Mémoires secrets de Bachaumont/1762/Janvier

Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome I (1762-1765)p. 1-25).
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Janvier 1762

1er janvier.Les Chevaux et les Ânes, ou Étrennes aux Sots. Tel est le titre d’une espèce d’Épître de deux cents vers environ, qu’on attribue à M. de Voltaire, et par laquelle il ouvre l’année littéraire. C’est une satire dure et pesante contre quelques auteurs, dont celui-là croit avoir sujet de se plaindre, et contre M. Crévier[1] particulièrement. Elle n’est point assez piquante pour faire plaisir au commun des lecteurs, qui ne se passionnent pas à un certain degré pour les diverses querelles du philosophe de Ferney.

Sermon du Rabbin Akib, autre brochure en prose, attribuée à M. de Voltaire, et dans laquelle il se plaint de l’atrocité du dernier auto-da-fé de Lisbonne. Il invoque l’Éternel, pour dessiller les yeux des barbares qui font un acte de religion aussi contraire à l’humanité et si peu digne de Dieu. Les Jésuites s’y trouvent englobés au sujet de Malagrida. Le tout est assaisonné de traits mordans et d’autant plus forts que la plupart ne seraient pas faciles à réfuter. Ils sont rendus avec une liberté philosophique qui n’est pas faite pour enlever tous les suffrages.

Mademoiselle Arnould[2] ne se borne pas à embellir la scène lyrique. Ses affections particulières nous offrent des exemples dignes du bon vieux temps. Elle avait profité avec empressement d’un voyage de M. de Lauraguais[3] à Genève[4] pour se soustraire à sa tyrannie[5]. En fuyant cet objet, soi-disant le premier de son cœur, elle avait passé dans les bras d’une malheureuse victime de l’infidélité d’une héroïne du Théâtre-Français[6]. M. Bertin[7] crut trouver dans cette belle ce qu’il cherchait vainement depuis si long-temps[8]. Il n’a rien épargné pour mériter la bienveillance de sa nouvelle maîtresse ; tout a été prodigué : mais l’excès de sa générosité n’a pu triompher d’une passion mal éteinte ; l’amant tyrannique régnait au fond du cœur, ses écarts ont disparu, on a oublié ses crimes : l’amour a réuni deux amans, qui, plus épris que jamais l’un de l’autre, présentent au public un événement qui fait l’entretien de tout Paris. L’infortuné Bertin, aussi honteux de sa tendresse que piqué du changement de sa perfide, est, dit-on, dans le plus cruel désespoir.

2. — On a donné aujourd’hui, pour la troisième fois, Zulime, tragédie nouvelle de M. de Voltaire. Le jour de la première représentation, l’auteur nous a fait dire, dans une espèce de compliment, que cette pièce avait été jouée, il y a près de vingt-deux ans[9] ; qu’il l’avait retirée à la huitième représentation ; que d’autres occupations l’avaient empêché long-temps d’y faire les corrections dont elle était susceptible, mais qu’ayant paru étrangement défigurée à l’impression depuis environ six mois, ses entrailles paternelles s’étaient émues, et il avait cru devoir la donner au public telle qu’elle était. Sans parler aujourd’hui du fonds de la pièce, ce que nous ferons mieux lorsque les représentations seront finies, nous nous contenterons de rendre compte des motifs véritables qui ont fait jouer ce drame.

Il fut assez mal reçu du public autrefois, et tout le monde en général était d’avis que M. de Voltaire sacrifiât cet enfant indigne de sa plume ; mais par une bizarrerie qu’on remarque quelquefois dans les plus grands hommes, il s’est toujours obstiné à regarder cette tragédie comme excellente. Sa tendresse s’est accrue à proportion de la froideur du public, et depuis plusieurs années il n’a jamais donné aucune pièce aux Comédiens, qu’il n’ait mis pour clause que Zulime passerait avant. Ceux-ci ont éludé tant qu’ils ont pu de satisfaire à leur engagement. Enfin M. de Voltaire, toujours jaloux d’occuper la scène, et de tenir sans relâche les yeux fixés sur lui, ne se trouvant rien de prêt pour cet hiver[10], a forcé les acteurs de tenir leur parole. Ils ont appris la pièce, et s’étant aperçus que sur les planches elle ne faisait pas tout l’effet qu’on avait lieu d’en attendre, ils ont fait de nouvelles représentations par l’organe de mademoiselle Clairon ; l’auteur ne s’y est pas rendu, et cette actrice, le chef-d’œuvre de l’art, qui s’est flattée de pouvoir, par la magie de son jeu, faire disparaître les défauts de son rôle, a trouvé son amour-propre d’accord avec celui de M. de Voltaire ; elle a fait sentir la déférence qu’on devait aux ordres d’un tel bienfaiteur, et les Comédiens ont passé par-dessus leurs scrupules. On ne peut disconvenir que c’est à elle que l’auteur doit la suspension de la chute de son drame.

3. — Il paraît depuis quelque temps un livre intitulé : De la Nature[11]. C’est un gros in-8o imprimé en pays étranger ; on l’attribue à divers auteurs. C’est le système de Spinosa développé par le système physique du monde. Si ce livre prend à un certain point dans le public, on en parlera plus amplement[12]. En général, il est très-savant et très-abstrait, à un chapitre près, très-puéril, qui traite du babil des femmes. Il exige une grande contention d’esprit. Il pourrait, quant au sujet, servir de pendant au livre De l’Esprit d’Helvétius ; mais quant à la forme, ce serait mettre un tableau du Guerchin à côté d’un de l’Albane.

4. — M. l’abbé de La Porte[13], auteur de l’Observateur Littéraire, succombe enfin, faute de débit. En vain comptait-il parmi ses souscripteurs les plus illustres personnages : en vain M. de Voltaire l’avait-il encouragé par ses éloges et par sa correspondance : le libraire a déclaré ne pouvoir plus suffire aux frais de l’impression et ce journaliste discontinue, à commencer de cette année. On ne peut s’empêcher de convenir qu’il n’ait le talent de faire un extrait, surtout quand il est question d’un ouvrage profond et raisonné ; mais il règne dans son style une certaine pesanteur, peu propre à lui concilier le grand nombre des lecteurs. Cette retraite est d’autant plus fâcheuse, que ce journaliste tenait en échec celui de l’Année Littéraire[14]. Tous deux amusaient le public impartial, par leurs débats burlesques. Il est à craindre que le dernier ne se prévale de son triomphe, et n’affecte le despotisme de la république des lettres.

