possession et à l’exploitation même du sol, est pleinement assuré. En France, en dehors de l’ancien mode de l’hypothèque, de plus en plus en défaveur, le cultivateur n’a guère d’autre ressource pour étendre son exploitation que l’usure, et c’est au moyen de billets à longue échéance renouvelés à des prix exorbitans, avec des commissions exagérées, qu’il obtient l’argent mis en épargne par des voisins plus heureux ou plus avares. C’est seulement lorsque la propriété change de mains ou quand les familles se divisent qu’apparaît l’emprunt hypothécaire, mode de liquidation ruineux et en tout cas stérile quant à la mise en valeur de la terre et à l’accroissement de ses produits.

Sans doute la multiplicité des établissemens de crédit, l’expérience de plus en plus répandue des facilités que procure l’escompte, la valeur attachée dans les moindres localités aux titres mobiliers permettront au crédit personnel de s’affirmer, et il ne sera pas plus difficile aux agriculteurs français d’obtenir des avances gagées par leur solvabilité propre qu’aux ouvriers écossais de faire négocier leurs bons par les banques populaires d’Ecosse. Il y a bien des progrès à faire à cet égard, et nos grandes sociétés financières qui établissent dans nos départemens de si nombreuses succursales ne savent pas encore elles-mêmes jusqu’à quelles profondeurs peut pénétrer leur action : elles ignorent ce que l’épargne locale accumule dans les plus humbles centres de population, et ce que renferment les bas de laine cachés au fond des coures qui font l’admiration des amateurs de vieux meubles.

Jusqu’ici le billet du propriétaire voisin, souvent impayé à l’échéance et dont les intérêts sont si mal servis, a été dans nos villages l’unique mode de placement. Il n’est pas téméraire de penser que les obligations foncières y pénétreront de plus en plus avec toutes les autres valeurs mobilières, et le crédit de la propriété foncière y gagnera beaucoup. Pour activer la marche en avant, il serait urgent de rendre les formalités légales pour l’établissement, la mainlevée et la purge des hypothèques plus aisées et surtout d’amoindrir à la fois les frais de mutation de la propriété immobilière, et la charge de l’impôt foncier. Déjà, sous la monarchie constitutionnelle, ces questions étaient à l’ordre du jour : depuis près d’un demi-siècle, elles n’ont pas fait un pas vers la solution. Nulle réforme n’aurait cependant plus d’influence pour améliorer le sort des masses, mais, quoiqu’elle soit l’objet des préoccupations des esprits les plus sages dans tous les partis, — l’honorable président du sénat s’est publiquement prononcé à cet égard, — comme l’abaissement des droits de mutation et de l’impôt foncier ne figure pas au premier rang des revendications révolutionnaires, il est à craindre que bien du temps ne s’écoule encore avant que, devenue plus facilement transmissible, la propriété foncière se prête mieux aux transformations que nécessite sa situation présente, telles, par exemple, que l’exploitation commune à l’aide de machines louées ou possédées indivisément, ou la reconstitution de la grande propriété sous la forme de l’association[1].


IV

Ce changement dans les mœurs financières de la France, dont nous venons de reproduire quelques traits, n’est lui-même que la conséquence d’un fait général dont tous les peuples subissent l’influence exclusive, à savoir l’augmentation chez nous, comme partout ailleurs, de la consommation sous ses formes multiples. La politique des états en subit l’ascendant, puisque c’est surtout au bénéfice de la démocratie que la consommation se développe, et qu’aucun gouvernement ne néglige de faire à la démocratie une plus large part dans le maniement des affaires publiques. La science s’inspire de ce besoin irrésistible puisqu’elle s’applique de préférence aux satisfactions matérielles des hommes et accroît si démesurément leur pouvoir sur la nature inanimée. Quelle statistique curieuse à dresser que celle où s’énuméreraient, même sur le point le plus limité de notre territoire, les objets de toute nature consommés aujourd’hui, en les comparant avec leur quotité d’il y a vingt ans seulement, sous le rapport du vêtement, de la nourriture et de l’habitation ! Il n’est pas une heure de notre vie, une occupation de notre temps, qui ne témoigne de ces progrès, dont tout cœur bien placé ne saurait trop se réjouir. C’est là où le sentiment de l’égalité, si vif en France, trouve à s’affirmer, et il serait impossible à l’observateur le plus pessimiste de méconnaître combien le sort de nos populations s’est à cet égard amélioré. Dans quelque lieu que l’on s’arrête, ne trouve-t-on pas la même élégance de vêtemens, le même soin de la coiffure chez les femmes, et les hommes, bien plus lents à se métamorphoser, ne portent-ils pas tous, dans nos campagnes, les mêmes habits que les hommes dans les villes ? distingue-t-on sous ce rapport l’ouvrier du chef et le serviteur du maître ? L’antique alimentation des paysans, où la viande, le vin, le pain de froment faisaient presque toujours défaut, n’est-elle pas aujourd’hui la ressource de rares villages éloignés de toute communication et ne tend-elle pas à faire place partout à une nourriture plus saine et plus abondante[2] ? C’est pour répondre an progrès de la consommation que la production a doublé ses efforts et cherché les meilleurs instrumens de travail, parmi lesquels le crédit joue un rôle prépondérant. Consommer plus et mieux à l’aide de gains plus considérables, voilà ce qui fait le fond de toutes les aspirations, des opinions mêmes de nos compatriotes : pour consommer plus, il a fallu produire davantage, plus vite, et avec plus de bénéfices, et c’est ainsi que l’industrie et le commerce ont opéré les prodiges dont nous avons été témoins en ces dernières années. Veut-on aller plus loin et pénétrer au fond de nos préoccupations politiques ? D’où vient ce besoin de la paix intérieure et extérieure que chacun expose en termes de plus en plus affirmatifs, que les programmes électoraux répètent tous avec la même foi, sinon de ce raisonnement intime que, s’il faut produire sans cesse pour consommer davantage, seule la tranquillité au dedans, la paix au dehors, permettent de produire et donnent ainsi le pouvoir de consommer ? Quant à tous ceux qu’effraient notre production hâtive et ses développemens précipités, qui voient en conséquence avec souci les titres de tant de sociétés financières et industrielles emportés dans une hausse vertigineuse, on peut leur faire observer que la base de cet échafaudage est solide, qu’une marge bien grande reste encore ouverte aux bénéfices à venir, puisque tout repose sur le progrès de la consommation et qu’elle est bien loin d’avoir dit son dernier mot. En notre pays qui ne marche certes pas au dernier rang dans la voie du progrès matériel, est-ce qu’il n’y a pas encore bien des efforts à faire pour donner à chacun la part de bien-être auquel il aspire ?

