Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/23

(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 138-141).
Le général et la négresse

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


LE
GÉNÉRAL ET LA NÉGRESSE

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



L e mari de Cochonnette était, ainsi que vous le savez, en garnison en Algérie.

Ce beau pays qui appartient maintenant à la France donne asile à tous les habitants du monde : Espagnols, Allemands, Anglais, Arabes ; il y a de tout. La vie y est si large et si facile, qu’à l’époque dont nous parlons, il y a environ dix ans, les mœurs y étaient encore dans toute leur simplicité.

On ne se gênait pas, les blancs caressaient les négresses.

Il était plus rare cependant que les nègres caressassent les blanches.

Nos sœurs de la race caucasienne ont le goût moins accommodant que leurs congénères du sexe fort.

Cela vient aussi peut-être de ce que le nègre porte toujours sur lui une odeur de suint à faire reculer les moins dégoûtés.

C’est dommage cependant, car on dit que les nègres sont savants en amour et surtout tellement imbus de ce charmant défaut que la plupart en meurent.

Les mœurs sont en Algérie, beaucoup plus indulgentes qu’en Europe. Demandez à nos soldats d’Afrique, ils vous diront… non, ils ne vous diront pas, que les indigènes pratiquent ce que nous appelons maintenant d’une façon irrespectueuse, le germinisme.

Ils ne s’en croient pas de moins honnêtes gens pour cela.

Mais revenons à notre général.

Il paraît que lui aussi appréciait les femmes de couleur, dont le tempérament ardent comme leur soleil, laisse bien loin celui des pâles filles du nord.

Un jour, ou un beau soir d’été, comme vous voudrez, on annonça au général l’arrivée de sa femme légitime.

— Bigre ! c’est embêtant, dit-il.

L’exclamation était risquée… mais sincère.

Néanmoins, il prit son parti rapidement.

— Allons-y gaiement.

Bientôt il se trouva en face de l’adversaire :

— Quelle surprise agréable, ma chère amie ! qu’est-ce qui me procure cette bonne fortune à laquelle, certes, je ne m’attendais pas ?

— Ni moi non plus, mon général, mais on a pensé là-bas, qu’il était des plus strictes convenances que je vinsse une fois au moins vous faire visite à votre régiment. Dieu ! qu’il fait chaud ici.

— Le fait est que le climat est corsé !…

— S’amuse-t-on au moins, danse-t-on ?

— Avec de jeunes officiers, songez donc ?

— C’est vrai.

— Vous me présenterez vos officiers, n’est-ce pas, général ?

— Sans doute.

— Et vous me ferez voir les curiosités du pays.

— À vos ordres.

— Je vous en prie, faites-moi apporter mon éventail et un sorbet.

Le général, après avoir entendu ce flux et ce reflux de paroles, offrit son bras à madame Cochonnette et se décida à la conduire à son appartement.

— Vous devez bien vous ennuyer ici, mon pauvre ami, dit-elle.

— Mais non, pas trop ! ah ! Thisbé, fit-il, à une jeune négresse qui se tenait, toute intimidée, dans un coin, viens ici, salue madame la marquise.

La jeune beauté de la postérité de Cham vint s’incliner avec humilité devant la capricieuse et hautaine arrivante.

— Chère amie, reprit le mari, je vous présente la fée noire qui a su, depuis que je suis ici, me faire passer agréablement les heures de la nuit et me prouver une fois de plus qu’en amour c’est le contraire de ce qui s’enseigne en musique :

Une noire vaut deux blanches.


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
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