5. — On se communique sous le manteau de petits vers polissons de M. l’abbé de Voisenon[15] à madame la marquise de Pompadour. Ils ont été présentés au nom de M. le maréchal prince de Soubise, qui avait fait présent à cette dame d’un anneau de diamans. Ces agréables ordures ont plu infiniment à la cour, et tirent encore un plus grand mérite du mystère avec lequel cela se communique : si cette gentillesse se répand à un certain point, on la hasardera ici.

Il y a des vers du même abbé sur mademoiselle Marquise, maîtresse de M. le duc d’Orléans. Tout cela est charmant y et est marqué au coin de la plus fine galanterie.

6. — Il y a dans la petite pièce des Êtrennes aux Sots[16] une note concernant l’abbé de La Coste, dans laquelle on insinue qu’il a coopéré au travail de l’Année littéraire. M. Fréron, auteur de ce journal, piqué de cette association, prétend, en rendant compte de la pièce ci-dessus, insérer une remarque très-infamante et pour le protégé et pour le protecteur. Il veut mettre : « Nota. M. D. V. veut sans doute parler de l’abbé de La Porte[17], digue à tous égards des mêmes châtimens que l’autre ; mais la justice n’a pas encore sévi contre ce dernier. » On ne doute pas que cette observation ne soit arrêtée à la police ; en conséquence on la consigne ici.

7. — On commence à parler beaucoup de l’Écueil du Sage comédie philosophique et en vers de dix syllabes, de M. de Voltaire. On espère qu’elle triomphera des scrupules de la censure et de la police, et que nous la verrons enfin représenter. Sans prématurer le jugement qu’on en doit porter, nous nous contenterons de mettre ici une anecdote[18] qui concerne cette comédie et qui est des plus agréables. C’est une plaisanterie que s’est permis M. de Voltaire, et qui a dû l’amuser infiniment.

Avant qu’il fût question de cette pièce, un jeune homme obscur vint la présenter comme sienne, sous le titre du Droit du Seigneur, au comédien semainier[19]. Il fut reçu avec la morgue ordinaire, et ce ne fut qu’en faveur de ses instances les plus respectueuses et les plus humbles qu’on lui promit d’y jeter les yeux. Il fallut bien des courses, bien des prières, avant d’obtenir une nouvelle audience. Enfin on lui déclara qu’on avait parcouru sa comédie et qu’elle était détestable. Le jeune candidat demanda si on avait lu exactement ce drame ? Il fit observer que cet arrêt était bien rigoureux ; qu’il avait montré sa comédie à quelques gens de goût, qui ne l’avaient pas jugée si défavorablement ; qu’il avait même l’honneur du suffrage de M. de Voltaire. On lui rit au nez : on lui dit qu’il ne fallait pas se laisser séduire par ces applaudissemens de société ; que la plupart des gens du monde n’entendaient rien à ces sortes d’ouvrages ; et quant à l’illustre auteur qu’il réclamait, que sans doute c’était un persiflage. Le pauvre diable insista pour obtenir une lecture, la troupe assemblée : on lui répliqua qu’il se moquait, que la compagnie ne s’assemblait pas pour de pareilles misères. Il fallut avoir recours aux suppliques et aux bassesses, et les entrailles du comédien s’étant émues, on lui accorda par compassion un jour de lecture. Le comique aréopage était si prévenu, que vraisemblablement il ne fit pas grande attention à ce qu’il entendait, et la pièce fut conspuée par toute l’assemblée. Le jeune homme se retira fort content de la comédie qu’il venait de jouer. Quelque temps après, M. de Voltaire adressa cette même pièce aux Comédiens, sous le titre qu’elle porte aujourd’hui. On la reçut avec respect : elle fut lue avec admiration, et on pria M. de Voltaire de continuer à être le bienfaiteur de la compagnie. Ce n’est que quelque temps après que cette anecdote s’est divulguée ; on en a beaucoup ri, et l’on s’est rappelé plus que jamais la caricature[20] plaisante, où l’on peint ce tribunal sous l’emblème d’un certain nombre de bûches en coiffures ou en perruques.

8. — Nous allons rendre compte de l’état actuel de l’Opéra.

La haute-contre y est dans le plus grand délabrement. Pillot est le seul chanteur qu’ose avouer l’Opéra. Quel chanteur, encore ! quel successeur de Jéliotte ! Sans âme, sans figure, sans caractère, n’ayant pour lui qu’un peu d’organe. Gélin et Larrivée nous dédommagent dans la basse-taille : l’un a le timbre plus sonore, plus mâle ; l’autre plus onctueux, plus pathétique : tous deux sont acteurs, mais le dernier a sans contredit plus de feu, plus de naturel, plus d’aisance dans son jeu. C’est un homme d’un talent rare, et qui peut se promettre le plus grand succès.

En femmes, nous comptons mademoiselle Chevalier, mademoiselle Arnould et mademoiselle Le Mierre. La première jouit d’une réputation faite depuis long-temps, et l’excellence avec laquelle elle rend le rôle d’Armide est une preuve qu’elle peut encore acquérir. La seconde est, au gré des connaisseurs, l’actrice la plus naturelle, la plus onctueuse, la plus tendre qui ait encore paru. Elle est sortie telle des mains de la nature, et son début a été un triomphe. Qui ne serait enchanté de la méthode, du goût, du prestige avec lequel mademoiselle Le Mierre nous peint tous les objets sensibles de la nature ! Sa voix est une magie continuelle. C’est tour à tour un rossignol qui chante, un ruisseau qui murmure, un zéphir qui folâtre. Toutes trois font l’admiration, l’amour et les délices des partisans du théâtre lyrique.