Ces vérités banales ne laissent donc pas que d’ouvrir à l’esprit des perspectives rassurantes, et nous ne saurions trop les répéter pour justifier nos propres espérances et nos études. Si le monde politique reste le théâtre de luttes dont on ne peut approuver les violences ; si des droits sacrés sont violés par ceux mêmes qui en d’autres temps les avaient réclamés avec le plus de véhémence ; enfin, sous le rapport de la liberté vraie et du respect de la conscience individuelle, si nous sommes en voie de reculer en-deçà de ce que le régime de 1830 nous avait réellement donné, on ne saurait rien reprocher au temps actuel en ce qui concerne l’essor de l’activité humaine dans la sphère du travail et de l’industrie. Là, au contraire, tout est motif à louange et à satisfaction sérieuse. Oui, au point de vue politique, les diverses classes de la société obéissent plus à des prétentions individuelles qu’à des opinions ; dans l’ardeur des polémiques, dans les luttes électorales, on découvre surtout la recherche de la clientèle et du gain. Mais sur le terrain propre des affaires, on ne rencontre pas les mêmes contradictions et l’on n’y redoute aucune hypocrisie ; chacun sait et dit ce qu’il veut, et nul ne se pare de fausses vertus. Ce n’est pas assurément par une philanthropie plus ou moins sincère qu’on se livre à un travail incessant ; mais aussi ce n’est pas en excitant des passions mauvaises et en présentant d’audacieux mensonges comme les vérités de l’avenir qu’on obtient le succès : le seul moyen au contraire de l’assurer est de ne pratiquer que le vrai et de ne produire que le bon, — bon et vrai dans des sphères secondaires, dira-t-on, mais qui cependant, en satisfaisant aux besoins matériels de l’homme, développent aussi son intelligence et concourent largement aux progrès de la civilisation. Tous ceux donc qui, sur le terrain des affaires proprement dites, poursuivent leur propre fortune, peuvent l’avouer sans remords, puisqu’ils ne la devront qu’à leur honnêteté et à leur aptitude, et qu’ils modifieront à l’avantage du public le précepte morose donné par le fabuliste, en recherchant

Leur bien premièrement et puis le bien d’autrui.


Nous avons à plusieurs reprises fait ressortir les heureux résultats des opérations financières et industrielles et, par conséquent, les mérites de leurs auteurs ; nous avons dû même, jusque sur le terrain de la spéculation proprement dite, et dans les transactions de la Bourse et du marché libre, reconnaître que la délicatesse la plus scrupuleuse présidait au règlement des affaires, puisqu’elles se traitent le plus souvent sur simple parole donnée ; nous ne saurions donc nous empêcher, en constatant à nouveau les progrès du travail matériel, de payer un juste tribut d’éloges aux hommes qui, en France, y consacrent leurs soins et leurs lumières, et nous croyons pouvoir appeler la sympathie publique sur leurs noms.


BAILLEUX DE MARISY.

  1. Le ministère de l’agriculture vient d’arrêter les termes d’un projet de loi préparé par une commission spéciale, qui peut être d’une grande utilité pour l’exploitation du sol. La loi permettrait aux fermiers d’emprunter en donnant pour gages leurs récoltes et leur matériel, gages exclusivement réservés jusqu’ici aux propriétaires. Ceux-ci ne seraient plus nantis que pour deux ans et demi seulement de ces valeurs dont le total s’élève à plus de 4 milliards. Un acte serait dressé au profit du préteur, et les récoltes ne pourraient être livrées aux tiers qu’après mainlevée.
  2. D’un travail fait récemment par les soins du ministère de l’agriculture et du commerce, il résulte que l’accroissement seul de la consommation a déterminé, depuis un demi-siècle, les augmentations de dépenses suivantes :
    De 20 pour 100 quant aux alimens végétaux, céréales, farineux, légumes ; de près de 40 pour 100 quant à l’alimentation animale, viande, lait, œufs, poisson, etc. ; de 85 pour 100 quant aux boissons indigènes, vin, bière, cidre, spiritueux ; de 20 pour 100 quant aux denrées diverses, sel, sucra, thé, huile, soit 50 pour 100 pour l’ensemble de la nourriture.
    Que si l’on suppose une consommation égale, en ne s’attachant qu’aux variations de prix, l’alimentation végétale coûte 50 pour 100 de plus, les produits fournis par le règne animal et les boissons indigènes 87 pour 100 de plus ; en ce qui concerne les autres denrées, il y a au contraire diminution de 37 pour 100.
    En tenant compte à la fois de l’augmentation de la consommation et de celle des prix, on arrive à cette conclusion que la nourriture du Français représentait sous la restauration une valeur de 90 à 93 francs par tête, de 195 francs à la fin du second empire et que la valeur actuelle est de 205 francs.