La chorégraphie est sans contredit la partie la mieux garnie et la plus parfaite de l’Opéra : Vestris et mademoiselle Lany passent pour les premiers danseurs de l’Europe. Toutes les nations étrangères, qui nous contestent le reste, sont d’accord sur ceci. On a fait l’éloge le plus complet du premier, en disant qu’il nous empêche de regretter Dupré. Il est des gens même, amis de la nouveauté sans doute, qui trouvent le premier plus fini et plus varié dans son jeu.

Quant à la seconde, personne des contemporains ne se rappelle avoir vu une danseuse aussi précise, aussi savante dans ses mouvemens. Le frère de cette dernière est admirable pour la pantomime. Laval et Lyonnois seraient des danseurs sublimes, si Vestris n’existait pas. Tous ces illustres sont doublés par huit ou dix jeunes gens, dont quelques-uns promettent infiniment.

L’Opéra a fait cette année l’acquisition de mademoiselle Allard. Mademoiselle Lyonnois doit voir avec plaisir renaître son enjouement et sa gaieté dans cette agréable danseuse. Elle inspire la joie dès qu’elle paraît, et ce sentiment ne fait point tort à celui d’admiration qu’on lui doit. Mademoiselle Vestris est toujours en possession de la danse voluptueuse et même lascive : c’est ce que lui reprocheront sans cesse les défenseurs des mœurs, et c’est un défaut qu’ils lui pardonneront intérieurement, tant que le physique aura quelque empire sur eux. De très-jolis minois décorent délicieusement les ballets, et les premières danseuses ont l’espérance de se voir remplacer par plusieurs du second ordre.

Le cordon de Saint-Michel, dont M. Rebel, l’un des directeurs, vient d’être décoré l’année dernière, doit donner une grande émulation à ses collègues et à ceux qui lui succéderont : nos plaisirs ne peuvent que gagner à cette illustration.

9. — Les Constitutions des Jésuites se répandent imprimées nouvellement avec une traduction[21]. Elle a été faite sous les yeux de M. de Flesselles[22], et c’est M. de La Bonneterie, agrégé en droit, qui a eu le courage de digérer cet ennuyeux travail[23]. On ne dit rien du fonds, déjà savamment discuté par les premiers tribunaux. D’ailleurs, cet ouvrage ne peut intéresser que les enthousiastes de la Société, ou ses adversaires infatigables. Le tout est précédé d’un avertissement succinct, qui reçoit tout son lustre de quelques corrections qu’a daigné y faire une main auguste[24].

11. — On a donné aujourd’hui à la Comédie Italienne la parodie d’Armide en cinq actes, mêlés d’ariettes, vaudevilles, etc. Tout cela était misérable. Cet ouvrage est du sieur Laujon, un des petits poètes de la cour.

12. — On voit dans le public une Lettre de M. Gresset à M. le duc de Choiseul[25], au sujet du Mémoire historique des dernières négociations entre la cour de France et celle de Londres. Elle est en prose et en vers. L’auteur paraît plus avoir eu pour but de faire sa cour au ministre que de soutenir sa célébrité dans cet ouvrage. Il est, à tous égards, indigne de son auteur.

13. — Il est toujours question de la réunion de l’Opéra-Comique à la Comédie Italienne. Cette affaire, qui semblerait n’en devoir être une que dans les ruelles, fait une très-grande sensation à la cour : elle y cause des schismes. M. l’archevêque[26], au grand étonnement de tout Paris, est intervenu sur la scène ; il sollicite vivement la conservation du théâtre de la foire. Les fonds abondans que lui fournit ce spectacle, dont il retire le quart pour les pauvres, l’ont porté à cette étrange démarche. On craint bien qu’elle n’ait pas le succès dû au zèle de ce respectable prélat. Malgré ses représentations, on croit que la réunion aura lieu. Il s’est tenu à ce sujet un grand Conseil des Dépêches, et il faut que cette affaire se termine incessamment. Bien des gens prétendent que la réunion ne peut que contribuer au détriment des deux spectacles, et que c’est un sûr moyen de les faire tomber : le bon goût n’aura pas à s’en plaindre.

14. — On vend sous le manteau un livre intitulé : Manuel de l’Inquisition[27]. Il ne peut que contribuer à augmenter l’horreur qu’on a de cet exécrable tribunal. Il en dévoile tout le système et toute la forme.

17. — Les Muses et les Arts pleurent la disgrâce de deux de leurs illustres protecteurs : MM. Le Riche de La Pouplinière[28] et La Live d’Épinay viennent d’être rayés de la liste des Plutus de France[29]. La gloire les dédommagera de cette disgrâce ; leurs noms plus durables seront à jamais écrits dans les fastes du Parnasse. Le premier, outre la munificence royale avec laquelle il encourageait les artistes et les gens de lettres, possédait lui-même des talens précieux ; il a fait un roman, des comédies[30]. Ses bons mots qu’on pourrait recueillir, seraient, seuls un titre au bel esprit. Le second tient sa maison ouverte à toute l’Encyclopédie : c’est un Lycée, un Portique, une Académie. Sa digne épouse a vu longtemps enchaîné à ses pieds le sauvage citoyen de Genève[31], et tandis que son mari verse ses richesses dans le sein du mérite indigent, elle l’anime de ses regards, elle enflamme le génie et lui fait enfanter des chefs-d’œuvre.

18. — M. Piron a fait une satire en vers intitulée : le Salon[32]. C’est une critique du temps, qui ne contient rien de neuf ni de piquant : c’est un très-mauvais ouvrage.

On a donné aujourd’hui la première représentation de l’Écueil du Sage. M. de Voltaire, pour consoler ses envieux, après avoir échoué dans le tragique a voulu sans doute échouer aussi dans le comique. Cette pièce est aussi mauvaise dans son genre que Zulime l’était dans le sien. C’est une bigarrure des plus choquantes. Les deux premiers actes sont une farce, une parade digne des boulevards ; le troisième se monte sur le haut ton ; le quatrième le soutient, et le cinquième est des plus détestables. Il y a pourtant quelques scènes qui décèlent le grand maître, et c’est en cela que ce drame est supérieur à la dernière tragédie de l’auteur.

19. — On parie beaucoup de la reprise de l’Encyclopédie. Les volumes de planches commencent à paraître ; ils réveillent la curiosité publique, et l’on se demande quand on verra finir cet ouvrage, dont la suspension fait gémir l’Europe ? Tout le manuscrit est fait ; on n’attend qu’un regard favorable du gouvernement, pour en profiter, et se mettre du moins à l’abri des persécutions de l’ignorance et du fanatisme, en sorte que l’autorité ne pourra plus se prévaloir contre ce dépôt immortel de l’esprit humain[33].

20. — Il paraît que tout le monde n’est pas d’accord pour admirer le retour de mademoiselle Arnould à M. le comte de Lauraguais[34]. Ce raccommodement fait moins d’honneur à la constance des deux personnages que de tort à leur bonne foi. M. Bertin avait payé les dettes de la belle fugitive, il a marié sa sœur, il a fait des dépenses considérables, qu’on évalue à plus de 20, 000 écus. Pour conserver l’héroïsme il eût fallu que l’amant en faveur eût remboursé à l’amant disgracié les frais immenses que lui avait occasionés sa nouvelle conquête ; ou qu’au moins il se fût passé à cet égard des procédés, dont on ne parle point. C’est avec douleur que nous sommes obligés de renvoyer mademoiselle Arnould dans la foule des femmes dont nous l’avions tirée. Nous convenons qu’elle avait surpris mal à propos l’admiration des cœurs tendres et sensibles, que séduit toujours ce qui porte l’empreinte des grandes passions.

On vante depuis quelque temps une tragédie d’Eponine de M. de Çhabanon[35]. Ce jeune homme, peu connu jusqu’à présent, avait long-temps fait l’admiration des concerts par son violon, dont il joue supérieurement. Depuis quelques années il s’est jeté dans le grec, il s’est acquis une place à l’Académie des Belles-Lettres, il veut entrer dans la carrière du théâtre. Sa tragédie, qu’on exalte infiniment, suivant l’usage, et dont nous avons entendu la lecture, n’a rien d’extraordinaire ; son héroïne ressemble beaucoup à l’Idamé de l’Orphelin de la Chine : quant à la versification, elle nous a paru plus ampoulée que mâle et nerveuse. Nous en citerons deux vers, que l’auteur chérit avec la plus grande complaisance. L’un est :


Votre crime est écrit des traits de l’évidence.

L’autre, en parlant d’un scélérat intrépide :

Et l’airain de son front lui servira d’égide,


Ce drame a eu bien de la peine à être reçu des Comédiens. L’auteur, avec raison, voulut d’abord se concilier le suffrage de mademoiselle Clairon. Cette actrice éloigna bien loin cette demande ; elle s’excusa sur sa santé, sur le travail dont elle était accablée ; elle demanda du répit, elle gémit sur son sort, d’être toujours entre le fer et le poison : ce ne fut qu’avec de très-grandes protections que M. de Chabanon obtint de se faire entendre. Il fut bien récompensé de ses peines et de sa constance, il eut le plaisir de voir fondre en larmes l’héroïne de théâtre. Depuis lors, elle est engouée de son rôle, et attend avec impatience le moment de se venger sur les spectateurs, des larmes que lui a arrachées un jeune homme qui chausse le cothurne pour la première fois.

21. — Enfin on vient d’enrichir la Pucelle de M. de Voltaire des ornemens qui lui manquaient. Un graveur intrépide publie vingt-sept estampes concernant ce poëme[36]. Ce sont, en général, des caricatures piquantes et qui s’allient très-bien à l’ouvrage. Elles offrent aux yeux avec vérité les peintures lascives ou grotesques du poète : c’est ainsi que, tandis que l’auteur cherche à rendre à son héroïne l’honnêteté dont on lui reproche de l’avoir dépouillée, un plaisant la prostitue de plus en plus et la met hors d’état de paraître jamais aux yeux du lecteur pudibond.

22. — M. Bouchaud[37], agrégé en droit, et auteur d’une traduction du théâtre Italien, fait courir dans les maisons une lettre imprimée, dans laquelle il se défend avec beaucoup d’ardeur d’avoir traduit les Constitutions des Jésuites. Cet ouvrage, presque nul en littérature, n’est ni assez bon pour avoir la crainte délicate d’enlever la réputation du véritable traducteur, ni assez mauvais pour que l’amour-propre se trouve gravement offensé d’une imputation semblable. Il faut qu’il y ait quelque animosité particulière que nous ne pouvons deviner. C’est un différend à vider entre le père véritable et le père putatif, ou qui semble appréhender de l’être.

24. — M. Colardeau[38] avait fait, il y a quelques semaines, une pièce de vers, intitulée : le Patriotisme, à l’occasion des vaisseaux que les différens corps du royaume s’empressent d’offrir au roi. Jusqu’à présent le ministère, toujours sage et modéré, avait enchaîné le zèle de ce poète, en s’opposant à l’impression de son ouvrage. Les mêmes vues de prudence avaient fait sévir la police, au commencement de cette année, en brisant, en pulvérisant quantité d’ouvrages de sucrerie et autres matières, où l’artiste industrieux avait cherché à reproduire sous différentes formes les monumens de la ferveur patrioque. Il parait qu’on permettra désormais de prendre l’essor à l’enthousiasme du citoyen. Le ministre a fait écrire à M. Colardeau que la cour approuvait son ouvrage, et il est enfin imprimé. Nous y trouvons beaucoup de poésie, de zèle, et peu de pensées.

25. — On parle beaucoup du retour de M. de Voltaire en ce pays-ci : on va jusqu’à dire qu’il aura une pension considérable à la cour : ces bruits ne sont encore que très-vagues. D’après cette supposition y on a toujours fait à compte l’épigramme suivante :


Voltaire, en esprit fort, plein d’orgueil et de ruse,
Après avoir choisi le sein des protestans
VoltairePour éviter les sacremens,
Vient mourir à Paris, sachant qu’on les refuse.

28. — L’abbé de La Porte ne convient pas que ses feuilles meurent d’inanition : il prétend que son association au sieur de La Place, quant au Choix des Mercures[39], le met dans le cas de discontinuer son travail : il insinue même qu’il a l’expectative de remplacer ce journaliste[40].

M. de La Dixmerie[41], coopérateur de l’abbé de La Porte, passe aussi au Mercure pour la partie des Contes, dont il a le privilève exclusif, ou du moins en chef. Le ministre, M. de Saint-Florentin, veut absolument rendre à cet ouvrage la vogue qu’il a toujours eue sans la mériter. Il a décidé, pour engager les gens de lettres à seconder ses vues, qu’il n’y aurait dorénavant de pensions[42] données sur cet ouvrage, qu’à ceux qui l’auraient enrichi de leurs productions.

Il est aussi question de faire servir l’ouvrage de l’abbé de La Porte comme de satellite au Mercure, c’est-à-dire de le donner en forme de supplément et aux mêmes souscripteurs. Il ne paraîtrait que sous permission tacite, il servirait de correctif à l’autre, il tempérerait sa fadeur, et du tout il se formerait un aigre-doux qu’on croit capable de réveiller le goût du lecteur.

30. — Il est bon de rendre compte aussi de l’état actuel de la Comédie Française. Nous partirons à l’avenir de ce point, comme d’un thermomètre sûr, pour apprécier l’amélioration ou le dépérissement de ce spectacle.

Mademoiselle Clairon[43] en est toujours l’héroïne. Elle n’est point annoncée, qu’il n’y ait chambrée complète. Dès qu’elle paraît, elle est applaudie à tout rompre. Ses enthousiastes n’ont jamais vu, et ne verront jamais rien de pareil : c’est l’ouvrage le plus fini de l’art… Mais c’est de l’art, disent quelques critiques. Ils se rappellent qu’elle a long-temps été mauvaise, qu’elle a lutté six ans contre le public, que son organe bruyant assourdissait les oreilles, sans émouvoir le cœur. À force de tâter, elle s’est enfin fait un jeu à elle ; les glapissemens de sa voix sont devenus les accens de la passion, son enflure s’est élevée au sublime. Cette actrice a de tout temps eu la passion théâtrale, beaucoup de noblesse dans sa démarche, dans ses gestes de main, dans ses coups de tête. Quoique d’une stature médiocre, elle a toujours paru sur la scène au-dessus de la taille ordinaire. Par quelle fatalité des infirmités habituelles nous privent-elles si souvent de la voir ? Pourquoi sommes-nous incessamment menacés de la perdre[44] ?

Mademoiselle Dumesnil[45] est sans contredit plus actrice-née que mademoiselle Clairon ; son jeu est plus naturel, plus décidé, plus franc ; mais son amour-propre lui aurait dû conseiller de se retirer, il y si quelques années. Elle n’a pas senti qu’elle ne pouvait que perdre à mesure que sa rivale gagnerait : ce n’est pas qu’elle ne lui fasse encore éprouver quelquefois son ancienne supériorité, qu’elle ne l’écrase des élans de son génie. Malheureusement, ce ne sont que les derniers éclats d’une lumière qui s’éteint ! D’ailleurs le vice crapuleux[46] par lequel elle se laisse dominer, la met trop souvent dans le cas de substituer sur la scène les écarts de sa raison aux désordres des grandes passions qu’elle doit peindre.

À qui les conseils d’un amour-propre bien entendu eussent-ils été plus nécessaires qu’à mademoiselle Gaussin[47] ? Elle ne sent pas qu’il est un temps où il faut se soustraire aux applaudissemens, sans quoi les applaudissemens nous échappent à la fin. Son genre ne peut s’allier avec les rides de l’âge : une vieille poupée ne figurera jamais bien dans l’Oracle ni dans les Grâces ; Zaïre doit porter empreinte sur son front toute la candeur de son âme. Quand mademoiselle Gaussin joue dans cette pièce, on est tenté de demander si c’est à elle que M. de Voltaire adressa, il y a trente ans, cette épitre[48] si tendre, si touchante, où le cœur parle plus que l’esprit ? Ce qu’elle est, fait oublier ce qu’elle a été. Plus heureuse cependant que mademoiselle Dumesnil en un point, elle n’a point encore de rivale qui la remplace. Ses défenseurs prétendent que son peu d’opulence[49] la met dans le cas de sacrifier sa gloire à son bien-être : il faut qu’elle soit bien mal à l’aise, ou qu’elle se soucie bien peu de sa réputation !

Il n’y a que vous qui ne vieillissez point, inimitable Dangeville[50] ! Toujours fraîche, toujours nouvelle, à chaque fois on croit vous voir pour la première. La nature s’est plu à vous prodiguer ses dons, comme si l’art eût dû tout vous refuser, et l’art s’est efforcé de vous enrichir de ses perfections, comme si la nature ne vous eût rien accordé. Quel feu dans votre dialogue ! Quelle expression dans votre scène muette ! Quelle force comique dans le moindre de vos gestes ! Quel aveugle préjugé vous refuse dans la société[51] un esprit qui pétille dans vos yeux, qui brille sur toute votre physionomie ! Si l’on voulait personnifier cette intelligence humaine, on ne pourrait lui donner une figure mieux assortie que la votre. Continuez à faire les délices et l’admiration de la scène française. Sur votre modèle puissent se former des actrices dignes de vous remplacer ! espoir d’autant moins fondé, que plus elles auront de sagacité pour saisir la finesse de votre jeu, plus elles se sentiront hors d’état de vous atteindre.

Quant aux dix autres actrices (dont quatre pensionnaires, à l’essai) qui composent la troupe femelle de cette Comédie, nous ne les tirerons point de la foule qu’elles ne se soient distinguées par leurs talens. Quelques-unes donnent des espérances, d’autres ont une figure à laquelle nous rendons hommage dès à présent.

De quinze acteurs que compte la Comédie ( dont deux à l’essai), s’il n’en est peut-être aucun aussi transcendant que les quatre femmes que nous venons de nommer, il en est peu qui n’aient du moins un mérite particulier. Le jeune Molé[52] attrape le ton sémillant d’un marquis éphémère. L’emphase de Paulin, dans ses rôles de tyran, ne messied pas. D’ailleurs il excelle à faire le paysan. Un récit plein de feu ou de pathétique est très-bien rendu par Dubois. Bonneval joue le sot à merveille ; Dangeville le niaits : Armand a toute l’effronterie, toute la scélératesse des valets de l’ancienne comédie : ses allures, son ton, son visage, ne conviennent point à la finesse, à la décence de ceux de la nouvelle. Les acteurs que le public distingue sont Grandval, Bellecour, Le Kain, Préville et Brizard.

Grandval et Bellecour courent la même carrière dans les deux genres. Le premier a plus d’importance, plus de morgue, plus de faste ; l’autre a plus de naturel, plus d’aisance, plus de fatuité : les rôles d’ironie, de dédain, de mépris, conviennent mieux au premier ; ceux d’entrailles, d’onction, de pathétique, mieux au second : celui-là nous paraît fait davantage pour le comique, où il est permis de charger, d’enchérir sur le pinceau de l’auteur : celui-ci est mieux dans le tragique, où il faut souvent rapprocher de la nature un rôle gigantesque que le poète en a trop écarté. Grandval est plus consommé ; nous espérons que Bellecour sera quelque jour plus fini. Tous deux sont hommes à bonnes fortunes[53], et puisent dans le commerce des femmes cet air de triomphe et d’impudence qui sied si bien aux héros de théâtre.

Il fallait que Le Kain[54] fût acteur né, puisque M. de Voltaire l’a jugé tel[55], malgré son organe ingrat et sa figure, ignoble. Le public est fort partagé sur ce comédien : les uns le regardent comme sublime, d’autres comme détestable. C’est qu’il a de grandes beautés dans son jeu, et de grands défauts. Les premières empêchent ses partisans de voir les autres, et ceux-ci font disparaître celles-là aux yeux de ses contempteurs. L’art, quelquefois, le fait aller au-delà de la nature ; il reste quelquefois en-deçà de la nature pour ne pas donner assez à l’art. Assemblage étonnant de grandeur et de bassesse, de sublime et d’enflure ; on doit, ou l’admirer à l’excès, ou le dégrader souverainement.

Préville[56] est admirable pour la pantomime : il est acteur jusqu’au bout des doigts ; ses moindres gestes font épigramme ; il charge avec tout l’esprit possible, c’est le Callot dû théâtre. Aussi inimitable que mademoiselle Dangeville, il n’est pas aussi étendu dans son genre : sa figure ne comporte point certains rôles où il faut jouer la dignité à laquelle l’actrice atteint quand elle veut. Rien de si agréable que de les voir en présence l’un de l’autre ; ils sont faits pour dérider les fronts les plus graves, pour évertuer les plus stupides, pour rendre l’esprit palpable aux plus sots.

Brizard[57] est le dernier dont nous ayons à parler. Il a la majesté des rois, le sublime des pontifes, la tendresse ou la sévérité des pères. C’est un très-grand acteur, qui joint la force au pathétique, la chaleur au sentiment : il est généralement admiré. Nous ne voyons personne qui lui refuse son suffrage, et son jeu n’a encore essuyé aucune critique.

D’après ce détail y il est aisé de juger que le théâtre de la Comédie Française a les acteurs les plus parfaits de l’Europe, quoi qu’en disent les censeurs, qui n’admirent jamais le présent. Nous croyons fort que la génération comique actuelle vaut la génération passée, que les Baron et les Montménil sont remplacés, et que les Roscius antiques ne dédaigneraient pas d’applaudir aux Roscius modernes.

  1. M. Crévier est professeur de l’Université et auteur d’une Histoire de ce corps, dans laquelle il a inséré des personnalités odieuses contre M. de Voltaire et l’attaque sur son irréligion.
  2. Mademoiselle Arnould, la première actrice de l’Opéra, la plus pathétique qui ait peut-être jamais paru (* Sophie Arnould, née à Paris le 14 février 1744 morte en 1803. — R.).
  3. Louis-Léon-Félicité, comte de Lauraguais, puis duc de Brancas, né à Paris le 3 juillet 1733, mort le 9 octobre 1824, âgé de plus de quatre-vingt-onze ans. — R.
  4. M. le comte de Lauraguais a fait, il y a quelques mois, un voyage à Genève, pour consulter M. de Voltaire sur une tragédie d’Électre ( 11 février 1762.) de sa façon. Il est de l’Académie des Sciences.
  5. Mademoiselle Arnould, excédée de la jalousie de M. de Lauraguais, avait profité de son absence pour rompre avec lui. Elle avait renvoyé à madame la comtesse de Lauraguais tous les bijoux dont lui avait fait présent son mari, même le carrosse, et deux enfans dedans, qu’elle avait eus de lui. Elle s’était tenue cachée pour se soustraire aux fureurs d’un amant irrité : elle s’était même mise sous la protection de M. le comte de Saint-Florentin, dont elle avait imploré la bienveillance. On ne peut peindre l’état de démence où cette rupture avait jeté M. le comte de Lauraguais. Tout Paris était inondé de ses élégies. Enfin, à la fougue d’une passion effrénée ayant succédé le calme de la raison, il s’était livré aux sentimens généreux, qui devaient nécessairement reprendre le dessus dans un cœur comme le sien. Il y avait eu une entrevue entre sa maîtresse et lui ; il avait poussé la grandeur d’âme au point de lui déclarer qu’en renonçant à elle, il n’oubliait point ce qu’il se devait à lui-même, et lui envoyait en conséquence un contrat de deux mille écus de rente viagère. Sur le refus de mademoiselle Arnould, madame la comtesse de Lauraguais était intervenue, et avait sollicité l’actrice sublime de ne point refuser un bienfait auquel elle voulait participer elle-même : elle lui avait fait ajouter qu’elle n’eut aucune inquiétude de ses enfans, qu’elle en aurait le même soin que des siens propres. Mademoiselle Arnould n’avait point cru devoir se refuser à cette dernière invitation, et M. Bertin ayant, de son côté, fait vis-à-vis de M. de Lauraguais les démarches qui convenaient dans les circonstances tous les procédés avaient été remplis, et il était entré en pleine propriété de sa nouvelle conquête. — Favart, dans ses Mémoires (t. I, p. 195), nous a conservé la lettre de rupture que Sophie Arnould envoya au comte de Lauraguais. La voici : « Monsieur mon cher ami, vous avez fait une fort belle tragédie, qui est si belle que je n’y comprends rien, non plus qu’à votre procédé ; vous êtes parti pour Genève afin de recevoir une couronne de lauriers du Parnasse de la main de M. de Voltaire ; mais vous m’avez laissée seule et abandonnée à moi-même : j’use de ma liberté, de cette liberté si précieuse aux philosophes, pour me passer de vous. Ne le trouvez pas mauvais : je suis lasse de vivre avec un fou qui a disséqué son cocher, et qui a voulu être mon accoucheur dans l’intention sans doute de me disséquer aussi moi-même. Permettez donc que je me mette à l’abri de votre bistouri encyclopédique.
    « J’ai l’honneur d’être, etc. » — R.
  6. Mademoiselle Hus.
  7. De l’Académie des Belles-Lettres, auteur de l’Isle des fous (* Comédie-vaudeville en deux actes, jouée pour la première fois le 29 décembre 1760. Elle fut faite en société avec Anseaume qui est seul nommé. C’est une parodie de l’Arcifanfano de Goldoni. — R.), et trésorier des parties casuelles.
  8. M. Bertin avait cru long-temps posséder le cœur de mademoiselle Hus ; si les bienfaits avaient quelque droit sur celui d’une femme de cette espèce, il avait lieu de n’en point douter ; il avait fait en sa faveur une dépense prodigieuse. Cependant n’ayant pu se refuser aux soupçons dont on le tourmentait, il en avait vérifié la vérité, et avait trouvé son infidèle courbée dans sa maison de Passy, avec le fils de l’entrepreneur des eaux de ce lieu. Celui-ci s’étant fait jour l’épée à la main, cette aventure était devenue trop publique pour que M. Bertin pût vivre encore avec une femme qu’il regrettera peut-être toujours. On évaluait alors le mobilier de mademoiselle Hus à plus de 500 000 liv.
  9. Ce fut le 20 juin 1740 ; et la première représentation de la reprise se donna le 29 décembre 1761 ; elle fut retirée après la neuvième. — W.
  10. M. de Voltaire avait bien une comédie (7 janvier 1762.), mais qui a essuyé tant de contradictions à la censure, qu’il y avait à craindre qu’elle ne pût être jouée.
  11. Amsterdam, 1761, in-8o. Jean-Baptiste-René Robinet, né à Rennes le 23 juin 1735, mort en cette ville le 24 mars 1820, ne tarda pas à se déclarer l’auteur de cet ouvrage. — R.
  12. 2 février 1764. — R.
  13. Joseph de La Porte, né à Béfort en 1713 mort à Paris, le 19 décembre 1779. L’Observateur Littéraire, commencé en 1758, forme dix-huit volumes in-12. — R.
  14. M. Fréron
  15. Claude-Henri Fusée de Voisenon, né le 8 janvier 1708, mort le 22 novembre 1775. Madame la comtesse de Turpin, légataire des manuscrits de Voisenon, a publié en 1781 ses Œuvres complètes, 5 yolumes in-8o. Elle n’a pas cru devoir y comprendre les agréables ordures de cet abbé. — R.
  16. 1er janvier 1762. — R.
  17. L’abbé de La Porte avait été autrefois associé de M. Fréron, et depuis s’était rangé sous la protection de M. de Voltaire.
  18. Cette anecdote est très-vraie. — W.
  19. On appelle semainier celui qui est nommé chaque semaine pour suivre les affaires de la troupe. C’était le sieur Bellecour dans ce temps-là.
  20. Dans les Mémoires de l’Académie des Colporteurs ; par Caylus.
  21. Constitutions des Jésuites, avec les déclarations, traduites sur l’édition de Prague ; en France, 1762, 3 vol. in-8o et in-12. Charles-François Saboureux de La Bonneterie, né vers 1725, mort à Paris en juillet 1781, est auteur de cette traduction, revue par l’abbé Thierry, chanoine de Notre-Dame, et entreprise par ordre du Dauphin. — R.
  22. M. de Flesselles, procureur-général de la commishion nommée par le roi pour examiner les Constitutions des Jésuites.
  23. 22 janvier 1762. — R.
  24. M. le Dauphin.
  25. Lettre à M. le duc de Choiseul sur le Mémoire historique de la négociation entre la France et l’Angleterre ; Amiens, 1762, in-4o. — R.
  26. Christophe de Beaumont. — R.
  27. Le Manuel des Inquisiteurs à l’usage des Inquisitions d’Espagne et de Portugal, ou Abrégé de l’ouvrage intitulé : Directorium inquisitorum, composé vers 1358, par Nicolas Eymeric : on y a joint une courte Histoire de l’établissement de l’Inquisition dans le royaume de Portugal, tirée du latin de Louis A. Paramo ; Lisbonne, 1762, in-12. Cet ouvrage est de l’abbé Morellet. — R.
  28. Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de La Pouplinière, né à Paris en 1692, avait épousé en premières noces une actrice, fille de Dancourt, l’auteur comique. Les liaisons de cette dame avec le duc de Riçhelieu, l’aventure scandaleuse qui en fut le résultat et dont on peut voir les détails dans les Mémoires de Marmontel, forcèrent La Pouplinière à se séparer d’elle. Il mourut le 5 décembre 1762. — R.
  29. Ils étaient tous deux fermiers-généraux. Ils ont été remerciés par une lettre de M. le contrôleur-général, au nom du roi.
  30. Daïra, histoîre orientale ; Paris 1760, in-4o ; et 1761, 2 parties in-12. Les comédies assez nombreuses qu’il avait composées pour son théâtre, n’ont pas été imprimées. (15 juillet 1763.) — R.
  31. M. Rousseau a été amoureux fou de madame de La Live. — Non pas de cette dame qu’il aimait peut-être trop comme ami, pour l’aimer comme amant, mais de sa sœur, là comtesse d’Houdetot. Voyez les Confessions, 2e partie, liv. IX. — R.
  32. Paris, 17622, in-4o. — R.
  33. Après de nombreuse traverses suscitées par le fanatisme et l’hypocrisie, l’Encyclopédie était parvenue au septième volume lorsqu’un arrêt du Conseil du roi, du 8 mars 1759, révoqua le privilège accordé à l’ouvrage, et arrêta cette vaste entreprise au milieu de son cours. Elle ne fut terminée qu’en 1765 par la publication des dix derniers volumes du texte et de cinq volumes de planches. L’ouvrage entier forme vingt-deux volumes in-folio. — R.
  34. 1er janvier 1762. — R.
  35. 6 décembre 1762. — R.
  36. Ces estampes sont probablement celles qu’on voit dans une petite édition de la Pucelle, in-16, de forme presque carrée, sous le titre de Londres. Elles sont en effet très-libres, et se font d’ailleurs remarquer par une touche fine et spirituelle dans le dessin comme dans la gravure. — W.
  37. Mathieu-Antoine Bouchaud, né à Paris le 16 avril 1719, mort le 1er février 1804. On a de lui une traduction des Œuvres dramatiques d’Apostolo Zéno ; Paris, 1758, 3 vol. in-12. C’est probablement de cet ouvrage qu’il est ici question. Aucun bibliographe ne mentionne la lettre imprimée dont parlent les Mémoires. On a vu (9 janvier 1762.) que la traduction des Constitutions est de Saboureux de La Bonneterie. Le parlement ayant dénoncé l’ouvrage et manifesté l’intention d’en poursuivre l’auteur, le désaveu de Bouchaud, à qui on l’attribuait, n’a rien d’extraordinaire. — R.
  38. Charles-Pierre Colardeau, né à Janville en Beauce, le 12 octobre 1732 ; mort le 7 avril 1776. — R.
  39. Choix des anciens Mercures, avec un extrait du Mercure Français ; Paris, 1757-1764, 108 volumes in-12.

    Marmontel, Suard, de La Place, Bastide et de La Porte, ont travaillé à cette volumineuse compilation, à laquelle il faut joindre la Table générale des pièces contenues dans les cent huit volumes du Choix des Journaux, rangées par ordre de matières et des volumes ; Paris, 1765, in-12. — R.

  40. M. de La Place est malade depuis long-temps, et pourrait ne pas vivre beaucoup.
  41. Nicolas-Bricaire de la Dixmerie, né la Motte-d’Attencourt, en Champagne, mort à Paris, le 26 novembre 1791. Il a recueilli en 3 volumes in-12 les Contes philosophiques et moraux fournis par lui au Mercure. — R.
  42. Le Mercure rend environ 60,000 livres : il y a 16,000 livres de frais, et 28,000 de pensions ; ensuite les non-valeurs, sommes arriérées, recouvremens à faire, etc.
  43. Claire-Josèphe-Leyris de La Tude Clairon, née en 1728 près de Condé en Flandre ; morte à Paris le 18 janvier 1803. — R.
  44. Mademoiselle Clairon est attaquée de la maladie des femmes : elle joue peu souvent, en conséquence de ses infirmités. Ses camarades lui faisaient reproche un jour de sa rareté : « Il est vrai que je ne joue pas fréquemment, répondit-elle ; mais une de mes représentations vous fait vivre pendant un mois. »
  45. Marie-Françoise Dumesnil, née à Paris en 1713 ; morte à Boulogue-sur-Mer le 20 février 1803. — R.
  46. Mademoiselle Dumesnil boit comme un cocher : son laquais, lorsqu’elle joue, est toujours dans la coulisse, la bouteille à la main, pour l’abreuver.
  47. Jeanne-Catherine Gaussin, ou plutôt Gaussem, débuta à la Comédie Française en 1731. Elle était alors âgée de dix-sept ou dix-huit ans. Morte à Paris le 9 juin 1767. — R.
  48. Celle qui commence ainsi :

    Jeane Gaussin, reçois mon tendre hommage. — R.

  49. Mademoiselle Gaussin a eu les amans les plus illustres, mais elle a toujours sacrifié l’intérêt au plaisir. Quand on lui reprochait son extrême facilité, elle disait : « Que voulez-vous ? Cela leur fait tant de plaisir, et il m’en coûte si peu ! »
  50. Marie-Anne Botot Dangeville, née à Paris le 26 décembre 1714 ; morte en mars 1796. — R.
  51. On prétend que mademoiselle Dangeville est buse en conversation.
  52. François-René Molé, né à Paris en 1734 ; mort le 11 décembre 1802. — R.
  53. On raconte qu’une femme de très’grande considération s’étant engouée de Grandval, l’envoya chercher, l’admit dans un tête-à-tête ménagé exprès, et filant peu à peu sa défaite, lui dit, en regardant des portraits de famille qui ornaient l’appartement : « Ah ! Grandval, que diraient ces héros, s’ils me voyaient entre vos bras ? — Ils diraient, répondit l’impudent vainqueur, ils diraient que vous êtes une p… » *.

    *Cette réponse est généralement attribuée à Baron. — R.

  54. Henri-Louis Le Kain, né à Paris, le 14 avril 1728 ; mort le 8 février 1778. — R.
  55. C’est M. de Voltaire qui a produis Le Kain à la Comédie, après l’avoir fait jouer loug-temps chez lui ses différentes pièces ; et, en géuéral, il faut convenir que ce sont celles que Le Kain joue le mieux.
  56. Pierre-Louis Dubus, dit Préville, né à Paris le 17 septembre 1721 ; mort à Beauvais le 18 décembre 1799. — R.
  57. Jean-Baptiste Britard, dit Brizard, né à Orléans le 7 avril 1721 ; mort à Paris le 30 janvier 1791. L’épitaphe placée sur son tombeau est de Ducis et n’a point été recueillie dans les Œuvres de ce poète. — R.